Salon double - DELEUZE, Gilles http://salondouble.contemporain.info/taxonomy/term/474/0 fr Des ailes inutiles http://salondouble.contemporain.info/lecture/des-ailes-inutiles <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/brousseau-simon">Brousseau, Simon</a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-biblio"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/biblio/claustria">Claustria</a> </div> </div> </div> <p align="right"><em>J'arrive à m'imaginer assassiné, mutilé, torturé. Je n'arrive pas à m'imaginer vingt-quatre années dans un trou.</em></p> <p align="right">Régis Jauffret, <em>Claustria </em>(p.71)</p> <p align="center">&nbsp;</p> <p>L'œuvre de Régis Jauffret abonde en histoires sordides, et à la parcourir on a parfois l'impression que le monde est un vaste cloaque où vivotent des êtres condamnés à la souffrance, des êtres dont le bonheur est nécessairement disloqué par quelque psychopathologie intraitable, comme une poupée par un gamin malfaisant. Jauffret est admirablement doué pour la déclinaison d'existences potentielles, qu'il examine avec un détachement clinique qui n'a, à ma connaissance, pas d'égal en littérature contemporaine. Son recueil <em>Microfictions</em>, par exemple, est un véritable vivier d'existences décadentes<a href="#_ftn1" name="_ftnref" title="">[1]</a>. Il me semble que son travail invite à se questionner sur ce que pourrait être une éthique de la fiction. Cette éthique concerne le <em>traitement</em> que la fiction fait subir au réel, mais aussi, et c'est sur cet aspect que j'aimerais insister, l'adhésion ou les réticences que le lecteur éprouve face à ces représentations.</p> <p>Si Jauffret a le mérite d'aborder de front la négativité de l'existence contemporaine, ses façons de faire peuvent laisser perplexe. Il a développé une voix narrative qui lui est propre, une vision du monde désacralisante qui donne souvent l'impression que les relations humaines se réduisent à une mécanique égoïste. L'expérience de lecture s'accompagne d'une série de questions auxquelles on ne saurait définitivement répondre: est-ce Jauffret qui est cynique, nihiliste, pessimiste, ou bien le monde qu'il décrit? Jauffret est-il un auteur réaliste? Et quand bien même le monde serait effectivement pourri de cynisme, est-ce que la tâche de l'écrivain peut se résumer à enfoncer davantage le clou? Ne fait-il pas déjà assez froid? Cette ambivalence qui parcourt l'œuvre de Jauffret lui confère toute sa valeur. Elle pousse à réfléchir aux visées de la littérature et à ses possibilités, notamment dans son rapport à la connaissance et à la vérité. Dans le préambule de <em>Sévère</em> (2009), Jauffret écrit que «la fiction éclaire comme une torche» (p.7), mais qu'elle le fait paradoxalement à l'aide de mensonges. Selon lui, «elle comble les interstices d'imaginaire, de ragots, de diffamations qu'elle invente au fur et à mesure pour faire avancer le récit à coups de schlague» (p.7).</p> <p>Ce rapport trouble à la connaissance me semble pertinent pour réfléchir à la littérature contemporaine. Je suis tenté d'inscrire la démarche de Jauffret dans ce changement de notre relation au savoir qu'identifie Peter Sloterdijk au tout début de sa <em>Critique de la raison cynique</em>. Selon lui, il ne s'agit plus aujourd'hui pour le penseur qui aspire à la vérité d'être un ami de la connaissance, selon l'étymologie grecque du terme «philosophe», mais bien de chercher les moyens de vivre avec le poids de notre savoir: «Il n'y a plus de savoir dont on pourrait être l'ami (<em>philos</em>). Avec ce que nous savons, il ne nous vient pas à l'esprit de l'aimer, nous nous demandons, au contraire, comment faire pour vivre avec lui sans nous pétrifier» (p.7-8). Il y aurait donc, dans la démarche de Jauffret, quelque chose qui relève d'une recherche de santé, de l'expurgation. L'un des moyens que privilégie Jauffret pour supporter les aspects les plus sombres de l'existence s'apparente au traitement choc: plutôt que de les oblitérer ou de les nuancer en leur opposant une contrepartie plus lumineuse, il opte pour la surenchère et l'hyperbole, offrant une vision distordue et parfois cauchemardesque d'une réalité qui, faut-il le rappeler, est loin d'être rose bonbon.</p> <p align="center"><strong>*</strong></p> <p>Alors que Jauffret a repoussé dans les <em>Microfictions</em> les limites de la fabulation<a href="#_ftn2" name="_ftnref" title="">[2]</a>, certaines de ses œuvres récentes posent un constat troublant: ces destinées inventées, tout aussi abjectes qu'elles soient, trouvent leur équivalent dans la réalité, et il n'existe peut-être pas d'imagination assez débridée pour éclipser le réel en matière d'horreur. On peut remarquer ce glissement dans <em>Sévère</em> (2009), roman mettant en scène Édouard Stern, un banquier français qui a été assassiné par sa maîtresse en 2005, et à plus forte raison dans <em>Claustria </em>(2012), roman qui traite quant à lui de l'affaire Fritzl.</p> <p>Cette histoire sordide, véritable bombe qui a sauté au visage ébahi du monde en avril 2008, est si invraisemblable qu'on a du mal à y croire. Josef Fritzl a séquestré durant 24 ans, dans le sous-sol de sa maison d’Amstetten, en Autriche, sa fille Elisabeth Fritzl, avec qui il a eu sept enfants. Jauffret souligne dans un entretien que cette histoire comporte plusieurs zones d'ombre, des interstices qu'il a lui-même remplis dans son roman-enquête:</p> <p>Le procès de 2009, dit Régis Jauffret, a été expédié en trois jours et demi, y compris la lecture du verdict. On n'a jamais fouillé les antécédents de Fritzl, alors qu'il avait déjà fait de la prison pour viol, que des crimes sexuels non élucidés avaient été commis à proximité, et que lui-même passait de longues vacances en Thaïlande... La femme de Fritzl, qui avait vécu 24 ans au-dessus de la cave, n'a jamais été entendue par les juges. Pas plus que les voisins, les anciens locataires de Fritzl ou les experts en acoustique. Or, il est impossible que dans le voisinage immédiat on n'ait pas entendu les cris d'Elisabeth qui accouchait toute seule, ceux des six nourrissons, surtout la nuit, le son de la télé, tout cela dans une cave pas insonorisée. Elisabeth a témoigné, mais à huis clos, les enfants de la cave ne sont jamais apparus en public, on n'a pas la moindre photo d'eux, et les autorités les ont forcés à changer de patronyme... (Robitaille, 2012: <a href="http://www.cyberpresse.ca/arts/livres/romans/201202/25/01-4499729-claustria-de-regis-jauffret-les-enfants-de-la-caverne.php">en ligne</a>)</p> <p>En lisant <em>Claustria</em>, on comprend que Jauffret cherche à proposer un contrepoint au discours médiatique entourant l'affaire Fritzl. Au caractère forcément <em>punché </em>de la nouvelle journalistique (Fritzl est un monstre! Le monstre enfin condamné!), Jauffret oppose une narration homodiégétique à focalisation interne, le narrateur y allant de suppositions psychologiques et de scènes fabulées visant à brosser un portrait à peu près vraisemblable de l'affaire. Cette opposition entre le discours médiatique et la littérature, et plus particulièrement entre le fait divers et l'écriture romanesque, permet de penser la pertinence de certaines pratiques en littérature contemporaine. Si l'on peut rapprocher <em>Claustria</em> de <em>In Cold Blood </em>de Truman Capote (1966), le roman de Jauffret n'appartient toutefois pas au genre de la <em>Non-Fiction</em>. La raison en est bien simple: alors que l'ensemble des faits entourant les meurtres sanglants d'Herbert Clutter, de sa femme et de ses enfants étaient accessibles à l'écrivain américain, qui a mené une enquête exhaustive, la claustration des victimes de l'affaire Fritzl laisse quant à elle un large pan de l'histoire dans l'ombre. Ce sont précisément ces zones obscures que Jauffret tente d'éclairer à l'aide d'hypothèses fictionnelles. De plus, si Jauffret cherche à comprendre Fritzl, le rendement romanesque qu'il en fait n'a rien pour lui restituer son humanité, et en cela, ses visées s'éloignent aussi de celles de Capote. L'empathie de l'écrivain se tourne plutôt vers les habitants de la cave, celui-ci cherchant à imaginer comment ils ont pu survivre si longtemps dans la réclusion. Une question irrésoluble, une vraie question de romancier.</p> <p>Le projet de Jauffret s'inscrit dans une conception du roman comme outil de connaissance. Les cinq cents pages qu'il consacre à l'affaire Fritzl, bien qu'elles contiennent des propositions largement hypothétiques, et parfois choquantes (j'y reviendrai), sont tout de même à prendre au sérieux. Au discours médiatique qui se caractérise par sa prétendue limpidité, par sa volonté d'incarner une forme de lisibilité absolue —il n'y a pas d'ambiguïté possible lors d'un <em>bulletin d'informations</em>—, Jauffret oppose une vision de l'affaire Fritzl marquée par l'illisibilité. Ici, je pense d'abord à une forme d'illisibilité toute pragmatique: cette histoire est insupportable, et Jauffret s'évertue à nous faire subir l'horreur. Le lecteur est lui aussi cloitré. Ici, il faut faire preuve de prudence: jamais je n'oserais affirmer que cette expérience d'enfermement littéraire équivaut à l'enfermement bien réel des victimes. Le lecteur n'est pas à plaindre. En amorçant la lecture de <em>Claustria</em>, celui-ci accepte néanmoins de prendre connaissance, sous un mode hypothétique, mais violemment vraisemblable, des faits que la lisibilité médiatique ne peut se permettre d'exposer dans toute leur complexité. L'autre forme d'illisibilité que je souhaite relever découle de la première: l'affaire Fritzl est sans doute inexplicable. On peut se perdre en conjonctures, on peut tenter d'imaginer —et Jauffret s'y essaie avec aplomb—, il n'en demeure pas moins qu'une part de cette histoire échappe à la rationalité. Et c'est sans doute dans cet échec de la saisie rationnalisante que la fiction trouve l'énergie de remodeler, sans révérence, l'enfer créé par Fritzl, et auquel celui-ci pouvait accéder quotidiennement, en descendant l'escalier qui menait à son sous-sol.</p> <p>Évidemment, Jauffret s'emploie à débusquer, sous les non-dits et les silences, des semblants de vérité. Et c'est peut-être là que son projet rencontre sur son chemin un problème éthique. Lorsque j'évoque le caractère choquant de certaines extrapolations développées par Jauffret, je pense notamment à ce passage où il laisse entendre que le viol et l'inceste ont laissé place, peu à peu, à une relation amoureuse des plus malsaines entre le père et sa fille qui aurait été atteinte du Syndrome de Stockholm:&nbsp;</p> <p>L'inceste, le viol, puis l'inceste désiré, obsédant, l'attente fiévreuse du seul pénis au monde qui pénétrera jamais dans la cave. Un pénis qu'on n'en peut plus d'espérer, il tarde souvent à se montrer pendant de longs jours, des semaines, quand il la laissait seule pour partir en vacances s'enfoncer dans d'autres chairs. La faim de nourriture quand les provisions se raréfient et l'absence de ce viatique qui transformerait le lit en tapis volant.