Salon double - Contraintes http://salondouble.contemporain.info/taxonomy/term/533/0 fr Exercice de style en dix-huit crimes http://salondouble.contemporain.info/lecture/exercice-de-style-en-dix-huit-crimes <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/guilet-anais">Guilet, Anaïs</a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-biblio"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/biblio/lhomme-qui-tua-roland-barthes-et-autres-nouvelles">L&#039;homme qui tua Roland Barthes et autres nouvelles </a> </div> </div> </div> <!--break--><!--break--><div>&nbsp;</div> <div class="rteright"><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><br /> Ce que nous contemplons, nous autres vivants, est le spectacle ambigu et effroyable, des hommes devant la mort, qui, comme le soleil, ne peut se regarder en face. (p. 66)</span></div> <p> Et c&rsquo;est bien &agrave; une forme d&rsquo;agonie que nous assistons &agrave; la lecture des dix-huit nouvelles qui composent le recueil de Thomas Clerc, intitul&eacute; <em>L&rsquo;homme qui tua Roland Barthes et autres nouvelles</em>. Chacune des personnes &ndash;devenues ici personnages&ndash; choisies par Thomas Clerc va mourir, les titres anaphoriques &laquo;L&rsquo;homme qui tua&hellip;&raquo; nous le rappellent, les connaissances du lecteur souvent le lui confirment (Gianni Versace, Abraham Lincoln, Pier Paolo Pasolini et Marvin Gaye sont morts assassin&eacute;s, nous le savons tous). Ils sont d&eacute;c&eacute;d&eacute;s, victimes d&rsquo;un crime et s&rsquo;appr&ecirc;tent &agrave; &ecirc;tre de nouveau tu&eacute;s sous nos yeux. Pour nous faire partager ce spectacle &agrave; l&rsquo;issue fatale et sans surprise, Thomas Clerc, dans un &eacute;lan oulipien, change &agrave; chaque nouvelle de style d&rsquo;&eacute;criture mais aussi de point de vue, semblant d&rsquo;ailleurs avoir une pr&eacute;f&eacute;rence pour la focalisation sur le meurtrier plut&ocirc;t que sur la victime. Si les d&eacute;nouements de chaque intrigue sont donc connus d&rsquo;avance, chaque nouvelle, par l&rsquo;exercice de style qu&rsquo;elle propose, se fait singuli&egrave;re et manifeste une certaine virtuosit&eacute; dans l&rsquo;&eacute;criture de la part de Thomas Clerc. Le crime, dans sa violence et son traitement, se renouvelle sans cesse, comme une variation sur un m&ecirc;me th&egrave;me. Ceci forme l&rsquo;architecture particuli&egrave;re de ce recueil dessin&eacute; par un auteur, ardent d&eacute;fenseur de l&rsquo;art de la nouvelle litt&eacute;raire. </p> <p><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong> Le recueil de nouvelles entre variation et unit&eacute;</strong></span></p> <p><em>L&rsquo;homme qui tua Roland Barthes</em> pourrait se lire en commen&ccedil;ant par la fin puisque c&rsquo;est l&agrave; que le projet de l&rsquo;auteur se r&eacute;v&egrave;le, &eacute;clairant d&rsquo;un jour nouveau la lecture des nouvelles qui ont pr&eacute;c&eacute;d&eacute;. En effet, dans sa postface Thomas Clerc compose une v&eacute;ritable d&eacute;fense du recueil de nouvelles, qui selon lui n&rsquo;est pas estim&eacute; &agrave; sa juste valeur&nbsp;:</p> <div class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">L&rsquo;une des raisons de ce discr&eacute;dit tient &agrave; la forme du cadre o&ugrave; s&rsquo;inscrivent les nouvelles, le recueil. Sa volatilit&eacute;, son &eacute;clectisme gratuit font qu&rsquo;une nouvelle lue est une nouvelle vite oubli&eacute;e. Figurant de fa&ccedil;on hasardeuse dans un ensemble qui ne