Salon double - JOUVE, Vincent http://salondouble.contemporain.info/taxonomy/term/448/0 fr La lecture coupable http://salondouble.contemporain.info/lecture/la-lecture-coupable <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/larrivee-stephane">Larrivée, Stéphane</a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-biblio"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/biblio/lust">Lust</a> </div> </div> </div> <!--break--><!--break--><p> Volupt&eacute;, envie, plaisir, luxure, d&eacute;sir. Autant de mots qui auraient pu traduire en fran&ccedil;ais le titre allemand de ce roman de Jelinek que l&rsquo;on a finalement laiss&eacute; intact, par souci d&rsquo;en pr&eacute;server la polys&eacute;mie. <em>Lust</em> se voulait initialement un contre-projet &agrave; <em>L&rsquo;Histoire de l&rsquo;&oelig;il</em> de Georges Bataille<a name="note1" href="#note1a"><strong>[1]</strong></a>, mais Jelinek s&rsquo;est r&eacute;v&eacute;l&eacute;e incapable de construire une esth&eacute;tique pornographique selon une perspective f&eacute;minine. Ainsi explique-t-elle son &laquo;&eacute;chec&raquo;: &laquo;il ne PEUT y avoir de langue sp&eacute;cifiquement f&eacute;minine du plaisir et de l&rsquo;obsc&eacute;nit&eacute;, parce que l&rsquo;objet de la pornographie ne peut d&eacute;velopper de langue qui lui soit propre<a name="note2" href="#note2a"><strong>[2]</strong></a>&raquo;. Selon l&rsquo;auteure, la seule option qui s&rsquo;offre aux femmes est de d&eacute;noncer le langage pornographique en le ridiculisant. C&rsquo;est d&rsquo;ailleurs un ton ironique qui domine toute la narration de ce roman. <em>Lust</em> met en sc&egrave;ne, dans une villa bourgeoise, les &eacute;bats d&rsquo;un couple auxquels assiste parfois leur jeune fils. L&rsquo;homme, directeur d&rsquo;une usine de papier, n&rsquo;attend de sa femme qu&rsquo;une seule chose: qu&rsquo;elle soit toujours pr&ecirc;te &agrave; satisfaire ses moindres pulsions sexuelles. De nombreuses sc&egrave;nes de violence et d&rsquo;obsc&eacute;nit&eacute;, comme celle-ci,&nbsp;se succ&egrave;dent:</p> <div class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);"> Il la retient par les cheveux comme s&rsquo;il tenait encore le volant. Approchant du d&eacute;nouement, fr&eacute;missante, sa queue s&rsquo;abat dans les broussailles. Au dernier moment il d&eacute;rape, parce qu&rsquo;elle se crispe.&nbsp; L&rsquo;homme lui ass&egrave;ne un coup de poing dans la nuque, oriente puissamment la voix dans sa direction (p.162). <p></p></span></div> <p>Dans une tentative d&rsquo;&eacute;chapper au contr&ocirc;le de son &eacute;poux, Gerti, compl&egrave;tement ivre, s&rsquo;enfuit du domicile conjugal et rencontre Michael, un jeune &eacute;tudiant en droit, qui devient son amant. Ce dernier se r&eacute;v&egrave;le cependant tout aussi violent que le mari qui l&rsquo;a faite fuir et il la viole en compagnie de ses amis lors de leur deuxi&egrave;me rencontre. De retour &agrave; la maison, Gerti s&rsquo;accroche tout de m&ecirc;me &agrave; ce nouvel espoir et, quelques jours plus tard, trompant la vigilance de son mari, elle s&rsquo;enfuit &agrave; nouveau et se dirige chez son amant, qui refuse de lui ouvrir. Hermann rattrape alors sa femme et la viole dans la voiture, sous les yeux de Michael qui se masturbe derri&egrave;re la fen&ecirc;tre. Finalement, Gerti tue son fils en lui recouvrant la t&ecirc;te d&rsquo;un sac de plastique et abandonne son corps dans une rivi&egrave;re &agrave; proximit&eacute;.</p> <p><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong> L&rsquo;envers du roman psychologique<br /> </strong></span><br /> Sur le plan formel, l&rsquo;une des particularit&eacute;s les plus visibles de <em>Lust</em> est certainement le fait que la voix narrative envahisse tout le roman. En effet, la narratrice fait sentir sa pr&eacute;sence &agrave; tout moment &agrave; travers les nombreux commentaires, jugements et digressions dont le texte regorge. Ainsi, l&rsquo;instance narrative s&rsquo;affirme dans sa posture de m&eacute;diatrice en assujettissant le r&eacute;cit &agrave; sa vision subjective. L&rsquo;histoire racont&eacute;e semble alors n&rsquo;&ecirc;tre plus qu&rsquo;un pr&eacute;texte &agrave; l&rsquo;instauration de cette voix qui deviendrait, en quelque sorte, l&rsquo;essence m&ecirc;me de ce roman.