</p> <p>Ces cris de jouissance qui vont rejoindre le chœur des femmes en train de jouir au même instant sur toute la peau du monde. L'orgasme égalitaire, nivellement par l'infini, et quand il le lui procure elle est plus heureuse que les reines dont le roi est mort, plus heureuse que les vierges, les épouses au sexe depuis longtemps cicatrisé à force d'être lassées d'attendre des années durant le pénis d'un mari abruti par le travail et les coups de maillet d'un quotidien lancinant comme les aboiements des motos, des voitures, des camions furieux qui toute la nuit traversent comme des chiens ahuris la ville où il est né d'une grossesse indésirable et mourra sans même s'en apercevoir tant son existence n'aura été quatre-vingt-douze années durant qu'une interminable métaphore du néant (p.85).</p> <p>On le voit, la liberté avec laquelle Jauffret se permet d'extrapoler quant à la relation entre Fritzl et sa fille a quelque chose de profondément irrévérencieux. Je cite longuement cet extrait parce qu'il permet de cerner la proximité du ton adopté par Jauffret dans <em>Claustria</em> avec l'humour noir qui caractérise habituellement ses œuvres de fiction. Ce passage, où Jauffret cède à une forme de lyrisme qui tient du nihilisme triomphant, rappelle certains moments de <em>Microfictions</em> au ton vitriolique où l'existence des personnages devient un prétexte pour faire du style : «Nous avons joui en tirant la chasse d'eau pour couvrir le bruit de nos gémissements. Nous nous sommes mariés le mois suivant pour des raisons fiscales » (2007, p.13); «Ce n'est quand même pas de ma faute s'il s'était lassé de son sexe, et s'il l'a écrasé comme un mégot au fond d'un cendrier» (p.35); «Est-ce que tu m'aimes? Il fait trop chaud» (p.61); «Je la supplie de me tuer, car je le mérite. En me cinglant avec un câble, elle me rappelle que seuls les êtres vivants peuvent espérer mourir» (p.108).</p> <p>Ma première réaction a été d'interpréter ce traitement de l'affaire Fritzl comme étant impudent, et j'ai pensé que Jauffret allait peut-être trop loin, comme si le réel devenait un simple prétexte pour donner cours à l'écriture. Il y a sans doute un peu de cela, par moments, mais l'explication demeure insatisfaisante. Une interprétation plus proche de la réalité reconnaîtrait peut-être qu'effectivement, dans ce cas précis, les évènements ont atteint un degré d'ambiguïté si radical qu'il est presque impossible d'admettre leur éventualité. Jauffret l'écrit au début du roman: «Je n'arrive pas à m'imaginer vingt-quatre années dans un trou» (p.24). Au final, c'est sans doute ce désir de comprendre la réalité obscure de cette femme et de ces enfants qui ont vécu si longtemps dans une cave qui vient valider le projet de Jauffret. Malgré le ton parfois caustique qu'il adopte, il livre aussi quelques passages empreints de tendresse où se profilent en sourdine des bribes d'humanité ayant résisté à l'atrocité: «Ils regardaient toutes les émissions sur les animaux. Leur mère avait un livre d'images où elle leur montrait les chats, les poissons et les fauves. Ils étaient surpris de les voir en si mauvais état, aplatis, noir et gris sur le papier jauni piqueté de taches brunes, alors qu'ils étaient si gais sur l'écran» (p.136). D'un point de vue littéraire, on pourrait parler de l'art du contrepoint, d'une oscillation entre l'obscur et le lumineux. Cependant, force est d'admettre qu'on ne peut juger ce texte à l'aide de critères exclusivement littéraires. Il s'y profile également des visées éthiques sans lesquelles celui-ci n'aurait aucun sens: révéler dans toute sa complexité ce que le discours dominant cherche à oblitérer, quitte à scandaliser les plus prudes d'entre nous.</p> <p align="center">*</p> <p>En tentant de représenter l'immonde dans toute sa démesure, en cherchant à tirer du déni collectif l'existence de ces pauvres gens, Jauffret s'approche à mon avis de ce que pourrait être une expérience empathique authentique. Ce que j'entends par là est difficile à formuler. Je crois que Gilles Deleuze met le doigt sur le rôle fondamental que joue l'empathie dans l'écriture littéraire, quand il écrit que «la littérature ne commence que lorsque naît en nous une troisième personne qui nous dessaisit du pouvoir de dire JE» (Deleuze, 1993: 13). Cette formulation me semble juste en ce qu'elle explique l'écriture de l'autre comme étant une nécessité, un processus de compréhension où les contours de l'identité de l'énonciateur s'estompent pour laisser place à une réalité <em>a priori</em> étrangère. Cette démarche, chez Jauffret, est poussée avec une énergie qui relève du courage, d'où le malaise qu'elle peut engendrer chez le lecteur. Elle implique un renoncement aux critères moraux, à la pudeur et à la discrétion face à la souffrance des victimes. Et pourtant, au cœur de la négativité de l'écriture, il y a bel et bien quelque chose de positif qui ressort, et qui s'apparente à un cliché que je formulerais ainsi: <em>Donner une voix aux victimes, à ceux et celles qui n'ont plus de voix</em>. Ce cliché aurait pu devenir pour Jauffret un écueil, s'il avait par exemple décidé de modérer ses propos et d'embellir le récit afin de répondre aux attentes d'un lectorat en mal d'histoires touchantes. Heureusement, Jauffret a la force d'évoquer ce à quoi l'esprit se refuse tout naturellement: «Roman est allé respirer à la fenêtre. L'air lui manquait en se souvenant. Il regardait au loin. Il se sentait coupable d'avoir été si heureux dans la cave. D'aimer son père, aussi» (p.40).</p> <p>Ce dernier extrait laisse entrevoir toute la complexité de l'affaire Fritzl. Cette claustration, qui pour nous gens d'en haut est d'une horreur inconcevable, aura été pendant de longues années la seule réalité des enfants et de la femme qui l'ont souffert. Jauffret rappelle que ce sont des humains, et qu'ils ont sans doute aimé eux aussi père et mère. Alors que le discours médiatique, en une sorte de pudeur où se mêlaient la honte et une évidente propension au sensationnalisme, ne pouvait que réifier les victimes en les réduisant précisément à ce rôle de la victime sans voix, Jauffret, lui, aura tenté de se projeter radicalement dans leur existence. «La joie, écrit-il dans <em>Microfictions</em>, n'est pas dans l'oubli, l'insouciance, l'ébriété, l'euphorie que procure le mensonge de croire sa vie éternelle, elle est dans la lucidité de penser à tout instant le réel avec la précision du chirurgien qui incise les chairs d'un patient équarri lors d'une opération à coeur ouvert.» (2007, p.92) Si cette machination littéraire est forcément troublante, il faut admettre que c'est pour le mieux. Les victimes ne sont pas que des victimes. Elles sont nées avec des ailes, des ailes tristement inutiles dans un trou sans ciel.</p> <p>&nbsp;</p> <p><strong>Bibliographie</strong></p> <p>&nbsp;</p> <p>DELEUZE, Gilles, <em>Critique et clinique</em>, Paris, Minuit, 1993.</p> <p>JAUFFRET, Régis, <em>Claustria</em>, Paris, Seuil, 2012.</p> <p>-----, <em>Microfictions</em>, Paris, Gallimard (coll. Folio), 2007.</p> <p>GEFEN, Alexandre, «“Je est tout le monde et n’importe qui”.&nbsp;Les&nbsp;Microfictions&nbsp;de Régis Jauffret», <em>Critical Review of Contemporary French Fixxion</em>, n°1, december 2010, URL <a href="http://www.critical-review-of-contemporary-french-fixxion.org/english/publications/nr1/gefen_en.html">http://www.critical-review-of-contemporary-french-fixxion.org/english/publications/nr1/gefen_en.html</a></p> <p>ROBITAILLE, Louis-Bernard, «Claustria, de Régis Jauffret: les enfants de la caverne», <em>La Presse</em>, 25 février 2012. En ligne:&nbsp;<a href="http://www.cyberpresse.ca/arts/livres/romans/201202/25/01-4499729-claustria-de-regis-jauffret-les-enfants-de-la-caverne.php">http://www.cyberpresse.ca/arts/livres/romans/201202/25/01-4499729-claustria-de-regis-jauffret-les-enfants-de-la-caverne.php</a></p> <p>SLOTERDIJK, Peter, <em>Critique de la raison cynique</em>, Paris, Christian Bourgois Éditeur, 1987 [1983]. [traduit de l'allemand par Hans Hildenbrand]</p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> <p><a href="#_ftnref" name="_ftn1" title="">[1]</a> J'ai proposé une lecture de ce recueil ici-même, en 2009: «<a href="http://salondouble.contemporain.info/lecture/ecrire-avec-un-marteau">Lire avec un marteau</a>».</p> <p><a href="#_ftnref" name="_ftn2" title="">[2]</a> À ce propos, l'article «“Je est tout le monde et n’importe qui”.&nbsp;<em>Les&nbsp;Microfictions&nbsp;</em>de Régis Jauffret», d'Alexandre Gefen, est un incontournable. (Voir dans la bibliographie.)</p> <p>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;</p> http://salondouble.contemporain.info/lecture/des-ailes-inutiles#comments Ambiguïté CAPOTE, Truman Crime Cynisme DELEUZE, Gilles Écriture Empathie Enfermement Éthique Exploration des possibles Fait divers France GEFEN, Alexandre Inceste JAUFFRET, Régis Limites de la représentation Négativité Outil de connaissance Pouvoir et domination Rapport au père et à la mère ROBITAILLE, Louis-Bernard SLOTERDIJK, Peter Viol Violence Roman Mon, 30 Apr 2012 15:13:34 +0000 Simon Brousseau 501 at http://salondouble.contemporain.info Ouvrir le coffre bleu de Pandore: un best seller québécois à l'épreuve de l'esthétique contemporaine http://salondouble.contemporain.info/article/ouvrir-le-coffre-bleu-de-pandore-un-best-seller-qu-b-cois-l-preuve-de-lesth-tique <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-label">Auteur(s):&nbsp;</div> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/breton-luc">Breton, Luc</a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-biblio"> <div class="field-label">Référence bibliographique:&nbsp;</div> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/biblio/le-secret-du-coffre-bleu">Le secret du coffre bleu</a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-dossier-referent"> <div class="field-label">Dossier Reférent:&nbsp;</div> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/dossier/les-meilleurs-vendeurs">Les meilleurs vendeurs</a> </div> </div> </div> <p>Depuis une dizaine d’années, plusieurs humoristes québécois se sont également fait connaître comme comédiens, profitant d'un public déjà constitué pour renégocier les frontières d'un métier qui, du reste, relève déjà pour une large part du jeu d'acteur. D'autres, comme Ghislain Taschereau avec <em>Les aventures de l’Inspecteur Specteur</em> (1998, 1999, 2001), Louis-José Houde avec ses livres humoristique <em>Mets-le au 3!