Salon double - Verticalité http://salondouble.contemporain.info/taxonomy/term/531/0 fr Seul contre tous http://salondouble.contemporain.info/lecture/seul-contre-tous <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/hebert-sophie">Hébert, Sophie</a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-biblio"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/biblio/lopprobre-essai-de-demonologie">L&#039;Opprobre. Essai de démonologie</a> </div> </div> </div> <!--break--><!--break--><p> Les essais de Richard Millet, du <em>Dernier &eacute;crivain</em> (2005) au <em>D&eacute;senchantement de la litt&eacute;rature</em> (2007), semblent, depuis quelques ann&eacute;es, se fermer &agrave; toute entreprise herm&eacute;neutique, en d&eacute;veloppant une posture auctoriale particuli&egrave;rement complexe. <em>L'Opprobre</em> (2008), son dernier livre, confirme cette tendance<a name="note1" href="#note1a"><strong>[1]</strong></a>. </p> <p><em>Le D&eacute;senchantement de la litt&eacute;rature</em> avait, lors de sa publication, provoqu&eacute; un v&eacute;ritable toll&eacute; dans le monde de la critique litt&eacute;raire &mdash;preuve, s'il en &eacute;tait besoin, que les lettres pouvaient encore soulever pol&eacute;mique, d&eacute;clencher querelle, &ecirc;tre encore, tout simplement, mati&egrave;re &agrave; <em>disputatio</em>. &Agrave; sa mani&egrave;re, Millet proposait une &laquo;D&eacute;fense de la langue fran&ccedil;aise&raquo;, un ouvrage, soyons honn&ecirc;te, vivifiant pour l'esprit. Les attaques &mdash;il n'y a pas d'autre mot&mdash; envers cet essai furent innombrables, et souvent d'ordre &eacute;thique: autrement dit, les critiques se port&egrave;rent finalement moins sur les id&eacute;es d&eacute;velopp&eacute;es au sein de ce texte que sur leur repr&eacute;sentant, &agrave; savoir Richard Millet lui-m&ecirc;me<strong><a name="note2" href="#note2a">[2]</a></strong>. </p> <p>D&eacute;sir honn&ecirc;te et scrupuleux de restituer &agrave; son lecteur les grossi&egrave;ret&eacute;s critiques qui ont accompagn&eacute; son dernier texte? Ou plaisir malsain de ressasser en ricanant ce qui a d&eacute;finitivement f&acirc;ch&eacute;? Les premi&egrave;res pages de <em>L'Opprobre</em> dressent la liste, longue et laborieuse, mais finalement &mdash;n'est-ce pas aussi ce que cette &eacute;num&eacute;ration sugg&egrave;re?&mdash; &eacute;minemment consensuelle, des qualificatifs qu'une certaine critique litt&eacute;raire a cru bon d'attribuer &agrave; l'auteur du <em>D&eacute;senchantement de la litt&eacute;rature</em>. Avec <em>L'Opprobre</em>, Millet s'arroge donc le droit l&eacute;gitime de r&eacute;pondre &agrave; ses contempteurs qui, pour l'occasion, deviennent, dans son imaginaire profond&eacute;ment empreint de manich&eacute;isme, des &laquo;ennemis&raquo; &agrave; abattre, des &laquo;agents du D&eacute;mon&raquo; &agrave; neutraliser dans des phrases assassines. </p> <p>Richard Millet pique, titille, exacerbe, agace, ironise, rench&eacute;rit, en somme persiste et signe: la fureur de son Verbe atteint un paroxysme que ne connaissaient pas ses ouvrages pr&eacute;c&eacute;dents. La col&egrave;re qui le porte, mais aussi cette conscience farouche d'&ecirc;tre le dernier