Salon double - CALLE, Sophie http://salondouble.contemporain.info/taxonomy/term/450/0 fr La rassurante présence des déclassés http://salondouble.contemporain.info/lecture/la-rassurante-presence-des-declasses <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/paquet-amelie">Paquet, Amélie </a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-biblio"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/biblio/teen-spirit">Teen Spirit</a> </div> <div class="field-item even"> <a href="/biblio/bye-bye-blondie">Bye Bye Blondie</a> </div> </div> </div> <!--break--><!--break--><div>&nbsp;</div> <div>&laquo;D&rsquo;un certain point de vue, &ccedil;a m&rsquo;aurait contrari&eacute;e, je veux pas y aller de mon couplet marxiste, mais j&rsquo;aurais pas trouv&eacute; moral qu&rsquo;on &eacute;pargne le seul vrai bourge qu&rsquo;on croise.&raquo;<br /> Virginie Despentes, <em>Baise-moi</em></div> <div>&nbsp;</div> <div>&Agrave; l&rsquo;&eacute;vidence, la lutte des classes dans la litt&eacute;rature tient d&rsquo;une autre &eacute;poque. La th&eacute;orie litt&eacute;raire marxiste est pass&eacute;e de mode, et sans doute nos contemporains esp&egrave;rent-ils que la litt&eacute;rature d&rsquo;aujourd&rsquo;hui se soit enfin d&eacute;barrass&eacute;e des divisions de classe. Comme l&rsquo;explique Frederic Jameson dans la conclusion d&rsquo;<em>Aesthetics and Politics </em>[1977], un livre qui retrace les c&eacute;l&egrave;bres d&eacute;bats &agrave; propos de l&rsquo;esth&eacute;tique de plusieurs penseurs d&rsquo;inspiration marxiste tels que Theodor W. Adorno, Walter Benjamin, Ernst Bloch, Bertolt Brecht et Georg Luk&aacute;cs, l&rsquo;attaque la plus r&eacute;currente et percutante contre les marxistes est celle qui leur reproche l&rsquo;utilisation des classes sociales pour appr&eacute;hender les textes litt&eacute;raires&nbsp;: &laquo;Nothing has, of course, more effectively discredited Marxism than the practice of affixing instant class labels (generally &lsquo;petty bourgeois&rsquo;) to textual or intellectual objects<a name="note1b" href="#note1a"><strong>[1]</strong></a>&raquo;. Le travail de Luk&aacute;cs, qui a notamment contribu&eacute; aux d&eacute;veloppements th&eacute;oriques du concept de m&eacute;diation<a name="note2b" href="#note2a"><strong>[2]</strong></a>, a montr&eacute; la d&eacute;solante r&eacute;ification du monde inh&eacute;rente &agrave; l&rsquo;&oelig;uvre chez les &eacute;crivains naturalistes. D&rsquo;une certaine mani&egrave;re, on reproche &agrave; leur tour aux penseurs marxistes de r&eacute;ifier les individus par l&rsquo;utilisation des classes sociales. Or, Jameson montre que l&rsquo;analyse id&eacute;ologique des discours que d&eacute;fendent les intellectuels marxistes est indissociable d&rsquo;une conception th&eacute;orique des classes sociales. La th&eacute;orie litt&eacute;raire marxiste ne peut pas se passer d&rsquo;une r&eacute;flexion en profondeur &agrave; propos des divisions de classe. Elle ne peut donc pas s&rsquo;en d&eacute;tacher pour plaire &agrave; ses d&eacute;tracteurs. Les penseurs postmodernes, qui nous ont montr&eacute; que les &eacute;tiquettes sont fautives et dangereuses, sont du nombre. Tous les termes qui d&eacute;signent un groupe d&rsquo;individus, comme ceux de &laquo;prol&eacute;taire&raquo; et &laquo;bourgeois&raquo;, sont suspects selon eux, car ils sont trop limit&eacute;s et pas suffisamment nuanc&eacute;s pour d&eacute;crire le monde rempli de diff&eacute;rences qui est le n&ocirc;tre. Dans les deux derniers romans de Virginie Despentes, <em>Teen Spirit</em> [2002] et <em>Bye Bye Blondie </em>[2004], les divisions de classe ne sont pourtant pas d&eacute;su&egrave;tes; elles sont bien au contraire au c&oelig;ur des d&eacute;chirements que vivent les personnages qu&rsquo;ils mettent en sc&egrave;ne. J&rsquo;aimerais r&eacute;fl&eacute;chir &agrave; cette tension importante dans ces romans entre prol&eacute;taire et bourgeois afin de comprendre pourquoi Despentes juge pertinent d&rsquo;utiliser ces nominatifs dans un contexte litt&eacute;raire. Elle tire ces cat&eacute;gories de la culture politique punk de gauche radicale, qui s&rsquo;est compl&egrave;tement r&eacute;appropri&eacute;e le vocabulaire marxiste.</div> <div class="rteright">&nbsp;</div> <p><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Despentes, la parvenue</strong></span></p> <p>En 1998, &agrave; l&rsquo;&eacute;mission culturelle fran&ccedil;aise <em>Le Cercle de minuit</em>, Virginie Despentes est re&ccedil;ue le m&ecirc;me jour que Sophie Calle pour la sortie de leurs derniers livres respectifs. Pour Despentes, il s&rsquo;agit de la parution de <em>Les jolies choses</em>. L&rsquo;animateur tient &agrave; opposer les deux &eacute;crivaines. D&eacute;fendant l&rsquo;id&eacute;e que Calle travaille &agrave; partir de sa vie imaginaire et que Despentes &eacute;crit plut&ocirc;t &agrave; partir de sa vie r&eacute;elle, il dit de Despentes qu&rsquo;elle est l&rsquo;anti-Sophie Calle. Despentes, qui affirme &ecirc;tre devenue &eacute;crivaine &laquo;par inadvertance&raquo;, r&eacute;torque qu&rsquo;elle invente beaucoup au contraire. Elle consid&egrave;re la diff&eacute;rence entre les deux femmes comme une diff&eacute;rence de classe sociale. Sophie Calle, fille de petits bourgeois<a name="note3b" href="#note3a"><strong>[3]</strong></a>, &eacute;crit pour son milieu, un milieu qui conna&icirc;t bien l&rsquo;&eacute;criture, alors que Despentes appartient, au moment o&ugrave; elle r&eacute;dige son premier roman <em>Baise-moi</em> [1993], au monde de ceux qui n&rsquo;&eacute;crivent pas, comme elle l&rsquo;explique &agrave; l&rsquo;animateur : </p> <div class="rteindent1"> <span style="color: rgb(128, 128, 128);">Il y a un courage de ma part, d&rsquo;o&ugrave; je viens, de faire des livres. Il y a un courage comme &ccedil;a, mais &agrave; part &ccedil;a, il n&rsquo;y a rien d&rsquo;autre. [&hellip;] Je ne suis pas rendue compte que j&rsquo;&eacute;tais en train de faire un truc qui n&rsquo;appartenait pas &agrave; ma classe sociale, je ne m&rsquo;en suis pas rendue compte du tout, je m&rsquo;en suis rendue compte une fois que je suis arriv&eacute;e dans une classe sociale nouvelle<a name="note4b" href="#note4a"><strong>[4]</strong></a>.