Salon double - Culture de l'écran http://salondouble.contemporain.info/taxonomy/term/630/0 fr Révolution(s) abandonnée(s) http://salondouble.contemporain.info/lecture/r-volutions-abandonn-es <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/tremblay-gaudette-gabriel">Tremblay-Gaudette, Gabriel</a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-biblio"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/biblio/kapow">Kapow!</a> </div> </div> </div> <!--break--><!--break--> <p><strong>Révolution(s) abandonnée(s)</strong></p> <p><em>Avertissement: l’essentiel de cette lecture porte sur les aspects formels de </em>Kapow!<em> En raison des particularités matérielles de l’œuvre commentée, il m’est apparu contre-indiqué d’inclure à titre d’exemple des numérisations de certaines pages du texte, puisque la numérisation aurait mis à plat les caractéristiques de cet objet-livre qui trouvent leur pleine extension dans sa tridimensionnalité. Je vous invite donc, avant d’amorcer votre lecture du texte ici-bas, à vous rendre sur l’hyperlien suivant, <a href="http://www.visual-editions.com/our-books/kapow">http://www.visual-editions.com/our-books/kapow</a>, afin de consulter la galerie de photographies proposée par l’éditeur, qui donne la pleine mesure de la forme incongrue de </em>Kapow!</p> <p>La jeune maison d'édition londonienne Visual Editions s'est jusqu'à présent signalée par des ouvrages magnifiques et originaux: une réédition du <em>Life and Opinions of Tristram Shandy, Gentlemen</em> de Laurence Sterne qui fait la part belle aux interventions visuelles et typographiques prévues par le texte original, la première traduction en anglais de <a href="http://www.visual-editions.com/our-books/composition-no-1">Composition No.1</a> de Marc Saprota (texte présenté dans une boîte et qui a ceci de particulier qu'il faut mélanger ses feuillets pour composer un ordre de lecture personnel, comme on brasse un jeu de Tarot pour en faire une lecture divinatoire) et <a href="http://www.visual-editions.com/our-books/tree-of-codes"><em>Tree of Codes</em></a>, le plus récent roman de Jonathan Safran Foer, confectionné à partir d'un roman de Bruno Schultz et dont les pages ont été littéralement trouées afin de créer un nouveau texte. À chacune de ses parutions, Visual Editions crée un livre d'artiste à grand tirage, une expérience sensorielle multiple (engageant la tactilité et la vision de manière plus prégnante qu'un roman traditionnel) et, en somme, commet un acte de résistance envers le passage du papier à l'écran par une œuvre qui ne peut être envisagée que dans sa forme matérielle. Le plus récent titre de Visual Editions s'inscrit résolument dans cette posture éditoriale éclectique et aventureuse. Issu de la plume d'Adam Thirlwell, jeune auteur londonien, <em><u>Kapow!</u></em> s'attaque au récit linéaire en le faisant éclater à la surface de la page, par le biais d'interventions à même la mise en page, tours de passe-passe formels audacieux mais qui se révèlent rapidement répétitifs.</p> <p><em>Kapow! </em>a comme thème général la révolution. Le narrateur, d’abord anonyme mais qui s’avère à mi-chemin être l’auteur de par la référence à ses romans antérieurs, observe à distance les agitations populaires dans plusieurs pays du Moyen-Orient, période de remue-ménage qui a depuis été recoupée sous l’appellation «&nbsp;Printemps Arabe&nbsp;». Avec une posture de détachement, qui serait selon l’auteur commune au citoyen occidental moyen, il suit les soulèvements de ces pays en développement, mais sa rencontre avec Faryaq, un chauffeur de taxi émigré qui lui relate des anecdotes à propos de ses amis au cœur des événements, le pousse à s’intéresser davantage à ces révolutions. La suite du roman fait alterner une narrativisation du printemps arabe focalisée sur quelques citoyens ordinaires prenant part aux manifestations publiques, et des commentaires généraux du narrateur face à son processus d’écriture et ses réflexions politiques et esthétiques sur l’Histoire en mouvement. Avec cette structure narrative mixte, Thirlwell se ménage une ouverture pour donner lieu aux facéties de tout roman post-moderne qui se respecte&nbsp;: la narration regorge de passages autoréflexifs, de moments métanarratifs, de télescopages improbables, etc. Il invoque ouvertement la malléabilité du langage très tôt dans le roman: «My theory was that language was a trampoline which pushed you everywhere, even inside-out, even into an apartment block I had never visited in a country I didn’t really know» (2011, p. 10), ce qui lui autorise la plus grande des libertés.</p> <p>Dès la première page, le narrateur indique qu’il est perpétuellement dans un état second: «I kept thinking one thing, then another, then another. It’s true that recently I’d got back into the practice of dope but still. My crisis was very much deeper than dope. (…) I was, let’s say, in a doped yet caffeinated state– a blissful state of suspension. This total seamlessness had just arrived in my thinking from nowhere». (2011, p. 5) Cet état d’esprit affecte et justifie non seulement le style de Thirlwell, ponctué d’achoppements et de coq-à-l’âne, mais aussi la dimension matérielle et visuelle du texte. Il s'avère en effet que le corps du texte s'écartèle, se dilate, s'épanche et se troue en des tailles et des directions diverses, allant parfois jusqu'à déborder de la double page et nécessitant le recours à des pages à volets que le lecteur doit déployer pour laisser le texte dévaler, voire déraper, dans la direction souhaitée. Dans la première page du texte, Thirlwell fait une allusion amusante à cette poétique de déchirure visuelle du texte à l’honneur dans son roman, en mentionnant son étonnement devant la facilité avec laquelle la foule agitée parvient à démanteler le pavé: «While in the miniature movies on the internet people were gathering in squares and ripping up the pavements. It surprised me how easily you could do this– just prise up pavement, like a lawn» (2011, p. 5). Or, après tout, cette friabilité insoupçonnée d’une matière jusqu’alors perçue comme unie et compacte, c’est aussi celle du corps de texte, habituellement présenté avec ordre, régularité et rigueur, et que Thirlwell s’apprête à démantibuler, ce à quoi il fait d’ailleurs allusion en disant à la suite de la citation précédente: «I understood this urge to disrupt and savage things and so on.» (2011, p. 5)</p> <p>Les voies multiples ouvertes dans la linéarité du texte sont signalées par un symbole à mi-chemin entre la lettre Y et le pictogramme d’une sortie d’autoroute, qui permet instantanément de comprendre qu’il faut aller lire le passage de texte en incise, superposé au corps principal du texte mais disposé dans une orientation déviante. Ces interruptions ne se donnent à lire ni comme une information complémentaire similaire à une note de bas de page, ni comme des trajectoires de lecture alternatives à la manière d’un hypertexte de fiction; tout comme face à un