porteur d'une v&eacute;rit&eacute; que seule une lucidit&eacute; hors du commun peut r&eacute;v&eacute;ler, &eacute;tranglent, asphyxient une syntaxe, toujours parfaite, souvent complexe, malais&eacute;e parfois. La prof&eacute;ration, la vitup&eacute;ration, tout comme la v&eacute;rit&eacute; g&eacute;n&eacute;rale et universelle, ne peuvent, en dernier recours, que s'exprimer dans le fragment: &agrave; quoi bon &eacute;difier autour de ma th&egrave;se une argumentation solide si personne ne me comprend? Pourquoi lier ensemble des id&eacute;es, former un syst&egrave;me, si la critique d&eacute;cide de n'en retenir qu'une partie et, de surcro&icirc;t, de la d&eacute;former? Voil&agrave; ce que, formellement, l'auteur de <em>L'Opprobre</em> semble nous dire.&nbsp; </p> <p>Ainsi, Richard Millet atomise, en quelque sorte, ses th&egrave;ses &mdash;il n'est pas exclu que ce soit aussi pour les rendre plus &laquo;digestes&raquo; &agrave; son lecteur. Car, ce que permet l'&eacute;criture par fragment, c'est aussi de fragiliser la m&eacute;moire de lecture: l'alternance et les effets multiples de <em>variatio</em> permettent de disperser l'attention du lecteur<strong><a name="note3" href="#note3a">[3]</a></strong>. Les fragments &eacute;voquent, sugg&egrave;rent, affirment: ils se dispensent de la contrainte qu'est le d&eacute;veloppement et s'aur&eacute;olent d'un caract&egrave;re irr&eacute;futable et implacable. La v&eacute;rit&eacute;, pour Richard Millet, ne se prouve pas, elle se dit &mdash;quitte &agrave; rester incompris.&nbsp; </p> <p><span style="color: rgb(128, 128, 128); "><strong>Les trois v&eacute;rit&eacute;s de Richard Millet </strong></span></p> <p>Plut&ocirc;t, ce n'est pas une v&eacute;rit&eacute;, mais des v&eacute;rit&eacute;s &mdash;c'est en tout cas ainsi qu'elles se pr&eacute;sentent dans <em>L'Opprobre</em>&mdash; qui sont &eacute;nonc&eacute;es. Il y a, d'abord, la v&eacute;rit&eacute; m&eacute;tatextuelle, celle que l'auteur &eacute;nonce sur son propre <em>ars scribendi</em>: par exemple, cette fa&ccedil;on qu'il a de se purifier dans l'&eacute;criture en se [re]plongeant dans la sacralit&eacute; de la langue et de sa syntaxe, s'illustrant dans la formule &laquo;&Eacute;crire, c'est...&raquo; qui inaugure certains fragments. Il y a, ensuite, la v&eacute;rit&eacute; plus g&eacute;n&eacute;ralement litt&eacute;raire, celle qui se penche sur l'&eacute;tat actuel de la litt&eacute;rature, particuli&egrave;rement sur le roman contemporain, dont Millet d&eacute;nonce la m&eacute;diocrit&eacute;, l'inanit&eacute;, le risque m&ecirc;me qu'il repr&eacute;sente, mais aussi le d&eacute;clin qu'il symbolise. Il y a, enfin, ce que l'on pourrait appeler faute de mieux la v&eacute;rit&eacute; politico-historique que Millet compose selon un &eacute;trange amalgame, puisque le d&eacute;clin de la litt&eacute;rature est assimil&eacute;e &agrave; la d&eacute;mocratie, elle-m&ecirc;me constitu&eacute;e d'&eacute;l&eacute;ments pr&eacute;sent&eacute;s comme n&eacute;gatifs: lib&eacute;ralisme, immigration, r&egrave;gne du Spectacle g&eacute;n&eacute;ralis&eacute;, illusion de l'&eacute;galit&eacute; et de la paix entre citoyens comme entre les peuples, multiculturalisme. Les mots