Salon double - FOREST, Philippe http://salondouble.contemporain.info/taxonomy/term/444/0 fr Le sens à l’épreuve de la mort http://salondouble.contemporain.info/lecture/le-sens-a-l-epreuve-de-la-mort <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/hope-jonathan">Hope, Jonathan</a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-biblio"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/biblio/tous-les-enfants-sauf-un">Tous les enfants sauf un</a> </div> </div> </div> <!--break--><!--break--><p align="justify">Dans son dernier ouvrage Philippe Forest interpr&egrave;te certaines conditions auxquelles on se mesure lorsque d&eacute;c&egrave;de un enfant. L&rsquo;auteur passe en revue plusieurs mythes (au sens barth&eacute;sien) qui d&eacute;terminent la mani&egrave;re par laquelle on esp&egrave;re rendre compte de la souffrance et du deuil. Six d&rsquo;entre eux seront expos&eacute;s ici : les h&ocirc;pitaux et les soins de sant&eacute;, l&rsquo;enfance, la religion, la psychanalyse, la litt&eacute;rature &laquo;th&eacute;rapeutique&raquo;, la m&eacute;lancolie. Syst&eacute;matiquement, Forest montre comment les discours &eacute;chouent &ndash; autant que le sien propre et c&rsquo;est ce qui fait toute sa force &ndash;, dans leurs tentatives &agrave; rendre compte de la mort. Pourtant, les discours sur la souffrance r&eacute;ussissent &agrave; toucher &agrave; quelque chose, si ce n&rsquo;est que son absurdit&eacute;. Cette h&eacute;sitation entre la critique et l&rsquo;aveu &ndash; la reconnaissance d&rsquo;un paradoxe &ndash; sous-tend enti&egrave;rement l&rsquo;essai de Forest.</p> <p align="justify">Pauline, la fille de Philippe Forest et de sa conjointe H&eacute;l&egrave;ne, est d&eacute;c&eacute;d&eacute;e &agrave; la suite des complications d&rsquo;un ost&eacute;osarcome. Le diagnostic a &eacute;t&eacute; &eacute;tabli en janvier 1995. Une ann&eacute;e intensive de traitements et une intervention chirurgicale majeure donnent l&rsquo;espoir &agrave; la famille que le pire est pass&eacute;. Pourtant, en f&eacute;vrier 1996 des m&eacute;tastases sont d&eacute;couvertes dans les poumons de Pauline. La maladie l&rsquo;emporte quelque trois mois plus tard. Elle avait quatre ans.</p> <p align="justify">Forest &eacute;crit alors<em> L&rsquo;enfant &eacute;ternel</em> (1997) o&ugrave; il raconte la maladie et le d&eacute;c&egrave;s de sa fille. Puis, dans <em>Toute la nuit</em> (1999), il reprend le m&ecirc;me th&egrave;me, esp&eacute;rant que sa r&eacute;&eacute;criture lui permettra de mieux comprendre l&rsquo;&eacute;v&eacute;nement. Mais deux romans ne suffisent pas. Dix ans apr&egrave;s son premier roman, il remet &ccedil;a avec <em>Tous les enfants sauf un</em> (2007). Ici, le roman fait place &agrave; l&rsquo;essai. Il s&rsquo;agit maintenant de &laquo;faire entendre, sans litt&eacute;rature, ce que, dans le monde d&rsquo;aujourd&rsquo;hui, peuvent signifier la maladie et la mort d&rsquo;une enfant.&raquo; (p. 10). Contrairement aux deux romans pr&eacute;c&eacute;dents, Forest ne cherche pas &agrave; relater la mort de sa fille, mais bien de comprendre la mort de mani&egrave;re plus g&eacute;n&eacute;rale. Parce qu&rsquo;il analyse les conditions, les superstructures id&eacute;ologiques, l&rsquo;essai de Forest est une importante contribution &agrave; l&rsquo;analyse mythologique de la mort. Pourtant, l&rsquo;histoire de Pauline et la mani&egrave;re dont l&rsquo;a v&eacute;cue Forest et sa conjointe restent en filigrane partout dans l&rsquo;essai. Comme quoi en parlant d&rsquo;id&eacute;es g&eacute;n&eacute;rales on peut &eacute;voquer des objets tr&egrave;s sp&eacute;cifiques et sensibles. Et pour cette raison, l&rsquo;essai s&rsquo;av&egrave;re &ecirc;tre une sorte d&rsquo;&eacute;chec. D&rsquo;abord parce que Forest reconna&icirc;t qu&rsquo;il ne peut pas &eacute;crire sans litt&eacute;rature. Son premier roman &laquo;n&rsquo;avait pas de fin. M&ecirc;me les essais que j&rsquo;ai publi&eacute;s en constituaient aussi des chapitres [&hellip;] Et cet essai maintenant.