Salon double - Hypermédia http://salondouble.contemporain.info/taxonomy/term/632/0 fr Les nouveaux salons http://salondouble.contemporain.info/antichambre/les-nouveaux-salons <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/dufour-genevieve">Dufour, Geneviève</a> </div> <div class="field-item even"> <a href="/equipe/landry-pierre-luc">Landry, Pierre-Luc </a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-text field-field-soustitre"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> Étude de la sociabilité des blogues «littéraires» </div> </div> </div> <!--break--><!--break--><p><br />Une littérature s’élabore en parallèle, voire en marge, de l’institution traditionnelle. La tablette numérique devient un des nouveaux outils de lecture; les archives passent au numérique; le domaine de l’édition suit également cette tangente, sans compter toutes ces oeuvres qui s’ébauchent, se peaufinent et s’écrivent dans cet espace virtuel que l’on nomme la blogosphère. Cette littérature peut-elle être étudiée à l’aide des mêmes outils d’analyse convoqués généralement en études littéraires? Peut-on qualifier ses actants d’&nbsp;«écrivains» si ceux-ci ne jouissent d’aucun statut légitime? Partant de l’idée que le livre, dans son format papier, demeure la représentation la plus tangible de cette légitimation, les blogueurs semblent confinés, d’emblée, à un champ périphérique de la littérature puisque leurs écrits échappent aux procédés de reconnaissance traditionnels. En fait, notre hypothèse de travail est la suivante: il semble que la fonction de reconnaissance conventionnellement associée à l’institution littéraire (entendre ici: le processus d’édition par lequel transite un texte publié, la réception critique et académique de l’œuvre, les prix littéraires, etc.) soit prise en charge, dans le cas des blogues<strong><a name="note 1"></a><a href="#note%201a">[1]</a></strong> littéraires, par des instances informelles à la fois disséminées et organisées que nous nommons le réseau de sociabilité, manifestation empirique la plus aisément repérable.<br /><br />Bien qu’elle ne transite par aucun processus de sélection et de publication, l’écriture des blogues littéraires parvient tout de même à acquérir une certaine forme de reconnaissance. Celle-ci, de nature entre autres symbolique, se sédimente par l’établissement d’un réseau distinct et élargi; la marque la plus évidente de ce réseautage est la liste de liens menant vers d’autres blogues dont se dotent la plupart des écrivains —le <em>blogroll</em>. À la lumière du concept de sociabilité littéraire défendu par Michel Lacroix et Guillaume Pinson (2006), notamment, nous verrons au cours de ce texte comment se construisent les trajectoires des blogueurs en quête de légitimation. La blogosphère représente un espace de consécration semblable aux salons littéraires français de l’époque des Lumières; sous le mode de la représentation de soi (voire de la mise en scène), les salons comme le monde des blogues littéraires agissent à titre d’&nbsp;«institution de sociabilité» (Lilti, 2005: 85). Plutôt que d’établir une reconnaissance critique sur le plan littéraire, il semble que, dans une sphère comme dans l’autre, on se situe dans un régime de complaisance et de politesse. Au centre d’un réseau et forcés, par le fait même, de se plier à l’«esprit de société» (Lilti, 2005: 333), les blogueurs s’inscrivent dans une forme de sociabilité privilégiant le consensus et le divertissement. Et en cela ils n’appellent pas à une évaluation esthétique de leurs écrits, mais ils invitent généralement au dialogue et à l’adhésion par les pairs. C’est ce phénomène que nous analyserons dans ce texte.<br /><br /><span style="color: rgb(105, 105, 105);"><strong>Le blogue «littéraire» existe-t-il vraiment?</strong></span><br />Il existe bel et bien des procédés de reconnaissance dans la blogosphère, quoique ceux-ci s’élaborent de manière officieuse, sans flûtes ni champagne. Toutefois, avant de circonscrire les processus de légitimation, précisons d’abord ce en quoi consiste le blogue littéraire, de même que le blogue dans son acception la plus élémentaire. Jill Walker, dans son ouvrage <em>Blogging</em>, explique que le terme «blogue» est une contraction des mots «Web» et «log». Ce dernier terme est emprunté au domaine de la navigation, rappelant ainsi le fait de naviguer sur la Toile, image communément employée dans le discours courant. «Log», plus précisément, désigne le livre de registre dans lequel les marins inscrivent les événements de la journée (Walker, 2008: 18). Le terme «blogue» réfère donc au caractère quotidien de l’écriture, à la notation des faits et anecdotes consignés jour après jour, sur Internet. Le blogue est généralement rédigé par une seule personne qui s’exprime de manière subjective sur des sujets divers. «Souvent annoncé comme un genre nouveau, mais difficilement unifiable sous son évidente diversité» (Couleau et Hellégouarc’h, 2010: 10), le blogue pose nécessairement la question du genre:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p><span style="color: rgb(105, 105, 105);">Qu’il y ait un phénomène social et médiatique des blogs ne fait aucun doute; mais si l’on se demande ce que recouvre ce phénomène, on est gêné parce qu’à cette pratique, il est difficile d’attribuer des caractéristiques génériques. On remarque, d’une part, une tendance à définir le blog comme un «journal personnel en ligne», et d’autre part, on peut être frappé par le nombre important de blogs qui ne relèvent pas de cette qualification générique. On a affaire à des actions de publication et de médiatisation, c’est une certitude; mais la question me semble se poser de savoir si ces pratiques sont appréhendables comme une pratique générique, c’est-à-dire de savoir si elles sont subsumables sous une seule catégorie textuelle (Candel, 2010: 23).</span></p> </blockquote> <p>Étienne Candel suggère de considérer le blogue non pas comme un genre, donc, mais plutôt comme une <em>forme éditoriale</em> (2010: 26). Marie-Ève Thérenty suggère «quatre contraintes nécessaires» pour définir le blogue: «diffusion sur le Web, écriture à la première personne, parcours rétrochronologique, écriture séquencée ou fragmentée» (2010: 54-55). Le blogue diffère donc du site personnel en raison de la potentialité communicative inscrite dans la démarche: c’est le commentaire, véritablement, qui fait le blogue.<br /><br />Le blogue littéraire, quant à lui, semble plus difficile à repérer à cause de son statut littéraire, justement, puisqu’on peut croire que le qualificatif renvoie nécessairement à un jugement de valeur. Et cela&nbsp;nous mène à l’épineuse question: mais qu’est-ce que la littérarité? Qui plus est, le réflexe courant est d’interroger le talent et la solidité des auteurs qui se manifestent dans la blogosphère. Bien qu’en littérature, généralement, on évite de parler de l’intention de l’auteur, dans le cas du blogue, il est d’ordinaire aisé de repérer le projet qui sous-tend l’écriture. Régulièrement, son auteur affiche sur l’interface principale ou dans une interface secondaire l’objectif de son entreprise. Mais s’en remettre exclusivement aux dires de l’auteur est une méthode incertaine, car ne devient pas écrivain qui le veut et qui le formule explicitement. Nous ne parlerons donc pas ici des blogues rédigés par des écrivains reconnus, qu’on pense à ceux de François Bon, Pierre Assouline, Alain Mabanckou ou, chez nous, à ceux de Catherine Mavrikakis et de Christian Mistral, par exemple. Ceux-ci occupent certainement une place de choix sur la blogosphère; leur reconnaissance ne passe pas par la