l&rsquo;est pas moins. (p. 349-350)</span></div> <p>Pour lui, la nouvelle ne doit pas &ecirc;tre consid&eacute;r&eacute;e comme une unit&eacute; s&eacute;par&eacute;e, mais comme appartenant &agrave; un ensemble plus vaste. Le recueil doit poss&eacute;der une architecture, un objectif vers lequel chaque nouvelle s&rsquo;achemine et ainsi &laquo;lutte[r] contre l&rsquo;oubli et la contingence de recueil de nouvelles<a href="#note1a"><strong>[1]</strong></a>&raquo;. Il s&rsquo;agit pour lui de structurer son &oelig;uvre comme un album concept, prenant pour exemple <em>Sergent Peppers</em> des Beatles mais surtout <em>Pin Ups</em> de David Bowie, un &laquo;[&hellip;] album de seules reprises, o&ugrave; Bowie, revisitant certains standards du rock, r&eacute;alise un album personnel &agrave; partir d&rsquo;une base qui ne l&rsquo;est pas. Dans mon livre, ce sont les noms propres qui sont les airs.&raquo; (p.350) Dans <em>L&rsquo;homme qui tua Roland Barthes</em>, c&rsquo;est le th&egrave;me du crime, sa violence, qui structurent et unifient le recueil &agrave; l&rsquo;int&eacute;rieur duquel chaque meurtre abord&eacute;, chaque homme qui tue ou est tu&eacute;, composent une variation, que Clerc appelle, nous l&rsquo;avons vu, un &laquo;air&raquo;. La vari&eacute;t&eacute; ici se joue dans l&rsquo;&eacute;num&eacute;ration, dans la r&eacute;p&eacute;tition de &laquo;l&rsquo;homme qui tua&raquo;. La notion de crime est alors d&eacute;clin&eacute;e &agrave; chaque nouvelle, &agrave; l&rsquo;image de l&rsquo;alternance des styles, r&eacute;v&eacute;lant de la part de Thomas Clerc un amour du dispositif tout droit h&eacute;rit&eacute; des pratiques d&rsquo;un Raymond Queneau ou d&rsquo;un George Perec<a href="#note2a"><strong>[2]</strong></a>.</p> <p><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Dix-huit nouvelles, dix-huit crimes, dix-huit styles </strong></span></p> <p>Ce qui aurait pu &ecirc;tre une accumulation assez vaine de faits divers morbides trouve tout son int&eacute;r&ecirc;t et son relief dans la recherche stylistique dont chaque nouvelle fait l&rsquo;objet. Au-del&agrave; de l&rsquo;exercice de virtuosit&eacute;, il s&rsquo;agit pour Thomas Clerc de jouer encore sur la variation. Thomas Clerc est un sp&eacute;cialiste de Roland Barthes et est ma&icirc;tre de conf&eacute;rences &agrave; l&rsquo;universit&eacute; Paris X-Nanterre. Il a jusqu&rsquo;&agrave; aujourd&rsquo;hui publi&eacute; deux ouvrages: deux essais aux th&eacute;matiques tr&egrave;s diff&eacute;rentes intitul&eacute;s <em>Maurice Sachs, le d&eacute;s&oelig;uvr&eacute;</em> (&eacute;d. Allia) et <em>Paris, mus&eacute;e du XXIe si&egrave;cle: Le Xe arrondissement </em>(&eacute;d. Gallimard). Le premier compose le portrait kal&eacute;idoscopique de cet &eacute;crivain maudit, dans une tonalit&eacute; &agrave; mi-chemin entre la biographie et l&rsquo;analyse. Le second proc&egrave;de d&rsquo;une longue, m&eacute;thodique et po&eacute;tique description du Xe arrondissement de Paris.</p> <div class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Je me d&eacute;finis comme un &eacute;crivain omni-genre: j'esp&egrave;re &eacute;crire de tout; jusqu'&agrave; pr&eacute;sent j'ai publi&eacute; un essai (<em>Maurice Sachs le d&eacute;s&oelig;uvr</em>&eacute;), une description topographique (<em>Le Xe arrondissement</em>) et des nouvelles<a href="#note3a"><strong>[3]</strong></a>.