Salon double - Oralité http://salondouble.contemporain.info/taxonomy/term/588/0 fr Audrey Prévost, entre silence et inaction http://salondouble.contemporain.info/lecture/audrey-prevost-entre-silence-et-inaction <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/theriault-catherine">Thériault, Catherine</a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-biblio"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/biblio/dee">Dée</a> </div> </div> </div> <!--break--><!--break--> <p>«<em>M'ma, I'm going out!</em>» C'est par ces mots révélateurs, criés par la jeune Dée, que s'ouvre le roman éponyme de Michael Delisle. S'ils sont révélateurs, c'est que, dès l'incipit, on peut commencer à discerner certaines caractéristiques qui marqueront la parole et les actions du personnage central tout au long des pages suivantes. Déjà, le lecteur se trouve devant un être s'exprimant dans une langue étrangère, avec des mots tronqués, un être criant pour être entendu, mais restant sans réponse, un être qui se place d'une certaine façon sous l'autorité maternelle, de l'autre en général. Ces mots sont révélateurs, parce que la parole devient le lieu où les liens de Dée avec les autres s'expriment dans toute leur fragilité, accordant à la parole une place qu'il est nécessaire d'analyser afin de comprendre tous les ressorts de ces relations. On a relevé, avec raison, comment la disparition de la campagne au profit d'une banlieue envahissante épousait la perte de repères des personnages du roman de Michael Delisle<a href="#_ftn1" name="_ftnref1" title="">[1]</a>. Ce court essai tentera plutôt de voir comment la capacité d'action fait écho à la parole déficiente chez Dée pour illustrer une autre forme de déracinement, celle que le personnage porte en lui-même.</p> <p><span style="color:#808080;"><strong>Une oralité souffrante</strong></span></p> <p>Avant même que le dialogue ne soit engagé, chose qui, comme on le verra plus tard, pose problème en soi, Dée fait face à une véritable impossibilité de s'exprimer, que symbolisent ses dents cariées. Vu la récurrence de ses maux dentaires tout au long du roman ainsi que l'importance que leur accorde le personnage, il s'agit d'un indice suggérant que ce qui entoure l'oralité est douloureux chez elle. Cela est marqué d'abord par son vocabulaire et sa syntaxe qui indiquent un niveau de langage familier, voire vulgaire, témoignant de ses origines modestes. «Je vas venir noire noire&nbsp;!» (p.13), «<em>Scram</em>, Charly!» (p.48) ou «T'es pu sur la rue Fournier icitte.» (p.75) ne sont que quelques exemples de son lexique représentatif du milieu ouvrier dont elle est issue. Il est intéressant de noter que la façon dont Dée s'exprime ne change pas réellement du début à la fin du roman. Même si elle quitte le dépotoir et la porcherie de son enfance pour une maison toute neuve, Dée reste d'une certaine façon aussi démunie que la jeune fille qu'elle était pour nommer et appréhender le monde qui l'entoure, son ascension n'ayant rien d'intellectuel. Son discours est de plus fortement empreint de l'anglais de sa mère. Ce qui dans d'autres circonstances aurait pu être un outil ou le signe d'une ouverture à l'autre, prend ici plutôt la forme d'une dépossession; l’étrangeté de la langue maternelle sème la confusion dans ses interactions avec les autres (on peut penser à son voisin (p.83) que l'usage de l'anglais déstabilise au premier contact), le signe d'une identité floue (on se rappelle son frère et elle n'osant pas entrer dans l'église puisqu'ils ne sont pas tout à fait catholiques (p.37). La dépossession que vit le personnage est si grande que, de son véritable prénom, Audrey, ne subsiste qu'une syllabe qui a de plus été francisée et, donc, dénaturée d'une certaine façon. La langue est ainsi à la fois pauvre et confuse chez Dée, à l'image d'un personnage qui ne possède pas les mots pour dire son mal-être.</p> <p><span style="color:#808080;"><strong>Un cri sans réponse</strong></span></p> <p>Alors que le vocabulaire limité de Dée marque son incapacité à s'exprimer, le discours attributif est lui aussi porteur de signification dans le roman, devenant un signe de l'impossibilité pour elle d'être entendue. Dée «crie» (p.11-15), «s'écrie» (p.29-68) lorsqu'elle quitte la maison pour jouer, lorsqu'un chien suffit à la rendre joyeuse ou lorsqu'elle voit ses nouveaux meubles, mais ce ne sont le plus souvent que des exclamations solitaires, n'éveillant aucune réponse chez l'autre. Ainsi, lorsqu'elle s'amuse dans son lit à crier, elle étouffe ce son pour le «faire résonner dans sa tête» (p.40). Toute expression un peu spontanée de sa part ne peut se faire que dans la solitude, mais aussi dans les hurlements, un peu comme un appel. Cette impression est renforcée par l'épisode lourd de sens où elle trouble le silence de la maison familiale de ses chants discordants dans le seul but d'entendre les récriminations des autres. En chantant très fort, elle «espère les implorations» (p.28). Encore une fois, un lecteur attentif ne peut manquer de remarquer que les tentatives de Dée pour entrer en communication avec les autres restent sans succès, se résumant à des cris isolés. Ces marques d'un enthousiasme enfantin semblent toutefois disparaître lorsqu'elle émet une demande, qu'elle tente timidement d'exprimer quelque chose qui pourrait ressembler à un désir né de son intériorité. Le lecteur le remarquera à chaque moment de sa vie. Enfant, elle «miaule» (p.17) pour rappeler au Doc (qui vient d'abuser d'elle) sa promesse de lui offrir de la crème glacée, fiancée, elle «se plaint» (p.49) de ne pas vouloir quitter la maison de son enfance, jeune mariée, elle «murmure» un simple «O.K.» (p.69) pour signifier à son mari qu'ils peuvent terminer la visite de leur futur logement; la parole est loin d'être affirmée. Même dans des moments de sensualité qu'elle a elle-même provoqués, comme lorsqu'elle attire brusquement à elle un camelot pour le dépuceler, Dée ne peut que murmurer son désir (p.107) dans une timide utilisation de l'impératif qui n'aura d'écho que dans l'ordre chuchoté à son fils de mourir (p.110). Face à un véritable interlocuteur, dominant parce qu'adulte, la capacité langagière de Dée, déjà peu développée, semble s'évanouir.</p> <p><span style="color:#808080;"><strong>Parler, mais avec qui?</strong></span></p> <p>Cette position d'infériorité face à une figure adulte, donc autoritaire, est imposée à Dée tout au long du roman et est d'autant plus marquée dans le dialogue que les compétences dialogales de celle-ci sont pour ainsi dire absentes. Le dialogue est un échange de paroles qui suppose et permet théoriquement une compréhension mutuelle. Chez <em>Dée</em>, il devient plutôt le lieu où l'incompréhension se double d'un rapport de force qui écrase le personnage principal et l'isole irrémédiablement. Dée est d'abord soumise à l'autorité de sa mère, puis à l'indifférence de son mari, et ne peut réellement communiquer ni avec l'un, ni avec l'autre. En observant ses rapports avec la première, il est troublant de constater qu'elle répond systématiquement en dehors du sujet à ce que dit sa fille. Alors que Dée a ses premières règles, un simple «<em>Shit!</em>» (p.31) accueille la nouvelle. Plus tard, lorsqu'elle se plaint de crampes, on l'invite à jouer dehors (p.36), tout comme lorsque Dée s'interroge sur l'identité de celui qui se révèlera être son futur mari (p.39). Il faut souligner au passage que si le lecteur a droit, de façon rapportée, aux pensées de la mère sur les transformations de leur monde qui s'urbanise (p.49), celles de Dée restent silencieuses. C'est au lecteur de déduire ce qui l'habite. Si sa mère l'écarte au profit du souvenir d'une autre fille exilée et idéalisée, au point de ne se soucier que d'elle en préparant le mariage de Dée, elle va plus loin encore en prenant sa place auprès de son gendre. Visiter la nouvelle maison de sa fille devient l'occasion pour la mère de faire équipe avec Sarto pour installer le salon, vider les boîtes, réduisant Dée à la fonction de simple spectatrice dans ce qui aurait dû être son nouveau foyer, l'occasion pour elle de se libérer de sa mère. Au lieu de cela, Dée «mal à l'aise, regarde les autres» (p.73), comme elle regarde les voitures partir aux États-Unis ou les gens de son quartier. Ici, c'est Sarto qui lui ordonne de ne rien faire. Avec lui non plus, Dée ne pourra instaurer un dialogue constructif, basé sur un échange entre deux égaux. Laissée seule au motel après leurs noces, Dée n'ose qu'un timide «Pis moé?» (p.61) qui n'obtient pour toute réponse que quelques billets; ce motif se répète lorsqu'elle ose se plaindre de sa solitude «d'une toute petite voix» et que son mari répond: «Je t'ai laissé de l'argent en arrière des tasses» (p.85), répétant le geste du Doc offrant des poules à la famille après avoir abusé d'elle sexuellement (p.21). D'une certaine façon, le seul échange que l'on pourrait qualifier de réussi de tout le livre a lieu avec l'inconnu du motel, qui l'interroge sur ses goûts, lui dit qu'il a été heureux de la rencontrer. Comment s'étonner que leur conversation la laisse «déroutée» et «toute émue» (p.66) quand on réalise que c'est peut-être la première fois qu'on lui pose des questions personnelles, qu'on s'adresse à son esprit plutôt qu'à son corps? Le portrait langagier de Dée qui se dessine à travers ses échanges avec sa mère et son mari, deux figures d'autorité interchangeables, est celui d'une enfant qui peine à être écoutée, qui demande sans recevoir ce qu'elle attend, à la parole entravée.</p> <p><span style="color:#808080;"><strong>Subir plutôt qu'agir</strong></span></p> <p>Au-delà de la parole chez Dée, c'est également sur le plan de l'action que sa mésadaptation ou sa faiblesse est flagrante: dans le rapport de force qui l'oppose aux autres dans le roman, Dée est aussi démunie du point de vue actantiel que du point de vue langagier. Ses actions ont un effet minime en comparaison de celles des autres sur elle, faisant d'elle un personnage soumis aux influences extérieures, sans prise réelle sur son destin. Il est souvent question de décision dans le roman pour souligner les moments où Dée agit par elle-même. On s'attardera ici aux moments qui suivent son mariage, lorsqu'elle passe en quelque sorte de la tutelle de sa mère à celle se Sarto sans pour autant devenir une adulte à part entière, c'est-à-dire un personnage qui décide pour lui-même et agit en conséquence. Elle «décide» qu'un miroir ira à tel endroit, mais son mari remet le projet à plus tard (p.74); «elle sort. C'est décidé», indique-t-on lorsqu'elle va parler à son voisin (p.82); elle a «décidé» de nommer le chien Puppy (p.84); «son pas est décidé» lorsqu'elle poursuit le camelot (p.101); voilà autant d'actions aux répercussions minimes qui soulignent l'insignifiance de son pouvoir à opérer de véritables changements dans le monde qui l'entoure. Alors qu'un acte <em>décisif</em> est censé apporter d'importantes modifications autour de soi, les <em>décisions</em> de Dée ont une portée plus que restreinte. De la même manière, Dée semble dotée d'une faible intentionnalité. Si elle va «au buffet pour faire de l'ordre» (p.108), elle en perd soudainement l'envie. Elle commence à ranger la maison, mais ne ramasse qu'une tranche de pain (p.98). Elle «veut soulever [une] bâche, mais Sarto la retient» (p.68). Les désirs de Dée n'aboutissent donc jamais à des actions menées à terme, par manque de motivation de sa part ou parce que les autres s'y opposent. Si elle parvient à voir un médecin pour soigner ce qui semble être une dépression, c'est que sa mère et Sarto participent au projet, ce qui d'ailleurs ne contribue qu'à la rendre encore plus passive, l'abrutissement par les médicaments devenant l'ultime manifestation de l'inertie dont elle est porteuse. L'incapacité d'agir de Dée répond à son incapacité à s'exprimer pour en faire un être étranger à lui-même, voire aliéné. Incapable de se poser comme agent, Dée en perd son individualité, tel qu'exprimé métaphoriquement lorsqu'elle s'essaie «une fois à écrire<em> Mme Sarto Richer </em>pour voir la serveuse tracer un gros 6 par-dessus.» (p.63). La théâtralité de cette scène résume à elle seule toute les forces contraires qui nuisent à l'exécution des modestes actions du personnage principal, qui en vient peu à peu à ne plus désirer que le sommeil, exact opposé de la vie active.</p> <p><span style="color:#808080;"><strong>Une sexualité trouble comme moyen d'expression</strong></span></p> <p>Dès le début du roman, on voit comment Dée est dépossédée de son propre corps, droguée et violée par le vétérinaire. Cette agression initiale n'est finalement que l'illustration de tout ce qui suivra. En effet, dans chacun des évènements apparemment importants de sa vie, Dée est réduite au rang de témoin de l'action narrative, étant objet plutôt que sujet. Le corps devient cet objet qui subit les actions commises par les autres. Au terme d'une discussion entre sa mère et Sarto, à laquelle Dée ne prend pas part – la parole lui étant une fois de plus refusée – et tournant autour de la promesse de recevoir une maison (p.52-53), Dée est mariée à un homme beaucoup plus âgé qu'elle. Au moment de son mariage, de son déménagement ou de sa grossesse, Dée n'est jamais l'instigatrice des actions qui mènent à une modification de son mode de vie. Ce n'est qu'à travers sa sexualité qu'elle semble momentanément reprendre le contrôle de son corps, devenant pour un instant capable d'agir conformément à son intention. Si ses rapports avec Sarto ont peut-être pu la satisfaire par le passé, c'est, une fois mariée, vers le jeune camelot que son désir penche, puisque Dée «a envie de gens qu'elle ne connait pas» (p.97). C'est avec ce Beau-Blanc, plus jeune qu'elle et lui aussi appelé par un surnom, qu'elle se retrouvera suffisamment en position de force pour initier des actions, poser des gestes, donner des ordres. Mais encore là, c'est en fonction de l'autre qu'elle évalue cette action, étant «contente pour lui» (p.108) au terme de son bref dépucelage. Cette rébellion, cette mince tentative de modification de l'état du monde n'aura pas de suite pour Dée au-delà d'une correction par son mari. Ce n'est pas l'émancipation d'une femme que présente Michael Delisle dans son roman, mais bien l'aliénation d'une enfant profondément seule.</p> <p>Ainsi, chez Dée, la parole est problématique et la place systématiquement en position d'infériorité face aux autres. La jeune femme exprime avant tout un besoin criant d'être écoutée, mais sans y parvenir, tandis que le peu d'importance que lui accordent sa mère et son mari l'exclut de l'espace dialogal, ce qui fait écho à son incapacité d'agir. Cet état d'impuissance en est un d’aliénation, de perte de soi, de situation de soumission face aux forces extérieures. La parole déficiente de Dée et sa capacité d'action limitée deviennent des preuves de son état, qui peut être lu comme une représentation de la situation d'aliénation plus globale que vivaient à l'époque de nombreuses personnes qui voyaient la ville avaler ce qui auparavant étaient leurs terres. On retrouve les thèmes de l'urbanité envahissante et de la parole marquée par la pauvreté dans le tout récent <em>Jeanne chez les autres</em> de Marie Larocque. Mais à la différence de Dée, Jeanne trouvera dans l'écriture une forme de sublimation de son état lui permettant ultimement de s'exprimer, sublimation à laquelle Dée n'a pas droit. Avec <em>Dée</em>, Michael Delisle donne simplement à lire un portrait sans concession qui annonce l'orphelin brisé de <em>Tiroir n<sup>o</sup> 24</em>.</p> <p>&nbsp;</p> <p>DELISLE, Michael, <em>Dée</em>, Montréal, Bibliothèque québécoise, 2007, 128 pages (Leméac, 2002 pour l'édition originale).