sociabilité virtuelle puisqu’elle est déjà établie par l’institution littéraire officielle. Plus sûrement, on peut faire entrer dans la catégorie littéraire les blogues qui ont pour sujet la littérature et son actualité. Il s’agit d’ailleurs de la définition proposée par<em> Le grand dictionnaire terminologique </em>de l’Office québécois de la langue française (<a href="http://www.granddictionnaire.com/BTML/FRA/r_Motclef/index800_1.asp" target="_blank">en ligne</a>). Cette définition a toutefois le désavantage de réunir sous une seule étiquette les blogues qui <em>se veulent</em> littéraires et les blogues qui <em>s’intéressent</em> à la littérature. C’est-à-dire que ne répondent pas aux mêmes usages et aux mêmes objectifs, à notre avis, les blogues critiques, qui proposent à leurs lecteurs des commentaires maisons et qui font désormais concurrence aux critiques professionnels écrivant traditionnellement dans les périodiques, et les blogues plus «personnels», dirions-nous, que l’on pourrait qualifier de journaux «extimes» (Allard, 2005). En effet, en y regardant de plus près, plusieurs blogues s’apparentent à des carnets d’écriture sans nécessairement traiter de manière directe de la littérature; ces blogues sont davantage de l’ordre du cahier de notes, où s’élaborent des récits tantôt fictionnels, tantôt autobiographiques, où s’échafaudent des réflexions personnelles, sociales, littéraires, etc. D’ailleurs, comme il est fréquent que chaque entrée soit datée, on pourrait aussi les rapprocher de l’écriture diaristique. Mais qu’est-ce qui fait de ces «journaux personnels en ligne» un objet nommément littéraire? Ne pourrait-on pas, à la limite, considérer une suite de statuts publiés sur <em>Facebook</em> comme étant un objet littéraire? Pourquoi cet intérêt de la critique —dont nous sommes, visiblement!— envers les blogues et non pas envers les actes de langage de <em>tous</em> les réseaux sociaux? Le blogue, en réalité, est lui aussi un réseau social —et c’est ce que nous montrerons dans les parties subséquentes de ce texte<a name="note 2"></a><a href="#note%202a"><strong>[2]</strong></a>.<br /><br />En tant qu’acte social, le blogue résiste à la littérarité; c’est ce qu’affirme Alexandre Gefen:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p><span style="color: rgb(105, 105, 105);">Bloguer serait d’abord un acte social, directement ou indirectement performatif qui, de fait, ne s’inscrit que difficilement dans les critères définitoires de la «littérature littéraire»: faiblement contractualisée et possédant sa sphère référentielle propre, l’écriture par blog résiste à l’opposition fait/fiction (critère de fictionnalité) qui pourrait la faire admettre dans le corpus littéraire traditionnel; formalisée par réaction à des contraintes technologiques exogènes, elle peine à opérer cette ostentation du signifiant et cette dénudation des procédés qui la qualifieraient de littéraire par diction. Ainsi, rares sont les études ayant fait du blog un genre littéraire en soi (c’est-à-dire, et quelle que soit la définition du genre que l’on retienne, une forme matrice de sens), y compris dans le monde anglo-saxon, pourtant ouvert à une théorie large des médias et attentif au pouvoir configurant des supports textuels (2010: 156).</span><br />&nbsp;</p> </blockquote> <p>La critique actuelle semble accepter d’emblée l’appellation «blogue littéraire» comme si elle allait de soi. Cela nous agace, car on semble accepter d’emblée comme littéraire des oeuvres aussi diverses que le blogue d’un étudiant en littérature qui aspire au métier d’écrivain ou le journal personnel en ligne d’une nouvelle maman qui chronique son quotidien, par exemple —cela dit sans aucun jugement de valeur concernant l’intérêt de ces démarches, qui sont toutes les deux courantes. Évelyne Broudoux remarque une «dualité autoritative» chez certains blogueurs, ce qui pourrait nous mettre sur la piste des critères faisant d’un blogue un blogue <em>littéraire</em>:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p><span style="color: rgb(105, 105, 105);">La dualité autoritative est rendue visible sur un certain nombres de blogs issus d’horizons variés (personnels, politiques, littéraires, scientifiques, etc.). Une oscillation se laisse effectivement observer entre le «placement de soi» dans un espace social et un domaine d’activités et la «production d’un contenu original» attribuable à un auteur. En effet, ces blogs se laissent reconnaître à leurs prises de position, aux interprétations diverses qui rythment les contributions. Et il est quelquefois difficile de distinguer ce qui au fond motive leur auteur: être reconnu dans un champ pour ses qualités personnelles ou bien produire et créer des objets dont la valeur sera appréciée par un public constitué de néophytes ou d’experts. Doit-on prendre ces manifestations pour des affirmations d’auteurs en manque de légitimité ou s’agit-il «simplement» d’une construction auctoriale classique, à partir de laquelle l’auteur est en mesure de laisser l’exprimer l’écrivain? (2010: 33)</span><br />&nbsp;</p> </blockquote> <p>La littérarité du blogue passerait donc inévitablement par l’intention de son auteur; cette conclusion nous semble pourtant contre-intuitive: la méthode critique de Sainte-Beuve a déjà été décriée et un retour à l’intentionnisme et à la psychologie de l’auteur ne nous semble pas productif —ni souhaitable. Thérenty décrit dans un article ce qu’elle appelle «l’effet-blog en littérature», écartant ainsi le critère de l’intention de l’auteur. Cet effet serait peut-être plus approprié qu’un discours sur les motivations d’écriture pour parler des blogues littéraires. Selon elle, «[l]e premier effet du blog [littéraire] est d’entraîner à une écriture de la subjectivité. Le blog contraint à l’écriture à la première personne et il permet à l’écrivain, même habitué à une écriture impersonnelle, une exploration des limites du moi, sans d’ailleurs que cette quête ne prenne forcément la forme d’une écriture autobiographique» (2010: 58). La seule contrainte de cette écriture du moi serait celle du fragment. L’effet-blogue se fait sentir dans «[l’]indécision, [l’]hésitation entre l’écriture autobiographique et le décollage fictionnel […] [et] invite à écrire sur ce qui est répétitif (l’habitude), sur ce qui est anodin (la banalité, le prosaïque) et sur le détail (l’infime et l’intime)» (2010: 59). Pour d’autres, c’est davantage l’autoréférentialité qui détermine le blogue littéraire. Broudoux suggère d’ailleurs que l’autopublication «facilite et amplifie l’autoréférence»:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p><span style="color: rgb(105, 105, 105);">En effet, l’éditeur qui est le garant de la qualité des textes est aussi le garant des genres publiés. En dehors du genre autofictionnel, les incartades de la personne écrivante dans le texte d’auteur publié sont rarement admises. Il y a donc [avec les blogues] éclatement des genres traditionnels.<br />Ce sont surtout les jeunes intellectuel-le-s qui vont se servir du blog comme d’un espace servant à la construction et à la gestion fine de leur identité: étudiants, jeunes journalistes, artistes ou écrivains, sont susceptibles de jouer avec leur identité, par de multiples détournements passant quelquefois par l’anonymat (2010: 39).