Salon double - CÉLINE, Louis-Ferdinand http://salondouble.contemporain.info/taxonomy/term/507/0 fr Écrire avec un marteau http://salondouble.contemporain.info/lecture/ecrire-avec-un-marteau <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/brousseau-simon">Brousseau, Simon</a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-biblio"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/biblio/microfictions">Microfictions</a> </div> </div> </div> <!--break--><!--break--><p align="justify" class="rteindent3"><em>La litt&eacute;rature contemporaine, et il en est de m&ecirc;me de la peinture, se garde de parler ou de repr&eacute;senter notre bien naturelle, au fond, obsessionnelle cupidit&eacute;. Comme si l&rsquo;art devait &ecirc;tre un miroir retouch&eacute; avec soin, afin que nous puissions nous imaginer purs, et que surtout jamais nous ne puissions nous y voir.</em><a name="_ftnref1" title="" href="#_ftn1"><strong>[1]</strong></a></p> <p align="justify" class="rteindent1"><em><br /> </em></p> <p align="justify">&nbsp;</p> <p align="justify"><em> </em><span style="background-color: rgb(255, 255, 255);"><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>L'ordre impeccable des horreurs quotidiennes</strong></span></span></p> <p>En exergue de son &laquo;livre monstre<a name="_ftnref2" title="" href="#_ftn2"><strong>[2]</strong></a>&raquo;, R&eacute;gis Jauffret d&eacute;lie sa plume (il faudrait davantage parler de marteau dans son cas) en commen&ccedil;ant avec un sympathique clin d&rsquo;oeil au je rimbaldien : &laquo;Je est tout le monde et n&rsquo;importe qui.&raquo; De fait, c&rsquo;est &agrave; un exercice d&rsquo;exploration de diverses individualit&eacute;s potentielles que Jauffret s&rsquo;adonne dans ce livre, amalgamant en ordre alphab&eacute;tique cinq cents r&eacute;cits faisant environ deux pages et dont le d&eacute;nominateur commun est sans doute la franchise troublante de la voix narratrice qui s&rsquo;empare des personnages. Au fil de la lecture, bien qu&rsquo;aucun &eacute;v&eacute;nement ne vienne lier entre elles les histoires qu&rsquo;on y rencontre, se d&eacute;gage n&eacute;anmoins une forte impression de coh&eacute;sion qui vient de l&rsquo;uniformit&eacute; du ton avec lequel s&rsquo;expriment les personnages qui peuplent le livre. Tout se passe comme si un narrateur omniscient s&rsquo;amusait &agrave; incarner diverses individualit&eacute;s fictives, d&rsquo;o&ugrave; l&rsquo;&eacute;trange homog&eacute;n&eacute;it&eacute; du discours que celles-ci produisent. &laquo;J&rsquo;ai envie de te noyer comme une port&eacute;e de chat&raquo; (p. 143), dit par exemple l&rsquo;un d&rsquo;eux. &laquo;D&rsquo;ailleurs, si je couche avec d&rsquo;autres, c&rsquo;est qu&rsquo;&agrave; ce moment-l&agrave;&nbsp; je ne me rappelle plus de toi.&raquo; (p. 230), dit un autre. La franchise est de mise et le miroir stendhalien est toujours pr&egrave;s d&rsquo;un chemin, mais l&rsquo;&eacute;criture propose cette fois un parcours dans la salet&eacute; des relations humaines.</p> <p align="justify">Le recueil, compos&eacute; de cinq cents r&eacute;cits faisant environ deux pages, poss&egrave;de une structure encyclop&eacute;dique qui constitue en elle-m&ecirc;me une cl&eacute; d&rsquo;interpr&eacute;tation possible quant &agrave; la signification de cette accumulation &agrave; l&rsquo;apparence disparate. En index, &agrave; la fin du volume, il est possible de consulter la liste pagin&eacute;e des <em>Microfictions </em>dont les titres sont dispos&eacute;s en ordre alphab&eacute;tique. Ainsi, le recueil d&eacute;bute avec le r&eacute;cit intitul&eacute; &laquo;Albert Londres&raquo; et se termine par le &laquo;Zoo&raquo;. En constatant une telle classification, somme toute arbitraire, il est difficile de ne pas penser &agrave; <em>La vie mode d&rsquo;emploi de Perec</em>, ce romans dont le pluriel accol&eacute; &agrave; la mention g&eacute;n&eacute;rique est pour le moins &eacute;nigmatique. Les affinit&eacute;s sont nombreuses : en plus de contenir lui aussi un index alphab&eacute;tique, des diff&eacute;rents th&egrave;mes abord&eacute;s dans l&rsquo;oeuvre cette fois, le livre de Perec repose &eacute;galement sur l&rsquo;accumulation de courts r&eacute;cits qui, une fois lus, dig&eacute;r&eacute;s et agenc&eacute;s, peuvent donner l&rsquo;impression d&rsquo;une saisie englobante d&rsquo;un vaste pan de l&rsquo;exp&eacute;rience humaine. Le livre de Jauffret s&rsquo;inscrit en ligne directe avec la conception de la litt&eacute;rature de ce g&eacute;ant de l&rsquo;OULIPO qui a &eacute;crit une <em>Tentative d&rsquo;&eacute;puisement d&rsquo;un lieu parisien</em><a name="_ftnref3" title="" href="#_ftn3"><strong>[3]</strong></a>, texte dans lequel est exp&eacute;riment&eacute;e la possibilit&eacute; d&rsquo;une description objective jusqu&rsquo;&agrave; l&rsquo;exc&egrave;s d&rsquo;un lieu choisi. Alors que Perec s&rsquo;attaque &agrave; la lourde t&acirc;che de d&eacute;crire compl&egrave;tement un espace physique, il semble que Jauffret tente de relever le d&eacute;fi non moins ardu d&rsquo;embrasser les diverses modalit&eacute;s de la cupidit&eacute; humaine. Dans les deux cas, la cr&eacute;ation d&rsquo;univers fictionnels