</span></div> <p>Thomas Clerc est donc un &eacute;crivain prot&eacute;iforme qui se pla&icirc;t &agrave; se renouveler sans cesse: ce dont t&eacute;moigne aussi l&rsquo;esth&eacute;tique de son recueil. Ainsi qu&rsquo;il le dit dans une interview pour <em>Le magazine litt&eacute;raire</em>&nbsp;: &laquo;D'une certaine fa&ccedil;on, j'ai voulu tuer le Style, c'est-&agrave;-dire la marque de fabrique de l'&eacute;crivain, o&ugrave; il s'enferme selon moi, trop souvent<a href="#note4a"><strong>[4]</strong></a>.&raquo;</p> <p>Le lecteur ne peut d&eacute;finir exactement le style de Thomas Clerc et cependant se doit de relier les modes d&rsquo;&eacute;criture choisis par l&rsquo;auteur aux crimes qu&rsquo;il d&eacute;crit. La nouvelle inaugurale est des plus troublantes en la mati&egrave;re. Les jeux de mots grivois, le style tr&egrave;s oralis&eacute;, les descriptions crues, utilis&eacute;s par l&rsquo;auteur semblent en totale opposition avec l&rsquo;univers intellectuel que l&rsquo;on associe &agrave; Roland Barthes. Toute la nouvelle est focalis&eacute;e &agrave; la premi&egrave;re personne du singulier sur le futur meurtrier du c&eacute;l&egrave;bre&nbsp;essayiste:</p> <div class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Pour fuir la canicule ennemie de l&rsquo;humaine, je suis all&eacute; &agrave; la piscine du centre pleine de queue. &Agrave; la caisse, l&rsquo;Antillaise m&rsquo;a dit qu&rsquo;ils n&rsquo;avaient plus de maillots suite &agrave; l&rsquo;affluence, je lui ai demand&eacute; s&rsquo;il en fallait vraiment un, elle est rest&eacute;e bouche-bite. (p. 13)</span></div> <p>Un certain malaise se cr&eacute;e du c&ocirc;t&eacute; du lecteur. D&rsquo;autant plus que la nouvelle, avec son montage altern&eacute; et ses bonds temporels, nous entra&icirc;ne dans une dimension fantastique tout &agrave; fait inattendue. Ici, le style se veut &agrave; l&rsquo;oppos&eacute; de la victime. Thomas Clerc d&eacute;clare &agrave; ce propos: &laquo;la mort de Barthes me touche &agrave; cause de ce que cela repr&eacute;sente all&eacute;goriquement: la litt&eacute;rature &eacute;cras&eacute;e par l'insignifiance du personnage principal<a href="#note5a"><strong>[5]</strong></a>.&raquo; Ainsi, ce sp&eacute;cialiste de Roland Barthes se d&eacute;tache sans doute aussi un peu de son sujet de pr&eacute;dilection. Il s&rsquo;agit, pour sa premi&egrave;re &oelig;uvre de fiction, de symboliquement se lib&eacute;rer de l&rsquo;image de Barthes qui le hante. Autre exemple de d&eacute;centrement, &laquo;L&rsquo;homme qui tua Thierry Paulin&raquo;, aussi surnomm&eacute; le &laquo;Tueur aux vieilles dames&raquo;. Dans cette nouvelle, Thomas Clerc r&eacute;alise ce qu&rsquo;il appelle en postface un &laquo;ready-made&raquo;, probablement r&eacute;alis&eacute; &agrave; partir de l&rsquo;article de Wikip&eacute;dia consacr&eacute; au meurtrier martiniquais. Il y ajoute des d&eacute;tails, corrige quelques dates et le confronte au traducteur automatique&nbsp;sur Internet: le texte, quoique lisible, devient asyntaxique, grammaticalement incorrect.</p> <div class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Comme un m&eacute;tis blanc &eacute;tudiant entre pairs, Paulin avait peu d&rsquo;amis, et mal effectu&eacute; &agrave; l&rsquo;&eacute;cole, &agrave; d&eacute;faut ses examens. &Agrave; l&rsquo;&acirc;ge de 17 ans, il a d&eacute;cid&eacute; d&rsquo;inscrire le service militaire. Au d&eacute;but l&rsquo;adh&eacute;sion &agrave; l&rsquo;parachutistes des troupes, mais ses camarades m&eacute;prisait pour lui sa race et l&rsquo;homosexualit&eacute;. (p.117)</span></div> <p>On peut trouver le lien entre le style et le sujet dans