texte de David Foster Wallace, il faut se garder de sauter ces portions de texte comme le ferait un lecteur paresseux. De plus, la forme affectée par ces incises participe parfois à la signification de son contenu. Par exemple, page 20, les personnages au cœur de la révolution arabe se rendent au lieu public où se tiennent les manifestations quotidiennes, et une incise en forme de cercle précise: «Backing onto this was the second grandest hotel in the city– containing three restaurants, a café, a shopping complex, a business center, three banqueting halls, and a gym» (2011, p. 20). Le contraste entre la pauvreté ambiante de la ville en crise et cet espace de luxe décrit dans l’incise motive la forme de cercle, marquant un espace enchâssé, replié sur lui-même. Trois pages plus loin, une incise, tellement longue qu’elle déborde de la page principale et force l’intégration d’un encart dépliable, prend une forme irrégulière rappelant une trajectoire en zig-zag, et décrit le procédé narratif complexe au cœur de <em>Don Quichotte</em>, dans lequel Cervantès attribue la paternité des aventures du Chevalier à la Triste Figure à un scribe arabe, Cide Hamete Ben Engeli; la forme irrégulière de l’incise textuelle rappelle la stratégie ludique quelque peu tordue par laquelle Cervantès renvoie à un personnage fictif la véracité douteuse du récit de son roman.</p> <p>Thirlwell assume son procédé jusqu’à en décrire ouvertement l’origine et les motivations au cœur même de son texte:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p>I didn’t want to be topical. I think instead it just had something to do with this new mania for connections, my idea of integrity that meant you had to follow every thought as far as you could, into all the sad dead ends. And to present this new way of thinking I began to imagine new forms, like pull-out sentences, and multiple highspeed changes in direction. I imagined concertina pages of stories, pasted pictures. And why not? It wasn’t that I wanted to make words visual, like the former futuristi. I didn’t believe like those marionetti that doing things to their look could increase the expressive power of words. But I was imagining a story that was made up of so many digressions and evasions that in order to make it readable it would need to be divided in every direction. So that if you wrote it out as continuous block it would be the same but also different. I wasn’t because my ideal was some kind of simultaneià. It was more like the Russians I’d adored, like Mayakovsky and El Lissitzky – this idea of trying to make things as fast as possible. (2011. p. 18)</p></blockquote> <p>Il revient plus loin sur sa volonté d’accentuer la dimension visuelle de son texte en déclarant: «It was what I wanted too – this spreading a given volume as closely to pure surface as possible. I wanted montage, as I said. I wanted a system where as many things as possible were visible at once.» (2011, p.32)</p> <p>Et c’est là que le bât blesse. Thirlwell annonce un programme esthétique qu’il n’endosse pas entièrement, ou du moins pas jusqu’au bout. L’éclatement du texte est certes spectaculaire aux premiers abords, mais l’auteur ne met pas complètement son procédé au service de sa diégèse. Si, comme je l’ai mentionné plus tôt, certaines incises ont une&nbsp; motivation claire et qu’il emploie à l’occasion les ressources formelles des pages déployées avec brio – notamment à la page 62, lorsqu’il déplace une discussion entre deux protagonistes à propos des juifs, où l’un des deux interlocuteurs tient des propos racistes, au creux d’un encart, comme voilé au regard et relégué loin du texte principal afin de ne pas le contaminer -, la plupart des incises ne font pas un usage bien motivé de la ressource, et la constante nécessité de retourner le livre dans tous les sens afin d’en lire des bribes conduit à l’agacement. L’auteur qui annonçait vouloir aller au bout de ses idées n’est pas parvenu à porter à bout de bras son projet.</p> <p>Il existe pourtant des exemples convaincants de telles œuvres expérimentales. Dès les années 1960-1970, des chefs-d’œuvre oubliés comme <em>The Exagggerations of Peter Prince</em>, de Steve Katz, qui disloque constamment le cours de la narration par des mises en page incongrues et des illustrations hétéroclites, ou encore <em>Double or Nothing</em> de Raymond Federman, qui étend la concomitance texte-image, chère à la <em>pattern poetry</em> médiévale et à la poésie concrète moderne à la grandeur d’un roman, étaient parvenus à mettre des trouvailles formelles au service du récit, et des auteurs plus connus comme Donald Barthelme dans certaines nouvelles de <em>Guilty Pleasures</em> ou Kurt Vonnegut Jr. dans <em>Breakfast of Champions</em>, ont brillamment fait usage de l’iconotextualité (voir Krüger, 1990) dans des œuvres aussi originales que délicieuses. Ces approches ont été amalgamées avec succès dans des œuvres contemporaines comme <em>House of Leaves</em> de Mark Z. Danielewski et <em>The Raw Shark Texts</em> de Steven Hall. J’espérais sincèrement que <em>Kapow!</em> puisse s’ajouter à cette liste, mais les procédés employés par Thirlwell s’avèrent au final trop limités et tièdes pour obtenir une place au Panthéon des romans à la matérialité expérimentale.</p> <p>L’échec relatif des ambitions de l’auteur est en quelque sorte assumé par le roman lui-même. Il est difficile de ne pas faire le lien entre le thème de la révolution politique qui traverse le texte et l’approche innovatrice préconisée par l’auteur, ce que l’auteur ne fait pas explicitement dans les pages de son roman. Or, tant le narrateur que les personnages émettent des doutes quant au succès éventuel de la révolution en cours, notamment vers le début lorsque le narrateur déclare: «But I didn’t know if this was revolution. I didn’t really know if I even Cared. Amigos, I had my doubts. Because basically I tended to prefer the irony of counter-revolution, the hipster sarcasm which wasn’t sure if there was any way of fighting that didn’t end up being a fight to be further enslaved.» (2011, p. 11). De manière conséquente, au cours du récit, les personnages constatent que les soulèvements révolutionnaires n’entraînent pas de résultats impressionnants.</p> <p>Au terme du roman, les personnages de la diégèse sise dans un pays arabe jamais nommé font face à diverses désillusions&nbsp;: Rustam, ayant surmonté ses réticentes initiales pour prendre part aux manifestations, sera incarcéré et trouvera son salut dans un intégrisme religieux qui faisait initialement l’objet de sa résistance; sa femme Niqora renoncera à la relation illicite qu’elle entrevoyait avec le jeune réalisateur Ahmad, rencontré dans la foulée des soulèvements, et l’auteur lui-même, dans le plus long passage en incise (visible à l’image 4 de la galerie disponible sur le site Web de Visual Editions), déclare que le cinéma, dont le montage constitue la grammaire formelle, est le plus à même de rendre compte de la réalité, sorte de désaveu en creux du médium qu’il emploie.