s&rsquo;inscrit dans une volont&eacute; de saisie du r&eacute;el. S&rsquo;il est r&eacute;v&eacute;lateur d&rsquo;&eacute;tablir un tel parall&egrave;le entre les deux &eacute;crivains quant &agrave; la signification de la structure de leurs oeuvres, il est important de souligner que la tonalit&eacute; de Jauffret s&rsquo;&eacute;loigne radicalement de celle que l&rsquo;on retrouve dans les livres de Perec. Dans les <em>Microfictions</em>, l&rsquo;&eacute;criture, la cr&eacute;ation de personnages fictifs proc&egrave;dent selon un parti pris auquel chaque r&eacute;cit r&eacute;pond d&rsquo;une mani&egrave;re ou d&rsquo;une autre, c&rsquo;est-&agrave;-dire cette croyance ferme en l&rsquo;obsessionnelle cupidit&eacute; de l&rsquo;Homme. Les cinq cents r&eacute;cits de Microfictions sont autant de coups martel&eacute;s sur le concept de l&rsquo;Homme fondamentalement bon. De fait, le clin d&rsquo;&oelig;il adress&eacute; &agrave; Rimbaud en exergue trouve toute sa port&eacute;e dans ce projet d&rsquo;exploration des subjectivit&eacute;s&nbsp;: l&rsquo;auteur des <em>Microfictions </em>&laquo;[&hellip;] [est] tout le monde et n&rsquo;importe qui&raquo; et entend bien faire conna&icirc;tre au lecteur les espaces souterrains de cette peuplade qui l&rsquo;habite.</p> <p><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Le discours social soumis &agrave; l'&eacute;preuve du marteau</strong></span></p> <p align="justify">Reprenant par le romanesque la d&eacute;marche qui consiste &agrave; soumettre &agrave; l&rsquo;&eacute;preuve du marteau les idoles mill&eacute;naires qui souvent sonnent creux, comme l&rsquo;a entrepris Nietzsche, Jauffret s&rsquo;attaque aux repr&eacute;sentations id&eacute;alis&eacute;es que l&rsquo;Homme se fait de lui-m&ecirc;me, au &laquo;miroir retouch&eacute; avec soin&raquo; du discours social. On le comprend bien, il s&rsquo;agit avec les <em>Microfictions </em>de combattre le feu par le feu, c&rsquo;est-&agrave;-dire que c&rsquo;est par la fiction que Jauffret s&rsquo;efforce de d&eacute;masquer les fictions dominantes de l&rsquo;espace social, ces repr&eacute;sentations fauss&eacute;es que l&rsquo;homme a de lui-m&ecirc;me. Ce concept de fiction dominante, d&eacute;velopp&eacute; par Suzanne Jacob dans <em>La bulle d&rsquo;encre</em>, est fort &eacute;clairant quant au pouvoir de mod&eacute;lisation du r&eacute;el que poss&egrave;de la fiction. Il est sans doute pertinent de lire les <em>Microfictions </em>de Jauffret en ayant en t&ecirc;te cette id&eacute;e qui veut que :</p> <p align="justify" class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Les soci&eacute;t&eacute;s se maintiennent dans leur forme propre gr&acirc;ce &agrave; ces fictions dominantes comme les individus se maintiennent dans leur forme propre gr&acirc;ce &agrave; des r&eacute;cits d&rsquo;eux-m&ecirc;mes qui leur servent de convention de r&eacute;alit&eacute;. Les soci&eacute;t&eacute;s, comme les individus, ne peuvent tol&eacute;rer que leur convention de r&eacute;alit&eacute; soit mise en p&eacute;ril</span><a name="_ftnref4" title="" href="#_ftn4"><strong>[4]</strong></a><span style="color: rgb(128, 128, 128);">.</span></p> <p align="justify">En effet, c&rsquo;est aux conventions de r&eacute;alit&eacute; que Jauffret s&rsquo;attaque; l&rsquo;une de ses cibles privil&eacute;gi&eacute;es &eacute;tant sans doute la conception id&eacute;alis&eacute;e du couple harmonieux. D&eacute;sacralisant l&rsquo;amour avec une tonalit&eacute; souvent acerbe, de nombreux r&eacute;cits mettent en sc&egrave;ne des couples rat&eacute;s, aigris par une vie partag&eacute;e dans le malheur commun : &laquo;J&rsquo;ai eu une vie frustrante. Mon mari &eacute;tait laid, et il ne m&rsquo;a donn&eacute; &agrave; pouponner qu&rsquo;une douzaine de fausses couches dont certaines &eacute;taient assez avanc&eacute;es pour que je puisse distinguer parmi leurs traits encore flous d&rsquo;horribles ressemblances avec leur p&egrave;re.&raquo; (p. 283). N&rsquo;empruntant jamais de d&eacute;tour pour formuler ce qui appara&icirc;t parfois &ecirc;tre de l&rsquo;ordre de l&rsquo;indicible, du tabou, les diff&eacute;rents personnages du recueil font preuve d&rsquo;une honn&ecirc;tet&eacute; d&eacute;concertante. C&rsquo;est l&agrave; sans doute le coeur du projet de l&rsquo;auteur : &eacute;noncer par la fiction des v&eacute;rit&eacute;s souvent jug&eacute;es trop laides pour &ecirc;tre entendues : &laquo;J&rsquo;aime l&rsquo;argent, si tu continues &agrave; en avoir, je continuerai &agrave; t&rsquo;aimer. On aime toujours pour une raison, pour une autre, on n&rsquo;aime jamais pour rien.&raquo; (p. 109) Si on aime les <em>Microfictions</em>, ce sera sans doute pour la scandaleuse absence de pudeur qu&rsquo;on y trouve.