</p> <p>De plus, le lecteur remarquera ais&eacute;ment que, dans <em>Lust</em>, les personnages perdent toute consistance psychologique. En effet, l&rsquo;individualit&eacute; des protagonistes semble &ecirc;tre compromise en raison de leurs lacunes identitaires: bien qu&rsquo;ils aient des pr&eacute;noms, ceux-ci ne sont r&eacute;v&eacute;l&eacute;s qu&rsquo;apr&egrave;s un certain moment &mdash;&agrave; la page dix-neuf pour l&rsquo;homme et &agrave; la page cinquante-neuf pour la femme&mdash; et sont, par la suite, rarement utilis&eacute;s. On leur pr&eacute;f&egrave;re les simples d&eacute;nominations &laquo;l&rsquo;homme&raquo; et &laquo;la femme&raquo;, ce qui a pour effet de contribuer &agrave; &eacute;tablir Hermann et Gerti comme mod&egrave;les universels de la masculinit&eacute; et de la f&eacute;minit&eacute;. Les personnages ne sont donc plus que des repr&eacute;sentants de leur genre et de leur classe sociale. Leurs motivations psychologiques sont &eacute;vinc&eacute;es au profit d&rsquo;une description de leurs comportements, qui joue volontairement sur l&rsquo;ambigu&iuml;t&eacute; entre le cas particulier et le g&eacute;n&eacute;ral. En ce sens, l&rsquo;&eacute;criture de Jelinek rel&egrave;ve davantage de la sociologie que de la psychologie: plut&ocirc;t que de montrer l&rsquo;&eacute;volution d&rsquo;un personnage tout au long d&rsquo;un parcours lin&eacute;aire, elle tente de mettre au jour les structures sociales qui expliquent et d&eacute;terminent les comportements d&eacute;crits.</p> <p>La structure lin&eacute;aire de l&rsquo;intrigue est aussi abandonn&eacute;e dans <em>Lust</em>. Jelinek a plut&ocirc;t opt&eacute; pour une s&eacute;rie de tableaux qui s&rsquo;inscrivent dans la discontinuit&eacute;. Hormis quelques passages un peu plus continus, les sc&egrave;nes qui nous sont pr&eacute;sent&eacute;es, et en particulier les sc&egrave;nes de sexualit&eacute;, sont rarement ancr&eacute;es dans une temporalit&eacute; pr&eacute;cise et ne rel&egrave;vent pas d&rsquo;une logique causale. On a affaire ici davantage &agrave; une logique de l&rsquo;accumulation, o&ugrave; les sc&egrave;nes reprennent sans cesse des actions semblables, comme pour cristalliser les comportements d&eacute;crits dans la g&eacute;n&eacute;ralit&eacute;.</p> <p><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong> La marchandisation de la femme<br /> </strong></span><br /> Au-del&agrave; de la structure, qui en favorisant l&rsquo;inscription de l&rsquo;histoire dans une vis&eacute;e universelle contribue &agrave; instaurer une v&eacute;ritable critique sociale, ce sont les th&egrave;mes du pouvoir et de l&rsquo;autorit&eacute; qui soutiennent la charge critique du roman. En accordant tous les pouvoirs &agrave; Hermann, le texte joue &agrave; &eacute;tablir des parall&egrave;les entre l&rsquo;&eacute;pouse et les prol&eacute;taires qui, tous, subissent les abus d&rsquo;autorit&eacute; du directeur: &laquo;L'homme neutralise la femme de tout son poids.&nbsp; Pour neutraliser les ouvriers qui alternent dans la joie travail et repos, sa signature suffit, nul besoin de peser sur eux de tout son corps&raquo; (p.20). Ainsi, en un seul homme se condensent deux crimes: l&rsquo;exploitation capitaliste et l&rsquo;exploitation sexuelle de la femme. Le rapprochement entre ces deux crimes est de plus en plus clair &agrave; mesure que l&rsquo;on comprend que la relation maritale repr&eacute;sente en fait une forme de prostitution et que la femme re&ccedil;oit des compensations mat&eacute;rielles pour son travail sexuel. Gerti se voit d&rsquo;ailleurs d&eacute;crite comme une employ&eacute;e: &laquo;Via catalogues [Hermann] procure &agrave; sa femme force lingerie affriolante, afin que chaque jour son corps puisse se pr&eacute;senter d&eacute;cemment &agrave; son travail<a name="note3" href="#note3a"><strong>[3]</strong></a>&raquo; (p.36). De m&ecirc;me, &agrave; l&rsquo;image de l&rsquo;&Eacute;tat qui l&eacute;gitime l&rsquo;exploitation capitaliste, la violence au sein du mariage est cautionn&eacute;e par l&rsquo;&Eacute;glise: &laquo;La soci&eacute;t&eacute; chr&eacute;t. qui jadis les maria, leur a accord&eacute; ce divertissement. Le p&egrave;re peut savourer la m&egrave;re &agrave; l'infini, la froisser, ainsi que ses v&ecirc;tements, jusqu'&agrave; ce qu'elle n'ait plus peur pour ses secrets<a name="note4" href="#note4a"><strong>[4]</strong></a>&raquo; (p.135).</p> <p>Ces parall&egrave;les entre la femme et les travailleurs insistent sur le fait que, dans la vision du monde du directeur, Gerti n&rsquo;&eacute;chappe pas aux r&egrave;gles de la soci&eacute;t&eacute; marchande. La narratrice ironise d&rsquo;ailleurs sur l&rsquo;attitude de Hermann qui, constatant la disparition de son &eacute;pouse, se tournerait davantage vers son assureur que vers la police: &laquo;Le directeur a-t-il d&eacute;j&agrave; contact&eacute; son assurance, pour &eacute;viter que sa femme ne le remplace tout simplement par un citoyen plus jeune?