</p> <p>On peut saluer l’honnêteté de l’auteur, qui assume l’incapacité à exploiter pleinement son projet esthétique. Il a voulu s’élever contre ce qu’il considère être une pratique de lecture contemporaine basée sur l’accumulation d’informations, spécifiée dans le passage suivant: «In one of my bouts of reading – and this very much felt like one aspect of the modern which depressed me, the way everyone was reading, was trying to find out the <em>facts</em>, the way everyone was lugging along their reading lists&nbsp;» (p. 18). Pour ce faire, il a opté pour une approche expérimentale ostentatoire, frappante comme un coup de poing à la figure ou comme un immense point d’exclamation, à l’image de celui dans le titre de l’œuvre et ornant la couverture du livre. Or, passé le choc initial, le lecteur constate que l’édifice littéraire s’écroule, en partie parce qu’il a ployé sous le poids d’une ambition lourde à porter et en partie parce que le matériau employé dans la construction n’était pas assez solide. Ce n’est pas pour rien que l’auteur, convoquant les propos de Zizek et de Arendt, passe plus de temps à réfléchir autour de l’idée de révolution qu’à la mettre en acte par la diégèse et sa propre écriture; ce n’est pas pour rien que ma lecture a porté quasi-exclusivement sur la forme que prend son projet de révolution formelle que sur son contenu même.</p> <p><strong>Bibliographie</strong></p> <p>Barthelme, Donald. <em>Guilty Pleasures</em>. New York : Farrar, Strauss &amp; Giroux, 1974</p> <p>Danielewski, Mark Z. <em>House of Leaves</em>. New York : Pantheon, 2000</p> <p>Federman, Raymond. <em>Double or Nothing</em>. Boulder : Fiction Collective Two, 1992 (1979)</p> <p>Hall, Steven. <em>The Raw Shark Texts</em>. New York : Canongate Books, 2007</p> <p>Katz, Steve. <em>The Exagggerations of Peter Prince</em>. New York : Holt, Rinehart and Winston, 1968</p> <p>Krüger, Reinhard. «&nbsp;L’écriture et la conquête de l’espace plastique&nbsp;: comment le texte est devenu image&nbsp;», dans Montandon, Alain (dir. publ.) <em>Signe/Texte/Image,</em> Paris&nbsp;: Ophrys, 1990.</p> <p>Thirlwell, Adam. Kapow! Londres&nbsp;: Visual Editions, 2011</p> <p>Vonnegut, Jr, Kurt. <em>Breakfast of Champions or Goodbye Blue Monday</em>. New York : Delcorte Press, 1973</p> http://salondouble.contemporain.info/lecture/r-volutions-abandonn-es#comments Action politique Angleterre Autofiction Autoréflexivité Avant-garde BARTHELME, Donald Cinéma Contemporain Culture de l'écran Culture numérique DANIELEWSKI, Mark Z. Dialogues culturels Éclatement textuel FEDERMAN, Raymond Guerre HALL, Steven Hipster KATZ, Steve KRÜGER, Reinhard Limites de la représentation Télévision THIRLWELL, Adam VONNEGUT Jr, Kurt Roman Sun, 25 Nov 2012 21:33:52 +0000 Gabriel Gaudette 639 at http://salondouble.contemporain.info Une littérature qui ne se possède pas http://salondouble.contemporain.info/antichambre/une-litt-rature-qui-ne-se-poss-de-pas <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/paquet-amelie">Paquet, Amélie </a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-text field-field-soustitre"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> Réflexions sur le blogue littéraire </div> </div> </div> <!--break--><!--break--> <p><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Hackers create the possibility of new things entering the world. Not always great things, or even good things, but new things.<br />McKenzie Wark,<em> A Hacker Manifesto</em></span><br /><br />Le 8 mai dernier, j’étais présente à une consultation du Conseil des arts et des lettres du Québec à la Grande bibliothèque de Montréal qui avait lieu en parallèle avec le Forum sur la création littéraire. Cette consultation était une première étape en vue de formuler des propositions qui seront remises à la ministre de la Culture, des Communications et de la Condition féminine, Christine St-Pierre, afin d’aider le milieu littéraire à s’ajuster aux nouvelles technologies. Des gens différents étaient conviés à cette rencontre : des éditeurs, des universitaires, des écrivains, des poètes performeurs et hypermédiatiques, des directeurs de revues culturelles, etc. J’étais invitée à cet événement pour faire entendre le point de vue des blogueurs littéraires. L’invitation était étonnante au premier abord, puisqu’elle suppose que le blogue littéraire serait désormais reconnu par les institutions culturelles, ce qui n’est pas encore tout à fait vrai même s’il y a une certaine avancée de côté. L’invitation me gênait aussi; si je l’acceptais, cela voulait dire que je me sentais d’une certaine manière capable de représenter les blogueurs, ce qui n’est pas le cas. Si ma pratique du blogue, qui a commencé en 2002 sur la plateforme Livejournal<a name="renvoi1"></a><strong><a href="#note1"><strong>[1]</strong></a></strong>, est restée en marge du milieu, je peux toutefois dire que je suis une grande lectrice de blogues. À mes yeux, cette position de lectrice me conférait donc une pertinence. Les blogueurs ne me connaissent pas nécessairement, mais moi, je les connais bien. J’aime même plusieurs blogueurs que je lis depuis de nombreuses années sans que ceux-ci n’en savent rien.<br /><br />Bien des idées concernant l’avenir de la littérature au Québec ont été échangées lors de cette consultation, mais malheureusement, il a été assez peu question des blogues. Les propositions des intervenants à cette rencontre visaient surtout à soutenir l’industrie du livre ainsi qu’à soutenir les écrivains, les vrais écrivains —ceux qui sont publiés sur papier ou ceux dont les performances sont reconnues par le milieu littéraire. Ne faisant pas partie de l’industrie, ne jouissant pas de la reconnaissance documentée des livres papier, le blogue n’était pas concerné par toutes les propositions. Je suis rentrée chez moi en me disant avec regret que j’avais manqué une occasion en or de défendre mes idées au sujet des blogues. Je peux néanmoins essayer de me reprendre ici, sur le site de <em>Salon double</em>, en faisant ce qui me convient le mieux, c’est-à-dire en publiant un texte sur Internet. J’aimerais proposer, dans ce cadre, une réflexion sur les blogues littéraires qui m’apparaît essentielle en ce moment parce qu’ils sont de plus en plus amenés à être reconnu par les institutions culturelles. Je désire donner corps à plusieurs observations que j’ai en tête depuis longtemps à propos des blogues littéraires. Ces observations, même si je les avais prononcées lors de la consultation, je crois qu’elles n’auraient pas pu être entendues, parce qu’elles remettent en question plusieurs prémisses sur lesquelles le Conseil des arts et des lettres du Québec est fondé. J’énonce maintenant ces réflexions en tant que blogueuse, bien sûr, mais surtout en tant que lectrice de blogues littéraires.