</p> <p><strong><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Une litt&eacute;rature aussi laide que nous</span></strong></p> <p align="justify">Si les <em>Microfictions </em>dressent un portrait d&rsquo;une humanit&eacute; globalement amorale, &eacute;go&iuml;ste et impure, il s&rsquo;y trouve &eacute;galement des passages fort int&eacute;ressants quant &agrave; la litt&eacute;rature et le r&ocirc;le que celle-ci peut jouer dans l&rsquo;appr&eacute;hension de ces r&eacute;alit&eacute;s douloureuses. Jauffret s&rsquo;amuse par exemple &agrave; mettre en fiction des ic&ocirc;nes de la litt&eacute;rature et celles-ci sont le plus souvent soumises &agrave; une d&eacute;sacralisation ironique&nbsp;:</p> <p align="justify" class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Franz Kafka &eacute;tait une belle ordure qui ne pensait qu&rsquo;&agrave; sa gloire posthume. Un phtisique, v&eacute;g&eacute;tarien, et pourtant petit-fils de boucher. Il &eacute;crivait des histoires de souris, d&rsquo;arpenteurs, et il tenait un journal o&ugrave; il vomissait jour apr&egrave;s jour sa haine de l&rsquo;humanit&eacute;. Il a si bien intrigu&eacute;, qu&rsquo;&agrave; sa mort son oeuvre s&rsquo;est &eacute;tendue sur l&rsquo;Occident avec la rapidit&eacute; d&rsquo;une &eacute;pid&eacute;mie, et l&rsquo;a conquis comme un nouveau vice. Je le soup&ccedil;onne m&ecirc;me d&rsquo;avoir contract&eacute; la tuberculose &agrave; la piscine de Prague, dans le seul but de mourir assez jeune pour entrer dans la l&eacute;gende. (p. 391)</span></p> <p class="Corps">&nbsp;</p> <p align="justify">Ce passage montre bien le regard qui est port&eacute; sur certains intouchables de la litt&eacute;rature dans le recueil. La question de la gloire litt&eacute;raire est souvent abord&eacute;e avec ironie ou encore avec un certain d&eacute;go&ucirc;t. Ainsi, le r&eacute;cit intitul&eacute; &laquo;Sartre, Camus, Cerdan&raquo; met en fiction Jean-Paul Sartre dans une perspective qui ne va pas sans rappeler C&eacute;line et son pamphlet intitul&eacute;&nbsp; &laquo;&Agrave; l&rsquo;agit&eacute; du bocal &raquo;<a name="_ftnref5" title="" href="#_ftn5"><strong>[5]</strong></a>, adress&eacute;&nbsp; au philosophe existentialiste&nbsp;:</p> <p align="justify" class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">J&rsquo;ai &eacute;t&eacute; Jean-Paul Sartre, &eacute;crivain aujourd&rsquo;hui oubli&eacute;, mais qui &eacute;tait beaucoup lu au cours de la seconde moiti&eacute; du XXe si&egrave;cle. J&rsquo;ai commenc&eacute; ma vie comme footballeur professionnel &agrave; l&rsquo;AJ Auxerre. Apr&egrave;s les matchs, je me savonnais fi&egrave;rement sous la douche, puis filais dans mon Austin Martin jusqu&rsquo;&agrave; Paris, o&ugrave; je retrouvais Albert Camus, Marcel Cerdan, ainsi que Simone de Beauvoir, une jeune sadique, qui m&rsquo;avait s&eacute;duite en me fouettant chaque soir comme de la cr&egrave;me. (p. 823.)</span></p> <p class="Corps">&nbsp;</p> <p align="justify">Le parall&egrave;le avec l&rsquo;&eacute;criture de C&eacute;line ne s&rsquo;arr&ecirc;te pas l&agrave;. Il y a dans le recueil de Jauffret plusieurs passages o&ugrave; il est question du livre que nous tenons entre les mains, de l&rsquo;auteur qui l&rsquo;a &eacute;crit et du syst&egrave;me d&rsquo;&eacute;dition qui encadre cette production. Chez Jauffret comme chez C&eacute;line, le sujet donne lieu &agrave; des envol&eacute;es savoureuses o&ugrave; l&rsquo;autod&eacute;rision fraie avec le m&eacute;pris de l&rsquo;institution litt&eacute;raire. L&rsquo;un des proc&eacute;d&eacute;s r&eacute;currents consiste &agrave; &eacute;luder la question par des mises en sc&egrave;ne o&ugrave; la r&eacute;alit&eacute; est hypertrophi&eacute;e. Dans certains cas, l&rsquo;&eacute;crivain n&rsquo;h&eacute;site pas &agrave; se repr&eacute;senter comme &eacute;tant ni plus ni moins qu&rsquo;une prostitu&eacute;e du milieu de l&rsquo;&eacute;dition, pointant du doigt le pouvoir immense des &eacute;diteurs quant &agrave; d&eacute;cider ce qui est ou n&rsquo;est pas de la litt&eacute;rature&nbsp;:</p> <p align="justify" class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Quand un de mes romans se vend &agrave; moins de mille exemplaires, mon &eacute;diteur me convoque dans son bureau, et m&rsquo;oblige &agrave; sauter une stagiaire devant lui pour pouvoir jouir en nous regardant. En &eacute;change d&rsquo;une rapide fellation dans les lavabos du restaurant o&ugrave; ils m&rsquo;ont invit&eacute; &agrave; venir prendre le caf&eacute; &agrave; la fin d&rsquo;un d&eacute;jeuner de bouclage, certains journalistes consentent &agrave; signaler la parution de mon dernier ouvrage dans une notule. [&hellip;] [T]out le monde ne publie plus aujourd&rsquo;hui que pour s&eacute;duire les lecteurs, et leur soutirer leur argent avant m&ecirc;me qu&rsquo;ils aient eu le loisir de lire le moindre chapitre du livre qu&rsquo;ils ach&egrave;tent, comme les clients des putes payent sans savoir &agrave; l&rsquo;avance s&rsquo;ils &eacute;prouveront un r&eacute;el plaisir &agrave; &eacute;jaculer dans leur bouche. (p. 619)</span></p> <p class="Corps">&nbsp;</p> <p align="justify">En contrepartie &agrave; ce discours peu flatteur quant aux rapports &eacute;conomiques qu&rsquo;entretiennent les &eacute;crivains avec leurs lecteurs et leurs &eacute;diteurs, les <em>Microfictions </em>contiennent plusieurs occurrences o&ugrave; le travail d&rsquo;&eacute;criture est valoris&eacute; dans sa capacit&eacute; de saisie du r&eacute;el. C&rsquo;est dire &agrave; quel point le portrait de la litt&eacute;rature qui se d&eacute;gage du recueil est complexe et ambigu. D&rsquo;un