</span></p> </blockquote> <p>Le blogue littéraire est donc un amalgame de plusieurs types d’écriture à la fois; il privilégie rarement une direction seule et unique, et c’est ce qui le rend si difficile d’approche. L’entreprise est associée, pour plusieurs, à une quête narcissique. Certains y voient une volonté excessive de communiquer, de se manifester. Retenons à ce sujet le commentaire de Cory Ondrejka, recueilli par Jill Walker dans son ouvrage <em>Blogging</em>. Ce technicien en chef chez <em>Second Life</em> (un site où l’on peut créer un avatar et incarner un personnage dans un monde virtuel) rapproche l’entreprise du blogue à une prise de parole comparable au fait de se rendre sur la plus haute montagne et de crier dans un porte-voix (Walker, 2008: 66). Mais prise à rebours, cette idée ne semble pas s’appliquer parfaitement. On peut associer cette volonté d’expression à un effet escompté, à un désir de communiquer, davantage qu’à un résultat concret puisqu’en réalité, la voix du blogueur, bien qu’elle semble se projeter de manière éhontée, se confond dans la cacophonie ambiante. La blogosphère est vaste. Et pour filer la métaphore encore un peu, nous dirons que la blogosphère offre un paysage infini et bruyant, composé de plusieurs chaînes de montagnes et d’une pluralité de voix s’élançant toutes dans un même lieu. La blogosphère est une suite sans fin de confessions; pour reprendre en d’autres mots l’idée de Geert Lovink dans son article «Blogging, the Nihilist Impulse» (2007: 4), la blogosphère est une parole jamais tue.<br /><br /><span style="color: rgb(105, 105, 105);"><strong>Le caractère social du blogue</strong></span><br />Cette image proposée par Ondrejka mène à mettre en évidence le caractère social du blogue, qui doit être envisagé comme étant partie intégrante d’un tout. Cependant, il est vrai que celui qui écrit ne s’adresse pas forcément à son lecteur. Celui-ci est invisible, souvent inconnu, et ne figure pas toujours parmi le réseau des connaissances immédiates de l’auteur du blogue. Il est vrai également que les discussions échangées entre le blogueur et son lecteur ne peuvent se dérouler de façon synchronique comme c’est le cas lors d’une conversation réelle entre deux interlocuteurs. Il existe en effet une sorte de zone tampon temporelle entre le moment de l’écriture et la réaction du lecteur qui sépare inévitablement les échanges. Or, malgré cette distance entre les différents agents de la blogosphère, des interactions se développent entre les blogues, créant ainsi une communauté. Plus précisément, c’est tout un réseau de sociabilité qui se construit, support symbolique fort utile dans l’établissement de la légitimation de la pratique du blogue littéraire. Comme l’affirme Michel Lacroix dans son article&nbsp;«Littérature, analyse de réseaux et centralité: esquisse d’une théorisation du lien social concret en littérature», «[t]oute solitaire que puisse être l’écriture, le monde littéraire, lui, est éminemment social, pétri d’interrelations entre les multiples acteurs qui l’habitent et lui donnent vie» (2003: 475).<br /><br />Malgré cette sociabilité, le blogue littéraire déboucherait «sur une culture du “happy few”, en suggérant la création de communautés restreinte d’auteurs et de lecteurs»:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p><span style="color: rgb(105, 105, 105);">Les paroles de connaisseurs, le lexique renouvelé par des néologismes ou émaillé par des <em>gimmicks</em> fonctionnent comme des signes de reconnaissance. Les «niches» se multiplient sur le net, tandis que le libre jeu sur les identités pseudonymiques, les indices de connivence construisent un espace relationnel à géométrie variable (Couleau et Hellégouarc’h, 2010: 8).</span></p> </blockquote> <p>L’utilisation de pseudonymes est d’ailleurs symptomatique des limitations de cette sociabilité. Olivier Trédan suggère que les blogueurs tentent de reconstruire un «micro-monde» en publiant en ligne et cherchent à la fois à acquérir une certaine légitimité et à choisir les frontières de leur identité numérique:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p><span style="color: rgb(105, 105, 105);">Une récurrence apparaît dans le parcours de blogueurs: le recours à un pseudonyme. […] [D]e prime abord, il s’agit d’un truisme, il permet de pointer le souci accordé à la préservation d’une relative autonomie à l’égard des autres cadres dans lesquels les individus sont amenés à intervenir (famille, travail, etc.). La raison de l’abandon de son espace de publication peut être attribuée à la découverte que des proches non ratifiés sont lecteurs assidus en dépit de ses efforts pour que l’espace de publication reste cantonné au seul cadre des interactions entre pairs. La gestion de cette tension, c’est-à-dire la capacité à n’être lu que par un public déterminé, apparaît comme un élément explicatif du maintien d’une activité de publication sur un temps relativement long (2010: 90).</span><br />&nbsp;</p> </blockquote> <p>Le blogue est donc, véritablement, un acte social, même si sa sociabilité est limitée par les modalités propres à la blogosphère. D’où l’intérêt, selon nous, d’aborder l’écriture sur blogue par le biais de son caractère grégaire, collectif, interindividuel.<br /><br /><span style="color: rgb(105, 105, 105);"><strong>Une pratique en quête de légitimité et de reconnaissance</strong></span><br />Les rapports entre blogueurs permettent d’atteindre une forme de&nbsp; reconnaissance. L’activité du lecteur participe au processus de création et d’évaluation du blogue. En effet, un des lieux de prédilection où le lecteur peut s’exprimer, lecteur qui est fréquemment un blogueur par la même occasion, c’est dans le commentaire. Ce bref message laissé à l’intention de l’auteur et de ses lecteurs agit à titre d’appréciation, mais également de carte de visite. Rares sont les blogues qui refusent de consentir à laisser cet espace ouvert aux lecteurs puisque c’est l’endroit par excellence pour se manifester, se montrer, se faire connaître de ses pairs. La procédure est simple: l’auteur du commentaire inscrit son nom et un message qu’il adresse au blogueur. L’identification n’a pas à être complète. Le pseudonyme, quoique métonymique et dénué d’ancrages dans la réalité, suffit à la tâche d’identifiant puisqu’il est rattaché à un autre blogue. L’identifiant a fonction de lien hypertextuel. Il a certes une fonction onomastique mais, plus encore, il représente une porte d’entrée qui mène vers un autre univers d’écriture. Cet espace personnel, le blogue, est souvent recréé à partir d’une présélection d’informations. On ne se dévoile pas entièrement, on remanie, on fictionnalise. En cliquant sur l’identifiant, on atteint l’espace d’écriture d’un autre blogueur et des liens de connivence peuvent ainsi s’établir. Des ponts sont créés. On découvre d’autres blogues et ces blogues peuvent se retrouver ensuite à figurer dans la liste des auteurs que l’on suit, dans le <em>blogroll</em>. Il existerait donc une manière d’institutionnalisation sur la blogosphère qui passe par le commentaire, comme le remarque Broudoux:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p><span style="color: rgb(105, 105, 105);">Ainsi aux côtés de l’auteur porté par l’éditeur, reconnu par les institutions culturelles, un nouveau profil commence à s’imposer: celui de l’auteur incarné dont la notoriété se mesure à l’amplitude de la conversation provoquée par ses billets, mesurable par les re-blogs, les citations, les «on aime», les «trackbacks», jusqu’à ce qu’il soit répertorié par les médias traditionnels (journaux, radios, télévision) et intégré dans la chaîne de l’autorité. Cet auteur disséminateur bâtit une œuvre-flux plutôt qu’un patrimoine, à partir d’objets remaniés, remixés, recomposés (2010: 42).