&raquo; (p. 158). Comme les discours les plus dominants qui tentent, mais &eacute;chouent, &agrave; saisir la mort, Forest en arrive &agrave; l&rsquo;id&eacute;e que le d&eacute;c&egrave;s d&rsquo;une enfant n&rsquo;a aucun sens. Cette troisi&egrave;me tentative est ainsi une sorte d&rsquo;aveu d&rsquo;impuissance devant le chagrin et la perte.</p> <p><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Soins de sant&eacute;</strong></span></p> <p align="justify">&Agrave; propos des h&ocirc;pitaux, Forest tient un discours particuli&egrave;rement complexe. La complexit&eacute; tient, en partie, du ton cynique de l&rsquo;auteur. Comme l&rsquo;ironique, ou le sarcastique, on n&rsquo;est jamais trop s&ucirc;r d&rsquo;o&ugrave; parle le cynique. Ce qui rend les choses encore plus ambigu&euml;s est que le cynisme est souvent une sorte de deuxi&egrave;me nature chez les m&eacute;decins, qui, en revanche, tol&egrave;rent habituellement mal qu&rsquo;on soit cynique envers leur pratique. Par leur art ou leur technique, les m&eacute;decins cherchent &agrave; maintenir une distance avec la maladie, la mort, la souffrance, auxquelles ils se heurtent quotidiennement. Forest consid&egrave;re cette distance &agrave; la base du cynisme m&eacute;dical et &eacute;crit, non sans effronterie :</p> <p class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);"> Lorsqu&rsquo;il a &eacute;puis&eacute; toutes les ressources de son art, le docteur a quelque chose d&rsquo;un pr&ecirc;tre et puis d&rsquo;un &eacute;boueur. Faute de pouvoir gu&eacute;rir, il absout et puis il aseptise, exer&ccedil;ant sur les disparus son devoir d&rsquo;hygi&eacute;niste. Le scandale scatologique de la mort, avec les moyens du bord, il le r&eacute;sout &agrave; sa pauvre mani&egrave;re, pronon&ccedil;ant sur le cadavre les paroles de purification rituelles et lui appliquant un traitement qui ne diff&egrave;re pas tellement de celui qu&rsquo;on r&eacute;serve aux ordures. (p. 30)</span></p> <p align="justify">Comparer la m&eacute;decine &agrave; de la sorcellerie et au tri des d&eacute;chets n&rsquo;est pas tr&egrave;s d&eacute;licat. Mais il faut l&rsquo;avouer, le malade a souvent l&rsquo;air d&rsquo;un simple objet sur lequel les m&eacute;decins appliquent leur instruction et leurs protocoles. Le malade est en quelque sorte exclue des rythmes de production du fonctionnement social &laquo;normal&raquo;. Puisqu&rsquo;il ne peut pas participer, l&rsquo;h&ocirc;pital le transforme en mati&egrave;re pour ceux qui peuvent toujours travailler. Au sujet de cette r&eacute;ification, Forest &eacute;crit : &laquo;(l)&rsquo;objectivation n&eacute;cessaire du mal que produit le regard m&eacute;dical se paie ainsi, pour le patient, au prix d&rsquo;une d&eacute;possession subjective de son &ecirc;tre.&raquo; (p. 42). Le patient doit ainsi abandonner son temps (d&eacute;terminant de son &ecirc;tre selon la philosophie classique) et se coordonner &agrave; celui de l&rsquo;institution m&eacute;dicale. Il abandonne aussi, parall&egrave;lement, son corps aux experts et devient, comme objet de recherche, un rouage dans l&rsquo;usine de la sant&eacute;.