Salon double - BLANCHOT, Maurice
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frAutour d'une rhétorique musicale qui convoque les morts
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<a href="/equipe/fontille-brigitte">Fontille, Brigitte</a> </div>
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<p align="right" style="margin-left: 8cm;"> </p>
<p align="right" style="margin-left:8.0cm;"><span style="color:#696969;">Sans la musique, certains d’entre nous <em>mourraient</em>.</span></p>
<p align="right" style="margin-left:8.0cm;"><span style="color:#696969;">—Pascal Quignard, <em>Boutès</em></span></p>
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<p>Le passé, les disparus, les morts et les absents hantent la littérature de Pascal Quignard. Avec des titres tels que <em>Les Ombres errantes </em>(2002), <em>Sur le Jadis </em>(2002), <em>L’Enfant au visage couleur de la mort </em>(2006) ou <em>Pour trouver les enfers </em>(2005), l’œuvre de Pascal Quignard foisonne çà et là de revenants, et le lecteur n’est pas surpris d’errer, au cours de sa lecture, parmi quelques fantômes. Leur revenance repose sur une saisie sensorielle de ce qui, quelques instants auparavant, se dérobait à la perception. Ces apparitions sont le dévoilement subit, la manifestation surprenante d’un phénomène qui sort d’une logique raisonnée de la réalité. Ainsi l’apparition du revenant peut-elle être appréhendée comme une forme d’illusion ou d’hallucination perceptive s’apparentant à l’effet de présence vécu lors des rêves, mais elle peut être aussi au centre d’une expérience esthétique. Ma réflexion se base ici sur la prémisse selon laquelle l’illusion existentielle liée au phénomène de revenance, qu’elle soit optique ou sonore, peut être utilisée comme procédé artistique; plus précisément, elle peut résulter d’une expérience artistique. Concurremment et corrélativement, le concept d’apparition, que Quignard nomme «visitation», s’enchevêtre dans la <em>praxis</em> musicale telle qu’éprouvée dans les œuvres de fiction quignardiennes. L’entrelacs de ces deux concepts participe de son cadre poétique. Et c’est justement cette expérience musicale du revenant que je propose de creuser en examinant tout d’abord les variations que prend le motif du revenant, les pouvoirs intrinsèques qui sont associés à la musique par l’auteur, le rôle du chaman que tient le musicien, pour finalement éclairer les mises en scène musicales qui font naître les fantômes des textes romanesques.</p>
<p><span style="color:#696969;"><strong>Variations sur un motif d’absence</strong></span></p>
<p>On peut, me semble-t-il, déceler une présence récurrente et protéiforme des phénomènes de revenance au sein des œuvres quignardiennes. Dans les romans, plus spécifiquement, cette présence revenante sous la forme d’une panoplie de morts et de disparus vient hanter les récits. Qu’ils soient personnages historiques ou romanesques, ils font tous le voyage pour traverser la frontière entre un système binaire spatial, temporel ou métaphysique.</p>
<p>Cette expérience qui m’a menée à relire les romans quignardiens en concentrant mon attention sur le disparu et l’absent qui se manifeste au cœur de la fiction s’est avérée un exercice fort révélateur. Il est à noter que chaque roman possède ses morts, chaque protagoniste évolue avec ses défunts. C’est le cas d’Ann Hidden dans <em>Villa Amalia </em>(2006), qui vit dans le deuil de son frère, de la petite Lena, de son amante Giulia, de son ami George et de sa mère. Elle vit aussi de multiples séparations brutales avec les hommes de sa vie, dont l’abandon par son père et la rupture avec son mari. C’est aussi Monsieur de Sainte Colombe qui fait le deuil de sa femme et de sa fille aînée dans <em>Tous les matins du monde </em>(1991), et Marin Marais qui a perdu sa voix dans la mue; ou encore George Furfooz qui est hanté par le souvenir d’une petite amie d’enfance dans <em>Les Escaliers de Chambord </em>(1989) tandis que son amie, la pianiste Laurence, tente d’adoucir la noyade de son frère et le décès de son père; et Madame d’Oreiras qui reçoit la visite de son mari défunt dans <em>La Frontière </em>(1992); Charles Chenogne, protagoniste du <em>Salon du Wurtemberg </em>(1986), se démêle également avec ses nombreuses pertes –sa chatte Didon, la logeuse Mademoiselle Aubier, son ami Florent Seinecé…; Patrick Carrion, de <em>L’Occupation américaine </em>(1994), se remémore une période de sa vie jusqu’au suicide de son amie d’enfance; le narrateur de <em>Vie secrète </em>(1998) utilise le récit pour retrouver l’initiation reçue de son amante-professeure de piano; jusqu’à Claire Methuen, personnage principal du dernier roman de Quignard, <em>Les Solidarités mystérieuses </em>(2011), qui vit et survit hantée par la mort de l’homme qu’elle aimait. On pourrait multiplier les exemples, pour simplement y voir que les «visitations» des morts ne sont plus de l’ordre du hasard ou de l’anecdote, mais deviennent bien un motif dominant dans chacun des romans de Quignard. Il se présente encore une variante de ressuscités, soit ces personnages qui reparaissent d’une œuvre à l’autre comme Charles Chenogne, soit les personnages historiques à qui il est donné un second souffle comme Monsieur de Sainte Colombe et Marin Marais.</p>
<p>J’ajoute à cette liste les lambeaux de souvenirs qui accompagnent l’écriture tout comme la lecture, telles des ombres fugaces, et qui incarnent «des traces, des énigmes, des dates, des fantômes dans nos têtes [qui] se racontent à eux-mêmes» (<em>Le Salon du Wurtemberg</em>, p.433). Ces exemples montrent à quel point les romans quignardiens, indéniablement hantés par un passé qui ne veut disparaître, ne peuvent exister sans quelques spectres, figures de l’indicible et de l’irreprésentable qui tourmentent, obsèdent et pourchassent avec persistance.</p>
<p>Il demeure toutefois intéressant de noter que ce phénomène continu de la figure du revenant ne va pas sans une certaine mise en scène qui s’impose de plus en plus au fil des lectures. Ce parcours de lecture m’a menée à relever un rapport significatif entre le disparu et la musique. Il apparaît en effet que celui-ci requiert, d’une manière directe ou de façon plus subtile, une nécessaire expérience de la musique. Si le revenant revêt de nombreuses formes, une constante est perçue dans son lien avec la musique. Aussi le revenant est-il une présence vaporeuse qui erre autour de l’univers fictionnel, mais c’est la musique qui permet de le susciter, comme en témoignera l’apparition de la femme de Sainte Colombe dans <em>Tous les matins du monde</em>. Quignard étant un écrivain pour lequel la musique occupe une place toute particulière, le lien singulier que celle-ci tisse avec les revenants dans ses œuvres de fiction mérite d’être creusé. Le rapprochement dont il va être question est ici un pur jeu de lecture qui permettra peut-être d’évaluer la validité d’une poétique musico-littéraire.</p>
<p><span style="color:#696969;"><strong>Les pouvoirs de la musique </strong></span></p>
<p>Si, pour se manifester, le revenant semble nécessiter soit l’appel enchanteur du musicien, soit une certaine expérience musicale, l’art musical serait vraisemblablement, dans les romans de Quignard, doté de pouvoirs inusités. Trois pouvoirs se trouvent dès lors directement associés à la musique et découlent de la maîtrise et de la pratique du <em>bon</em> musicien: trouver sa source au plus profond de la douleur, lancer la force d’un appel incantatoire et éprouver la porosité des frontières. C’est par ces pouvoirs que le musicien instaure une certaine répétition qui permet aux morts un retour pour une dernière visite chez les vivants. </p>
<p>Tout d’abord, dans les œuvres de Pascal Quignard, nous trouvons l’idée essentielle selon laquelle la musique doit procéder de la douleur. C’est en effet la leçon la plus claire que reçoit Marin Marais de son maître Sainte Colombe dans <em>Tous les matins du monde</em>. À la question «Que cherchez-vous, Monsieur, dans la musique?», Marais répond finalement qu’il y cherche «les regrets et les pleurs» (p.112). Enseignement réitéré avec le récit de la leçon du maître Tch’eng Lien au «plus grand musicien du monde», Po Ya, dans <em>La Leçon de musique</em>. L’idée selon laquelle la musique émane de la souffrance devient primordiale dans l’œuvre de Quignard.</p>
<p>Certains aspects de ce principe peuvent sans doute être expliqués par l’hypothèse fondamentale d’Ernst Broch, selon qui «l’expression humaine» est inhérente à la musique et c’est «[e]n vertu de cette faculté directe qu’elle a d’exprimer l’Humain […] [que] la musique a […] plus que tous les arts la propriété d’accueillir la souffrance sous ses multiples aspects» (1991, p.178 et 180). Si elle a, effectivement, quelque chose à voir avec la «souffrance», il n’est peut-être pas si singulier de noter que dans les caractéristiques essentielles de la musique baroque, musique de prédilection de Quignard, il y a cette idée fondamentale «d’exprimer les passions de l’âme». J’emprunte cette idée à Jean Rousset (1972, p.82), qui l’utilise pour rappeler que l’étymologie de la passion (<em>patio</em>) a partie liée avec la souffrance (<em>patior</em>, souffrir). La musique permettrait donc d’exprimer et de supporter les grands chagrins.</p>
<p>À cet effet, comme je l’ai mentionné, les musiciens quignardiens portent tous, sans exception, le deuil inconsolable de la perte d’un être cher. C’est donc marqués par la douleur, abandonnés sur la rive des lamentations, que les musiciens quignardiens recourent à la musique pour «aller au bout du monde de la tristesse» (<em>Boutès</em>, p.20). N’est-ce pas d’ailleurs un mari inconsolable qui composa <em>Le Tombeau des Regrets</em> dans <em>Tous les matins du monde</em>? Pour donner une répercussion plus adéquate à cette plainte, il ajoute «une corde basse [à sa viole] pour [la] doter d’une possibilité plus grave et […] lui procurer un tour plus mélancolique» (<em>Tous les matins du monde</em>, p.12). Cette affinité entre la souffrance et la musique est également relevée dans <em>Villa Amalia</em>:</p>
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<p>À la vérité, la musique d’Ann Hidden était simplement marquée par la douleur.</p>
<p>C’était une douleur toute simple.</p>
<p>C’était la douleur inconsolable qui fait le fond du jour qu’on découvre.</p>
<p>Pudique, elle tournait en rond –rond qui tournait court dans un brusque abîme se souvenant de l’ombre (p.276).</p>
</blockquote>
<p>Les compositions musicales suscitent nombre de pleurs, car elles provoquent «une tristesse trop grande, vertigineuse, qui ne cessait pas, qui même s’accroissait» (<em>Villa Amalia</em>, p.170), allant jusqu’à finalement faire s’accorder les pleurs des musiciens à la dernière scène de <em>Tous les matins du monde</em> ou étouffer avec difficulté les sanglots de Charles Chenogne dans <em>Le Salon du Wurtemberg</em>: «Et alors que je me souviens, que j’écoute en moi ce minuscule fragment de comptine, je ne pleure pas mais ma lèvre frémit» (p.37). La beauté de la musique semble donc être liée à une blessure qui envahit l’âme. C’est l’idée d’une «percussion douloureuse, d’une efficacité insensée sur l’âme» (<em>Vie secrète</em>, p.35) qui terrifie l’auditeur au point que l’écoute en devient insupportable.</p>