c&ocirc;t&eacute;, il y a cette hargne sans limites envers le milieu litt&eacute;raire et les &eacute;crivains qui le constituent, ces &laquo; [&hellip;] grands &eacute;crivains qui se bousculent devant le buffet des cocktails pour se goberger de petits-fours [&hellip;] &raquo; (p. 910) et de l&rsquo;autre, la valorisation du travail d&rsquo;&eacute;criture qui, par moments, proclame haut et fort le pouvoir absolu de la fiction&nbsp;: &laquo; [&hellip;] hors de la fiction il n&rsquo;est point de salut. &raquo; (p. 339)</p> <p align="justify">Dans les <em>Microfictions</em>, l&rsquo;&eacute;criture est le lieu d&rsquo;un combat forcen&eacute; contre les fictions dominantes sur lesquelles repose le discours social. Les centaines de personnages qui y sont repr&eacute;sent&eacute;s sont autant de tentatives de lever le voile sur les repr&eacute;sentations erron&eacute;es, id&eacute;alis&eacute;es que l&rsquo;Homme se fait de lui-m&ecirc;me. R&eacute;gis Jauffret y signe un livre qui d&eacute;range, un livre important parce qu&rsquo;il est irrecevable. Les <em>Microfictions </em>ne pensent pas, elles frappent&nbsp;: &laquo; Les m&eacute;ditateurs, la litt&eacute;rature leur tire douze balles dans le dos. [&hellip;] Le roman est une guerre men&eacute;e par des g&eacute;n&eacute;raux qui n&rsquo;ont ni tactique ni strat&eacute;gie. Le roman est barbare. &raquo; (p. 509)</p> <p class="Textedenotedebasdepage"><a name="_ftn1" title="" href="#_ftnref1"><strong>1</strong></a>R&eacute;gis Jauffret, <em>Microfictions</em>, Paris, &Eacute;ditions Gallimard, 2007, p. 948.</p> <p class="Textedenotedebasdepage"><a name="_ftn2" title="" href="#_ftnref2"><strong>2</strong></a>En quatri&egrave;me de couverture de l&rsquo;&eacute;dition mentionn&eacute;e ci-haut, c&rsquo;est ainsi qu&rsquo;est qualifi&eacute; le livre de Jauffret.</p> <p class="MsoFootnoteText"><a name="_ftn3" title="" href="#_ftnref3"><strong>3</strong></a>Georges Perec, <em>Tentative d&rsquo;&eacute;puisement d&rsquo;un lieu parisien</em>, Paris, Christian Bourgois &eacute;diteur, 1975, 59 p.</p> <p class="Textedenotedebasdepage"><a name="_ftn4" title="" href="#_ftnref4"><strong>4</strong></a> Suzanne Jacob, <em>La bulle d&rsquo;encre</em>, Qu&eacute;bec, Presses de l&rsquo;Universit&eacute; de Montr&eacute;al (Prix de la revue &eacute;tudes fran&ccedil;aises), 1997, p. 35.</p> <p align="justify"><a name="_ftn5" title="" href="#_ftnref5"><strong>5</strong></a> &laquo;&Agrave; l&rsquo;agit&eacute; du bocal&raquo; est un court pamphlet que C&eacute;line a r&eacute;dig&eacute; en r&eacute;ponse au texte de Jean-Paul Sartre, &laquo;Portrait d&rsquo;un antis&eacute;mite&raquo;, dans lequel ce dernier d&eacute;fendait l&rsquo;id&eacute;e que &laquo;[s]i C&eacute;line a pu soutenir les theses socialistes des Nazis, c&rsquo;est qu&rsquo;il &eacute;tait pay&eacute;&raquo;. C&eacute;line &eacute;crit, pour se d&eacute;fendre des lourdes accusations qui p&egrave;sent sur lui : &laquo;Dans mon cul o&ugrave; il se trouve, on ne peut pas demander &agrave; J.-B. S. d&rsquo;y voir bien clair, ni de s&rsquo;exprimer nettement, J.-B. S. a semble-t-il cependant pr&eacute;vu le cas de la solitude et de l&rsquo;obscurit&eacute; de mon anus... J.-B. S. parle &eacute;videmment de lui-m&ecirc;me lorsqu&rsquo;il &eacute;crit page 451 : &ldquo;Cet homme redoute toute esp&egrave;ce de solitude, celle du g&eacute;nie comme celle de l&rsquo;assassin.&rdquo;&raquo;. Il est important de remarquer ici que le rapport que Jauffret entretient &agrave; l&rsquo;Histoire est tout autre que celui de C&eacute;line. Comme rien ne vient justifier les attaques &agrave; l&rsquo;endroit de Sartre dans le texte, il est possible d&rsquo;interpr&eacute;ter celles-ci comme participant &agrave; l&rsquo;illustration de la nature odieuse de l&rsquo;homme, l&rsquo;&eacute;crivain n&rsquo;&eacute;chappant pas &agrave; cette condition. La position de Jauffret est complexe et la multiplication des points de vue dans les Microfictions rend l&rsquo;interpr&eacute;tation difficile. (Pour lire le pamphlet de C&eacute;line, consulter&nbsp;: Louis-Ferdinand C&eacute;line, <em>&Agrave; l&rsquo;agit&eacute; du bocal,</em> Paris, &Eacute;ditions de L&rsquo;Herne (coll. Carnets), 2006, 85 p.)</p> http://salondouble.contemporain.info/lecture/ecrire-avec-un-marteau#comments CÉLINE, Louis-Ferdinand Éclatement textuel Esthétique Fabulation Fiction Filiation France Identité Intertextualité JACOB, Suzanne JAUFFRET, Régis Métafiction PEREC, Georges Poétique du recueil SARTRE, Jean-Paul Nouvelles Thu, 08 Jan 2009 15:07:00 +0000 Simon Brousseau 51 at http://salondouble.contemporain.info Là où on souffre http://salondouble.contemporain.info/lecture/la-ou-on-souffre <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/paquet-amelie">Paquet, Amélie </a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-biblio"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/biblio/prison-de-poupees">Prison de poupées</a> </div> </div> </div> <!--break--><!