</em> (2007) et<em> Suivre la parade</em> (2010) ou, plus récemment, Lise Dion avec <em>Le secret du coffre bleu</em> (2011) –qui fera l’objet de la présente lecture–, ont tenté une percée du côté de la littérature sans toutefois revendiquer le statut d'écrivain. À la différence des écrits des deux premiers, le récit que fait paraître Lise Dion est en nette rupture de ton avec son œuvre humoristique. Issu de cahiers et de documents découverts dans à la mort de la mère adoptive de l’auteure,<em> Le secret du coffre bleu</em> fait la lumière sur un pan méconnu de la vie d’Armande Martel, une jeune religieuse de Chicoutimi qui décide d’aller prononcer ses vœux à Rennes au début des années 1930 et qui, sous l’Occupation, est arrêtée et déportée au camp de Buchenwald où elle sera détenue pendant près de cinq ans, contrainte à travailler pour l’industrie de guerre allemande. En s'appuyant sur cet héritage trouvé dans un coffre bleu dont l'accès lui avait toujours été interdit, Lise Dion a tenté de mettre en récit l'expérience traumatique de sa mère, retraçant par le fait même sa propre histoire familiale jusqu'au décès de son père en 1965, alors qu'elle avait dix ans. Ce travail de réécriture a été complété par des entretiens avec des survivantes du camp de concentration réalisés par l'auteure ainsi que des recherches archivistiques commencées en 2004.</p> <p>Loin de se limiter à un simple divertissement, ce «meilleur vendeur» est aussi un récit de transmission qui participe plus largement de la tendance actuelle de la littérature mémorielle. C'est dans cette perspective que je propose de lire <em>Le secret du coffre bleu</em>; en tentant de voir comment ce récit actualise certaines préoccupations, tant du point de vue générique que narratif, que l'on reconnaît plutôt à la littérature contemporaine de circuit restreint. <a name="renvoi1"></a><a href="#note1">[1]</a></p> <p><strong>De la logique du best seller à la forme du récit</strong></p> <p>Avant d'aller plus loin dans la lecture du récit de Lise Dion, il convient d'abord de nuancer le concept de «meilleur vendeur» sur lequel le présent dossier incite à réfléchir. Il ne s'agit aucunement par là de remettre en question le statut de best seller du <em>Secret du coffret bleu </em>qui compte parmi les meilleurs succès commerciaux de la dernière année. Sans compter que ce récit a été publié aux éditions Libre Expression (Quebecor Media), qui se spécialisent dans l’édition d’ouvrage à succès, et que l’auteure reconnaît l'avoir écrit pour le public déjà constitué par sa carrière. D'un point de vue plus formel, ce récit s’inscrit classiquement dans ce qui fait la spécificité du best seller autant par la simplicité de l'intrigue et de l'écriture que par le découpage feuilletonnesque de l'ensemble. Construit de manière à tenir le lecteur en haleine, en limitant le contenu historique à des repères de base, <em>Le secret du coffre bleu</em> privilégie le divertissement à l'effort cognitif. Lise Dion ne propose pas une expérience esthétique novatrice; il ne s'agit pas pour elle de faire preuve de virtuosités narratives ou de composer un réseau intertextuel complexe qui, dans l'œuvre de plusieurs représentants de l'esthétique contemporaine, redouble le caractère mémoriel du récit en multipliant les références à une tradition littéraire. À ces aspects qui permettent de lire <em>Le secret du coffre bleu</em> dans la logique du best seller s'ajoute aussi le fait que l'expérience concentrationnaire dont témoigne ce récit rencontre les attentes d’un public déjà conquis par la littérature consacrée à l'histoire de la Seconde Guerre mondiale. C'est ce dont témoignent abondamment les sections des librairies consacrées à l'histoire où s'entassent les biographies du Führer et les études scientifiques sur le Troisième Reich, mais aussi le succès de romans comme <em>Les Bienveillantes</em> (2006) de Jonathan Littel ou, plus récemment, <em>La Jeunesse mélancolique et très désabusée d'Adolf Hitler</em> (2010) de Michel Folco <a name="renvoi2"></a><a href="#note1">[2]</a> pour ne citer que deux exemples très connus.</p> <p>Le récit de Lise Dion n'échappe pas à cette fascination contemporaine pour le nazisme que Philippe Breton (2007) n'hésite pas à décrire comme un phénomène de mode, mais il n’en demeure pas moins qu’il ne cède pas à une simple instrumentalisation de l'histoire du Troisième Reich à des fins commerciales comme c'est le cas pour plusieurs productions culturelles contemporaines (on pense notamment au cinéma et aux jeux vidéo). En effet, l’auteure s'intéresse au micro-récit d'une victime, d'une survivante anonyme et, par extension, à l'expérience concentrationnaire d'une poignée de Canadiennes-françaises qui ne suscite guère d’intérêt aujourd’hui et dont la mémoire historique a pratiquement disparu. Ce programme narratif et le traitement de la mémoire qu'il comporte déborde du cadre du best seller et, au fil de la lecture, en redéfinit subtilement les frontières. Dès lors, si le concept de «meilleur vendeur» désigne bien un phénomène objectivement identifiable, il s’agit également d’un cliché qui renvoie à un objet déjà assemblé, à un phénomène dont les composantes sont déjà stabilisées de telle sorte qu'il ne reste plus qu'à l'aborder sur le mode de la reconnaissance (Deleuze: [1968] 2000) plutôt que sur celui de l'expérimentation qui permettrait d'en saisir la différence. Cette différence passe notamment par l'indétermination générique du récit de Lise Dion qui, me semble-t-il, présente plusieurs ambiguïtés autorisant un rapprochement avec l’esthétique contemporaine.</p> <p>Car <em>Le secret du coffret bleu</em> ne se confine pas dans un genre couramment pratiqué dans la littérature de grande consommation: il ne s’agit ni d’un roman, ni d’une biographie ou d’un témoignage, mais bien d’un <em>récit</em>. Ce choix est d’autant plus significatif qu’il sous-tend, à l’instar de plusieurs œuvres emblématiques de la littérature actuelle de circuit restreint, une réflexion sur la forme et l’écriture dans la mesure où la mise en récit des notes fragmentaires contenues dans le coffre bleu constitue un travail de réécriture formant une sorte de palimpseste généalogique. Plus encore, le texte de Lise Dion résulte d'une hybridation d’écriture de soi et d’écriture de l’Histoire s’appuyant sur des documents d’archives. Seule la forme du récit, «forme toujours en question, en déséquilibre […], forme tenue dans l'incertitude même de ses modes» (Viart, 1998: 24) pouvait rendre possible un tel projet d’écriture. Cette forme de l'incertitude retenue par l'auteure renforce également la double incertitude dont se compose plus généralement le récit, à savoir celle dans laquelle se trouve plongée la narratrice à la suite du décès de sa mère et de la découverte du contenu problématique du coffret, et celle vécue par sa mère dans le quotidien de l’univers concentrationnaire. Le recours au récit permet aussi d’introduire une instance narrative tout aussi incertaine –à la fois <em>je</em> de l’auteure et <em>je</em> de la mère parasité par celui de sa fille– par laquelle la narratrice tente une restitution empathique du passé méconnu de sa mère. En se substituant à sa mère qui s'adresse familièrement à sa Lison, le récit ne permet pas d'identifier&nbsp; directement le<em> je</em> de la narratrice au <em>je</em> de l’auteure. Dès lors, le «pacte autobiographique» (Philippe Lejeune) auquel pouvait s'attendre le lecteur à la lecture du premier chapitre est définitivement rompu par un <em>je</em> polyphonique avec lequel interfèrent notamment le discours archivistique et, en creux, celui de ceux qui ont collaboré à l'écriture du récit, lequel s'achève sur de longs remerciements faisant état de ces contributions.</p> <p>Ces quelques observations sur le genre retenu par Lise Dion pour mettre en forme les fragments de son passé familial laissent entrevoir une démarche réflexive qui fait écho aux préoccupations des «nouvelles écritures littéraires de l’Histoire» qui, depuis plus d'une dizaine d'années, occupent une place considérable dans l’esthétique contemporaine (Viart, 2009b). À travers la forme du récit, c’est une identité à la fois singulière et plurielle qui se réinvente; un sujet qui recompose, entre mémoire et savoir, les fragments d'un passé familial à travers un entrelacement de souvenirs, de fiction et d'archive.</p> <p>&nbsp;</p> <p><strong>L’émergence d’un récit de filiation</strong></p> <p>Si Lise Dion donne parfois l'impression de justifier l'écriture de son récit par le seul devoir de mémoire («Pour que toujours je me souvienne», p.26), il n’en demeure pas moins que<em> Le secret du coffre bleu</em> participe aussi d’un travail de mémoire qui se traduit par une quête de filiation. En effet, bien que le long prologue annonce plutôt le récit d'une «victime de la Seconde Guerre mondiale» (p.24), plus du tiers du livre, soit presque deux des quatre cahiers dont il est composé, est consacré à la reconstitution de la vie d'Armande, la mère de l'auteure. Le premier cahier s'ouvre sur sa naissance en 1912 et retrace la généalogie de celle-ci; survient ensuite le décès prématuré de sa mère (grand-mère de l’auteur) auquel succède une description des années passées à l'orphelinat, puis au couvent et son séjour en France (à Guernesey et à Rennes) où elle décide de s'établir après avoir prononcé ses vœux en 1933. À l’épisode de l'arrestation en 1940 succède l'épisode de la déportation dans des camps d'internement réservés aux sujets britanniques et son transfert définitif à Buchenwald jusqu’à la Libération. Le récit se poursuit encore jusqu’à la rencontre de Marcel, qu'Armande épouse à son retour au Québec, et s’achève sur la naissance de Lison, en 1955, jusqu’au décès prématuré de Marcel en 1965, père adoptif. Ce rappel des principaux moments de l'intrigue du <em>Secret du coffre bleu</em> montre bien qu'il ne s'agit pas pour la narratrice de s'en tenir à la transmission du récit traumatique de sa mère dans l’univers concentrationnaire. Sa démarche s'apparente plutôt à une recherche généalogique visant à conjurer une incertitude mémorielle et identitaire découlant de l’effacement de ses liens familiaux.</p> <p>Ce travail de mémoire –qui, on le verra bientôt est aussi un travail de deuil– passe par l’écriture/réécriture d’une expérience léguée en héritage en même temps que par un travail de documentation s’appuyant sur des archives. Cette dimension cognitive du récit qui permet de «prendre connaissance» (p.204) de l'histoire maternelle à travers les fragments de l'histoire familiale contenue dans le coffre bleu permet en quelque sorte à l’auteure d'attacher sa mémoire à des matériaux plus solides et moins changeants, de leur conférer une légitimité factuelle à partir de laquelle son identité peut se reconstruire. Une telle enquête sur l’ascendance et sur les rapports entre connaissance (de soi) et écriture n’est pas sans rappeler le&nbsp;récit contemporain de filiation qui a pour originalité de</p> <p>substituer au récit plus ou moins chronologique de soi [...] une enquête sur <em>l’ascendance</em> du sujet [où] les écrivains remplacent l’investigation de leur <em>intériorité</em> par celle de leur <em>antériorité</em> familiale. Père, mère, aïeux plus éloignés, y sont les objets d’une recherche dont sans doute l’un des enjeux ultimes est une meilleure connaissance du narrateur de lui-même à travers ce(ux) dont il hérite (Viart, 2009a: 96).