<br /><br /><strong><span style="color: rgb(128, 128, 128);">La littérature hors de ses gonds</span></strong></p> <p><br />L’écrivaine américaine Kathy Acker a écrit un article en 1995 portant sur les liens entre la littérature et Internet : «Writing, Identity and Copyright in the Net Age »<a name="renvoi2"></a><strong><a href="#note2"><strong>[2]</strong></a></strong>. Le texte d’Acker était très en avance sur son temps. D’abord parce qu’en 1995, le réseau Internet venait à peine d’être commercialisé et qu’il était fréquenté surtout par les universitaires, les informaticiens et les <em>geeks</em>. Près du milieu universitaire, Acker, qui est morte en 1997, était à la fine pointe de la technologie. Sa réflexion concernant les possibilités offertes par les nouvelles technologies pour la création littéraire était très avant-gardiste. Encore aujourd’hui, l’essai d’Acker m’apparaît comme un des plus pertinents pour réfléchir à Internet. En évoquant sa lecture d’Hannah Arendt, Acker écrit ces trois mots très importants : «Writing masters nothing»<a name="renvoi3"></a><strong><a href="#note3"><strong>[3]</strong></a></strong>. Il faut entendre cette phrase dans tous ses sens possibles. Pour Acker, si la littérature ne peut pas nous protéger de la souffrance inhérente au vivre ensemble, elle permet toutefois de donner sens à nos vies qui seraient sinon incohérentes. Même si l’écrivain joue un rôle important pour donner une cohérence à nos expériences du monde par le biais des récits qu’il produit, il ne contrôle pas le mouvement sémantique qu’il provoque. Dans une certaine mesure, son écriture le dépasse lui-même. Il n’est pas entièrement maître de ses écrits, puisqu’il ne connaît pas consciemment tout ce qui est l’origine de son texte et qu’il ne contrôle pas tous les effets qu’il produira. Acker va plus loin : «If we look at the literary industry today, writing is in trouble»<a name="renvoi4"></a><strong><a href="#note4"><strong>[4]</strong></a></strong>. La littérature est en danger parce que l’industrie la contraint à se maîtriser. Remettant en question la notion d’identité telle qu’elle est communément conçue, elle postule que l’écrivain n’est peut-être pas le seul auteur de son œuvre. Cette idée remet en question celle du copyright. Pour Acker, l’écrivain ne possède pas son texte. Fondée sur la reprise et sur le détournement, toute son œuvre littéraire est construite pour défendre cette idée, qu’on pense par exemple à <em>Great Expectations</em> (1983) qui reprend à sa manière le roman de Charles Dickens ou à <em>Don Quixote : Which Was a Dream</em> (1986), qui met en scène une nouvelle Don Quichotte, héroïne féminine, inspirée de Cervantès.<br /><br /><strong><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Le nouveau territoire</span></strong></p> <p><br />Internet offre plusieurs nouvelles possibilités pour la littérature. La plus importante de celles-ci est que la littérature pourrait, grâce à Internet, tenter de s’échapper de l’industrie du livre et ainsi du copyright : «As it now stands, the literary industry depends upon copyright. But not literature.»<a name="renvoi5"></a><strong><a href="#note5"><strong>[5]</strong></a></strong> Acker adopte ici une posture qui s’apparente à celle des pirates informatiques. L’hacktivisme politique<a name="renvoi6"></a><strong><a href="#note6"><strong>[6]</strong></a></strong> existe depuis les premiers réseaux informatiques. Les hackers, qui ne sont pas des crackers<a name="renvoi7"></a><strong><a href="#note7"><strong>[7]</strong></a></strong>, se servent du piratage informatique de manière engagée afin de lutter contre ceux qui veulent contrôler les réseaux. Les hackers militent donc activement pour la libre circulation des idées et des contenus afin de mettre en échec toutes formes de propriétés privées. Ils piratent des œuvres, non pas dans le but de nuire aux artistes, mais parce qu’ils pensent que la libre circulation des produits culturels est plus importante que tout. Par exemple, un réseau de pirates cinéphiles travaille dans l’ombre à la préservation et à la distribution de milliers de films importants dans l’histoire du cinéma<a name="renvoi8"></a><strong><a href="#note8"><strong>[8]</strong></a></strong>. Les films qui ne sont pas toujours rentables pour l’industrie ne sont souvent pas bien conservés, ni distribués. On sait que l’industrie du DVD a décidé de constituer des zones commerciales. Ces zones commerciales font que certains films importants du cinéma français ne sont pas distribués en Amérique du Nord parce qu’il ne serait pas payant de le faire sur un territoire principalement anglophone. La circulation des films repose entièrement sur une logique capitaliste et non sur une logique qui viserait à faire la promotion de la culture artistique.<br /><br /><strong><span style="color: rgb(128, 128, 128);">La liberté du blogue</span></strong></p> <p><br />Au moment où Acker rédigeait son texte, le copyright était plus rare sur Internet et l’esprit de la culture libre qui a entrainé la fondation de <em>Wikipédia</em>, par exemple, commençait tout juste à se répandre. Même si aujourd’hui Internet a un peu changé, le blogue littéraire est une forme encore libre des marchés économiques et a tout intérêt, à mon avis, à préserver cette liberté, à ne pas entrer dans les rangs du capitalisme. Il y a si peu de choses qui échappent encore aux lois économiques. Si le blogue parvient à le faire, c’est déjà une nouvelle importante pour l’avenir de la littérature, pour une littérature qui ne se possède pas. Dans cet esprit, Internet est encore un territoire neuf à explorer pour les écrivains, un territoire où la liberté peut encore être conquise et, surtout, où elle pourrait peut-être être préservée. Acker ne propose pas de formes particulières que la littérature sur Internet pourrait prendre. Elle souligne seulement qu’il est cohérent pour les écrivains de chercher à s’imposer sur le territoire inédit de la toile. De toute évidence, le blogue peut être une forme qui permette de renouer avec l’idée de la phrase «writing masters nothing». Selon moi, le blogue n’a pas besoin d’être publié sur papier pour acquérir une valeur littéraire. La transposition sur papier du blogue peut même être moins intéressante que la version en ligne. La version papier peut être utile pour conserver les textes, pour les consulter et pour les relire. Je ne nie pas du tout le plaisir et l’utilité du livre papier. Je crois toutefois que le blogue littéraire doit, en plus de préserver à tout prix sa liberté, rester ce qu’il est, c’est-à-dire un genre fragmentaire, imparfait, précaire. Cette fragilité assumée lui confère paradoxalement une grande force dans le monde d’aujourd’hui. Il occupe une place que les autres formes littéraires, le roman, la poésie, le théâtre, l’essai, ne peuvent pas, ou ne peuvent plus prendre. Se présenter dans le monde comme vulnérable est en soi un grand acte de courage. De ce point de vue, le blogue littéraire est un genre courageux. Il a les tempes assez solides pour se montrer aux autres sans être appuyé par l’industrie du livre.