&nbsp; </span><br /> &nbsp;</div> <p>Au tout d&eacute;but de <em>Teen Spirit</em> appara&icirc;t d&rsquo;ailleurs cette id&eacute;e que la parole des bourgeois serait plus l&eacute;gitime que celle des prol&eacute;taires&nbsp;: </p> <div class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><br /> Une jolie voix de femme, tr&egrave;s classe, petit accent de bourge pointu, une fa&ccedil;on de dire les voyelles et de prononcer chaque mot nettement, comme font les gens qui savent qu&rsquo;ils ont le droit au temps de parole et &agrave; l&rsquo;articulation pr&eacute;cieuse, m&rsquo;a tout de suite mis une l&eacute;g&egrave;re gaule. Une voix qui &eacute;voquait le tailleur et les mains bien manucur&eacute;es. (TS, p. 11)</span><br /> &nbsp;</div> <p>La bourgeoise qui t&eacute;l&eacute;phone au narrateur ne parle pas mieux que les autres parce qu&rsquo;elle serait plus &eacute;duqu&eacute;e, mais parce qu&rsquo;elle se sait d&eacute;tenir &laquo;le droit au temps de parole&raquo;, droit qui lui permet de prendre son temps lorsqu&rsquo;elle s&rsquo;exprime et de rendre tous les mots dans l&rsquo;enti&egrave;ret&eacute; de leur forme. Cette voix s&eacute;duit tout autant qu&rsquo;elle d&eacute;go&ucirc;te le narrateur. </p> <p>Sur le plateau de <em>Tout le monde en parle</em>, en 2002, Thierry Ardisson demande &agrave; Despentes&nbsp;: &laquo;Dites-moi, Virginie, vous &ecirc;tes embourgeois&eacute;e ou non?&raquo; On peut d&eacute;celer dans cette question une critique qui viserait &agrave; remettre Despentes &agrave; sa place; elle ne peut plus jouer &agrave; l&rsquo;&eacute;crivaine <em>trash</em> et rebelle si elle appartient d&eacute;sormais au monde des petits bourgeois. La question contient aussi une injonction &agrave; travers la formule &laquo;oui ou non&raquo;&nbsp;: elle impose de faire le point une fois pour toutes sur le statut de &laquo;parvenue&raquo; de l&rsquo;&eacute;crivaine. Pas du tout heurt&eacute;e par la question, Despentes r&eacute;pond&nbsp;sans h&eacute;sitation<a name="note5b" href="#note5a"><strong>[5]</strong></a> : &laquo;Par rapport &agrave; l&rsquo;&eacute;poque de <em>Baise-moi</em> [le roman], oui carr&eacute;ment. C&rsquo;est pas vraiment la m&ecirc;me vie quoi<a name="note6b" href="#note6a"><strong>[6]</strong></a>&raquo;. Pour cette &eacute;mission, elle &eacute;tait d&rsquo;ailleurs habill&eacute;e selon les m&oelig;urs de sa nouvelle classe, tailleur et lunettes s&eacute;rieuses, elle ne s&rsquo;y pr&eacute;sentait pas habill&eacute;e en punk comme elle a pu le faire &agrave; d&rsquo;autres occasions. De toute &eacute;vidence, elle accepte sa nouvelle place dans le monde. Peut-&ecirc;tre d&eacute;&ccedil;u qu&rsquo;elle r&eacute;agisse si bien &agrave; sa question, Ardisson rench&eacute;rit&nbsp;: &laquo;Vous avez l&rsquo;impression d&rsquo;avoir &eacute;t&eacute; r&eacute;cup&eacute;r&eacute;e par le syst&egrave;me? &raquo;. Elle r&eacute;pond le sourire aux l&egrave;vres&nbsp;: &laquo;&nbsp;Non, vu la sortie du film [<em>Baise-moi</em><a name="note7b" href="#note7a"><strong>[7]</strong></a>], &ccedil;a va. Je suis tranquille de ce c&ocirc;t&eacute;-l&agrave;.&raquo; L&rsquo;&eacute;crivaine s&rsquo;est embourgeois&eacute;e peut-&ecirc;tre, mais loin est encore l&rsquo;&eacute;poque o&ugrave; le film <em>Baise-moi</em> fera partie du grand r&eacute;pertoire cin&eacute;matographique bourgeois. La fronti&egrave;re trop mince entre le film d&rsquo;auteur et la pornographie <em>hardcore</em> fait de <em>Baise-moi</em> un film qui r&eacute;siste &agrave; une r&eacute;cup&eacute;ration par le syst&egrave;me. Du moins, pour le moment<a name="note8b" href="#note8a"><strong>[8]</strong></a>. </p> <p>Dans <em>King Kong Th&eacute;orie</em>, essai f&eacute;ministe puissant et important de Despentes, elle donne un exemple bien concret de la parole n&eacute;cessairement irrecevable de certains individus. Elle se r&eacute;f&egrave;re aux sorties m&eacute;diatiques qu'elle a entreprises pour la promotion du film <em>Baise-moi </em>avec Coralie Trinh Thi, ex-porn star et co-r&eacute;alisatrice du film. Elle s'est aper&ccedil;ue que certaines citations de Trinh Thi lui &eacute;taient souvent injustement attribu&eacute;es&nbsp;:</p> <div class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Les uns et les autres tombaient d&rsquo;accord sur un point essentiel&nbsp;: il fallait lui &ocirc;ter [&agrave; Coralie Trinh Thi] les mots de la bouche, lui couper la parole, l&rsquo;emp&ecirc;cher de parler. Jusque dans les interviews, o&ugrave; ses r&eacute;ponses ont souvent &eacute;t&eacute; imprim&eacute;es, mais m&rsquo;&eacute;taient attribu&eacute;es. Je ne focalise pas ici sur des cas isol&eacute;s, mais sur des r&eacute;actions quasi syst&eacute;matiques. Il fallait qu&rsquo;elle disparaisse de l&rsquo;espace public. Pour prot&eacute;ger la libido des hommes, qui aiment que l&rsquo;objet du d&eacute;sir reste &agrave; sa place, c&rsquo;est-&agrave;-dire d&eacute;sincarn&eacute;, et surtout muet<a name="note9b" href="#note9a"><strong>[9]</strong></a>. </span><br /> &nbsp;</div> <p>Entre les deux femmes, l'&eacute;crivaine, nouvellement petite bourgeoise, a plus d&rsquo;autorit&eacute; aupr&egrave;s de la classe dominante que&nbsp; l'ex-porn star. Il est plus logique que ce soit elle qui parle, parce qu'elle est la seule des deux qui a un certain droit &agrave; la parole.