Salon double - BACHELARD, Gaston http://salondouble.contemporain.info/taxonomy/term/492/0 fr L'imagination en matière de navigation http://salondouble.contemporain.info/lecture/limagination-en-matiere-de-navigation <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/marcotte-josee">Marcotte, Josée</a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-biblio"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/biblio/du-bon-usage-des-etoiles">Du bon usage des étoiles </a> </div> </div> </div> <!--break--><!--break--><p>M&ecirc;me si l&rsquo;&eacute;clatement textuel incarne l&rsquo;une des diverses avenues exp&eacute;rimentales de la litt&eacute;rature contemporaine, le caract&egrave;re &eacute;clat&eacute; du premier roman de Dominique Fortier, <em>Du bon usage des &eacute;toiles</em>, peut, lors d&rsquo;un premier contact, d&eacute;router son lecteur. Ce dernier avait pourtant &eacute;t&eacute; averti, la quatri&egrave;me de couverture lui mentionnant qu&rsquo;un objet litt&eacute;raire singulier se trouvait entre ses mains: &laquo;un patchwork qui m&ecirc;le avec bonheur le roman au journal, l&rsquo;histoire, la po&eacute;sie, le th&eacute;&acirc;tre, le r&eacute;cit d&rsquo;aventure, le trait&eacute; scientifique et la recette d&rsquo;un plum-pudding r&eacute;ussi&raquo;.</p> <p><em>Du bon usage des &eacute;toiles </em>renferme une double qu&ecirc;te mythique. La premi&egrave;re est celle des navires Terror et Erebus, sous le commandement des capitaines Francis Crozier et John Franklin. Men&eacute;e entre 1845 et 1848, cette exp&eacute;dition qui devait percer &agrave; jour le mythique passage du Nord-Ouest, pour la gloire de l&rsquo;Angleterre, se termine fatalement dans l&rsquo;immensit&eacute; glaciaire. C&rsquo;est &agrave; partir de ce cadre historique pr&eacute;cis que Dominique Fortier &eacute;labore sa premi&egrave;re &oelig;uvre de fiction. La deuxi&egrave;me qu&ecirc;te est celle des multiples personnages: les commandants Crozier et Franklin, Adam et les matelots, les femmes demeur&eacute;es sur la terre ferme, Lady Jane Franklin et Lady Sophia. Il s&rsquo;agit d&rsquo;un voyage immobile o&ugrave; chacun tente de donner un sens &agrave; sa vie, pourchassant la transcendante v&eacute;rit&eacute; en soi et en l&rsquo;Autre.</p> <p>Alors que les deux qu&ecirc;tes s&rsquo;entrem&ecirc;lent (de soi et du passage), les &eacute;l&eacute;ments factuels et la fiction font de m&ecirc;me. L&rsquo;&oelig;uvre oscille entre narration omnisciente, po&eacute;sie narrative, extraits de journaux de Crozier et de Franklin, entr&eacute;es de dictionnaires, psaumes bibliques, partition de musique (Jean-S&eacute;bastien Bach, &laquo;Das Wohltemperierte Klavier. Praeludium I&raquo;), complainte (&laquo;Complainte de Lady Franklin (air populaire)&raquo;), recette (d&rsquo;un plum-pudding), menu (celui de la r&eacute;ception de No&euml;l de Lady Jane), pi&egrave;ce de th&eacute;&acirc;tre (&laquo;Le Voyage dans la Lune&raquo;, adaptation dramatique des <em>&Eacute;tats et Empires de la Lune</em> d&rsquo;Hector Savinien de Cyrano de Bergerac) et po&egrave;me (extrait de <em>The Veils</em> d&rsquo;Eleanor Porden). Aussi, l&rsquo;&eacute;clatement textuel et sa narrativit&eacute; d&eacute;routante participent grandement de cette logique &eacute;clat&eacute;e, o&ugrave; les individus repr&eacute;sent&eacute;s cherchent des points de rep&egrave;re.</p> <p>Les &eacute;toiles demeurent l&rsquo;outil d&rsquo;orientation le plus probant pour les marins &ndash; le ciel incarnant alors la seule r&eacute;alit&eacute; &agrave; observer et &agrave; analyser afin d&rsquo;arriver &agrave; bon port. Mais qu&rsquo;arrive-t-il lorsque nous ne savons m&ecirc;me pas quel port convoiter? Lorsque le but &agrave; atteindre nous est encore inconnu, que nous sommes en qu&ecirc;te d&rsquo;une qu&ecirc;te &ndash; comme cette Sophia qui veut donner un sens &agrave; sa vie &ndash; ou que nous devons trouver les ressources pour tout simplement continuer d&rsquo;avancer&hellip;&nbsp; Alors que la jeune Sophia est de plus en plus d&eacute;soeuvr&eacute;e, pour les matelots, l&rsquo;objectif &agrave; atteindre appara&icirc;t de plus en plus fuyant, voire chim&eacute;rique, et ceux-ci cherchent &agrave; l&rsquo;int&eacute;rieur d&rsquo;eux-m&ecirc;mes une v&eacute;rit&eacute; &agrave; laquelle se raccrocher qui leur am&egrave;nerait la paix.