le processus de traduction. Thomas Clerc passe d&rsquo;une langue &agrave; une autre comme Thierry Paulin a d&ucirc; passer d&rsquo;une culture &agrave; une autre, ceci provoquant des d&eacute;formations incontestables, des &eacute;carts. La langue se fait incompr&eacute;hensible quand Paulin est incompris, incorrecte pour d&eacute;crire la marginalit&eacute; ressentie par le tueur en s&eacute;rie. </p> <p>Ainsi, chaque nouvelle poss&egrave;de sa propre langue, son style caract&eacute;ristique: Guillaume Dustan se fait victime symbolique, rattach&eacute; au dialogue philosophique dans une joute verbale avec Daniel Bell. Anna Politkovska&iuml;a est assassin&eacute;e par un accro au langage des messages textes sur t&eacute;l&eacute;phones portables. Le lecteur entre dans la t&ecirc;te de H.B. gr&acirc;ce &agrave; un monologue int&eacute;rieur qui permet de participer de l&rsquo;int&eacute;rieur &agrave; la fameuse prise d&rsquo;otage de la maternelle de Neuilly<a href="#note6a"><strong>[6]</strong></a>. Marvin Gaye est au centre d&rsquo;un conte au d&eacute;nouement en forme d&rsquo;antiparricide. Quant &agrave; Pierre Goldman, il fait l&rsquo;objet d&rsquo;un po&egrave;me en d&eacute;casyllabes.</p> <p><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong> De la grande Histoire et des petites histoires</strong></span></p> <p><em>L&rsquo;homme qui tua Roland Barthes</em> propose &agrave; son lecteur une succession de crimes r&eacute;solument violents. Violence sur laquelle les lecteurs, comme Thomas Clerc ne peuvent s&rsquo;emp&ecirc;cher de s&rsquo;interroger. Qu'est-ce qui fait, au-del&agrave; du simple jeu des styles, que le recueil ne sombre pas dans l&rsquo;accumulation de faits-divers sordides (J&eacute;sus le SDF, H.B., Thierry Paulin, le meurtre de l&rsquo;arri&egrave;re-grand-p&egrave;re) ou de crimes &agrave; sensation (Versace, Marvin Gaye, Lady Di)? On sait qu&rsquo;aujourd&rsquo;hui la violence, dans ce qu&rsquo;elle provoque d&rsquo;attirance et de r&eacute;vulsion est omnipr&eacute;sente et fait ind&eacute;niablement vendre. Ce go&ucirc;t du public, comme de Thomas Clerc, pour les crimes violents est, ainsi que le souligne Barbara Michel dans <em>Figures et M&eacute;tamorphoses du Meurtre</em><a href="#note7a"><strong>[7]</strong></a>, un r&eacute;v&eacute;lateur sociologique, un aper&ccedil;u de nos propres failles. Mais la violence dans le recueil n&rsquo;est pas gratuite et ceci doublement. D&rsquo;abord parce qu&rsquo;elle est fondatrice de l&rsquo;identit&eacute; de l&rsquo;auteur, le lecteur l&rsquo;apprendra dans la derni&egrave;re nouvelle du recueil et nous y reviendrons; ensuite parce que chaque nouvelle touche de pr&egrave;s o&ugrave; de loin &agrave; la grande Histoire, dont on ne peut non plus nier la violence. </p> <p><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong> </strong></span><span style="color: rgb(0, 0, 0);">L&rsquo;Histoire, &laquo;avec sa grande hache<a href="#note8a"><strong>[8]</strong></a>&raquo; </span>dirait Perec, surgit avant tout dans la dimension politique omnipr&eacute;sente dans le recueil notamment &agrave; travers le choix de certains personnages aux opinions et positions fortes, tels qu&rsquo;Ernest, Abraham Lincoln, V. D. Nabokov, Anna Politska&iuml;a ou encore Guillaume Dustan. Chacun des crimes, chacune des personnalit&eacute;s s&eacute;lectionn&eacute;es peut &ecirc;tre consid&eacute;r&eacute; comme appartenant &agrave; l&rsquo;Histoire tant ils ont ponctu&eacute; le XXe et le jeune XXIe si&egrave;cle (&agrave; l&rsquo;exception du meurtre, non moins historique, de Lincoln). C&rsquo;est par cet aspect historique que les nouvelles s&rsquo;&eacute;loignent de leur statut de simple fait divers&nbsp;; leur violence n&rsquo;a rien &agrave; voir avec la gratuit&eacute; de celle des images diffus&eacute;es quotidiennement par les m&eacute;dias. Olivier Mongin, dans <em>La violence des images ou comment s&rsquo;en d&eacute;barrasser?