</p> <p><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Les moins que rien du </strong><em><strong>Lumpenproletariat</strong></em></span></p> <p>Je ne tenterai pas dans ce texte de d&eacute;montrer la validit&eacute; ou l&rsquo;invalidit&eacute; politique des classes sociales aujourd&rsquo;hui. Cependant, pour r&eacute;fl&eacute;chir &agrave; <em>Teen Spirit</em> et &agrave; <em>Bye Bye Blondie</em>, cette question refait n&eacute;cessairement surface. Virginie Despentes, l&rsquo;&eacute;crivaine, aborde le monde autour d&rsquo;elle selon ces divisions de classes, sa sensibilit&eacute; conna&icirc;t cette tension entre prol&eacute;taires et bourgeois. C&rsquo;est &agrave; partir de cette s&eacute;paration que Despentes se positionne. Je l&rsquo;ai montr&eacute; avec l&rsquo;exemple de <em>Tout le monde en parle</em>, c&rsquo;est aussi &agrave; partir des classes sociales qu&rsquo;on s&rsquo;adresse &agrave; elle. Bruno, le narrateur de <em>Teen Spirit</em>, et Gloria, le personnage principal de <em>Bye Bye Blondie</em>, sont tous les deux des prol&eacute;taires. On pourrait m&ecirc;me dire, pire encore, qu&rsquo;ils appartiennent au <em>Lumpenproletariat</em><a name="note10b" href="#note10a"><strong>[10]</strong></a>. Ils sont des rat&eacute;s, des d&eacute;class&eacute;s, des &ecirc;tres totalement sans int&eacute;r&ecirc;t pour le monde bourgeois puisqu&rsquo;ils ne s&rsquo;adaptent m&ecirc;me pas &agrave; la vie de salari&eacute;. Le sc&eacute;nario des deux romans se ressemblent beaucoup, d&rsquo;o&ugrave; l&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t de r&eacute;fl&eacute;chir &agrave; ces livres ensemble. Bruno reprend contact au tout d&eacute;but du roman avec une ancienne amante bourgeoise, Alice Martin, et Gloria revoit un ex-amoureux bourgeois, &Eacute;ric, vingt ans apr&egrave;s leur s&eacute;paration.</p> <p><em>Bye Bye Blondie</em> raconte l&rsquo;histoire d'amour entre Gloria, une &laquo;punkette destroy&raquo; (<em>BBB</em>, p. 95), et &Eacute;ric, un &laquo;skin psychopathe&raquo; (<em>BBB</em>, p. 95), qui se rencontrent, adolescents, dans un h&ocirc;pital psychiatrique alors qu'on tente de les r&eacute;habiliter. Ils partagent &agrave; ce moment le m&ecirc;me mal de vivre, le m&ecirc;me d&eacute;go&ucirc;t devant l&rsquo;obligation de s&rsquo;adapter au syst&egrave;me. Gloria ne c&egrave;de jamais. Pour elle, son d&eacute;go&ucirc;t est bien r&eacute;el, bien trop profond pour que cela passe en vieillissant. Gloria ira jusqu&rsquo;&agrave; s&rsquo;exclure du monde en refusant le travail salari&eacute;, alors qu&rsquo;&Eacute;ric travaillera fort pour s&rsquo;adapter. Il r&eacute;ussit tellement bien qu&rsquo;il devient une vedette du syst&egrave;me, l&rsquo;ic&ocirc;ne s&eacute;duisante de ceux auxquels il refusait jadis de ressembler. Les parents d'&Eacute;ric sont des bourgeois, cette appartenance de son amoureux &agrave; ce milieu la rebute d'embl&eacute;e. Lorsqu'elle visite sa chambre la premi&egrave;re fois, apr&egrave;s qu&rsquo;ils aient tous les deux quitt&eacute; l&rsquo;h&ocirc;pital, elle voit bien leur diff&eacute;rence : &laquo;Cha&icirc;ne hi-fi, collection de disques, magn&eacute;toscope, t&eacute;l&eacute;, jeu vid&eacute;o, consoles, maquettes d'avion. Gloria &eacute;tait touch&eacute;e, en m&ecirc;me temps que catastroph&eacute;e, qu'il n'ait pas honte de l'emmener l&agrave;&raquo; (<em>BBB</em>, p. 97). Comme la voix de la bourgeoise Alice Martin, dans <em>Teen Spirit</em>, qui excite et d&eacute;go&ucirc;te Bruno, Gloria est &agrave; la fois attir&eacute;e et repouss&eacute;e par cette exhibition de sa fortune familiale. Les parents d'&Eacute;ric ne trouvent pas que Gloria est une assez bonne fr&eacute;quentation pour leur fils; ils le menacent donc de l'envoyer dans une &eacute;cole militaire suisse s'il continue de la voir. Il d&eacute;cide alors de quitter la maison. </p> <p>Avec Gloria, il part en cavale dans la France &agrave; la recherche de concerts punk. Au cours du voyage, les amoureux sont arr&ecirc;t&eacute;s par la police. Dans les romans de Despentes, on ne fait jamais un bon accueil aux policiers. Il faut dire que ses personnages sont souvent des parias, ils sont de ceux qui connaissent de pr&egrave;s la violence que peuvent exercer les forces de l'ordre au nom du maintien des privil&egrave;ges des mieux nantis. Dans une sc&egrave;ne du roman <em>Baise-moi</em>, par exemple, Manu est t&eacute;moin d&rsquo;un accident. Elle veut sauver la victime, Karla : &laquo;Elle appelle les pompiers dans la foul&eacute;e ; les flics, elle n&rsquo;a pas trop confiance parce qu&rsquo;elle parle trop mal. Mais les pompiers lui inspirent davantage confiance<a name="note11b" href="#note11a"><strong>[11]</strong></a>&raquo;. Manu se sent condamn&eacute;e d&rsquo;avance, elle ne peut demander l&rsquo;aide des policiers en toute confiance parce qu&rsquo;elle ne ma&icirc;trise pas correctement le langage, le langage de ceux au secours desquels on vient. Apr&egrave;s la nuit que Gloria et &Eacute;ric passent en prison, ils sont s&eacute;par&eacute;s. Les policiers, qui jugent le fils de bourgeois inad&eacute;quat pour la vie de punk, d&eacute;cident de le remettre &agrave; ses parents. Du jour au lendemain, Gloria se retrouve seule. Elle ne peut plus prendre contact avec lui. </p> <p>&Eacute;ric et Gloria se retrouvent vingt ans plus tard. Non seulement &Eacute;ric est-il devenu un bourgeois, il est en plus une star de la t&eacute;l&eacute;vision, l&rsquo;animateur en vue d&rsquo;une &eacute;mission culturelle. Malgr&eacute; tout ce succ&egrave;s, il est malheureux et veut revoir Gloria. Il sait que sa nouvelle vie la d&eacute;go&ucirc;te, mais il recherche son aversion. Il d&eacute;sire pr&egrave;s de lui cette femme qui rejette son m&eacute;tier plus que toutes les autres. Il a toujours aim&eacute; cette col&egrave;re immense qu&rsquo;elle porte en elle. Lors de leurs premi&egrave;res rencontres, &Eacute;ric lui a dit&nbsp;: &laquo;Moi, je ne m'&eacute;nerve jamais. J'aimerais beaucoup que &ccedil;a m'arrive.