<p>La musique est liée à la douleur parce qu’elle permet la rencontre improbable avec le souvenir, cette altérité refoulée. En s’accordant avec le rythme du corps, elle offre un écho à cet état de souffrance en se substituant à une parole défaillante. Aussi, dans l’œuvre de Quignard, le musicien se tient-il «sur les rives du Gémissement» (<em>Triomphe du Temps</em>, p.46) et lance-t-il un appel empreint de désespoir et de déchirement vers le disparu, cette altérité invisible.</p>
<p>Car la musique n’est-elle pas à l’origine un cri, un cri lancé comme un appel? N’est-ce pas d’ailleurs Diderot qui a écrit dans <em>Les Bijoux indispensables</em>, <em>Le Neveu de Rameau</em> et plusieurs autres textes, que le chant est né «du cri animal et indistinctif de la passion»? Peut-être faut-il rappeler que l’instrument de musique est, dans l’œuvre de Quignard, un substitut de la voix humaine puisque les instruments à cordes ont la troublante particularité de ressembler au souffle de la voix humaine: la viole de Sainte Colombe peut «imiter toutes les inflexions de la voix humaine» (<em>Tous les matins du monde</em>, p.13). Cela me permet d’arriver au deuxième pouvoir accordé à la musique dans les œuvres de Quignard: la musique possède la force d’un appel.</p>
<p>Car le musicien, explique Quignard, est celui qui hèle, «celui qui s’est fait une spécialité de ce verbe, héler» (<em>La Leçon de musique</em>, p.54). Or héler, c’est interpeler, c’est appeler au loin. Comme Sainte Colombe, comme Charles Chenogne pour qui les «sons […] hèlent un souvenir» (<em>Tous les matins du monde</em>, p.337), ou comme Ann Hidden qui «hélait ses perdus» (<em>Villa Amalia</em>, p.277). C’est bien ce que découvre le musicien chez Quignard: le sens même que peut avoir la musique en tant que <em>médium</em> –ses effets médiumniques et chamaniques. Au-delà de ce que les mythes relatent, outre la réflexion anthropologique associée à la réflexion musicologique, la musique détermine la force d’un appel: «Je hèle, je vous le jure, je hèle avec ma main une chose invisible» (<em>Tous les matins du monde</em>, p.74). Ainsi la musique serait-elle la formulation d’une convocation: l’instrument remplace la voix modifiée par la mue et sert d’«appeau» (<em>La Haine de la musique</em>, p.177) vers le disparu. D’où son aptitude à appeler les morts par un appel qui serait presque incantatoire. En ce sens, ainsi que le pensait Bloch, «la musique commence par être nostalgique et fait ses débuts comme <em>appel lancé à l’adresse de ce qui manque</em>» (1991, p.174).</p>
<p>Ces appels lancés vers l’absent, qui ne sont destinés «à personne –surtout pas à ceux qu’ils appellent (parce qu’il faut bien avouer que tous ceux qu’ils appelleraient, s’ils appelaient, sont morts)» (<em>Villa Amalia</em>, p.223), ces appels prennent conséquemment la forme d’un <em>desideratum</em>: dire le manque et le désir par la musique.</p>
<p>En véritable rhétorique de l’indicible, la musique est présentée comme «un appel qui dresse, une sommation temporelle, un dynamisme qui ébranle, qui fait se déplacer, qui fait se lever et se diriger vers la source sonore» (<em>Boutès</em>, p.13). Car «[o]uïr, c’est obéir», précise Quignard dans <em>La Haine de la musique</em>, en développant à partir de l’étymologie du verbe <em>écouter</em> un lien direct entre l’audition (<em>audientia</em>) et l’obéissance (<em>obaudientia</em>) (p.108). Parce que: «1. La musique convoque au lieu où elle a lieu, 2. elle assujettit les rythmes biologiques jusqu’à la danse, 3. fait tomber par terre, dans le cercle de la transe, le mugissement qui parle dans le chaman» (p.180). Ces réflexions l’amènent à conclure que la «fonction secrète de la musique est convocative» (p.208).</p>
<p>Le propre de la musique est donc de héler quelque chose d’égaré, ailleurs, autre part, dans un autre monde, dans un temps plus ancien, et de le faire venir à l’endroit de la tentation. Appel lancé comme une sommation et qui fait apparaître le passé au sein du présent. La pratique musicale est le coup d’archet vécu comme le déchirement d’«un petit morceau» du «cœur vivant» (<em>Tous les matins du monde</em>, p.75). Et c’est peut-être parce qu’elle trouve sa source dans la souffrance qu’elle touche l’âme aussi profondément et devient le seuil de la communication entre deux mondes, un lié au monde du réel, du tangible et du dicible, et l’autre, associé au monde du fantasme, de l’invisible et de l’indicible. Aussi la musique tend-elle moins vers l’altérité qu’elle n’est l’expression douloureuse de l’absence, de l’ombre de l’Autre qui est enseveli dans un passé, un souvenir, une mémoire qui prend la forme d’un «rêve-souhait sonore» (Bloch, 1991, p.175). De la perte au fantasme, il n’y a qu’une rivière à traverser et le musicien se propose d’en assurer le passage.</p>
<p>Sur ce point en particulier, Quignard propose même de faire du musicien la figure du célèbre nocher Charon, le symbole par excellence du passeur des mondes, dans de nombreuses séquences romanesques lors desquelles le musicien est celui qui assure la traversée du temps, du monde des morts et des vivants (<em>Le Salon du Wurtemberg</em>, <em>Tous les matins du monde</em>, <em>Villa Amalia</em>, <em>Les Escaliers de Chambord</em>). Car en fin de compte, c’est un véritable voyage qu’entame et guide la musique. Plus fondamentalement, l’entreprise artistique de Charles Chenogne, d’Ann Hidden, de Sainte Colombe ou de Marin Marais permet de voyager dans le temps et dans l’espace afin de susciter l’ombre errante d’une disparition. Et, effectivement, tout comme l’illustre avec conviction le mythe d’Orphée auquel il est fait maintes allusions dans l’œuvre de Quignard, la musique est une convocation à laquelle il est difficile d’échapper; elle possède un pouvoir de persuasion envoûtant puisque faisant appel au sonore, à l’ouïe –les oreilles n’ont pas de paupière nous rappelle-t-on dans <em>La Leçon de musique</em> justement–, et le son est ce qui pénètre au plus profond de l’homme et a la force de traverser toutes les cloisons. Le musicien «ouvre à un au-delà du sens» (<em>Vie secrète</em>, p.184), libère une brèche vers le perdu, le disparu, le désiré. Faille qui semble accessible tout spécialement aux musiciens, car «le signifiant sidérant est le passeur (ce qui fait passer la passion au réel inaccessible, à l’autre côté du monde)» (<em>Vie secrète</em>, p.184).</p>
<p>Tout comme la lyre d’Orphée a réussi à ouvrir les portes des Enfers, la musique ouvre à l’homme un royaume inconnu dans lequel il s’abandonne à un indicible et à un invisible. La force magique de la musique, son enchantement, se manifeste à la manière de l’élixir merveilleux des sages et conduit au-delà du monde tangible et externe. C’est en des termes similaires que la compositrice Ann Hidden décrit son expérience d’écoute musicale dans <em>Villa Amalia</em>: «Le monde intérieur s’ouvrit ainsi en moi. Par cette ouverture obscure mon esprit prit l’habitude de passer, quitter la terre, quitter l’espace externe» (p.172).</p>
<p>La transgression des frontières entre le vivant et la mort, d’une part, et l’enchantement au sens de transport métamorphique des sons, d’autre part, n’offrent pas seulement des développements thématiques aux œuvres quignardiennes; ils désignent l’aboutissement d’une entreprise artistique capable de restituer cet <em>effet de présence</em> dont parle Bloch à partir de <em>ce qui a disparu</em>: «Chaque musique a quelque chose à voir avec quelqu’un que nous avons perdu», rappelle-t-on dans <em>Boutès</em> (p.81). Avec la musique, Charles Chenogne, Ann Hidden, Sainte Colombe ou Marin Marais voyagent dans le temps et dans l’espace, suscitant les <em>ombres errantes</em> d’un perdu. Cette relation singulière entre musique et absence trouve encore une fois un écho éloquent dans la mythologie: «Eurydice ne représente rien d’autre que cette dépendance magique qui hors du chant fait de lui une ombre» (Blanchot, 1955, p.227). Cette présence est d’autant plus volatile que les fantômes se distinguent «à l'impuissance où sont leurs corps disparus de porter une ombre sur les choses» (<em>Une gêne technique à l’égard des fragments</em>, p.40). Le fantôme n’est que du vent vers qui est porté le son de la musique, tel que le précise Madame de Sainte Colombe à un époux déçu de ne pouvoir la toucher:</p>
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<p>«- Il n’y a rien, Monsieur, à toucher que du vent.»</p>
<p>Elle parlait lentement comme font les morts. Elle ajouta:</p>
<p>«Croyez-vous qu’il n’y a pas de souffrance à être du vent? Quelquefois ce vent porte jusqu’à nous des bribes de musique. Quelquefois la lumière porte jusqu’à vos regards des morceaux de nos apparences» (<em>Tous les matins du monde</em>, p.91).</p>
</blockquote>
<p>Et effectivement, dans la noirceur à laquelle ils sont confinés, l’invisibilité qui est leur monde, seuls l’écho des sons et l’appel de la musique permettent aux fantômes de se guider, de se déplacer. Cela vient appuyer la fonction intrinsèque que Quignard fait jouer à la musique et son lien avec le passé en rappelant la première demeure utérine de l’<em>infans</em> et la première grotte originaire de l’Homme.</p>
<p>La musique ne ramène pas l’individu, n’a pas le pouvoir de redonner vie, mais crée plutôt une sorte d’anamnèse. Car la musique ne «re-présente rien: elle re-sent» (<em>Boutès</em>, p.21). C’est donc dire qu’elle permet de résoudre l’oxymore présent-absent par le souvenir de l’être disparu qui fait ressortir l’absence qu’elle sous-tend, en ravivant momentanément sa présence, de ressentir une intense impression de présence dans cette absence.</p>
<p>C’est ainsi que le disparu, le perdu, l’oublié, le désiré, l’absent, le passé deviennent un véritable <em>agrégat</em> <em>mémoriel</em>, en ce sens qu’ils se développent plus fréquemment autour du son que du sens –exactement comme les comptines ou les bribes de chansons qui tarabustent les personnages du <em>Salon du Wurtemberg</em> ou les bégaiements et les tics de langages répétés qui deviennent des traits de personnalité chez d’autres personnages romanesques. Le fantôme se développe ainsi à l’image de la musique, dans l’invisible, l’affect et la mémoire. </p>
<p><span style="color:#696969;"><strong>Le portrait du musicien en chaman </strong></span></p>
<p>Ces pouvoirs associés à la musique demeurent toutefois tributaires de la magie de l’interprétation par le musicien. C’est véritablement à celui-ci que revient l’art de maîtriser et de jouer de ces pouvoirs. Quignard envisage d’ailleurs le musicien comme une sorte de magicien incarné par le chaman. La figure du chaman, ce grand «maître de l’extase» (Eliade, 1968, p.22), se trouve chez le musicien quignardien en «spécialiste d’une transe» (Eliade, 1968, p.23) associée aux «terreurs princeps» (<em>Villa Amalia</em>, p.170), aux «tristesses abyssales» (<em>Villa Amalia</em>, p. 70) qu’Ann Hidden, la compositrice de <em>Villa Amalia</em>, utilise pour décrire l’effet que produisit sa première écoute musicale. Sa réaction relève d’une intense réaction physique qui va au-delà d’un simple état d’esprit ou d’une émotion exaltée à l’extrême: «Ce n’était pas psychologique. Je ne sais pas de quoi mon corps tremblait» (p.171). Et voilà décrite avec précision l’expérience musicale comme telle: «Chaque fois que ma gorge se serrait, ma peau se hérissait, le muscle de mon cœur tremblait, j’avais envie de sangloter, je ne savais plus comment respirer, j’étais submergée» (p.172).</p>