</p> <p>DELISLE, Michael,&nbsp; <em>Tiroir n<sup>o</sup> 24, </em>Montréal, Boréal, 2010, 126 pages.</p> <p>LAROCQUE, Marie, <em>Jeanne chez les autres</em>, Montréal, Tête première, 2013, 308 pages.</p> <div><br clear="all" /><br /> <hr align="left" size="1" width="33%" /> <div id="ftn1"> <p><a href="#_ftnref1" name="_ftn1" title="">[1]</a> Caroline Montpetit, «Michael Delisle – Mort en banlieue», <em>Le Devoir</em>, «Livres», 12 septembre 2002 (en ligne)&nbsp;: &nbsp;<a href="http://www.ledevoir.com/culture/livres/9065/michael-delisle-mort-en-banlieue">http://www.ledevoir.com/culture/livres/9065/michael-delisle-mort-en-banlieue</a></p> </div> </div> <p>&nbsp;</p> http://salondouble.contemporain.info/lecture/audrey-prevost-entre-silence-et-inaction#comments Canada Delisle, Michael incommunicabilité intentionnalité Oralité Personnages Roman Wed, 06 Nov 2013 17:04:51 +0000 Amélie Paquet 803 at http://salondouble.contemporain.info Marqueuse de parole http://salondouble.contemporain.info/lecture/marqueuse-de-parole <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/ferland-pierre-paul">Ferland, Pierre-Paul</a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-biblio"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/biblio/griffintown">Griffintown</a> </div> </div> </div> <!--break--><!--break--> <p style="text-align: justify;">En quatrième de couverture, l’éditeur Alto nous présente <em>Griffintown </em>(2012), de Marie Hélène Poitras, comme un «western spaghetti sauce urbaine». Si le passage du mot «urbain» dans la novlangue du marketing est aujourd’hui un fait avéré<strong><a href="#_edn1" name="_ednref1" title="">[1]</a></strong>, la récupération du sous-genre du «western spaghetti» à des fins promotionnelles, notamment par les cinéastes Quentin Tarantino et Robert Rodriguez, semble aussi devenue une stratégie commerciale édulcorée. Pourtant, après la lecture de <em>Griffintown</em>, force est d’admettre que le roman de Poitras ne se contente pas de récupérer certains aspects superficiels du sous-genre rendu célèbre par Sergio Leone. En fait, son récit du rasage imminent d’une partie du quartier montréalais de Griffintown où vivent les cochers pour construire un complexe de condos de luxe raconte bel et bien la fin d’une époque. En ce sens, Poitras parvient à saisir l’esprit d’<em>Il était une fois dans l’ouest</em> (1968), le chef d’œuvre de Sergio Leone, qui évoquait déjà la fin du «Far West» avec l’arrivée du chemin de fer dans Monument Valley, en Arizona. Les condos de luxe, comme les rails de chemin de fer, symbolisent le triomphe de la civilisation, de la modernité, sur un univers organique, instinctuel, pour ne pas dire mythologique. Pour une fois, la comparaison semble justifiée.</p> <p style="text-align: justify;">L’association avec&nbsp; <em>Il était une fois dans l’ouest</em> devient d’autant plus intéressante que le cinéaste italien a truffé son long-métrage d’allusions à ses films précédents et aux classiques du genre des années 1950 et 1960, tout comme <em>Griffintown </em>propose moult clins d’œil à ce genre cinématographique. Ainsi, le recyclage de Leone n’annonçait pas uniquement la fin de l’Ouest dans la diégèse de son film, mais aussi celle du western en tant que genre cinématographique, le passage inéluctable de cet univers vers le postmodernisme. <em>Griffintown</em>, en jouant avec le lexique du western pour raconter le quotidien des cochers montréalais, témoigne justement de la survie de cet imaginaire non plus comme mythe national américain, mais comme matériel ludique.</p> <p style="text-align: justify;"><span style="color:#696969;"><strong>Cowboys contemporains</strong></span></p> <p style="text-align: justify;"><em>Griffintown</em> raconte comme s’il s’agissait d’un western une histoire digne d’un polar. La mafia montréalaise tente par tous les moyens –incluant le meurtre− de convaincre les cochers, palefreniers, commissaires et la faune de désœuvrés de Griffintown de déserter leur écurie déglinguée nommé ironiquement le «Château de tôle» afin de construire des condominiums. À cette trame «policière» (même si aucun policier n’intervient dans cet univers de magouilles) se superpose l’arrivée d’une nouvelle cochère, une «pied-tendre» nommée Marie, qui apprend, en même temps que le lecteur, les us et coutumes de cette collectivité.</p> <p style="text-align: justify;">Par divers procédés d’allusion explicite et implicite, l’écrivaine permet à deux imaginaires temporels de se chevaucher (jeu de mots non-intentionnel). Il faut dire que la nature fondamentalement louche des cochers et l’auréole de mystère qui les entoure facilite d’emblée le déploiement de la comparaison avec le «cowboy» légendaire. L’univers que décrit Poitras est une microsociété peuplée de voyous, de vagabonds, de prostituées, de <em>shylocks</em> que la justice et la civilisation ne peuvent atteindre, à l’image des localités qui émergeaient au fil de la colonisation des Prairies américaines. Le vocabulaire de la narration renforce le chevauchement temporel en insistant sur l’indétermination géographique et judiciaire du quartier. Justement, jamais n’indique-t-on que Griffintown est un quartier. La narration multiplie les allusions à Griffintown en tant que «territoire» aux «frontières» définies (on connaît le pouvoir évocateur de la frontière dans l’imaginaire du Far West). Par exemple, quand les cochers se déplacent vers l’est de la ville, ils franchissent la «frontière orientale» alors que Griffintown est le «Far Ouest».</p> <p style="text-align: justify;">Plusieurs allusions à l’Ouest en tant qu’artéfact culturel mettent en évidence le <em>jeu </em>auquel Poitras nous convie. Les clins d’œil anachroniques concernent surtout les irruptions brusques du monde contemporain dans l’univers de Griffintown, et vice versa. Par exemple, Billy, l’homme à tout faire, commande à cheval un hamburger au service à l’auto d’un restaurant. Il placarde aussi des avis de recherche de Paul Despatie, cocher en chef assassiné, selon la syntaxe bien connue: «Recherché: Homme avec une seule botte, un tatouage de track de chemin de fer sur le bras gauche et peut-être un trou de balle dans le front. Mort ou vif. Rançon offerte. $$$» (p.33) Ces jeux comiques mettent en évidence l’anachronisme de Griffintown. La réappropriation des stéréotypes du western atteint son paroxysme lorsque la narration décrit en détails la formation d’une «boule de foin» (p.111) avec le vent, rappelant le cliché du «<em>tumbleweed</em>» qu’utilisent de nombreuses émissions de télévisions et dessins animés pour évoquer l’univers de l’Ouest. Ceci dit, la réussite de <em>Griffintown </em>ne se limite pas à cette réappropriation ludique et assumée du stéréotype du cowboy.</p> <p style="text-align: justify;"><span style="color:#696969;"><strong>Un folklore en voie de disparition</strong></span></p> <p style="text-align: justify;">Poitras donne à la disparition des cochers une portée métaphorique claire: le récit du dernier été de Griffintown vise à consigner une réalité traditionnelle avant que la modernisation ne la fasse disparaître. Les nombreuses histoires digressives qui truffent le texte, où Poitras explique l’origine d’un surnom (Billy le Dernier des Irlandais), d’un objet (Boy, le cheval empaillé du Saloon) ou de la folie de certains personnages (Le Rôdeur est un orphelin de Duplessis, Evan a connu la guerre en Afghanistan), certainement exagérées, ressemblent à des légendes, à un <em>folklore</em>. C’est bien, étonnamment, une <em>tradition orale</em> qui domine l’univers de <em>Griffintown</em>. D’où ces nombreux récits rocambolesques truffés de fausses données historiques, d’inexactitudes architecturales, de pures inventions que les cochers livrent aux touristes pendant leurs randonnées. Dans <em>Griffintown</em>, la temporalité, comme l’exactitude factuelle et historique, n’est qu’un artifice, au même titre que le subterfuge du western. Seule compte l’inflation de la parole érigée en tant que folklore: «Fiction, fabulation et réalité se confondent comme dans toutes les histoires de cochers, terreau propice à l'éclosion de légendes de la trempe de celle de Laura Despatie...» (p.148)</p> <p style="text-align: justify;">Les condos voulus par «Ceux de la ville» ne sont pas alors qu’une métaphore de la civilisation mais aussi, comme dans les textes de Patrick Chamoiseau, celle d’une colonisation. Il faut lire <em>Solibo magnifique </em>(1988), qui suit pratiquement le même modèle, pour apprécier toute la réussite de <em>Griffintown</em>. Poitras agit, comme Chamoiseau, en tant qu’ethnologue ou, pour emprunter l’expression du martiniquais, «marqueuse de paroles». Le conteur Solibo, mort d’une «égorgette de la parole», n’est qu’un autre avatar, comme le cocher, d’un monde piétiné par une idéologie du progrès peut-être insuffisamment soucieuse de l’Histoire et du territoire qu’elle domine. L’absurde épithète «chalets urbains de luxe» (p.109) qu’on attribue aux condos ne suffit-elle pas à résumer l’insensibilité de l’univers financier qui remplace la sous-culture grouillante de Griffintown?</p> <p style="text-align: justify;">Pas surprenant, de ce point de vue, que ma seule déception à l’égard de <em>Griffintown </em>soit que Poitras n’ait jamais donné <em>directement </em>la parole aux cochers, se contenant de rapporter les histoires mais pas la <em>voix</em><strong><a href="#_edn2" name="_ednref2" title="">[2]</a></strong>. Dans un même ordre d’idée, <em>Griffintown </em>aurait sans doute pu pousser plus loin son projet avec l’ajout d’artifices narratifs équivoques comme la narration non-fiable. Qu’aurions-nous pu penser d’un Griffintown raconté par un simple d’esprit ou par un schizophrène? L’identification entre Griffintown et le «Far West» aurait pu devenir une véritable confusion ontologique, plutôt qu’un habile pastiche postmoderne du western spaghetti.</p> <p style="text-align: justify;"><span style="color:#696969;"><strong>Bibliographie</strong></span></p> <p style="text-align: justify;">Chamoiseau, Patrick (1988). <em>Solibo magnifique</em>, Paris, Gallimard.</p> <p style="text-align: justify;">Leone, Sergio (1968), <em>C'era una volta il West</em>, États-Unis/Italie, Paramount Pictures.</p> <div> <p style="text-align: justify;">&nbsp;</p> <hr align="left" size="1" width="33%" /> <div id="edn1"> <p style="text-align: justify;"><strong><a href="#_ednref1" name="_edn1" title="">[1]</a></strong> Pour reprendre les propos ironiques du blogue de Benoit Melançon, professeur de littérature à l’Université de Montréal, qui collige les utilisations les plus abusives de l’adjectif «&nbsp;urbain&nbsp;» par les firmes de marketing et les pléonasmes médiatiques de «ville urbaine»: «Enfin! L’urbain arrive en ville!» Pour voir certaines perles: <a href="http://oreilletendue.com/category/ville-urbaine/">http://oreilletendue.com/category/ville-urbaine/</a></p> </div> <div id="edn2"> <p style="text-align: justify;"><strong><a href="#_ednref2" name="_edn2" title="">[2]</a></strong> Mentionnons néanmoins qu’un film scénarisé par Poitras sur le quartier Griffintown disponible en ligne donne à entendre cette voix&nbsp;: <a href="http://www.mangetaville.tv/?diffuseur=artv#/videos/quartier-griffintown">http://www.mangetaville.tv/?diffuseur=artv#/videos/quartier-griffintow</a></p> </div> </div> <p style="text-align: justify;">&nbsp;</p> http://salondouble.contemporain.info/lecture/marqueuse-de-parole#comments CHAMOISEAU, Patrick CHAMOISEAU, Patrick LEONE, Sergio MELANÇON, Benoît Oralité Parole littéraire Québec Régionalisme Régionalité Roman Fri, 29 Mar 2013 19:36:30 +0000 Pierre-Paul Ferland 724 at http://salondouble.contemporain.info Entretien avec Daniel Grenier http://salondouble.contemporain.info/antichambre/entretien-avec-daniel-grenier <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/brousseau-simon">Brousseau, Simon</a> </div> <div class="field-item even"> <a href="/equipe/grenier-daniel">Grenier, Daniel</a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-text field-field-soustitre"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> Malgré tout on rit à Salon double </div> </div> </div> <!--break--><!--break--> <p style="text-align: center;">&nbsp;</p> <p style="text-align: center; "><img alt="" src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/396266_10150697379788296_579658295_11095846_2023555248_n_3.jpg" style="width: 250px; height: 400px; " /></p> <p>&nbsp;</p> <p>Daniel Grenier est né à Brossard en 1980. Après avoir vécu quelques années dans Villeray, il s'installe à Saint-Henri, qu'il explore depuis dans ses textes et sur <a href="http://sthenri.wordpress.com" title="http://sthenri.wordpress.com">http://sthenri.wordpress.com</a>. Doctorant à l'UQAM, il prépare une thèse en études littéraires sur les figures du romancier dans la fiction américaine du XIXe et du XXe siècles. <em>Malgré tout on rit à Saint-Henri</em> est son premier livre. Il passe aujourd'hui au salon pour en discuter avec Simon Brousseau.</p> <p><span style="color:#808080;"><strong>Simon Brousseau —</strong></span> En ouvrant ton livre, on est évidemment en droit de s'attendre à des histoires qui révèlent un lieu avec ses teintes propres, ses ambiances, ses habitants. Et pourtant, ce qu'on découvre, c'est peut-être davantage un rapport bien particulier au réel et à l'écriture, Saint-Henri et les gens qui y vivent devenant le contexte permettant un discours sur le monde. Il y a une circulation entre l'intérieur et l'extérieur, entre le local et l'universel, entre le microévénement et la marche du monde dans ce livre, et la citation de Jacques Godbout qui se trouve en exergue invite à le lire en scrutant ces relations: «Saint-Henri des tanneries ressemble plus à d'autres quartiers qu'à lui-même.» Avant de discuter du recueil, pourrais-tu nous dire quelques mots sur Saint-Henri? Pourquoi ce quartier en particulier?<br /><br /><span style="color:#808080;"><strong>Daniel Grenier —</strong></span> La citation de Jacques Godbout que j'ai choisie pour ouvrir le livre est en effet très révélatrice de ce que j'ai essayé de faire (ou plutôt de ne pas faire). Elle provient du film de l'ONF <em>À Saint-Henri le cinq septembre</em>, qui a été tourné en 1962. Dans ce très beau film, le quartier apparaît à la fois comme quelque chose que l'on tente de saisir, de résumer d'une manière «sociologique» ou «anthropologique», et quelque chose d'insaisissable, justement, qui nous échappe, qui résiste à la définition. À la fin, Godbout, qui signe la narration, prononce cette phrase qui m'a beaucoup marqué et qui m'a accompagné lors de l'écriture du recueil. N'étant ni historien, ni sociologue, je n'avais pas la prétention de mettre en scène un Saint-Henri réaliste, bien délimité, dans lequel on aurait retrouvé, par exemple, un personnage typique des différentes classes sociales du quartier, ou encore une série de récits bien&nbsp; informés par l'histoire architecturale des lieux. Ceux qui ont essayé de faire ça se sont souvent frappés à un mur: quand on essaie d'être trop «vrai», de dire la «vérité» sur un lieu ou sur une communauté, on tombe dans le piège de la caractérisation et du discours réducteur. Saint-Henri agit ici, comme tu dis, plus comme un prétexte et un contexte afin de stimuler mon imagination de conteur. Le quartier devient un espace assez flou à l'intérieur duquel j'invite le lecteur à se promener. On y rencontre plein de gens, certes, mais qui pourraient vivre n'importe où, au fond. Le livre fonctionne un peu sur le mode de l'incursion et de l'excursion: à partir d'un endroit précis qui existe dans le réel, on s'infiltre dans la tête de personnages qui y habitent, mais on se permet aussi d'en sortir pour aller ailleurs.