</span></p> </blockquote> <p>Il existe d’ailleurs certains sites consacrés à cette mission d’institutionnalisation qui répertorient les blogues les plus populaires, qui organisent des galas récompensant les blogueurs (Gala Blogu'Or, Golden Blog Award, Blogger's Choice Award, etc.), des sites qui fournissent des listes de liens vers d’autres blogues, etc. Des «célébrités» de la Toile prennent la parole et agissent comme parrains de blogueurs émergeants en offrant sur leurs sites personnels des liens vers ces blogues qui seront, inévitablement, assaillis de visiteurs dès la publication de leur nom. Des outils comme <em>Google Analytics</em> permettent aux blogueurs de prendre le pouls de leur lectorat, de savoir quels mots-clés ont été entrés dans les moteurs de recherche pour accéder à leur site, quels billets ont été lus le plus souvent, d’où viennent les visiteurs, etc. De véritables niches sont en train de se créer dans lesquelles sont désormais définies <em>de l’intérieur</em> certaines pratiques de l’écriture sur blogue, dont celle du blogue littéraire.<br /><br />Même s’il est un peu vilain de le formuler ainsi, on peut penser que la fonction du commentaire n’est pas innocente. Ce dernier ne sert pas exclusivement à témoigner de son appréciation; il sert également des intérêts plus personnels. En effet, le commentaire est une trace, une manière de manifester sa présence sur la blogosphère. En fait, à bien y regarder, on se rend compte assez rapidement que les commentaires sont presque tous de l’ordre de l’échange sympathique. Rarement lit-on un message constructif à propos des billets publiés sur les blogues. Dans l’ensemble et de façon grossière, on pourrait dire que les commentaires se résument à prononcer des banalités sur un ton appréciatif. La légèreté de ces messages laisse croire que ce n’est pas tant l’essence du message qui importe, mais davantage le fait de laisser une trace, de marquer son territoire. À l’image des colonisateurs qui plantaient des drapeaux partout où ils avaient voyagé, le commentaire sert de balise visible signalant le passage d’un internaute dans l’espace virtuel d’un de ses pairs. Les échanges sont d’ailleurs généralement polis, comme s’ils étaient régis par des lois non écrites de bienséance. Trédan affirme même que «les commentaires sont le plus souvent compatissants, fournissant conseils et soutien à l’auteur lors de moments difficiles» (2010: 88). Il est vrai que la blogosphère est composée principalement d’écrivains parallèles non reconnus dans le «vrai» monde, et que ces derniers ne jouissent d’aucun statut véritable, d’aucune position privilégiée dans le champ. Tous les blogueurs sont sur le même pied d’égalité puisqu’aucun ne possède de véritable autorité qui le favoriserait par rapport à ses pairs. La faible teneur critique des commentaires et leur relative complaisance nous mènent à considérer les relations virtuelles entre blogueurs comme des relations mondaines.<br /><br /><span style="color: rgb(105, 105, 105);"><strong>Le salon revisité</strong></span><br />Dans le cadre d’un article examinant la pratique des blogues <em>girly</em>, pendant démocratisé du magazine féminin type <em>Vogue</em>, <em>Elle</em> et <em>Cosmo</em>, Barbara Sémel compare la nouvelle sociabilité issue de cette pratique à un nouveau «salon de thé»:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p><span style="color: rgb(105, 105, 105);">[L]e blog permet de créer une véritable interaction entre la blogueuse et ses lectrices. Une sociabilité s’installe: chaque blogueuse est aussi lectrice et les discussions ont parfois lieu simultanément sur plusieurs blogs avec des systèmes de coréférence et d’autoréférence. En lisant ces blogs au fil des jours, on peut observer comment, de billets en commentaires, le blog féminin se constitue en nouvel espace de sociabilité, en nouveau salon de thé. Les thèmes abordés se propagent rapidement dans le réseau, grâce notamment à un système de liens hypertextes que l’on trouve de manière ponctuelle dans le corps des billets et de manière plus pérenne dans les <em>blogrolls</em>, ces listes de blogs recommandés qui contribuent à la célébrité de certains blogs et peuvent propulser un petit nouveau très rapidement. Une «communication virale» s’opère qui repose sur ses propres codes langagiers (néologismes, périphrases, jeux de mots, surnoms, connivences dont la compréhension suppose une lecture suivie d’un certain nombre de blogs «recommandés»). Une culture du <em>happy few</em>, qui a l’avantage de ne pas exclure les lectrices néophytes, émerge à travers des billets qui comportent plusieurs niveaux de lecture (2010: 100).</span><br />&nbsp;</p> </blockquote> <p>Bien que Sémel traite dans son texte du blogue féminin dont les thèmes de prédilection seraient le maquillage, la mode, les régimes minceur, les potins de stars, etc. —le portrait est rapidement dressé—, il nous semble que ces considérations sur la sociabilité du blogue peuvent s’appliquer sans grand déplacement au blogue «littéraire»; plutôt que de reproduire les conduites attendues dans un <em>salon de thé</em>, le blogue littéraire s’apparente beaucoup au <em>salon littéraire</em> du siècle des Lumières. Le salon littéraire était lui aussi une institution de sociabilité regroupant des gens afin de converser et de se distraire. Comme le blogueur, l’auteur de salon évolue dans un milieu régi par le consensus. Lilti explique le fonctionnement de ces rencontres:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p><span style="color: rgb(105, 105, 105);">L’auteur qui lit une pièce ou un poème dans un salon n’entend pas le soumettre à la critique, mais il en attend des compliments et des applaudissements, ainsi qu’un soutien dans les conversations mondaines. Ce serait une faute de l’en priver, car il s’agit d’abord pour les auditeurs de se conformer aux normes mondaines, qui ne sont pas celles de la critique intellectuelle, mais celles de la politesse et de la complaisance (2005: 330).</span></p> </blockquote> <p>Le blogue fonctionne à peu de choses près comme le salon littéraire de l’époque: même si personne ne se rencontre de manière réelle —sinon lors des rencontres en chair et en os organisées par des associations régionales comme le célèbre <a href="http://yulblog.org/fr/content/cest-quoi-yulblog" target="_blank">Yulblog</a>—, la blogosphère est un espace où se rassemblent des écrivains patentés qui souhaitent faire entendre leur voix, qui souhaitent s’exprimer et recevoir une rétroaction somme toute bienveillante. Pourquoi les blogueurs se critiqueraient-ils entre eux ouvertement s’ils sont tous au même niveau, si aucun d’entre eux n’a d’autorité sur les autres? Lilti va plus loin encore en précisant que le but du divertissement mondain n’est pas de susciter la controverse mais, au contraire, de favoriser l’adhésion, d’attirer les applaudissements:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p><span style="color: rgb(105, 105, 105);">La réaction des auditeurs, dans une lecture de société, est donc dictée avant tout par les règles minimales de politesse qui imposent de féliciter l’auteur et d’applaudir. Les compliments sont la contrepartie attendue du divertissement que l’auteur a offert, car les auditeurs ne sont pas en position de juges ou de critiques, mais participent à un divertissement de société, au sein duquel il convient avant tout de se plaire mutuellement et d’éviter toute tension (2005: 330).