<p>En ce sens, les figures musiciennes des romans de Quignard sont immanquablement présentées sous les traits d’une personne «singulière» (<em>Villa Amalia</em>, p.34) dotée d’«un caractère étrange» (p.35), d’un être «ombrageux» (<em>Le Salon du Wurtemberg</em>, p.241), mutique et «taciturne» (<em>Tous les matins du monde</em>, p.11), qui ne peut que «se mordre les lèvres» (<em>Vie secrète</em>, p.38), aux «aguets» (<em>Les Escaliers de Chambord, </em>p.97), en «err[ant] dans ce monde» (p.45). Le musicien est clairement et textuellement décrit comme quelqu’un qui a «l’air de venir d’un autre monde» (<em>Villa Amalia</em>, p.198), un être appartenant «à une autre espèce, à une autre planète, à un autre millénaire» (<em>Les Escaliers de Chambord, </em>p.101). Le musicien apparaît donc, pour Pascal Quignard, étrangement marqué de singularité et muni d’un caractère insolite, un individu différent qui vit en marge de la société. Cette marge symbolise déjà la position stratégique qu’occupent les figures de musiciens dont la <em>praxis </em>musicale permet de susciter les émotions les plus vives et les plus intenses. Si je propose l’hypothèse selon laquelle l’expérience musicale, dans les œuvres de Pascal Quignard, est vécue comme un «voyage chamanique» (<em>Vie secrète</em>, p.407), c’est que, pour l’écrivain, «le musicien européen est un chaman qui se réveille après son rêve» (p.60). Car le<em> vrai</em>, <em>le bon</em> musicien, d’après les leçons de musique quignardiennes, est celui qui peut déclencher les pouvoirs enchanteurs de la musique.</p>
<p>Si l’expérience chamanique est bien, selon la définition proposée par Mircea Eliade, celle d’une extase reproduisant «une “situation” primordiale, accessible au reste des humains uniquement par la mort» (1968, p.383), le musicien de Quignard devient aisément cette figure récurrente guidant les revenants dans leurs mutations entre deux mondes. Il parvient ainsi à réactualiser le mythe du musicien de Pan à Orphée en reprenant un rite de passage de frontière. Au fur et à mesure qu’on avance dans l’œuvre de Quignard, on s’aperçoit que le musicien mène une vie de chaman, qu’il possède autorité et pouvoir inusités, et ce, de plus d’une façon: après avoir traversé lui-même les frontières «entre langage et silence» (<em>Vie secrète</em>, p.468), il creuse une voie fragile entre le visible et l’invisible, trace un passage entre la fiction et le fait historique, entre le songe et le réel, entre le récit réaliste et l’épisode fantastique, entre le présent et le passé, entre «le cœur et l’expiration, la synchronie et la diachronie» (p.470). En ce sens, l’exécution musicale crée un effet de présence de l’absence, du perdu ou du disparu. Pascal Quignard insistera d’ailleurs aussi sur la figure du chaman qui, par la sidération, accède à l’invisible.</p>
<p>Ainsi donc, le musicien-chaman lance l’appel, convoque et assure la traversée des mondes frontaliers à la réalité, car il est avant tout un «un accélérateur du transport, du temps, c’est-à-dire de la métaphore, de la métamorphose. Enfin, il est le plus sonore des sonores. Son territoire est de l’air borné de chants» (<em>La Haine de la musique</em>, p.179). L’explication de Pascal Quignard laisse entendre que la «musique a une fonction précise dans le chamanisme et ne concerne que le linguiste: c’est le cri déclencheur de la transe, comme la respiration est déclenchée à la naissance dans le cri» (<em>La Haine de la musique</em>, p.120-121). Elle donne un second souffle de vie.</p>
<p><span style="color:#696969;"><strong>Revenants et scènes musicales </strong></span></p>
<p>Si ce parcours m’a amenée à révéler, dans le rapport entre musique et revenant, le sillon de chemins invisibles entre deux mondes, l’un réel, tangible et social, et l’autre, pour sa part, ancré dans la mémoire, le fantasme et l’indicible, il me permet également d’avancer vers l’argument nodal d’une poétique musicale dans son rapport avec les phénomènes de revenance. En traçant un passage entre le monde des morts et celui des vivants, la musique est l’entaille sonore de ce déchirement, mais aussi l’instrument d’une nouvelle rencontre, à la fois heureuse et douloureuse. Car si Charon transporte vers la mort, la musique, quant à elle, opère inversement et ramène vers le vivant, vers la mémoire.</p>
<p>Il y a tout d’abord une série de scènes explicites où le musicien, par sa pratique instrumentale, fait revenir un mort. On pense bien évidemment à Sainte Colombe interprétant le <em>Tombeau des Regrets</em>, œuvre qu’il avait composée à la mort de sa femme et qui crée ces scènes dignes d’un véritable roman fantastique, lors desquelles le fantôme de sa femme disparue réapparaît au son de la musique:</p>
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<p>Tandis que le chant montait, près de la porte une femme très pâle apparut qui lui souriait tout en posant le doigt sur son sourire en signe qu’elle ne parlerait pas et qu’il ne se dérangeât pas de ce qu’il était en train de faire. Elle contourna en silence le pupitre de Monsieur de Sainte Colombe. Elle s’assit sur le coffre à musique qui était dans le coin auprès de la table et du flacon de vin et elle l’écouta.</p>
<p>C’était sa femme et ses larmes coulaient. Quand il leva les paupières, après qu’il eut terminé d’interpréter son morceau, elle n’était plus là (<em>Tous les matins du monde</em>, p.36-37).</p>
</blockquote>
<p>Celle-ci effectue neuf «visitations» dans le court roman et à chacune d’elles une expérience musicale est à sa source. Pareille expérience anime la pratique musicale d’Ann Hidden qui retrouve soudainement la compagnie de ses disparus: </p>
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<p>J’ouvris le clavier et je me mis à jouer. L’instrument était magnifique, hélas un peu étouffé par le mobilier, le volume de la pièce, les tentures.</p>
<p>Je n’étais plus avec Juliette, je n’étais plus à Ischia.</p>
<p>J’étais avec mes sœurs mortes.</p>
<p>J’étais à Bergheim (<em>Villa Amalia</em>, p.212).</p>
</blockquote>
<p>C’est encore dans une mise en scène musicale que le vieil ami décédé visite le violiste Charles Chenogne: «Seinecé m’apparaissait en songe, un peu chaman, dans la douleur, entrant dans le petit bureau où je m’exerçais aux violes –c’était Egbert Heminghos sortant d’un cauchemar» (<em>Le Salon du Wurtemberg</em>, p.304).</p>
<p>Or, si les liens entre la musique et la «visitation» des morts sont fort nombreux pour appuyer mon argumentation, c’est le contre-exemple du roman <em>Les Escaliers de Chambord</em> qui me semble le plus à même d’illustrer l’importance de la musique dans le phénomène de revenance chez Quignard.</p>
<p>Le personnage d’Édouard Furfooz retiendra ici mon attention. Ce personnage qui n’aime pas la musique, ce mélophobe des romans quignardiens, est littéralement tarabusté par une forme revenante avec laquelle il ne peut entrer en relation. La première partie du roman illustre bien cette hantise empreinte de frustration et d’inapaisement que vit le collectionneur de jouets anciens. Or, il est possible de trouver dans la diégèse nombre croissant de situations intégrant la musique dans sa vie, sinon au premier plan, du moins dans un contexte suffisant à faire croire qu’il se trouve délivré lorsqu’il connaît une <em>forme d’expérience musicale</em>, soit même celle aussi simple que d’avoir une musicienne dans sa vie, un instrument de musique à sa portée ou un souvenir qui fredonne inlassablement et tourmente la mémoire et l’esprit.</p>
<p>D’emblée, le personnage est présenté par le détail inouï de son aversion pour la musique: «Édouard détestait les sons. Il haïssait jusqu’à l’idée de musique» (p.14). Cette profonde aversion contre la musique n’a pas nécessairement pour conséquence de l’isoler de «l’autre monde», mais surtout de lui en priver l’accès, lui barrant le passage entre les deux mondes. Son quotidien se trouvera ainsi hanté par des «chuchotements» (p.72), des sensations d’être suivi, pourchassé, obsédé, «poursuivi[...] à la trace où qu’il allât» (p.125). Les impressions se multiplient tout au long du récit mais demeurent floues et incompréhensibles. Cette ombre qui semble le hanter, il ne la connaît pas, il ne la <em>reconnaît</em> pas. L’accès à ce souvenir semble bloqué, contrairement aux nombreux épisodes des autres romans lors desquels le personnage est tarabusté par un souvenir et sa mémoire s’éclaire, par le biais d’une expérience musicale, pour faire face au sens, aux mots, au signe qu’il tente de retrouver. Ici, l’obscurité demeure totale, Édouard Furfooz évolue perplexe et intrigué par ce signe qui ne cesse de ne pas aboutir. C’est que, de la nuit de sa mémoire «quelque chose le hélait et il ne savait quoi» (p.36). De fait, nombreux sont dans le roman les signes par lesquels se manifeste le caractère itératif de ces anamnèses qui n’aboutissent pas. Ainsi, de sa première visitation floue il n’arrive à saisir la voix qui l’«appelait au loin en pleurant» (p.36) et demeure par la suite empreint de «l’impression confuse que quelqu’un le recherchait» (p.45). Mais il n’arrive jamais à semer ce «suiveur imaginaire» (p.45).</p>
<p>Ce souvenir perdu est le nom de la petite amie qu’il a aimée lorsqu’il était enfant et qu’il a vue périr noyée. Il faut comprendre en fait que le passage entre les deux univers, entre le monde des morts et celui des vivants, entre le réalisme et le fantastique, entre le rêve et le fantasme, ne peut se faire dans l’univers quignardien sans «ritournelle» musicale. Si le revenant est celui qui frappe trois coups avant d’apparaître (<em>La Haine de la musique</em>, p.73), il nécessite l’intervention du musicien pour se manifester. C’est justement cette expérience musicale que je tente de creuser qui vient graduellement guider le voyage du personnage.</p>
<p>Un premier signe se manifeste lorsque «[b]rusquement, le corps tremblant faiblement», Édouard Furfooz s’éloigne de l’ombre d’un souvenir qui l’envahit, et voilà finalement la musicienne qui se manifeste subtilement:</p>
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<p>[il] murmurait le nom de Laurence comme un brahmane la formulette à la fois indifférente et divine d’un mantra. Il quitta brusquement ce lieu. Il ressentait physiquement que les deux syllabes de ce nom venaient de bouleverser le monde. Il ressentait que quelque chose l’attendait qui compterait plus que toute sa vie et allait en modifier le cours (<em>Les Escaliers de Chambord</em>, p.73).</p>
</blockquote>
<p>Je précise que Laurence, son amante, est une pianiste accomplie et qu’il est mentionné dans le texte qu’elle voue «plus de quatre heures chaque jour à l’étude du piano» (p.76). Apparaît alors toute la force de la formule magique du nom de la musicienne qui entame le voyage chamanique vers le perdu. Il me faut encore ajouter que cette petite disparue était elle-même musicienne et que, dans la grande majorité de ses «visitations», elle apparaît sur son banc de piano en train de jouer de la musique.</p>