</p> <p><span class='wysiwyg_imageupload image imgupl_floating_none_left 0'><a href="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/1/Capture%20d%E2%80%99%C3%A9cran%202012-04-18%20%C3%A0%2017.14.37.png" rel="lightbox[wysiwyg_imageupload_inline]" title=""><img src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/1/Capture%20d%E2%80%99%C3%A9cran%202012-04-18%20%C3%A0%2017.14.37.png" alt="25" title="" width="580" height="381" class="imagecache wysiwyg_imageupload 0 imagecache imagecache-wysiwyg_imageupload_lightbox_preset" style=""/></a> <span class='image_meta'></span></span></p> <p><br />J'ai toujours ressenti le besoin d'ancrer mes histoires dans des endroits précis, plus par réflexe que par réflexion profonde. Je crois que j'aime créer des effets de réel, donner des indications qui donnent une ambiance au récit. Ça ne leur enlève pas leur «universalité», mais ça me donne l'impression qu'ils sont plus «terre-à-terre», et ça me rassure, d'une certaine façon. Le quartier Saint-Henri, c'est d'abord l'endroit où j'habite, l'endroit où j'ai choisi de rester, l'endroit où je construis mon identité depuis quelques années, et par le fait même il a une influence très grande sur mon écriture, car c'est à travers ce lieu que je vis mon expérience montréalaise. Quand on est un enfant de la rive sud comme moi, la ville représente souvent un fantasme, une sorte de lieu magique où on pourra enfin s'épanouir, un lieu sans limites. Et c'est quand on y emménage qu'on s'aperçoit que la ville est bien trop grande, justement, qu'elle ne se laisse pas apprivoiser si facilement. Ainsi, d'une certaine manière, le quartier où on s'installe, c'est une porte d'entrée à échelle humaine. Personnellement, j'aime mon quartier pour les mêmes raisons que tout le monde, ses commerces, son ambiance générale, ses habitants, sa diversité, etc. Si je ressens le besoin d'en parler, c'est parce qu'il m'inspire des histoires, bien sûr, mais c'est aussi parce que c'est l'endroit où j'invente ces histoires. Et on s’entend aussi pour dire que Saint-Henri c’est quand même le meilleur quartier à Montréal.&nbsp; &nbsp;<br /><br /><br /><span style="color:#808080;"><strong>SB —</strong></span> Je trouve intéressant de te lire à propos de la tentation du réalisme sociologique, de ce piège qui consisterait à affirmer la nature d'un lieu de façon figée, parce que j'ai cru apercevoir dans ton livre, en sous-texte, une discussion, ou plutôt une prise de position face au réalisme littéraire. Je résumerais cette impression comme suit: dans <em>Malgré tout on rit à Saint-Henri</em>, il y a une volonté de rendre indistincte la frontière entre le prosaïque et le poétique. C'est-à-dire que tout en manifestant une attention soutenue aux détails les plus anodins, ce qui représente normalement une technique efficace pour parvenir à ces effets de réel dont tu parles, ton traitement de ceux-ci est si exacerbé, il occupe une place si importante dans le mouvement du récit qu'on a plutôt affaire à une forme de réalisme paranoïaque où tout, absolument tout peut être interprété comme un signe. Il me semble qu'il s'agit d'une tension fondamentale dans ton écriture, ce point de rupture où l'attention portée au réel fait basculer celui-ci dans l'écriture, dans les mots, dans la texture des mots. Dans <em>Le danseur</em>, le personnage interprète la goutte de sueur qui lui tombe dans l'œil comme étant un présage, l'un des rouages de la «mécanique de la réalité». De la même façon, les portes qui refusent de fermer font pressentir, dans <em>Peine perdue</em>, la fin d'une relation amoureuse. Dans <em>Quatre et demie sur du Couvent</em>, le personnage principal se perd dans ses délires spéculatifs lorsqu'il se retrouve devant la bibliothèque de Bédard, l'ancien locataire. Au final, on a l'impression que dans l'univers de tes personnages, la réalité cède le pas à l'imagination, celle-ci structurant celle-là. D'où te vient cette fascination pour les détails? Pourquoi leur accordes-tu tant d'importance?<br /><br /><span style="color:#808080;"><strong>DG —</strong></span> Je n'irais peut-être pas jusqu'à parler d'une «prise de position» par rapport au réalisme, mais je trouve ta lecture tout à fait intéressante. C'est vrai que dans le recueil, il y a une obsession des mots, chez les personnages et aussi dans la narration, qui rend poreuse la frontière entre le réel et le langage qu'on possède pour le décrire. Plus souvent qu'autrement, ils ont une influence directe l'un sur l'autre à l'intérieur des textes et les mots, leur poids, leur force, peuvent effectivement faire basculer le cours d'un récit. J'aime l'idée que, d'une certaine façon, il reste une ambiguïté fondamentale sur ce qui se passe dans une nouvelle <em>à cause</em> de la façon dont elle est racontée. Je travaille sans aucun doute mes textes dans cette optique. Ça peut aller, comme tu le mentionnes dans le cas du signe, d'une goutte de sueur <em>interprétée</em> comme le centre d'une cible par un danseur qui devient ensuite le centre d'un cercle, jusqu'à une série de phrases qu'il est impossible d'attribuer correctement à un personnage ou à un autre. Évidemment, ce qui est fascinant avec l'écriture, c'est qu'à partir d'un point impossible à discerner, les réseaux de sens se construisent d'eux-mêmes, et l'auteur ne contrôle plus <em>totalement</em> ce qu'il fait. Encore une fois, quand on veut trop contrôler, on se perd et ça devient lourd, surchargé. Je suis persuadé que tu vois plein de choses que je n'ai pas consciemment désirées ainsi, mais qui y sont, d'une manière indéniable: le langage métaphorique, les échos structurels, les canalisations sémiotiques, tout ça se place et, comment dire, s'autogénère d'une manière qui ne cesse de m'étonner. L'attention portée aux détails fonctionne peut-être un peu de la même façon, dans la mesure où à partir d'un certain moment, mon simple jugement conscient ne suffit plus: quelque chose survient qui est d'un autre ordre. J'observe ce qui m'entoure, et bien sûr je me targue d'avoir une certaine capacité à bien saisir les petites choses qui pourraient sembler négligeables, voire impertinentes, une sorte de sensibilité drolatique qui viendrait définir mon écriture et lui donner une touche personnelle, mais j'insiste sur le fait qu'il y a un moment où ça m'échappe, où les détails <em>existent</em> sans nécessairement avoir été<em> pensés</em>. Ceci dit, pour éviter de tomber dans l'ésotérique, il reste que je m'efforce souvent d'atteindre non pas la précision du détail, mais plutôt un angle inédit, pour susciter l'intérêt du lecteur, ou le déstabiliser.<br /><br /><span style="color:#808080;"><strong>SB —</strong></span> En effet, ce n'est pas tout que de souligner ton intérêt pour les détails et les hasards. Il y a aussi dans ton livre un penchant assumé pour l'oralité, et tu débusques souvent des usages courants qui sont hilarants, tant le ton est juste. Il y a des passages où tu malmènes franchement la syntaxe, et plus généralement le<em> bon usage</em> de la langue: «J'avais rien à faire l'autre soir, j'étais tanné de checker des petits clips pornos comme trop hardcore sur YouPorn, faque je me suis ramassé au Black Jack. J'ai passé la soirée dans un coin, à convaincre un gars que j'avais un Rhodes à lui vendre, 1971, en parfait état, mille sept cents piasses, qu'y fallait que je m'en débarrasse parce que j'avais genre hérité du truc […]» (p. 235) La série «Entendu à Saint-Henri» regorge de personnages au langage coloré. Cette façon que tu as de passer du langage écrit au langage parlé me semble être d'un grand intérêt, peut-être parce qu'elle est si rare dans le paysage littéraire québécois. Pourrais-tu nous parler de ton intérêt pour le vernaculaire?<br /><br /><span style="color:#808080;"><strong>DG —</strong></span> L'oralité est un des aspects de la littérature qui est le plus intéressant à travailler, parce que ça semble aller de soi, mais en fait c'est d'une complexité inouïe. Est-ce que c'est une question de dialogue? Est-ce que ça doit s'infiltrer dans le texte entier? Est-ce que c'est de l'oralité d'intituler un livre <em>Anna braillé ène shot</em>? Parfois on a l'impression qu'il ne s'agit que de tendre l'oreille et ensuite coucher ce qu'on entend sur le papier, alors qu'en réalité, en transposant l'oral d'une certaine manière, en le travaillant, en le tordant, en le déformant, on le rend éminemment <em>littéraire</em>: il devient écrit, presque plus écrit qu'un style plus classique. Si l'oralité est trop marquée, on le sait, elle peut même ralentir la lecture et créer un effet de distanciation inverse à ce qui est souhaité. Certains livres ont souffert de ce genre de problème et ils sont difficiles à lire aujourd'hui.</p> <p><br />D'un côté, j'essaie d'être le plus fidèle possible à une certaine «voix» québécoise que j'aime exploiter, parce qu'elle est la mienne et celle des gens qui m'entourent, et de l'autre je ne cesse de la triturer pour lui faire dire des choses qui ne se disent pas <em>exactement</em> comme ça, pour lui donner une sorte de plus-value. Ce que j'apprécie aussi, avec cet usage de l'oralité, c'est qu'elle me permet de mettre en scène des personnages à l'âge et au <em>background</em> imprécis; des gens qui s'expriment comme des adolescents puérils, mais qui ont des connaissances littéraires étendues, par exemple. Ça revient à cette idée de déstabiliser le lecteur et d'être son complice en même temps.</p> <p><br />L'oralité, le vernaculaire, ce sont des sujets qui reviennent beaucoup quand je discute avec mes amis écrivains. Tout le monde a sa petite idée là-dessus, sur l'importance ou l'inutilité de changer la graphie des mots, sur la place à laisser au lecteur pour imaginer un dialogue au lieu de le reproduire pour lui, sur la différence entre une langue orale qui va bien vieillir sur papier et une espèce de <em>slang</em> montréalais qui sera bientôt dépassé et incompréhensible. Ce sont des questions que je me pose sans cesse en écrivant et pour lesquelles je n'ai pas de réponses claires. Tout ce que je sais, c'est que je ne pourrais pas écrire autrement que dans une langue qui, au minimum, essaie d'être de son temps et de son lieu d'émergence. Pour moi, la langue n'existe pas en dehors du fait de la parler.&nbsp; &nbsp;<br /><br /><span style="color:#808080;"><strong>SB —</strong></span> Une langue de son temps et de son lieu d'émergence, la formule est forte et mérite d'être retenue. On remarque toutefois que cela ne signifie pas pour toi l'expression d'un nationalisme à la ceinture fléchée. Bien au contraire. Parmi les moments forts du livre, je retiens ces passages où tu réfléchis à ta langue et à ta culture depuis un point de vue externe, par exemple celui d'une immigrante brésilienne qui se questionne à propos des québécois: «Elle voudrait mettre un gigantesque accent tonique sur certains mots en français qui ont l'air morts. Comment ça se fait qu'il n'y a pas d'accent tonique sur le mot <em>magnifique</em> ou sur le mot <em>sublime</em>? Comment ça se fait qu'ils parlent avec les mains dans les poches? Il paraît que dans le nord du Québec, quelqu'un lui a dit ça, il paraît que le taux de suicide est encore plus élevé. Le plus élevé du monde.» (p. 85)&nbsp;Tu sembles fasciné par la positivité des rencontres culturelles. Dans <em>Les mines générales</em>, la plus longue nouvelle du recueil, tu évoques avec beaucoup de nuances et de subtilités une rencontre authentique, humaine, entre un québécois et une famille brésilienne.&nbsp;Pourquoi était-ce si important pour toi de signer un long texte qui traite de l'immigration au Québec?<br /><br /><span style="color:#808080;"><strong>DG —</strong></span> C'est une très bonne question, ça. Le Brésil est une autre de mes grandes passions. Ça a été une découverte importante dans ma vie et elle a eu lieu alors que je donnais des ateliers d'histoire et de culture québécoise à de nouveaux arrivants dans le cadre du programme des cours de français du ministère de l'immigration. J'ai fait des rencontres inoubliables durant ces quelques années, qui ont nourri mon imagination et qui ont changé ma façon de voir les choses. À cette époque-là, je me suis mis à me questionner sur ce que j'entendais autour, sur les clichés qui circulaient à propos des immigrants, sur notre rapport à l'étranger. Je tenais à en parler, mais d'un point de vue très personnel. L'immigration est aussi un sujet extrêmement complexe et j'avais envie d'en traiter d'une manière qui ne serait ni condescendante, ni superficielle, et ma passion pour la culture brésilienne et la langue portugaise était pour moi un angle d'approche intéressant et stimulant. Il me permettait entre autres de mettre en lumière les échanges et les rencontres dans leur complexité, et de traiter sur un pied d'égalité de grandes angoisses existentielles très universelles et des préjugés très locaux, en leur permettant de se croiser dans un même univers. Ainsi, la nouvelle <em>Sur le bout de la langue</em> est-elle narrée entièrement du point de vue de l'«autre», qui nous regarde agir, ici, et qui se questionne sur les raisons pour lesquelles elle est partie de son pays. Elle sait que c'était pour les bonnes raisons, mais ça ne l'empêche pas de réinterpréter ce qu'elle y a vécu à la lueur d'une certaine nostalgie inévitable. De l'autre côté, L<em>es mines générales</em> raconte l'histoire d'un jeune homme épris de la culture de l'«autre» au point de développer une véritable obsession, ce qui non seulement a une influence sur sa vie intime et ses relations avec ses proches, mais qui finit par le métamorphoser littéralement en une sorte d'hybride culturel fantasmatique.<br /><br />Dans le livre, il y a aussi des narrateurs qui sont à la fois des «pure laine» et des exilés, ou des expatriés, qui s'expriment dans une langue extrêmement vernaculaire tout en ayant un passé argentin, polonais, japonais, etc. Ils ne questionnent pas leur propre identité (ils ont d'autres chats à fouetter), mais ils obligent le lecteur à se questionner sur son identité et son rapport à l'autre, jusqu'à un certain point. Pour moi, c'était très important de construire un monde (un quartier) bigarré et hétéroclite, qui soit non pas un simple reflet de notre réalité quotidienne, mais un point de vue personnel sur ce même reflet.<br /><br /><span style="color:#808080;"><strong>SB —</strong></span> Parlant d'identité et d'altérité, un détail m'a frappé en lisant ton livre. Tu prépares une thèse sur les différentes représentations du romancier dans l'histoire de la littérature américaine. <em>Malgré tout on rit à Saint-Henri</em> est peuplé de narrateurs écrivains. Il est assez amusant de constater que ces écrivains ne correspondent pas à l'image qu'on pourrait se faire de l'auteur implicite. En fait, ils s'en éloignent radicalement: il y a un auteur de récits pornographiques, un auteur qui travaille à son troisième livre de contes maltais, un auteur qui tente d'écrire un recueil de haïkus, et j'en passe. L'effet de lecture est assez déstabilisant, puisque ce jeu produit un décalage entre le récit qu'on lit et le type de textes mentionnés par ces narrateurs. Si tu avais à écrire un de ces livres inventés, ce serait lequel?