</span></p> </blockquote> <p>Ce ne sont pas des applaudissements que recueille le blogueur, mais plutôt des commentaires, qui sont pour la plupart assez convenus et agréables. Dans la blogosphère règne un climat généralement harmonieux. Le consensus est ordinairement à l’honneur. La véhémence n’est pas au nombre des normes implicites qui régissent les interactions entre blogueurs. Ce que mentionne Lilti à propos de la sociabilité mondaine s’adapte bien à l’univers des blogues:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p><span style="color: rgb(105, 105, 105);">Les contraintes qui pèsent […] sur le jugement sont moins celles d’une norme sociale du goût, que les individus auraient incorporées et qui dicterait inconsciemment leur réaction, que celles qu’impose une forme de sociabilité: les règles de politesse mondaine, et les effets de l’imitation. […] Ce sont des jugements de société, qui ne reposent pas sur un usage public et critique de la raison mais sur l’exercice d’une compétence sociale et culturelle, celle de la politesse mondaine (2005: 334).</span></p> </blockquote> <p>Comme à la cour et dans les sociétés mondaines en général, ce n’est pas tant le commentaire en lui-même qui prime, mais le commentaire en tant que marque de sociabilité, en tant que marque d’adhésion, en tant qu’appui social et symbolique à l’entreprise littéraire de ses pairs. Le commentaire est une mise en scène de cette adhésion. Il est une matérialisation de la reconnaissance. Lacroix précise que les outils convoqués pour étudier les réseaux de sociabilité, comme le commentaire, sont des objets d’analyse à traiter avec parcimonie parce qu’ils sont, eux-mêmes, l’incarnation non objective d’une sociabilité:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p><span style="color: rgb(105, 105, 105);">Les réseaux ne sont jamais accessibles qu’au travers de représentations, lesquelles sont autant de points de vue subjectifs sur les réseaux à l’étude. Les travaux sur l’épistolaire, entre autres, l’on en effet mis en évidence: il n’existe pas de source «objective», de document neutre en ce qui concerne les relations entre individus; qu’ils soient médiés par l’écrit ou l’image, ils ont été produits par un individu ou un groupe d’individus dans un contexte particulier, avec des objectifs particuliers, il y a eu médiatisation, re-présentation des relations au moyen du texte ou d’un autre support. Ainsi, si la lettre est le signe d’une relation concrète entre individus, elle est aussi sa mise en scène, sa représentation dans le cadre du genre épistolaire (2003: 484).</span></p> </blockquote> <p>Si le commentaire est, à l’image de la lettre, un signe qui représente le lien de sociabilité établi entre deux interlocuteurs, il est toutefois une mise en scène minimale des liens qui unissent les blogueurs entre eux. En effet, les commentaires sont relativement brefs, n’excédant guère plus que cinquante mots. Dans la plupart des cas, on peut même dire que les commentaires se résument à une dizaine de mots, à une impression fugitive. Cette brièveté n’est pas étrangère aux formulations langagières abrégées utilisées dans les réseaux sociaux que sont <em>Facebook</em> et <em>Twitter</em>, par exemple, ou encore à la manière du clavardage et des messages textes envoyés par les téléphones portables. On pourrait donc penser que les commentaires, si l’on pousse l’idée de leur caractère bienséant et de la pauvreté de leur contenu, ne sont que la marque d’une sociabilité et rien d’autre. Or, une telle conclusion serait rapide. Le commentaire, quoique pauvre en soi sur le plan du contenu, permet justement d’établir des points de contact entre les différents agents de la blogosphère et de construire ainsi une communauté menant, ultimement, à une légitimation de l’écriture. La reconnaissance par les pairs est essentielle dans le processus de légitimation bien que celui-ci, dans le cas des blogues, ait cours en dehors des cercles officiels. De plus, malgré la complaisance de ces échanges entre blogueurs, l’espace du commentaire est également occupé par les identités respectives des internautes. Ces derniers ne laissent pas seulement derrière eux un banal message d’appréciation: ils peuvent faire don également d’un univers littéraire par l’entremise de leurs pseudonymes qui auraient fonction d’hypertexte. L’identifiant renvoie directement à un autre espace d’écriture (un blogue), à un autre réseau de sociabilité, à un autre monde.<br /><br /><span style="color: rgb(105, 105, 105);"><strong>En guise de démonstration</strong></span><br />Un seul exemple tiré d’un de ces blogues littéraires permet de voir en quoi le parallèle avec le salon littéraire est intéressant et opératoire. Nous avons dit plus tôt, à la suite de Broudoux, que les jeunes intellectuels étaient ceux dont les blogues étaient le plus susceptibles d’être qualifiés de littéraires; l’exemple qui suit est tiré du blogue <em>Saint-Henri</em>, tenu par Clarence L’inspecteur, pseudonyme d’un candidat au doctorat en études littéraires à l’UQÀM proche du <em>Salon double</em><a name="note 3"></a><a href="#note%203a"><strong>[3]</strong></a> et dont nous ne révélerons pas la véritable identité, par respect pour son anonymat (si tant est que l’anonymat soit possible dans le milieu très restreint des études supérieures en littérature au Québec!):</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p><span style="color: rgb(105, 105, 105);">Ça fait maintenant plus d'une semaine que je n'ai rien écrit ici, ce qui me fait me questionner sur la pertinence de cet espace, dans ma vie, dans la tienne, dans la vie des autres. Je ne sais plus vraiment quoi faire avec Saint-Henri, à part le maintenir en vie. Remarque, j'ai jamais vraiment su où je m'en allais avec ça. Je sais pas non plus d'où vient mon relâchement. L'année dernière j'écrivais tous les jours. Peut-être que je suis influencé par le fait que mon blogroll (par définition les gens que je lis le plus et qui me lisent en retour) semble être sur le respirateur artificiel. L'année dernière il me semble que je jouais dans une cour d'école pleine de petits culs vraiment enthousiastes. Et là, tout le monde a gradué ou je sais pas, tout le monde s'est rendu compte qu'il y avait un McDo de l'autre côté de la rue faque tout le monde passe la récré au complet au McDo à se manger des gangbang pis y a pu personne pour&nbsp;<a href="http://sainthenri.blogspot.com/2010/04/boule-de-neige.html" target="_blank">jouer à tag</a>&nbsp;ou aux quatre coins. En même temps, c'est même pas vrai: y a encore plein de monde, faut juste les trouver. C'est moi qui est rendu trop paresseux.&nbsp;<a href="http://salondouble.contemporain.info/antichambre/une-litt-rature-qui-ne-se-poss-de-pas" target="_blank">Là-bas</a>, ils préparent une grosse conférence sur l'univers des blogues. L'année dernière, j'aurais participé avec passion, j'aurais même participé sous mon pseudonyme, avec un chapeau pis tout, pour ajouter à l'illusion pis à la magie. Mais non, la magie c'était l'année passée. L'année passé [sic], on écrivait des&nbsp;<a href="http://sainthenri.blogspot.com/2010/07/la-mort-dun-soubresaut-ix.html" target="_blank">récits communs en épisodes multiples</a>, qui tournaient autour de la mort de l'un d'entre nous. L'année passée on écrivait des&nbsp;<a href="http://toujourstropbon.blogspot.com/" target="_blank">hommages virtuels en gang à la grande littérature française</a>. Maintenant, on se rabat sur Twitter, qui nous apprend plein d'affaires, et surtout à ne plus écrire aucun mot au complet (2011: [<a href="http://sainthenri.blogspot.com/2011/06/preguica.html" target="_blank">en ligne</a>]).