Salon double - SALMON, Christian http://salondouble.contemporain.info/taxonomy/term/520/0 fr Le temps interrompu http://salondouble.contemporain.info/antichambre/le-temps-interrompu <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/audet-rene">Audet, René</a> </div> </div> </div> <!--break--><!--break--><p> <em>Ce texte est un extrait remodel&eacute; d'une communication pr&eacute;sent&eacute;e au colloque &nbsp;&laquo;Po&eacute;tiques et imaginaires de l'&eacute;v&eacute;nement&raquo;, Universit&eacute; du Qu&eacute;bec &agrave; Chicoutimi, 27-28 f&eacute;vrier 2009.</em></p> <p> Comment peut-on envisager la narrativit&eacute; dans l'&eacute;poque contemporaine ? Si je propose de la consid&eacute;rer dans son lien intrins&egrave;que avec l'&eacute;v&eacute;nement,&nbsp; il m'importe d'abord de la situer dans son rapport avec l'historicit&eacute;. &Agrave; cet effet, deux pr&eacute;misses sont n&eacute;cessaires afin de placer la situation du contemporain dans une perspective historique et d'&eacute;tablir le cadre dans lequel nous nous situons. Ces pr&eacute;misses portent sur le d&eacute;but et la fin du contemporain. Cette situation du contemporain me para&icirc;t intimement li&eacute;e &agrave; la condition actuelle du r&eacute;cit, non pas par interversion ou indiff&eacute;renciation, mais par contamination. Raconter aujourd'hui, c'est prendre acte de la position que nous occupons sur le spectre historique, mais c'est aussi refl&eacute;ter, absorber la conception de l'historicit&eacute; qui est n&ocirc;tre au sein m&ecirc;me du geste de raconter. Le d&eacute;fi de cette d&eacute;monstration est s&ucirc;rement d&eacute;mesur&eacute;, mais la port&eacute;e de cette observation peut &ecirc;tre fort importante pour notre compr&eacute;hension de la narrativit&eacute; aujourd'hui.</p> <p>Une premi&egrave;re pr&eacute;misse : le contemporain commence au point de rupture entre historicit&eacute; et actualit&eacute;. Il est facile de discuter de la p&eacute;riode contemporaine et de voir o&ugrave; elle conduit &mdash; pour l'instant, elle s'arr&ecirc;te l&agrave;, maintenant, au moment de la lecture de ce texte. Toutefois, il est plus hasardeux de tenter d'en saisir les premiers moments : en dehors de toute querelle de date, quelle balise peut-on &eacute;tablir comme entr&eacute;e dans le contemporain ? Si cette p&eacute;riode se d&eacute;finit par l'id&eacute;e du moment continu dans lequel on se trouve, la fracture ne peut donc &ecirc;tre &eacute;tablie que par une transition, celle permettant le passage de l'historicit&eacute; &agrave; l'actualit&eacute;. Avant la transition, tout &eacute;v&eacute;nement s'inscrit dans la diachronie qui le voit appara&icirc;tre ; l'interpr&eacute;tation est alors cons&eacute;quente de cette prise en compte du cours du temps. Apr&egrave;s l'histoire, en quelque sorte, se trouve un magma &eacute;v&eacute;nementiel et factuel se caract&eacute;risant fondamentalement par la simultan&eacute;it&eacute; &mdash; c'est le r&egrave;gne du pr&eacute;sentisme, pour reprendre un peu &agrave; la l&eacute;g&egrave;re le terme de Fran&ccedil;ois Hartog (2003). L'horizon est ce pr&eacute;sent, o&ugrave; pass&eacute; et futur sont &eacute;labor&eacute;s en fonction des besoins de l'imm&eacute;diat : le contemporain est ainsi la cl&eacute; de vo&ucirc;te interpr&eacute;tative universelle. Cette vision s'oppose fortement &agrave; la conception du contemporain d&eacute;fendue par Giorgio Agamben (2008), par exemple, qui propose plut&ocirc;t une position typiquement essayistique (avec une prise de distance, un d&eacute;calage par rapport &agrave; son temps, rappelant l'imp&eacute;ratif d'inactualit&eacute; avanc&eacute; par Nietzsche).