<br /><br /><span style="color:#808080;"><strong>DG —</strong></span> C'est vrai qu'il y a beaucoup d'écrivains dans le recueil. Je crois que c'est un peu un réflexe de jeune auteur de vouloir parler de littérature dans les livres. Ceci dit, malgré la thèse, et toutes les questions intéressantes que je suis amené à me poser en interrogeant cette figure dans les fictions américaines, ce n'est pas quelque chose que j'aurai envie d'explorer dans le futur. Et pour répondre à ta question, il me semble que j'aurais du plaisir à essayer chacun de ces genres très différents, ils ont tous un petit quelque chose d'affriolant, ne trouves-tu pas? Mais celui qui me stimulerait le plus, à bien y penser, ce serait l'hagiographie de Christopher Hitchens en deux tomes. Il me semble que c'est un défi qu'il ne faudrait pas prendre à la légère. Mais tout est possible, à partir du moment où l'Indien de Radio-Canada peut apparaître en image subliminale entre deux plans du <em>Persona</em> de Bergman.</p> <hr /> <p><strong>Bibliographie</strong></p> <p>Grenier, Daniel, <em>Malgré tout on rit à Saint-Henri</em>, Montréal, Éditions Le Quartanier (coll. Polygraphe), 2012, 254 p.</p> <div id="myEventWatcherDiv" style="display:none;">&nbsp;</div> <div id="myEventWatcherDiv" style="display:none;">&nbsp;</div> <div id="myEventWatcherDiv" style="display:none;">&nbsp;</div> http://salondouble.contemporain.info/antichambre/entretien-avec-daniel-grenier#comments Conscience linguistique Écriture Effet de réel Esthétique Fabulation Humour Identité Immigration Langue Oralité Québec Vraisemblance Nouvelles Tue, 17 Apr 2012 21:44:15 +0000 Simon Brousseau 482 at http://salondouble.contemporain.info Les nouveaux salons http://salondouble.contemporain.info/antichambre/les-nouveaux-salons <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/dufour-genevieve">Dufour, Geneviève</a> </div> <div class="field-item even"> <a href="/equipe/landry-pierre-luc">Landry, Pierre-Luc </a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-text field-field-soustitre"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> Étude de la sociabilité des blogues «littéraires» </div> </div> </div> <!--break--><!--break--><p><br />Une littérature s’élabore en parallèle, voire en marge, de l’institution traditionnelle. La tablette numérique devient un des nouveaux outils de lecture; les archives passent au numérique; le domaine de l’édition suit également cette tangente, sans compter toutes ces oeuvres qui s’ébauchent, se peaufinent et s’écrivent dans cet espace virtuel que l’on nomme la blogosphère. Cette littérature peut-elle être étudiée à l’aide des mêmes outils d’analyse convoqués généralement en études littéraires? Peut-on qualifier ses actants d’&nbsp;«écrivains» si ceux-ci ne jouissent d’aucun statut légitime? Partant de l’idée que le livre, dans son format papier, demeure la représentation la plus tangible de cette légitimation, les blogueurs semblent confinés, d’emblée, à un champ périphérique de la littérature puisque leurs écrits échappent aux procédés de reconnaissance traditionnels. En fait, notre hypothèse de travail est la suivante: il semble que la fonction de reconnaissance conventionnellement associée à l’institution littéraire (entendre ici: le processus d’édition par lequel transite un texte publié, la réception critique et académique de l’œuvre, les prix littéraires, etc.) soit prise en charge, dans le cas des blogues<strong><a name="note 1"></a><a href="#note%201a">[1]</a></strong> littéraires, par des instances informelles à la fois disséminées et organisées que nous nommons le réseau de sociabilité, manifestation empirique la plus aisément repérable.<br /><br />Bien qu’elle ne transite par aucun processus de sélection et de publication, l’écriture des blogues littéraires parvient tout de même à acquérir une certaine forme de reconnaissance. Celle-ci, de nature entre autres symbolique, se sédimente par l’établissement d’un réseau distinct et élargi; la marque la plus évidente de ce réseautage est la liste de liens menant vers d’autres blogues dont se dotent la plupart des écrivains —le <em>blogroll</em>. À la lumière du concept de sociabilité littéraire défendu par Michel Lacroix et Guillaume Pinson (2006), notamment, nous verrons au cours de ce texte comment se construisent les trajectoires des blogueurs en quête de légitimation. La blogosphère représente un espace de consécration semblable aux salons littéraires français de l’époque des Lumières; sous le mode de la représentation de soi (voire de la mise en scène), les salons comme le monde des blogues littéraires agissent à titre d’&nbsp;«institution de sociabilité» (Lilti, 2005: 85). Plutôt que d’établir une reconnaissance critique sur le plan littéraire, il semble que, dans une sphère comme dans l’autre, on se situe dans un régime de complaisance et de politesse. Au centre d’un réseau et forcés, par le fait même, de se plier à l’«esprit de société» (Lilti, 2005: 333), les blogueurs s’inscrivent dans une forme de sociabilité privilégiant le consensus et le divertissement. Et en cela ils n’appellent pas à une évaluation esthétique de leurs écrits, mais ils invitent généralement au dialogue et à l’adhésion par les pairs. C’est ce phénomène que nous analyserons dans ce texte.<br /><br /><span style="color: rgb(105, 105, 105);"><strong>Le blogue «littéraire» existe-t-il vraiment?</strong></span><br />Il existe bel et bien des procédés de reconnaissance dans la blogosphère, quoique ceux-ci s’élaborent de manière officieuse, sans flûtes ni champagne. Toutefois, avant de circonscrire les processus de légitimation, précisons d’abord ce en quoi consiste le blogue littéraire, de même que le blogue dans son acception la plus élémentaire. Jill Walker, dans son ouvrage <em>Blogging</em>, explique que le terme «blogue» est une contraction des mots «Web» et «log». Ce dernier terme est emprunté au domaine de la navigation, rappelant ainsi le fait de naviguer sur la Toile, image communément employée dans le discours courant. «Log», plus précisément, désigne le livre de registre dans lequel les marins inscrivent les événements de la journée (Walker, 2008: 18). Le terme «blogue» réfère donc au caractère quotidien de l’écriture, à la notation des faits et anecdotes consignés jour après jour, sur Internet. Le blogue est généralement rédigé par une seule personne qui s’exprime de manière subjective sur des sujets divers. «Souvent annoncé comme un genre nouveau, mais difficilement unifiable sous son évidente diversité» (Couleau et Hellégouarc’h, 2010: 10), le blogue pose nécessairement la question du genre:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p><span style="color: rgb(105, 105, 105);">Qu’il y ait un phénomène social et médiatique des blogs ne fait aucun doute; mais si l’on se demande ce que recouvre ce phénomène, on est gêné parce qu’à cette pratique, il est difficile d’attribuer des caractéristiques génériques. On remarque, d’une part, une tendance à définir le blog comme un «journal personnel en ligne», et d’autre part, on peut être frappé par le nombre important de blogs qui ne relèvent pas de cette qualification générique. On a affaire à des actions de publication et de médiatisation, c’est une certitude; mais la question me semble se poser de savoir si ces pratiques sont appréhendables comme une pratique générique, c’est-à-dire de savoir si elles sont subsumables sous une seule catégorie textuelle (Candel, 2010: 23).</span></p> </blockquote> <p>Étienne Candel suggère de considérer le blogue non pas comme un genre, donc, mais plutôt comme une <em>forme éditoriale</em> (2010: 26). Marie-Ève Thérenty suggère «quatre contraintes nécessaires» pour définir le blogue: «diffusion sur le Web, écriture à la première personne, parcours rétrochronologique, écriture séquencée ou fragmentée» (2010: 54-55). Le blogue diffère donc du site personnel en raison de la potentialité communicative inscrite dans la démarche: c’est le commentaire, véritablement, qui fait le blogue.<br /><br />Le blogue littéraire, quant à lui, semble plus difficile à repérer à cause de son statut littéraire, justement, puisqu’on peut croire que le qualificatif renvoie nécessairement à un jugement de valeur. Et cela&nbsp;nous mène à l’épineuse question: mais qu’est-ce que la littérarité? Qui plus est, le réflexe courant est d’interroger le talent et la solidité des auteurs qui se manifestent dans la blogosphère. Bien qu’en littérature, généralement, on évite de parler de l’intention de l’auteur, dans le cas du blogue, il est d’ordinaire aisé de repérer le projet qui sous-tend l’écriture. Régulièrement, son auteur affiche sur l’interface principale ou dans une interface secondaire l’objectif de son entreprise. Mais s’en remettre exclusivement aux dires de l’auteur est une méthode incertaine, car ne devient pas écrivain qui le veut et qui le formule explicitement. Nous ne parlerons donc pas ici des blogues rédigés par des écrivains reconnus, qu’on pense à ceux de François Bon, Pierre Assouline, Alain Mabanckou ou, chez nous, à ceux de Catherine Mavrikakis et de Christian Mistral, par exemple. Ceux-ci occupent certainement une place de choix sur la blogosphère; leur reconnaissance ne passe pas par la sociabilité virtuelle puisqu’elle est déjà établie par l’institution littéraire officielle. Plus sûrement, on peut faire entrer dans la catégorie littéraire les blogues qui ont pour sujet la littérature et son actualité. Il s’agit d’ailleurs de la définition proposée par<em> Le grand dictionnaire terminologique </em>de l’Office québécois de la langue française (<a href="http://www.granddictionnaire.com/BTML/FRA/r_Motclef/index800_1.asp" target="_blank">en ligne</a>). Cette définition a toutefois le désavantage de réunir sous une seule étiquette les blogues qui <em>se veulent</em> littéraires et les blogues qui <em>s’intéressent</em> à la littérature. C’est-à-dire que ne répondent pas aux mêmes usages et aux mêmes objectifs, à notre avis, les blogues critiques, qui proposent à leurs lecteurs des commentaires maisons et qui font désormais concurrence aux critiques professionnels écrivant traditionnellement dans les périodiques, et les blogues plus «personnels», dirions-nous, que l’on pourrait qualifier de journaux «extimes» (Allard, 2005). En effet, en y regardant de plus près, plusieurs blogues s’apparentent à des carnets d’écriture sans nécessairement traiter de manière directe de la littérature; ces blogues sont davantage de l’ordre du cahier de notes, où s’élaborent des récits tantôt fictionnels, tantôt autobiographiques, où s’échafaudent des réflexions personnelles, sociales, littéraires, etc. D’ailleurs, comme il est fréquent que chaque entrée soit datée, on pourrait aussi les rapprocher de l’écriture diaristique. Mais qu’est-ce qui fait de ces «journaux personnels en ligne» un objet nommément littéraire? Ne pourrait-on pas, à la limite, considérer une suite de statuts publiés sur <em>Facebook</em> comme étant un objet littéraire? Pourquoi cet intérêt de la critique —dont nous sommes, visiblement!— envers les blogues et non pas envers les actes de langage de <em>tous</em> les réseaux sociaux? Le blogue, en réalité, est lui aussi un réseau social —et c’est ce que nous montrerons dans les parties subséquentes de ce texte<a name="note 2"></a><a href="#note%202a"><strong>[2]</strong></a>.<br /><br />En tant qu’acte social, le blogue résiste à la littérarité; c’est ce qu’affirme Alexandre Gefen:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p><span style="color: rgb(105, 105, 105);">Bloguer serait d’abord un acte social, directement ou indirectement performatif qui, de fait, ne s’inscrit que difficilement dans les critères définitoires de la «littérature littéraire»: faiblement contractualisée et possédant sa sphère référentielle propre, l’écriture par blog résiste à l’opposition fait/fiction (critère de fictionnalité) qui pourrait la faire admettre dans le corpus littéraire traditionnel; formalisée par réaction à des contraintes technologiques exogènes, elle peine à opérer cette ostentation du signifiant et cette dénudation des procédés qui la qualifieraient de littéraire par diction. Ainsi, rares sont les études ayant fait du blog un genre littéraire en soi (c’est-à-dire, et quelle que soit la définition du genre que l’on retienne, une forme matrice de sens), y compris dans le monde anglo-saxon, pourtant ouvert à une théorie large des médias et attentif au pouvoir configurant des supports textuels (2010: 156).</span><br />&nbsp;</p> </blockquote> <p>La critique actuelle semble accepter d’emblée l’appellation «blogue littéraire» comme si elle allait de soi. Cela nous agace, car on semble accepter d’emblée comme littéraire des oeuvres aussi diverses que le blogue d’un étudiant en littérature qui aspire au métier d’écrivain ou le journal personnel en ligne d’une nouvelle maman qui chronique son quotidien, par exemple —cela dit sans aucun jugement de valeur concernant l’intérêt de ces démarches, qui sont toutes les deux courantes. Évelyne Broudoux remarque une «dualité autoritative» chez certains blogueurs, ce qui pourrait nous mettre sur la piste des critères faisant d’un blogue un blogue <em>littéraire</em>:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p><span style="color: rgb(105, 105, 105);">La dualité autoritative est rendue visible sur un certain nombres de blogs issus d’horizons variés (personnels, politiques, littéraires, scientifiques, etc.). Une oscillation se laisse effectivement observer entre le «placement de soi» dans un espace social et un domaine d’activités et la «production d’un contenu original» attribuable à un auteur. En effet, ces blogs se laissent reconnaître à leurs prises de position, aux interprétations diverses qui rythment les contributions. Et il est quelquefois difficile de distinguer ce qui au fond motive leur auteur: être reconnu dans un champ pour ses qualités personnelles ou bien produire et créer des objets dont la valeur sera appréciée par un public constitué de néophytes ou d’experts. Doit-on prendre ces manifestations pour des affirmations d’auteurs en manque de légitimité ou s’agit-il «simplement» d’une construction auctoriale classique, à partir de laquelle l’auteur est en mesure de laisser l’exprimer l’écrivain? (2010: 33)</span><br />&nbsp;</p> </blockquote> <p>La littérarité du blogue passerait donc inévitablement par l’intention de son auteur; cette conclusion nous semble pourtant contre-intuitive: la méthode critique de Sainte-Beuve a déjà été décriée et un retour à l’intentionnisme et à la psychologie de l’auteur ne nous semble pas productif —ni souhaitable. Thérenty décrit dans un article ce qu’elle appelle «l’effet-blog en littérature», écartant ainsi le critère de l’intention de l’auteur. Cet effet serait peut-être plus approprié qu’un discours sur les motivations d’écriture pour parler des blogues littéraires. Selon elle, «[l]e premier effet du blog [littéraire] est d’entraîner à une écriture de la subjectivité. Le blog contraint à l’écriture à la première personne et il permet à l’écrivain, même habitué à une écriture impersonnelle, une exploration des limites du moi, sans d’ailleurs que cette quête ne prenne forcément la forme d’une écriture autobiographique» (2010: 58). La seule contrainte de cette écriture du moi serait celle du fragment. L’effet-blogue se fait sentir dans «[l’]indécision, [l’]hésitation entre l’écriture autobiographique et le décollage fictionnel […] [et] invite à écrire sur ce qui est répétitif (l’habitude), sur ce qui est anodin (la banalité, le prosaïque) et sur le détail (l’infime et l’intime)» (2010: 59). Pour d’autres, c’est davantage l’autoréférentialité qui détermine le blogue littéraire. Broudoux suggère d’ailleurs que l’autopublication «facilite et amplifie l’autoréférence»:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p><span style="color: rgb(105, 105, 105);">En effet, l’éditeur qui est le garant de la qualité des textes est aussi le garant des genres publiés. En dehors du genre autofictionnel, les incartades de la personne écrivante dans le texte d’auteur publié sont rarement admises. Il y a donc [avec les blogues] éclatement des genres traditionnels.