<br /><br /><strong><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Des textes de trop</span></strong></p> <p><br />Quand j’ai commencé l’écriture de mon blogue, je ne pensais pas à ma démarche. Je ne pensais pas faire un travail d’écriture. Je cherchais seulement une manière d’entrer en contact avec des gens. Le blogue était pour moi comme une bouteille que je lançais à la mer. J’imaginais qu’un internaute inconnu passerait un jour lire mes textes. Ce qui est fascinant, c’est que je n’allais jamais savoir qui m’avait lue, ni à quelle occasion, mais je pouvais me dire que cela arriverait peut-être; ce petit espoir, si mince, me permettait déjà de me sentir un peu moins seule dans le monde. Dans ses premiers balbutiements à la fin des années 1990 et aux débuts des années 2000, le blogue d’avant la lettre prenait la forme de journaux intimes anonymes ou signés sous pseudonymes. Les auteurs n’étaient pas nécessairement des jeunes écrivains; souvent, même, il s’agissait de gens qui n’avaient autrement pas la chance d’écrire et qui partageaient des moments importants de leur vie avec des inconnus à l’intérieur des petites communautés comme celle de Livejournal. Dans ce blogue anonyme, il y avait une sorte de clandestinité qui était propice aux confidences, aux échanges. Sans réfléchir ni théoriser leurs démarches, les blogueurs de l’époque croyaient que le partage de l’expérience était possible entre les êtres humains, même avec des inconnus sur Internet. En laissant un texte disponible sur le Web, ils confiaient à Internet une missive sans destinataire prédéterminé. Puisque ces blogueurs n’étaient pas des aspirants écrivains, on peut se demander si ces blogues étaient des blogues littéraires. Cela dépend évidemment de notre point de vue sur ce qui définit la littérarité, mais selon le mien, oui, il s’agissait bel et bien de littérature. La littérature peut nous raconter des histoires, éveiller notre curiosité, nous dégouter de notre vie, nous inspirer, aiguiser notre regard vers les autres, nous aider à prendre conscience de nous-mêmes et de notre place dans le monde, susciter en nous des émotions, stimuler notre imagination… Je pense aussi et surtout que la littérature sert à maintenir le contact entre les individus d’une communauté et que ce contact peut être maintenu grâce aux libres partages des expériences. L’écrit, par la forme qu’il adopte, permet un partage de certaines réalités au cœur de nos expériences qui ne seraient pas racontables à l’oral. Il y a aussi dans ces petites histoires individuelles laissées partout sur le Web quelque chose de superflu. Évidemment, on ne pourra pas toutes les lire, il y a en trop. La littérature, c’est aussi ça : être de trop, être superflu, être inutile dans un monde administré tourné vers la rentabilité. Le blogue me parait à cet égard être bel et bien tributaire d’une logique propre à l’activité littéraire et un refuge de choix pour la littérature de demain.<br /><br /><strong><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Rater notre chance</span></strong></p> <p><br />Je ne suis pas une personne nostalgique. J’ai trop à vivre et à découvrir encore pour regretter le passé. Je dois toutefois avouer que parfois en observant Internet se développer j’ai l’impression que nous sommes passés à côté. Aujourd’hui, nous avons de nouveaux professionnels, des spécialistes des réseaux sociaux qui nous expliquent le jeu à jouer pour devenir une célébrité sur le Web ou pour faire de l’argent. Peu à peu, l’esprit de la culture libre, l’esprit des hackers, semble disparaître progressivement d’Internet. À chaque fois que la culture libre fait un pas en arrière, je me dis que nous avons raté notre chance. Internet aurait pu sauver le monde, mais il ne le sauvera pas. Les blogues littéraires ne pourront rien pour le sort du monde. Je crois qu’ils ont néanmoins tout intérêt à préserver l’esprit de la culture libre. La bonne littérature ne se possède pas, elle est donc entièrement liée à la pensée de la culture libre. Quand j’étais jeune et encore un peu naïve, je connaissais un homme qui avait publié un roman. Il m’avait donné un exemplaire. Ça me gênait un peu parce que je l’avais lu et ne l’aimais pas du tout. Lorsqu’il m’a demandé ce que j’avais pensé de son livre, j’avais répondu que je l’avais prêté à ma mère qui l’avait beaucoup aimé et qui l’avait prêté à une de ses collègues de travail qui l’avait aussi beaucoup apprécié. Ma manœuvre était malhonnête, mais ça m’évitait de mentir. Ma mère avait réellement aimé son livre. Il m’a répondu sur un ton très sérieux : «Pourquoi tu lui as prêté? Elle aurait pu l’acheter». Il n’avait pas l’air heureux de savoir que quelqu’un avait lu et aimé son livre. Peut-être qu’il se doutait que je n’aimais pas son livre et qu’il voulait se venger en étant bête avec moi. Mais je ne crois pas, j’avais été assez habile pour détourner le sujet. Je crois qu’il devait seulement penser qu’en tant que jeune femme réservée je n’osais pas lui dire que j’aimais son livre. «Elle aurait pu l’acheter». Ce jour-là, j’ai compris que les écrivains n’étaient pas tous comme je le pensais. Et du coup, je me suis sentie encore plus seule. J’avais envie de lui hurler à la tête qu’il était déjà chanceux que ma mère ait été touchée pour son livre, que ça valait tellement plus que le 1$ de droit d’auteur qu’il aurait pu encaisser si je n’avais pas prêté mon exemplaire. Il s’en foutait bien que quelqu’un soit touché par son histoire, il ne voulait qu’accumuler ses ridicules droits d’auteur à coup de 1$. Un dollar, ce n’est pas grand chose, mais c’est déjà une valeur d’échange, quelque chose de mesurable sur lequel tout le monde s’entend. Lorsque cette histoire est arrivée, je venais tout juste d’ouvrir mon blogue. Si j’avais pu trouver un formulaire attestant que je renonçais à tout jamais à d'éventuels droits d’auteur, je l’aurais signé.</p> <p>&nbsp;</p> <hr /> <p><strong><a name="note1"></a><a href="#renvoi1">[1]</a></strong>Livejournal est un réseau social fondé en 1999 par Brad Fitzpatrick. Les membres sont liés entre eux par un profil et un blogue. Créé en 2004, Facebook, réseau très populaire aujourd’hui, est basé sur le même principe, mais le profil est placé complètement à l’avant scène en laissant de côté le blogue.&nbsp;</p> <p><strong><a name="note2"></a><a href="#renvoi2">[2]</a></strong>&nbsp;L’article est publié dans le recueil d’essais &nbsp;Bodies of Work, New York, Serpent's Tail, 1996. Il est aussi disponible en ligne sur le site de JSTOR et offert en téléchargement gratuit pour les étudiants par le biais de leurs universités : <a href="http://www.jstor.org/pss/1315246.. " title="http://www.jstor.org/pss/1315246.. ">http://www.jstor.org/pss/1315246.. </a></p> <p><strong><a name="note3"></a><a href="#renvoi3">[3]</a></strong>Kathy Acker, « Writing, Identity, and Copyright in the Net Age », <em>The Journal of the Midwest Modern Language Association</em>, volume 28, numéro 1, printemps 1995, p.94.