<p>Ce n’est que plus tard qu’un autre incident vient encore éclairer les ténèbres de sa mémoire. C’est un événement tout simple, qui serait anodin mais qui devient fort révélateur dans notre contexte. Édouard reçoit la visite de façon plus claire de la petite fille qui le hante depuis longtemps avec autant d’insistance, et l’élément déclencheur est simplement le contact brutal avec l’instrument de musique:</p>
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<p>Il se releva et tout en portant sa main gauche à sa hanche qui avait heurté le piano du premier salon il eut une nouvelle vision en un éclair. C’était la petite fille de l’école de la rue Michelet qui avait tourné son visage vers lui. Mais il ne parvenait pas à voir les traits de ce visage. Il ne voyait que le regard, deux yeux magnifiques et intenses, des yeux marron. Elle lui prenait la main (p.124-125).</p>
</blockquote>
<p>Au bout du long cheminement d’écoute, Édouard Furfooz connecte avec son passé, avec ce fredon de souvenir qui le tarabustait par un long itinéraire parsemé d’instruments de musique, de musiciennes et surtout de la musique de la langue qui taraude et se joue entre le récit linéaire et les épisodes cycliques, les leitmotive et un contrepoint de deux histoires parallèles.</p>
<p>J’ai essayé de montrer ici comment la musique pouvait devenir la langue des souvenirs. À noter que de «cette vie antérieure, la musique [en] porte la “rémanence” comme une “trace sonore”, et cela fait d’elle un art qui non seulement garde un cordon ombilical avec l’antériorité perdue mais la traite sans recours à la représentation», explique Midori Ogawa (2011, p.161). La musique témoigne, par ce fait, de l’importance du passé, de «l’avant-monde» dans l’œuvre de Quignard, et de la tension invisible qui le lie avec l’art. En somme, comme le note Jean Fisette, la musique formule la tension entre un désir présent et un bonheur perdu, ce qui semble, selon lui, le «fondement de toute démarche créatrice» (1997, p.96).</p>
<p><span style="color:#696969;"><strong>Dire le manque et le désir par la musique</strong></span></p>
<p>Si j’ai tenté de traquer le jeu des associations et des liens entre la musique et le revenant dans l’œuvre romanesque de Quignard, c’était avant tout pour révéler cet intervalle signifiant des références et mises en scènes musicales en lien avec les «visitations» du passé. J’ai pu montrer comment ce lien s’instaurait et se développait dans la poétique de Quignard. Pour clore cette excursion musico-littéraire, il me reste toutefois à soulever la question du pourquoi d’une telle démarche et esquisser quelques-uns des rôles que vient jouer cette alliance musique/revenant dans l’œuvre romanesque de Quignard.</p>
<p>L’apparition du revenant, brève suspension des réalités spatiales et temporelles, permet dès lors de formuler l’adieu, de laisser partir, d’accepter la séparation. La compositrice Ann Hidden explique ce rituel lors duquel on «faisait ses adieux au piano» (<em>Villa Amalia</em>, p.90), parce que «l’adieu même est lié à la musique comme la non-synchronie de deux rythmes», précise Quignard dans <em>Vie secrète </em>(p.378). La musique permet à la fois de préserver de l’oubli et d’énoncer l’ultime séparation:</p>
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<p>Par tradition familiale (sa mère faisait ainsi, son grand-père maternel faisait ainsi, son père avait dû se soumettre lui aussi à cette règle particulière, elle avait aussi vu sa grand-mère faire de même dans l’appartement de Rennes), on faisait ses adieux au piano. Chaque famille a ses rituels très vite inintelligibles. On posait les valises l’une à côté de l’autre dans l’entrée, on mettait sur elles le manteau ou l’imperméable et –sur l’imperméable – le chapeau, on se mettait au piano et on jouait une pièce pour dire au revoir. On n’embrassait pas. On s’enfuyait alors sans un mot alors que l’espace résonnait encore de musique (<em>Villa Amalia</em>, p.90).</p>
</blockquote>
<p>Dans cet au revoir, dans cette sorte d’énonciation de l’adieu, s’inscrit parfois une seconde fonction visant à rendre justice au passé. Pour Quignard, il y a des oubliés au souvenir du monde. Le romancier se doit alors de</p>
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<p>céder un peu d’eau pure, c’est-à-dire un peu de langue écrite, aux vieux noms qu’on ne prononce plus. Il faut se pencher et exhumer les tombes qui se sont perdues dans les herbes et les siècles et les pierres. Il faut ouvrir un instant la porte d’un livre à ces héros de la vie légendaire ou à ces fantômes de la vie historiques qui ont été délaissés [...] (<em>Boutès</em>, p.29).</p>
</blockquote>
<p>Aussi, lorsqu’il nous parle de Sainte Colombe, de Marais, veut-il également rendre justice aux oubliés de l’histoire en leur donnant un nouveau souffle de vie, geste répété par la compositrice de <em>Villa Amalia</em>: «À mon tour j’aime bien transmettre ce qui fut oublié» (p.277). Le musicien quignardien apparaît comme étant le mieux à même d’assurer la liaison, de faire des liens (<em>Les Escaliers de Chambord</em>), de favoriser la traversée, d’ouvrir le passage secret (<em>Vie secrète</em>), de «désharmoniser» (<em>Villa Amalia</em>).</p>
<p>C’est en définitive le roman lui-même qui est visé par des linéarités temporelle et narrative du récit entremêlées par les anamnèses. C’est parce que le son ne connaît pas de dichotomie spatiale entre intériorité et extériorité qu’il permet de <em>voyager</em>. Cette traversée musicale représente, avant tout, la traversée d’un seuil sonore; elle joue avec les frontières temporelles (mémoire) et spatiales (ce qui est lointain et invisible devient soudain proche et visible). La musique, de même que toute expérience musicale, a ceci de particulier que, comme l’écrit Quignard dans <em>La Haine de la musique</em>, elle «[introduit] du retard dans l’immédiat» (p.33), donc de la mémoire. Elle permet alors, en quelque sorte, la rétention. Ainsi, Monsieur de Sainte Colombe avec le <em>Tombeau des Regrets</em>, et sa musique en général, ne cesse de préserver, indéfiniment et à chaque nouvelle écoute, le fantôme de sa femme défunte. Avec la musique, l’espace/temps créé ne coïncide pas avec celui du monde réel: c’est un espace imaginaire, «dans une espèce de zone de transition à mi-chemin entre le fantasme et l’hallucinat» (<em>Écrits de l’éphémère</em>, p.245). Lieux, temps: rien n’est fixe, tout devient mouvant et bascule dans une indétermination qui fait du musicien un errant hors de lui-même. Jouer ou écouter, c’est se laisser attirer vers l’espace sonore; c’est, par le même mouvement, être rejeté dans et hors du monde.</p>
<p>C’est également le jeu entre fiction et réalité, réalisme et fantasmagorie, genre musical et genre littéraire qui est perturbé par cette pratique inusitée d’un passé mis en musique dans le texte. L’expérience musicale travaille conjointement à l’écriture. À la fin du <em>Salon du Wurtemberg</em>, Charles Chenogne laisse tomber la musique et s’oriente peu à peu vers l’écriture: «Ici je ne fais plus de musique. […] Pour la première fois de ma vie, je ne traduisais pas, je n’interprétais pas un morceau. Je suis le morceau. J’ai transcrit ma vie» (p.423-424). Au-delà des références singulières et des descriptions de pratiques musicales, la musique met ensemble divers éléments qui forment une sorte d’appel pour l’écriture. La thèse développée, en filigrane et en creux par les textes quignardiens, pourrait se résumer ainsi: «La musique est simplement là pour parler de ce dont la parole ne peut parler. En ce sens elle n’est pas tout à fait humaine» (<em>Tous les matins du monde</em>, p.113). Cette conception particulière de la musique sert de relais quand la parole, les mots, atteignent une limite de l’expérience humaine, la frontière du dicible. La musique sous forme de métaphore, de symbole, avec sa mythologie, parvient à révéler, à faire entrevoir, à faire connaître ce que les frontières du langage maintenaient inaccessible. Ce n’est pas la musique en tant que telle, mais ici une certaine idée de la musique qui est une élégie, un cri de deuil lancé en direction d’une perte inénarrable et informulable autrement. Chez Quignard c'est la littérature dans son entier qui, à travers ce prétexte musical, se laisse ici penser, et là où l’ouverture de l’un compense les limites de l’autre, on touche un «rapport singulier au savoir» (Rabaté, 2008, p.156). La musique, sans être une fin en soi, permet alors une ouverture vers un autre art, un autre monde, un autre temps. Le revenant, par un jeu d’écho polysémique, associe de ce fait, par un chemin d’initiation chamanique, traversée des frontières, écriture et musique.</p>
<p> </p>
<p><span style="color:#696969;"><strong>Bibliographie</strong></span></p>
<p>BLANCHOT, Maurice, <em>L’Espace littéraire</em>, Paris, Gallimard, coll. «Folio», 1955.</p>
<p>BLOCH, Ernst, <em>Le Principe espérance III. Les images souhaits de l’Instant exaucé</em>, Paris, Gallimard, 1991.</p>
<p>ELIADE, Mircea, <em>Le Chamanisme et les techniques archaïques de l’extase</em>, Paris, Payot, 1968.</p>
<p>FISETTE Jean, «Faire parler la musique… à propos de <em>Tous les matins du monde</em>», <em>Protée</em>, vol.25, n<sup>o</sup>2, automne 1997, p.85-96.</p>
<p>OGAWA, Midori, «Tout est couvert du sang lié au son», dans Mireille Calle-Gruber, Gilles Declercq et Stella Spriet [dir.], <em>Pascal Quignard <em>ou</em> la littérature démembrée par les muses</em>, Paris, Presses Sorbonne nouvelle, 2011, p.161-170.</p>
<p>QUIGNARD, Pascal, <em>Le Salon du Wurtemberg</em>, Paris, Gallimard, coll. «Folio», 1989.</p>
<p>—, <em>Tous les matins du monde</em>, Paris, Gallimard, coll. «Folio», 1998.</p>
<p>—, <em>Vie secrète</em>, Paris, Gallimard, coll. «Folio», 1998.</p>
<p>—, <em>Les Escaliers de Chambord</em>, Paris Gallimard, coll. «Folio», 2002.</p>
<p>—, <em>Une gêne technique à l’égard des fragments</em>, Paris, Galilée, coll. «Lignes fictives», 2005.</p>
<p>—, <em>La Leçon de musique</em>, Paris, Gallimard, coll. «Folio», 2005.</p>
<p>—, <em>Écrits de l’éphémère</em>, Paris, Galilée, 2005.</p>
<p>—, <em>La Haine de la musique</em>, Paris, Gallimard, coll. «Folio», 2006.</p>
<p>—, <em>Triomphe du temps</em>, Paris, Galilée, 2006.</p>
<p>—, <em>Villa Amalia</em>, Paris, Gallimard, coll. «Folio», 2007.</p>
<p>—, <em>Boutès</em>, Paris, Galilée, coll. «Lignes fictives», 2008.</p>
<p>RABATÉ, Dominique, <em>Pascal Quignard, étude de l’œuvre</em>, Paris, Bordas, 2008.</p>
<p>ROUSSET, Jean, <em>La Littérature de l’âge baroque en France. Circé et le paon</em>, Paris, José Corti, 1972.</p>
<p>STÉPANOFF, Charles, «La figure mythique du chamane dans ses représentations audiovisuelles occidentales», <em>Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines</em>, n<sup>o</sup>35, 2004, p.17-68.</p>
<p>SZENDY, Peter, <em>Membres fantômes: Des corps musiciens</em>, Paris, Éditions de Minuit, 2002.</p>
<p>TLEMSANI-CANTIN, Jawad, «La musique et les fantômes dans l’œuvre de Pascal Quignard», <em>Europe</em>, n<sup>o</sup>976-977, août-septembre 2010, p.41-51.</p>
<p>TURIN, Gaspard, «Entre centre et absence. Fragmentation et style chez Quignard», <em>Littérature</em>, n<sup>o</sup>153, mars 2009, p.86-101.</p>