<br />Ce sont surtout les jeunes intellectuel-le-s qui vont se servir du blog comme d’un espace servant à la construction et à la gestion fine de leur identité: étudiants, jeunes journalistes, artistes ou écrivains, sont susceptibles de jouer avec leur identité, par de multiples détournements passant quelquefois par l’anonymat (2010: 39).</span></p> </blockquote> <p>Le blogue littéraire est donc un amalgame de plusieurs types d’écriture à la fois; il privilégie rarement une direction seule et unique, et c’est ce qui le rend si difficile d’approche. L’entreprise est associée, pour plusieurs, à une quête narcissique. Certains y voient une volonté excessive de communiquer, de se manifester. Retenons à ce sujet le commentaire de Cory Ondrejka, recueilli par Jill Walker dans son ouvrage <em>Blogging</em>. Ce technicien en chef chez <em>Second Life</em> (un site où l’on peut créer un avatar et incarner un personnage dans un monde virtuel) rapproche l’entreprise du blogue à une prise de parole comparable au fait de se rendre sur la plus haute montagne et de crier dans un porte-voix (Walker, 2008: 66). Mais prise à rebours, cette idée ne semble pas s’appliquer parfaitement. On peut associer cette volonté d’expression à un effet escompté, à un désir de communiquer, davantage qu’à un résultat concret puisqu’en réalité, la voix du blogueur, bien qu’elle semble se projeter de manière éhontée, se confond dans la cacophonie ambiante. La blogosphère est vaste. Et pour filer la métaphore encore un peu, nous dirons que la blogosphère offre un paysage infini et bruyant, composé de plusieurs chaînes de montagnes et d’une pluralité de voix s’élançant toutes dans un même lieu. La blogosphère est une suite sans fin de confessions; pour reprendre en d’autres mots l’idée de Geert Lovink dans son article «Blogging, the Nihilist Impulse» (2007: 4), la blogosphère est une parole jamais tue.<br /><br /><span style="color: rgb(105, 105, 105);"><strong>Le caractère social du blogue</strong></span><br />Cette image proposée par Ondrejka mène à mettre en évidence le caractère social du blogue, qui doit être envisagé comme étant partie intégrante d’un tout. Cependant, il est vrai que celui qui écrit ne s’adresse pas forcément à son lecteur. Celui-ci est invisible, souvent inconnu, et ne figure pas toujours parmi le réseau des connaissances immédiates de l’auteur du blogue. Il est vrai également que les discussions échangées entre le blogueur et son lecteur ne peuvent se dérouler de façon synchronique comme c’est le cas lors d’une conversation réelle entre deux interlocuteurs. Il existe en effet une sorte de zone tampon temporelle entre le moment de l’écriture et la réaction du lecteur qui sépare inévitablement les échanges. Or, malgré cette distance entre les différents agents de la blogosphère, des interactions se développent entre les blogues, créant ainsi une communauté. Plus précisément, c’est tout un réseau de sociabilité qui se construit, support symbolique fort utile dans l’établissement de la légitimation de la pratique du blogue littéraire. Comme l’affirme Michel Lacroix dans son article&nbsp;«Littérature, analyse de réseaux et centralité: esquisse d’une théorisation du lien social concret en littérature», «[t]oute solitaire que puisse être l’écriture, le monde littéraire, lui, est éminemment social, pétri d’interrelations entre les multiples acteurs qui l’habitent et lui donnent vie» (2003: 475).<br /><br />Malgré cette sociabilité, le blogue littéraire déboucherait «sur une culture du “happy few”, en suggérant la création de communautés restreinte d’auteurs et de lecteurs»:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p><span style="color: rgb(105, 105, 105);">Les paroles de connaisseurs, le lexique renouvelé par des néologismes ou émaillé par des <em>gimmicks</em> fonctionnent comme des signes de reconnaissance. Les «niches» se multiplient sur le net, tandis que le libre jeu sur les identités pseudonymiques, les indices de connivence construisent un espace relationnel à géométrie variable (Couleau et Hellégouarc’h, 2010: 8).</span></p> </blockquote> <p>L’utilisation de pseudonymes est d’ailleurs symptomatique des limitations de cette sociabilité. Olivier Trédan suggère que les blogueurs tentent de reconstruire un «micro-monde» en publiant en ligne et cherchent à la fois à acquérir une certaine légitimité et à choisir les frontières de leur identité numérique:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p><span style="color: rgb(105, 105, 105);">Une récurrence apparaît dans le parcours de blogueurs: le recours à un pseudonyme. […] [D]e prime abord, il s’agit d’un truisme, il permet de pointer le souci accordé à la préservation d’une relative autonomie à l’égard des autres cadres dans lesquels les individus sont amenés à intervenir (famille, travail, etc.). La raison de l’abandon de son espace de publication peut être attribuée à la découverte que des proches non ratifiés sont lecteurs assidus en dépit de ses efforts pour que l’espace de publication reste cantonné au seul cadre des interactions entre pairs. La gestion de cette tension, c’est-à-dire la capacité à n’être lu que par un public déterminé, apparaît comme un élément explicatif du maintien d’une activité de publication sur un temps relativement long (2010: 90).</span><br />&nbsp;</p> </blockquote> <p>Le blogue est donc, véritablement, un acte social, même si sa sociabilité est limitée par les modalités propres à la blogosphère. D’où l’intérêt, selon nous, d’aborder l’écriture sur blogue par le biais de son caractère grégaire, collectif, interindividuel.<br /><br /><span style="color: rgb(105, 105, 105);"><strong>Une pratique en quête de légitimité et de reconnaissance</strong></span><br />Les rapports entre blogueurs permettent d’atteindre une forme de&nbsp; reconnaissance. L’activité du lecteur participe au processus de création et d’évaluation du blogue. En effet, un des lieux de prédilection où le lecteur peut s’exprimer, lecteur qui est fréquemment un blogueur par la même occasion, c’est dans le commentaire. Ce bref message laissé à l’intention de l’auteur et de ses lecteurs agit à titre d’appréciation, mais également de carte de visite. Rares sont les blogues qui refusent de consentir à laisser cet espace ouvert aux lecteurs puisque c’est l’endroit par excellence pour se manifester, se montrer, se faire connaître de ses pairs. La procédure est simple: l’auteur du commentaire inscrit son nom et un message qu’il adresse au blogueur. L’identification n’a pas à être complète. Le pseudonyme, quoique métonymique et dénué d’ancrages dans la réalité, suffit à la tâche d’identifiant puisqu’il est rattaché à un autre blogue. L’identifiant a fonction de lien hypertextuel. Il a certes une fonction onomastique mais, plus encore, il représente une porte d’entrée qui mène vers un autre univers d’écriture. Cet espace personnel, le blogue, est souvent recréé à partir d’une présélection d’informations. On ne se dévoile pas entièrement, on remanie, on fictionnalise. En cliquant sur l’identifiant, on atteint l’espace d’écriture d’un autre blogueur et des liens de connivence peuvent ainsi s’établir. Des ponts sont créés. On découvre d’autres blogues et ces blogues peuvent se retrouver ensuite à figurer dans la liste des auteurs que l’on suit, dans le <em>blogroll</em>. Il existerait donc une manière d’institutionnalisation sur la blogosphère qui passe par le commentaire, comme le remarque Broudoux:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p><span style="color: rgb(105, 105, 105);">Ainsi aux côtés de l’auteur porté par l’éditeur, reconnu par les institutions culturelles, un nouveau profil commence à s’imposer: celui de l’auteur incarné dont la notoriété se mesure à l’amplitude de la conversation provoquée par ses billets, mesurable par les re-blogs, les citations, les «on aime», les «trackbacks», jusqu’à ce qu’il soit répertorié par les médias traditionnels (journaux, radios, télévision) et intégré dans la chaîne de l’autorité. Cet auteur disséminateur bâtit une œuvre-flux plutôt qu’un patrimoine, à partir d’objets remaniés, remixés, recomposés (2010: 42).</span></p> </blockquote> <p>Il existe d’ailleurs certains sites consacrés à cette mission d’institutionnalisation qui répertorient les blogues les plus populaires, qui organisent des galas récompensant les blogueurs (Gala Blogu'Or, Golden Blog Award, Blogger's Choice Award, etc.), des sites qui fournissent des listes de liens vers d’autres blogues, etc. Des «célébrités» de la Toile prennent la parole et agissent comme parrains de blogueurs émergeants en offrant sur leurs sites personnels des liens vers ces blogues qui seront, inévitablement, assaillis de visiteurs dès la publication de leur nom. Des outils comme <em>Google Analytics</em> permettent aux blogueurs de prendre le pouls de leur lectorat, de savoir quels mots-clés ont été entrés dans les moteurs de recherche pour accéder à leur site, quels billets ont été lus le plus souvent, d’où viennent les visiteurs, etc. De véritables niches sont en train de se créer dans lesquelles sont désormais définies <em>de l’intérieur</em> certaines pratiques de l’écriture sur blogue, dont celle du blogue littéraire.<br /><br />Même s’il est un peu vilain de le formuler ainsi, on peut penser que la fonction du commentaire n’est pas innocente. Ce dernier ne sert pas exclusivement à témoigner de son appréciation; il sert également des intérêts plus personnels. En effet, le commentaire est une trace, une manière de manifester sa présence sur la blogosphère. En fait, à bien y regarder, on se rend compte assez rapidement que les commentaires sont presque tous de l’ordre de l’échange sympathique. Rarement lit-on un message constructif à propos des billets publiés sur les blogues. Dans l’ensemble et de façon grossière, on pourrait dire que les commentaires se résument à prononcer des banalités sur un ton appréciatif. La légèreté de ces messages laisse croire que ce n’est pas tant l’essence du message qui importe, mais davantage le fait de laisser une trace, de marquer son territoire. À l’image des colonisateurs qui plantaient des drapeaux partout où ils avaient voyagé, le commentaire sert de balise visible signalant le passage d’un internaute dans l’espace virtuel d’un de ses pairs. Les échanges sont d’ailleurs généralement polis, comme s’ils étaient régis par des lois non écrites de bienséance. Trédan affirme même que «les commentaires sont le plus souvent compatissants, fournissant conseils et soutien à l’auteur lors de moments difficiles» (2010: 88). Il est vrai que la blogosphère est composée principalement d’écrivains parallèles non reconnus dans le «vrai» monde, et que ces derniers ne jouissent d’aucun statut véritable, d’aucune position privilégiée dans le champ. Tous les blogueurs sont sur le même pied d’égalité puisqu’aucun ne possède de véritable autorité qui le favoriserait par rapport à ses pairs. La faible teneur critique des commentaires et leur relative complaisance nous mènent à considérer les relations virtuelles entre blogueurs comme des relations mondaines.<br /><br /><span style="color: rgb(105, 105, 105);"><strong>Le salon revisité</strong></span><br />Dans le cadre d’un article examinant la pratique des blogues <em>girly</em>, pendant démocratisé du magazine féminin type <em>Vogue</em>, <em>Elle</em> et <em>Cosmo</em>, Barbara Sémel compare la nouvelle sociabilité issue de cette pratique à un nouveau «salon de thé»:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p><span style="color: rgb(105, 105, 105);">[L]e blog permet de créer une véritable interaction entre la blogueuse et ses lectrices. Une sociabilité s’installe: chaque blogueuse est aussi lectrice et les discussions ont parfois lieu simultanément sur plusieurs blogs avec des systèmes de coréférence et d’autoréférence. En lisant ces blogs au fil des jours, on peut observer comment, de billets en commentaires, le blog féminin se constitue en nouvel espace de sociabilité, en nouveau salon de thé. Les thèmes abordés se propagent rapidement dans le réseau, grâce notamment à un système de liens hypertextes que l’on trouve de manière ponctuelle dans le corps des billets et de manière plus pérenne dans les <em>blogrolls</em>, ces listes de blogs recommandés qui contribuent à la célébrité de certains blogs et peuvent propulser un petit nouveau très rapidement. Une «communication virale» s’opère qui repose sur ses propres codes langagiers (néologismes, périphrases, jeux de mots, surnoms, connivences dont la compréhension suppose une lecture suivie d’un certain nombre de blogs «recommandés»). Une culture du <em>happy few</em>, qui a l’avantage de ne pas exclure les lectrices néophytes, émerge à travers des billets qui comportent plusieurs niveaux de lecture (2010: 100).</span><br />&nbsp;</p> </blockquote> <p>Bien que Sémel traite dans son texte du blogue féminin dont les thèmes de prédilection seraient le maquillage, la mode, les régimes minceur, les potins de stars, etc. —le portrait est rapidement dressé—, il nous semble que ces considérations sur la sociabilité du blogue peuvent s’appliquer sans grand déplacement au blogue «littéraire»; plutôt que de reproduire les conduites attendues dans un <em>salon de thé</em>, le blogue littéraire s’apparente beaucoup au <em>salon littéraire</em> du siècle des Lumières. Le salon littéraire était lui aussi une institution de sociabilité regroupant des gens afin de converser et de se distraire. Comme le blogueur, l’auteur de salon évolue dans un milieu régi par le consensus. Lilti explique le fonctionnement de ces rencontres:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p><span style="color: rgb(105, 105, 105);">L’auteur qui lit une pièce ou un poème dans un salon n’entend pas le soumettre à la critique, mais il en attend des compliments et des applaudissements, ainsi qu’un soutien dans les conversations mondaines. Ce serait une faute de l’en priver, car il s’agit d’abord pour les auditeurs de se conformer aux normes mondaines, qui ne sont pas celles de la critique intellectuelle, mais celles de la politesse et de la complaisance (2005: 330).</span></p> </blockquote> <p>Le blogue fonctionne à peu de choses près comme le salon littéraire de l’époque: même si personne ne se rencontre de manière réelle —sinon lors des rencontres en chair et en os organisées par des associations régionales comme le célèbre <a href="http://yulblog.org/fr/content/cest-quoi-yulblog" target="_blank">Yulblog</a>—, la blogosphère est un espace où se rassemblent des écrivains patentés qui souhaitent faire entendre leur voix, qui souhaitent s’exprimer et recevoir une rétroaction somme toute bienveillante. Pourquoi les blogueurs se critiqueraient-ils entre eux ouvertement s’ils sont tous au même niveau, si aucun d’entre eux n’a d’autorité sur les autres? Lilti va plus loin encore en précisant que le but du divertissement mondain n’est pas de susciter la controverse mais, au contraire, de favoriser l’adhésion, d’attirer les applaudissements:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p><span style="color: rgb(105, 105, 105);">La réaction des auditeurs, dans une lecture de société, est donc dictée avant tout par les règles minimales de politesse qui imposent de féliciter l’auteur et d’applaudir. Les compliments sont la contrepartie attendue du divertissement que l’auteur a offert, car les auditeurs ne sont pas en position de juges ou de critiques, mais participent à un divertissement de société, au sein duquel il convient avant tout de se plaire mutuellement et d’éviter toute tension (2005: 330).