--break--><p></p> <p align="justify">Le s&eacute;jour de Louis-Ferdinand C&eacute;line dans une prison danoise, racont&eacute; notamment dans <em>F&eacute;eries pour une autre fois</em> [1952-1954], est un des grands &eacute;pisodes de la vie d&rsquo;apr&egrave;s-guerre de l&rsquo;&eacute;crivain. Dans un entretien t&eacute;l&eacute;vis&eacute;, accord&eacute; &agrave; Louis Pauwels en 1961, il souligne le caract&egrave;re remarquable de la prison : &laquo;Je n&rsquo;aime pas ce qui est commun, ce qui est vulgaire. Une prison est une chose distingu&eacute;e, parce que l&rsquo;homme y souffre. Tandis que la f&ecirc;te &agrave; Neuilly est une chose tr&egrave;s vulgaire, parce que l&rsquo;homme s&rsquo;y r&eacute;jouit. C&rsquo;est ainsi la condition humaine.<a name="note1a" href="#note1"><strong>[1]</strong></a>&raquo; Le narrateur de Jean Genet, dans le <em>Miracle de la rose</em> [1946], d&eacute;fend aussi l&rsquo;aspect extraordinaire &mdash; et pourtant si pr&egrave;s de l&rsquo;homme &mdash; de la prison en d&eacute;crivant de quelle mani&egrave;re la Deuxi&egrave;me Guerre mondiale a rendu la prison r&eacute;pugnante en la remplissant d&rsquo;innocents. Pour les personnages prisonniers de Genet, il faut m&eacute;riter sa place pour y vivre. Ils admirent le s&eacute;jour particulier d&rsquo;Harcamone, un jeune homme condamn&eacute; &agrave; mort pour le meurtre d&rsquo;une enfant. Le narrateur du <em>Miracle de la rose</em> ajoutera m&ecirc;me qu&rsquo;Harcamone &laquo;avait &lsquo;r&eacute;ussi&rsquo;, [&hellip;] r&eacute;ussite [qui n&rsquo;est] pas de l&rsquo;ordre terrestre<a name="note2a" href="#note2"><strong>[2]</strong></a>&raquo;. Harcamone lors de son passage sur l&rsquo;&eacute;chafaud conna&icirc;tra enfin une &laquo;gloire<a name="note3a" href="#note3"><strong>[3]</strong></a>&raquo; non humaine. Chez Genet, la prison obtient ses lettres de noblesse par l&rsquo;accession &agrave; la transcendance qu&rsquo;elle permet.</p> <p align="left"><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>La prison des ultra chiennes sales</strong></span></p> <p align="justify">Le premier roman de Edouard H. Bond, <em>Prison de poup&eacute;es</em>, se d&eacute;roule entre les murs d&rsquo;une prison pour femmes tr&egrave;s distingu&eacute;e, selon le sens accord&eacute; au terme par C&eacute;line. La souffrance ne manque pas d&rsquo;envergure &agrave; la prison fictive de Saint-Jean-de-Matha. Elle est &agrave; la hauteur des crimes des prisonni&egrave;res. M&ecirc;me s&rsquo;il n&rsquo;est pas question comme chez Genet du caract&egrave;re transcendant du lieu, les prisonni&egrave;res connaissent la gloire en se retrouvant dans cette prison o&ugrave; l&rsquo;on n&rsquo;admet que les &laquo;ultra criminelles&raquo;. La prison fut construite en 1981, raconte le narrateur, alors que la violence ne cessait de monter dans les prisons du syst&egrave;me canadien. Pour arr&ecirc;ter le d&eacute;veloppement de cette violence de plus en plus incontr&ocirc;lable, le gouvernement a d&eacute;cid&eacute; de b&acirc;tir un nouvel &eacute;tablissement pour enfermer ensemble les plus dangereuses criminelles : &laquo;On se devait donc de r&eacute;agir, de cr&eacute;er un endroit o&ugrave; elles payeraient pour au lieu de se contenter de les mettre &agrave; l&rsquo;&eacute;cart de la soci&eacute;t&eacute;, pus question de parler de r&eacute;habilitation. On les mettait entre les mains de plus toughs qu&rsquo;elles encore. Des ultra chiennes sales, les bitches du staff de Matha&raquo; (p.38). Cette m&eacute;thode de contr&ocirc;le de la violence par la violence ne fit d&rsquo;abord pas l&rsquo;unanimit&eacute; aupr&egrave;s de la population. Une &eacute;meute de six jours &agrave; la prison Tanguay fut suffisante pour faire taire les derni&egrave;res protestations et pour raviver les flammes des citoyens en faveur d&rsquo;une l&eacute;gislation tr&egrave;s s&eacute;v&egrave;re, &agrave; l&rsquo;encontre des droits de l&rsquo;homme. L&rsquo;&laquo;envie du p&eacute;nal&raquo;, selon l&rsquo;expression de Philippe Muray, revient en force lorsque la peur monte dans la population. L&rsquo;ironie est palpable chez le narrateur. Ce passage historique au sujet de la prison lui permet de dresser le portrait de ses contemporains en soulignant la faiblesse de leurs convictions morales. Cette faiblesse se constitue en opposition radicale avec la duret&eacute; l&eacute;gendaire &mdash; toute aussi d&eacute;pourvue de morale &mdash; des gardiennes de Saint-Jean-de-Matha.</p> <p align="justify">Journaliste &agrave; la pige, le narrateur se voit offrir l&rsquo;occasion d&rsquo;un reportage sur cette prison pour le moins singuli&egrave;re. Il commet un petit larcin afin d&rsquo;&ecirc;tre arr&ecirc;t&eacute; et envoy&eacute;, gr&acirc;ce &agrave; ses contacts, faire des travaux communautaires &agrave; la prison Saint-Jean-de-Matha. La parution sommaire et le succ&egrave;s d&eacute;risoire de son reportage l'entra&icirc;ne &agrave; se tourner vers la litt&eacute;rature, comme il le pr&eacute;cise dans l&rsquo;avant-propos :</p> <p align="justify" class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Apr&egrave;s que les grosses lignes de mon fait divers soyent sorties dins journaux &mdash; un entrefilet coinc&eacute; entre des publicit&eacute;s d&rsquo;escortes &mdash;, apr&egrave;s une gloire de pacotille suivie d&rsquo;un down professionnel extraordinaire, des proches m&rsquo;ont