de Millet sont implacables pour qualifier tout cela: &laquo;d&eacute;labrement spirituel de l'Europe&raquo;, &laquo;d&eacute;cadence occidentale&raquo;. Millet associe aussi d&eacute;clin de la litt&eacute;rature et m&eacute;diocrit&eacute; humaine: selon lui, cette derni&egrave;re ne touche pas seulement les &eacute;crivains contemporains, mais plus largement les Fran&ccedil;ais, dont l'univers mental et l'absence de lucidit&eacute; sont dignes d'&ecirc;tre m&eacute;pris&eacute;s. Floril&egrave;ge: &laquo;En v&eacute;rit&eacute; que pourrais-je aimer dans une France qui s'oublie elle-m&ecirc;me comme une malade et dont je m&eacute;prise le peuple?&raquo; (p.15); &laquo;Peuple braillard, mesquin, &eacute;mascul&eacute;, mais le cerveau encore tiraill&eacute; entre Versailles, New York et Moscou, les Fran&ccedil;ais refusent &agrave; grands cris toute id&eacute;e de s&eacute;lection, alors qu'ils r&eacute;v&egrave;rent comme de grands pr&ecirc;tres les s&eacute;lectionneurs des &eacute;quipes de sport nationales&raquo; (p.58); &laquo;Si je leur trouve aujourd'hui une qualit&eacute; [aux Fran&ccedil;ais], c'est leur peu de s&eacute;rieux, et leur insignifiance, et encore, celle-ci est-elle bruyante&raquo; (p.76); &laquo;Le Fran&ccedil;ais est fid&egrave;le &agrave; son chien&raquo; (p.79); &laquo;Tout ce que je dis de la France, de la nullit&eacute; de sa culture, de son agonie intellectuelle, un r&eacute;cent num&eacute;ro de <em>Time</em> le clame &agrave; la face du monde<strong><a name="note4" href="#note4a">[4]</a></strong>&raquo; (p.173). Richard Millet fait mouche, dans un double coup de gr&acirc;ce, car au ridicule du clich&eacute; s'ajoute la blessure d'orgueil &mdash;on ne touche pas &agrave; l'exception fran&ccedil;aise. </p> <p>Ces trois &laquo;v&eacute;rit&eacute;s&raquo;, qu'on pourrait dire respectivement soutenues par l'&eacute;crivain, l'&eacute;diteur et l'homme, sont toutes motiv&eacute;es par un m&ecirc;me refus: celui de &laquo;l'horizontalit&eacute;&raquo;. L'horizontalit&eacute;, c'est une des fa&ccedil;ons qu'a l'&ecirc;tre de consid&eacute;rer le monde qui l'entoure. Dans cette perspective, les id&eacute;es, ou les seules perceptions, restent planes, comme nivel&eacute;es. Pour Richard Millet, cette horizontalit&eacute; poss&egrave;de des causes politico-religieuses: elle est n&eacute;e de l'av&egrave;nement de la d&eacute;mocratie ou plut&ocirc;t de la d&eacute;gradation de celle-ci en d&eacute;mocratie lib&eacute;rale, elle s'explique avec la mort de Dieu, c'est-&agrave;-dire avec l'extinction progressive de la foi, et plus sp&eacute;cifiquement de la croyance catholique&mdash; ce qui peut se r&eacute;sumer ainsi: &laquo;la Technique, le Syst&egrave;me, le Spectacle, le Nihilisme obscurcissent le monde&raquo; (p.20). Ce d&eacute;go&ucirc;t du monde tel qu'il est s'exprime en termes tr&egrave;s violents: Millet est &laquo;en guerre&raquo;, voudrait an&eacute;antir les hordes d'&eacute;crivains &laquo;insignifiants&raquo;, &laquo;et ce serait une erreur de ne pas leur &eacute;craser la t&ecirc;te&raquo; (p.155), et se pr&eacute;sente comme &laquo;un meurtrier en puissance&raquo; (p.174)... Ce qu'il manque dans le monde selon Richard Millet, c'est une