</span></p> </blockquote> <p>Ce ne sont pas des applaudissements que recueille le blogueur, mais plutôt des commentaires, qui sont pour la plupart assez convenus et agréables. Dans la blogosphère règne un climat généralement harmonieux. Le consensus est ordinairement à l’honneur. La véhémence n’est pas au nombre des normes implicites qui régissent les interactions entre blogueurs. Ce que mentionne Lilti à propos de la sociabilité mondaine s’adapte bien à l’univers des blogues:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p><span style="color: rgb(105, 105, 105);">Les contraintes qui pèsent […] sur le jugement sont moins celles d’une norme sociale du goût, que les individus auraient incorporées et qui dicterait inconsciemment leur réaction, que celles qu’impose une forme de sociabilité: les règles de politesse mondaine, et les effets de l’imitation. […] Ce sont des jugements de société, qui ne reposent pas sur un usage public et critique de la raison mais sur l’exercice d’une compétence sociale et culturelle, celle de la politesse mondaine (2005: 334).</span></p> </blockquote> <p>Comme à la cour et dans les sociétés mondaines en général, ce n’est pas tant le commentaire en lui-même qui prime, mais le commentaire en tant que marque de sociabilité, en tant que marque d’adhésion, en tant qu’appui social et symbolique à l’entreprise littéraire de ses pairs. Le commentaire est une mise en scène de cette adhésion. Il est une matérialisation de la reconnaissance. Lacroix précise que les outils convoqués pour étudier les réseaux de sociabilité, comme le commentaire, sont des objets d’analyse à traiter avec parcimonie parce qu’ils sont, eux-mêmes, l’incarnation non objective d’une sociabilité:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p><span style="color: rgb(105, 105, 105);">Les réseaux ne sont jamais accessibles qu’au travers de représentations, lesquelles sont autant de points de vue subjectifs sur les réseaux à l’étude. Les travaux sur l’épistolaire, entre autres, l’on en effet mis en évidence: il n’existe pas de source «objective», de document neutre en ce qui concerne les relations entre individus; qu’ils soient médiés par l’écrit ou l’image, ils ont été produits par un individu ou un groupe d’individus dans un contexte particulier, avec des objectifs particuliers, il y a eu médiatisation, re-présentation des relations au moyen du texte ou d’un autre support. Ainsi, si la lettre est le signe d’une relation concrète entre individus, elle est aussi sa mise en scène, sa représentation dans le cadre du genre épistolaire (2003: 484).</span></p> </blockquote> <p>Si le commentaire est, à l’image de la lettre, un signe qui représente le lien de sociabilité établi entre deux interlocuteurs, il est toutefois une mise en scène minimale des liens qui unissent les blogueurs entre eux. En effet, les commentaires sont relativement brefs, n’excédant guère plus que cinquante mots. Dans la plupart des cas, on peut même dire que les commentaires se résument à une dizaine de mots, à une impression fugitive. Cette brièveté n’est pas étrangère aux formulations langagières abrégées utilisées dans les réseaux sociaux que sont <em>Facebook</em> et <em>Twitter</em>, par exemple, ou encore à la manière du clavardage et des messages textes envoyés par les téléphones portables. On pourrait donc penser que les commentaires, si l’on pousse l’idée de leur caractère bienséant et de la pauvreté de leur contenu, ne sont que la marque d’une sociabilité et rien d’autre. Or, une telle conclusion serait rapide. Le commentaire, quoique pauvre en soi sur le plan du contenu, permet justement d’établir des points de contact entre les différents agents de la blogosphère et de construire ainsi une communauté menant, ultimement, à une légitimation de l’écriture. La reconnaissance par les pairs est essentielle dans le processus de légitimation bien que celui-ci, dans le cas des blogues, ait cours en dehors des cercles officiels. De plus, malgré la complaisance de ces échanges entre blogueurs, l’espace du commentaire est également occupé par les identités respectives des internautes. Ces derniers ne laissent pas seulement derrière eux un banal message d’appréciation: ils peuvent faire don également d’un univers littéraire par l’entremise de leurs pseudonymes qui auraient fonction d’hypertexte. L’identifiant renvoie directement à un autre espace d’écriture (un blogue), à un autre réseau de sociabilité, à un autre monde.<br /><br /><span style="color: rgb(105, 105, 105);"><strong>En guise de démonstration</strong></span><br />Un seul exemple tiré d’un de ces blogues littéraires permet de voir en quoi le parallèle avec le salon littéraire est intéressant et opératoire. Nous avons dit plus tôt, à la suite de Broudoux, que les jeunes intellectuels étaient ceux dont les blogues étaient le plus susceptibles d’être qualifiés de littéraires; l’exemple qui suit est tiré du blogue <em>Saint-Henri</em>, tenu par Clarence L’inspecteur, pseudonyme d’un candidat au doctorat en études littéraires à l’UQÀM proche du <em>Salon double</em><a name="note 3"></a><a href="#note%203a"><strong>[3]</strong></a> et dont nous ne révélerons pas la véritable identité, par respect pour son anonymat (si tant est que l’anonymat soit possible dans le milieu très restreint des études supérieures en littérature au Québec!):</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p><span style="color: rgb(105, 105, 105);">Ça fait maintenant plus d'une semaine que je n'ai rien écrit ici, ce qui me fait me questionner sur la pertinence de cet espace, dans ma vie, dans la tienne, dans la vie des autres. Je ne sais plus vraiment quoi faire avec Saint-Henri, à part le maintenir en vie. Remarque, j'ai jamais vraiment su où je m'en allais avec ça. Je sais pas non plus d'où vient mon relâchement. L'année dernière j'écrivais tous les jours. Peut-être que je suis influencé par le fait que mon blogroll (par définition les gens que je lis le plus et qui me lisent en retour) semble être sur le respirateur artificiel. L'année dernière il me semble que je jouais dans une cour d'école pleine de petits culs vraiment enthousiastes. Et là, tout le monde a gradué ou je sais pas, tout le monde s'est rendu compte qu'il y avait un McDo de l'autre côté de la rue faque tout le monde passe la récré au complet au McDo à se manger des gangbang pis y a pu personne pour&nbsp;<a href="http://sainthenri.blogspot.com/2010/04/boule-de-neige.html" target="_blank">jouer à tag</a>&nbsp;ou aux quatre coins. En même temps, c'est même pas vrai: y a encore plein de monde, faut juste les trouver. C'est moi qui est rendu trop paresseux.&nbsp;<a href="http://salondouble.contemporain.info/antichambre/une-litt-rature-qui-ne-se-poss-de-pas" target="_blank">Là-bas</a>, ils préparent une grosse conférence sur l'univers des blogues. L'année dernière, j'aurais participé avec passion, j'aurais même participé sous mon pseudonyme, avec un chapeau pis tout, pour ajouter à l'illusion pis à la magie. Mais non, la magie c'était l'année passée. L'année passé [sic], on écrivait des&nbsp;<a href="http://sainthenri.blogspot.com/2010/07/la-mort-dun-soubresaut-ix.html" target="_blank">récits communs en épisodes multiples</a>, qui tournaient autour de la mort de l'un d'entre nous. L'année passée on écrivait des&nbsp;<a href="http://toujourstropbon.blogspot.com/" target="_blank">hommages virtuels en gang à la grande littérature française</a>. Maintenant, on se rabat sur Twitter, qui nous apprend plein d'affaires, et surtout à ne plus écrire aucun mot au complet (2011: [<a href="http://sainthenri.blogspot.com/2011/06/preguica.html" target="_blank">en ligne</a>]).</span></p> </blockquote> <p>Ce billet exprime, bien qu’en négatif, l’interaction entre les blogueurs typique du champ qui est en train de se former: on trouve dans le billet toute une série de liens hypertextes pointant vers d’autres billets, d’autres sites et d’autres blogues dont l’auteur et ses lecteurs (eux aussi blogueurs) peuvent se reconnaître. On voit que des thèmes se sont diffusés au sein de son réseau de sociabilité et que des projets menés en collégialité<a name="note 4"></a><a href="#note%204a"><strong>[4]</strong></a> ont émergé de la pratique du blogue de ce réseau en particulier. L’auteur fait référence à la liste des blogues «amis», la <em>blogroll</em>, qui agit comme support à une communication virale typique de la blogosphère où le lecteur d’un site pointe vers ce site sur le sien et, en échange, l’auteur du site lui retourne la faveur, et ainsi de suite —l’explication est alambiquée mais le concept est plutôt simple. Toutes ces références sont destinées évidemment aux <em>happy few</em>, à ceux qui sont concernés par ces projets, par ces jeux littéraires ayant cours sur le blogue <em>Saint-Henri</em> et sur ceux du réseau de Clarence L’inspecteur. Cela n’empêche pas les lecteurs non-avertis, les néophytes, de cliquer sur les liens et de remonter la ligne du temps pour prendre connaissance de ces jeux dont ils ignoraient l’existence. N’empêche que ce billet illustre fort bien l’esprit de salon qui règne sur la blogosphère. De plus, les commentaires suscités par ce billet sont en général écrits sur le même ton: une nostalgie de cet «âge d’or» où le réseau était véritablement vivant.<br /><br />I<span style="color: rgb(105, 105, 105);"><strong>l n’y a pas eu de nouvelle révolution</strong></span><br />Si le blogue «emprunte» autant à la dynamique des salons (littéraires ou de thé), il y aurait lieu de penser, à la suite de Thérenty, qu’il ne s’agirait donc pas à proprement parler d’une <em>nouvelle</em> révolution, mais bien plutôt du prolongement de la révolution médiatique entamée au XIXe siècle:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p><span style="color: rgb(105, 105, 105);">Un certain nombre d’effets engendrés par l’écriture sur blog relèvent moins de la révolution numérique que de la révolution médiatique et notamment tout ce qui relève de la quotidienneté, de la périodicité et du recueil. Le support web a permis de prolonger cette poétique inventée au XIXe siècle avec la révolution médiatique (2010: 61).</span></p> </blockquote> <p>Nous ne nions pas le fait qu’il y a dans le blogue un potentiel que l’on pourrait qualifier de révolutionnaire. À cet effet, d’ailleurs, il faut lire le texte d’Amélie Paquet paru récemment dans <em>Salon double</em> et traitant lui aussi du blogue littéraire. «À chaque fois que la culture libre fait un pas en arrière, [écrit-elle,] je me dis que nous avons raté notre chance. Internet aurait pu sauver le monde, mais il ne le sauvera pas. Les blogues littéraires ne pourront rien pour le sort du monde» (2011: [<a href="http://salondouble.contemporain.info/antichambre/une-litt-rature-qui-ne-se-poss-de-pas" target="_blank">en ligne</a>]). Paquet estime que les blogueurs ont manqué leur chance, celle de changer le monde par la culture libre. Thérenty, pour sa part, souhaite de la part des commentateurs du Web un peu de retenue, de «prudence historique», lorsqu’ils examinent le phénomène des blogues:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p><span style="color: rgb(105, 105, 105);">Par ailleurs, ces observations voudraient inviter aussi les commentateurs enthousiastes du Web à un peu de prudence historique. Les conséquences de l’entrée de la civilisation dans l’ère médiatique au XIXe siècle n’ont quasiment pas été étudiées pour la littérature; il ne faudrait pas pour autant imputer au Web l’invention de phénomènes qui lui sont bien antérieurs et qu’il amplifie et renouvelle comme l’écriture du quotidien, le travail sur le fragment, le jeu sur les frontières entre référence et fiction… (2010: 61)</span></p> </blockquote> <p>Cette invitation n’est pas un pied de nez aux artisans du Web 2.0, au contraire: Thérenty souligne d’ailleurs que les blogues amplifient et renouvèlent des pratiques issues de la révolution médiatique du XIXe siècle. De la même manière, les blogues reprennent l’éthique et l’esthétique des salons tout en les adaptant à la nouvelle réalité qui leur permet d’exister. Il nous semblait toutefois important de montrer et d’exprimer clairement que la pratique de l’écriture sur blogue n’est pas surgie <em>ex nihilo</em>. C’est dans cette optique que nous rapportons les propos d’Oriane Deseilligny, qui rapproche les blogues à la pratique plus que centenaire des écritures de soi:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p><span style="color: rgb(105, 105, 105);">Certes, comme dispositif éditorial et communicationnel, le blog est bien sans précédent dans l’histoire des supports. Toutefois sur le plan discursif, il hérite de formes ancrées dans l’histoire longue de la culture écrite. […] [C]omme format spécifique de publication et comme structure de production textuelle préformatée, le blog réinvestit et automatise des formes textuelles, discursives et de communication écrite bien plus anciennes à l’écriture de soi (2010: 73-74).</span></p> </blockquote> <p><span style="color: rgb(105, 105, 105);"><strong>Une seconde oralité?</strong></span><br />Par ailleurs, le lecteur de blogue, bien qu’invisible et virtuel, possède un avantage que le lecteur courant n’a pas puisqu’il peut, comme c’est aussi le cas dans un salon littéraire, converser avec l’auteur. L’aspect communicationnel s’élabore de manière singulière dans le cas des blogues. Selon Walker, la venue du blogue est la résultante d’un retour de l’oralité dans nos sociétés. Reprenant les travaux de Walter J. Ong (1982), Walker se penche, dans <em>Blogging</em>, sur le passage de l’oralité à la littérature écrite pour mieux comprendre l’incidence culturelle du blogue. Ainsi, la transition qui s’est effectuée entre l’imprimé et les médias électroniques s’apparente à une seconde oralité. Il s’agit en quelque sorte d’un retour à une culture plus proche de celle de la Grèce antique que de l’ère post-Gutenberg. Le caractère oral du blogue lui vient de sa forme en constante modulation, de la langue qui y est déployée plus près du langage de tous les jours et de sa teneur sociale. Walker fait d’ailleurs un lien avec les travaux de Platon concernant le texte écrit qui représente, selon lui, une déresponsabilisation de l’auteur (2008: 65). Le texte écrit demeure silencieux devant les inflexions du lecteur. Il ne peut établir de communication entre l’auteur et le lecteur, ce que le blogue peut faire. Le lecteur de blogue peut adresser une question à l’auteur du billet qu’il vient de lire. L’auteur est en mesure de répondre aux interrogations de manière relativement instantanée, favorisant ainsi le dialogue entre les différents agents du discours, que ceux-ci soient en amont ou en aval du texte. Ce sont ces interactions qui font penser que le blogue est plus proche de la culture orale que de la culture de l’écrit. C’est à peu près ce qu’Isabelle Escolin-Contensou rapporte elle aussi, en citant d’autres penseurs de la communication:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p><span style="color: rgb(105, 105, 105);">Danah Boyd s’intéresse au blog en tant que processus de communication entre blogueurs tour à tour auteurs/orateurs et lecteurs/auditeurs. Elle assimile alors l’exercice du blog à celui du discours d’opinion tenu en public. Le blog emprunte ainsi des traits à la «seconde oralité»: autorité partagée, énonciation à la fois engagée, subjective et objective, et enfin agrégation et montage des éléments textuels (2010: 18).