&raquo; (<em>BBB</em>, p. 67) Il a besoin de sa col&egrave;re pour survivre. La narratrice de <em>Bye Bye Blondie</em> ne critique pas les divisions sociales, elle se les approprie totalement. Elle explique les probl&egrave;mes qu&rsquo;elle vit avec &Eacute;ric &agrave; partir d&rsquo;une incompatibilit&eacute; de classe, qu&rsquo;ils tentent de surmonter pour vivre ensemble<a name="note12b" href="#note12a"><strong>[12]</strong></a>.</p> <p><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>L&rsquo;&eacute;tonnant destin d&rsquo;un rat&eacute;</strong></span></p> <p>Comme je l&rsquo;&eacute;crivais, dans <em>Teen Spirit</em>, Despentes construit le sc&eacute;nario similaire. Au tout d&eacute;but du roman, Bruno re&ccedil;oit un appel d&rsquo;une ancienne amante qui lui apprend qu&rsquo;elle a eu un enfant de lui. N&rsquo;&eacute;tant plus capable de contr&ocirc;ler sa fille qui veut &agrave; tout prix conna&icirc;tre son p&egrave;re, Alice fait ce qu&rsquo;elle croyait jusqu&rsquo;alors impensable, elle propose &agrave; Bruno d&rsquo;entrer dans leur vie en rencontrant sa fille. La jeune adolescente est ravie, elle aime ce p&egrave;re que sa m&egrave;re lui avait pr&eacute;sent&eacute; comme un &laquo;clodo&raquo; (<em>TS</em>, p. 81); la pr&eacute;sence n&eacute;gative de Bruno, qui est tout le contraire de sa m&egrave;re, l&rsquo;enchante. Au grand dam d&rsquo;Alice, qui esp&egrave;re que cette folie &ndash;celle de faire de Bruno un p&egrave;re&ndash; ne se prolonge pas trop longtemps, Bruno se r&eacute;v&egrave;le plut&ocirc;t dou&eacute; dans son r&ocirc;le&nbsp;: </p> <div class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Alice &eacute;tait d&eacute;&ccedil;ue que j&rsquo;arrive &agrave; l&rsquo;heure, en pleine forme et de bonne humeur. Elle s&rsquo;&eacute;tait fait une id&eacute;e de moi&nbsp;: zonard, incapable, pas fiable et caract&eacute;riel. Reposant sur de vieilles images, et sur un fantasme de bad boy. C&rsquo;&eacute;tait ce genre de bourge, d&eacute;&ccedil;ue que je ne sois plus destroy. Elle avait toutes ses dents, ses cheveux bien brillants et sa peau bien soign&eacute;e, mais, pour le folklore, elle aurait bien voulu d&rsquo;un punk tra&icirc;nant dans ses barrages. (<em>TS</em>, p. 128)</span><br /> &nbsp;</div> <p>Elle n&rsquo;a aucune envie de conna&icirc;tre ce Bruno transform&eacute; qui prend ses responsabilit&eacute;s et qui s&rsquo;occupe avec joie de sa fille. Comme sa fille et comme &Eacute;ric dans <em>Bye Bye Blondie</em>, Alice recherche elle aussi dans sa vie une pr&eacute;sence n&eacute;gative. On aime les rat&eacute;s &agrave; leur place, dans leur r&ocirc;le bien rassurant et apaisant de perdant. </p> <p>&Agrave; la fin de <em>Teen Spirit</em>, un &eacute;v&eacute;nement ext&eacute;rieur &agrave; la vie des protagonistes survient&nbsp;: les tours du World Trade Center tombent, d&eacute;truisant au passage le monde financier sur lequel repose la vie d&rsquo;Alice. Despentes propose ainsi sa lecture &agrave; la sauce anticapitaliste du 11 septembre 2001, mais tr&egrave;s efficacement elle nuance son portrait. Devant l&rsquo;&eacute;v&eacute;nement qui bouleverse Alice, Bruno devient subitement une pr&eacute;sence r&eacute;confortante, il lui permet de reposer ses craintes sur quelqu&rsquo;un. Confront&eacute; &agrave; un &eacute;v&eacute;nement tragique, Bruno est plus r&eacute;sistant qu&rsquo;Alice, plus apte qu&rsquo;elle &agrave; s&rsquo;adapter aux bouleversements du monde&nbsp;: &laquo;Je faisais partie des gens mal adapt&eacute;s que les situations de chaos remettaient paradoxalement en phase&raquo; (TS, p. 221) Personne n&rsquo;est pr&eacute;par&eacute; &agrave; &ecirc;tre confront&eacute; &agrave; un &eacute;v&eacute;nement, un &eacute;v&eacute;nement est toujours de trop, toujours impr&eacute;visible. Judith Butler situe bri&egrave;vement de fa&ccedil;on th&eacute;orique, dans un passage du <em>Pouvoir des mots</em> [1997], l&rsquo;&eacute;v&eacute;nement traumatique et le trauma social&nbsp;:</p> <div class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">L&rsquo;&eacute;v&eacute;nement traumatique est une exp&eacute;rience prolong&eacute;e qui &eacute;chappe [<em>defies</em>] &agrave; la repr&eacute;sentation et la propage simultan&eacute;ment. Le trauma social prend la forme non d&rsquo;une structure qui se r&eacute;p&egrave;te m&eacute;caniquement, mais plut&ocirc;t celle d&rsquo;une suj&eacute;tion continuelle, celle de la remise en sc&egrave;ne de l&rsquo;injure par des signes qui &agrave; la fois oblit&egrave;rent et rejouent la sc&egrave;ne<a name="note13b" href="#note13a"><strong>[13]</strong></a>. </span><br /> &nbsp;</div> <p>L&rsquo;&eacute;v&eacute;nement est un ph&eacute;nom&egrave;ne, au sens philosophique, qui n&rsquo;est jamais &agrave; l&rsquo;arr&ecirc;t. Il est fuyant, comme l&rsquo;&eacute;crit Butler, et cette fuite, hors de l&rsquo;imm&eacute;diate repr&eacute;sentation, lui permet de prolonger son insaisissable bouleversement. Le d&eacute;class&eacute;, victime d&rsquo;un certain trauma social, est celui qui a r&eacute;ussi &agrave; survivre &agrave; sa mani&egrave;re aux violences de ce monde qui l&rsquo;exclut. Peut-&ecirc;tre cette exp&eacute;rience lui donne-t-elle quelque chose de plus pour tenir le coup face &agrave; une grande catastrophe ? C&rsquo;est ce que la finale de <em>Teen Spirit</em> donne &agrave; r&eacute;fl&eacute;chir. Les deux derniers romans de Despentes nous r&eacute;v&egrave;lent ainsi une v&eacute;rit&eacute; &agrave; la fois belle et horrible&nbsp;: on a besoin des marginaux, des d&eacute;class&eacute;s, pour survivre. </p> <hr /> <br /> <strong><a name="note1a" href="#note1b">[1]</a> </strong>Frederic Jameson, &laquo;Reflections in Conclusion&raquo;, in Theodor W. Adorno, Walter Benjamin, Ernst Bloch, Bertolt Brecht et Georg Luk&aacute;cs, <em>Aesthetics and Politics</em>, coll. &laquo;Radical Thinkers&raquo;, London-New York, Verso, 2007, p. 201.