&raquo; (p.133). Contest&eacute;e par la narratrice, la conduite du directeur suscite &eacute;galement la d&eacute;rision lorsque celui-ci pousse jusqu&rsquo;&agrave; l&rsquo;absurde l&rsquo;appropriation de sa femme: &laquo;Depuis quelque temps il a aussi interdit &agrave; sa petite Gerti de se laver, car m&ecirc;me ses odeurs lui appartiennent&raquo; (p. 59). Le pouvoir exerc&eacute; par Hermann, excessif et arbitraire, est donc constamment l&rsquo;objet de l&rsquo;ironie de la narratrice.</p> <p>L&rsquo;exploitation et l&rsquo;abus de pouvoir qui semblent tant critiqu&eacute;s par le roman d&eacute;bouchent cependant sur un &eacute;tonnant paradoxe: tout en critiquant l&rsquo;autorit&eacute;, la voix narrative se montre elle-m&ecirc;me tr&egrave;s autoritaire. En effet, la narratrice met en &eacute;vidence son pouvoir sur la fiction qu&rsquo;elle raconte: &laquo;Oui, aujourd'hui il y a du soleil, ainsi en ai-je d&eacute;cid&eacute;&raquo; (p.174). Elle se pr&eacute;sente alors comme une cr&eacute;atrice qui tire toutes les ficelles de l&rsquo;histoire qu&rsquo;elle met en sc&egrave;ne. Sa pr&eacute;sence autoritaire dans l&rsquo;&oelig;uvre se confirme &eacute;galement par ses manifestations id&eacute;ologiques, qui passent par de nombreux jugements sur les personnages. Elle qualifie par exemple Michael de &laquo;trou du cul&raquo; (p.204) et dit de Hermann qu&rsquo;il &laquo;n&rsquo;a pas de c&oelig;ur&raquo; (p.145). Ces interventions contribuent &agrave; instaurer un rapport de force entre le texte et le lecteur, au d&eacute;triment de ce dernier qui voit son pouvoir d&rsquo;interpr&eacute;tation r&eacute;duit au maximum &agrave; la suite de telles indications. Ainsi la narratrice reconduit-elle avec le narrataire les m&ecirc;mes gestes autoritaires qu&rsquo;elle s&rsquo;&eacute;vertue &agrave; d&eacute;noncer chez Hermann et chez Michael.</p> <p><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong> D&eacute;truire le plaisir de la lecture<br /> </strong></span><br /> Dans son essai <em>L&rsquo;effet-personnage dans le roman</em><a name="note5" href="#note5a"><strong>[5]</strong></a>, Vincent Jouve divise l&rsquo;instance lectorale en trois parties, dont l&rsquo;une d&rsquo;elles, le &laquo;lu&raquo;, est surtout li&eacute;e aux plaisirs inconscients de la lecture et &agrave; une certaine forme de voyeurisme. C&rsquo;est sur cette composante que semble jouer <em>Lust</em> lorsque la narratrice s&rsquo;adresse au narrataire. En effet, les diverses interventions qui mettent en sc&egrave;ne le lecteur contribuent &agrave; associer le plaisir de la lecture avec le d&eacute;sir sexuel des personnages masculins du roman, assimilant du coup la lecture &agrave; une sorte de perversion. C&rsquo;est ce qui se produit ici par exemple: &laquo;De son bijou [celui de Gerti] ne part plus qu'une &eacute;troite sente o&ugrave; lui, l'&eacute;tudiant, homme instruit et d'humeur cl&eacute;mente, se tient et attend, ainsi que tous mes lecteurs, le moment de pouvoir enfin y retourner<a name="note6" href="#note6a"><strong>[6]</strong></a>&raquo; (p. 154). Dans cet extrait, &laquo;bijou&raquo; est la traduction de &laquo;Muschi&raquo;, un terme populaire qui d&eacute;signe les parties g&eacute;nitales de la femme. La curiosit&eacute; des lecteurs est ainsi compar&eacute;e au d&eacute;sir de Michael, ce qui tend &agrave; mettre en &eacute;vidence la perversit&eacute; inh&eacute;rente &agrave; l&rsquo;acte de lecture.</p> <p>Jouve associe le plaisir voyeuriste de la lecture &agrave; la figure de l&rsquo;enfant qui surprend ses parents pendant l&rsquo;acte: &laquo;Le lecteur, seul comme l&rsquo;enfant de la sc&egrave;ne primitive, observe des personnages qui, &agrave; l&rsquo;instar du couple parental, ignorent qu&rsquo;ils sont observ&eacute;s<a name="note7" href="#note7a"><strong>[7]</strong></a>&raquo;. Or, dans <em>Lust</em>, cette figure est fictionnalis&eacute;e &agrave; travers le fils qui espionne constamment ses parents. Cet enfant pourrait ainsi &ecirc;tre une repr&eacute;sentation du lecteur ou, du moins, d&rsquo;un certain type de lecteur. Mais il faut alors se rendre jusqu&rsquo;au bout d&rsquo;un tel raisonnement: la finale du roman, dans laquelle Gerti assassine son fils, repr&eacute;senterait donc aussi la condamnation de ce regard pornographique qui participe &agrave; l&rsquo;objectivation de la femme. Cette critique devient de plus en plus &eacute;vidente &agrave; mesure que le rapport au lecteur se fait plus condescendant. En pr&eacute;sentant une structure atypique et une suite d&rsquo;&eacute;v&eacute;nements qui tend &agrave; repousser le lecteur, <em>Lust</em> d&eacute;courage l&rsquo;&oelig;il lubrique et la narratrice se moque d&rsquo;une telle posture de lecture: &laquo;Avez-vous toujours plaisir &agrave; lire et &agrave; vivre? Non? Vous voyez bien&raquo; (p.181).