</span></p> </blockquote> <p>Ce billet exprime, bien qu’en négatif, l’interaction entre les blogueurs typique du champ qui est en train de se former: on trouve dans le billet toute une série de liens hypertextes pointant vers d’autres billets, d’autres sites et d’autres blogues dont l’auteur et ses lecteurs (eux aussi blogueurs) peuvent se reconnaître. On voit que des thèmes se sont diffusés au sein de son réseau de sociabilité et que des projets menés en collégialité<a name="note 4"></a><a href="#note%204a"><strong>[4]</strong></a> ont émergé de la pratique du blogue de ce réseau en particulier. L’auteur fait référence à la liste des blogues «amis», la <em>blogroll</em>, qui agit comme support à une communication virale typique de la blogosphère où le lecteur d’un site pointe vers ce site sur le sien et, en échange, l’auteur du site lui retourne la faveur, et ainsi de suite —l’explication est alambiquée mais le concept est plutôt simple. Toutes ces références sont destinées évidemment aux <em>happy few</em>, à ceux qui sont concernés par ces projets, par ces jeux littéraires ayant cours sur le blogue <em>Saint-Henri</em> et sur ceux du réseau de Clarence L’inspecteur. Cela n’empêche pas les lecteurs non-avertis, les néophytes, de cliquer sur les liens et de remonter la ligne du temps pour prendre connaissance de ces jeux dont ils ignoraient l’existence. N’empêche que ce billet illustre fort bien l’esprit de salon qui règne sur la blogosphère. De plus, les commentaires suscités par ce billet sont en général écrits sur le même ton: une nostalgie de cet «âge d’or» où le réseau était véritablement vivant.<br /><br />I<span style="color: rgb(105, 105, 105);"><strong>l n’y a pas eu de nouvelle révolution</strong></span><br />Si le blogue «emprunte» autant à la dynamique des salons (littéraires ou de thé), il y aurait lieu de penser, à la suite de Thérenty, qu’il ne s’agirait donc pas à proprement parler d’une <em>nouvelle</em> révolution, mais bien plutôt du prolongement de la révolution médiatique entamée au XIXe siècle:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p><span style="color: rgb(105, 105, 105);">Un certain nombre d’effets engendrés par l’écriture sur blog relèvent moins de la révolution numérique que de la révolution médiatique et notamment tout ce qui relève de la quotidienneté, de la périodicité et du recueil. Le support web a permis de prolonger cette poétique inventée au XIXe siècle avec la révolution médiatique (2010: 61).</span></p> </blockquote> <p>Nous ne nions pas le fait qu’il y a dans le blogue un potentiel que l’on pourrait qualifier de révolutionnaire. À cet effet, d’ailleurs, il faut lire le texte d’Amélie Paquet paru récemment dans <em>Salon double</em> et traitant lui aussi du blogue littéraire. «À chaque fois que la culture libre fait un pas en arrière, [écrit-elle,] je me dis que nous avons raté notre chance. Internet aurait pu sauver le monde, mais il ne le sauvera pas. Les blogues littéraires ne pourront rien pour le sort du monde» (2011: [<a href="http://salondouble.contemporain.info/antichambre/une-litt-rature-qui-ne-se-poss-de-pas" target="_blank">en ligne</a>]). Paquet estime que les blogueurs ont manqué leur chance, celle de changer le monde par la culture libre. Thérenty, pour sa part, souhaite de la part des commentateurs du Web un peu de retenue, de «prudence historique», lorsqu’ils examinent le phénomène des blogues:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p><span style="color: rgb(105, 105, 105);">Par ailleurs, ces observations voudraient inviter aussi les commentateurs enthousiastes du Web à un peu de prudence historique. Les conséquences de l’entrée de la civilisation dans l’ère médiatique au XIXe siècle n’ont quasiment pas été étudiées pour la littérature; il ne faudrait pas pour autant imputer au Web l’invention de phénomènes qui lui sont bien antérieurs et qu’il amplifie et renouvelle comme l’écriture du quotidien, le travail sur le fragment, le jeu sur les frontières entre référence et fiction… (2010: 61)</span></p> </blockquote> <p>Cette invitation n’est pas un pied de nez aux artisans du Web 2.0, au contraire: Thérenty souligne d’ailleurs que les blogues amplifient et renouvèlent des pratiques issues de la révolution médiatique du XIXe siècle. De la même manière, les blogues reprennent l’éthique et l’esthétique des salons tout en les adaptant à la nouvelle réalité qui leur permet d’exister. Il nous semblait toutefois important de montrer et d’exprimer clairement que la pratique de l’écriture sur blogue n’est pas surgie <em>ex nihilo</em>. C’est dans cette optique que nous rapportons les propos d’Oriane Deseilligny, qui rapproche les blogues à la pratique plus que centenaire des écritures de soi:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p><span style="color: rgb(105, 105, 105);">Certes, comme dispositif éditorial et communicationnel, le blog est bien sans précédent dans l’histoire des supports. Toutefois sur le plan discursif, il hérite de formes ancrées dans l’histoire longue de la culture écrite. […] [C]omme format spécifique de publication et comme structure de production textuelle préformatée, le blog réinvestit et automatise des formes textuelles, discursives et de communication écrite bien plus anciennes à l’écriture de soi (2010: 73-74).</span></p> </blockquote> <p><span style="color: rgb(105, 105, 105);"><strong>Une seconde oralité?</strong></span><br />Par ailleurs, le lecteur de blogue, bien qu’invisible et virtuel, possède un avantage que le lecteur courant n’a pas puisqu’il peut, comme c’est aussi le cas dans un salon littéraire, converser avec l’auteur. L’aspect communicationnel s’élabore de manière singulière dans le cas des blogues. Selon Walker, la venue du blogue est la résultante d’un retour de l’oralité dans nos sociétés. Reprenant les travaux de Walter J. Ong (1982), Walker se penche, dans <em>Blogging</em>, sur le passage de l’oralité à la littérature écrite pour mieux comprendre l’incidence culturelle du blogue. Ainsi, la transition qui s’est effectuée entre l’imprimé et les médias électroniques s’apparente à une seconde oralité. Il s’agit en quelque sorte d’un retour à une culture plus proche de celle de la Grèce antique que de l’ère post-Gutenberg. Le caractère oral du blogue lui vient de sa forme en constante modulation, de la langue qui y est déployée plus près du langage de tous les jours et de sa teneur sociale. Walker fait d’ailleurs un lien avec les travaux de Platon concernant le texte écrit qui représente, selon lui, une déresponsabilisation de l’auteur (2008: 65). Le texte écrit demeure silencieux devant les inflexions du lecteur. Il ne peut établir de communication entre l’auteur et le lecteur, ce que le blogue peut faire. Le lecteur de blogue peut adresser une question à l’auteur du billet qu’il vient de lire. L’auteur est en mesure de répondre aux interrogations de manière relativement instantanée, favorisant ainsi le dialogue entre les différents agents du discours, que ceux-ci soient en amont ou en aval du texte. Ce sont ces interactions qui font penser que le blogue est plus proche de la culture orale que de la culture de l’écrit. C’est à peu près ce qu’Isabelle Escolin-Contensou rapporte elle aussi, en citant d’autres penseurs de la communication:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p><span style="color: rgb(105, 105, 105);">Danah Boyd s’intéresse au blog en tant que processus de communication entre blogueurs tour à tour auteurs/orateurs et lecteurs/auditeurs. Elle assimile alors l’exercice du blog à celui du discours d’opinion tenu en public. Le blog emprunte ainsi des traits à la «seconde oralité»: autorité partagée, énonciation à la fois engagée, subjective et objective, et enfin agrégation et montage des éléments textuels (2010: 18).