verticalit&eacute;, un Dieu qui ferait lever la t&ecirc;te, des hommes qui domineraient, par le savoir qu'ils d&eacute;tiennent, d'autres hommes, des livres qu'on serait enfin en mesure de hi&eacute;rarchiser selon leur qualit&eacute; litt&eacute;raire, des id&eacute;es qui pr&eacute;vaudraient sur d'autres gr&acirc;ce aux valeurs qu'elles d&eacute;ploieraient. La morale en n&eacute;gatif que nous propose Richard Millet &mdash;exhiber les D&eacute;mons, dire o&ugrave; est le Mal, pour signifier &agrave; ses lecteurs ce qu'ils doivent refuser&mdash; me pose un double probl&egrave;me: d'abord, parce qu'elle prend appui sur une vengeance personnelle (on ne peut pas, au sein d'un m&ecirc;me ouvrage, m&ecirc;me s'il se d&eacute;ploie par fragments, et r&eacute;gler ses comptes et livrer une vision du monde teint&eacute;e de tant de rancune); ensuite, parce que ses id&eacute;es sont parasit&eacute;es par une mise en sc&egrave;ne de soi probl&eacute;matique. </p> <p>C'est lorsqu'elles portent sur les causes du d&eacute;clin de la litt&eacute;rature que les id&eacute;es de Richard Millet deviennent probl&eacute;matiques: m&ecirc;me si Millet revendique sans cesse son souhait d'&ecirc;tre, envers et contre tout, politiquement incorrect &mdash;ce qu'on ne lui reproche pas, d'ailleurs&mdash;, son ton fr&ocirc;le souvent un exc&egrave;s qui, chez un homme qui se d&eacute;finit comme &laquo;barbare par exc&egrave;s de raffinement&raquo; (p.147), jure un peu... S'il est, comme il le pr&eacute;tend, le dernier repr&eacute;sentant des valeurs de courtoisie, d'&eacute;l&eacute;gance et de tenue propres &agrave; une certaine culture fran&ccedil;aise dont la langue serait le paradigme, pourquoi se laisser aller &agrave; la vulgarit&eacute; qu'il condamne? Que sa cruaut&eacute; s'acharne, vengeresse, contre ses adversaires, soit. Mais la g&eacute;n&eacute;ralisation id&eacute;ologique &agrave; laquelle Richard Millet c&egrave;de parfois dessert ind&eacute;niablement et son propos et lui-m&ecirc;me. J'ai relev&eacute;, au fil de ma lecture, un tic stylistique &eacute;loquent: Millet ponctue fr&eacute;quemment son texte de &laquo;donc&raquo; (&laquo;la jeunesse &agrave; tendance sociale, donc vulgaire&raquo;, [p.96], &laquo;un r&eacute;cit de gauche, donc id&eacute;aliste, c'est-&agrave;-dire nihiliste&raquo;, [p.139]), de &laquo;c'est-&agrave;-dire&raquo; (&laquo;Le bonheur est une id&eacute;e pa&iuml;enne &mdash;c'est-&agrave;-dire petite-bourgeoise&raquo;, [p.150]) et de &laquo;soit&raquo; (&laquo;Il ne s'agit pas cependant de c&eacute;der &agrave; la stylisation, si proche de l'id&eacute;alisation, soit des ruses du Diable&raquo;, [p.99]), qui favorisent une pens&eacute;e &laquo;en raccourcis&raquo;, r&eacute;unissant des &eacute;l&eacute;ments que la prose ligote entre eux, gr&acirc;ce &agrave; sa capacit&eacute; d&eacute;monstrative, mais dont le lien r&eacute;el semble plus l&acirc;che... &nbsp; </p> <p>Banni, isol&eacute;, exclu, tels sont les termes que Richard Millet emploie pour d&eacute;finir sa position dans le champ litt&eacute;raire actuel et plus g&eacute;n&eacute;ralement en France: &laquo;Je me situe toujours ailleurs&raquo; (p.17). Mais dans un d&eacute;dain souverain, et gr&acirc;ce &agrave; l'orgueilleuse id&eacute;e qu'il se fait de lui-m&ecirc;me, il exalte et revendique ce qu'il nomme son &laquo;apartheid mental&raquo;. Cette mise &agrave; l'&eacute;cart initiale, volontaire, recherch&eacute;e m&ecirc;me (&laquo;&ecirc;tre scandaleux par auto-exclusion de l'espace public&raquo;, [p.162]), est ent&eacute;rin&eacute;e, depuis quelques ann&eacute;es, par les r&eacute;actions de ses pairs. Elle est interpr&eacute;t&eacute;e par Richard Millet comme une preuve de sa sup&eacute;riorit&eacute; &mdash;inutile de dire qu'elle lui permet aussi de faire parler de lui. On ne s'attardera pas sur le c&ocirc;t&eacute; parfois doucement parano&iuml;aque de certains fragments: l'illusion d'&ecirc;tre le seul &agrave; d&eacute;tenir ce que tout le monde a perdu, une langue, une foi, une culture, lui permet de rev&ecirc;tir son &oelig;uvre d'un vernis particulier, fait d'unicit&eacute; et d'&eacute;l&eacute;vation. Conscience &eacute;trange mais sinc&egrave;re de l'&eacute;crivain Millet ou habile strat&eacute;gie auctoriale foment&eacute;e par l'&eacute;diteur qu'il est aussi? Parfois, la nostalgie pointe &mdash;&laquo;nommer [...] c'est [...] marquer une estime dont je cherche en vain un &eacute;crivain qui me la t&eacute;moigne&raquo; (p.56)&mdash;, comme si cet isolement n'&eacute;tait pas compl&egrave;tement assum&eacute;: &laquo;Quand on ne me r&eacute;prouve pas, on me passe sous silence &mdash;autre mani&egrave;re d'injure&raquo; (p.101).&nbsp; </p> <p><span style="color: rgb(128, 128, 128); "><strong>De Millet &agrave; Montherlant </strong></span></p> <p>Osons, pour finir, une comparaison. Il est &eacute;tonnant qu'Henry de Montherlant n'apparaisse jamais explicitement dans l'intertexte, en tous points classique, qui prend place dans <em>L'Opprobre</em>. Pourtant, il serait int&eacute;ressant de rapprocher ces deux figures. Car comme Richard Millet l'est aujourd'hui, Montherlant &eacute;tait soutenu par une &oelig;uvre de qualit&eacute;, qu'il <em>savait</em> de qualit&eacute;, et par la certitude d'&ecirc;tre un &eacute;crivain incompris de son public et de ses critiques... </p> <p>Quelques exemples: l'orgueil qui soutient Millet au-dessus de la m&eacute;diocrit&eacute; qui l'entoure (&laquo;Ma voix est donc celle de la v&eacute;rit&eacute;. Je n'&eacute;crirais pas si je ne me maintenais pas &agrave; cette hauteur.&raquo;, [p.12]) ressemble assez &agrave; cette hauteur de vue que Montherlant a toujours revendiqu&eacute;e dans ses essais (&laquo;Je n'ai que l'id&eacute;e que je me fais de moi-m&ecirc;me pour me soutenir sur les mers du n&eacute;ant&raquo; &eacute;crit-il dans <em>Service inutile</em>); la figure de &laquo;moine-soldat&raquo; d&egrave;s les premi&egrave;res pages de <em>L'Opprobre</em> pourrait ais&eacute;ment &ecirc;tre rapproch&eacute;e des derni&egrave;res pages de la pr&eacute;face de <em>Service inutile</em> (&laquo;Mais <em>quid</em> du pr&eacute;sent? Le moine-soldat! C'est autour de cette figure un peu d&eacute;routante que tournent aujourd'hui ma pens&eacute;e et ma r&ecirc;verie&raquo;); et &laquo;le chant profond de la langue&raquo; dont parle Millet (p.89) est ce m&ecirc;me cante jondo sur lequel &eacute;crit Montherlant dans <em>Service