http://salondouble.contemporain.info/antichambre/autour-dune-rh-torique-musicale-qui-convoque-les-morts#commentsBLANCHOT, MauriceDeuilELIADE, MirceaFISETTE, JeanFranceLangageMusiqueMythologie OGAWA, MidoriPoétiquePoétique musico-littéraireQUIGNARD, PascalRevenanceROUSSET, JeanSTÉPANOFF, CharlesSZENDY, PeterTLEMSANI-CANTIN, JawadTURIN, GaspardRomanFri, 22 Jun 2012 16:06:58 +0000Brigitte Fontille534 at http://salondouble.contemporain.infoRegards littéraires sur une crise du temps
http://salondouble.contemporain.info/antichambre/regards-litteraires-sur-une-crise-du-temps
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<a href="/equipe/brousseau-simon">Brousseau, Simon</a> </div>
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Intertextes et présentisme </div>
</div>
</div>
<!--break--><!--break--><p class="MsoNormal rteindent1" style="text-align: justify;"><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><em><span lang="FR">Tout a désormais un autre rythme, je vis déjà en dehors de la vie qui n’existe pas. Je m’arrête parfois pour regarder le cours des nuages, je regarde tout avec la curiosité flegmatique d’un diariste volubile et d’un promeneur fortuit : je sais que je fais rire, mais je marche d’un bon pas. Et quand j’écris à la maison, je me souviens des jours où, très jeune, assis à cette éternelle même table, j’ai commencé à écrire, ce qui, pour moi, signifiait me mettre à l’écart, m’arrêter, m’attarder, reculer, défaire, résister précisément à cette course mortelle, à cette vitesse frénétique générale qui, par la suite, a été aussi la mienne.</span></em></span><strong><span lang="FR"><a style="" name="_ftnref" title="" href="#_ftn1">[1]</a></span></strong><span lang="FR"><a style="" name="_ftnref" title="" href="#_ftn1"></a></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span lang="FR">Le 9 novembre 2009, nous soulignions les vingt ans de la chute du mur de Berlin. Si cet événement a été l’occasion de réjouissances à travers le monde, plusieurs penseurs ont proposé qu’il représente également de façon symbolique la fin des grandes utopies sociales. Il s’agit de l’une des bornes historiques à partir desquelles il est permis de penser l’émergence d’une expérience collective du temps <em>présentiste</em>, que l’historien François Hartog définit «comme [étant un] refermement sur le seul présent et point de vue du présent sur lui-même<a style="" href="#_ftn2" name="_ftnref" title=""><strong><span style="">[2]</span></strong></a>.» Zaki Laïdi ouvre son essai <em>Le sacre du présent</em> en insistant sur le fait que la chute du mur de Berlin a également occasionné l’écroulement d’un certain rapport au temps au profit de «l’homme-présent [qui] veut abolir le temps». Cet homme-présent, toujours selon Laïdi, est «[r]evenu de toutes les utopies sociales qu’il tend désormais à ravaler au rang d’illusions de masses, il radicalise son besoin d’utopie par la recherche d’un présent sans cesse reconduit, le présent éternel<a style="" name="_ftnref" title="" href="#_ftn3"><span class="msoIns"><ins cite="mailto:Pierre-Luc%20Landry" datetime="2010-08-19T10:34"><span style="">[3]</span></ins></span></a>.» Ainsi, en opposition au régime d’historicité traditionnel où le présent reconduit le passé et au régime d’historicité moderne, quant à lui tendu vers un avenir jugé prometteur, le présentisme serait un moment de crise où les rapports au passé et au futur sont précarisés au profit d’un présent immobile. Cette fragilisation de notre rapport au temps, loin d’être anodine, met en péril la capacité de l’individu à se figurer comme faisant partie d’un devenir collectif. Paul Zawadzki, dans son article «Malaise dans la temporalité. Dimensions d’une transformation anthropologique silencieuse», n’hésite pas à parler d’une crise du temps qui vient précariser le devenir collectif: «Si <em>crise du temps</em> il y a, cette crise porte sur l’inscription symbolique de l’individu dans un devenir et un sens commun qui lui permettraient de se penser comme contemporain de ses contemporains, autrement dit de <em>faire société</em><a style="" name="_ftnref" title="" href="#_ftn4"><strong><span style="">[4</span><span style="">]</span></strong></a>.»</span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span lang="FR"><o:p> <br />
</o:p></span><span lang="FR">Il ne me semble pas irréaliste de croire que cette crise du temps diagnostiquée par de nombreux penseurs se reflète dans la production littéraire contemporaine. L’importance des écritures autofictionnelles dans les dernières années, par exemple, pourrait être interrogée à l’aune de ce constat. Cependant, d’autres pratiques littéraires fragilisent l’équation. Je souhaite ici proposer une mise à l’épreuve de l’idée du présentisme contemporain par le biais d’une réflexion sur l’intertextualité. Le texte <em>Le mal de Montano</em> (2002) d’Enrique Vila-Matas, qui se construit en multipliant les références aux œuvres littéraires qui le précèdent, me permettra de questionner les rapports au temps qu’une écriture intertextuelle peut développer. J’interpréterai le regard sur le monde contemporain qui est véhiculé dans ce texte, pour ensuite interroger la signification d’une des idées centrales dans celui-ci, soit la nécessité pour le narrateur de lutter contre la mort de la littérature. Nous verrons que cette lutte entraîne un rapport particulier au temps. J’aborderai aussi la représentation dans ce texte de deux événements contemporains majeurs, soit le passage dans le XXIe siècle et les attentats du 11 septembre 2001, qui peuvent être considérés, à la suite de la chute du mur de Berlin, comme étant des moments phares dans la précarisation de notre rapport au temps. Cela me permettra de donner un bref aperçu de la relation singulière au présentisme qui s’instaure dans le cas d’une écriture intertextuelle. Évidemment, l’analyse d’un seul texte de fiction ne permet pas de tirer de grandes conclusions. J’espère ici, plus modestement, montrer qu’il peut être fructueux d’interpréter une œuvre littéraire en interrogeant le regard qu’elle véhicule sur l’expérience du temps qui semble dominer son époque, dans ce cas-ci le présentisme. </span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><strong><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><span lang="FR">I. Naître posthume : L’expérience intempestive de Rosario Girondo</span></span></strong></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span lang="FR"><span style=""> </span><em>Le mal de Montano</em> met en scène Rosario Girondo, un personnage narrateur obsédé par la littérature. Sa manie de tout voir à partir de la littérature est si forte qu’il devient irritant pour ses proches. S’il fallait résumer en une phrase l’intrigue de ce livre, comme l’a fait Genette avec le monument de Proust, je dirais ceci: «Rosario devient la mémoire de la littérature.» Cette nécessité pour Rosario d’incarner la mémoire de la littérature est motivée par une crainte qui parcourt l’ensemble du texte, soit l’imminence de la mort de la littérature. Rosario s’inquiète aussi du sort de l’humanité, dont l’avenir lui semble lié à celui des Lettres: «[J]e me suis demandé ce qu’il adviendra de nous quand, avec l’échec de l’humanisme dont nous ne sommes plus que les funambules déséquilibrés de la vieille corde coupée, disparaîtra la littérature.<a style="" name="_ftnref" title="" href="#_ftn5"><strong><span style="">[5]</span></strong></a>» Cette image étrange où des funambules se trouvent sur une vieille corde coupée fait admirablement écho à l’idée corollaire à la notion de présentisme selon laquelle la ligne du temps est rompue, réduisant le sujet contemporain à l’errance dans un présent éternel. Ce passage montre bien que le narrateur est conscient de la fin —ou du moins de l’agonie— de la foi humaniste contenue dans l’idée de progrès. Il est fascinant de voir à quel point cette idée de la mort de la littérature, largement commentée par la critique littéraire, de Blanchot<a style="" name="_ftnref" title="" href="#_ftn6"><strong><span style="">[6]</span></strong></a> à Maingueneau<a style="" name="_ftnref" title="" href="#_ftn7"><strong><span style="">[7]</span></strong></a> en passant par William Marx<a style="" name="_ftnref" title="" href="#_ftn8"><strong><span style="">[8]</span></strong></a>, est réinvestie par la fiction pour devenir, paradoxalement, le sujet d’une œuvre littéraire. En 2006, dans son essai intitulé<em> Contre Saint Proust ou la fin de la littérature</em>, Dominique Maingueneau affirmait ceci: «Symptôme de cette nouvelle condition de la création littéraire, la multiplication des œuvres qui prennent pour matière les œuvres déjà écrites. Par un léger mais décisif décalage, la relation entre la littérature et le monde contemporain s’affaiblit au profit de celle entre la littérature et le patrimoine littéraire. [...] Le pouvoir de fascination de la Littérature majuscule s’accroît au fur et à mesure qu’elle s’exténue<a style="" name="_ftnref" title="" href="#_ftn9"><strong><span style="">[9]</span></strong></a>.» Cette équation que Maingueneau établit et qui veut que la relation au monde contemporain s’affaiblisse lorsque la littérature prend le patrimoine littéraire comme matière à fabulation me semble inexacte, à tout le moins à la lecture du <em>Mal de Montano</em>. La fascination pour la littérature constitue ici un moyen fort pour établir un regard critique face au monde contemporain. Le lien avec celui-ci ne serait donc pas affaibli, comme le propose Maingueneau, mais plutôt une source de conflit qui renforce et multiplie les tensions. Contre un présent chronocentrique oublieux du passé et dont l’avenir est incertain, Rosario adopte une posture intempestive où l’actuel est jugé à l’aune du passé littéraire. Il est le dépositaire du passé littéraire, celui qui permet au passé d’introduire une faille dans le monolithe du présent. </span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span lang="FR">La fascination pour la littérature, dans le <em>Mal de Montan</em><em>o</em>, va de pair avec la critique de certains phénomènes reliés au présentisme. La scène où Rosario rencontre Teixeira, un homme étrange qui a abandonné la littérature pour devenir un thérapeute du rire, est exemplaire. Cet abandon de la littérature par Teixeira est rapidement associé par le narrateur à l’homme nouveau, à son désintérêt pour l’art et la littérature. Rosario affirme que «Teixera n’était pas, bien sûr, un artiste, mais un criminel moderne ou, plutôt l’homme à venir, à moins qu’il ne fût l’homme déjà venu, l’homme nouveau avec son indifférence à l’égard de l’art d’autrefois et d’aujourd’hui, un homme au rire amoral, déshumanisé. Un homme au rire de plastique, au rire de la mort.» (MM, p.111) De toute évidence, selon ce passage, l’homme contemporain est assimilé à une indifférence envers l’art et la littérature. N’est-il pas dès lors possible de penser que l’omniprésence de l’intertextualité soit un moyen mobilisé pour critiquer le présentisme et l’oubli de l’histoire littéraire qui le caractérise? Le texte de Vila-Matas invite à le croire! Quelques pages plus loin, Rosario décrit l’homme moderne en convoquant sa mémoire littéraire: «J’ai fait un suprême effort de concentration et pris grossièrement congé de l’homme sans qualités, de l’<em>homme disponible</em> —comme l’appelait Gide—, de l’homme moderne qui ne fait rien, du nihiliste de notre temps.» (MM, p.139) Les occurrences de cette critique de notre époque sont nombreuses dans le texte. De fait, Rosario tient ses contemporains pour responsables de la situation précaire de la littérature. C’est son ami Tongoy qui lui propose de mobiliser son obsession de la littérature au service d’une cause noble, celle de lutter contre la mort de la littérature. Il lui dit: «N’as-tu pas pensé qu’à l’époque où nous vivons, la pauvre littérature est assaillie par mille dangers, directement menacée de mort et qu’elle a besoin de ton aide?» (MM,<span class="msoIns"><ins cite="mailto:Pierre-Luc%20Landry" datetime="2010-08-19T10:57"> </ins></span>p.64) De fait, Rosario se donne pour mission d’aider la littérature à se défendre contre les dangers qui la guette, et il le fait en renversant l’idée selon laquelle l’homme contemporain risque de tuer la littérature. À ce danger bien présent, il oppose la force de la littérature qui a le pouvoir de sauver l’humanité. Remarquons dans ce passage que c’est encore une fois une œuvre littéraire qui est mobilisée dans l’argumentation de Rosario, qui cite les paroles d’Ulrich, un personnage de <em>L’homme sans qualités </em>de Robert Musil: </span></p>