</p> <p>En somme, la structure de <em>Lust</em> attribue &agrave; l&rsquo;histoire une valeur exemplaire qui la fait appara&icirc;tre comme une critique acerbe des rapports d&rsquo;appropriation dont la femme est victime. En ce sens, l&rsquo;&oelig;uvre de Jelinek peut para&icirc;tre se d&eacute;tacher de la production contemporaine: alors qu&rsquo;un certain mouvement de retour au r&eacute;cit est observ&eacute;, les textes de Jelinek, et <em>Lust</em> en particulier, semblent d&eacute;naturer le r&eacute;cit afin de l&rsquo;assujettir &agrave; la critique sociale. Ainsi, non seulement le plaisir du lecteur n&rsquo;est-il pas convoqu&eacute; dans l&rsquo;&oelig;uvre; il est ce que <em>Lust</em> cherche &agrave; d&eacute;truire. On peut d&egrave;s lors rappeler la c&eacute;l&egrave;bre distinction de Roland Barthes:</p> <div class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);"> Texte de plaisir: celui qui contente, emplit, donne de l&rsquo;euphorie; celui qui vient de la culture, ne rompt pas avec elle, est li&eacute; &agrave; une pratique confortable de la lecture. Texte de jouissance: celui qui met en &eacute;tat de perte, celui qui d&eacute;conforte (peut-&ecirc;tre jusqu&rsquo;&agrave; un certain ennui), fait vaciller les assises historiques, culturelles, psychologiques, du lecteur, la consistance de ses go&ucirc;ts, de ses valeurs et de ses souvenirs, met en crise son rapport au langage<a name="note8" href="#note8a"><strong>[8]</strong></a>. <p></p></span></div> <p><em>Lust</em>, qui pr&eacute;sente une logique d&eacute;ceptive, s&rsquo;inscrit de toute &eacute;vidence dans la seconde cat&eacute;gorie. En condamnant l&rsquo;acte m&ecirc;me de lecture, la narratrice confine le lecteur &agrave; une zone d&rsquo;inconfort et le prend au pi&egrave;ge. Ainsi, Jelinek marque son opposition &agrave; toute une tradition occidentale de r&eacute;cits pornographiques &eacute;crits par des hommes, pour des hommes, en s&rsquo;attaquant &agrave; la lecture complaisante de ces &oelig;uvres qu&rsquo;elle d&eacute;signe, au final, comme un acte coupable.<br /> <a href="#note1a"><br /> </a><br /> <hr /> <a name="note1a" href="#note1"><strong>[1]</strong></a> <em>L&rsquo;Histoire de l&rsquo;&oelig;il</em> fait partie des r&eacute;cits pornographiques de Bataille, dans lesquels l&rsquo;acte sexuel est consid&eacute;r&eacute; par bon nombre de critiques comme l&rsquo;exp&eacute;rience de la transgression. Il s&rsquo;agirait en fait d&rsquo;une m&eacute;taphore de l&rsquo;&eacute;criture litt&eacute;raire, vue comme pratique transgressive du langage. Par contre, d&rsquo;autres critiques, provenant majoritairement des &eacute;tudes f&eacute;ministes, voient plut&ocirc;t les textes de Bataille comme une manifestation de la domination patriarcale (cf. Susan Suleiman, &laquo;La pornographie de Bataille: Lecture textuelle, lecture th&eacute;matique&raquo;, Po&eacute;tique, vol. 16, n&deg; 64 (nov. 1985), pp.483-493).</p> <p><a name="note2a" href="#note2"><strong>[2]</strong></a> <em>Entretien avec Elfriede Jelinek</em>, propos recueilli par Yasmin Hoffmann, dans Elfriede Jelinek, <em>Lust</em>, op. cit., p.280.</p> <p><a name="note3a" href="#note3"><strong>[3]</strong></a> Pr&eacute;cisons ici que la femme n&rsquo;a aucun emploi, son &laquo;travail&raquo; consistant &agrave; satisfaire, &agrave; tout moment, les d&eacute;sirs sexuels de son mari.</p> <p><a name="note4a" href="#note4"><strong>[4]</strong></a> Le mot &laquo;chr&eacute;t.&raquo; est &eacute;crit ainsi dans le texte. Jelinek utilise fr&eacute;quemment de telles abr&eacute;viations avec des mots qui ne portent pas &agrave; confusion. Dans le texte original, elle a opt&eacute; pour &laquo;christl.&raquo; au lieu de &laquo;christlichen&raquo;.</p> <p><a name="note5a" href="#note5"><strong>[5]</strong></a> Vincent Jouve, <em>L&rsquo;effet-personnage dans le roman</em>, Paris, Presses Universitaires de France, 1992, 271 p.</p> <p><a name="note6a" href="#note6"><strong>[6]</strong></a> La connotation sexuelle est beaucoup plus explicite dans le texte original: &laquo;Von ihrer Muschi f&uuml;hrt nur noch ein schmales Wegerl weg, wo er, der Student, mit all meinen Lesern steht und wartet, da&szlig; er, gebildet, mild in seiner Witterung, wieder herein darf&raquo;, Elfriede Jelinek, <em>Lust</em>, Hambourg, Rowohlt Taschenbuch Verlag, 1989, p. 145.</p> <p><a name="note7a" href="#note7"><strong>[7]</strong></a> Vincent Jouve, <em>L&rsquo;effet-personnage dans le roman</em>, <em>op. cit</em>., p. 91.</p> <p><a name="note8a" href="#note8"><strong>[8]</strong></a> Roland Barthes, <em>Le plaisir du texte</em>, Paris, Seuil (Points &ndash; Essais), 1973, pp. 22-23.