inutile</em> toujours<strong><a name="note5" href="#note5a">[5]</a></strong>. On pourrait rajouter, de mani&egrave;re plus g&eacute;n&eacute;rale, que ces deux auteurs se retrouvent aussi sur la n&eacute;cessit&eacute; pour l'auteur de se &laquo;d&eacute;solidariser&raquo; de l'actualit&eacute; pour privil&eacute;gier l'&eacute;tablissement de son &oelig;uvre, sur le refus, enfin, d'appartenir &agrave; un &laquo;groupe&raquo; litt&eacute;raire quelconque &mdash;adh&eacute;sion inadmissible pour des auteurs qui se veulent &laquo;insituables&raquo;, clairement &laquo;au-dessus de la m&ecirc;l&eacute;e&raquo;. Lors de la premi&egrave;re publication de cette lecture, Pierre Assouline avait consid&eacute;r&eacute; que la comparaison entre Millet et Montherlant &eacute;tait peu convaincante<strong><a name="note6" href="#note6a">[6]</a></strong>: mettons-le aujourd'hui au d&eacute;fi. De qui est cette phrase? &laquo;Le succ&egrave;s n'est pas la gloire, mais presque son contraire. Le succ&egrave;s repose souvent sur un malentendu [&hellip;]. &Agrave; un tr&egrave;s haut degr&eacute;, le succ&egrave;s est &eacute;videmment le r&eacute;sultat d'une collaboration putassi&egrave;re entre l'esprit de l'&eacute;poque et le go&ucirc;t du public.&raquo; Ainsi, Montherlant et Millet entretiennent bien des co&iuml;ncidences litt&eacute;raires &mdash;dont je n'ai fait qu'esquisser les possibles. Peut-&ecirc;tre que le parcours litt&eacute;raire du premier pourrait &eacute;clairer, chez les lecteurs, les prises de position et la posture auctoriale du deuxi&egrave;me. </p> <p>C'est avec impartialit&eacute; que j'ai tent&eacute; de d&eacute;crypter <em>L'Opprobre</em> de Richard Millet, parce c'est un exercice auquel finalement peu de critiques se sont livr&eacute;s, leur indignation ayant pris le pas sur leur esprit d'analyse. Les rares commentaires actuels de <em>L'Opprobre</em> ressemblent &eacute;trangement &agrave; ceux qu'avait essuy&eacute;s <em>Le D&eacute;senchantement de la litt&eacute;rature</em>: ils d&eacute;noncent la dangerosit&eacute; d'une pens&eacute;e attis&eacute;e par la haine et qui se d&eacute;voile sans complexe quand elle aborde les questions du racisme, de l'islamisme, de l'homosexualit&eacute;, etc. Objectivement, la pens&eacute;e de Richard Millet a l'avantage de susciter l'agitation dans un monde litt&eacute;raire plut&ocirc;t scl&eacute;ros&eacute; en se pr&eacute;sentant comme un contrepoint radical &mdash;n&eacute;cessaire &agrave; toute dialectique, et donc &agrave; tout d&eacute;bat intellectuel. Mais si, &agrave; pr&eacute;sent, je me laisse submerger par ma subjectivit&eacute;, travaill&eacute;e depuis l'enfance par les notions de tol&eacute;rance, d'&eacute;galit&eacute;, de justice, et de la&iuml;cit&eacute;, la pens&eacute;e de Richard Millet a quelque chose d'effrayant. Qu'importe? Quel que soit l'effort fait pour comprendre sa prose, et ne pas v&eacute;rifier sa proph&eacute;tie (&laquo;je donne un texte fragmentaire, on le dira in&eacute;gal par nature, contradictoire, attaquant certains fragments qui dispenseront de lire l'ensemble&raquo;, [p.106]), s'il lit ces lignes, l'auteur de <em>L'Opprobre</em> me rangera s&ucirc;rement parmi les critiques gauchistes qui sympathisent avec le Diable et conclura ainsi: &laquo;On me lit mal&raquo; (p.120).