<strong><br /> <a name="note2a" href="#note2b">[2]</a> </strong>Au sens marxiste, la &laquo;m&eacute;diation&raquo; est le concept qui permet d&rsquo;expliquer que le sujet n&rsquo;est en contact directement avec la nature. Il n&rsquo;y a pas d&rsquo;imm&eacute;diatet&eacute; entre la conscience historique du sujet et sa position dans le monde.<strong>&nbsp; <br /> <a name="note3a" href="#note3b">[3]</a> </strong>L&rsquo;expression &laquo;petits bourgeois&raquo; est aussi tir&eacute;e du vocabulaire marxiste. Elle sert &agrave; d&eacute;signer la classe moyenne qui est plus libre que les prol&eacute;taires puisqu&rsquo;elle poss&egrave;de un certain contr&ocirc;le sur ses moyens de production, sans &ecirc;tre &laquo;propri&eacute;taire&raquo; ou &laquo;dirigent d&rsquo;entreprise&raquo; comme le bourgeois. Le p&egrave;re de Calle, par exemple, est m&eacute;decin.<br /> <a name="note4a" href="#note4b"><strong>[4]</strong></a><strong> </strong>J&rsquo;ai visionn&eacute; l&rsquo;extrait de l&rsquo;&eacute;mission en ligne &agrave; cette adresse url&nbsp;: <a href="http://www.ina.fr/art-et-culture/litterature/video/I08007295/virginie-despentes-invitee-au-cercle-de-minuit.fr.html" title="http://www.ina.fr/art-et-culture/litterature/video/I08007295/virginie-despentes-invitee-au-cercle-de-minuit.fr.html">http://www.ina.fr/art-et-culture/litterature/video/I08007295/virginie-de...</a> [consult&eacute; le 17 juin 2010]<br /> <a name="note5a" href="javascript:void(0);/*1276790150881*/"><strong>[5]</strong></a> Enfin, on le suppose en regardant l&rsquo;&eacute;mission. S&rsquo;il y a eu une h&eacute;sitation, elle fut coup&eacute;e au montage! <br /> <a name="note6a" href="#note6b"><strong>[6]</strong></a> J&rsquo;ai visionn&eacute; l&rsquo;extrait de l&rsquo;&eacute;mission en ligne &agrave; cette adresse url&nbsp;: <a href="http://fr.truveo.com/virginie-despentes-pour-la-sortie-de-son-roman/id/1846747682" title="http://fr.truveo.com/virginie-despentes-pour-la-sortie-de-son-roman/id/1846747682">http://fr.truveo.com/virginie-despentes-pour-la-sortie-de-son-roman/id/1...</a> [consult&eacute; le 17 juin 2010]<br /> <a name="note7a" href="#note7b"><strong>[7]</strong></a><strong> </strong>Virginie Despentes et Coralie Trinh Thi, <em>Baise-moi</em>, France, 2000, 77 minutes.<strong> <br /> </strong><a name="note8a" href="#note8b"><strong>[8] </strong></a>Marie-H&eacute;l&egrave;ne Bourcier, qui fait de <em>Baise-moi</em> le grand film de la th&eacute;orie f&eacute;ministe queer, en r&eacute;sume efficacement l&rsquo;enjeu : &laquo; Baise moi veut dire &agrave; la fois Fuck me ! et Fuck off ! C&rsquo;est l&agrave; que r&eacute;side la prouesse du film&nbsp;: constituer une resignification op&eacute;r&eacute;e par des femmes, f&eacute;ministe et politique, qui ne fait pas l&rsquo;&eacute;conomie de la sexualit&eacute;&raquo;. Tant que le film constituera une &laquo;&nbsp;resignification &raquo; inacceptable aux yeux du monde, il continuera, selon elle, de r&eacute;sister &agrave; sa r&eacute;cup&eacute;ration. Marie-H&eacute;l&egrave;ne Bourcier, <em>Queer zones. Politiques des identit&eacute;s sexuelles, des repr&eacute;sentations et des savoirs</em>, Paris, Balland, 2001, p. 26. <strong><br /> </strong><a name="note9a" href="#note9b"><strong>[9] </strong></a>Virginie Despentes, <em>King Kong th&eacute;orie</em>, Paris, Le livre de poche, 2007 [2006], p. 97.<strong><br /> </strong><a name="note10a" href="#note10b"><strong>[10]</strong></a><strong> </strong>Le <em>Lumpenproletariat</em>, selon le terme de Marx, qu&rsquo;on traduit en fran&ccedil;ais par &laquo;sous-prol&eacute;tariat&raquo;, signifie litt&eacute;ralement en allemand&nbsp;: le prol&eacute;tariat en haillons. <strong><br /> </strong><a name="note11a" href="#note11b"><strong>[11]</strong></a><strong>&nbsp;</strong>Virginie Despentes, <em>Baise-moi</em>, Paris, J&rsquo;ai lu, 1994 [2000], p. 68.<strong><br /> </strong><a name="note12a" href="#note12b"><strong>[12]</strong></a><strong> </strong>Il s&rsquo;agit aussi d&rsquo;un conflit homme-femme. J&rsquo;ai choisi de ne pas lire le roman sous cet angle. D&rsquo;abord, bien qu&rsquo;il s&rsquo;agisse d&rsquo;un th&egrave;me tr&egrave;s important chez Despentes, elle le d&eacute;veloppe plus efficacement dans <em>Baise-moi</em>, <em>Les chiennes savantes</em> et <em>Les jolies choses</em>. Aussi, dans la version cin&eacute;matographique de <em>Bye Bye Blondie</em> qui serait actuellement en cours de tournage, Despentes a remplac&eacute; &Eacute;ric par une femme, soulignant ainsi l&rsquo;aspect secondaire du conflit homme-femme dans le r&eacute;cit.<strong><br /> </strong><a name="note13a" href="#note13b"><strong>[13]</strong></a><strong> </strong>Judith Butler, <em>Le pouvoir des mots. Discours de haine et politique du performatif</em>, Paris, Amsterdam, 2004, p. 59. <br /> <strong> <p></p></strong> http://salondouble.contemporain.info/lecture/la-rassurante-presence-des-declasses#comments BOURCIER, Marie-Hélène BUTLER, Judith CALLE, Sophie Communisme Culture populaire DESPENTES, Virginie Engagement Événement Féminisme France Idéologie JAMESON, Frederic Luttes des classes MARX, Karl Marxisme Politique Sociocritique Roman Thu, 17 Jun 2010 15:20:59 +0000 Amélie Paquet 236 at http://salondouble.contemporain.info De l’exploration à l’obsession http://salondouble.contemporain.info/lecture/de-l-exploration-a-l-obsession <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/brousseau-simon">Brousseau, Simon</a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-biblio"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/biblio/explorateurs-de-l-abime">Explorateurs de l’abîme</a> </div> </div> </div> <!