</p> http://salondouble.contemporain.info/lecture/la-lecture-coupable#comments Autorité narrative Autriche BARTHES, Roland BATAILLE, Georges Féminisme JELINEK, Elfriede JOUVE, Vincent Luttes des classes Obscénité et perversion Plaisir Pouvoir et domination Représentation de la sexualité Théories de la lecture Transgression Violence Roman Fri, 25 Jun 2010 20:51:09 +0000 Stéphane Larrivée 243 at http://salondouble.contemporain.info Comment raconter une histoire simple autrement http://salondouble.contemporain.info/lecture/comment-raconter-une-histoire-simple-autrement <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/landry-pierre-luc">Landry, Pierre-Luc </a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-biblio"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/biblio/bebe-et-bien-d-autres-qui-s-evadent">Bébé et bien d’autres qui s’évadent</a> </div> </div> </div> <!--break--><!--break--><p class="rteindent2">&nbsp;</p> <p class="MsoNormal rteindent4" style="text-align: justify;"><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><span>Il existe une co&iuml;ncidence curieuse entre les auteurs qui cultivent le surnaturel et ceux qui, dans l&rsquo;&oelig;uvre, s&rsquo;attachent particuli&egrave;rement au d&eacute;veloppement de l&rsquo;action, ou si l&rsquo;on veut, qui cherchent d&rsquo;abord &agrave; raconter des histoires. </span></span><span>&nbsp;<br /> </span><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><span>Tzvetan Todorov, </span><em><span>Introduction &agrave; la litt&eacute;rature fantastique</span></em></span></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="color: rgb(0, 0, 0);"><span>&nbsp;</span></span><span>&nbsp;</span></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="color: rgb(0, 0, 0);"><span> Le premier roman pour adultes de l&rsquo;auteur-compositeur-interpr&egrave;te et &eacute;crivain pour la jeunesse Ga&eacute;tan Leboeuf, B&eacute;b&eacute; et bien d&rsquo;autres qui s&rsquo;&eacute;vadent, raconte l&rsquo;histoire d&rsquo;Alice et de ses coll&egrave;gues du restaurant v&eacute;g&eacute;tarien o&ugrave; elle travaille, mais aussi celle de son f&oelig;tus, B&eacute;b&eacute; &laquo;avec un B majuscule&raquo; (p. 243), qu&rsquo;elle portera pendant trois ans avant qu&rsquo;il ne disparaisse, parce que &laquo;c&rsquo;est ainsi, c&rsquo;est tout&raquo; (p. 271). En deux ans de vie litt&eacute;raire, le roman aura fait couler bien peu d&rsquo;encre: quelques articles dans des quotidiens, une recension ici et l&agrave;, puis plus rien. Il faudrait s&rsquo;y int&eacute;resser davantage, le roman offrant en effet un bel exemple de r&eacute;alisme magique contemporain, puisque l&rsquo;univers de fiction mis en place permet la cohabitation non probl&eacute;matis&eacute;e de naturel et de surnaturel dans un m&ecirc;me r&eacute;cit. Le lecteur ne remet pas en question la grossesse anormalement longue du personnage principal et assiste &agrave; la dissolution du f&oelig;tus malgr&eacute; l&rsquo;&eacute;tranget&eacute; de la situation. Il importe d&rsquo;abord de s&rsquo;attarder &agrave; cette histoire particuli&egrave;re qui est racont&eacute;e dans B&eacute;b&eacute;&hellip;</span></span><span>&nbsp;</span></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;">&nbsp;</p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong><span>&laquo;Aux racines de la sant&eacute;&raquo; comme microcosme du monde</span></strong></span><span>&nbsp;</span></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="color: rgb(0, 0, 0);"><span> Alice se s&eacute;pare de Ren&eacute; sans lui annoncer qu&rsquo;elle est enceinte, puis trouve du travail dans un restaurant v&eacute;g&eacute;tarien pr&egrave;s de chez elle pour s&rsquo;occuper durant l&rsquo;&eacute;t&eacute;. Jusque l&agrave;, tout va bien, trop bien m&ecirc;me: quel est l&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t de cette histoire que l&rsquo;on a lue mille fois d&eacute;j&agrave;? est en droit de se demander le lecteur. Il ne suffit par contre que d&rsquo;une soixantaine de pages environ pour que le r&eacute;cit prenne ses aises: dans ce restaurant aux allures d&rsquo;Assembl&eacute;e g&eacute;n&eacute;rale des Nations Unies se forme une sorte de gouvernement avec Alice en t&ecirc;te &ndash; Alice que l&rsquo;on nomme Reine du Monde &ndash; et Ben, le propri&eacute;taire, que l&rsquo;on compare &agrave; Dieu. Mohi sera Premier ministre, Hok Shamsoul ministre des Affaires interculturelles, Zo&eacute; ministre des Loisirs, Oph&eacute;lia de la Propagande, on assigne Mendoza au minist&egrave;re de l&rsquo;Agriculture, Alvaro aux Approvisionnements (puis plus tard &agrave; la S&eacute;curit&eacute; publique), Solange aux Colonies, et ainsi de suite. &laquo;Aux racines de la sant&eacute;&raquo; &ndash; le nom du restaurant &ndash; fait figure de microcosme du monde, avec ses employ&eacute;s venus d&rsquo;un peu partout qui, en racontant leurs vies respectives, fabriquent en quelque sorte autant de sous-histoires qui ajoutent au r&eacute;alisme du cadre de