</p> <p>Le prologue du<em> Secret du coffre bleu</em>, qui s'ouvre sous le signe du deuil, montre bien à quel point le récit est traversé par cette enquête d'un sujet doublement dépossédé de son origine familiale et qui tente non seulement de reconstituer son antériorité à travers une recherche archivistique, mais aussi de recomposer l’image d’une mère qui, de son vivant, lui avait toujours caché son passé. C’est sous le signe de l’altérité qu’est vécue leur relation; malgré leur belle complicité, le rapport qu’entretenait la narratrice avec sa mère demeurait problématique parce que celle-ci était à la fois possessive et rancunière, et particulièrement aigrie durant les dernières années de sa vie.</p> <p>Aussi la quête de filiation de la narratrice doit-elle passer par une reconstitution du passé maternel, mais également par une révision complète de l’image qu’elle s’était faite de sa mère en raison de son mutisme sur ses expériences antérieures. Lorsque l'auteure lui posait des questions sur son passé, «elle trouvait toujours mille et une façons de ne pas répondre» (p.28). Et ce silence ne porte pas seulement sur le passé douloureux d’Armande; la découverte du contenu du coffre bleu révèle aussi à l’auteure son séjour dans un orphelinat avant son adoption, épisode de sa vie que sa mère lui avait toujours caché. La mort de la mère sur laquelle s'ouvre le récit brise le silence et introduit chez la narratrice un soupçon sur l'origine. Son deuil déclenche la quête de l’antériorité familiale. Le prologue est marqué par l'irruption d'un sujet mélancolique –instance narratrice caractéristique du récit de filiation (Demanze, 2007)– confronté à la perte de son dernier repère familial en même temps qu’à l'héritage problématique du coffre bleu. Face aux emblèmes de la mort, cadavre, objets ayant appartenus à la défunte, cercueil, etc., la narratrice se sent aussitôt envahie par la nostalgie et le fantôme de sa mère vient la hanter à travers d’heureux souvenirs d'enfance en sa compagnie. Contrainte de vider le logement maternel, elle ne peut réprimer un sentiment de culpabilité lorsqu'elle apprend que le corps se décomposait déjà depuis deux jours (p.10). Ce passage donne lieu à une description empiriste de la situation où les sens de la narratrice sont saturés par l'odeur de la mort: «J'avais l'impression que jamais je ne parviendrais à me défaire de cette odeur qui restait collée à mes narines et à mes vêtements. Mais ce qui était pire, c'était l'immense silence et le grand vide qui régnaient dans son logement» (p.11). Tous les objets qu'elle doit récupérer sont autant d'évidences de la disparition de sa mère; son parfum, ses bijoux, ses chaussures rappellent mélancoliquement à la narratrice la vanité de toute chose et la précarité de l'existence. C'est à ce moment du prologue que l'auteure choisit de faire interférer le récit avec des photographies de ses parents. En plus de servir de document, ces images sont aussi des emblèmes de la mélancolie, immobilisant le passé et «rassemblant une fois encore la famille dispersée» (Demanze, 2007: 247).</p> <p><strong>Une anthropologie de la survie</strong></p> <p>Avec <em>Le secret du coffre bleu</em>, il ne s'agit pas de restituer fidèlement l’histoire de la Seconde Guerre mondiale, mais plus modestement de mettre en scène des moments historiques du point de vue d’un être anonyme, d’un figurant. Dans ce qu'il nomme les «nouvelles écritures contemporaines de l'histoire», Dominique Viart observe que la plupart des romans ou récits consacrés à des «vies défaites» durant la Seconde Guerre mondiale présentent «une dimension volontiers sociologique» (2009b: 29) où la position d'enquêteur adoptée par le narrateur sous-tend un rapport au savoir:</p> <p>Ces romans ou récits ne transfigurent plus un savoir en matière romanesque, mais développent la mise en scène de sa conquête, de sa difficile élaboration, laquelle procède d'un manque à savoir, agit par hypothèses [...], par recoupement d'informations diverses [...] fouilles d'archives aléatoires ou familiales […] (Viart, 2009: 24).</p> <p>Cette perspective est double dans le cas du <em>Secret du coffre ble</em>u qui, d'une part, met en scène la conquête d'un savoir par la réécriture et la recherche archivistique et qui, d'autre part, décrit la démarche cognitive d'Armande placée dans des situations extrêmes où elle doit réapprendre le fonctionnement des nouveaux rapports sociaux de l'univers concentrationnaire. Contrainte de se constituer une véritable anthropologie de survie au risque de sombrer dans la folie et dans la haine, elle doit trouver refuge dans le sentiment d'appartenance à ceux qui partagent sa condition. Pour elle, la connaissance d'autrui devient le seul garant de son existence et de sa survie possible. C'est dans cette perspective que <em>Le secret du coffret bleu</em> décrit longuement l'amitié d'Armande pour d'autres prisonnières du camp comme Simone (une Canadienne-française établie en Bretagne), Mathilde (l’épouse d’un résistant) et Iréna (une Juive polonaise) qui, par différentes stratégies allant jusqu'à la prostitution, se protègent mutuellement des hommes qui tentent de nier leur humanité. La survie –ainsi que l’apprend Armande par essais et erreurs– dépend d'alliés fiables, capables de s'associer pour résister de façon muette et tenace. Cette dimension cognitive du récit concentrationnaire passe aussi par l'écriture; la consignation de son expérience traumatique se faisait au risque de sa vie, sur des cahiers qu'elle dissimulait dans ses vêtements.</p> <p>Pour Armande, survivre dépendait aussi des sentiments, comme en témoigne son amour paradoxal pour Franz, un officier allemand qui lui adresse la parole alors qu’il surveille son travail qui consiste à «fixer des balles de mitrailleuse d'avion sur une ceinture» (p.107). Avec cet épisode se dessine en creux une anthropologie de la survie où les rapports affectifs protègent de la menace extérieure et permettent une identification du sujet à ceux qui partagent son expérience indicible. À la Libération, la vie affective d'Armande se prolonge avec la rencontre de Marcel, dont l’amour lui permettra bientôt de se constituer des repères familiaux dans un monde qu’elle aura préféré laïc après avoir vécu les pires atrocités du siècle et avoir été rejetée par la congrégation religieuse qui, malgré des examens passés pour s'assurer qu'elle avait préservé sa virginité durant sa détention, a persisté à la croire corrompue par l'ennemi allemand. Dans les interstices du récit se dessine donc la quête de filiation de la mère, une quête qui, à la mort de Marcel, s’est résorbée dans le deuil et le silence jusqu'à déléguant sa mémoire à un coffre dont elle avait toutefois assuré la transmission à sa fille.</p> <p>Ouvrir le coffre bleu, c'était en quelque sorte, pour Lise Dion, ouvrir la boîte de Pandore. Il était tout aussi risqué de tenter de voir ce qu'un best seller tel que <em>Le secret du coffret bleu</em> peut partager avec la littérature contemporaine de circuit restreint. La présente lecture aura tenté de mettre en lumière certains points de rencontres, des réciprocités qui témoignent de la porosité des écritures contemporaines, qu'elles soient de grande consommation ou issues de l'esthétique contemporaine telle qu'elle a été problématisée en France et au Québec depuis la fin du siècle dernier. S'il est vrai, comme le veut la légende, qu'au fond de la boîte de Pandore se trouve l'espérance, Lise Dion l'a bien libérée en réhabilitant le tragique d'une vie «pour que jamais [ils] n'oublient» (p.204). J'espère pour ma part que cette lecture aura libéré <em>Le secret du coffret bleu</em> d'une conception a priori du best seller où ne passe ni le tranchant de la différence, ni celui de la contemporanéité.</p> <p><strong>Bibliographie</strong></p> <p>AUDET, René&nbsp; [dir.] (2009), <em>Enjeux du contemporain. Études sur la littérature actuelle</em>, Québec, Éditions Nota bene, (Contemporanéités).</p> <p>BRETON, Philippe (2007), «Nazisme: une fascination déplacée», Conférence au séminaire«Victor Klemperer, écriture et résistance II», Université Marc Bloch, jeudi 30 novembre 2006. Disponible sur le blogue de l'auteur, [en ligne]. <a href="http://argumentation.blog.lemonde.fr/2007/10/08/nazisme-une-fascination-deplacee/">http://argumentation.blog.lemonde.fr/2007/10/08/nazisme-une-fascination-deplacee/</a> (Page consultée le 7 décembre 2011).</p> <p>DELEUZE, Gilles ([1968] 2000), <em>Différence et répétition</em>, Paris, Presses universitaires de France, (Épiméthée).</p> <p>DEMANZE, Laurent (2008), <em>Encres orphelines</em>, Paris, José Corti, (Les essais).</p> <p>DION, Lise (2011), <em>Le secret du coffre bleu</em>, Montréal, Libre Expression.</p> <p>VIART, Dominique [dir.] (1998), <em>Écritures contemporaines 1. Mémoires du récit,</em> Paris/Caen, Lettres modernes Minard, (La revue des lettres modernes).</p> <p>VIART, Dominique (2009a), «Le silence des pères au principe du “récit de filiation”», dans <em>Études françaises</em>, vol. 45, n° 3, 2009, p. 95-112.</p> <p>VIART, Dominique [dir.] (2009b), <em>Écritures contemporaines 10. Nouvelles écritures littéraires de l’Histoire</em>, Caen, Lettres modernes Minard, (La revue des lettres modernes).</p> <p>&nbsp;</p> <p><a name="note1"></a><a href="#renvoi1">[1] </a>Le lecteur de Salon double étant familier avec l'esthétique contemporaine, je me contente de renvoyer ici aux travaux consultés pour le présent article. Voir notamment les articles liminaires des collectifs de Audet (2009) et de Viart (1998; 2009), et l’ouvrage de Demanze (2008).</p> <p><a name="note2"></a><a href="#renvoi2">[2]</a> Pour un aperçu de la production littéraire s'inspirant du nazisme, voir Le magazine littéraire, «Le nazisme, 60 ans de romans», septembre 2007.&nbsp;</p> <p>&nbsp;&nbsp;</p> AUDET, René BRETON, Philippe DELEUZE, Gilles DEMANZE, Laurent VIART, Dominique Roman Thu, 12 Jan 2012 21:50:29 +0000 Luc Breton 436 at http://salondouble.contemporain.info Le paria http://salondouble.contemporain.info/lecture/le-paria <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/boulanger-julie">Boulanger, Julie</a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-biblio"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/biblio/deuils-cannibales-et-melancoliques">Deuils cannibales et mélancoliques</a> </div> </div> </div> <!