--break--><!--break--><p align="justify" class="rteindent1"><em><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Walter Benjamin disait que, de nos jours, la seule &oelig;uvre vraiment dot&eacute;e de sens &ndash; de sens critique &eacute;galement &ndash; devrait &ecirc;tre un collage de citations, de fragments, d&rsquo;&eacute;chos d&rsquo;autres &oelig;uvres. &Agrave; ce collage, j&rsquo;ai ajout&eacute;, au moment voulu, des phrases et des id&eacute;es relativement miennes et je me suis peu &agrave; peu construit un monde autonome, paradoxalement tr&egrave;s li&eacute; aux &eacute;chos d&rsquo;autres &oelig;uvres</span></em><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><a href="#note1a">[1]</a></span><em><span style="color: rgb(128, 128, 128);">. </span></em></p> <p></p> <p align="justify">Les obs&eacute;d&eacute;s sont des &ecirc;tres fascinants, peut-&ecirc;tre parce qu&rsquo;ils savent accorder aux d&eacute;tails l&rsquo;attention d&eacute;mesur&eacute;e qu&rsquo;ils m&eacute;ritent. L&rsquo;&eacute;crivain barcelonais Enrique Vila-Matas questionne par l&rsquo;&eacute;criture depuis plus de trente ans ses obsessions litt&eacute;raires, imitant en cela les errances des habitants de la Biblioth&egrave;que de Babel, cet univers tout fait de livres. Les &eacute;crits de Vila-Matas ont ceci de particulier qu&rsquo;ils se construisent en puisant librement dans le vaste bassin de litt&eacute;rature qui les pr&eacute;c&egrave;de, faisant admirablement &eacute;cho &agrave; cette pens&eacute;e de Walter Benjamin qui veut que la citation soit la condition <em>sin qua non</em> de la cr&eacute;ation au tournant de la modernit&eacute;. Beaucoup plus pr&egrave;s de nous, William Marx fait un constat qu&rsquo;il faut entendre en gardant en t&ecirc;te l&rsquo;id&eacute;e de Benjamin lorsqu&rsquo;il parle, dans <em>L&rsquo;adieu &agrave; la litt&eacute;rature. Histoire d&rsquo;une d&eacute;valorisation. XVIII-XXe</em><a href="#note2a">[2]</a>, de cette impression qu&rsquo;auraient les &eacute;crivains contemporains &laquo;[...] d&rsquo;&ecirc;tre venu trop tard dans un monde o&ugrave; tout avait &eacute;t&eacute; &eacute;crit, et trop bien. [...] [&eacute;tant habit&eacute;s par] un sentiment tr&egrave;s conscient d&rsquo;apr&egrave;s-litt&eacute;rature.&raquo; (p. 25)&nbsp; C&rsquo;est en restant pr&egrave;s de ce regard critique sur la litt&eacute;rature contemporaine que j&rsquo;aimerais aborder le recueil <em>Explorateurs de l&rsquo;ab&icirc;me</em>, puisqu&rsquo;il me semble clair qu&rsquo;il s&rsquo;agit l&agrave; d&rsquo;un enjeu fondamental de l&rsquo;&eacute;criture vila-matienne. J&rsquo;aimerais montrer que ce &laquo;sentiment tr&egrave;s conscient d&rsquo;apr&egrave;s-litt&eacute;rature&raquo;, loin d&rsquo;emp&ecirc;cher l&rsquo;&eacute;criture, devient au contraire le moteur de la fiction qui se construit en dialoguant avec l&rsquo;Histoire litt&eacute;raire. Le deuxi&egrave;me texte du recueil, <em>Autre conte hassidique</em>, est important &agrave; cet &eacute;gard. Il s&rsquo;agit de la reproduction int&eacute;grale d&rsquo;un court texte de Franz Kafka intitul&eacute; <em>Le d&eacute;part</em>. &Agrave; la fin de celui-ci, un homme questionne le narrateur :<span style="color: rgb(128, 128, 128);"><br /> </span></p> <p align="justify" class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">&mdash;&nbsp;&nbsp; &nbsp;Tu connais donc ton but ? dit cet homme.<br /> &mdash;&nbsp;&nbsp; &nbsp;Oui, r&eacute;pliquai-je, puisque je te l&rsquo;ai dit ; loin d&rsquo;ici, voil&agrave; mon but. (EA, p. 19)</span></p> <p align="justify">Il s&rsquo;agit ici de suivre Vila-Matas, explorateur qui marche lui-m&ecirc;me dans les traces de Kafka, en esp&eacute;rant pourvoir jeter un peu de lumi&egrave;re sur ce <em>loin d&rsquo;ici</em> et la signification particuli&egrave;re que l&rsquo;&eacute;crivain lui donne, faisant de cet <em>ailleurs</em> un espace d&rsquo;explorations litt&eacute;raires.</p> <p align="justify">Le recueil, qui contient dix-neuf textes, est revendiqu&eacute; par le narrateur de la premi&egrave;re nouvelle qui est intitul&eacute;e &laquo;Caf&eacute; Kubista&raquo;. Celui-ci donne le ton d&egrave;s les premi&egrave;res pages en partageant avec le lecteur sa conception de la litt&eacute;rature. Ces commentaires sont importants dans la mesure o&ugrave; ils font &eacute;cho &agrave; l&rsquo;ensemble des textes du recueil, lui assurant une certaine coh&eacute;rence th&eacute;matique :</p> <p align="justify" class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);"> Je pense qu&rsquo;un livre na&icirc;t d&rsquo;une insatisfaction, d&rsquo;un vide, dont les p&eacute;rim&egrave;tres se r&eacute;v&egrave;lent au cours et &agrave; la fin du travail. L&rsquo;&eacute;crire, c&rsquo;est s&ucirc;rement remplir ce vide. Dans le livre que j&rsquo;ai termin&eacute; hier, tous les personnages finissent par &ecirc;tre des explorateurs de l&rsquo;ab&icirc;me ou plut&ocirc;t de son contenu. Ils enqu&ecirc;tent sur le n&eacute;ant et n&rsquo;arr&ecirc;tent que lorsqu&rsquo;ils tombent sur l&rsquo;un de ses &eacute;ventuels contenus, car il leur d&eacute;plairait sans doute d&rsquo;&ecirc;tre confondus avec des nihilistes. (EA, p. 9)</span></p> <p align="justify">Voil&agrave; qui est intriguant et qui m&eacute;rite r&eacute;flexion. Quel est ce vide, cette insatisfaction qui a rendu n&eacute;cessaire l&rsquo;&eacute;criture du livre que nous avons entre les mains ? Il y a certainement une tension, chez Vila-Matas, entre le monde r&eacute;el et celui des livres, ces derniers occupant toujours une place plus importante que le premier dans la construction du discours. C&rsquo;est-&agrave;-dire que cet &eacute;crivain r&eacute;pugne &agrave; parler du monde r&eacute;el, celui de ses contemporains qui, r&eacute;ciproquement, vivent comme si la litt&eacute;rature n&rsquo;existait pas. On voit ainsi se profiler chez lui une position esth&eacute;tique lourde de sens : l&rsquo;utilisation massive de la citation, le discours qui se nourrit presque exclusivement de litt&eacute;rature est un proc&eacute;d&eacute; discursif tout teint&eacute; d&rsquo;une id&eacute;ologie de la r&eacute;sistance. Si le monde ne veut plus de la litt&eacute;rature, nous dit Vila-Matas, et bien ma litt&eacute;rature ne veut pas davantage du monde.