</p> <p align="justify">Malgr&eacute; cette critique acerbe, l&rsquo;analyse de l&rsquo;univers hospitalier effectu&eacute;e par Forest n&rsquo;est pas sans nuances et manifeste des sentiments bigarr&eacute;s. Car l&rsquo;h&ocirc;pital est le lieu de l&rsquo;h&ocirc;te, celui qui recueille et prot&egrave;ge. L&rsquo;h&ocirc;pital est synonyme de refuge et de repos pour la personne en d&eacute;tresse. Les m&eacute;decins, qui par d&eacute;finition soignent, mesurent, organisent, prennent enti&egrave;rement sur eux, dans la mesure du possible, le r&eacute;tablissement de la sant&eacute; du malade. Et ce, malgr&eacute; les failles administratives, malgr&eacute; les limites de la recherche et des moyens, et malgr&eacute; leurs propres craintes et faiblesses devant des drames humains.</p> <p align="justify">Lorsque le drame concerne l&rsquo;enfant, il para&icirc;t d&rsquo;autant plus inadmissible. C&rsquo;est l&agrave; une id&eacute;e r&eacute;pandue : l&rsquo;enfant est trop jeune pour mourir parce qu&rsquo;elle ne sait m&ecirc;me pas encore ce qu&rsquo;est la vie. La mort de l&rsquo;enfant constitue en quelque sorte l&rsquo;absurdit&eacute; la plus totale, l&rsquo;&eacute;v&eacute;nement le plus d&eacute;nu&eacute; de raison. L&rsquo;enfant est une victime, &laquo;par excellence l&rsquo;objet de [la] piti&eacute;.&raquo; (p. 75), et sa mort, un impossible universel.</p> <p align="justify">Et pourtant, autant que Forest accepte cette id&eacute;e commune, il la d&eacute;nonce. Car penser la mort de l&rsquo;enfant comme une absurdit&eacute;, revient &agrave; dire que la mort d&rsquo;un autre, qui n&rsquo;est pas un enfant (quadrag&eacute;naire, toxicomane, ou adulte), est plus tol&eacute;rable. Forest ironise : &laquo;&agrave; la Bourse de la souffrance, un homosexuel [sid&eacute;en] ou un toxicomane ne vaudra jamais ce que vaut un petit gar&ccedil;on ou une petite fille atteint d&rsquo;une leuc&eacute;mie, d&rsquo;un sarcome&raquo;. Puis il ajoute : &laquo;Cette diff&eacute;rence de cotes &agrave; la Bourse de l&rsquo;&eacute;motion est la traduction d&rsquo;un pr&eacute;jug&eacute; abject quand on y r&eacute;fl&eacute;chit. Car exalter l&rsquo;innocence de l&rsquo;enfant &agrave; pour effet m&eacute;canique de stigmatiser implicitement l&rsquo;adulte en le tenant responsable de sa maladie.&raquo; (p. 70). Comme si la mort d&rsquo;une quadrag&eacute;naire &eacute;tait &laquo;normale&raquo; parce que celle-ci &eacute;tait vieille. Comme si la mort d&rsquo;une toxicomane ne devait pas faire autant pleurer parce qu&rsquo;elle &eacute;tait &laquo;coupable&raquo; de son &eacute;tat de sant&eacute;. Comme si l&rsquo;adulte et ses proches n&rsquo;avaient pas &agrave; se plaindre de la souffrance, parce qu&rsquo; &laquo;au moins, il avait v&eacute;cu&raquo;. Ainsi, la souffrance et la mort nous paraissent plus acceptables. Mais en r&eacute;alit&eacute;, tout ce qu&rsquo;on fait c&rsquo;est &eacute;changer le chagrin contre une raison. On ne donne pas raison au chagrin. On &eacute;vacue la souffrance au lieu de l&rsquo;affronter dans une partie perdue d&rsquo;avance. Comme quoi on pr&eacute;f&egrave;re &agrave; l&rsquo;&eacute;chec et l&rsquo;aveu d&rsquo;impuissance, les chim&egrave;res de l&rsquo;entendement.