--break--><!--break--><p class="MsoNormal" style="margin-left: 216pt; text-align: justify;"><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><span>La Treizi&egrave;me revient... C'est encor la premi&egrave;re;<br /> Et c'est toujours la Seule, -ou c'est le seul moment:</span></span></p> <p class="MsoNormal" style="margin-left: 216pt; text-align: justify;"><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><span>Car es-tu Reine, &ocirc; Toi! la premi&egrave;re ou derni&egrave;re?<br /> Es-tu Roi, toi le seul ou le dernier amant?...</span></span></p> <p class="MsoNormal" style="margin-left: 216pt; text-align: justify;"><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><span>Aimez qui vous aima du berceau dans la bi&egrave;re;<br /> Celle que j'aimai seul m'aime encor tendrement:<br /> C'est la Mort -ou la Morte... &Ocirc; d&eacute;lice! &ocirc; tourment!<br /> La rose qu'elle tient, c'est la Rose tr&eacute;mi&egrave;re.</span></span></p> <p class="MsoNormal" style="margin-left: 216pt; text-align: justify;"><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><span>G&eacute;rard de Nerval, &laquo;Art&eacute;mis&raquo;</span></span></p> <p>&nbsp;</p> <p><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Un genre honteux</strong></span></p> <p>L&rsquo;autofiction a mauvaise presse. Si elle a obtenu un succ&egrave;s important, elle n&rsquo;en a pas moins d&egrave;s l&rsquo;origine suscit&eacute; la m&eacute;fiance et servi de repoussoir &shy;&shy;&shy;&ndash;plus particuli&egrave;rement au cours des derni&egrave;res ann&eacute;es&ndash; &agrave; quantit&eacute; d&rsquo;auteurs qui se d&eacute;fendaient de pratiquer ce genre honteux, racoleur, narcissique afin de mieux d&eacute;montrer a contrario le statut indubitablement litt&eacute;raire de leur production. L&rsquo;autofiction est ainsi devenue ce que l&rsquo;on veut &agrave; tout prix se garder de faire. D&rsquo;anciens adeptes du genre l&rsquo;ont &eacute;galement d&eacute;laiss&eacute;e afin de se consacrer &agrave; un genre plus s&eacute;rieux, celui du roman, &agrave; un genre pr&eacute;serv&eacute; de l&rsquo;ambigu&iuml;t&eacute;, de l&rsquo;impuret&eacute; profess&eacute;e de fa&ccedil;on &eacute;hont&eacute;e dans le m&eacute;lange de l&rsquo;exp&eacute;rience personnelle et de la fiction propre &agrave; l&rsquo;autofiction. La pratique de l&rsquo;autofiction, on le sait, peut &ecirc;tre pardonn&eacute;e si elle conduit vers le droit chemin du roman. Je pense, par exemple, &agrave; Nelly Arcan qui avait op&eacute;r&eacute; ce passage de l&rsquo;autofiction vers le roman dans <em>&Agrave; ciel ouvert</em> [2007], narr&eacute; &agrave; la troisi&egrave;me personne pour &ecirc;tre bien certaine de ne garder aucune trace de sa mauvaise fr&eacute;quentation pass&eacute;e<a name="_ftnref" href="#_ftn1"><strong>1</strong></a>.</p> <p>Je pense aussi &agrave; Catherine Mavrikakis qui, avec <em>Le ciel de Bay City</em> [2008] &shy;&ndash;roman qui l&rsquo;a consacr&eacute;e&ndash;, s&rsquo;est &eacute;loign&eacute;e du genre autofictionnel auquel la rattachaient &agrave; divers degr&eacute;s ses trois premiers romans. D&rsquo;une fa&ccedil;on beaucoup moins nette que Nelly Arcan cependant. &Agrave; l&rsquo;occasion du lancement de ce dernier roman, elle a ouvert un blogue<a name="_ftnref" href="#_ftn2"><strong>2</strong></a>&nbsp;o&ugrave; la place centrale accord&eacute;e &agrave; Bay City et l&rsquo;&eacute;vocation de certains &eacute;l&eacute;ments du roman comme exp&eacute;rience personnelle brouillaient les cartes quant au caract&egrave;re fictif de son roman. Qui plus est, c&rsquo;est quelques mois apr&egrave;s la parution du <em>Ciel de Bay City</em> qu&rsquo;a &eacute;t&eacute; r&eacute;&eacute;dit&eacute; chez H&eacute;liotrope <em>Deuils cannibales et m&eacute;lancoliques</em>, paru aux &eacute;ditions Trois en 2000<a name="_ftnref" href="#_ftn3"><strong>3</strong></a>, roman qui respectait tous les codes de l&rsquo;autofiction. La d&eacute;finition &eacute;tablie par Serge Doubrovsky et adopt&eacute;e par Marie Darrieussecq la caract&eacute;rise comme &laquo;un r&eacute;cit &agrave; la premi&egrave;re personne, se donnant pour fictif [...] mais o&ugrave; l&rsquo;auteur appara&icirc;t homodi&eacute;g&eacute;tiquement sous son nom propre, et o&ugrave; la vraisemblance est un enjeu maintenu par de multiples &lsquo;effets de vie&rsquo;&raquo;<a name="_ftnref" href="#_ftn4"><strong>4</strong></a>. Deuils cannibales et m&eacute;lancoliques assume parfaitement cette d&eacute;finition.</p> <p><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Provoquer l&rsquo;&eacute;v&eacute;nement</strong></span></p> <p>De repentir par rapport &agrave; la pratique de l&rsquo;autofiction, il n&rsquo;y a donc pas chez Mavrikakis. Loin s&rsquo;en faut. Dans son essai <em>Condamner &agrave; mort. Les meurtres et la loi &agrave; l&rsquo;&eacute;cran</em> [2005], elle s&rsquo;inscrit d&rsquo;ailleurs en porte-&agrave;-faux de ce mouvement g&eacute;n&eacute;ral de d&eacute;pr&eacute;ciation de l&rsquo;autofiction et tente de repenser celle-ci &agrave; travers son rapport au monde:</p> <p class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">L&rsquo;on pourrait consid&eacute;rer le travail de l&rsquo;autofiction, tel qu&rsquo;il s&rsquo;est pr&eacute;sent&eacute; dans la litt&eacute;rature contemporaine depuis 10 ans, comme une tentative de l&rsquo;&eacute;crit de participer au m&eacute;diatico-juridique, une mise en acte de crime de papier, qui ne m&egrave;ne pas n&eacute;cessairement &agrave; la mort de ceux que le narrateur punit, mais bien &agrave; leur d&eacute;nonciation sur la place publique et &agrave; la possible condamnation de l&rsquo;&eacute;crivain pour atteinte &agrave; la vie priv&eacute;e. C&rsquo;est du moins ce que donnent &agrave; penser beaucoup de textes autofictionnels qui veulent agir sur le monde et sur les torts subis en utilisant la litt&eacute;rature comme espace de vengeance personnelle ou sociale, et en faisant appel &agrave; une loi imaginaire ou bien r&eacute;elle. Les intellectuels, qui tr&egrave;s souvent m&eacute;prisent l&rsquo;autofiction parce qu&rsquo;elle fait le jeu des m&eacute;dias, auraient &agrave; r&eacute;fl&eacute;chir sur cette tentative d&eacute;sesp&eacute;r&eacute;e et peut-&ecirc;tre parfois, mais pas toujours, d&eacute;sesp&eacute;rante de sauver les lettres afin d&rsquo;en faire un lieu o&ugrave; il se passe quelque chose, un &eacute;v&eacute;nement m&eacute;diatique</span><a name="_ftnref" href="#_ftn5"><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>5</strong></span></a><a name="_ftnref" href="#_ftn5"></a><span style="color: rgb(128, 128, 128);">.</span></p> <p>Cette proposition apporte une r&eacute;ponse &agrave; la condamnation v&eacute;h&eacute;mente du cynisme des intellectuels contemporains qui ouvre son essai. L&rsquo;autofiction constituerait ainsi une tentative d&rsquo;&eacute;chapper &agrave; ce cynisme caract&eacute;ris&eacute; entre autres par la r&eacute;signation confortable &agrave; l&rsquo;impuissance de la litt&eacute;rature et de la pens&eacute;e. L&rsquo;autofiction, une certaine pratique de l&rsquo;autofiction, se d&eacute;finirait donc par un d&eacute;sir d&rsquo;agir sur le monde &agrave; travers le jugement qu&rsquo;elle dirige contre lui. C&rsquo;est pr&eacute;cis&eacute;ment &agrave; l&rsquo;aune de cette volont&eacute; d&rsquo;agir sur le monde qui sous-tend, contre toute attente, le projet autofictionnel que j&rsquo;aimerais lire<em> Deuils cannibales et m&eacute;lancoliques</em>.</p> <p><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Une suite de morts</strong></span></p> <p>Le titre du texte de Catherine Mavrikakis nous place sous le signe de l&rsquo;accumulation et du tragique. Accumulation des morts, pass&eacute;es ou &agrave; venir, derri&egrave;re lesquelles se trame la possibilit&eacute; d&rsquo;une autre mort, double cette fois, celle de l&rsquo;auteure et celle et du livre:</p> <p class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Combien de morts avant la fin de ce livre? Combien de coups de t&eacute;l&eacute;phone, d&rsquo;alarmes secr&egrave;tes et de sonneries du destin? Et puis la question de la fin du livre, comme fin non pr&eacute;vue, comme mort possible de l&rsquo;auteure que je ne pose pas, mais qui est dans chacun de mes mots, dans chacun de mes morts. (p. 92)</span></p> <p>La narratrice ne fera donc pas le r&eacute;cit d&rsquo;un seul deuil, tel qu&rsquo;il est souvent le cas<a name="_ftnref" href="#_ftn6"><strong>6</strong></a>&nbsp;&mdash;comme si l&rsquo;endeuill&eacute; devait &agrave; son mort une fid&eacute;lit&eacute; ind&eacute;fectible&mdash;, mais d&rsquo;une s&eacute;rie de deuils, de deuils de morts qui portent tous le m&ecirc;me pr&eacute;nom, Herv&eacute;: &laquo;Cette semaine, j&rsquo;ai encore perdu un Herv&eacute;, et statistiquement, c&rsquo;&eacute;tait pr&eacute;visible puisque tous mes amis s&rsquo;appellent Herv&eacute; et sont, pour la plupart, s&eacute;ropositifs.&raquo; (p. 13) Dans l&rsquo;univers de Deuils cannibales et m&eacute;lancoliques, se pr&eacute;nommer Herv&eacute; et fr&eacute;quenter la narratrice repr&eacute;sentent les conditions m&ecirc;mes de la fatalit&eacute;, d&eacute;clare-t-elle: &laquo;Dans notre entourage, il ne fait pas toujours bon s&rsquo;appeler Herv&eacute;, ironiserais-je.&raquo; (p. 159) Situation extraordinaire qui &eacute;branle l&rsquo;enjeu de vraisemblance propre &agrave; l&rsquo;autofiction et d&eacute;tonne avec l&rsquo;esth&eacute;tique r&eacute;aliste maintenue autrement dans tout le texte. On peut ainsi en conclure que le pr&eacute;nom Herv&eacute; ne permet non pas d&rsquo;identifier les personnages &shy;&mdash;confront&eacute; &agrave; cette suite de Herv&eacute;, on perd tr&egrave;s rapidement pied&mdash; mais plut&ocirc;t de les rassembler sous un m&ecirc;me sens, sur lequel je reviendrai. Catherine, la narratrice, rejette d&rsquo;ailleurs le caract&egrave;re fig&eacute; qu&rsquo;on associe traditionnellement &agrave; l&rsquo;identit&eacute;:</p> <p class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Ce que je d&eacute;teste le plus chez les hommes, les homos comme les h&eacute;t&eacute;ros, c&rsquo;est leur assurance face &agrave; leur identit&eacute; sexuelle. [&hellip;] . Rien ne me d&eacute;go&ucirc;te plus qu&rsquo;une bande d&rsquo;homos ricanant d&rsquo;une fille qui les drague et qui se dit en minaudant: &laquo;Mais si elle savait&hellip;&raquo; Mais si elle savait quoi? Que l&rsquo;identit&eacute; prot&egrave;ge de tout? (p. 103)</span></p> <p>L&rsquo;identit&eacute; n&rsquo;est jamais d&eacute;finitive et ne doit en aucun cas servir de r&eacute;confort devant le caract&egrave;re multiple et fuyant de l&rsquo;&ecirc;tre. C&rsquo;est entre autres ce que nous donnent &agrave; voir tous ces Herv&eacute; qui d&eacute;filent dans le roman et ne sauraient &ecirc;tre circonscrits dans leur simple pr&eacute;nom.