<p class="MsoNormal rteindent1" style="text-align: justify;"><span lang="FR"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">«Notre vie devrait être totalement et uniquement littérature.» Applaudissements pour Ulrich. Je me demande pourquoi je serais si bête et ai cru pendant si longtemps que je devrais éradiquer mon mal de Montano, alors que celui-ci est la seule chose précieuse et vraiment confortable que je possède. Je me demande aussi pourquoi je dois me repentir d’être si littéraire alors que, tout compte fait, la littérature est le seul moyen de parvenir à sauver l’esprit à une époque aussi déplorable que la nôtre. Ma vie devrait être, une bonne fois pour toutes, totalement et uniquement littérature. (MM, p.251) </span></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span lang="FR">On le voit, l’utilisation du patrimoine littéraire dans une œuvre de fiction n’est pas nécessairement, comme le propose Maingueneau, le symptôme d’un affaiblissement de la relation au réel. Bien au contraire, l’écriture intertextuelle de Vila-Matas est motivée par un constat qui concerne la réalité: la littérature est menacée par l’oubli, et cet oubli est caractéristique de l’homme contemporain. L’exemple du <em>Mal de Montano</em> montre que ce n’est pas la littérature qui oublie la réalité, mais bien davantage notre expérience présentiste de temps qui nous mène à délaisser les trésors du passé. Le regard que porte Rosario sur ses contemporains étonne par sa proximité avec le constat de Zaki Laïdi qui affirme que «[l]e présent veut et prétend se suffire à lui-même. Il construit son autarcie en se montrant délibérément oublieux de sa genèse comme de son épanouissement<a style="" name="_ftnref" title="" href="#_ftn10"><strong><span style="">[10]</span></strong></a>.» Dans cet ordre d’idée, l’écriture intertextuelle implique un travail de mémoire qui est également un acte de résistance à l’égard du présentisme ambiant. En développant un imaginaire de la littérature, Vila-Matas crée une interface entre le sujet et le monde où le présent est largement investi par la mémoire, et par ce fait même propose une sorte de contrepoint au présentisme ambiant.</span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong><span lang="FR">II. Un mélancolique face à l’événement : Rilke et le nouveau millénaire, Kafka et les tours en flammes</span></strong></span><span lang="FR"> </span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><em><span lang="FR">Le Mal de Montano</span></em><span lang="FR"> met en scène deux événements historiques d’une grande importance : le passage à l’an 2000 et les attentats du 11 septembre 2001, à Manhattan. Dans les deux cas, ces événements sont relatés par Rosario en évoquant des souvenirs littéraires. Le rapport qu’il entretient avec ces événements apparaît empreint de mélancolie à l’égard d’un temps qui finit et d’inquiétude face à un temps qui commence. La description de ces événements historiques est d’abord le résultat d’une présence du passé<a style="" name="_ftnref" title="" href="#_ftn11"><strong><span style="">[11]</span></strong></a> qui semble motivée par une «absence de futur». </span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span lang="FR">Le passage à l’an 2000, on s’en souvient, a été l’occasion d’innombrables spéculations. Les ordinateurs seront-ils capables de franchir le seuil du nouveau millénaire ? Serait-ce la fin du monde tel que nous le connaissons ? Pour le dire simplement, nous vivions une période d’intense précarisation de notre rapport au futur, comme si le temps, littéralement, menaçait de s’arrêter. Ainsi, il est enrichissant d’analyser la représentation du passage à l’an 2000 qui se trouve dans <em>Le Mal de Montano</em>. À la veille du nouvel an, Rosario rumine ces sombres pensées:</span></p>
<p class="MsoNormal rteindent1" style="text-align: justify;"><span lang="FR"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Cette nuit, je pourrais écrire les vers les plus tristes, pensais-je en suivant les dessins de poussière dans l’air. Margot et Tongoy, voyant que j’étais mal, essayaient de me remonter le moral, mais j’avais l’âme très métaphysique tandis que je me promenais mentalement dans des espaces de poussière, des cimetières solitaires et des tombes pleines d’os muets. Et quand le Valparaíso électrique a pris fin, il m’a semblé que la nuit se transformait en un grand hôpital et, tel Rilke un jour, je me suis demandé: «Est-ce donc ici que les gens viennent vivre? Je dirais plutôt qu’ici on meurt.» J’ai regardé la mer et je n’ai vu qu’une larme noire fumante et, lentement, comme vaincu par le mal de Montano, j’ai été gagné par une mélancolie absolue. (MM, p.66)</span> </span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span lang="FR">Ce qui est frappant dans ce passage, c’est d’abord le lexique qui est déployé, entièrement tourné vers le passé. Il y est question de poussière, de cimetière, de tombe et d’ossements. C’est sous le signe d’une mélancolie absolue que Rosario décrit son expérience du temps qui passe, et s’il s’inquiète du futur, c’est d’abord à l’égard de <em>ce qui ne sera plus</em>, plutôt que de ce qui est à venir. La convocation de la célèbre pensée de Rilke tirée des <em>Carnets de Malte Laurids Brigge</em>, introduit la mémoire littéraire en tant que moteur d’une réflexion sur l’expérience du temps. Comment interpréter cette pensée sombre qui affirme la confusion entre la vie et la mort? J’y vois en tout cas une manifestation sans équivoque d’un malaise à l’égard du présent. Tout ici se meurt, nous dit Rosario à la suite de Rilke. Notons aussi que la première phrase, «Cette nuit, je pourrais écrire les vers les plus tristes<a style="" name="_ftnref" title="" href="#_ftn12"><strong><span style="">[12]</span></strong></a>», est une reprise intégrale de l’un des vers les plus célèbres de Pablo Neruda: «Puedo escribir los versos más tristes esta noche». Cette référence cachée, bien qu’aisément repérable pour la plupart des lecteurs hispanophones, trahit tout de même une certaine inquiétude face au crépuscule d’une époque. Le moment où cette référence à Neruda surgit dans le récit, au tournant du millénaire, donne à voir l’inquiétude de Rosario quant à la mort de la littérature et à l’oubli qui la guette, et le moment fatal où une telle référence n’interpellera plus le lecteur, tellement gavé de présent qu’il n’aura plus d’appétit pour le passé. </span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span lang="FR">Même si la convocation du passé littéraire vise à donner consistance à une expérience du temps qui est vécue douloureusement, il est difficile de ne pas y voir le symptôme de cette crise du temps dont parle François Hartog. Celui-ci conclut que ce qui fait la spécificité d’une telle crise, c’est le fait que le monde actuel est placé entre deux impossibilités: celle du passé comme celle du futur. Il faut souligner que l’expérience de Rosario n’est pas différente: sa mélancolie le tourne résolument vers un passé qu’il admire pour ses grands écrivains, mais il convient néanmoins que cette époque est désormais inaccessible, d’abord parce que ses contemporains sont oublieux de leurs origines. De la même manière, son discours ne laisse aucune place à la possibilité du futur. Ici, les gens meurent et il ne lui reste plus qu’à errer parmi ses souvenirs personnels. Tout porte à croire que cette difficulté que nous remarquions avec Paul Zawadzki en introduction, celle qu’a l’individu de s’inscrire dans un devenir commun pour être le <em>contemporain de ses contemporains</em>, correspond bien à l’expérience du temps de Rosario. Il apparaît dès lors comme étant prisonnier de son époque. Malgré le fait que son rapport au temps soit traditionnel, principalement par sa volonté de reconduire le passé littéraire dans un présent qu’il juge dénudé de vie, il n’en demeure pas moins que cette expérience n’est pas partagée. Dans sa valorisation de l’histoire littéraire, Rosario fait cavalier seul, un peu comme le Quichotte. Mais dans son monde, qui se souvient du Quichotte?</span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span lang="FR">Le regard que porte Rosario sur les attentats du 11 septembre 2001 est tout aussi instructif quant au rapport qu’il entretient avec son temps. Je veux rappeler au passage que, pour François Hartog, le traitement médiatique du 11 septembre est typique de l’<em>autocommémoration</em> qui caractérise notre époque : «Aujourd’hui, ce trait est devenu une règle: tout événement inclut son autocommémoration. C’était vrai de mai 1968. Ce l’est jusqu’à l’extrême du 11 septembre 2001, avec toutes les caméras filmant le second avion venant s’écraser sur la seconde tour du World Trade Center<a style="" name="_ftnref" title="" href="#_ftn13"><strong><span style="">[13]</span></strong></a>.» Cette logique de l’autocommémoration où la même séquence vidéo est rediffusée sur toutes les chaînes télévisées jusqu’à créer un effet <em>d’arrêt du temps</em>, Rosario la court-circuite en se demandant ce qu’aurait pensé Franz Kafka de ces images:</span></p>