</p> <p><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Religion</strong></span></p> <p align="justify">Contraire &agrave; l&rsquo;entendement, il y a cette n&eacute;buleuse qu&rsquo;on nomme la religion; Forest vise sp&eacute;cifiquement la chr&eacute;tient&eacute; et non le &laquo;bazar de croyances infantiles&raquo; (p. 102). Encore ici, en filigrane de la critique corrosive de Forest, on sent bien des r&eacute;serves. Il d&eacute;nonce d&rsquo;abord l&rsquo;ineptie des discours qui c&eacute;l&egrave;brent la vie apr&egrave;s la mort, qui assurent que la souffrance n&rsquo;est qu&rsquo;un petit prix &agrave; payer pour le paradis qui nous attend; plus grande est la souffrance, plus grande sera la r&eacute;compense. Il d&eacute;nonce ces discours superstitieux fond&eacute;s sur la crainte et l&rsquo;espoir. Il d&eacute;nonce la religion qui cr&eacute;e un contexte festif, qui permet aux gens d&rsquo;entrer en transe, pour mieux faire passer l&rsquo;historiette psych&eacute;d&eacute;lique de la tare originelle pour laquelle nous payons toute notre vie, la r&eacute;demption par la mort.</p> <p align="justify">Malgr&eacute; cela, Forest reconna&icirc;t toute l&rsquo;importance du pr&ecirc;tre qui se tient &agrave; la limite du monde normal. Le pr&ecirc;tre, comme le malade, n&rsquo;est pas vraiment utile, mais il assure un contact n&eacute;cessaire avec le monde des morts. Forest rappelle l&rsquo;enterrement de sa fille : &laquo;Il [le pr&ecirc;tre] a accept&eacute; de nous accompagner jusqu&rsquo;au cimeti&egrave;re de Rosnay et c&rsquo;est lui qui a pos&eacute; l&rsquo;urne contenant les cendres dans le fond de la tombe. Je lui suis reconnaissant de ce geste parce que je ne crois pas que quelqu&rsquo;un d&rsquo;autre &ndash; et certainement pas moi &ndash; aurait eu le courage de le faire.&raquo; (p. 103). Le pr&ecirc;tre fait, comme l&rsquo;&eacute;boueur, un travail de paria n&eacute;cessaire, mais inacceptable. Le pr&ecirc;tre propose une solution, comme le m&eacute;decin, &agrave; la &laquo;question &ndash; techniquement et m&eacute;taphysiquement &ndash; insoluble&raquo; (p. 54) que sont la souffrance et la mort. La voix du pr&ecirc;tre &ndash; probablement parce qu&rsquo;elle n&rsquo;est justement pas la sienne &ndash; fait entendre la piti&eacute; venue de loin, le scandale, typique de la tragique condition de l&rsquo;homme, du sacrifice du Christ.</p> <p><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Psychanalyse</strong></span></p> <p align="justify">Un des discours actuels les plus adapt&eacute;s &agrave; &eacute;voquer le tragique est sans doute la psychanalyse freudienne (omettons l&rsquo;existentialisme, qui n&rsquo;est pas un discours &agrave; proprement parler, mais plut&ocirc;t une disposition qui teinte le si&egrave;cle tout entier). Comme la religion, la psychanalyse a malheureusement subi des torts dans les milieux et pratiques les plus r&eacute;trogrades de la culture de masse. Forest cible le cas du concept de &laquo;travail de deuil&raquo; que Freud expose dans &laquo;Deuil et m&eacute;lancolie&raquo; (1915). Tel que l&rsquo;entend Freud, le deuil est un travail de remplacement o&ugrave; l&rsquo;endeuill&eacute; trouve un substitut &agrave; l&rsquo;objet de d&eacute;sir maintenant mort. En un certain sens, le travail de deuil est une sorte de m&eacute;canique de balancier cherchant &agrave; maintenir un pr&eacute;cieux &eacute;quilibre des passions. Forest remarque que le concept a &eacute;t&eacute; raviv&eacute;, notamment par la psychoth&eacute;rapie sous le nom de &laquo;r&eacute;silience&raquo; - une soi-disant capacit&eacute; &agrave; rebondir suite &agrave; des traumatismes. Cette notion conna&icirc;t un immense succ&egrave;s m&eacute;diatique, probablement