</p> <p>Si l'entr&eacute;e en contemporan&eacute;it&eacute; se per&ccedil;oit par une plong&eacute;e dans l'actualit&eacute;, c'est bien parce qu'en contrepartie cette &eacute;poque se d&eacute;tache de l'historicit&eacute;, temporellement et discursivement parlant. C'est l&agrave; la deuxi&egrave;me pr&eacute;misse : le contemporain se situe hors de l'histoire, narrativement parlant. Dans <em>&Eacute;vidence de l'histoire</em> (2005), Fran&ccedil;ois Hartog (encore lui) retrace les mutations subies par la discipline de l'histoire &agrave; travers les si&egrave;cles, partant de la charge imm&eacute;moriale de la m&eacute;moire &agrave; une saisie de l'histoire comme construction (&agrave; l'image du corps humain), de la pr&eacute;tention rh&eacute;torique de l'histoire comme discours de v&eacute;rit&eacute; &agrave; l'analogie &eacute;tablie par F&eacute;nelon entre l'histoire et le po&egrave;me &eacute;pique, du d&eacute;sir de retrouver la vie (chez Michelet, &agrave; sa fa&ccedil;on) jusqu'&agrave; l'histoire influenc&eacute;e par les sciences sociales, recentr&eacute;e sur le r&eacute;p&eacute;titif et le s&eacute;riel. Dans toutes ces conceptions, &laquo; l'histoire n'a cess&eacute; de dire les faits et gestes des hommes, nous rappelle Hartog, de raconter, non pas le m&ecirc;me r&eacute;cit, mais des r&eacute;cits aux formes diverses. &raquo; (2005 : 173). Il en est de m&ecirc;me pour l'histoire litt&eacute;raire, dont l'objectif est de &laquo; proposer une intelligence historique des ph&eacute;nom&egrave;nes litt&eacute;raires par une double op&eacute;ration d'int&eacute;gration des &eacute;l&eacute;ments jug&eacute;s pertinents et d'articulation de ces &eacute;l&eacute;ments en un ensemble organis&eacute; et orient&eacute; &raquo; (Goldenstein, 1990 : 58). Ce qui &eacute;merge, c'est tr&egrave;s nettement la dimension construite du r&eacute;cit historique (Michelet disait qu'il faudrait, pour retrouver la vie historique, &laquo; refaire et r&eacute;tablir le jeu de tout cela &raquo; [Hartog, 2005 : 268]) ; ce r&eacute;cit historique est fond&eacute; sur une relation m&eacute;taphorique (un &ecirc;tre-comme), disait Ric&oelig;ur, en tension avec la d&eacute;pendance avec l'effectivit&eacute; du pass&eacute; (un avoir-&eacute;t&eacute; de l'&eacute;v&eacute;nement pass&eacute;). L'histoire conjugue le fait et une op&eacute;ration d'intelligibilit&eacute;.</p> <p>Si Julien Gracq est utopiste en disant que &laquo; L'histoire est devenue pour l'essentiel une mise en demeure adress&eacute;e par le Futur au Contemporain. &raquo; (cit&eacute; dans Hartog, 2005 : 117), il n'en r&eacute;v&egrave;le pas moins la forte charge t&eacute;l&eacute;ologique de l'histoire, r&eacute;v&eacute;lant un point de vue singulier sur les faits dont elle propose une lecture &agrave; la lumi&egrave;re du sens qu'elle leur attribue. Ce sens, c'est en fonction de l'issue des &eacute;v&eacute;nements qu'il se d&eacute;termine : au-del&agrave; de la soumission b&eacute;ate &agrave; la fl&egrave;che du temps, qui va du pass&eacute; au futur, nous sommes en mesure de comprendre &agrave; rebours l'incidence des faits sur le cours des &eacute;v&eacute;nements. &laquo; En lisant la fin dans le