</p> <p><strong><a name="note4"></a><a href="#renvoi4">[4] </a></strong><em>Ibid</em>., p. 94.</p> <p><strong><a name="note5"></a><a href="#renvoi5">[5]</a></strong>&nbsp;<em>Ibid</em>., p. 96.</p> <p><strong><a name="note6"></a><a href="#renvoi6">[6]</a></strong> Au sujet de l’hacktivisme politique et de son histoire, je recommande les lectures suivantes : McKenzie Wank, <em>A Hacker Manifesto</em>, Cambridge, Harvard, 2004; Otto von Busch &amp; Karl Palmas, <em>Abstract hacktivism : the making of a hacker culture</em>, London et Istanbul, 2006; Éric Dagiral, « Pirates, hackers, hacktivistes: déplacements et dilution de la frontière électronique », <em>Critique</em>, Editions de Minuit, Juin-Juillet 2008, pp. 480-495; Razmag Reucheyan, « Philosophie politique du pirate », <em>Critique</em>, Editions de Minuit, Juin-Juillet 2008, pp. 458-469; Tim Jordan, <em>Activism! Direct action, hacktivism and the future of society</em>, London, Foci, 2002; Tim Jordan and Paul A. Taylor, <em>Hacktivism and Cyberwars. Rebels with a cause?</em>, London, Routledge, 2004; metac0m, « What is Hacktivism? », décembre 2003, en ligne: <a href="http://www.thehacktivist.com/?pagename=hacktivism" title="http://www.thehacktivist.com/?pagename=hacktivism">http://www.thehacktivist.com/?pagename=hacktivism</a> (consulté le 27 mai 2010).</p> <p><strong><a name="note7"></a><a href="#renvoi7">[7]</a></strong> Le cracker se sert du piratage dans le simple but de détruire des sites Web.</p> <p><strong><a name="note8"></a><a href="#renvoi8">[8]</a></strong> Bien sûr, plusieurs bibliothèques et cinémathèques s’attaquent déjà à cette tâche, mais les pirates le font dans un autre esprit.</p> <p>&nbsp;</p> http://salondouble.contemporain.info/antichambre/une-litt-rature-qui-ne-se-poss-de-pas#comments ACKER, Kathy Blogue littéraire BUSCH, Otto von Canada Culture de l'écran Culture Geek Culture libre Cyberespace DAGIRAL, Éric Droit d'auteur Flux Hacktivisme politique JORDAN, Tim Journaux et carnets PALMAS, Karl Pirate Résistance culturelle REUCHEYAN, Razmag TAYLOR, Paul A. WARK, McKenzie Mon, 20 Jun 2011 18:25:51 +0000 Amélie Paquet 354 at http://salondouble.contemporain.info Le cyberespace : principes et esthétiques http://salondouble.contemporain.info/antichambre/le-cyberespace-principes-et-esthetiques <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/gervais-bertrand">Gervais, Bertrand</a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-text field-field-soustitre"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> Réflexions sur le contemporain VII </div> </div> </div> <!--break--><!--break--><div> <span style="color: rgb(128, 128, 128);"><br /> </span></div> <div class="rteright">The future has already arrived. It's just not evenly distributed yet.<br /> - William Gibson.</div> <div class="rteright">&nbsp;</div> <p>L&rsquo;un des ph&eacute;nom&egrave;nes les plus marquants de l&rsquo;&eacute;poque contemporaine est la cr&eacute;ation et le d&eacute;veloppement du r&eacute;seau Internet et de l&rsquo;espace virtuel qu&rsquo;il g&eacute;n&egrave;re, le cyberespace. Ce r&eacute;seau a provoqu&eacute; une acc&eacute;l&eacute;ration de la transition que nous connaissons d&rsquo;une culture du livre &agrave; une culture de l&rsquo;&eacute;cran, en surd&eacute;terminant la dimension interactive de ce m&eacute;dia et en reliant cet &eacute;cran &agrave; une toile de plus en plus complexe et dense d&rsquo;informations. Mais &agrave; quelle exp&eacute;rience nous soumet au juste le cyberespace? Quels en sont les principaux traits? J&rsquo;en &eacute;tablirai quatre &ndash; ce sont la <em>traduction</em>, la <em>variation</em>, la <em>labilit&eacute;</em> et <em>l&rsquo;oubli</em> &ndash;&nbsp;et t&acirc;cherai de les d&eacute;finir. </p> <p><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Le cyberespace, un mythe d&rsquo;origine</strong></span></p> <p>Le cyberespace est l&rsquo;environnement culturel et artistique soutenu par Internet en tant qu&rsquo;infrastructure technologique. Cet environnement technologique est d&eacute;centralis&eacute;. Il est fait pour r&eacute;sister aux hi&eacute;rarchies simplifiantes et se pr&eacute;sente comme un lieu, initialement du moins, d&eacute;hi&eacute;rarchis&eacute; et d&eacute;cloisonn&eacute;. S&rsquo;il est en train de se transformer en un immense magasin, o&ugrave; tout est offert, de la brocante sur ebay aux corps &eacute;rotis&eacute;s des sites pornos, il est aussi, et doit continuer &agrave; &ecirc;tre, une agora et un espace de diffusion litt&eacute;raire et artistique.</p> <p>Le terme est apparu dans <em>Neuromancer</em>, le roman de science-fiction de William Gibson, paru en 1984. Le cyberespace repr&eacute;sentait pour Gibson une hallucination partag&eacute;e, une repr&eacute;sentation graphique de donn&eacute;es: </p> <div class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">A consensual hallucination experienced daily by billions of legitimate operators, in every nation, by children being taught mathematical concepts... A graphic representation of data abstracted from the banks of every computer in the human system. Unthinkable complexity. Lines of light ranged in the nonspace of the mind, clusters and constellations of data. Like city lights, receding<a href="#note1a"><strong>[1]</strong></a>.</span><br /> &nbsp;</div> <p>Comme les lumi&egrave;res d&rsquo;une ville qui se retirent&hellip; Thomas Pynchon avait d&eacute;crit au d&eacute;but de <em>The Crying of Lot 49</em> (1966), la ville et ses lumi&egrave;res comme un circuit &eacute;lectronique. Gibson a pris le contre-pied de cette description (au c&oelig;ur du d&eacute;veloppement du postmodernisme litt&eacute;raire am&eacute;ricain) et a pouss&eacute; l&rsquo;image aux limites de la perception. Les circuits s&rsquo;&eacute;vanouissent et il ne reste plus que le contour de cette figure, signe instable, mais combien d&eacute;sirable. Une ville imaginaire, comme un vaste r&eacute;seau de signes et de liens&hellip;</p> <p>Le cyberespace engage &agrave; un imaginaire technologique et il permet de penser l&rsquo;&eacute;lectrification de l&rsquo;iconotexte, de pousser la fiction, les modalit&eacute;s de la repr&eacute;sentation et les jeux de la parole, du langage et de l&rsquo;image hors des sentiers battus, dans un espace encore &agrave; d&eacute;fricher. Il est aussi en ce sens une nouvelle fronti&egrave;re, ce qui requiert&nbsp;: l&rsquo;exploration de moyens in&eacute;dits et de strat&eacute;gies originales de repr&eacute;sentation&nbsp;; l&rsquo;exploitation d&rsquo;une ressource qui vient &agrave; peine d&rsquo;appara&icirc;tre et dont l&rsquo;importance est de plus en plus grande&nbsp;; le d&eacute;veloppement d&rsquo;un nouveau langage capable de s&rsquo;adapter &agrave; cette r&eacute;alit&eacute; virtuelle&nbsp;; et le d&eacute;ploiement de nouvelles structures sociales et communicationnelles, d&rsquo;une nouvelle identit&eacute;. L&rsquo;exploration du cyberespace est d&rsquo;ailleurs d&eacute;crite comme une navigation. Une qu&ecirc;te sur un territoire dont les dimensions &eacute;chappent &agrave; une saisie traditionnelle, car il est une pure construction conceptuelle, un espace imaginaire. Un territoire, de plus, qui va du monde virtuel en bon et due forme, &agrave; l&rsquo;image de <em>Second Life</em>, aux agoras num&eacute;riques et autres lieux de partage tels que Myspace, Facebook, Youtube, Flick&rsquo;r, etc.