</p> <p><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Effigies</strong></span></p> <p>Certains Herv&eacute; sont vivants mais la plupart ont p&eacute;ri &mdash;tous du sida, mises &agrave; part les exceptions que je mentionnerai. Parmi cette suite de Herv&eacute; morts, il y a tout d&rsquo;abord le Herv&eacute; de la d&eacute;dicace, puis le Herv&eacute; enterr&eacute; &agrave; Montmartre, heidegerrien qui d&eacute;testait le bavardage et aimait les <em>Kindertotenlieder</em> (<em>Chants pour des enfants mort</em>s) de Mahler. Il y a ensuite Herv&eacute; Guibert &eacute;voqu&eacute; &agrave; maintes reprises, dont la narratrice est &laquo;impr&eacute;gn&eacute;e comme une &eacute;ponge&raquo; (p. 153), puis le Herv&eacute; mort dans l&rsquo;attentat d&rsquo;un m&eacute;tro londonien neuf ans auparavant. Il y a le Herv&eacute; metteur en sc&egrave;ne dont elle avait d&eacute;fendu l&rsquo;oeuvre, qui est apparu pour la premi&egrave;re fois &agrave; Catherine v&ecirc;tu de cuir noir et qui lui avait demand&eacute; de &laquo;trouver la bonne m&eacute;taphore de sa mort&raquo; (p. 41), puis le Herv&eacute; compagnon de ce dernier Herv&eacute;. Vient ensuite le Herv&eacute; psychanalyste p&eacute;dophile, suicid&eacute;, qui &eacute;tait son voisin et surtout pas son ami, puis un ami Herv&eacute; qui avait aper&ccedil;u un spectre avant d&rsquo;&ecirc;tre persuad&eacute; de son pouvoir sur la mort jusqu&rsquo;&agrave; ce qu&rsquo;elle le frappe quand il avait vingt-quatre ans, et un autre Herv&eacute;, voisin tr&egrave;s jeune qui s&rsquo;&eacute;tait mis &agrave; pleurer en voyant Sud, la chienne de Catherine. Il y a &eacute;galement le Herv&eacute; qui &eacute;tait son coiffeur et qu&rsquo;elle aimait tendrement, homme tr&egrave;s discret qui avait la m&ecirc;me date d&rsquo;anniversaire que la narratrice et &agrave; qui elle est demeur&eacute;e fid&egrave;le au-del&agrave; de sa mort, puis le Herv&eacute; jeune avocat superbe &eacute;pris de litt&eacute;rature slave. Il y a le Herv&eacute; suicid&eacute; pendu &agrave; son appareil de gymnastique, qu&rsquo;elle d&eacute;signe comme l&rsquo;un des &laquo;travailleurs du mourir&raquo; (p. 115) en raison de son suicide tr&egrave;s lent, puis un Herv&eacute; disparu en avion et un autre Herv&eacute; ami fran&ccedil;ais passionn&eacute; par la Gr&egrave;ce et le sexe des chevaux m&acirc;les. Il y a le Herv&eacute; abject, professeur au &laquo;charisme invers&eacute;&raquo; (p. 140) qui excitait la haine de tous et qui s&rsquo;est suicid&eacute; le jour de la mort de Balzac, puis Herv&eacute;, le cousin de Catherine mort jeune. Il y a aussi le Herv&eacute; que la narratrice et Olga, l&rsquo;amoureuse de celle-ci, ont aid&eacute; &agrave; mourir lorsque sa maladie est devenue insoutenable. Enfin, il y a Herv&eacute; dont on apprend uniquement qu&rsquo;il &laquo;est mort hier&raquo; (p. 191).</p> <p>Tout autant de rep&egrave;res qui ne servent pas tant &agrave; cerner l&rsquo;identit&eacute; de cette foule de Herv&eacute; qu&rsquo;&agrave; la faire fuir, au sens o&ugrave; un tuyau fuit, si on reprend l&rsquo;image de Gilles Deleuze et F&eacute;lix Guattari<a name="_ftnref" href="#_ftn7"><strong>7</strong></a>, et auxquels on s&rsquo;accroche d&eacute;sesp&eacute;r&eacute;ment pour tenter de se retrouver un peu parmi ce flux incessant. Le roman se structure ainsi comme une suite d&rsquo;effigies, entre lesquelles on voit la vie suivre son cours, &agrave; travers les rencontres de la narratrice, ses souvenirs et r&eacute;flexions, jusqu&rsquo;&agrave; un prochain rendez-vous avec la mort.&nbsp; La mort a d&eacute;j&agrave; eu lieu et continuera d&rsquo;avoir lieu nous dit l&rsquo;incipit: &laquo;J&rsquo;apprends la mort de mes amis comme d&rsquo;autres d&eacute;couvrent que leur billet de loterie n&rsquo;est toujours pas gagnant.&raquo; (p. 13) Pr&eacute;sent d&rsquo;habitude ancr&eacute; dans la fatalit&eacute; &agrave; laquelle seule une chance exceptionnelle pourrait permettre d&rsquo;&eacute;chapper mais en laquelle on s&rsquo;acharne &agrave; croire pour continuer d&rsquo;exister. Peut-&ecirc;tre un autre ami ne mourra-t-il pas? Peut-&ecirc;tre ne mourront-ils pas tous les uns apr&egrave;s les autres avec nous comme seul t&eacute;moin et unique survivant? Peut-&ecirc;tre la suite des Herv&eacute; morts cessera-t-elle enfin de grandir?</p> <p>S&rsquo;il appara&icirc;t plusieurs autres morts que les Herv&eacute; &mdash;le grand-p&egrave;re suicid&eacute; de la narratrice, l&rsquo;amant d&rsquo;un voisin propri&eacute;taire de chien, la grand-m&egrave;re de la narratrice, un vieux professeur d&rsquo;universit&eacute; nomm&eacute; Pierre Rochant, une jeune professeure d&rsquo;universit&eacute; qui n&rsquo;est pas nomm&eacute;e, le demi-fr&egrave;re de la narratrice, Patrick, la s&oelig;ur de son amie Carla, avocate assassin&eacute;e par la junte militaire en Argentine, puis Camille, la modiste de sa m&egrave;re, puis un ami pr&eacute;nomm&eacute; Piero et une morte c&eacute;l&egrave;bre, Lady Diana et d&rsquo;autres encore&mdash;, la narratrice ne porte cependant pas le deuil de ces autres morts. Les Herv&eacute; sont ses morts: &laquo;Je me remets &agrave; &eacute;crire sur Herv&eacute;. Je deviens de plus en plus m&eacute;lancolique, possessivement jalouse de mes morts.&raquo; (p. 39) Ce sont les morts auxquels elle est attach&eacute;e, souvent par amour mais parfois aussi par la haine:</p> <p class="rteindent2"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Les gens me trouvent malsaine de vouloir conna&icirc;tre les d&eacute;tails de sa mort. Mais comment enterrer quelqu&rsquo;un qu&rsquo;on d&eacute;testait ? Quelle pose prendre devant ce mort-l&agrave;? Je ne dirai pas du bien d&rsquo;Herv&eacute;. Je n&rsquo;en dirai que du mal, je dirai toute la v&eacute;rit&eacute;, toute ma v&eacute;rit&eacute;. Je n&rsquo;aurai pas de bons sentiments &agrave; son &eacute;gard, je ne le plaindrai pas. (p. 143)</span></p> <p>Devant ses morts, aim&eacute;s ou abhorr&eacute;s, la narratrice s&rsquo;impose un imp&eacute;ratif incontournable, celui de la v&eacute;rit&eacute;.&nbsp;</p> <p><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Le devoir des vivants face aux morts</strong></span></p> <p>Cette accumulation de rendez-vous avec la mort est la condition premi&egrave;re de l&rsquo;&eacute;criture pour la narratrice. Elle conf&egrave;re l&rsquo;autorit&eacute; suffisante pour &eacute;crire. Ainsi dit-elle &agrave; propos d&rsquo;un chauffeur de taxi rencontr&eacute; entre Qu&eacute;bec et Baie Saint-Paul:</p> <p class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Ce type avait d&eacute;j&agrave; enterr&eacute; dix-neuf de ses amis, dont douze morts sur cette route. Pour quelqu&rsquo;un d&rsquo;une trentaine d&rsquo;ann&eacute;es, avoir tant de morts me parut v&eacute;ritablement une performance et je me demandai alors si ce n&rsquo;&eacute;tait pas &agrave; lui d&rsquo;&eacute;crire un livre sur les morts. Je ne revendique rien, surtout pas la mort&hellip; Il y aura toujours plus comp&eacute;tent ou plus dou&eacute; que moi dans le domaine. La mort n&rsquo;est malheureusement pas une chasse gard&eacute;e. (p. 25)</span></p> <p>L&rsquo;&eacute;criture est donc d&rsquo;abord fond&eacute;e sur la comp&eacute;tence accord&eacute;e par le contact direct et r&eacute;p&eacute;t&eacute; avec la mort et ensuite sur la justesse du dire. L&rsquo;&eacute;criture trouve son sens dans le devoir des vivants face aux morts, &agrave; plus forte raison celui de l&rsquo;&eacute;crivain, devoir qui rev&ecirc;t plusieurs formes. La narratrice tente de r&eacute;pondre &agrave; la demande du metteur en sc&egrave;ne mourant qui lui avait demand&eacute; de trouver une m&eacute;taphore pour sa mort:</p> <p class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Oui, trouver la bonne m&eacute;taphore de sa mort, c&rsquo;est ce qu&rsquo;Herv&eacute; me demanda dans ce caf&eacute; de gars, ce mardi apr&egrave;s-midi o&ugrave; nous nous v&icirc;mes pour la derni&egrave;re fois. C&rsquo;est qu&rsquo;il esp&eacute;rait que je l&rsquo;aide &agrave; &eacute;crire sa juste fa&ccedil;on de dire sa disparition. Je devrais trouver les mots qui proclament la v&eacute;rit&eacute; et qui apaiseraient les plaies que fait &agrave; nos chairs la vitesse du vivre. Il me fallait produire la bonne m&eacute;taphore que le th&eacute;&acirc;tre ne pouvait donner &agrave; Herv&eacute; et que seule l&rsquo;&eacute;criture lui promettait. L&rsquo;&eacute;criture&hellip; et moi. Moi, chemin vers la mort; moi, ex&eacute;cuteur testamentaire de ses livres posthumes; moi, critique litt&eacute;raire de ses &oelig;uvres; moi, m&eacute;moire de l&rsquo;&eacute;crit et de la parole. Moi, la litt&eacute;rature. (p. 41-42)</span></p> <p>Si la narratrice s&rsquo;acquitte de la t&acirc;che confi&eacute;e par Herv&eacute;, le metteur en sc&egrave;ne, en trouvant une m&eacute;taphore pour sa mort &mdash;dont elle dira qu&rsquo;il &laquo;est tout simplement mort consum&eacute; par sa propre &eacute;nergie que la maladie ne lui permettait plus de d&eacute;penser: Pneumocystis carinii&raquo; (p.&nbsp;36)&mdash;, celui-ci r&eacute;ussit, pour sa part, &agrave; formuler pour elle son travail d&rsquo;&eacute;crivain en lui faisant cette demande. Le travail de l&rsquo;&eacute;crivain face aux morts est donc &agrave; la fois celui bien connu de la rem&eacute;moration, mais aussi celui de l&rsquo;accompagnement du mourant vers sa mort en trouvant pour lui une &laquo;juste fa&ccedil;on de dire sa disparition&raquo;. Les morts de Deuils cannibales et m&eacute;lancoliques, semblables en cela &agrave; ces revenants qui r&egrave;gnent dans les &oelig;uvres fantastiques, sont tourment&eacute;s et requi&egrave;rent l&rsquo;aide des vivants pour trouver le repos. Ce repos, ils le trouveront lorsque les vivants auront su d&eacute;crire leur disparition.