</span></p> </blockquote> <p>Cette seconde oralité redore également le blason de la blogosphère en présentant le commentaire certes comme un espace complaisant, mais plus encore comme l’incarnation matérielle de la responsabilisation de l’auteur par rapport à son discours, ce que le livre ne peut véritablement proposer et ce, même si cet auteur utilise un pseudonyme. Bien que l’on soit en présence d’une incarnation virtuelle, le blogueur se prononce de façon réelle. L’échange est public et visible. Or, contrairement aux autres manifestations issues d’une culture de l’oralité (donc non exposées aux technologies permettant de fixer sur bande des performances orales), le blogue possède une pérennité. Il allie la permanence du texte écrit à la responsabilité de l’œuvre orale. Comme le texte imprimé, le blogue offre une empreinte lisible de l’univers qu’il déploie, un univers auquel on peut aussi se référer ultérieurement. Il laisse également des traces visibles des réseaux de sociabilité qui s’élaborent entre les différents agents de ce milieu littéraire parallèle. Le blogue se situe donc à cheval sur deux traditions littéraires, l’oralité et l’écriture, jouissant ainsi de l’effet de responsabilisation de l’un et de la pérennité de l’autre.</p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> <p><strong><a name="note 1a"></a><a href="#note%201">[1]</a></strong> Nous orthographons «blogue» de cette manière puisqu’il s’agit de la francisation officielle du terme «blog» adoptée et recommandée par l’Office québécois de la langue française. Néanmoins, on retrouvera dans notre texte des occurrences de l’anglicisme «blog» puisque certains critiques, en France notamment, utilisent cette forme. La Commission générale de terminologie et de néologie a officialisé l’expression «bloc-notes» pour traiter du blogue, mais il y a là risque de confusion avec les autres acceptions du terme.</p> <p><a name="note 2a"></a><a href="#note%202"><strong>[2]</strong></a> Pourquoi alors considérer la blogosphère comme étant un bassin potentiel de littérature et non pas les autres réseaux? Nous ne prétendons pas détenir de réponse à cette question complexe, mais peut-être faudrait-il, à notre avis, explorer du côté du caractère <em>public</em> des blogues, accessibles généralement par tous (à moins d’être privé) et ainsi non réservés à un cercle «d’amis» comme peut l’être <em>Facebook</em>. Puisque, après tout, ce n’est pas la longueur qui détermine la littérarité: il existe déjà des études sur les productions littéraires sur <em>Twitter</em>, autre réseau social désormais célèbre, à l’origine d’ailleurs du néologisme <em>twitterature</em>. On pense entre autres à l’<a href="http://www.twittexte.com/ScriptorAdmin/scripto.asp?resultat=734326" target="_blank">Institut de twittérature comparée</a>, qui niche sur le web, ou encore au livre <em>Twitterature: The World’s Greatest Books in Twenty Tweets or Less</em> d’Alexandre Aciman et Emmett Rensin (2009).</p> <p><a name="note 3a"></a><a href="#note%203"><strong>[3]</strong></a> Il est d’ailleurs amusant de constater que <em>Salon double</em> flirte (peut-être) aussi avec le salon littéraire, par son nom, d’abord, puis par sa fonction, celle d’observer la littérature contemporaine et d’en discuter avec ses lecteurs et ses collaborateurs. Cette affirmation n’est toutefois guère plus qu’une opinion, puisque nous ne sommes pas en mesure de déterminer s’il existe une proximité réelle entre le projet de <em>Salon double</em> et celui du salon littéraire.</p> <p><a name="note 4a"></a><a href="#note%204"><strong>[4]</strong></a> Il y aurait là matière, d’ailleurs, à mettre ces projets élaborés en collégialité en parallèle avec tous les jeux organisés dans les salons littéraires du XVIIe siècle: concours de madrigal, hommages dissimulés à d’autres salonniers, etc. L’équivalent actuel serait sans doute les vases communicants, projet collectif entamant sa deuxième année et au sein duquel, une fois par mois, certains blogueurs permutent leurs blogues entre eux: l’un écrit sur le blogue de l’autre, et vice-versa. Les vases communicants sont répertoriés à chaque mois par de nombreux blogueurs, dont François Bon, ainsi que sur <em>Facebook</em> et <em>Twitter</em>.</p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> <p><span style="color: rgb(105, 105, 105);"><strong>Bibliographie</strong></span><br /><br />Alexandre ACIMAN et Emmett RENSIN (2009), <em>Twitterature: The World’s Greatest Books in Twenty Tweets of Less</em>, New York, Penguin.<br /><br />Laurence ALLARD (2005), «Termitières numériques: les blogs comme technologie agrégative de soi», dans <em>Multitudes</em>, no21: «Postmédia, réseaux, mises en commun», p.79-86.<br /><br />Danah BOYD (2004), «Broken Metaphors as Liminal Practices», [<a href="http://www.danah.org/papers/BrokenMetaphors.pdf" target="_blank">en ligne</a>]. [Texte cité par Isabelle Escolin-Contensou (2010)].<br /><br />Évelyne BROUDOUX (2010), «L’exercice autoritatif du blogueur et le genre éditorial du microblogging de Tumblr», dans Christèle COULEAU et Pascale HELLÉGOUARC'H [dir.], <em>Les blogs. Écritures d’un nouveau genre?</em>, Paris, L’Harmattan (Itinéraires. Littérature, textes, cultures, 2010, 2. Centre d’Étude des Nouveaux Espaces Littéraires, Université Paris 13), p.33-42.<br /><br />Étienne CANDEL (2010), «&nbsp;Penser la forme des blogs, entre générique et génétique&nbsp;», dans Christèle COULEAU et Pascale HELLÉGOUARC'H [dir.], <em>Les blogs. Écritures d’un nouveau genre?</em>, Paris, L’Harmattan (Itinéraires. Littérature, textes, cultures, 2010, 2. Centre d’Étude des Nouveaux Espaces Littéraires, Université Paris 13), p.23-31.<br /><br />CLARENCE L’INSPECTEUR (2011), «Saint-Henri: Preguiça», dans <em>Saint-Henri</em>, samedi le 25 juin 2011 [<a href="http://sainthenri.blogspot.com/2011/06/preguica.html" target="_blank">en ligne</a>]. (Page consultée le 14 juillet 2011).<br /><br />Christèle COULEAU et Pascale HELLÉGOUARC’H (2010), «Introduction», dans Christèle COULEAU et Pascale HELLÉGOUARC'H [dir.], <em>Les blogs. Écritures d’un nouveau genre?</em>, Paris, L’Harmattan (Itinéraires. Littérature, textes, cultures, 2010, 2. Centre d’Étude des Nouveaux Espaces Littéraires, Université Paris 13), p.7-12.<br /><br />Oriane DESEILLIGNY (2010), «Le blog intime au croisement des genres de l’écriture de soi», dans Christèle COULEAU et Pascale HELLÉGOUARC'H [dir.], <em>Les blogs. Écritures d’un nouveau genre?</em>, Paris, L’Harmattan (Itinéraires. Littérature, textes, cultures, 2010, 2. Centre d’Étude des Nouveaux Espaces Littéraires, Université Paris 13), p.73-82.<br /><br />Isabelle ESCOLIN-CONTENSOU (2010), «le blog, nouvel espace littéraire entre tradition et reterritorialisation», dans Christèle COULEAU et Pascale HELLÉGOUARC'H [dir.], <em>Les blogs. Écritures d’un nouveau genre?</em>, Paris, L’Harmattan (Itinéraires. Littérature, textes, cultures, 2010, 2. Centre d’Étude des Nouveaux Espaces Littéraires, Université Paris 13), p.13-22.<br /><br />Alexandre GEFEN (2010), «Ce que les réseaux font à la littérature. Réseaux sociaux, microblogging et création», dans Christèle COULEAU et Pascale HELLÉGOUARC'H [dir.], <em>Les blogs. Écritures d’un nouveau genre?</em>, Paris, L’Harmattan (Itinéraires. Littérature, textes, cultures, 2010, 2. Centre d’Étude des Nouveaux Espaces Littéraires, Université Paris 13), p.155-166.</p> <p>Institut de twittérature comparée, [<a href="http://www.twittexte.com/ScriptorAdmin/scripto.asp?resultat=734326" target="_blank">en ligne</a>]. (Page consultée le 3 août 2011).</p> <p>Michel LACROIX (2003), «Littérature, analyse de réseaux et centralité: esquisse d’une théorisation du lien social concret en littérature», dans <em>Recherches sociographiques</em>, vol.44, no3, p.475-497.