</p> <p align="justify">Cette tension est d&rsquo;ailleurs &eacute;voqu&eacute;e dans la nouvelle &laquo; Sang et eau &raquo; qui se situe au d&eacute;but du recueil. Avec ironie, le narrateur raconte les difficult&eacute;s auxquelles il s&rsquo;est but&eacute; lors de l&rsquo;&eacute;criture du livre :</p> <p align="justify" class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);"> Le tension la plus forte &eacute;tait provoqu&eacute;e par le dur effort &agrave; fournir pour raconter des histoires de personnes normales tout en luttant contre ma tendance &agrave; m&rsquo;amuser avec des textes m&eacute;talitt&eacute;raires : en d&eacute;finitive, il me fallait faire un gros effort pour raconter des histoires de la vie quotidienne avec mon sang et mon foie, comme l&rsquo;avaient exig&eacute; de moi mes contempteurs qui m&rsquo;avaient reproch&eacute; des exc&egrave;s m&eacute;talitt&eacute;raires et une &ldquo;absence absolue de sang, de vie, de r&eacute;alit&eacute;, d&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t pour l&rsquo;existence normale des gens normaux.&rdquo; (EA, p. 33)</span></p> <p align="justify">Si, dans ce passage, le personnage &eacute;crivain affirme sa volont&eacute; d&rsquo;&eacute;crire &agrave; propos de l&rsquo;existence normale des gens normaux, on se rend rapidement compte de la port&eacute;e ironique de ces propos. Tout se passe comme si l&rsquo;auteur voulait candidement satisfaire les attentes de ses critiques, mais le fait est qu&rsquo;il s&rsquo;agit au contraire, nous le verrons, de d&eacute;tourner ces attentes afin d&rsquo;explorer d&rsquo;autres avenues. Il est vrai que l&rsquo;on constate dans les <em>Explorateurs de l&rsquo;ab&icirc;me</em> un certain d&eacute;calage par rapport aux oeuvres ant&eacute;rieures de l&rsquo;auteur, dans la mesure o&ugrave; s&rsquo;y trouvent des nouvelles qui d&eacute;bordent du cadre strictement litt&eacute;raire auquel Vila-Matas nous a habitu&eacute;s. Cependant, c&rsquo;est &eacute;galement dans ces nouvelles qu&rsquo;on peut remarquer, non sans plaisir, l&rsquo;ampleur de l&rsquo;obsession litt&eacute;raire qui structure son &eacute;criture. C&rsquo;est-&agrave;-dire que cette volont&eacute; de raconter des histoires dont nous parle le narrateur n&rsquo;&eacute;chappe pas &agrave; son obsession litt&eacute;raire qui, comme un aimant, ram&egrave;ne les intrigues vers elle. La tentation d&rsquo;une &eacute;criture r&eacute;aliste du quotidien est &eacute;touff&eacute;e par les obsessions litt&eacute;raires.&nbsp; La nouvelle &laquo;Nino&raquo;, qui met en sc&egrave;ne un p&egrave;re cruel souhaitant la mort de son fils, est en ce sens exemplaire. On apprend d&rsquo;abord que Nino est un fils insupportable, notamment parce qu&rsquo;il a rejet&eacute; du revers de la main le souhait de son p&egrave;re qui voulait le faire architecte. En fait, Nino est un explorateur de l&rsquo;ab&icirc;me, un mystique qui recherche de par le monde ce qu&rsquo;il nomme <em>la v&eacute;rit&eacute;</em>. Il r&eacute;ussit &agrave; convaincre son p&egrave;re de gravir le volcan de Licancabur, situ&eacute; &agrave; la fronti&egrave;re entre le Chili et la Bolivie, parce qu&rsquo;il croit que c&rsquo;est dans le lac qui se trouve &agrave; son sommet qu&rsquo;il trouvera <em>la v&eacute;rit&eacute;</em>. &laquo;Nous d&eacute;couvrirons la v&eacute;rit&eacute; de l&rsquo;au-del&agrave;, me disait-il.&raquo; (EA, p. 48) Un peu plus tard, et c&rsquo;est ce qui m&rsquo;int&eacute;resse ici, cette qu&ecirc;te de v&eacute;rit&eacute; d&rsquo;abord d&eacute;&ccedil;ue le m&egrave;nera &agrave; s&rsquo;engager dans une aventure toute litt&eacute;raire, celle d&rsquo;explorer la for&ecirc;t amazonienne afin de suivre les traces de William S. Burroughs qui y a consomm&eacute; le Yag&eacute; afin de communiquer avec<em> le Grand &Ecirc;tre</em> :</p> <p align="justify" class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">[...] j&rsquo;ai enti&egrave;rement financ&eacute; son voyage dans la for&ecirc;t amazonienne de Colombie et du P&eacute;rou sur les traces de William S. Burroughs du temps o&ugrave; celui-ci cherchait &agrave; faire des exp&eacute;riences avec le Yag&eacute; ou l&rsquo;ayahuasca, une plante aux propri&eacute;t&eacute;s hallucinog&egrave;nes et t&eacute;l&eacute;pathiques mythiques permettant &ldquo;de se connecter aux rayons de pr&eacute;sences spectrales de nos morts et de commencer &agrave; voir ou &agrave; sentir ce qui, nous semble-t-il, pourrait &ecirc;tre le Grand &Ecirc;tre, quelque chose qui s&rsquo;approche de nous comme un grand vagin mouill&eacute; ou un grand trou noir divin &agrave; travers lequel nous nous penchons de fa&ccedil;on tr&egrave;s r&eacute;elle sur un myst&egrave;re arrivant jusqu&rsquo;&agrave; nous envelopp&eacute; dans des serpents de couleurs. (EA, p. 55)</span></p> <p align="justify">On voit dans ce passage &agrave; quel point la qu&ecirc;te de sens des explorateurs de l&rsquo;ab&icirc;me qui peuplent le recueil va toujours de pair avec l&rsquo;obsession litt&eacute;raire. Si bien qu&rsquo;&agrave; la lecture, ce qui appara&icirc;t important dans la d&eacute;marche de Nino n&rsquo;est pas tant l&rsquo;envie de consommer le Yag&eacute; que de marcher dans ce chemin ouvert par William Burroughs. Et les chemins emprunt&eacute;s par les autres explorateurs du recueil ne sont pas diff&eacute;rents. Si ceux-ci rejettent l&rsquo;existence des gens normaux, c&rsquo;est toujours au profit d&rsquo;une existence engag&eacute;e dans les avenues de la litt&eacute;rature et des arts. Le narrateur de la nouvelle &laquo;Vie de po&egrave;te&raquo; ne fait-il pas l&rsquo;&eacute;loge de cet oncle qui, dans sa jeunesse, lui a transmis la pr&eacute;cieuse pens&eacute;e de Rilke, donnant ainsi un sens &agrave; son existence qui, jusque-l&agrave;, en &eacute;tait d&eacute;pourvue ? &laquo;Les oeuvres d&rsquo;art, rares, donnent un contenu intellectuel au vide.