</em>, note la perte de la catharsis dans l&rsquo;image contemporaine:</p> <div class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">La violence des images contemporaines sort le plus souvent des sentiers trac&eacute;s par le muthos (r&eacute;cit) et ne cherche pas &agrave; offrir au regard du spectateur des objets eux-m&ecirc;mes &eacute;pur&eacute;s. La d&eacute;sensibilisation contemporaine [&hellip;] participe d&rsquo;un double &eacute;chec de la catharsis: &eacute;chec d&rsquo;un regard brouill&eacute; par une violence diffuse et trouble, &eacute;chec d&rsquo;une &laquo;configuration&raquo; de la violence par un r&eacute;cit susceptible de l&rsquo;&eacute;purer<a href="#note9a"><strong>[9]</strong></a>. </span></div> <p>Les violences d&eacute;crites dans <em>L&rsquo;homme qui tua Roland Barthes</em> ne sont pas non plus d&eacute;nu&eacute;es d&rsquo;un aspect cathartique:</p> <div class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">La repr&eacute;sentation de la violence se distingue du spectacle de la violence du fait qu&rsquo;elle permet une catharsis, for&ccedil;ant le lecteur ou le spectateur &agrave; prendre parti et &agrave; &eacute;valuer la violence pour lui-m&ecirc;me et selon ses propres crit&egrave;res<a href="#note10a"><strong>[10]</strong></a>. <p></p></span></div> <div>Et nous avons r&eacute;solument affaire &agrave; des repr&eacute;sentations. Thomas Clerc prend pour base des faits r&eacute;els qui souvent parlent aux lecteurs, pour ensuite les mettre en sc&egrave;ne, les fictionnaliser, d&eacute;routant les attentes lectorales, obligeant ainsi &agrave; cr&eacute;er cette distance indispensable &agrave; la catharsis. Une distanciation qui n&rsquo;a d&rsquo;ailleurs pas lieu seulement pour le lecteur, mais qui est aussi centrale pour Thomas Clerc, qui, par l&rsquo;&eacute;criture, se d&eacute;tache de la violence qui fonde son identit&eacute;.&nbsp; C&rsquo;est que le crime fait partie int&eacute;grante de la vie de l&rsquo;auteur, il est &agrave; l&rsquo;origine de son &laquo;roman familial&raquo;, pour reprendre l&rsquo;expression freudienne<a href="#note11a"><strong>[11]</strong></a>. Il est au c&oelig;ur de sa fiction et de son r&eacute;el, les deux se m&ecirc;lant en lui, comme dans ses nouvelles, mais aussi comme dans l&rsquo;Histoire, ou peut &ecirc;tre plus pr&eacute;cis&eacute;ment l&rsquo;imaginaire historique. La dimension autobiographique est omnipr&eacute;sente dans le recueil. Si elle se fait discr&egrave;te au d&eacute;but, plus le lecteur avance dans l&rsquo;&oelig;uvre plus la proximit&eacute; avec Thomas Clerc se fait sentir. Il est &eacute;vident que chaque personne choisie par l&rsquo;auteur est importante pour lui, Roland Barthes et Maurice Sachs en premier lieu, puisqu&rsquo;il les a &eacute;tudi&eacute;s plus que qui qu&rsquo;autre. Mais de mani&egrave;re plus intime, on retrouve &agrave; travers le r&eacute;cit de la mort d&rsquo;Ernest le quartier o&ugrave; l&rsquo;auteur a pass&eacute; son enfance. Le &laquo;je&raquo; diffus au d&eacute;but, se fait de plus en plus pr&eacute;sent &agrave; partir du po&egrave;me consacr&eacute; &agrave; Pierre Goldman. La premi&egrave;re strophe permet de bien constater comment chez Clerc, l&rsquo;historique, le politique et l&rsquo;autobiographique se m&ecirc;lent:<br /> <span style="color: rgb(128, 128, 128);"><br /> </span></div> <div class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Je vais conter l&rsquo;histoire ici de Pierre<br /> Goldman le Juif le gauchiste et gangster<br /> Un pur h&eacute;ros des archives de France<br /> Pour qui le crime rime avec l&rsquo;Histoire.