</p> <p>S&rsquo;inscrivant dans la lign&eacute;e de Gilles Deleuze, tandis qu&rsquo;elle &eacute;voque <em>L&rsquo;Ab&eacute;c&eacute;daire</em>, un entretien film&eacute; de huit heures entre Claire Parnet et le philosophe, la narratrice compare son travail d&rsquo;&eacute;criture &agrave; celui du m&eacute;dium:</p> <p class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Par intermittence, Deleuze affirmait qu&rsquo;il faut &eacute;crire pour les animaux, les enfants ou les fous, c&rsquo;est-&agrave;-dire &agrave; la place des animaux, des enfants ou des fous. Moi j&rsquo;&eacute;cris pour les morts. &Agrave; la place des morts. Ce n&rsquo;est pas que je sois un excellent m&eacute;dium ou que j&rsquo;aie plus de dons que les autres pour bavarder avec les morts. Mais comme Deleuze, je suis un peu perverse, je fais le mort et je crois n&rsquo;&ecirc;tre pas trop mauvaise dans ce r&ocirc;le. (p. 170)</span></p> <p>Son r&ocirc;le d&rsquo;&eacute;crivaine est tr&egrave;s concret. Enti&egrave;rement d&eacute;di&eacute;e &agrave; ses morts, elle est celle qui parle &agrave; la place des morts, qui parle avec les morts. La parole privil&eacute;gi&eacute;e par la narratrice, elle le signale dans ce passage, est le bavardage. Elle l&rsquo;avait toutefois annonc&eacute; d&rsquo;entr&eacute;e de jeu. Au &laquo;d&eacute;voilement de l&rsquo;&ecirc;tre&raquo; recherch&eacute; par les heideggeriens, elle pr&eacute;f&egrave;re le bavardage: &laquo;Tous mes amis universitaires sont heideggeriens. Mais moi j&rsquo;aime parler et surtout hurler pour ne rien dire.&raquo; (p. 18) La narratrice situe ainsi la litt&eacute;rature non du c&ocirc;t&eacute; de l&rsquo;&ecirc;tre, mais plut&ocirc;t du c&ocirc;t&eacute; du monde. Du c&ocirc;t&eacute; des hommes et des morts. Ce bavardage, par lequel elle d&eacute;finit &agrave; la fois sa parole et son mode de conversation avec les morts &mdash;elle dira qu&rsquo;il &laquo;n&rsquo;est de conversation qu&rsquo;avec les morts, qu&rsquo;avec Mahler ou qu&rsquo;avec ceux qui se sont tus&raquo; (p. 21)&mdash; rassemble l&rsquo;id&eacute;e d&rsquo;une parole aussi abondante qu&rsquo;inutile avec celle d&rsquo;une parole qui divulgue les secrets: &laquo;La trahison, elle est l&agrave;, d&egrave;s les premi&egrave;res lignes que je veux bavardes; elle est en moi.&raquo; (p. 19) Toute tra&icirc;tresse que soit sa parole, la narratrice travaillera cependant tout au long &agrave; d&eacute;crire les m&eacute;canismes d&eacute;licats du secret et de l&rsquo;aveu, surtout celui du sida. La narratrice &eacute;crit par exemple dans ce passage bouleversant et &agrave; maints &eacute;gards proustien&nbsp;:</p> <p class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><span style="background-color: rgb(255, 255, 255);">Il s&rsquo;&eacute;tait ramass&eacute; &agrave; l&rsquo;h&ocirc;pital et avait fini &laquo;No&euml;l sur le dos&raquo;, comme il me le raconta en riant. &laquo;J&rsquo;ai le syst&egrave;me immunitaire fragile&raquo;, avait-il ajout&eacute; pour que je comprenne. Mais je ne compris rien et pourtant j&rsquo;ai enregistr&eacute; ses paroles &agrave; m&ecirc;me mes entrailles. Elles retentissent en moi maintenant de fa&ccedil;on effroyable.&nbsp;Comment ai-je pu les entendre, les conserver et ne pas les d&eacute;crypter? Est-ce cela le sens de la semi-conserve? Paroles sibyllines entendues, dont le vrai sens m&rsquo;&eacute;chappe, conserv&eacute;es pour plus tard, quand je pourrai les entendre, impuissante.&nbsp; (p. 87-88)</span></span></p> <p>&Agrave; l&rsquo;image du narrateur de <em>La Recherche du temps perd</em>u, la narratrice de <em>Deuils cannibales et m&eacute;lancoliques</em> r&eacute;interpr&egrave;te apr&egrave;s coup l&rsquo;&eacute;v&eacute;nement dont elle n&rsquo;avait pas su comprendre le sens. Cette d&eacute;faillance de l&rsquo;interpr&eacute;tation est toutefois illustr&eacute;e ici dans ses cons&eacute;quences les plus tragiques. N&rsquo;ayant pas su d&eacute;chiffrer l&rsquo;aveu, la narratrice ne put r&eacute;pondre &agrave; la demande formul&eacute;e dans l&rsquo;aveu masqu&eacute;.</p> <p><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Le triste savoir</strong></span></p> <p>Malgr&eacute; la venue &agrave; l&rsquo;&eacute;criture que permet le contact r&eacute;p&eacute;t&eacute; avec les morts, cette accumulation de rendez-vous n&rsquo;en est pas moins re&ccedil;ue et d&eacute;crite comme une fatalit&eacute; par la narratrice. Ainsi &eacute;voque-t-elle son amoureuse &agrave; qui elle &laquo;ne [fait] qu&rsquo;apporter des morts p&ecirc;le-m&ecirc;le. Dans des charrettes toutes pleines.&raquo; (p. 22) De m&ecirc;me n&rsquo;apporte-t-elle au lecteur que des morts p&ecirc;le-m&ecirc;le. Dans des pages toutes pleines de Herv&eacute;. La narratrice transmet ce faisant &agrave; son amoureuse et au lecteur son triste savoir, fa&ccedil;onn&eacute; autant par ses rendez-vous sans fin avec la mort que dans son constat de la disparition de l&rsquo;humanit&eacute;: &laquo;Je sais la cruaut&eacute; de mes paroles et l&rsquo;horreur qu&rsquo;elles provoquent en moi. C&rsquo;est la cruaut&eacute; qui nous tuera, notre inhumanit&eacute;. Je constate que je deviens dure, insensible. Le constat est la seule humanit&eacute; qui me reste.&raquo; (p. 91) Dans ce triste savoir, c&rsquo;est son reste d&rsquo;humanit&eacute; qu&rsquo;elle transmet.</p> <p>La transmission de son triste savoir s&rsquo;inscrit donc &agrave; la suite de la fatalit&eacute; qui frappe la narratrice. Il y a dans la fatalit&eacute;, telle qu&rsquo;elle est repr&eacute;sent&eacute;e, quelque chose de la contamination. D&rsquo;une fa&ccedil;on tr&egrave;s &eacute;vidente et pr&eacute;cise, bien s&ucirc;r, puisque cette fatalit&eacute; survient surtout sous l&rsquo;action du sida, mais plus globalement aussi. Tout ce qui entoure la mort nous menace de contamination. Dans son essai <em>La Violence et le sacr&eacute;</em>, Ren&eacute; Girard d&eacute;crit la terreur de la contamination par la violence qui habitait les membres des soci&eacute;t&eacute;s dites primitives:</p> <p class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Il n&rsquo;y a qu&rsquo;un moyen d&rsquo;&eacute;viter l&rsquo;impuret&eacute;, c&rsquo;est-&agrave;-dire le contact avec la violence, et c&rsquo;est de s&rsquo;&eacute;loigner. Aucune id&eacute;e de devoir ou d&rsquo;interdiction morale n&rsquo;est pr&eacute;sente. La contamination est un danger terrible auquel seuls, en v&eacute;rit&eacute;, les &ecirc;tres d&eacute;j&agrave; impr&eacute;gn&eacute;s d&rsquo;impuret&eacute;, d&eacute;j&agrave; contamin&eacute;s, n&rsquo;h&eacute;sitent pas &agrave; s&rsquo;exposer.</span><a name="_ftnref" href="#_ftn8"><strong>8</strong></a><a name="_ftnref" href="#_ftn8"></a>&nbsp;</p> <p>Cette terreur, nos contemporains se targuent d&rsquo;en &ecirc;tre affranchis, nous dit Girard &laquo;parce que [la mentalit&eacute; moderne] ne croit pas &agrave; la contagion, except&eacute; dans le cas des maladies microbiennes<a name="_ftnref" href="#_ftn9"><strong>9</strong></a>&raquo; La narratrice reconna&icirc;t au contraire ce danger de contagion et le pr&ecirc;te &agrave; son livre, porteur de tant de morts: &laquo;Ce livre lui-m&ecirc;me est contamin&eacute; par la mort et si on le traite comme un paria, je comprendrai.&raquo; (p. 173) Cet avertissement qui pourrait se solder par l&rsquo;exclusion du livre traduit la volont&eacute; d&rsquo;une litt&eacute;rature capable d&rsquo;agir sur le monde exprim&eacute;e dans tout le livre. Si on croit la litt&eacute;rature capable d&rsquo;agir sur le monde et si l&rsquo;on croit en la contamination, ce livre pr&eacute;sente un r&eacute;el danger. L&rsquo;exclusion du livre devient donc en quelque sorte un objet de d&eacute;sir puisqu&rsquo;elle attesterait de la vitalit&eacute; de la litt&eacute;rature.</p> <p>Or, ce qui est plus que tout redout&eacute; par la narratrice par rapport &agrave; la litt&eacute;rature, ce qu&rsquo;elle rejette le plus violemment, c&rsquo;est une litt&eacute;rature rel&eacute;gu&eacute;e au statut de culture morte, pur r&eacute;sidu du pass&eacute; sans existence dans le monde actuel. C&rsquo;est pr&eacute;cis&eacute;ment ce que d&eacute;nonce ce passage magnifiquement virulent o&ugrave; la narratrice croise d&rsquo;anciens &eacute;tudiants &agrave; elle devant &laquo;l&rsquo;universit&eacute; la plus prestigieuse en Am&eacute;rique du Nord, l&rsquo;universit&eacute; des riches anglophones et des francophones parvenus qui r&ecirc;vent d&rsquo;oublier leurs origines&raquo; (p. 70) o&ugrave; ceux-ci sont d&eacute;sormais inscrits. Devant ce choix de ses anciens &eacute;tudiants, elle s&rsquo;insurge:</p> <p class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Ils sont fiers de me montrer qu&rsquo;ils ont suivi mes traces, je les renie et bien plus que trois fois. J&rsquo;ai pass&eacute; tant d&rsquo;heures &agrave; leur montrer que la litt&eacute;rature leur permettrait d&rsquo;&eacute;viter ce genre d&rsquo;universit&eacute;. Je me suis tellement &eacute;puis&eacute;e &agrave; leur dire de travailler sur autre chose que sur des textes reconnus par l&rsquo;institution litt&eacute;raire bien pensante et si peu engag&eacute;e. On ne doit pas tous &eacute;crire sa th&egrave;se sur Gabrielle Roy! Je ne veux plus rien avoir &agrave; faire avec ces &eacute;tudiants! Je les maudis. (p. 71)</span></p> <p>Cette universit&eacute; appara&icirc;t ici comme le symbole de la litt&eacute;rature comme culture morte. &Agrave; cet &eacute;gard, la premi&egrave;re &eacute;dition du texte s&rsquo;av&egrave;re encore plus radicale:</p> <p class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">J&rsquo;ai pass&eacute; tant d&rsquo;heures &agrave; leur montrer que la litt&eacute;rature, c&rsquo;&eacute;tait aussi ne pas aller &agrave; cette universit&eacute;, je me suis tellement &eacute;puis&eacute;e &agrave; leur dire de travailler sur autre chose que Gabrielle Roy et toute l&rsquo;institution litt&eacute;raire bien pensante et pas du tout engag&eacute;e, que je ne veux plus rien avoir &agrave; faire avec eux. Je les maudis</span><a name="_ftnref" href="#_ftn10"><strong>10</strong></a><a name="_ftnref" href="#_ftn10"></a>.</p> <p>Dans la nouvelle &eacute;dition de <em>Deuils cannibales et m&eacute;lancoliques</em> cette universit&eacute; n&rsquo;est plus compl&egrave;tement incompatible avec la litt&eacute;rature telle qu&rsquo;elle devrait &ecirc;tre pratiqu&eacute;e selon la narratrice mais pourrait simplement &ecirc;tre &eacute;vit&eacute;e. La narratrice formule une suggestion et non plus une interdiction. Il en est de m&ecirc;me pour Gabrielle Roy sur laquelle il est d&eacute;sormais permis d&rsquo;&eacute;crire en autant que d&rsquo;autres &eacute;tudiants &eacute;crivent sur d&rsquo;autres auteurs moins reconnus par &laquo;l&rsquo;institution litt&eacute;raire bien pensante si peu engag&eacute;e&raquo;. &laquo;Si peu engag&eacute;e&raquo; et non plus &laquo;pas du tout engag&eacute;e&raquo;. Le mot est lanc&eacute;: engagement.