commencement et le commencement dans la fin, souligne Ric&oelig;ur, nous apprenons aussi &agrave; lire le temps lui-m&ecirc;me &agrave; rebours, comme la r&eacute;capitulation des conditions initiales d'un cours d'action dans ses cons&eacute;quences terminales. &raquo; (Ric&oelig;ur, 1991 [1983] : 131)</p> <p>Or c'est justement cette capacit&eacute; de lui donner un sens qui stigmatise le contemporain &mdash; ou du moins qui confirme son exclusion de l'historicit&eacute;. En ne sachant pas sur quoi ouvrira la p&eacute;riode dans laquelle nous nous trouvons, nous ne pouvons &eacute;valuer la port&eacute;e et la signification des gestes, des &oelig;uvres, des faits que nous vivons. La t&eacute;l&eacute;ologie historique reste imparfaite, et l'interpr&eacute;tation stagne en raison de l'impossibilit&eacute; de lire et de relire en fonction de la fin de l'histoire, qu'&agrave; l'&eacute;vidence nous ne connaissons pas.</p> <p>Ce malaise se r&eacute;percute tout autant sur les &oelig;uvres narratives, dont la fuite du sens, la chute de l'intrigue d&eacute;stabilisent les lecteurs (les textes d&eacute;pla&ccedil;ant les rep&egrave;res interpr&eacute;tatifs convenus) &mdash; se trouve de la sorte illustr&eacute;e l'analogie avanc&eacute;e entre narrativit&eacute; et contemporan&eacute;it&eacute;. En lien avec la faillite du sens de l'histoire en contexte contemporain, quelle d&eacute;finition donner du r&eacute;cit, de la narrativit&eacute; (si tant est qu'on puisse consid&eacute;rer que ces deux termes renvoient &agrave; une seule et m&ecirc;me r&eacute;alit&eacute;) ? Plus encore, comment envisager la narrativit&eacute; aujourd'hui, de fa&ccedil;on autonome par rapport &agrave; l'histoire et &agrave; ses obsessions (l'Histoire avec sa grande Hache, comme disait Perec) ? Seule pourra nous &eacute;clairer la lecture d'&oelig;uvres clamant leur foi en une pratique du raconter, du storytelling (&agrave; entendre sans la connotation de manipulation sociale que lui accole un Christian Salmon) &mdash; un storytelling imm&eacute;diatement ancr&eacute; dans l'&eacute;v&eacute;nement.</p> <p>&nbsp;<br /> <strong><br /> Bibliographie</strong></p> <p>Agamben, Giorgio (2008), Qu'est-ce que le contemporain ?, Paris, Payot-Rivages (Petite biblioth&egrave;que).</p> <p>Goldenstein, Jean-Pierre (1990), &laquo; Le temps de l&rsquo;histoire litt&eacute;raire &raquo;, dans Henri B&Eacute;HAR et Roger FAYOLLE (dir.), L&rsquo;histoire litt&eacute;raire aujourd&rsquo;hui, Paris, Armand Colin, p. 58-66.</p> <p>Hartog, Fran&ccedil;ois (2003), R&eacute;gimes d'historicit&eacute;. Pr&eacute;sentisme et exp&eacute;riences du temps, Paris, Seuil (Librairie du XXIe si&egrave;cle).</p> <p>Hartog, Fran&ccedil;ois (2005), &Eacute;vidence de l'histoire. Ce que voient les historiens, Paris, &Eacute;ditions EHESS (Cas de figure).</p> <p>Ric&oelig;ur, Paul (1991 [1983]), Temps et r&eacute;cit. Tome 1 : L'intrigue et le r&eacute;cit historique, Paris, Seuil (Points).</p> <p>Salmon, Christian (2008 [2007]), Storytelling, la machine &agrave; fabriquer des histoires et &agrave; formater les esprits, Paris, La d&eacute;couverte (Poche).</p> http://salondouble.contemporain.info/antichambre/le-temps-interrompu#comments AGAMBEN, Giorgio Contemporain Esthétique GOLDENSTEIN, Jean-Pierre HARTOG, François Philosophie RICOEUR, Paul SALMON, Christian Théories du récit Écrits théoriques Thu, 04 Jun 2009 16:55:25 +0000 René Audet 129 at http://salondouble.contemporain.info