</p> <p>Quand Sophia demande &agrave; Francis Crozier de discourir sur les &eacute;toiles, ce dernier lui confie&nbsp;:<br /> &nbsp;</p> <p class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Quand j&rsquo;&eacute;tais petit, commen&ccedil;a-t-il sans la regarder, nous avions &agrave; la maison trois livres&nbsp;: la Bible, un almanach &eacute;corn&eacute; et un vieil ouvrage d&rsquo;astronomie r&eacute;cup&eacute;r&eacute; de je ne sais o&ugrave;, auquel il manquait la moiti&eacute; des pages. Ainsi, apr&egrave;s avoir appris &agrave; reconna&icirc;tre Orion, Cassiop&eacute;e, la Grande et la Petite Ourses, j&rsquo;ai d&ucirc; me r&eacute;soudre &agrave; inventer le reste. De la fen&ecirc;tre de ma chambre sous les combles, je distinguais dans le ciel noir la constellation du cochon, celle de la Poule&nbsp; et celle de l&rsquo;&Eacute;pi de Bl&eacute;. Il y avait aussi Mr. Pincher, le forgeron du village, avec son nez crochu, le Hibou et la Chaise perc&eacute;e. (p. 203-204)<br /> </span></p> <p>Au-del&agrave; de la r&eacute;alit&eacute;, la fabulation nous permet d&rsquo;avancer. C&rsquo;est dans cette perspective qu&rsquo;&agrave; la fin du roman, Sophia fait une double d&eacute;couverte&nbsp;: elle r&eacute;alise qu&rsquo;elle est amoureuse de Crozier, que son destin est inexorablement li&eacute; au sien, un soir o&ugrave;, admirant la vo&ucirc;te &eacute;toil&eacute;e, elle y d&eacute;couvre la constellation de la Chaise perc&eacute;e, cette pure invention de Crozier. De la fabulation na&icirc;t la v&eacute;rit&eacute; cach&eacute;e au c&oelig;ur de la jeune femme. Sophia s&rsquo;abandonne alors &agrave; l&rsquo;imagination, elle scrute le ciel &agrave; la recherche d&rsquo;autres constellations invent&eacute;es, et elle r&eacute;organise les &eacute;toiles. Cet amour appara&icirc;t donc &agrave; Sophia (trop tard) en m&ecirc;me temps que les plaisirs de l&rsquo;action imaginante.<br /> &nbsp;</p> <p class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">On veut toujours que l&rsquo;imagination soit la facult&eacute; de former des images. Or elle est plut&ocirc;t la facult&eacute; de d&eacute;former les images fournies par la perception, elle est surtout la facult&eacute; de nous lib&eacute;rer des images premi&egrave;res, de changer les images. S&rsquo;il n&rsquo;y a pas de changement d&rsquo;images, union inattendue des images, il n&rsquo;y a pas d&rsquo;imagination, il n&rsquo;y a pas d&rsquo;action imaginante<a name="note1" href="#note1a">[1]</a>.</span></p> <p> L&rsquo;op&eacute;ration &agrave; laquelle se livre Sophia n&rsquo;est pas si diff&eacute;rente de celle du lecteur qui explore <em>Du bon usage des &eacute;toiles</em>, ce dernier r&eacute;organisant les diff&eacute;rents fragments de l&rsquo;oeuvre afin de produire du sens.</p> <p>Apr&egrave;s coup, cette &oelig;uvre n&rsquo;est pas si d&eacute;concertante. Sur les cartes de Lady Jane Franklin, les &laquo;&icirc;les et p&eacute;ninsules r&eacute;els ou imaginaires&raquo; (p. 340) se fondent finalement en un tout. Le lecteur, consentant, a particip&eacute; au voyage qui lui &eacute;tait propos&eacute;, il l&rsquo;a accept&eacute; en entier. Il a vogu&eacute; sur les pages &agrave; la recherche de ses propres points de rep&egrave;re, o&ugrave; les &eacute;clats textuels incarnent autant de vagues. Il a d&eacute;couvert ce fil, qui a bien l&rsquo;apparence d&rsquo;une conclusion: <em>Du bon usage des &eacute;toiles</em> op&egrave;re une valorisation de la fabulation comme outil probant dans la qu&ecirc;te de soi et d&rsquo;une paix int&eacute;rieure. L&rsquo;imagination et la po&eacute;sie, en mati&egrave;re de navigation, ne se soldent pas par une catastrophe, mais nous entra&icirc;nent ailleurs, un ailleurs plus pr&egrave;s de soi et de l&rsquo;Autre.<br /> &nbsp;</p> <p><a name="note1a" href="#note1">1</a> Gaston Bachelard, <em>L'Air et les songes. Essai sur l'imagination en mouvement</em>, Paris, Jos&eacute; Corti (Rien de commun), 1994 [1938], p. 7.</p> http://salondouble.contemporain.info/lecture/limagination-en-matiere-de-navigation#comments BACHELARD, Gaston Éclatement textuel Espace Fabulation FORTIER, Dominique Imaginaire Québec Roman Thu, 23 Apr 2009 13:09:00 +0000 Josée Marcotte 103 at http://salondouble.contemporain.info