r&eacute;f&eacute;rence principal et qui participent du mouvement vers le monde entam&eacute; par le roman. Alice cache bien sa grossesse, mais une fois le neuvi&egrave;me mois de gestation achev&eacute;, la rumeur ne peut &ecirc;tre contenue et tout le monde, sauf Ben, est mis au courant. B&eacute;b&eacute; commence &agrave; dessiner avec ses doigts dans le ventre de sa maman, puis apprend &agrave; &eacute;crire:</span></span></p> <p><span>&nbsp;</span></p> <p class="MsoNormal rteindent2" style="text-align: justify;"><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><span>J&rsquo;ouvris le cahier que m&rsquo;avait donn&eacute; Hok. Je passais machinalement mon doigt sur mon ventre selon notre rituel nocturne. De la main droite, je tournai la premi&egrave;re page du manuscrit.</span></span><span>&nbsp;</span></p> <p class="MsoNormal rteindent2" style="text-align: justify;"><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><span>&ldquo;Vichtrouknpash et le crapaud</span></span><span>&nbsp;</span></p> <p class="MsoNormal rteindent2" style="text-align: justify;"><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><span>par Hok Shamsoul Mohammed, traduit de l&rsquo;anglais par Emma Nantel&rdquo;</span></span><span>&nbsp;</span></p> <p class="MsoNormal rteindent2" style="text-align: justify;"><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><span>Joli titre&hellip; me dis-je. Je relus &agrave; voix haute: &ldquo;Vichtrouknpash et&hellip;&rdquo; Je m&rsquo;arr&ecirc;tai net et, effar&eacute;e, me redressai dans mon lit. Je lus de nouveau, en m&rsquo;attardant sur chaque mot. Puis la stup&eacute;faction fit place &agrave; l&rsquo;&eacute;merveillement: B&eacute;b&eacute;, avec une petite main novice et maladroite, &eacute;bauchait, &agrave; l&rsquo;envers de mon ventre, les lettres que je parcourais du regard! (p. 96)</span></span><span>&nbsp;</span></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="color: rgb(0, 0, 0);"><span>&nbsp;</span></span><span>&nbsp;</span></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="color: rgb(0, 0, 0);"><span>Il n&rsquo;en fallait pas moins pour que B&eacute;b&eacute; se construise une identit&eacute; qui lui est propre, demande &agrave; manger de la viande, refuse les &eacute;pices, apprenne &agrave; lire et &agrave; &eacute;crire pour communiquer avec le monde ext&eacute;rieur et parfasse son &eacute;ducation en s&rsquo;int&eacute;ressant aux romans historiques et au genre de l&rsquo;essai. Alice trouve sa condition bizarre, mais accepte sans ambages les invraisemblances empiriques qui ponctuent son quotidien et va m&ecirc;me jusqu&rsquo;&agrave; dire que &ccedil;a lui appara&icirc;t normal, finalement, toute cette histoire:</span></span></p> <p><span>&nbsp;</span></p> <p class="MsoNormal rteindent2" style="text-align: justify;"><span style="color: rgb(0, 0, 0);"><span> <span style="color: rgb(128, 128, 128);">L&rsquo;id&eacute;e d&rsquo;&ecirc;tre atteinte d&rsquo;une maladie d&eacute;g&eacute;n&eacute;rative du syst&egrave;me nerveux m&rsquo;avait d&eacute;moralis&eacute;e.&nbsp;Le fait que ce n&rsquo;&eacute;tait &ldquo;que&rdquo; B&eacute;b&eacute; apprenant &agrave; voir et entendre &agrave; travers mes sens m&rsquo;enleva un r&eacute;el fardeau. Cela occulta, un certain temps, l&rsquo;&eacute;blouissante bizarrerie de ma condition. Quelle merveille! Quel fabuleux partage des ressources! Je me p&acirc;mais devant ce stup&eacute;fiant mode de communication, cette nouvelle proximit&eacute;, cette intimit&eacute; envo&ucirc;tante! [&hellip;]</span><br /> </span></span></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span>&nbsp;</span></p> <p class="MsoNormal rteindent2" style="text-align: justify;"><span style="color: rgb(0, 0, 0);"><span> <span style="color: rgb(128, 128, 128);">Pour dire vrai, j&rsquo;&eacute;tais subjugu&eacute;e depuis les toutes premi&egrave;res fois o&ugrave; B&eacute;b&eacute; s&rsquo;&eacute;tait manifest&eacute;. D&egrave;s l&rsquo;inauguration des coups de pieds, chaque &eacute;tape de son &eacute;volution m&rsquo;&eacute;tait apparue naturelle. (p. 105)<br /> </span><br /> </span></span></p> <p class="MsoNormal rteindent1" style="text-align: justify;"><span style="color: rgb(0, 0, 0);"><span> </span></span><span>&nbsp;</span></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="color: rgb(0, 0, 0);"><span>Ce b&eacute;b&eacute; surdou&eacute; a par contre une faille: il rapetisse parce qu&rsquo;il ne mange pas assez de viande. Son r&eacute;tr&eacute;cissement commence par les jambes, puis les bras et le tronc, pour finir avec la t&ecirc;te, avant qu&rsquo;il ne disparaisse pour de bon apr&egrave;s avoir pass&eacute; trois ans dans le ventre de sa m&egrave;re. Entre temps, toutefois, il a le temps d&rsquo;apprendre