&raquo; (EA, p. 214) De fait, ce livre de Vila-Matas m&rsquo;appara&icirc;t important dans la r&eacute;ponse en creux qu&rsquo;il donne &agrave; ces critiques qui reprochent &agrave; ses textes l&rsquo;absence de sang et de vie qu&rsquo;ils y remarquent. Les explorateurs de l&rsquo;ab&icirc;me, par leur existence en marge des trivialit&eacute;s quotidiennes, montrent bien que la fiction vila-matienne s&rsquo;organise autour de l&rsquo;id&eacute;e qu&rsquo;il est possible de trouver dans la litt&eacute;rature une certaine forme de vie sup&eacute;rieure &agrave; <em>la vraie vie</em>. Dans une nouvelle marquante intitul&eacute;e &laquo;Parce qu&rsquo;elle ne l&rsquo;a pas demand&eacute;&raquo;, le narrateur met en sc&egrave;ne sa relation avec l&rsquo;artiste fran&ccedil;aise Sophie Calle, c&eacute;l&egrave;bre pour ses romans muraux et pour ses tendances &agrave; m&ecirc;ler la r&eacute;alit&eacute; &agrave; la fiction<a href="#note3a">[3]</a>. Il affirmera lors d&rsquo;une discussion avec celle-ci une opinion qui, je crois, montre bien la hi&eacute;rarchie que Vila-Matas &eacute;tablit entre la vie et ses repr&eacute;sentations litt&eacute;raires : &laquo; [j]e lui ai simplement dit que, pour moi, la litt&eacute;rature serait toujours plus int&eacute;ressante que la fameuse vie. D&rsquo;abord parce que c&rsquo;est une activit&eacute; beaucoup plus &eacute;l&eacute;gante, ensuite parce qu&rsquo;elle m&rsquo;avait toujours sembl&eacute; une exp&eacute;rience plus intense. &raquo; (EA, p. 286)</p> <p align="justify">De fait, c&rsquo;est &agrave; une exp&eacute;rience litt&eacute;raire des plus intenses que Vila-Matas nous convie avec ses <em>Explorateurs de l&rsquo;ab&icirc;me</em>. On le comprend mieux, le <em>loin d&rsquo;ici</em> kafka&iuml;en agit sur la logique du recueil comme une invitation &agrave; explorer la litt&eacute;rature et ses ab&icirc;mes, loin du r&eacute;alisme qui aurait fait la joie des critiques mentionn&eacute;s au d&eacute;but du recueil. Il semble que la po&eacute;tique vila-matienne d&eacute;coule directement de ce sentiment que &laquo;tout a &eacute;t&eacute; &eacute;crit, et trop bien&raquo; &eacute;voqu&eacute; par William Marx. Si tous les sujets ont &eacute;t&eacute; &eacute;puis&eacute;s par la litt&eacute;rature, il ne reste plus qu&rsquo;&agrave; parler de cette derni&egrave;re<a href="#note4a">[4]</a>. Il s&rsquo;agit pour nous d&rsquo;accepter humblement cette mise &agrave; mal du r&eacute;alisme et de <em>la fameuse vie</em> afin de pouvoir, le temps d&rsquo;un livre, s&rsquo;ab&icirc;mer dans le sens vertigineux de la Lettre. </p> <p><a name="note1a" href="#note1">1</a> Enrique Vila-Matas, <em>Le mal de Montano</em>, Paris, Christian Bourgois &Eacute;diteur (Coll. Domaine &eacute;tranger), 2003, p. 151. [Traduit de l&rsquo;espagnol par Andr&eacute; Gabastou.]<br /> <a name="note2a" href="#note2">2</a> William Marx, <em>L&rsquo;adieu &agrave; la litt&eacute;rature. Histoire d&rsquo;une d&eacute;valorisation. XVIIIe-XXe.</em>, Paris, Les &Eacute;ditions de Minuit, 2005, 232 p.<br /> <a name="note3a" href="#note3">3</a> On apprend notamment dans Double-jeux que Sophie Calle a propos&eacute; &agrave; Paul Auster d&rsquo;&eacute;crire un texte de fiction qu&rsquo;elle pourrait ensuite vivre durant un an comme s&rsquo;il s&rsquo;agissait d&rsquo;une prescription : &laquo;Puisque, dans L&eacute;viathan, Paul Auster m&rsquo;a prise comme sujet, j&rsquo;ai imagin&eacute; d&rsquo;inverser les r&ocirc;les, en le prenant comme auteur de mes actes. Je lui ai demand&eacute; d&rsquo;inventer un personnage de fiction auquel je m&rsquo;efforcerais de ressembler : j&rsquo;ai en quelque sorte offert &agrave; Paul Auster de faire de moi ce qu&rsquo;il voulait et ce, pendant une p&eacute;riode d&rsquo;un an maximum. Il objecta qu&rsquo;il ne souhaitait pas assumer la responsabilit&eacute; de ce qui pourrait advenir alors que j&rsquo;ob&eacute;irais au sc&eacute;nario qu&rsquo;il avait cr&eacute;&eacute; pour moi.&raquo; (DJ, p. 3)&nbsp;Pour en savoir davantage &agrave; ce sujet, consulter : Sophie Calle, <em>Doubles-jeux (livre 1). De l&rsquo;ob&eacute;issance</em>, Paris, Actes Sud, 1998.<br /> <a name="note4a" href="#note4">4</a> Il faut noter que le silence litt&eacute;raire est un th&egrave;me majeur chez Vila-Matas. <em>Bartleby et compagnie</em> est un livre consacr&eacute; aux &eacute;crivains qui ont v&eacute;cu, &agrave; un moment ou l&rsquo;autre de leur carri&egrave;re litt&eacute;raire, un silence plus ou moins prolong&eacute;. De la m&ecirc;me mani&egrave;re, <em>Docteur Pasavento</em> est l&rsquo;histoire d&rsquo;un &eacute;crivain habit&eacute; par une forte volont&eacute; de dispara&icirc;tre et qui s&rsquo;efforce &agrave; vivre &agrave; la mani&egrave;re Robert Walser.<br /> &nbsp;</p> http://salondouble.contemporain.info/lecture/de-l-exploration-a-l-obsession#comments AUSTER, Paul CALLE, Sophie Espagne Fiction Filiation Intertextualité MARX, William Obsession Représentation VILA-MATAS, Enrique Nouvelles Thu, 05 Mar 2009 16:25:00 +0000 Simon Brousseau 73 at http://salondouble.contemporain.info