sugg&eacute;r&eacute; d&rsquo;envoyer le document &agrave; Michel V&eacute;zina, &eacute;diteur chez Coups de t&ecirc;te. J&rsquo;ai ainsi romanc&eacute; certains passages pour en faire l&rsquo;histoire palpitante que tu t&rsquo;appr&ecirc;tes &agrave; d&eacute;couvrir. (p.8)</span></p> <p align="justify">Ce passage vers la litt&eacute;rature, qui n&rsquo;est qu&rsquo;une solution de dernier recours, ne se fait pas sans heurt. Apr&egrave;s une d&eacute;dicace &agrave; l&rsquo;honneur de Paris Hilton, qui fit r&eacute;cemment un bref s&eacute;jour carc&eacute;ral, Bond se cite lui-m&ecirc;me en exergue, revendiquant le statut litt&eacute;raire de son oeuvre : &laquo; Malgr&eacute; ce qu&rsquo;a pu te raconter, Marguerite fuckin Duras, ma Belle, chuis aussi de la litt&eacute;rature &raquo; (p.13). Cette d&eacute;fense du narrateur, qui appara&icirc;t ainsi d&egrave;s le d&eacute;but du roman, quant &agrave; ses ambitions litt&eacute;raires supposent qu&rsquo;elles sont remises en question<a name="note4a"><strong>[4]</strong></a>. La reconnaissance que la citation en exergue demande, l&rsquo;&eacute;diteur, Michel V&eacute;zina, lui retire &agrave; travers le jeu de sa &laquo;Note de l&rsquo;&eacute;diteur&raquo; qui souligne, non sans un certain d&eacute;sir de provocation, le fran&ccedil;ais non normatif du roman, laissant ainsi en plan la n&eacute;gociation interrompue et toujours vivante de la litt&eacute;rature face aux normes de la langue. Les libert&eacute;s langagi&egrave;res de Bond sont d&rsquo;ailleurs bien sages &agrave; c&ocirc;t&eacute; des d&eacute;tails odieux qui marquent les aventures des protagonistes de <em>Prison de poup&eacute;es</em>. Cette langue rythm&eacute;e et &eacute;nergique alimente n&eacute;anmoins ce r&eacute;cit foisonnant qui se nourrit &agrave; la fois des pratiques pornographiques contemporaines &mdash; l&rsquo;&eacute;jaculation faciale occupant une place de choix dans les relations entre les personnages &mdash; et de la culture populaire &mdash; principalement en int&eacute;grant en son sein plusieurs clich&eacute;s des films d&rsquo;horreurs de s&eacute;rie B.</p> <p align="left"><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Le s&eacute;jour de V&eacute;ronique</strong></span></p> <p align="justify">Le premier chapitre nous plonge au coeur de l&rsquo;&eacute;v&eacute;nement qui conduit V&eacute;ronique dans la prison de Saint-Jean-de-Matha. Avec son amoureux, Bruno, et sa soeur, Martine, V&eacute;ronique p&eacute;n&egrave;tre dans la demeure d&rsquo;un couple de banlieusards, qu&rsquo;on devine tranquilles, &laquo;du quatre cinq fuckin z&eacute;ro&raquo; (p.18). Les banlieusards incarnent la faiblesse que le narrateur voit chez ses contemporains, en comparaison avec les criminels qui connaissent une vie autrement plus difficile. Les trois complices d&eacute;siraient d&rsquo;abord soutirer de l&rsquo;argent &agrave; Johanne, enceinte de quelques mois, et &agrave; son mari, Sylvain, en leur volant leurs cartes bancaires et leurs cartes de cr&eacute;dit. Le trio de hors-la-loi d&eacute;cident de s&rsquo;installer dans la maison d&eacute;valis&eacute;e. Entre les &eacute;changes de drogue et de &laquo;french porno load&eacute; de salive pis d&rsquo;affection&raquo; (p.21) avec l&rsquo;&eacute;lue de son coeur, Bruno profite &agrave; sa guise du corps de Johanne, pendant que V&eacute;ronique, sa douce et tendre compagne, mart&egrave;le de coups le pauvre mari, qui assiste impuissant aux viols r&eacute;p&eacute;t&eacute;s de sa femme. Martine se d&eacute;tourne de l&rsquo;horreur violente qui soul&egrave;ve la maison de Laval et pr&eacute;f&egrave;re regarder un reportage sur une tueuse en s&eacute;rie r&eacute;cemment arr&ecirc;t&eacute;e sur la Rive-Nord de Montr&eacute;al. La double s&eacute;questration d&eacute;g&eacute;n&egrave;re lorsque Martine quitte le t&eacute;l&eacute;viseur et met fin &agrave; ses jours dans le garage du domicile. V&eacute;ronique pleure la mort de sa soeur. Bruno, le bienveillant amoureux, la r&eacute;conforte. Ils retournent la frustration que provoque ce suicide en poursuivant les tortures sur les deux victimes du drame sans faire attention aux bruits. Johanne est tu&eacute;e. La police arrive sur les entrefaites. Bruno et Sylvain d&eacute;c&egrave;dent pendant l&rsquo;arrestation. V&eacute;ronique, intronis&eacute;e au rang des &laquo;super vilaines&raquo; (p.38) par ses crimes perp&eacute;tr&eacute;s &agrave; Laval, est envoy&eacute;e &agrave; la c&eacute;l&egrave;bre prison de Saint-Jean-de-Matha.</p> <p align="justify">Apr&egrave;s un bref proc&egrave;s, V&eacute;ronique est reconnue coupable par le jury de toutes les accusations retenues contre elle. Le narrateur d&eacute;crit l&rsquo;air d&eacute;tach&eacute; qu&rsquo;elle affichait pendant le proc&egrave;s :</p> <p align="justify" class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Sur le banc des accus&eacute;s, elle a pas bronch&eacute;, envoyant m&ecirc;me une couple de clin d&rsquo;yeux au journaliste judiciaire de TQS. Elle faisait preuve d&rsquo;arrogance, la bitch, propab parce qu&rsquo;elle savait quel sort lui &eacute;tait r&eacute;serv&eacute; de toute mani&egrave;re. &Agrave; quoi bon essayer de convaincre le syst&egrave;me que le crime est la seule solution pour se placer les pieds confortablement dans not&rsquo;soci&eacute;t&eacute;, han?