ce qu&rsquo;est le temps, puis d&rsquo;inventer un langage chant&eacute; pour communiquer plus rapidement qu&rsquo;avec l&rsquo;&eacute;criture. Il tente aussi de r&eacute;soudre tous les probl&egrave;mes de l&rsquo;univers par le biais de la philosophie; il s&rsquo;int&eacute;resse notamment &agrave; la surabondance d&rsquo;information, aux manipulations g&eacute;n&eacute;tiques, &agrave; la bestialit&eacute; de l&rsquo;homme et aux probl&egrave;mes affectifs de sa m&egrave;re. &Agrave; travers tout cela, Alice apprend &agrave; faire le deuil de sa m&egrave;re et r&eacute;alise qu&rsquo;elle s&rsquo;ennuie de Ren&eacute;, avec qui elle a des contacts sporadiques par le biais d&rsquo;un blogue que celui-ci alimente et que les employ&eacute;s du restaurant suivent avec int&eacute;r&ecirc;t. Le r&eacute;cit se termine avec le d&eacute;part de B&eacute;b&eacute; et le changement de nom du restaurant: &laquo;Aux racines de la sant&eacute;&raquo; devient &laquo;La Gr&egrave;ve de la faim&raquo;, suite &agrave; une campagne instigu&eacute;e par Ren&eacute; contre la privatisation de l&rsquo;eau. On installe des gr&eacute;vistes un peu partout dans le restaurant et, au m&ecirc;me moment, Alice choisit d&rsquo;&eacute;crire le r&eacute;cit que le lecteur ach&egrave;ve, avant de retourner &agrave; l&rsquo;&eacute;cole et de retrouver Ren&eacute;.</span></span></p> <p><span>&nbsp;</span></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><strong><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><span>Le surnaturel dans B&eacute;b&eacute;&hellip;</span></span></strong><span>&nbsp;</span></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="color: rgb(0, 0, 0);"><span> Est surnaturel, par d&eacute;finition et par convention, un &eacute;v&eacute;nement ou un fait qui ne peut &ecirc;tre expliqu&eacute; par les lois de la nature, qui &eacute;chappe &agrave; l&rsquo;explication naturelle. Les occurrences du surnaturel sont nombreuses dans le r&eacute;cit de B&eacute;b&eacute; et bien d&rsquo;autres qui s&rsquo;&eacute;vadent: nous n&rsquo;avons qu&rsquo;&agrave; penser &agrave; la gestation anormalement longue de B&eacute;b&eacute;, &agrave; ses prouesses langagi&egrave;res, puis &agrave; son corps qui dispara&icirc;t petit &agrave; petit avant que lui-m&ecirc;me ne cesse d&rsquo;exister. Par contre, ici, l&rsquo;histoire naturelle et l&rsquo;histoire surnaturelle sont aussi importantes l&rsquo;une que l&rsquo;autre et sont trait&eacute;es de la m&ecirc;me fa&ccedil;on: Alice raconte son histoire, qui est constitu&eacute;e d&rsquo;un tas de choses, certaines normales par rapport &agrave; notre exp&eacute;rience commune de la r&eacute;alit&eacute;, certaines anormales ou plut&ocirc;t invraisemblables. L&rsquo;antinomie entre le naturel et le surnaturel est r&eacute;solue par la narration avant m&ecirc;me qu&rsquo;elle ne parvienne au lecteur, puisque les &eacute;v&eacute;nements surnaturels ne sont pas discut&eacute;s et sont pr&eacute;sent&eacute;s comme faisant partie de la r&eacute;alit&eacute; du monde de fiction mis en place dans le r&eacute;cit. La narration au &laquo;je&raquo; assum&eacute;e par Alice, le personnage principal du roman, ne module pas la valeur de r&eacute;alit&eacute; de ces &eacute;v&eacute;nements. Alice r&eacute;agit par le rire, l&rsquo;exaltation et l&rsquo;extase, par exemple (p. 71), &agrave; des incidents qui, ailleurs, pourraient susciter chez les personnages et chez le lecteur l&rsquo;h&eacute;sitation caract&eacute;ristique du fantastique comme l&rsquo;a d&eacute;fini Todorov dans son Introduction&hellip;: &laquo;&ldquo;J&rsquo;en vins presqu&rsquo;&agrave; croire&rdquo;: voil&agrave; la formule qui r&eacute;sume l&rsquo;esprit du fantastique. La foi absolue comme l&rsquo;incr&eacute;dulit&eacute; totale nous m&egrave;neraient hors du fantastique; c&rsquo;est l&rsquo;h&eacute;sitation qui lui donne vie.&raquo; (Todorov, p. 35) Cette r&eacute;solution par la narration du conflit de sens entre le naturel et le surnaturel est caract&eacute;ristique du r&eacute;alisme magique, mode narratif qui permet la cohabitation non probl&eacute;matis&eacute;e et non hi&eacute;rarchis&eacute;e de ces deux niveaux de r&eacute;alit&eacute; dans un m&ecirc;me texte. Si les personnages sont troubl&eacute;s parfois, ce n&rsquo;est pas n&eacute;cessairement pour des raisons attendues ou pr&eacute;visibles. Par exemple, Hok est perturb&eacute; lorsqu&rsquo;il apprend que B&eacute;b&eacute; n&rsquo;&eacute;crit plus mais chante plut&ocirc;t, pour des raisons toutefois diff&eacute;rentes de celles qui pourraient &ecirc;tre inf&eacute;r&eacute;es par le lecteur d&rsquo;un texte plus &laquo;conventionnel&raquo;:</span></span></p> <p><span>&nbsp;</span></p> <p class="MsoNormal rteindent2" style="text-align: justify;"><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><span>Le passage de l&rsquo;&eacute;crit &agrave; l&rsquo;oral de B&eacute;b&eacute; avait troubl&eacute; Hok beaucoup plus que ce &agrave; quoi j&rsquo;aurais pu m&rsquo;attendre. Le pas ballot avait &eacute;t&eacute; sa principale motivation pour apprendre le fran&ccedil;ais, et maintenant qu&rsquo;il parvenait &agrave; une certaine fluidit&eacute; dans cette troisi&egrave;me langue, B&eacute;b&eacute; lui faisait faux bond. Je comprenais sa d&eacute;ception. (p. 224)</span></span><span>&nbsp;</span></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="color: rgb(0, 0, 0);"><span>&nbsp;</span></span><span>&nbsp;</span></p> <p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="color: rgb(0, 0, 0);"><span>Malgr&eacute; le cambouis terminologique utilis&eacute; pour d&eacute;crire le roman dans la critique imm&eacute;diate (Michel Lord parle d&rsquo;absurde et de fantastique dans le University of Toronto Quarterly, Suzanne Gigu&egrave;re de fantastique dans Le Devoir et Marie Claude Fortin d&rsquo;onirique (!) dans La Presse), il me semble que le roman r&eacute;pond aux trois crit&egrave;res du r&eacute;alisme magique tels qu&rsquo;&eacute;tablis par Amaryll Beatrice Chandy dans un ouvrage important</span></span><span><span style="color: rgb(0, 0, 0);"><a href="#note1">[1]</a></span><span style="color: rgb(0, 0, 0);">. Le surnaturel dans le texte ne doit pas &ecirc;tre pr&eacute;sent&eacute; comme probl&eacute;matique, la contradiction ou l&rsquo;opposition entre le naturel et le surnaturel doit &ecirc;tre r&eacute;solue dans la fiction et il ne doit pas y avoir de jugement par rapport &agrave; la v&eacute;racit&eacute; des &eacute;v&eacute;nements dans la fiction, les deux niveaux de r&eacute;alit&eacute; n&rsquo;&eacute;tant pas hi&eacute;rarchis&eacute;s. Il apert donc que B&eacute;b&eacute; et bien d&rsquo;autres qui s&rsquo;&eacute;vadent est un bel exemple d&rsquo;une utilisation contemporaine du r&eacute;alisme magique, ce qui lui assure une place de choix dans l&rsquo;&eacute;clatement des genres qui caract&eacute;rise, entre autres, la litt&eacute;rature contemporaine, tant qu&eacute;b&eacute;coise qu&rsquo;universelle. Le r&eacute;alisme magique propose une vision du monde insolite et une vision de la litt&eacute;rature qui ne se confortent pas dans des avenues clich&eacute;es ou attendues, mais bien plut&ocirc;t dans des paradigmes singuliers et transgressifs qui permettent de raconter autrement. Vincent Jouve affirme &agrave; propos dans un article sur &laquo;Les m&eacute;tamorphoses de la litt&eacute;rature narrative</span><span style="color: rgb(0, 0, 0);"><a name="noteB" href="#note2">[2]</a>&nbsp;que &laquo;[c]ontester le r&eacute;cit, c&rsquo;est [&hellip;] fragiliser la repr&eacute;sentation qu&rsquo;il v&eacute;hicule et refuser les codes qui ne sont pas seulement esth&eacute;tiques. Ce qu&rsquo;il s&rsquo;agit de d&eacute;noncer, c&rsquo;est la participation-ali&eacute;nation d&rsquo;un lecteur spontan&eacute;ment conduit &agrave; voir, dans le roman, un miroir du r&eacute;el.&raquo; (p. 155) La cohabitation non-<span>probl&eacute;matis&eacute;e</span> de naturel et de surnaturel dans un m&ecirc;me texte admise par le r&eacute;alisme magique participe de cette contestation, puisqu&rsquo;elle permet de raconter autrement, en questionnant le r&eacute;el et les modalit&eacute;s de sa pr&eacute;sence dans le roman. Ainsi, le roman de Ga&eacute;tan Leboeuf&nbsp;questionne par le biais du r&eacute;alisme magique, d&rsquo;une certaine fa&ccedil;on, l&rsquo;illusion r&eacute;f&eacute;rentielle ch&egrave;re au roman.</span></span></p> <div> <div><span style="color: rgb(0, 0, 0);"> <p></p></span></div> <div id="ftn1"> <p><span style="color: rgb(0, 0, 0);"><span class="Marquenotebasde"><span><a name="note1" href="#noteA">[1]</a></span></span><span> Amaryll Beatrice Chanady, </span><em>Magical Realism and the Fantastic&nbsp;: Resolved Versus Unresolved Antinomy</em>, New York &amp; London, Garland Publishing Inc., 1985.<br /> <a name="note2" href="#noteB"><span class="Marquenotebasde"><span>[2]</span></span></a><span> </span><span>Vincent Jouve, &laquo;Les m&eacute;tamorphoses de la lecture narrative&raquo;, dans <em>Prot&eacute;e</em></span><span>, vol. 34, no 2-3, automne-hiver 2006, p. 153-161.</span></span></p> </div> <div id="ftn2"> <p>&nbsp;</p> </div> </div> <div> <div id="ftn1">&nbsp;</div> </div> http://salondouble.contemporain.info/lecture/comment-raconter-une-histoire-simple-autrement#comments Fiction JOUVE, Vincent LEBOEUF, Gaétan Littérature fantastique Québec Réalisme magique Représentation TODOROV, Tzvetan Roman Mon, 03 Aug 2009 12:34:09 +0000 Pierre-Luc Landry 144 at http://salondouble.contemporain.info