<br /> Troubles ann&eacute;es et c&rsquo;est un peu les miennes<br /> La d&eacute;cennie d&rsquo;&eacute;poque soixante-dix<br /> Moi qui n&rsquo;eus pas d&rsquo;adolescence &agrave; cause<br /> De l&rsquo;extension si forte de l&rsquo;enfance. (p.273)</span></div> <p>Vient ensuite la nouvelle consacr&eacute;e &agrave; Pierre Lev&eacute;, ami de Thomas Clerc, puis le texte cl&eacute; &laquo;L&rsquo;homme qui tua mon arri&egrave;re-grand-p&egrave;re&raquo;. Une nouvelle &eacute;crite dans un style sobre qui d&eacute;crit la mal&eacute;diction familiale et o&ugrave; le n&oelig;ud du crime est toujours l&rsquo;argent. Si la violence dans le recueil a une dimension cathartique, la litt&eacute;rature en a pour Clerc une encore plus grande. C&rsquo;est en effet gr&acirc;ce &agrave; l&rsquo;&eacute;criture qu&rsquo;il compte rompre la mal&eacute;diction familiale et expurger sa violence. Clerc fait l&rsquo;aveu total de sa sacralisation de la litt&eacute;rature, seule vraie richesse &agrave; ses yeux, puisqu&rsquo;elle est de celle pour laquelle a priori on ne tue pas.</p> <p><em>L&rsquo;homme qui tua Roland Barthes</em> est un recueil de nouvelles dont on a la tentation de parler comme d&rsquo;un roman tant son architecture est travaill&eacute;e. Entre unit&eacute; des th&egrave;mes et variations, chacun des r&eacute;cits peut se lire de mani&egrave;re ind&eacute;pendante, tout en restant rattach&eacute;s les uns aux autres par de multiples n&oelig;uds de sens. Ces N&oelig;uds, o&ugrave; fiction et r&eacute;alit&eacute; se m&eacute;langent, sont principalement le crime et la violence, mais ils sont surtout l&rsquo;occasion pour Thomas Clerc de dire quelque chose de lui et de son &eacute;poque. Si, au risque de vous g&acirc;cher le suspens je dois r&eacute;p&eacute;ter que les personnages tr&eacute;passent tous &agrave; la fin, l&rsquo;&oelig;uvre, qui traite de la mort, n&rsquo;est pas morbide pour autant. &Agrave; ce propos Thomas Clerc souligne avoir &eacute;crit 18 nouvelles plut&ocirc;t que 17, parce que ce nombre, de mauvais augure, s&rsquo;&eacute;crit XVII en chiffre romain et est ainsi l&rsquo;anagramme de VIXI &laquo;qui signifie &quot;je suis mort&quot;&raquo; (p.350). La mort se veut donc d&eacute;pass&eacute;e: pour Thomas Clerc la litt&eacute;rature est ind&eacute;niablement synonyme de vitalit&eacute;.<br /> <a href="#note1a"><br /> </a></p> <hr /> <p><strong><a href="#note1a">[1]</a> </strong>Thomas Clerc, entretien dans le cadre de l&rsquo;&eacute;mission radiophonique Atelier Litt&eacute;raire, &laquo;Silhouettes, pastiche et listes&raquo; par Pascale Casanova sur France Inter le 23 mai 2010.<strong><a href="#note2a"><br /> </a> <a href="#note2a">[2]</a> </strong>George Perec et Raymond Queneau appartiennent au mouvement d&rsquo;avant-garde l&rsquo;OULIPO (l&rsquo;ouvroir de litt&eacute;rature potentielle) centr&eacute; sur l'invention et l'exp&eacute;rimentation de contraintes litt&eacute;raires nouvelles. Pour exemple&nbsp;: Queneau dans <em>Exercices de style</em>, paru en 1947, raconte 99 fois la m&ecirc;me histoire de 99 fa&ccedil;ons diff&eacute;rentes ou encore Perec m&ecirc;le fiction et r&eacute;alit&eacute; autobiographique dans ses &oelig;uvres comme <em>W ou le souvenir d'enfance</em> (1975)&nbsp; <em>La disparition</em> (1969) ou<em> La Vie mode d&rsquo;emploi</em> (1978).