<p class="MsoNormal rteindent1" style="text-align: justify;"><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><span lang="FR">Vous voyez à la télévision d’un bar les images de l’attentat et tu repenses à Kafka qui a imaginé quelque chose qui, à sa manière, a aussi changé le monde: la transformation d’un employé de bureau en cancrelat. Qu’aurait-il pensé en voyant le spectacle d’avions et de feu de Manhattan? Kafka était un être extrêmement visuel qui ne pouvait pas supporter le cinéma, parce que la rapidité des mouvements et sa vertigineuse succession d’images le condamnaient à la vision superficielle d’une forme continue. Il disait qu’au cinéma, ce n’est jamais le regard qui choisit les images mais les images qui choisissent le regard. (MM, p.337)</span></span><span lang="FR"> </span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span lang="FR">Cet extrait témoigne de la complexité du rapport au temps qu’implique la convocation d’un intertexte. Il semble qu’il y ait deux façons de penser cette relation: d’abord, on peut croire que Rosario se pose comme étant le contemporain de Kafka. Ce faisant, il adopte face à son époque une posture déphasée en introduisant une distance historique. Il est étonnant de constater qu’en regardant les images du 11 septembre, Rosario se demande comment Kafka y aurait réagi. Il fait sienne la méfiance de Kafka à l’égard de l’image. D’un autre côté, il est possible de croire que cette proximité avec Kafka est rendue nécessaire par l’inconsistance du présent auquel appartient Rosario. Pour que son présent ait du sens, il est nécessaire que Rosario l’observe à l’aide de sa mémoire littéraire. Un peu plus loin dans le texte, il parle en effet d’une «époque où la réalité n’a plus de sens et où la littérature est un instrument idéal pour l’utopie, pour construire une vie spirituelle donnant enfin l’heure exacte.» (MM, p.386) C’est parce que la réalité n’a plus de sens que Rosario y introduit ses souvenirs de lecture. Ainsi, la crise du temps apparaît être un facteur déterminant dans la mise en place d’une poétique intertextuelle telle qu’on la constate dans le texte d’Enrique Vila-Matas. </span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong><span lang="FR">Et si le passé pouvait encore éclairer l’avenir…?</span></strong></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span lang="FR">Au terme de ce survol, on peut conclure minimalement que le présentisme remarqué par les penseurs de la société occidentale trouve des échos dans la production littéraire contemporaine. C’est le cas du <em>Mal du Montano</em> d’Enrique Vila-Matas, qui témoigne d’un malaise dans l’expérience collective du temps. On a vu également que les références littéraires jouent un rôle important dans l’élaboration de ce rapport temporel. Évidemment, aurais-je pu proposer d’entrée de jeu, puisque les textes cités appartiennent nécessairement au passé. Cependant, ce qui m’apparaît plus important, c’est que ce passé littéraire soit convoqué dans la critique du présent. La crise du temps que l’on désigne par le terme de présentisme n’apparaît alors plus comme étant uniquement la condition dans laquelle le sujet contemporain se trouve. Il y a aussi, et je crois que c’est le cas chez Vila-Matas, des expériences temporelles vécues sous un mode mineur, minoritaire. Il m’apparaît important de rendre compte de ces expériences en marge, de ces îlots anachroniques si l’on souhaite brosser un portrait juste de notre contemporanéité. D’autant plus qu’il y a un rapport de force manifeste entre ces diverses expériences du temps. La nostalgie d’un passé littéraire, telle qu’elle se manifeste chez Vila-Matas, constitue un exemple marquant du fait que notre contemporanéité permet encore la coexistence de rapports au temps divergents. Il faut y voir un travail mémoriel en faveur d’un passé qui, comme le rappelle Zawadzki, pour demeurer vivant, doit être intégré au présent en vue d’être recomposé pour l’avenir<a style="" href="#_ftn14" name="_ftnref" title=""><strong><span style="">[14]</span></strong></a>. La possibilité de critiquer une condition réside dans le fait de connaître une alternative à celle-ci. C’est précisément en cela que le présentisme est inquiétant: en évacuant le passé comme le futur, il solidifie l’idée d’un présent immuable. À mes yeux, ce danger suffit à justifier l’étude et l’analyse des objets contemporains dans leur rapport au temps, malgré les difficultés méthodologiques qui en découlent. J’espère en avoir montré la pertinence. </span></p>
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<hr width="33%" size="1" align="left" />
<div style="" id="ftn">
<p class="MsoFootnoteText"><a style="" name="_ftn1" title="" href="#_ftnref"><span class="MsoFootnoteReference"><span lang="FR" style="font-size: 10pt;"><span style="">[1]</span></span></span></a>Enrique Vila-Matas, <i style="">Journal volubile</i>, Paris, Christian Bourgois Éditeur, 2009 [2008], p. 46. [traduit de l’espagnol par André Gabastou].<o:p></o:p></p>
<p><a style="" name="_ftn1" title="" href="#_ftnref"> </a></p></div>
<p><a style="" name="_ftn1" title="" href="#_ftnref"> </a></p>
<div style="" id="ftn"><a style="" name="_ftn1" title="" href="#_ftnref"> </a>
<p class="MsoFootnoteText"><a style="" name="_ftn2" title="" href="#_ftnref"><span class="MsoFootnoteReference"><span style="">[2]</span></span></a>François Hartog, <i style="">Régimes d’historicité, présentisme et expériences du temps</i>, Paris, Éditions du Seuil (coll. La librairie du XXIe siècle), 2003, p.210-211.<span style="font-size: 10pt; color: windowtext;"><o:p></o:p></span></p>
</div>
<div style="" id="ftn">
<p class="MsoFootnoteText"><a style="" name="_ftn3" title="" href="#_ftnref"><span class="MsoFootnoteReference"><span style="">[3]</span></span></a> Zaki Laïdi, <i style="">Le sacre du présent</i>, Paris, Flammarion, 2000, p.7. <o:p></o:p></p>
</div>
<div style="" id="ftn">
<p class="MsoFootnoteText" style=""><a style="" name="_ftn4" title="" href="#_ftnref"><span class="MsoFootnoteReference"><span style="">[4]</span></span></a><span lang="FR"> </span>Paul Zawadzki, «Malaise dans la temporalité. Dimensions d’une transformation anthropologique silencieuse», dans <i style="">Malaise dans la temporalité</i>, Publications de la Sorbonne, 2002, p.12.<span class="msoIns"><ins cite="mailto:Pierre-Luc%20Landry" datetime="2010-08-19T10:37"><o:p></o:p></ins></span></p>
</div>
<div style="" id="ftn">
<p class="MsoFootnoteText"><a style="" name="_ftn5" title="" href="#_ftnref"><span class="MsoFootnoteReference"><span style="">[5]</span></span></a> Enrique Vila-Matas, <i style="">Le mal de Montano</i>, Paris, Christian Bourgois Éditeur, 2003 [2002], p. 80 [traduit de l’espagnol par André Gabastou] Les références ultérieures à ce texte seront signalées dans le corps du texte avec la mention (MM).<o:p></o:p></p>
</div>
<div style="" id="ftn">
<p class="MsoFootnoteText"><a style="" name="_ftn6" title="" href="#_ftnref"><span class="MsoFootnoteReference"><span style="">[6]</span></span></a><span lang="FR"> </span>Maurice Blanchot, <i style="">Le livre à venir</i>, Paris, Éditions Gallimard, 1959.<o:p></o:p></p>
</div>
<div style="" id="ftn">
<p class="Textedenotedebasdepage"><a style="" name="_ftn7" title="" href="#_ftnref"><sup><span lang="FR"><span style="">[7]</span></span></sup></a><span lang="FR"> </span>Dominique Maingueneau, <i style="">Contre Saint Proust ou la fin de la littérature</i>, Paris, Éditions Belin, 2006.<o:p></o:p></p>
</div>
<div style="" id="ftn">
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><a style="" name="_ftn8" title="" href="#_ftnref"><span class="MsoFootnoteReference"><span style="">[8]</span></span></a> William Marx, <i style="">L’adieu à la littérature; histoire d’une dévalorisation. XVIIIe-XXe</i>, Paris, Les Éditions de Minuit, 2005.<o:p></o:p></p>
</div>
<div style="" id="ftn">
<p class="MsoFootnoteText"><a style="" name="_ftn9" title="" href="#_ftnref"><span class="MsoFootnoteReference"><span style="">[9]</span></span></a><span lang="FR"> </span>Dominique Maingueneau, <i style="">Contre Saint Proust ou la fin de la littérature</i>, Paris, Éditions Belin, 2006, p. 157. <o:p></o:p></p>
</div>
<div style="" id="ftn">
<p class="MsoFootnoteText"><a style="" name="_ftn10" title="" href="#_ftnref"><span class="MsoFootnoteReference"><span style="">[10]</span></span></a><span lang="FR"> <i style="">Op. Cit.</i>, p.101. </span><o:p></o:p></p>
</div>
<div style="" id="ftn">
<p class="Textedenotedebasdepage"><a style="" name="_ftn11" title="" href="#_ftnref"><sup><span lang="FR"><span style="">[11]</span></span></sup></a><span lang="FR"> L’expression est d’Augustin, qui découpe dans ses <i style="">Confessions</i> le temps en trois catégories: la présence du passé, la présence du présent et la présence du futur. Dans <i style="">Temps et récit 1. L’intrigue et le récit historique</i>, Paul Ricoeur s’arrête longuement sur la conception augustinienne du temps.</span><span style="font-family: "Times New Roman"; color: windowtext;"><o:p></o:p></span></p>
</div>
<div style="" id="ftn">
<p class="Textedenotedebasdepage"><a style="" name="_ftn12" title="" href="#_ftnref"><sup><span lang="FR"><span style="">[12]</span></span></sup></a><span lang="FR"> Il s’agit du premier vers du 20e poème du recueil <i style="">20 poemas de amor y una canción desesperada</i> de Pablo Neruda (1924). </span><o:p></o:p></p>
</div>
<div style="" id="ftn">
<p class="MsoFootnoteText"><a style="" name="_ftn13" title="" href="#_ftnref"><span style="">[13]</span></a><span lang="FR"> <i style="">Op. Cit.</i>, p.156. </span><o:p></o:p></p>
</div>
<div style="" id="ftn">
<p class="MsoFootnoteText"><a style="" name="_ftn14" title="" href="#_ftnref"><span class="msoIns"><ins cite="mailto:Simon%20Brousseau" datetime="2010-08-19T11:54"><span style="">[14]</span></ins></span></a><span lang="FR"><span class="msoIns"><ins cite="mailto:Simon%20Brousseau" datetime="2010-08-19T11:54"> </ins></span>Zawadzki écrit : «</span><span lang="EN-US" style="">Un passé vivant est un passé intégré au présent, recomposé en vue de l’avenir.» (p. 18)</span></p>
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http://salondouble.contemporain.info/antichambre/regards-litteraires-sur-une-crise-du-temps#commentsAUGUSTINBLANCHOT, MauriceContemporainDevenirEspagneEsthétiqueFonctions du récitHARTOG, FrançoisHistoireImaginaireIntertextualité KAFKA, FranzLAÏDI, ZakiMAINGUENEAU, DominiqueMARX, WilliamMémoireMUSIL, RobertNarrativitéNERUDA, PabloPrésentismeRICOEUR, PaulTempsTraditionVILA-MATAS, EnriqueZAWADZKI, PaulEssai(s)RomanMon, 23 Aug 2010 04:00:00 +0000Simon Brousseau253 at http://salondouble.contemporain.infoLa première énigme
http://salondouble.contemporain.info/lecture/la-premiere-enigme
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<a href="/equipe/lapeyre-desmaison-chantal">Lapeyre-Desmaison, Chantal</a> </div>
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<a href="/biblio/lengendrement">L'engendrement</a> </div>
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<p>Lionel Bourg est de ces écrivains français contemporains qui, dans le silence, la discrétion, ont construit une œuvre déjà importante, à tous les sens du terme. Pour l'essentiel journalistiques, les rares critiques qui se sont penchés sur cette œuvre évoquent la «quête autobiographique», «la recherche du temps perdu», «la naissance à soi», axes thématiques ou formels qui apparaissent nettement à la lecture. Mais <em>L’engendrement</em>, ouvrage paru en 2007 aux éditions Quidam, permet de donner à cette naissance, à cette vie surgissante, une tout autre orientation.</p>
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<span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>L’engendrement donc</strong></span></p>