&nbsp;(p.26-27)</span></p> <p align="justify">Elle est conduite &agrave; Saint-Jean-de-Matha par Beaudry, un vieil homme solitaire, habitu&eacute; d&rsquo;escorter les &laquo;M&eacute;chantes&raquo; (p.26) de tout acabit en prison. Elle partage le voyage vers sa cellule avec Suzie, accus&eacute;e d&rsquo;avoir tu&eacute;e une femme &laquo;full h&eacute;t&eacute;ro au civil&raquo; (p.28) r&eacute;cemment rencontr&eacute;e dans un bar de lesbiennes, et Zo&eacute; Tremblay, enferm&eacute;e dans une cage. L&rsquo;histoire de Zo&eacute;, aussi connue sous le nom de la cannibale de Repentigny, est racont&eacute;e en note de bas de page. Il s&rsquo;agit de nulle autre que la tueuse en s&eacute;rie dont Martine suivait l&rsquo;arrestation &agrave; la t&eacute;l&eacute;vision, peu avant de mettre fin &agrave; ses jours. Zo&eacute; Tremblay n&rsquo;appara&icirc;t jamais dans le texte principal sauf par le biais d&rsquo;allusions ou de d&eacute;signations br&egrave;ves qui renvoient &agrave; la note infrapaginale. Le douzi&egrave;me chapitre est d&rsquo;ailleurs enti&egrave;rement constitu&eacute; d&rsquo;une note de bas de page qui raconte l&rsquo;&eacute;vasion de la cannibale de Repentigny. Elle se distingue des autres personnages du roman par cette position &eacute;trange qu&rsquo;elle occupe dans le r&eacute;cit, mais aussi par son statut d&rsquo;animal : &laquo;La cannibale de Repentigny &mdash; pas humaine, la madame. Une gueule load&eacute;e de crocs terrifiants qui menacent les kodaks des m&eacute;dias, son arrestation quasiment live. &Agrave; peine si elle se d&eacute;pla&ccedil;ait pas &agrave; quatre pattes. On l&rsquo;a surnomm&eacute;e &lsquo;La Squale&rsquo; dins journaux de Transcon&raquo;. (p.19) L&rsquo;animalit&eacute; de Zo&eacute; suffit sans doute &agrave; justifier son retrait de la trame principale du roman. Lorsqu&rsquo;on conna&icirc;t les habitudes de vie de l&rsquo;ensemble des personnages de Bond on se demande toutefois en quoi Zo&eacute; serait plus animale que les autres.</p> <p align="left"><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>L'exp&eacute;rience de la fin &agrave; Saint-Jean-de-Matha</strong></span></p> <p align="justify">B&acirc;tie sur une &icirc;le, la prison de Saint-Jean-de-Matha est men&eacute;e de main ferme par ses gardiennes, des she-male ou des femmes lesbiennes &agrave; l&rsquo;uniforme noir, avec des bottes d&rsquo;arm&eacute;e dix-huit trous au pied, &eacute;quip&eacute;es, entres autres, d&rsquo;une mitraillette. Elles battent, torturent, abusent sexuellement des d&eacute;tenues et pratiquent sur elles des exp&eacute;rimentations m&eacute;dicales. Les gardiennes &mdash; tout droit sorties d&rsquo;<em>Ilsa, She Wolf of the SS</em><a name="note5a" href="#note6"><strong>[5]</strong></a> [1975] &mdash; sont d&eacute;clar&eacute;es pires encore que les d&eacute;tenues. Comme les personnages du film de Don Edmonds, les gardiennes ont une moralit&eacute; douteuse. Aucune pr&eacute;occupation &eacute;thique ne vient porter ombrage &agrave; l&rsquo;assouvissement de leurs d&eacute;sirs. Le gouvernement canadien autorise de toute fa&ccedil;on leur libert&eacute;. Les gardiennes sont les ex&eacute;cutantes de l&rsquo;horreur du syst&egrave;me. &Agrave; l&rsquo;int&eacute;rieur des murs de la prison, les gardiennes, qui r&eacute;pondent aux charges autoritaires de la Directrice, d&eacute;tiennent tous les droits sur les prisonni&egrave;res. V&eacute;ronique est tortur&eacute;e et humili&eacute;e d&egrave;s son entr&eacute;e dans l&rsquo;enceinte de l&rsquo;institution. Apr&egrave;s avoir pass&eacute; plusieurs heures avec Gwendoline, le m&eacute;decin en charge des prisonni&egrave;res, elle se d&eacute;place de plus en plus difficilement tant les s&eacute;vices inflig&eacute;s lui causent une douleur importante.</p> <p align="justify">&Agrave; la caf&eacute;t&eacute;ria o&ugrave; le narrateur travaille, il parvient &agrave; &eacute;tablir un contact avec V&eacute;ronique. Le s&eacute;jour de V&eacute;ronique &agrave; Saint-Jean-de-Matha, ainsi que celui du narrateur, est perturb&eacute; par l&rsquo;&eacute;vasion de la cannibale de Repentigny. Malgr&eacute; tous les dispositifs sp&eacute;ciaux mis en place par les gardiennes, Zo&eacute; parvient &agrave; prendre la poudre d&rsquo;escampette<a name="note6a" href="#note6"><strong>[6]</strong></a>. Elle d&eacute;vore sur son passage quelques d&eacute;tenues et gardiennes. Sa course est interrompue par un repas plus dangereux que les autres. Zo&eacute; mange Diane, une she-male m&eacute;lancolique, au moment m&ecirc;me o&ugrave; cette derni&egrave;re allait mettre fin &agrave; ses jours. Pour r&eacute;aliser son suicide, elle venait d&rsquo;avaler, quelques minutes plus t&ocirc;t, un poison qui tue la cannibale de Repentigny au moment o&ugrave; elle dig&egrave;re Diane. Sous le choc de la perte d&rsquo;une des leurs, le travail des gardiennes de Saint-Jean-de-Matha n&rsquo;est plus exerc&eacute; dans les r&egrave;gles de l&rsquo;art. Elles &eacute;chouent ainsi &agrave; interrompre un d&eacute;but d&rsquo;&eacute;meute qui d&eacute;g&eacute;n&egrave;re. Comme dans le premier chapitre, o&ugrave; le suicide de Martine venait perturber le cambriolage de Bruno et de V&eacute;ronique, le suicide de Diane annonce l&rsquo;effondrement de l&rsquo;&eacute;tablissement carc&eacute;ral. V&eacute;ronique, avec l&rsquo;aide pr&eacute;cieuse du narrateur, intr&eacute;pide et ing&eacute;nieux, parvient &agrave; s&rsquo;&eacute;chapper de la prison, alors que plusieurs d&eacute;tenues trouvent la mort lors de l&rsquo;&eacute;vasion. Le narrateur est donc t&eacute;moin des derniers jours de l&rsquo;institution.