</p> <p><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>La vie juste</strong></span></p> <p>Mais en quoi consiste l&rsquo;engagement de la litt&eacute;rature? Comment la litt&eacute;rature peut-elle agir sur le monde? Comment, plus particuli&egrave;rement, <em>Deuils cannibales et m&eacute;lancoliques</em> agit-il sur le monde? D&rsquo;abord par l&rsquo;affect qu&rsquo;il provoque. La narratrice &eacute;voque les paroles prononc&eacute;es par un ami lors d&rsquo;un hommage rendu &agrave; une jeune coll&egrave;gue morte:</p> <p class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Je voudrais que mes mots ici soient comme ceux de Bob, cruels et maladroits, mais avant tout cruels et maladroits &agrave; mes propres yeux, contre moi-m&ecirc;me. Je veux des mots qui me fassent souffrir quand je parle de mes morts, des mots qui me fassent grincer des dents, qui me fassent mal, encore et toujours, des morts que je sente tra&icirc;tres. Je refuse la parole anesth&eacute;siante. La parole qui console, la parole qui pardonne. (p.77)</span></p> <p>La litt&eacute;rature, telle qu&rsquo;elle la d&eacute;sire provoque donc un affect qui doit conduire vers une action sur le monde. En refusant d&rsquo;anesth&eacute;sier le sujet par des mots rassurants, en refusant de m&eacute;nager le lecteur, en le poussant au contraire dans ses derniers retranchements, la litt&eacute;rature le rend disponible &agrave; l&rsquo;action. Ce passage dresse ainsi un v&eacute;ritable programme &eacute;thique et esth&eacute;tique qu&rsquo;on pourrait associer &agrave; ce que Theodor W. Adorno nomme une &laquo;doctrine de la vie juste<a name="_ftnref" href="#_ftn11"><strong>11</strong></a>&raquo; dans sa d&eacute;dicace de <em>Minima Moralia</em>.</p> <p>&Agrave; travers la r&eacute;inscription du deuil au sein des vies de ses contemporains d&eacute;fendue par ce texte&mdash;ses contemporains dont elle raille la fausse d&eacute;sinvolture par rapport &agrave; la mort qui exige de savoir rigoler dans un enterrement (p. 184)&mdash;, &agrave; travers les attitudes envers les morts, les vivants et les animaux auxquelles la narratrice en appelle autant dans ses d&eacute;nonciations, dans ses r&eacute;cits que dans ses r&eacute;flexions, elle jette les bases d&rsquo;un retour &agrave; une vie plus humaine. Un des passages les plus embl&eacute;matiques &agrave; cet &eacute;gard survient &agrave; la fin du roman, lorsque la narratrice &eacute;voque sa rencontre dans la rue avec un chat mort qu&rsquo;elle a laiss&eacute; derri&egrave;re elle:</p> <p class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">En promenant Sud, j&rsquo;ai aper&ccedil;u de loin un chat mort, couch&eacute; sur son petit flanc. Je me suis approch&eacute;e en tenant Sud en laisse et j&rsquo;ai pu voir que ce chat portait un collier et une m&eacute;daille autour de son coup fragile, trop fragile. Ce chat a &eacute;t&eacute; heurt&eacute; par une voiture. Je suis rest&eacute;e longtemps &agrave; l&rsquo;observer, les larmes affluant &agrave; mes yeux. Mais je ne l&rsquo;ai pas pris dans mes bras, je ne l&rsquo;ai pas ramen&eacute; chez moi, je ne l&rsquo;ai pas touch&eacute;, ni r&eacute;chauff&eacute;, ni caress&eacute;, ni berc&eacute;, ni enterr&eacute;. Je suis partie et j&rsquo;ai couru jusqu&rsquo;au premier t&eacute;l&eacute;phone, afin de pr&eacute;venir les autorit&eacute;s comp&eacute;tentes qui viendront le ramasser, ce petit chat&hellip; Je l&rsquo;ai laiss&eacute; l&agrave; sur le terrain, en me lavant les mains de ce corps que j&rsquo;avais trouv&eacute;. Tout le monde me dit que j&rsquo;ai bien agi, mais je ne dors plus. Ce petit chat me hante. Il para&icirc;t que j&rsquo;ai fait comme il fallait&hellip; Pourtant j&rsquo;ai honte. Honte d&rsquo;avoir fait mon devoir sans plus, de ne pas avoir pris soin de cette b&ecirc;te. J&rsquo;ai g&eacute;r&eacute; la mort, moi la manager en affaires fun&eacute;raires&hellip; Je n&rsquo;ai pas pay&eacute; de ma personne cette rencontre avec le petit chat. &Agrave; quatre heures du matin, je me r&eacute;veille en sueur: &laquo;&Agrave; combien d&rsquo;amis ai-je fait le coup? Quelqu&rsquo;un me ramassera-t-il un jour sur le bord du chemin?&raquo; La toilette fun&eacute;raire, il faut bien que quelqu&rsquo;un la fasse pour le mort, et les institutions, les autorit&eacute;s comp&eacute;tentes, les salons fun&eacute;raires ne sont pas l&agrave; pour cela. Au contraire. (p. 185-186)</span></p> <p>Par sa r&eacute;action devant cet animal, qu&rsquo;elle a pleur&eacute; et pourtant abandonn&eacute;, dont elle a laiss&eacute; aux autorit&eacute;s le soin de s&rsquo;en occuper, c&rsquo;est-&agrave;-dire de disposer du cadavre, de la m&ecirc;me fa&ccedil;on qu&rsquo;on r&eacute;colte les ordures, la narratrice nous dit avoir renonc&eacute; &agrave; son humanit&eacute;. Le retour &agrave; l&rsquo;humanit&eacute; repose donc d&rsquo;abord dans cet acte fondateur de la toilette des morts et dans cette exhortation &agrave; &laquo;payer de notre personne&raquo; nos rencontres, &agrave; agir en humain afin de pouvoir &eacute;chapper enfin &agrave; ce monde administr&eacute;.</p> <p>&nbsp;</p> <p><a name="_ftn1" href="#_ftnref"><strong>1</strong></a>&nbsp;Dans sa critique parue dans Le Devoir, Danielle Laurin &eacute;crivait: &laquo;La grande nouvelle, cependant, c'est qu'&Agrave; ciel ouvert est un roman. Fini l'autofiction. M&ecirc;me si on reste dans les m&ecirc;mes obsessions: le sexe, le sexe, le sexe. [&hellip;] Mais peut-on bl&acirc;mer les &eacute;crivains de creuser toujours le m&ecirc;me sillon? Oui. Prenez l'auteure de La Honte, justement, Annie Ernaux. &Agrave; qui on reproche de se r&eacute;p&eacute;ter. D'aller trop loin dans la r&eacute;v&eacute;lation de son intimit&eacute;, aussi. &lsquo;J'ai essay&eacute; d'&eacute;crire <em>Folle</em> &agrave; la troisi&egrave;me personne, mais je n'y suis pas arriv&eacute;e&rsquo;, m'avait confi&eacute; Nelly Arcan &agrave; la sortie de son deuxi&egrave;me livre, en 2004. Pari r&eacute;ussi avec<em> &Agrave; ciel ouvert</em>.&raquo; Danielle Laurin, &laquo;<a href="http://www.ledevoir.com/2007/08/25/154525.htm">B&ecirc;te de texte</a>&raquo;, Le Devoir, 25 et 26 ao&ucirc;t 2007, en ligne,&nbsp;consult&eacute; le 22 novembre 2009.</p> <p class="MsoFootnoteText"><a name="_ftn2" href="#_ftnref"><strong>2</strong></a>&nbsp;http://catherinemavrikakis.com</p> <p class="MsoFootnoteText"><a name="_ftn3" href="#_ftnref"><strong>3</strong></a>&nbsp;On peut lire dans la pr&eacute;face de la r&eacute;&eacute;dition: &laquo;Depuis quelques ann&eacute;es le livre &eacute;tait introuvable. &Agrave; un moment o&ugrave; <em>Le ciel de Bay City</em> fait d&eacute;couvrir &agrave; un plus large public l&rsquo;&eacute;criture de Mavrikakis, il fallait rendre &agrave; nouveau disponible ce roman p&eacute;remptoire et hallucin&eacute;, dans lequel se devinent d&eacute;j&agrave; les livres &agrave; venir.&raquo;&nbsp; Catherine Mavrikakis, <em>Deuils cannibales et m&eacute;lancoliques</em>, Montr&eacute;al, H&eacute;liotrope, 2009 [2000], p. 8. Cette affirmation inattendue nous pr&eacute;sente le texte comme un roman &laquo;hallucin&eacute;&raquo;, non comme le produit de la r&eacute;alit&eacute; mais celui d&rsquo;une fabulation de l&rsquo;auteure.</p> <p><a name="_ftn4" href="#_ftnref"><strong>4</strong></a>&nbsp;Marie Darrieussecq, &laquo;L&rsquo;autofiction, un genre pas s&eacute;rieux&raquo;, <em>Po&eacute;tique</em>, no 107, automne 1996, p.369-370.</p> <p class="MsoFootnoteText"><a name="_ftn5" href="#_ftnref"><strong>5</strong></a>&nbsp;Catherine Mavrikakis, <em>Condamner &agrave; mort. Les meurtres et la loi &agrave; l&rsquo;&eacute;cra</em><em>n</em>, Montr&eacute;al, Les Presses de l&rsquo;Universit&eacute; de Montr&eacute;al, 2005, p. 151-152.</p> <p><a name="_ftn6" href="#_ftnref"><strong>6</strong></a>&nbsp;Sur les pages de Salon double il a par exemple &eacute;t&eacute; question de l&rsquo;essai de Philippe Forest <em>Tous les enfants sauf un</em> [2007] (<a href="http://salondouble.contemporain.info/lecture/38">Le sens &agrave; l'&eacute;preuve de la mort</a>, consult&eacute; le 22 novembre 2009), qui donne suite &agrave; ses deux premiers romans, <em>L&rsquo;Enfant &eacute;ternel</em> [1997] et <em>Toute la nuit</em> [1999] dans lesquels il relate le deuil de sa fille, ainsi que de <em>Ce matin </em>[2009] de S&eacute;bastien Rongier&nbsp; (<a href="http://salondouble.contemporain.info/lecture/105">Traces, trac&eacute;s, trajets : itin&eacute;raires d'un fils en deuil</a>, consult&eacute; le 22 novembre 2009) o&ugrave; le narrateur raconte le deuil de sa m&egrave;re, et de Dieu Jr. [2005] (<a href="http://salondouble.contemporain.info/lecture/139">Game Over</a>, consult&eacute; le 22 novembre 2009) de Dennis Cooper qui fait &eacute;galement le r&eacute;cit d&rsquo;un homme endeuill&eacute; par la mort de son enfant. Il ne s&rsquo;agit l&agrave; que de quelques exemples qui m&rsquo;apparaissent traduire une tendance plus g&eacute;n&eacute;rale.</p> <p class="MsoFootnoteText"><a name="_ftn7" href="#_ftnref"><strong>7</strong></a>&nbsp;Deleuze et Guattari &eacute;crivent &agrave; propos de Kafka: &laquo;D&eacute;j&agrave;, dans les nouvelles animales, Kafka tra&ccedil;ait des lignes de fuite; mais il ne fuyait pas &lsquo;hors du monde&rsquo;, c&rsquo;&eacute;tait bien plut&ocirc;t le monde et sa repr&eacute;sentation qu&rsquo;il faisait fuir (au sens o&ugrave; un tuyau fuit) et qu&rsquo;il entra&icirc;nait sur ces lignes.&raquo; Gilles Deleuze et F&eacute;lix Guattari, <em>Kafka &minus; pour une litt&eacute;rature mineure</em>, Paris, &Eacute;ditions de Minuit, 1975, p. 85.</p> <p class="MsoFootnoteText"><a name="_ftn8" href="#_ftnref"><strong>8</strong></a>&nbsp;Ren&eacute; Girard, <em>La Violence et le sac</em>r&eacute;, Paris, Grasset, 1972, p. 48.</p> <p class="MsoFootnoteText"><a name="_ftn9" href="#_ftnref"><strong>9</strong></a>&nbsp;Ibid., p. 391.</p> <p class="MsoFootnoteText"><a name="_ftn10" href="#_ftnref"><strong>10</strong></a>&nbsp;Catherine Mavrikakis, <em>Deuils cannibales et m&eacute;lancolique</em><em>s</em>, Laval, Trois, 2000, p. 70.</p> <p class="MsoFootnoteText"><a name="_ftn11" href="#_ftnref"><strong>11</strong></a>&nbsp;&laquo;Le triste savoir dont j'offre ici quelques fragments &agrave; celui qui est mon ami concerne un domaine qui, il y a maintenant bien longtemps, &eacute;tait reconnu comme le domaine propre de la philosophie ; mais depuis que cette derni&egrave;re s'est vue transform&eacute;e en pure et simple m&eacute;thodologie, il est vou&eacute; au m&eacute;pris intellectuel, &agrave; l'arbitraire silencieux, et pour finir, &agrave; l'oubli : il s'agit de la doctrine de la vie juste (das richtige Leben).&raquo; Theodor W. Adorno, <em>Minima Moralia</em>, traduit de l&rsquo;allemand par &Eacute;liane Kaufholz et Jean-Ren&eacute; Ladmiral, Paris, Payot, coll. &laquo;Petite biblioth&egrave;que Payot&raquo;, 2001 [1951], p.&nbsp;9.</p> http://salondouble.contemporain.info/lecture/le-paria#comments ADORNO, Theodor W. Autofiction Autofiction DARRIEUSSECQ, Marie DELEUZE, Gilles Engagement GIRARD, René Identité MAVRIKAKIS, Catherine Mort Québec Tue, 22 Dec 2009 16:26:00 +0000 Julie Boulanger 206 at http://salondouble.contemporain.info