</span></p> </blockquote> <p>Cette seconde oralité redore également le blason de la blogosphère en présentant le commentaire certes comme un espace complaisant, mais plus encore comme l’incarnation matérielle de la responsabilisation de l’auteur par rapport à son discours, ce que le livre ne peut véritablement proposer et ce, même si cet auteur utilise un pseudonyme. Bien que l’on soit en présence d’une incarnation virtuelle, le blogueur se prononce de façon réelle. L’échange est public et visible. Or, contrairement aux autres manifestations issues d’une culture de l’oralité (donc non exposées aux technologies permettant de fixer sur bande des performances orales), le blogue possède une pérennité. Il allie la permanence du texte écrit à la responsabilité de l’œuvre orale. Comme le texte imprimé, le blogue offre une empreinte lisible de l’univers qu’il déploie, un univers auquel on peut aussi se référer ultérieurement. Il laisse également des traces visibles des réseaux de sociabilité qui s’élaborent entre les différents agents de ce milieu littéraire parallèle. Le blogue se situe donc à cheval sur deux traditions littéraires, l’oralité et l’écriture, jouissant ainsi de l’effet de responsabilisation de l’un et de la pérennité de l’autre.</p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> <p><strong><a name="note 1a"></a><a href="#note%201">[1]</a></strong> Nous orthographons «blogue» de cette manière puisqu’il s’agit de la francisation officielle du terme «blog» adoptée et recommandée par l’Office québécois de la langue française. Néanmoins, on retrouvera dans notre texte des occurrences de l’anglicisme «blog» puisque certains critiques, en France notamment, utilisent cette forme. La Commission générale de terminologie et de néologie a officialisé l’expression «bloc-notes» pour traiter du blogue, mais il y a là risque de confusion avec les autres acceptions du terme.</p> <p><a name="note 2a"></a><a href="#note%202"><strong>[2]</strong></a> Pourquoi alors considérer la blogosphère comme étant un bassin potentiel de littérature et non pas les autres réseaux? Nous ne prétendons pas détenir de réponse à cette question complexe, mais peut-être faudrait-il, à notre avis, explorer du côté du caractère <em>public</em> des blogues, accessibles généralement par tous (à moins d’être privé) et ainsi non réservés à un cercle «d’amis» comme peut l’être <em>Facebook</em>. Puisque, après tout, ce n’est pas la longueur qui détermine la littérarité: il existe déjà des études sur les productions littéraires sur <em>Twitter</em>, autre réseau social désormais célèbre, à l’origine d’ailleurs du néologisme <em>twitterature</em>. On pense entre autres à l’<a href="http://www.twittexte.com/ScriptorAdmin/scripto.asp?resultat=734326" target="_blank">Institut de twittérature comparée</a>, qui niche sur le web, ou encore au livre <em>Twitterature: The World’s Greatest Books in Twenty Tweets or Less</em> d’Alexandre Aciman et Emmett Rensin (2009).</p> <p><a name="note 3a"></a><a href="#note%203"><strong>[3]</strong></a> Il est d’ailleurs amusant de constater que <em>Salon double</em> flirte (peut-être) aussi avec le salon littéraire, par son nom, d’abord, puis par sa fonction, celle d’observer la littérature contemporaine et d’en discuter avec ses lecteurs et ses collaborateurs. Cette affirmation n’est toutefois guère plus qu’une opinion, puisque nous ne sommes pas en mesure de déterminer s’il existe une proximité réelle entre le projet de <em>Salon double</em> et celui du salon littéraire.</p> <p><a name="note 4a"></a><a href="#note%204"><strong>[4]</strong></a> Il y aurait là matière, d’ailleurs, à mettre ces projets élaborés en collégialité en parallèle avec tous les jeux organisés dans les salons littéraires du XVIIe siècle: concours de madrigal, hommages dissimulés à d’autres salonniers, etc. L’équivalent actuel serait sans doute les vases communicants, projet collectif entamant sa deuxième année et au sein duquel, une fois par mois, certains blogueurs permutent leurs blogues entre eux: l’un écrit sur le blogue de l’autre, et vice-versa. Les vases communicants sont répertoriés à chaque mois par de nombreux blogueurs, dont François Bon, ainsi que sur <em>Facebook</em> et <em>Twitter</em>.</p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> <p><span style="color: rgb(105, 105, 105);"><strong>Bibliographie</strong></span><br /><br />Alexandre ACIMAN et Emmett RENSIN (2009), <em>Twitterature: The World’s Greatest Books in Twenty Tweets of Less</em>, New York, Penguin.<br /><br />Laurence ALLARD (2005), «Termitières numériques: les blogs comme technologie agrégative de soi», dans <em>Multitudes</em>, no21: «Postmédia, réseaux, mises en commun», p.79-86.<br /><br />Danah BOYD (2004), «Broken Metaphors as Liminal Practices», [<a href="http://www.danah.org/papers/BrokenMetaphors.pdf" target="_blank">en ligne</a>]. [Texte cité par Isabelle Escolin-Contensou (2010)].<br /><br />Évelyne BROUDOUX (2010), «L’exercice autoritatif du blogueur et le genre éditorial du microblogging de Tumblr», dans Christèle COULEAU et Pascale HELLÉGOUARC'H [dir.], <em>Les blogs. Écritures d’un nouveau genre?</em>, Paris, L’Harmattan (Itinéraires. Littérature, textes, cultures, 2010, 2. Centre d’Étude des Nouveaux Espaces Littéraires, Université Paris 13), p.33-42.<br /><br />Étienne CANDEL (2010), «&nbsp;Penser la forme des blogs, entre générique et génétique&nbsp;», dans Christèle COULEAU et Pascale HELLÉGOUARC'H [dir.], <em>Les blogs. Écritures d’un nouveau genre?</em>, Paris, L’Harmattan (Itinéraires. Littérature, textes, cultures, 2010, 2. Centre d’Étude des Nouveaux Espaces Littéraires, Université Paris 13), p.23-31.<br /><br />CLARENCE L’INSPECTEUR (2011), «Saint-Henri: Preguiça», dans <em>Saint-Henri</em>, samedi le 25 juin 2011 [<a href="http://sainthenri.blogspot.com/2011/06/preguica.html" target="_blank">en ligne</a>]. (Page consultée le 14 juillet 2011).<br /><br />Christèle COULEAU et Pascale HELLÉGOUARC’H (2010), «Introduction», dans Christèle COULEAU et Pascale HELLÉGOUARC'H [dir.], <em>Les blogs. Écritures d’un nouveau genre?</em>, Paris, L’Harmattan (Itinéraires. Littérature, textes, cultures, 2010, 2. Centre d’Étude des Nouveaux Espaces Littéraires, Université Paris 13), p.7-12.<br /><br />Oriane DESEILLIGNY (2010), «Le blog intime au croisement des genres de l’écriture de soi», dans Christèle COULEAU et Pascale HELLÉGOUARC'H [dir.], <em>Les blogs. Écritures d’un nouveau genre?</em>, Paris, L’Harmattan (Itinéraires. Littérature, textes, cultures, 2010, 2. Centre d’Étude des Nouveaux Espaces Littéraires, Université Paris 13), p.73-82.<br /><br />Isabelle ESCOLIN-CONTENSOU (2010), «le blog, nouvel espace littéraire entre tradition et reterritorialisation», dans Christèle COULEAU et Pascale HELLÉGOUARC'H [dir.], <em>Les blogs. Écritures d’un nouveau genre?</em>, Paris, L’Harmattan (Itinéraires. Littérature, textes, cultures, 2010, 2. Centre d’Étude des Nouveaux Espaces Littéraires, Université Paris 13), p.13-22.<br /><br />Alexandre GEFEN (2010), «Ce que les réseaux font à la littérature. Réseaux sociaux, microblogging et création», dans Christèle COULEAU et Pascale HELLÉGOUARC'H [dir.], <em>Les blogs. Écritures d’un nouveau genre?</em>, Paris, L’Harmattan (Itinéraires. Littérature, textes, cultures, 2010, 2. Centre d’Étude des Nouveaux Espaces Littéraires, Université Paris 13), p.155-166.</p> <p>Institut de twittérature comparée, [<a href="http://www.twittexte.com/ScriptorAdmin/scripto.asp?resultat=734326" target="_blank">en ligne</a>]. (Page consultée le 3 août 2011).</p> <p>Michel LACROIX (2003), «Littérature, analyse de réseaux et centralité: esquisse d’une théorisation du lien social concret en littérature», dans <em>Recherches sociographiques</em>, vol.44, no3, p.475-497.<br /><br />Michel LACROIX et Guillaume PINSON (2006), «Liminaire», dans <em>Tangence</em>, no80, p.5-17.<br /><br />Antoine LILTI (2005), <em>Le monde des salons. Sociabilité et mondanité à Paris au XVIIIe siècle</em>, Paris, Fayard.<br /><br />Geert LOVINK (2007), «Blogging, the Nihilist Impulse», dans <em>Eurozine</em> [<a href="http://www.eurozine.com/articles/2007-01-02-lovink-en.html" target="_blank">en ligne</a>]. (Page consultée le 15 mai 2010).<br /><br />Office québécois de la langue française, «Blogue littéraire», dans <em>Le grand dictionnaire terminologique</em>, [<a href="http://www.granddictionnaire.com/BTML/FRA/r_Motclef/index800_1.asp" target="_blank">en ligne</a>]. (Page consultée le 14 juillet 2010).<br /><br />Walter J. ONG (1982), <em>Orality and Literacy</em>, New York, Routledge.<br /><br />Amélie PAQUET (2011), «Une littérature qui ne se possède pas. Réflexions sur le blogue littéraire», dans <em>Salon double, observatoire de la littérature contemporaine</em>, [<a href="http://salondouble.contemporain.info/antichambre/une-litt-rature-qui-ne-se-poss-de-pas" target="_blank">en ligne</a>]. (Page consultée le 14 juillet 2011).<br /><br />Barbara SÉMEL (2010), «La culture du macaron. Un nouveau genre, une nouvelle sociabilité, une nouvelle vitrine?», dans Christèle COULEAU et Pascale HELLÉGOUARC'H [dir.], <em>Les blogs. Écritures d’un nouveau genre?</em>, Paris, L’Harmattan (Itinéraires. Littérature, textes, cultures, 2010, 2. Centre d’Étude des Nouveaux Espaces Littéraires, Université Paris 13), p.95-102.<br /><br />Marie-Ève THÉRENTY (2010), «L’effet-blog en littérature. Sur L’Autofictif d’Éric Chevillard et Tumulte de François Bon», dans Christèle COULEAU et Pascale HELLÉGOUARC'H [dir.], <em>Les blogs. Écritures d’un nouveau genre?</em>, Paris, L’Harmattan (Itinéraires. Littérature, textes, cultures, 2010, 2. Centre d’Étude des Nouveaux Espaces Littéraires, Université Paris 13), p.53-63.<br /><br />Olivier TRÉDAN (2010), «Itinéraire d’un blogueur: entre quête de reconnaissance et visibilité limitée», dans Christèle COULEAU et Pascale HELLÉGOUARC'H [dir.], <em>Les blogs. Écritures d’un nouveau genre?</em>, Paris, L’Harmattan (Itinéraires. Littérature, textes, cultures, 2010, 2. Centre d’Étude des Nouveaux Espaces Littéraires, Université Paris 13), p.83-93.<br /><br />Jill WALKER RETTBERG (2008), <em>Blogging</em>, Cambridge, Polity Press (Digital Media and Society).</p> http://salondouble.contemporain.info/antichambre/les-nouveaux-salons#comments ACIMAN, Alexandre, et RENSIN, Emmett ALLARD, Laurence Blogosphère Blogue littéraire BOYD, Danah BROUDOUX, Évelyne CANDEL, Étienne CLARENCE L'INSPECTEUR COULEAU, Christèle, et HELLÉGOUARC’H, Pascale Culture numérique DESEILLIGNY, Oriane ESCOLIN-CONTENSOU, Isabelle France GEFEN, Alexandre Hypermédia Institut de twittérature comparée Institution littéraire LACROIX, Michel LACROIX, Michel, et PINSON, Guillaume Légitimation LILTI, Antoine LOVINK, Geert Office québécois de la langue française ONG, Walter J. Oralité PAQUET, Amélie Québec Réseau de sociabilité Salon littéraire SÉMEL, Barbara THÉRENTY, Marie-Ève TRÉDAN, Olivier WALKER RETTBERG, Jill Mon, 15 Aug 2011 13:42:59 +0000 Pierre-Luc Landry et Geneviève Dufour 361 at http://salondouble.contemporain.info Des charognes et des hommes http://salondouble.contemporain.info/lecture/des-charognes-et-des-hommes <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/grenier-daniel">Grenier, Daniel</a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-biblio"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/biblio/epique">Épique</a> </div> </div> </div> <!--break--><!--break--><p> <span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>De Trois-Pistoles &agrave; Bedsford<br /> </strong></span><br /> Il est difficile, &agrave; la lecture du premier roman de William S. Messier, <em>&Eacute;pique</em>, de ne pas se souvenir de cette lettre-ouverte aux jeunes romanciers que Victor-L&eacute;vy Beaulieu avait fait para&icirc;tre dans La Presse, il y a de cela quelques ann&eacute;es<a href="fckeditor.html?InstanceName=oFCK_1&amp;Toolbar=DrupalFull#note1a"><strong>[1]</strong></a>. &Agrave; l&rsquo;&eacute;poque, la lettre avait cr&eacute;&eacute; tout un &eacute;moi dans la communaut&eacute; litt&eacute;raire et avait forc&eacute; les &eacute;crivains vis&eacute;s directement et indirectement &agrave; r&eacute;agir ainsi qu&rsquo;&agrave; prendre position. Beaulieu reprochait plusieurs choses aux &eacute;crivains de la g&eacute;n&eacute;ration montante, comme leur absence d&rsquo;exp&eacute;rimentation langagi&egrave;re, leur renfermement sur eux-m&ecirc;mes et leur obsession pour un Plateau Mont-Royal de trentenaires d&eacute;sabus&eacute;s. Il les accusait de ne pas s&rsquo;int&eacute;resser &agrave; leurs anc&ecirc;tres et de se confiner &agrave; une &eacute;tude fragmentaire et fragment&eacute;e de leur propre nombril.</p> <p>Cette lettre-ouverte, qui date de 2004, s&rsquo;adressait &agrave; des &eacute;crivains et &eacute;crivaines n&eacute;(e)s dans les ann&eacute;es soixante-dix, &agrave; la queue de ce qu&rsquo;on a appel&eacute; la g&eacute;n&eacute;ration X. Qu&rsquo;on soit d&rsquo;accord ou non avec le plaidoyer et les constats de l&rsquo;auteur du <em>Don Quichotte de la d&eacute;manche</em>, il est int&eacute;ressant de constater qu&rsquo;en quelques six ann&eacute;es, le vent a tourn&eacute;, et qu&rsquo;il lui serait maintenant difficile d&rsquo;atteindre les m&ecirc;mes conclusions. L&rsquo;arriv&eacute;e sur le march&eacute; d&rsquo;une toute nouvelle g&eacute;n&eacute;ration d&rsquo;&eacute;diteurs y est peut-&ecirc;tre pour quelque chose, en ce que l&rsquo;offre litt&eacute;raire qu&eacute;b&eacute;coise traditionnelle s&rsquo;est vue transform&eacute;e profond&eacute;ment. L&rsquo;apparition durant les derniers dix ans de jeunes maisons dynamiques et t&eacute;m&eacute;raires comme Les Allusifs (2001), Marchand de feuilles (2001), Le Quartanier (2003), ou Alto (2005), t&eacute;moigne non seulement de la vigueur de la rel&egrave;ve &agrave; l&rsquo;int&eacute;rieur m&ecirc;me du champ litt&eacute;raire, mais &eacute;galement d&rsquo;un v&eacute;ritable renouveau des enjeux, des th&egrave;mes et des espaces fictionnels abord&eacute;s et investis par les jeunes cr&eacute;ateurs. Par exemple, il n&rsquo;est plus tout &agrave; fait soutenable d&rsquo;avancer que le Montr&eacute;al contemporain soit la seule &laquo;&nbsp;sc&egrave;ne d&rsquo;&eacute;nonciation&nbsp;&raquo; possible, alors que quantit&eacute; de romans et r&eacute;cits qu&eacute;b&eacute;cois se r&eacute;clament d&rsquo;une identit&eacute; r&eacute;gionale forte ainsi que d&rsquo;un cheminement historique particulier. On n&rsquo;a qu&rsquo;&agrave; penser au <em>Tarmac</em> de Nicolas Dickner (2009) ou au <em>Bestiaire</em> d&rsquo;&Eacute;ric Dupont (2008).</p> <p>Publi&eacute; cette ann&eacute;e aux &eacute;ditions Marchand de feuilles, le roman <em>&Eacute;pique</em> de William S. Messier appartient &agrave; ce nouveau souffle &eacute;ditorial. Il s&rsquo;inscrit dans cette lign&eacute;e particuli&egrave;re de r&eacute;cits qu&eacute;b&eacute;cois contemporains qui ne t&eacute;moignent pas d&rsquo;un besoin de s&rsquo;interroger sur le fait d&rsquo;&ecirc;tre en p&eacute;riph&eacute;rie puisque le centre n&rsquo;est plus un concept programmatique. <em>&Eacute;pique</em> est le second livre de Messier, apr&egrave;s le recueil de nouvelles conceptuel intitul&eacute; <em>Townships</em>, &eacute;galement paru au Marchand de feuilles, en 2009, et sous-titr&eacute; &laquo;&nbsp;R&eacute;cits d'origine &raquo;. Comme le premier, le second livre installe son r&eacute;cit et sa narration dans les Townships, les Cantons-de-l&rsquo;Est, &agrave; la mani&egrave;re d&rsquo;un bateau jetant l&rsquo;ancre, autant pour observer prudemment un paysage connu et ch&eacute;ri par l&rsquo;auteur que pour survivre &agrave; un d&eacute;luge de r&eacute;f&eacute;rences symboliques fortes qui viennent nourrir l&rsquo;histoire et le folklore de la r&eacute;gion. Les individus l&eacute;gendaires comme les magasins &agrave; rayons ont leur place ici, agrandis et/ou d&eacute;form&eacute;s par le langage hyperbolique de l&rsquo;imaginaire&nbsp;:</p> <div class="rteindent1">&nbsp;&nbsp;&nbsp;<span style="color: rgb(128, 128, 128);"> -Sais-tu ce qu&rsquo;ils devraient faire? Ils devraient obliger tout le monde &agrave; magasiner chez Korvette. En plus de forcer le propri&eacute;taire &agrave; changer sa christie de vitrine ultra-laide, &ccedil;a ferait r&eacute;aliser au monde entier &agrave; quel point c&rsquo;est le magasin le plus incroyablement <em>hot</em> de l&rsquo;existence.