</p> <p align="left"><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Un monde sans interiorit&eacute;</strong></span><strong> </strong></p> <p align="justify">Dans <em>Prison de poup&eacute;es</em>, toutes les horreurs sont permises sans d&eacute;r&eacute;gler le cours du monde. Le suicide est dans cet univers le seul &eacute;v&eacute;nement perturbateur. Il fait perdre le contr&ocirc;le aux personnages qui en sont t&eacute;moins. Si la souffrance inflig&eacute;e &agrave; l&rsquo;autre est d&eacute;j&agrave; pr&eacute;vue dans la soci&eacute;t&eacute; d&eacute;crite par le narrateur, la violence envers soi-m&ecirc;me ne l&rsquo;est pas. Elle est intol&eacute;rable. Dans ce monde lourd o&ugrave; la douleur sera de toute mani&egrave;re partout pr&eacute;sente, plut&ocirc;t que d&rsquo;int&eacute;rioriser la violence, les personnages apprennent &agrave; la transmettre. Les suicides de Martine et de Diane perturbent l&rsquo;ordre parce qu&rsquo;ils sont impr&eacute;visibles, mais aussi parce qu&rsquo;ils exposent ce que le syst&egrave;me a r&eacute;ussi &agrave; mettre de c&ocirc;t&eacute; par le biais des lois. Autant chez C&eacute;line que chez Genet, la repr&eacute;sentation de la prison dans le texte litt&eacute;raire participait pleinement &agrave; un processus d&rsquo;int&eacute;riorisation de la violence par le narrateur. <em>Prison de poup&eacute;es </em>est un roman d&eacute;pourvu d&rsquo;int&eacute;riorit&eacute;. Les d&eacute;sirs sexuels sont aussit&ocirc;t &eacute;nonc&eacute;s qu&rsquo;assouvis. L&rsquo;affection entre les personnages, chez Bruno et V&eacute;ronique par exemple, est exprim&eacute;e comme une boutade. Le narrateur ne cache pas le caract&egrave;re utilitaire de sa relation avec V&eacute;ronique. Il la laisse tomber d&egrave;s qu&rsquo;elle s&rsquo;accroche &agrave; lui et que son reportage est termin&eacute;. Le monde de <em>Prison de poup&eacute;es</em> ne retient rien. Il reconduit sans cesse la violence. La souffrance ne reste nulle part; elle circule sans fin.</p> <p><strong><a name="note1" href="#note1a">1</a> </strong>Entretien t&eacute;l&eacute;vis&eacute; avec Louis Pauwels de 1961, Ubuweb, <a title="http://www.ubu.com/film/celine.html" href="http://www.ubu.com/film/celine.html">http://www.ubu.com/film/celine.html</a>. Consult&eacute; le 24 mai 2008.<strong><br /> <a name="note2" href="#note2a"> 2</a></strong> Jean Genet, <em>Miracle de la rose</em>, coll. &laquo; Folio &raquo;, Paris, Gallimard, 1977, p. 10.<br /> <a href="#note3a"><strong>3</strong></a><a title="note3" name="note3"></a> <em>Ibid</em>., p. 11.<br /> <a href="#note4a"><strong>4</strong></a><a title="note5" name="note5"></a>V&eacute;ronique, la prisonni&egrave;re principale du r&eacute;cit, remet m&ecirc;me directement en question ses comp&eacute;tences : &laquo; Bond, t&rsquo;es qu&rsquo;un m&rsquo;as-tu vu. T&rsquo;&eacute;cris comme un attard&eacute; mental, on te voudrait m&ecirc;me pas dins magazines de Quebecor. T&rsquo;as juste eu de la luck jusqu&rsquo;&agrave; aujourd&rsquo;hui, pauvre d&eacute;bile. T&rsquo;es &agrave; des milles &agrave; l&rsquo;heure de la litt&eacute;rature! &raquo;&nbsp; (p. 85).<strong><br /> <a title="note6" name="note6" href="#note5a">5</a></strong> Dans ce film culte de Don Edmonds, Ilsa (Dyanne Thorne), une dirigeante nazie, est la gardienne sadique d&rsquo;un camp de concentration. Elle m&egrave;ne sur les d&eacute;tenues des exp&eacute;rimentations afin de prouver sa th&eacute;orie, c&rsquo;est-&agrave;-dire que les femmes endurent mieux que les hommes la souffrance et qu&rsquo;elles devraient, par cons&eacute;quent, se retrouver au premier plan dans les op&eacute;rations arm&eacute;es du Troisi&egrave;me Reich.<strong><br /> <a name="note6" href="#note6a">6</a></strong> &laquo; Dans cave, queques minutes &agrave; peine apr&egrave;s son incarc&eacute;ration dans cellule d&rsquo;isolement num&eacute;ro deux, Zo&eacute; s&rsquo;est volatilis&eacute;e. Pouf de m&ecirc;me! Aura fallu juste qu&rsquo;on d&eacute;tourne les yeux de l&rsquo;&eacute;cran de surveillance un moment pour sneaker sur AssTraffic, aller mater des goaties m&eacute;ga wides, pour qu&rsquo;elle disparaisse. Dans tv, la gardienne voit que la cannibale a rompu la cha&icirc;ne fouille-mo&eacute; comment, pis la grille du conduit d&rsquo;a&eacute;ration git au milieu de la pi&egrave;ce &raquo;. (p. 66)</p> http://salondouble.contemporain.info/lecture/la-ou-on-souffre#comments CÉLINE, Louis-Ferdinand GENET, Jean H. BOND, Edouard Québec Violence Roman Thu, 08 Jan 2009 14:19:00 +0000 Amélie Paquet 16 at http://salondouble.contemporain.info