</p> <p><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Principes</strong></span></p> <p>La m&eacute;taphore fondatrice du cyberespace n&rsquo;est pas la racine, mais le rhizome, le r&eacute;seau, la multiplication des relations et des connexions (ne serait-ce qu&rsquo;en termes techniques o&ugrave; c&rsquo;est la redondance qui assure la p&eacute;rennit&eacute; du r&eacute;seau). La dynamique des relations n&rsquo;y est pas fond&eacute;e sur la tradition, l&rsquo;identit&eacute;, la p&eacute;rennit&eacute; et la m&eacute;moire, mais sur la traduction, la variation, la labilit&eacute; et l&rsquo;oubli. Ces quatre principes dessinent une exp&eacute;rience singuli&egrave;re et voient &agrave; l&rsquo;apparition de modes de lecture, de spectature et de navigation soumis &agrave; des ajustements in&eacute;dits. </p> <p>Par <strong>traduction</strong>, il faut entendre non seulement la pratique d&rsquo;&eacute;criture qui consiste &agrave; faire passer un texte d&rsquo;une langue &agrave; une autre, mais d&rsquo;abord et avant tout la pratique culturelle qui consiste &agrave; &ecirc;tre en pr&eacute;sence de traductions, de textes et d&rsquo;&oelig;uvres ayant migr&eacute; d&rsquo;une culture &agrave; une autre, et &agrave; &ecirc;tre confront&eacute; &agrave; une diversit&eacute; langagi&egrave;re, culturelle et formelle. C&rsquo;est une attitude qui est vis&eacute;e&nbsp;: non pas un regard tourn&eacute; vers le pass&eacute; (dans la perspective de la tradition), mais une ouverture &agrave; l&rsquo;autre. </p> <p>Dans la traduction, ce ne sont pas la temporalit&eacute; ou encore la stratification qui illustrent le mieux les relations entre les textes, mais le d&eacute;ploiement, la copr&eacute;sence sur un m&ecirc;me territoire, f&ucirc;t-il virtuel comme le cyberespace. Si la tradition joue avant tout sur une seule langue, qui a un r&ocirc;le identitaire, et en fonction de laquelle les autres langues et cultures sont subordonn&eacute;es, la traduction repose sur un nivellement des cultures ou, plut&ocirc;t, sur une oscillation dans le jeu des hi&eacute;rarchies. Les relations ne sont pas fixes ou &eacute;tablies de fa&ccedil;on durable, mais en mouvance continuelle, au gr&eacute; des rapprochements, des itin&eacute;raires personnels. Les hyperliens et la fa&ccedil;on dont Internet est structur&eacute; surd&eacute;terminent cette attitude. De fait, la traduction comme pratique culturelle implique une sp&eacute;cialisation et une individualisation des connaissances et des savoirs&nbsp;: une actualisation chaque fois singuli&egrave;re d&rsquo;une partie du r&eacute;seau. Si notre identit&eacute; en sort de toute fa&ccedil;on assur&eacute;e, ce n'est pas par r&eacute;p&eacute;tition du m&ecirc;me, mais par confrontation &agrave; l'autre, par contraste ou compl&eacute;mentarit&eacute;, et ultimement par ses propres strat&eacute;gies d&rsquo;appropriation. </p> <p>La traduction permet d&rsquo;accepter le flux d&rsquo;information, c&rsquo;est-&agrave;-dire de l&rsquo;ins&eacute;rer dans un processus d&rsquo;interpr&eacute;tation et de transformation. En termes m&eacute;taphoriques, on peut dire qu&rsquo;elle se d&eacute;finit non pas tant comme une digue, qui retient &agrave; l&rsquo;ext&eacute;rieur ce qui ne peut &ecirc;tre accept&eacute;, que comme un marais qui s&rsquo;enfle et se r&eacute;sorbe au gr&eacute; des flux et des reflux. </p> <p>Par <strong>variation</strong>, on doit comprendre ces rapports identitaires pr&eacute;caris&eacute;s et relativis&eacute;s rendus possibles par le virtuel, o&ugrave; les avatars et les pseudonymes s&rsquo;imposent, une identit&eacute; avant tout enfil&eacute;e comme un masque. Ce n&rsquo;est pas tant une forme de l&rsquo;intimit&eacute; que l&rsquo;on retrouve dans Internet, que d&rsquo;extimit&eacute;, pour reprendre le n&eacute;ologisme de Michel Tournier, et conceptualis&eacute; par Serge Tisseron (<em>L&rsquo;intimit&eacute; surexpos&eacute;e</em>, Paris, Ramsay, 2001). L&rsquo;extimit&eacute; est l&rsquo;interface entre soi et l&rsquo;autre que l&rsquo;on retrouve exploit&eacute;e de fa&ccedil;on importante dans l&rsquo;environnement virtuel qu&rsquo;est le cyberespace. C&rsquo;est une identit&eacute; num&eacute;rique et cybern&eacute;tique, au sens d&rsquo;une identit&eacute; provisoire &eacute;tablie et mise en partage en situation de communication, surtout si cette situation se d&eacute;ploie en un r&eacute;seau entier. L&rsquo;identit&eacute; est &laquo;&nbsp;le produit du flux des &eacute;v&eacute;nements quotidiens dont le Sujet mobilise certains &eacute;l&eacute;ments dans la perspective de constituer une repr&eacute;sentation&nbsp;&raquo; (F. Georges, <em>Identit&eacute;s virtuelles. Les profils utilisateurs du Web 2.0</em>, Paris, Les &Eacute;ditions Questions th&eacute;oriques 2010, p. 46). Or, ce flux, dans le cyberespace, n&rsquo;est plus une m&eacute;taphore permettant de conceptualiser le mouvement et les processus en acte, il s&rsquo;impose comme une r&eacute;alit&eacute; ph&eacute;nom&eacute;nologique. De nombreux artistes web jouent avec cette identit&eacute;-flux qui appara&icirc;t de plus en plus comme un troisi&egrave;me terme venant complexifier l&rsquo;opposition &eacute;tablie par Paul Ric&oelig;ur entre identit&eacute;-ips&eacute;it&eacute; et identit&eacute;-m&ecirc;met&eacute; (<em>Soi-m&ecirc;me comme un autre</em>, Paris, Seuil, 1990). Au couple oppositionnel du propre (ips&eacute;) et du semblable (m&ecirc;me), r&eacute;pond l&rsquo;identit&eacute;-flux en continuelle ren&eacute;gociation. C&rsquo;est une identit&eacute; diff&eacute;rentielle, en processus permanent d&rsquo;ajustement. </p> <p>La <strong>labilit&eacute;</strong> permet de souligner le caract&egrave;re &eacute;ph&eacute;m&egrave;re des iconotextes et des &oelig;uvres qu&rsquo;on trouve dans le cyberespace, ainsi que la pr&eacute;carit&eacute; des lectures et spectatures qu&rsquo;on y pratique, li&eacute;e entre autres au caract&egrave;re pr&eacute;-d&eacute;termin&eacute; des hyperliens. Les pages-&eacute;crans se succ&egrave;dent sans ordre pr&eacute;&eacute;tabli et initialement partag&eacute; et s&rsquo;exp&eacute;rimentent sur le mode d&rsquo;une v&eacute;ritable d&eacute;rive num&eacute;rique. Cette d&eacute;rive est occasionn&eacute;e par le caract&egrave;re fragmentaire du cyberespace. L&rsquo;exp&eacute;rience &agrave; laquelle il nous convie&nbsp;est celle d&rsquo;une ligne bris&eacute;e que notre navigation r&eacute;pare, le temps d&rsquo;un passage. Entre deux pages-&eacute;crans, entre deux n&oelig;uds r&eacute;unis par un hyperlien, il y a un vide que rien ne permet de s&eacute;miotiser ou de constituer symboliquement. C&rsquo;est un espace non signifiant, sans v&eacute;ritable forme&nbsp;: une distance qui n&rsquo;en est pas une. Et quand une page-&eacute;cran appara&icirc;t, c&rsquo;est sur le mode de la r&eacute;v&eacute;lation, un mode propice &agrave; l&rsquo;&eacute;blouissement.