<p>Engendrer, c’est faire naître, donner la vie. Les dix chapitres qui composent ce très bref récit mené à la première personne reconduisent au présent de l’écriture le milieu familial ouvrier, la région de Saint Étienne, le plateau d’Essalois et les «genêts noircis de septembre» (p.18), les jeux, la neige et les mots entendus, âpres, parfois violents. Oui, il s’agit bien de faire (re)naître les temps d’avant, mais non dans une volonté de dire sa vie, de l’exposer au jour, de vaincre l’irrémissible nostalgie. Écrire, pour Lionel Bourg, c’est penser, en images, créer l’espace d’une réflexion qui se donne pour objet de «comprendre, essayer de comprendre pourquoi l’on fût ce môme qui souffrait, qui marchait quelquefois comme un forcené sur une route vicinale ou se barricadait derrière des cailloux, ces tessons de poterie, des bouquins, des poèmes.» (p.45) Comprendre ici, ce sera regarder, écouter sans finir la mère, celle à qui on rend visite– c’est le cœur de l’ouvrage– alors que la maladie d’Alzheimer la confine dans «cette saloperie de mouroir», hôpital ou maison de repos, on ne sait pas trop. Mais cette maladie, comme une eau du Léthé, précocement venue ravir l’âme de la mère, qui la prive de tout souvenir, ne fait au fond qu’accroître son étrangeté, l’énigme qu’elle a toujours représentée aux yeux de l’enfant, puis aux différents âges de sa vie. C’est cette énigme qu’il s’agit de résoudre, et c’est ainsi que l’on devient écrivain:</p>
<div class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Tu te souviens, dis, tu te souviens, nous bavardions la nuit dans la cuisine où tu me laissais seul après avoir lavé la cafetière, les phrases se bousculaient en vrac, tu le savais bien sûr, j’avais beau les planquer derrière des livres de classe, mes feuilles, mes cahiers, ton songe m’habitait, tu pourrais me haïr, et m’aimer, te ruer sur moi, le couteau<br />
<em>-j’vais te crever, j’vais te crever</em><br />
ou m’empoigner les couilles en riant grassement, je n’étais plus que ça, ta fièvre, ta tourmente.<br />
C’était un piège, maman. Il aura fonctionné.<br />
Les poètes de sept ou de seize ans s’y prennent. Vivre, écrire ne commencent qu’après. (p.28) </span> </div>
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On devient écrivain, faute de mieux sans doute, quand on ne comprend pas et qu’on reste pétrifié devant la Sphinge à l’entrée du Royaume de Thèbes. Le temps ne passe pas alors, le temps se pétrifie lui aussi. Dans l’espace que fonde cette mortification prend naissance le fil des mots qui va essayer de penser la chute dans l’effroi qui sourd de cette poseuse d’énigmes, cette Lilith venue du fond des âges, elle qui, tout aussi soudainement que surgissaient ses accès de fureur, «renonçait à [ses] étreintes, [ses] cris, [son] chamanisme de vieille pythie prolétaire vaticinant d’un bout à l’autre de la nuit, n’étant soudain que du silence, un bloc granuleux de silence ou cette chair broyée maintenant.» (p.58)</p>
<p><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Subterfuges</strong></span></p>
<p>On n’interroge pas le mystère de la Sphinge, de Méduse ou de Lilith à visage découvert; tous les mythes le disent sous une forme ou sous une autre. Pour découvrir le fin mot de l’histoire– ou pour l’inventer– il est nécessaire de recourir au bouclier de Persée et, comme le héros grec, il faut s’encapuchonner de nuit. L’écriture sera ce truchement, toujours un peu transgressif, toujours un peu dangereux, et son investigation portera sur les temps, les lieux et les êtres de ce passé où cette Lilith était maîtresse des heures, manière de mouvement concentrique autour de l’énigme centrale. À cet égard, le chapitre VII est exemplaire; il s’organise en deux temps: une première investigation se déclinera sous la forme d’une liste, inaugurée par une phrase brève à valeur programmatique pour l’ensemble de l’ouvrage: «Il faut peser ce que l’on porte.» Il faut en effet peser ce que l’on porte, pour dessiner, comme par la négative, ce qui nous porte et qu’approche la seconde partie du chapitre, évoquant les lectures maternelles.</p>
<p>Ce que l’on porte, c’est l’entière matité du temps, «la cohue sur le quai d’une gare en partance», comme «le vol des papillons, l’été», «l’amour ou les matins quand il gèle», «la cousine qui sauta par la fenêtre», comme «la micheline que l’on espérait voir passer sous le pont». On le voit, la liste est la modalité privilégiée de l’évocation: parce qu’elle énumère ces morceaux de temps, ces bribes de lieux, ces objets ou ces sensations, elle tend à rendre avec simplicité– avec égalité– ce qui tramait le passé, ce qui lui conférait sa diversité inégalable. L’écriture est ici mime de l’archéologie, cette quête sans fin des origines, ce désir éperdu du temps inaugural, première passion de l’enfant, de l’adolescent rapportant à la maison ces «fabuleux vestiges qui finissaient à la poubelle» sous le regard ironique du père. Par cette enquête archéologique vouée à l’évocation de ce temps perdu– un temps convoqué dans l’espace, entre ordre et désordre, de la liste–, se dessine soudain le cœur de l’énigme maternelle, sa singularité. Et elle donne le véritable sens de cet <em>engendrement</em>: «Je n’ai jamais su comment maman s’y était prise», pauvre femme débordée, presque nativement, toujours au bord du délire, comment– et la longue série de propositions en incise donne à entendre l’immensité des obstacles– elle a pu «s’éprendre, passionnément il va de soi, de Dostoievski et de William Faulkner». Amour éperdu qui va lester son délire d’une théâtralité épique, intensément fascinante pour l’enfant qui regarde et écoute la mère trouvant dans la langue littéraire «son compte d’exaltation» (p.63). Pour dire, alors, très logiquement, il y a les mots des livres qui viennent donner chair curieuse aux rêveries de l’adolescent, comme cette Hermantride que Lionel Bourg avoue avoir volé à la famille d’Urfé, dont l’évocation sera la première figuration de la mère:</p>
<div class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Je vous aimais sur les marches d’escalier ou dans la haute chambre du château d’Essalois, supposant vos cris et vos aveux, vos tuniques froissées par des chevaliers d’aventures tandis que je lançais des pierres contre la muraille ou contemplais la Loire. Vous couriez pourtant sur la lande, folle soudain, violente, et comme en proie à d’impromptues métamorphoses: sorcière, paysanne, prêtresse callipyge ou Vénus de Lespugue, ange, bête, mondaine à son divan […]. (p.46)</span></div>
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La mère obscène («t’es mon chiotte, Lionel» [p.47]) ou Hermantride: sous l’<em>élusion</em><strong><a name="_ftnref" href="#_ftn1">[1]</a></strong> de la réécriture, c’est encore la même, la mère/femme archaïque que l’œuvre murmure, déployant le faisceau des temps, des lieux et des livres. </p>
<p><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Une «autobiographie du genre humain»</strong></span></p>
<p>«[…] tout est en moi où tu l’as déversé», écrit Lionel Bourg. L’écriture est aussi, paradoxalement, un contre-engendrement, le paiement d’une dette envers cette origine fatale, destinale. C’est aussi conférer un espace ultime de germination pour ce «placenta des phrases qui naissent de ton ventre.» (p.86) C’est enfin faire exister, donner consistance à cet ailleurs dont rêvait l’enfant, à «ce monde qui existait par-delà l’étroitesse des ruelles et les ciels bourbeux amassés sur la ville» (p.17) Au-delà vit aussi le lecteur confronté à ces réminiscences par le livre, <em>symbolum</em> que tend l’écrivain, dans un geste qui dépasse de loin l’enjeu autobiographique strictement défini. Comme l’écrivain, le lecteur est invité à la lecture de ces pages à «peser ce qu’il porte». Pour lui aussi gît une énigme au cœur de sa vie, et c’est la même pour tous, pour chacun confronté à un temps, des lieux, des images et des visages disparus ou au bord du néant qui les guette incessamment. Autobiographie, oui, mais autobiographie du genre humain, selon le mot de Pierre Michon: «L’autobiographie du genre humain, enfin un petit morceau, c’est plus tonique que la vie d’un seul», note-t-il dans <em>Le roi vient quand il veut</em> (p.151) <a name="_ftnref" href="#_ftn2">[2]</a>. Plus tonique, et peut-être plus vrai. Pour lui, le <em>je</em> n’est là que pour ancrer le récit, pour lui donner une assise, pour l’orienter d’un point de vue, singulier, non strictement <em>personnel</em>. Ce <em>je</em> n’est plus l’enjeu du récit, il n’en est même pas le centre. C’est ce que montre en particulier l’emploi des pronoms dits personnels. L’emploi du <em>on</em>, indice discret, vient souligner le fait que le <em>je</em> n’est qu’une variante particulière, qu’il ne prend sens que par rapport aux autres et qu’il ne vaut pas mieux qu’eux. Parfois même la référence personnelle, au sens grammatical du terme, se fond et disparaît au fil des phrases: «On joue sa vie, jeune homme, puisqu’on ne la vit pas. Pose au Meaulnes de province ou cultive clope sur clope sa fausse ressemblance avec le Bogart de <em>Casablanca</em>» (p.37). Participe de ce mouvement abrasif, qui renvoie le subjectif au communautaire, la dynamique d’une évocation qui n’est pas sans rappeler les <em>Je me souviens</em> de Georges Perec, avec un autre usage de la liste qui renvoie à la mémoire d’une époque, et non seulement d’un sujet:</p>
<div class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Elvis, Brando, les anges à lunettes de motard des bals du samedi, qui cherchaient la castagne, les nouvelles du jour comme la rumeur brouillée déjà des ondes avant de nous atteindre, les films dans les salles moquettées de velours rouges et les flacons de shampooing Dop, la mort de Marylin, le soulier tapageur de Nikita Sergueievitch Kroutchev à l’ONU, et Chuck Berry, et Cochran, l’assassinat de Lumumba ou celui de John Fitzgerald Kennedy n’avaient pas mis toutes les pendules à l’heure […]. (p.14)</span></div>
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La phrase s’étire, les sujets grammaticaux se multiplient au point que le verbe attendu, par cet effet de retard, sera sans importance pour le lecteur qui voit passer des images d’un temps révolu. Lionel Bourg radicalise ici cet effet d’abrasion en jetant pêle-mêle ces souvenirs qui appartiennent à tous, et que chacun peut reconnaître. C’est cette tension du singulier d’une évocation et d’une inscription qui verse à l’universel, et peut-être même à une certaine forme d’intemporel, qui peut prendre le nom d’ «autobiographie du genre humain». Par là l’œuvre transcende tout soupçon d’autobiographisme nombriliste. Par là aussi, et en intimité profonde avec quelques écrivains de la période contemporaine, embarrassés du <em>je</em> et du <em>moi</em>, frères actuels d’un Pascal ou d’un Pierre Nicole, Lionel Bourg réinvente le genre autobiographique à partir de ses impasses.</p>
<p class="MsoFootnoteText"><a name="_ftn1" href="#_ftnref"><strong>1</strong></a> Terme notamment employé par Maurice Blanchot, qui signifie «dérobade».</p>
<p class="MsoFootnoteText"><a name="_ftn2" href="#_ftnref"><strong>2</strong></a> Pierre Michon, <em>Le roi vient quand il veut</em>, Paris, Albin Michel, 2007.</p>
http://salondouble.contemporain.info/lecture/la-premiere-enigme#commentsAutobiographieBLANCHOT, MauriceBOURG, LionelFiliationFranceMythologie Théories des genresRécit(s)Thu, 04 Feb 2010 13:10:10 +0000Chantal Lapeyre-Desmaison209 at http://salondouble.contemporain.info