parce qu&rsquo;on y trouve une foule d&rsquo;anecdotes joyeuses, des happy ending, et parce qu&rsquo;elle pr&ocirc;ne une &eacute;lasticit&eacute; de l&rsquo;&acirc;me qui convient tant &agrave; notre &eacute;poque badine du divertissement plastique. En tous les cas, ce que le travail de deuil et la r&eacute;silience ont en commun est cette tendance &agrave; &eacute;vacuer la souffrance; vivre la souffrance, oui, mais &agrave; condition de pouvoir la surmonter et passer &agrave; autre chose. Forest rappelle que Freud lui-m&ecirc;me n&rsquo;&eacute;tait pas en mesure de proc&eacute;der correctement au travail de deuil, pourtant a priori tr&egrave;s rigoureux (et presque simple), &agrave; la suite du d&eacute;c&egrave;s de Sophie, sa propre fille, en 1920. C&rsquo;est ainsi que Forest consid&egrave;re que ce d&eacute;c&egrave;s constitue le point de basculement du dernier Freud, celui qui conna&icirc;t le pessimisme tragique de l&rsquo;homme. La mort n&rsquo;est plus le temps d&rsquo;un travail, mais bien celui d&rsquo;un sacrifice, d&rsquo;une dette. Fond&eacute;e sur le manque, la psychanalyse demeure ainsi &laquo;l&rsquo;un des plus efficaces antidotes contre toute vision positive et normative de l&rsquo;individu.&raquo; (p. 124). Une part de nous demeure solidement et immanquablement attach&eacute;e aux disparus et ne se d&eacute;tachera probablement qu&rsquo;&agrave; notre mort. C&rsquo;est l&rsquo;exp&eacute;rience de cet attachement qui persiste, la manifestation soulign&eacute;e et continuelle du d&eacute;funt, que nous nommons des fant&ocirc;mes. Parce que nous sommes attach&eacute;s &agrave; d&rsquo;autres qui nous survivront et qui s&rsquo;attacheront, eux aussi, &agrave; d&rsquo;autres, nous transmettons nos fant&ocirc;mes en en devenant &agrave; notre tour. Et l&rsquo;exp&eacute;rience de cette hantise nous rend incapables de retourner, compl&egrave;tement et sans marques, dans le monde des vivants. Forest &eacute;crit : &laquo;[n]ous avons fini par reprendre l&rsquo;apparence d&rsquo;une vie &agrave; peu pr&egrave;s normale. Mais au fond, nous ne sommes pas rentr&eacute;s. [&hellip;] J&rsquo;en suis certain maintenant : nous ne rentrerons pas.&raquo; (p. 131).</p> <p align="justify">Ce sont ces restes de la mort (les traces paradoxales des disparus), que le monde &laquo;normal&raquo; tente d&eacute;sesp&eacute;r&eacute;ment d&rsquo;effacer. Par un m&eacute;lange de d&eacute;ni et de crainte, on exige que la m&eacute;lancolie disparaisse. La souffrance doit cesser, soit par la gu&eacute;rison, soit par la mort. L&rsquo;endeuill&eacute; est tenu de ne pas le demeurer trop longtemps et de r&eacute;int&eacute;grer le plus t&ocirc;t possible la vie habituelle, c&rsquo;est-&agrave;-dire vid&eacute;e de toute trag&eacute;die. Il existe une certaine conception de la litt&eacute;rature dite &laquo;th&eacute;rapeutique&raquo; ou &laquo;cathartique&raquo; (dans son sens habituel, mais discutable) qui sert justement &agrave; cette fin. Forest &eacute;crit d&rsquo;elle : &laquo;[s]eule une telle litt&eacute;rature est jug&eacute;e conforme par la soci&eacute;t&eacute; de consolation parce qu&rsquo;elle accomplit tr&egrave;s pr&eacute;cis&eacute;ment le programme qui d&eacute;finit celle-ci&raquo; (p. 165) &ndash; c&rsquo;est-&agrave;-dire &eacute;vacuer &agrave; la h&acirc;te la souffrance et tout embellir.