</p> <div>&nbsp;</div> <hr /> <br /> <a name="note1a" href="#note1"> <strong>[1]</strong></a> Richard Millet, <i>Le Dernier &eacute;crivain</i>, Fata Morgana, 2005; <i>Le D&eacute;senchantement de la litt&eacute;rature</i>, Paris, Gallimard, 2007; <i>L'Opprobre</i>, Paris, Gallimard, 2008. <p><strong><a name="note2a" href="#note2">[2]</a>&nbsp;</strong> Pour lire un compte rendu du <i>D&eacute;senchantement de la litt&eacute;rature </i>de Richard Millet: &laquo;Le&ccedil;on de misanthromorphie&raquo;, dans Nonfiction.fr, le portail des livres et des id&eacute;es, [en ligne]. <a href="http://www.nonfiction.fr/article-135-lecon_de_misanthromorphie.htm" title="http://www.nonfiction.fr/article-135-lecon_de_misanthromorphie.htm">http://www.nonfiction.fr/article-135-lecon_de_misanthromorphie.htm</a> [Page en ligne depuis le 11 octobre 2007].</p> <p><strong><a name="note3a" href="#note3">[3]</a></strong>&nbsp; La violence des th&egrave;ses que Millet d&eacute;ploie &laquo;passe&raquo; mieux, me semble-t-il, par petites bouch&eacute;es... D'o&ugrave; le &laquo;digeste&raquo; &mdash;en d&eacute;pit du fait que les lecteurs, en effet, sont habitu&eacute;s &agrave; la nappe textuelle.</p> <p><strong><a name="note4a" href="#note4">[4]</a></strong> Pour lire l'article du <i>Time magazine</i> qui a tant agit&eacute; l'intelligentsia fran&ccedil;aise &agrave; la fin de l'ann&eacute;e 2007: Donald Morrison, &laquo;The Death of French Culture. In Search of Lost Time&raquo;, dans <i>Time</i>, [en ligne].<br /> <a href="http://www.time.com/time/magazine/article/0,9171,1686532,00.html" title="http://www.time.com/time/magazine/article/0,9171,1686532,00.html">http://www.time.com/time/magazine/article/0,9171,1686532,00.html</a> [Page en ligne depuis le 21 novembre 2007].</p> <p><strong><a name="note5a" href="#note5">[5]</a></strong> Pour les trois derni&egrave;res r&eacute;f&eacute;rences, voir: Henry de Montherlant, <em>Essais</em>, Paris, Gallimard, coll. &laquo;Biblioth&egrave;que de la Pl&eacute;iade&raquo;, 1963, p. 598, p. 605, p. 592.</p> <p><strong><a name="note6a" href="#note6">[6]</a></strong> Ses propres arguments sont ici: Pierre Assouline, &laquo;Moi contre le reste du monde&raquo;, dans <i>La R&eacute;publique des livres</i>, [en ligne].<br /> <a href="http://passouline.blog.lemonde.fr/2008/04/12/moi-contre-le-reste-du-monde/" title="http://passouline.blog.lemonde.fr/2008/04/12/moi-contre-le-reste-du-monde/">http://passouline.blog.lemonde.fr/2008/04/12/moi-contre-le-reste-du-monde/</a> [Page en ligne depuis le 12 avril 2008]. Cette lecture avait &eacute;t&eacute; publi&eacute;e dans une version diff&eacute;rente le 2 avril 2008 dans une revue en ligne aujourd'hui disparue, Biffures.org.</p> <p><br type="_moz" /></p> http://salondouble.contemporain.info/lecture/seul-contre-tous#comments Contemporain Critique littéraire Culture française DE MONTHERLANT, Henry Déclin de la littérature Éclatement textuel Engagement Éthique France MILLET, Richard MORRISON, Donald Polémique Tradition Valeurs Verticalité Violence Essai(s) Tue, 13 Jul 2010 15:51:31 +0000 Sophie Hébert 248 at http://salondouble.contemporain.info