</p> <p>Pour Lunenfeld, cette d&eacute;rive num&eacute;rique d&eacute;pend de l&rsquo;esth&eacute;tique du non fini qui pr&eacute;vaut dans le cyberespace&nbsp;: &laquo;&nbsp;la d&eacute;rive num&eacute;rique est toujours dans un &eacute;tat de non fini, parce qu&rsquo;il y a toujours de nouveaux liens &agrave; &eacute;tablir, toujours plus de sites qui apparaissent, et ce qui a &eacute;t&eacute; catalogu&eacute; par le pass&eacute; risque d&rsquo;avoir &eacute;t&eacute; redessin&eacute; au moment d&rsquo;une nouvelle visite<a href="#note2a"><strong>[2]</strong></a>. &raquo; Cette d&eacute;rive num&eacute;rique, expression m&ecirc;me du flux et de son type singulier d&rsquo;exp&eacute;rience, est li&eacute;e &agrave; la situation cognitive qui pr&eacute;domine dans le cyberespace. Naviguer dans Internet, c&rsquo;est non pas tant s&rsquo;inscrire dans un processus de d&eacute;couverte, fond&eacute; sur l&rsquo;enqu&ecirc;te et l&rsquo;&eacute;tablissement d&rsquo;hypoth&egrave;ses, que se rendre disponible &agrave; un &eacute;blouissement, c&rsquo;est-&agrave;-dire se mettre en situation de connaissance par r&eacute;v&eacute;lation, reposant sur une interrogation ponctuelle, voire improvis&eacute;e. Dans un processus de d&eacute;couverte, nous sommes responsables des liens &eacute;tablis entre les &eacute;l&eacute;ments; dans une r&eacute;v&eacute;lation, les liens, et &agrave; plus forte raison les hyperliens, sont &eacute;tablis ind&eacute;pendamment de nous et ils nous sont simplement transmis. La distinction repose sur la forme d&rsquo;agentivit&eacute; en jeu&nbsp;: sommes-nous les ma&icirc;tres d&rsquo;&oelig;uvre ou seulement les man&oelig;uvres de la relation entre les pages visit&eacute;es? L&rsquo;hyperlien, l&rsquo;hypertexte dont il est le fondement et le cyberespace qui en est l&rsquo;expression la plus compl&egrave;te nous classent par d&eacute;finition dans la seconde cat&eacute;gorie, celle des man&oelig;uvres, ce qui explique la logique de la r&eacute;v&eacute;lation et de l&rsquo;&eacute;blouissement dans laquelle ils nous placent.&nbsp; Celle-ci nous incite d&rsquo;ailleurs &agrave; accepter le flux d&rsquo;information comme un spectacle en soi, auquel on consent de se soumettre. </p> <p>Par <strong>oubli</strong>, enfin, il s&rsquo;agit de poser non pas un revers de la m&eacute;moire, une lacune ou une absence, mais un oubli positif, une facult&eacute; de r&eacute;tention active (Gervais, 2008, p. 27 et passim), comme une v&eacute;ritable modalit&eacute; de l&rsquo;agir et un principe d&rsquo;interpr&eacute;tation de l&rsquo;exp&eacute;rience. Cet oubli positif est un musement ou une fl&acirc;nerie, une errance qui ne cherche plus &agrave; &eacute;tablir des liens rationnels entre ses diverses pens&eacute;es, mais qui se contente de l&rsquo;association libre, du jeu des ressemblances, de l&rsquo;avanc&eacute;e subjective. C&rsquo;est la pens&eacute;e en tant que flux ininterrompu,&nbsp; &agrave; moins qu&rsquo;un incident ne vienne en perturber le cours. Ce type d&rsquo;oubli caract&eacute;rise la d&eacute;rive dans le cyberespace, faite de mouvements inconstants et de sauts arbitraires. Pour R&eacute;gine Robin, &laquo;Notre vie &agrave; l&rsquo;&eacute;cran, dans l&rsquo;Internet, nous plonge dans l&rsquo;immat&eacute;rialit&eacute; du support. Non fix&eacute;, transitoire, &eacute;ph&eacute;m&egrave;re, insaisissable, monde du flux, du fluide, parti aussit&ocirc;t que saisi. [&hellip;] &nbsp;Nous serions plong&eacute; dans un &eacute;ternel pr&eacute;sent<a href="#note3a"><strong>[3]</strong></a>.&raquo;</p> <p>L&rsquo;oubli comme modalit&eacute; de l&rsquo;agir ouvre &agrave; une fictionnalisation de l&rsquo;exp&eacute;rience, &agrave; une invention de tous les instants propos&eacute;e comme principe de coh&eacute;rence et comme ontologie. Et l&rsquo;univers d&eacute;r&eacute;alis&eacute; du cyberespace semble un environnement id&eacute;al pour en permettre le d&eacute;ploiement. Il nous dit &agrave; tout le moins que nous existons &agrave; la crois&eacute;e de flux&nbsp;: flux interne de la pens&eacute;e (musement), flux informationnel d&rsquo;un r&eacute;seau accessible depuis un &eacute;cran d&rsquo;ordinateur (cyberespace). Or, il importe dans ce contexte, comme le sugg&egrave;re Chatonsky, &laquo;de voir pour quelle raison aujourd&rsquo;hui le flux de notre conscience est comme r&eacute;v&eacute;l&eacute; par les flux technologiques et de quelle fa&ccedil;on ils sont devenus ins&eacute;parables dans le mouvement m&ecirc;me qui les diff&eacute;rencie<a href="#note4a"><strong>[4]</strong></a>.&raquo; </p> <p>Traduction, variation, labilit&eacute; et oubli&nbsp;: ce sont l&agrave; certains des fondements de notre exp&eacute;rience du cyberespace et de la cyberculture &agrave; laquelle il donne lieu. Ils dessinent une nouvelle r&eacute;alit&eacute; culturelle et sociale, une nouvelle interface, c&rsquo;est donc dire un nouvel imaginaire. </p> <hr /> <a name="note1a"><strong>[1]</strong></a> William Gibson, <em>The Neuromancer</em>, texte disponible en ligne &agrave; l'adresse suivante: <a href="http://project.cyberpunk.ru/lib/neuromancer/" title="http://project.cyberpunk.ru/lib/neuromancer/">http://project.cyberpunk.ru/lib/neuromancer/</a> (site consult&eacute; le 25 octobre 2010). <br /> <a name="note2a"><strong>[2]</strong></a> Peter Lunenfeld, <em>The Digital Dialectif&nbsp;:&nbsp;New Essays on New Media</em>, Massachussetts/London, MIT Press, 1999, p. 10; Je traduis.<br /> <a name="note3a"><strong>[3]</strong></a> R&eacute;gine Robin, <em>La m&eacute;moire satur&eacute;e</em>, Paris, Stock, 2003, p. 412, 415.<br /> <a name="note4a"><strong>[4]</strong></a> Gr&eacute;gory Chantonsky, &laquo;Flux, entre fiction et narration&raquo;, texte disponible en ligne &agrave; l'adresse suivante : <a href="http://incident.net/users/gregory/wordpress/19-flux-entre-fiction-et-narration/" title="http://incident.net/users/gregory/wordpress/19-flux-entre-fiction-et-narration/">http://incident.net/users/gregory/wordpress/19-flux-entre-fiction-et-nar...</a> (site consult&eacute; le 25 octobre 2010). <hr /> http://salondouble.contemporain.info/antichambre/le-cyberespace-principes-et-esthetiques#comments Culture de l'écran Cyberespace Esthétique Flux GERVAIS, Bertrand GIBSON, William Identité Imaginaire médiatique Imaginaire technologique LUNENFELD, Peter Média Oubli PYNCHON, Thomas RICOEUR, Paul ROBIN, Régine TISSERON, Serge Écrits théoriques Mon, 01 Nov 2010 13:20:15 +0000 Bertrand Gervais 281 at http://salondouble.contemporain.info