</p> <p align="justify">Forest reconna&icirc;t que cette litt&eacute;rature peut &ecirc;tre utile. Pour un certain temps. Car si on pense se soigner d&eacute;finitivement par l&rsquo;&eacute;crit, on se trompe. &laquo;Si le livre soigne de la souffrance de vivre, &eacute;crit Forest, s&rsquo;il gu&eacute;rit de la douleur du deuil, alors il op&egrave;re ce tour de passe-passe po&eacute;tique qui consiste &agrave; faire dispara&icirc;tre le scandale dont il na&icirc;t, &agrave; le r&eacute;soudre en effet et &agrave; prohiber toute parole de r&eacute;volte.&raquo; (p. 165). </p> <p><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>M&eacute;lancolie</strong></span></p> <p align="justify">Ainsi, Forest se situe en quelque sorte &agrave; l&rsquo;autre extr&eacute;mit&eacute; de la litt&eacute;rature. Il ne cherche pas &agrave; court-circuiter la trag&eacute;die, mais &agrave; lui laisser sa place. &Agrave; l&rsquo;oppos&eacute; de la consolation forc&eacute;e, Forest rappelle la position de Kierkegaard, pour qui l&rsquo;humain doit assumer seul, avec m&eacute;lancolie, sa condition tragique. Par fatalisme et r&eacute;signation, l&rsquo;humain &laquo;complet&raquo; de Kierkegaard est ce qu&rsquo;il y a de plus singulier. Forest &eacute;crit : &laquo;[l]&rsquo;individu en deuil &quot;tombe du g&eacute;n&eacute;ral&quot; &ndash; selon le mot de Kierkegaard. [&hellip;] tout ce qui s&rsquo;applique aux autres cesse de valoir pour lui.&raquo; (p. 136).</p> <p align="justify">Mais du plus profond de leur solitude, les humains peuvent se rejoindre. Peut-&ecirc;tre qu&rsquo;ils ne se comprennent pas &ndash; surtout dans le cas des endeuill&eacute;s &ndash;, peut-&ecirc;tre que la douleur de l&rsquo;un est inintelligible pour l&rsquo;autre, cela n&rsquo;emp&ecirc;che pas que la tristesse peut &ecirc;tre partag&eacute;e et former un lien entre les humains. La litt&eacute;rature, comme celle de Forest, qui ne pr&eacute;tend pas faire triompher un sens d&eacute;fini de la mort d&rsquo;une enfant, est une de ces voies/voix d&rsquo;acc&egrave;s &agrave; autrui.</p> <p align="justify">La structure du texte de Forest est celle d&rsquo;une h&eacute;sitation, &ocirc; combien existentielle, entre (pour le simplifier grossi&egrave;rement) le &laquo;pour&raquo; et le &laquo;contre&raquo; des discours et des id&eacute;es. Cette h&eacute;sitation r&eacute;appara&icirc;t tout au long de l&rsquo;essai. On pourrait aussi l&rsquo;expliquer en ces termes : un mouvement de balancier entre le jugement &ndash; position confortable de maitrise critique &ndash; et l&rsquo;aveu &ndash; abandon et reconnaissance d&rsquo;une dette. Un avis non tranch&eacute; (les h&ocirc;pitaux sont des donjons, les h&ocirc;pitaux sont des sanctuaires / la mort d&rsquo;un enfant est inadmissible, toute mort est inadmissible / le deuil &eacute;chappe totalement &agrave; la psychanalyse, la psychanalyse voit le plus clairement la trag&eacute;die, etc.). Et c&rsquo;est cette ambigu&iuml;t&eacute; qui emp&ecirc;che Forest de trouver un sens &agrave; la maladie et &agrave; la mort d&rsquo;une enfant. La mort est absurde, extra-ordinaire (hors de l&rsquo;ordinaire), a-signifiante, une insulte &agrave; la pens&eacute;e. Et tout &ccedil;a en fin de compte est assez paradoxal, peut-&ecirc;tre comme la mort elle-m&ecirc;me, car l&rsquo;essai de Forest est une analyse adroite, malgr&eacute; elle, des discours sur la mort. Si Forest ne trouve pas un sens &agrave; la mort, il trouve n&eacute;anmoins du sens.</p> http://salondouble.contemporain.info/lecture/le-sens-a-l-epreuve-de-la-mort#comments Deuil Événement FOREST, Philippe France Mort Essai(s) Mon, 15 Dec 2008 19:56:00 +0000 Jonathan Hope 38 at http://salondouble.contemporain.info