<br /> &nbsp;&nbsp;&nbsp; -Qu&rsquo;est-ce que t&rsquo;as achet&eacute;?<br /> &nbsp;&nbsp;&nbsp; -&laquo;&nbsp;Achet&eacute;&nbsp;&raquo;? Non, non, tu, ouvre les guillemets, ach&egrave;tes, ferme les guillemets, du lait. Tu, ouvre les guillemets, ach&egrave;tes, ferme les guillemets, des bobettes. OK, d&rsquo;accord, tr&egrave;s bien. Mais, chez Korvette, t&rsquo;ach&egrave;tes rien. T&rsquo;adoptes et t&rsquo;assimiles une fa&ccedil;on de vivre, de consommer. T&rsquo;ach&egrave;tes rien, <em>man</em>.<br /> &nbsp;&nbsp;&nbsp; [&hellip;]<br /> &nbsp;&nbsp;&nbsp; -J&rsquo;avoue quand m&ecirc;me que le Korvette a sa fa&ccedil;on unique de nous charmer. Savais-tu que celui &agrave; Stanstead a chang&eacute; la typo de son affiche? &Ccedil;a ressemble &agrave; une pancarte de <em>bed and breakfast </em>&agrave; th&eacute;matique de donjons et dragons.<br /> &nbsp;&nbsp;&nbsp; -C&rsquo;est &agrave; peu pr&egrave;s les quatre seules affaires qu&rsquo;ils ne vendent pas&nbsp;: des lits, des d&eacute;jeuners, des donjons et des dragons. (p. 42-43)&nbsp; </span></div> <p><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong><br /> Sur la route des Cantons<br /> </strong></span><br /> La premi&egrave;re partie du roman, justement intitul&eacute;e &laquo;&nbsp;Un d&eacute;bit maximal de donn&eacute;es&nbsp;&raquo;, nous pr&eacute;sente le narrateur, &Eacute;tienne, un jeune homme litt&eacute;ralement sans histoire, mais assailli par les anecdotes et les souvenirs, qu&rsquo;il tentera de r&eacute;unir dans un r&eacute;cit coh&eacute;rent, &agrave; la mani&egrave;re d&rsquo;une de ses idoles, Einstein&nbsp;:</p> <div class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><br /> Je me dis qu&rsquo;entre mon pr&eacute;nom, &Eacute;tienne, et le nom d&rsquo;Einstein, il n&rsquo;y a que tr&egrave;s peu de diff&eacute;rence. C&rsquo;est-&agrave;-dire qu&rsquo;on pourrait facilement faire une faute en &eacute;crivant &laquo;&nbsp;Einstein&nbsp;&raquo; et &ccedil;a donnerait mon pr&eacute;nom, et vice-versa. Entre l&rsquo;homme et moi, c&rsquo;est autre chose. Il est grandiose et moi, je suis quoi? Je suis convaincu, en tous cas, qu&rsquo;apr&egrave;s avoir surv&eacute;cu au d&eacute;luge qui a frapp&eacute; la r&eacute;gion de Brome-Missisquoi en 2005, j&rsquo;ai atteint une salle voisine de celle des grands hommes comme Einstein, dans le Temple de la renomm&eacute;e de la race humaine. (p. 13)</span><br /> &nbsp;</div> <div>Que ce r&eacute;cit soit en bout de ligne &laquo; &eacute;pique&nbsp;&raquo;, cela ne fait aucun doute, dans la mesure o&ugrave; l&rsquo;histoire que nous raconte &Eacute;tienne n&rsquo;est ni la sienne, ni celle de Valvoline, son amie &laquo;&nbsp;costaude&nbsp;&raquo;, mais celle d&rsquo;une situation &agrave; la fois banale et catastrophique, et des moyens entrepris par des hommes et des femmes &agrave; la fois ordinaires et mythiques afin de s&rsquo;y adapter.</div> <p> &Eacute;tienne, d&egrave;s l&rsquo;incipit, nous pr&eacute;vient que son r&ocirc;le n&rsquo;a &eacute;t&eacute; qu&rsquo;accessoire dans &laquo;&nbsp;les &eacute;v&eacute;nements de 2005&nbsp;&raquo; (p. 13), et que s&rsquo;il fait figure de protagoniste, c&rsquo;est uniquement parce qu&rsquo;en racontant, il devient automatiquement le centre de la perception. Mais son r&eacute;cit en est un parmi tant d&rsquo;autres, qui s&rsquo;inscrira id&eacute;alement dans un folklore, dans la mythologie d&eacute;j&agrave; grandissante du d&eacute;luge de juin 2005 et dans l&rsquo;imaginaire toujours un peu plus d&eacute;bordant de la r&eacute;gion enti&egrave;re. &Eacute;tienne, en prenant la parole, cherche &agrave; la fois &agrave; nous faire part d&rsquo;une surabondance de r&eacute;cits et &agrave; appartenir &agrave; cette m&ecirc;me surabondance.</p> <p>Au moment o&ugrave; le roman commence, &Eacute;tienne est en train de terminer son dernier quart de travail &agrave; l&rsquo;entrep&ocirc;t de produits pharmaceutique de McStetson Canada Inc. et s&rsquo;appr&ecirc;te &agrave; faire un choix qui va changer le cours de son &eacute;t&eacute;, pour ne pas dire de son existence. Lors de la pause du souper, apr&egrave;s avoir longuement pes&eacute; le pour et le contre, le jeune employ&eacute; d&eacute;cide en effet de quitter son poste et de retourner sur le march&eacute; du travail. Il appelle alors sa grande amie Valvoline qui vient le chercher en voiture. Dans les jours qui suivent, &Eacute;tienne se pr&eacute;sente au Centre local d&rsquo;emploi o&ugrave; il fait la connaissance de la jolie &Eacute;lizabeth qu&rsquo;il surnomme la licorne, &agrave; cause de sa beaut&eacute; mythique, qui lui trouve rapidement une place d&rsquo;&eacute;quarisseur-pigiste aux c&ocirc;t&eacute;s du non moins mythique Jacques Prud&rsquo;homme, l&eacute;gende vivante du comt&eacute;.</p> <p>Commence alors l&rsquo;histoire d&rsquo;un &eacute;t&eacute; fatidique pass&eacute; &agrave; ramasser des carcasses d&rsquo;animaux le long des routes qui sillonnent les cantons. &Eacute;tienne raconte avec un bonheur teint&eacute; d&rsquo;un doux sarcasme la relation qu&rsquo;il entretient durant quelques semaines avec Prud&rsquo;homme, cet &ecirc;tre dou&eacute; d&rsquo;ubiquit&eacute; qui tr&ocirc;ne au sommet du panth&eacute;on des personnages de la mythologie r&eacute;gionale. On le dit fort comme dix hommes et aussi infatigable qu&rsquo;une locomotive. On dit de lui qu&rsquo;il a tout fait, et souvent qu&rsquo;il a r&eacute;alis&eacute; trois ou quatre exploits en m&ecirc;me temps. Les r&eacute;cits sur sa vie et sur son compte sont aussi in&eacute;puisables que la pluie qui commence &agrave; s&rsquo;abattre sur le tout Brome-Missisquoi &agrave; la fin juin 2005.</p> <div class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><br /> Son nom figure en lettres attach&eacute;es sous chaque viaduc, sous chaque pont, enfin sous chaque structure en b&eacute;ton de la r&eacute;gion. Quelqu&rsquo;un sillonne les villages depuis qu&rsquo;il est tout jeune pour repasser par-dessus les lettres qu&rsquo;on aurait effac&eacute;es ou que la pluie aurait lav&eacute;es, avec un morceau de charbon, de sorte que personne ne l&rsquo;oublie. La directrice de l&rsquo;&eacute;cole primaire Sainte-Famille, &agrave; Granby, &eacute;tait une fan finie et lui vouait un culte semi-&eacute;rotique&nbsp;: chaque ann&eacute;e, les enfants du deuxi&egrave;me cycle avaient comme projet de compiler les r&eacute;cits qui circulaient au sujet de Prud&rsquo;homme, pendant que les jeunes du premier cycle devaient tenter d&rsquo;en faire le portrait, en fonction des descriptions que la directrice leur donnait. M&ecirc;me les plus r&eacute;alistes le dessinaient comme un g&eacute;ant disproportionn&eacute; et monstrueux, certains lui faisaient cracher du feu, d&rsquo;autres le faisaient voler. (p. 75-76)</span><br /> &nbsp;</div> <p>Accol&eacute; &agrave; Prud&rsquo;homme, et au fil des anecdotes et des &eacute;pisodes racont&eacute;s sous forme de chapitres courts, le narrateur nous fait part de ses interrogations et de ses angoisses, parfois existentielles, parfois pu&eacute;riles. Les p&eacute;rip&eacute;ties se succ&egrave;dent, sur fond de pluie battante qui m&egrave;nera aux pires inondations que la r&eacute;gion ait connues. Le ton du r&eacute;cit reste toutefois l&eacute;ger et digressif. &Eacute;tienne nous explique entre autres comment s&rsquo;est form&eacute;e la &laquo;&nbsp;secte&nbsp;&raquo; des Charognards, nous montre comment ramasser un cadavre de moufette, nous rappelle en dialoguant avec Valvoline qu&rsquo;il est difficile de choisir entre deux super-pouvoirs aussi diff&eacute;rents que l&rsquo;invisibilit&eacute; et la capacit&eacute; de voler&nbsp;:</p> <div class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><br /> -&Eacute;coute &ccedil;a&nbsp;: entre voler pis &ecirc;tre invisible, c&rsquo;est l&rsquo;id&eacute;e de justice qui fait la diff&eacute;rence. Lequel des deux pouvoirs permet de combattre le crime de la fa&ccedil;on la plus compl&egrave;te et efficace?<br /> -Euh, j&rsquo;ai pas trop pens&eacute; &agrave; &ccedil;a, ts&eacute;.<br /> -Dans un braquage de d&eacute;panneur mettons, &ccedil;a te donne pas grand-chose de voler, &agrave; moins d&rsquo;&ecirc;tre dans un d&eacute;panneur ultramoderne, ts&eacute; avec un plafond cath&eacute;drale comme en sortant de l&rsquo;autoroute 10, &agrave; Bromont. Encore l&agrave;, imagine que tu voles au-dessus du criminel. Apr&egrave;s, tu fais quoi? (p. 221-222)</span> <br /> &nbsp;</div> <p>Par l&rsquo;entremise de la voix d&rsquo;&Eacute;tienne, Messier nous informe sur la vie comme elle est v&eacute;cue &agrave; l&rsquo;int&eacute;rieur d&rsquo;un syst&egrave;me g&eacute;ographique et identitaire quasi autarcique, en retrait des grands centres urbains et pr&egrave;s d&rsquo;une certaine r&eacute;alit&eacute; plus grande que nature. Les Cantons que le lecteur d&eacute;couvre, visite ou revisite, sont un lieu hybride, profond&eacute;ment teint&eacute; par le m&eacute;lange in&eacute;dit des cultures qui s&rsquo;y est op&eacute;r&eacute; depuis que les Loyalistes sont venus s&rsquo;y installer lors de la R&eacute;volution Am&eacute;ricaine. Le bilinguisme ambiant, l&rsquo;influence de la culture am&eacute;ricaine frontali&egrave;re, la recrudescence d&eacute;mographique francophone des trois derni&egrave;res g&eacute;n&eacute;rations, sont quelques-uns des aspects de la r&eacute;gion qui sont int&eacute;gr&eacute;s &agrave; l&rsquo;univers de Messier &agrave; travers une fascination pour la topographie, par exemple, ou &agrave; travers l&rsquo;appropriation douce-am&egrave;re d&rsquo;un certain kitsch nostalgique propre au passage g&eacute;n&eacute;rationnel.<br /> &nbsp;&nbsp;&nbsp; <br /> <span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Le banal et l&rsquo;extraordinaire</strong><br /> </span><br /> Loin du Plateau Mont-Royal et de ses 5 &agrave; 7 branch&eacute;s, <em>&Eacute;pique</em> est un roman d&rsquo;apprentissage en <em>pick-up</em> rapaill&eacute; sur fond de d&eacute;luge biblique. Le lecteur y est invit&eacute; &agrave; faire la connaissance de personnages qui sont &agrave; la fois plus complexes qu&rsquo;ils ne paraissent et bien plus simples que ce qu&rsquo;on en dit. Les quelques semaines pass&eacute;es en compagnie de Jacques Prud&rsquo;homme, le h&eacute;ros surhumain des Townships, vont faire comprendre &agrave; &Eacute;tienne que ce n&rsquo;est pas tant les l&eacute;gendes qui font les hommes que leur capacit&eacute; &agrave; se d&eacute;finir et &agrave; agir au milieu d&rsquo;un continuel tourbillon de l&eacute;gendes. Et &agrave; l&rsquo;inverse, que ce n&rsquo;est pas tant dans les l&eacute;gendes qu&rsquo;on trouve les surhommes, mais plut&ocirc;t dans les hommes qu&rsquo;on trouve les l&eacute;gendes&nbsp;: </p> <div class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><br /> Je pus le regarder ramasser une douzaine de charognes dans diff&eacute;rents coins de la ville, pliant les genoux et poussant un soupir &eacute;nergique en se relevant, Jacques n&rsquo;avait vraiment rien d&rsquo;h&eacute;ro&iuml;que. Je le vis effectuer le m&ecirc;me genre de mouvement dans son salon pour ramasser une miette de biscuit soda ou dans sa cour pour arracher une mauvaise herbe. Dans ma t&ecirc;te, il n&rsquo;avait jamais fracass&eacute; de record sportif&nbsp;: il nettoyait sa piscine, il d&eacute;montait son abri Tempo, il chauffait un tracteur &agrave; gazon dont il aiguisait r&eacute;guli&egrave;rement les lames. (p. 81)</span></div> <p>&nbsp;&nbsp;&nbsp; <br /> Lui-m&ecirc;me personnage &eacute;nigmatique et difficile &agrave; cerner, en sa qualit&eacute; confuse d&rsquo;adulte-enfant, oscillant sans cesse entre son d&eacute;sir de voler et son d&eacute;sir d&rsquo;invisibilit&eacute;, &Eacute;tienne d&eacute;crit le monde qui l&rsquo;entoure avec les yeux d&rsquo;un conteur &agrave; la fois exp&eacute;riment&eacute; et na&iuml;f, avec la voix d&rsquo;un jeune homme &agrave; la fois d&eacute;sabus&eacute; et fascin&eacute; par les personnages hauts en couleur qui peuplent son quotidien et son imagination. De la premi&egrave;re charogne de raton &eacute;cras&eacute; sur le bord de la route 139 entre Cowansville et Dunham jusqu&rsquo;&agrave; la mont&eacute;e fulgurante des eaux qui donnera son vrai sens au nom du mont Pinacle, &agrave; Coaticook, &Eacute;tienne am&egrave;ne le lecteur avec lui sur les chemins raboteux de son &eacute;t&eacute; aussi orageux que merveilleux. Le ton de sa narration est celui du raconteur, rappelant le <em>tall tale</em><a href="#note2a"><strong>[2]</strong></a> am&eacute;ricain, qui se doit d&rsquo;&ecirc;tre d&rsquo;un c&ocirc;t&eacute; banalisant et de l&rsquo;autre incroyable. </p> <p>En fait, c&rsquo;est l&agrave; tout son charme; et c&rsquo;est l&agrave; toute la force de l&rsquo;&eacute;criture de Messier, &agrave; la fois archa&iuml;que et oralisante, dans son jeu constant sur le vernaculaire et le pass&eacute; simple, qui s&rsquo;ancre dans une r&eacute;flexion sur les origines de nos r&eacute;cits communs. Avec <em>&Eacute;pique</em>, Messier reconduit la puissance du conte et du conteur, cet &ecirc;tre un peu sournois qui sait tr&egrave;s bien que c&rsquo;est &agrave; travers une apparente banalisation des &eacute;v&eacute;nements et des acteurs aux prises avec leurs cons&eacute;quences que ceux-ci acqui&egrave;rent leur r&eacute;elle dimension extraordinaire.<br /> <a href="#note1a"><br /> </a><br /> <hr /> <strong><a href="#note1a">[1]</a> </strong>Victor-L&eacute;vy Beaulieu, &laquo;Nos jeunes sont si seuls&raquo;, <em>La Presse</em>, 29 f&eacute;vrier 2004. La lettre n&rsquo;est pas disponible sur le web, mais il est encore possible de lire la r&eacute;ponse de l&rsquo;&eacute;crivaine Marie H&eacute;l&egrave;ne Poitras, dans les archives du journal <em>Voir</em> : Marie H&eacute;l&egrave;ne Poitras, &laquo;Nous ne sommes pas si seuls&raquo;, dans <em>Voir</em>, [en ligne]. <a href="http://www.voir.ca/publishing/article.aspx?zone=1&amp;section=10&amp;article=30096" title="http://www.voir.ca/publishing/article.aspx?zone=1&amp;section=10&amp;article=30096">http://www.voir.ca/publishing/article.aspx?zone=1&amp;section=10&amp;article=30096</a> [Texte en ligne depuis le 11 mars 2004].<strong><br /> <a href="#note2a"><br /> </a> <a href="#note2a">[2]</a></strong> Le <em>tall tale</em> est un r&eacute;cit typique de la tradition orale am&eacute;ricaine qui raconte des &eacute;v&egrave;nements extraordinaires tout en les ins&eacute;rant dans une narration banalisante, de mani&egrave;re &agrave; donner l&rsquo;impression qu&rsquo;ils sont v&eacute;ridiques. Par l&rsquo;entremise de l&rsquo;hyperbole, de l&rsquo;exag&eacute;ration et autres techniques rh&eacute;toriques, le conteur raconte habituellement ses propres exploits et m&eacute;saventures ou celles d&rsquo;un h&eacute;ros que tout le monde conna&icirc;t, tel Davy Crockett ou Paul Bunyan.</p> <p></p> http://salondouble.contemporain.info/lecture/des-charognes-et-des-hommes#comments BEAULIEU, Victor-Lévy Culture populaire Espace Événement Identité Mémoire MESSIER, William S. Mythologie Oralité Origine POITRAS, Marie-Hélène Québec Théorie des champs Tradition Roman Thu, 09 Sep 2010 16:04:27 +0000 Daniel Grenier 259 at http://salondouble.contemporain.info