<strong><a href="#note3a"><br /> </a> <a href="#note3a">[3]</a> </strong>Thomas Clerc, entretien r&eacute;alis&eacute; par Minh Tran Huy, Le magazine litt&eacute;raire, En ligne: <a href="http://www.magazine-litteraire.com/content/Homepage/article.html?id=16108" title="http://www.magazine-litteraire.com/content/Homepage/article.html?id=16108">http://www.magazine-litteraire.com/content/Homepage/article.html?id=16108</a> [consult&eacute; le 7 juillet 2010]<strong><a href="#note4a"><br /> </a> <a href="#note4a">[4]</a> </strong><em>Ibid.</em><strong><a href="#note5a"><br /> </a> <a href="#note5a">[5]</a> </strong><em>Ibid.</em><a href="#note7a"><strong><br /> </strong></a><strong><a name="note6a" href="#note6a">[6]</a></strong> En Mai 1993, &Eacute;rick Schmitt, plus connu sous le surnom de H.B (Human Bomb), prit en otage les enfants et l&rsquo;institutrice d&rsquo;une classe de maternelle &agrave; Neuilly (r&eacute;gion Parisienne). Ce ch&ocirc;meur d&eacute;pressif, arm&eacute; d&rsquo;un pistolet d&rsquo;alarme et ceintur&eacute; d&rsquo;explosifs, r&eacute;clamait une ran&ccedil;on de cent millions de francs. Cet &eacute;v&egrave;nement tr&egrave;s m&eacute;diatis&eacute; devint un &eacute;v&egrave;nement national, la France resta en alerte pendant pr&egrave;s de deux jours. Si aucune victime ne fut compt&eacute;e parmi les otages, H.B fut tu&eacute; pendant l&rsquo;assaut de la police.<a href="#note6a"><strong><br /> </strong></a><strong><a name="note7a" href="#note7a">[7]</a></strong> Barbara Michel, <em>Figures et M&eacute;tamorphoses du Meurtre</em>, Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble, 1991, 331 p.<strong><a href="#note6a"><br /> </a> <a href="#note6a">[8]</a> </strong>George Perec, <em>W ou le souvenir d&rsquo;enfance</em>, Paris, Messageries du Livre, &laquo;L&rsquo;imaginaire&raquo;, 1993, p.17.<strong> <a href="#note9a"><br /> </a> <a href="#note9a">[9]</a> </strong>Olivier Mongin, <em>Essai sur les passions d&eacute;mocratiques tome 2&nbsp;: La violence des images ou comment s&rsquo;en d&eacute;barrasser?</em>, Paris, Seuil, 1997, 184 p., p. 149.<strong><a href="#note10a"><br /> </a> <a href="#note10a">[10]</a> </strong>Bertrand Gervais, &laquo;La ligne de flottaison&raquo;,<em> Cahiers &eacute;lectroniques de l'imaginaire, Centre de recherche sur l&rsquo;Imaginaire (UCL)</em>, vol. 4, 2006, En ligne: <a href="http://zeus.fltr.ucl.ac.be/autres_entites/CRI/CRI%202/Montaigne.htm" title="http://zeus.fltr.ucl.ac.be/autres_entites/CRI/CRI%202/Montaigne.htm">http://zeus.fltr.ucl.ac.be/autres_entites/CRI/CRI%202/Montaigne.htm</a>, [consult&eacute; le 10 juillet 2010]<strong><a href="#note11a"><br /> </a> <a href="#note11a">[11]</a> </strong>La psychanalyse est aussi une th&eacute;matique ch&egrave;re &agrave; l&rsquo;auteur.<strong></strong></p> <p></p> http://salondouble.contemporain.info/lecture/exercice-de-style-en-dix-huit-crimes#comments BARTHES, Roland CLERC, Thomas Contraintes Culture populaire Deuil Événement Filiation France Mémoire MICHEL, Barbara MONGIN, Olivier Mort PEREC, Georges Poétique du recueil QUENEAU, Raymond Style Nouvelles Mon, 26 Jul 2010 14:03:04 +0000 Anaïs Guilet 250 at http://salondouble.contemporain.info