<br /><br />Michel LACROIX et Guillaume PINSON (2006), «Liminaire», dans <em>Tangence</em>, no80, p.5-17.<br /><br />Antoine LILTI (2005), <em>Le monde des salons. Sociabilité et mondanité à Paris au XVIIIe siècle</em>, Paris, Fayard.<br /><br />Geert LOVINK (2007), «Blogging, the Nihilist Impulse», dans <em>Eurozine</em> [<a href="http://www.eurozine.com/articles/2007-01-02-lovink-en.html" target="_blank">en ligne</a>]. (Page consultée le 15 mai 2010).<br /><br />Office québécois de la langue française, «Blogue littéraire», dans <em>Le grand dictionnaire terminologique</em>, [<a href="http://www.granddictionnaire.com/BTML/FRA/r_Motclef/index800_1.asp" target="_blank">en ligne</a>]. (Page consultée le 14 juillet 2010).<br /><br />Walter J. ONG (1982), <em>Orality and Literacy</em>, New York, Routledge.<br /><br />Amélie PAQUET (2011), «Une littérature qui ne se possède pas. Réflexions sur le blogue littéraire», dans <em>Salon double, observatoire de la littérature contemporaine</em>, [<a href="http://salondouble.contemporain.info/antichambre/une-litt-rature-qui-ne-se-poss-de-pas" target="_blank">en ligne</a>]. (Page consultée le 14 juillet 2011).<br /><br />Barbara SÉMEL (2010), «La culture du macaron. Un nouveau genre, une nouvelle sociabilité, une nouvelle vitrine?», dans Christèle COULEAU et Pascale HELLÉGOUARC'H [dir.], <em>Les blogs. Écritures d’un nouveau genre?</em>, Paris, L’Harmattan (Itinéraires. Littérature, textes, cultures, 2010, 2. Centre d’Étude des Nouveaux Espaces Littéraires, Université Paris 13), p.95-102.<br /><br />Marie-Ève THÉRENTY (2010), «L’effet-blog en littérature. Sur L’Autofictif d’Éric Chevillard et Tumulte de François Bon», dans Christèle COULEAU et Pascale HELLÉGOUARC'H [dir.], <em>Les blogs. Écritures d’un nouveau genre?</em>, Paris, L’Harmattan (Itinéraires. Littérature, textes, cultures, 2010, 2. Centre d’Étude des Nouveaux Espaces Littéraires, Université Paris 13), p.53-63.<br /><br />Olivier TRÉDAN (2010), «Itinéraire d’un blogueur: entre quête de reconnaissance et visibilité limitée», dans Christèle COULEAU et Pascale HELLÉGOUARC'H [dir.], <em>Les blogs. Écritures d’un nouveau genre?</em>, Paris, L’Harmattan (Itinéraires. Littérature, textes, cultures, 2010, 2. Centre d’Étude des Nouveaux Espaces Littéraires, Université Paris 13), p.83-93.<br /><br />Jill WALKER RETTBERG (2008), <em>Blogging</em>, Cambridge, Polity Press (Digital Media and Society).</p> http://salondouble.contemporain.info/antichambre/les-nouveaux-salons#comments ACIMAN, Alexandre, et RENSIN, Emmett ALLARD, Laurence Blogosphère Blogue littéraire BOYD, Danah BROUDOUX, Évelyne CANDEL, Étienne CLARENCE L'INSPECTEUR COULEAU, Christèle, et HELLÉGOUARC’H, Pascale Culture numérique DESEILLIGNY, Oriane ESCOLIN-CONTENSOU, Isabelle France GEFEN, Alexandre Hypermédia Institut de twittérature comparée Institution littéraire LACROIX, Michel LACROIX, Michel, et PINSON, Guillaume Légitimation LILTI, Antoine LOVINK, Geert Office québécois de la langue française ONG, Walter J. Oralité PAQUET, Amélie Québec Réseau de sociabilité Salon littéraire SÉMEL, Barbara THÉRENTY, Marie-Ève TRÉDAN, Olivier WALKER RETTBERG, Jill Mon, 15 Aug 2011 13:42:59 +0000 Pierre-Luc Landry et Geneviève Dufour 361 at http://salondouble.contemporain.info Entretien avec Mathieu Arsenault http://salondouble.contemporain.info/antichambre/entretien-avec-mathieu-arsenault <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/salon-double">Salon double</a> </div> <div class="field-item even"> <a href="/equipe/arsenault-mathieu">Arsenault, Mathieu</a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-text field-field-soustitre"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> L’Académie de la vie littéraire au tournant du 21e siècle </div> </div> </div> <!--break--><!--break--> <div class="rtecenter"><img alt="" src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/Antichambre/boitier-face.jpg" /></div> <p>Il remet des trophées à des œuvres actuelles qu’il juge marquantes, des prix prestigieux qui font bien des jaloux tel le fameux <em>Bouillon de poulet pour fuck all</em> qui a été décerné cette année à Simon Paquet pour son roman <em>Une vie inutile</em>. Visiblement animé par le désir de participer à l’élaboration d’une communauté littéraire active et vivante qui ne se résumerait pas à la circulation de livres, Mathieu Arsenault est un acteur important des soirées de poésie et de divers événements littéraires qui ont lieu à Montréal. Ses livres sont porteurs d’une liberté langagière et intellectuelle que peu d’auteurs se permettent aujourd’hui, malmenant aussi bien la syntaxe que les idées reçues. Son premier livre de fiction, <em>Album de finissants</em> (2004), propose une série de fragments polyphoniques posant un regard sagace sur l’école, qui apparaît être bien davantage une «fabrique de gens compétents pour la vie professionnelle» qu’un lieu de formation de citoyens lucides et libres-penseurs. Son livre <em>Vu d’ici</em> (2008) poursuit l’exploration des différents flux idéologiques qui parcourent l’esprit de nos contemporains, s’attardant cette fois à la culture populaire, notamment au pouvoir hypnotique de la télévision et des désirs serviles que celle-ci véhicule, induisant l’inertie crasse des sujets dépolitisés. Mathieu Arsenault a aussi publié un essai, <em>Le lyrisme à l’époque de son retour</em> (2007), où il analyse la dialectique de l’innovation et de la tradition qui traverse la production contemporaine en prenant pour exemple la question de la résurgence du lyrisme. Ce livre, qu’il qualifie lui-même d’autothéorie, ou encore d’autobiographie théorique, parvient à joindre avec finesse des questions théoriques à l’expérience concrète que nous avons de la littérature aujourd’hui. Et c’est ultimement la question de la possibilité d’une communauté littéraire qui surgit de sa réflexion&nbsp;: «Quand je me pose la question de la possibilité de dire ‘je’ aujourd’hui, c’est une communauté que je cherche, la possibilité de créer des communautés dans un système historiquement répressif.» Mathieu Arsenault collabore également de façon régulière à la revue <em>Spirale</em>, en plus d’être l’un des membres fondateurs du magazine <em>OVNI</em>. Depuis 2008, il propose ses réflexions sur la culture populaire actuelle dans son blogue <a href="http://doctorak-go.blogspot.com/"><em>Doctorak, GO!</em></a>. Il passe aujourd’hui au Salon pour nous entretenir de l’Académie de la vie littéraire au tournant du 21e siècle, un projet qu’il a mis en branle en 2009.<br /><br /> <span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Salon double —</strong></span> À Salon double, nous cherchons des façons de mettre en valeur et de commenter la littérature contemporaine. Nous sommes intéressés par ta série de «15 publications intéressantes 2010 selon l'Académie de la vie littéraire au tournant du 21e siècle», publiée sur ton blogue&nbsp;<a href="http://doctorak-go.blogspot.com/"><em>Doctorak, GO!</em></a>, parce que tu y valorises aussi, à ta façon, des œuvres québécoises qui ont été plus ou moins ignorées en 2010. Alors que les critiques des médias&nbsp;<em>mainstream</em>&nbsp;collectionnent tous les mêmes cartes d’écrivains au style de jeu plus ou moins convenu, tu sembles avoir un penchant pour les jeunes recrues qui tentent d’imposer de nouvelles manières de concevoir la joute littéraire. La liste d’œuvres que tu proposes, plutôt éclectique, montre bien qu’il existe une relève. On y retrouve des romans, de la poésie, de la bande dessinée, des textes inclassables, des textes publiés en fanzines... Selon quels critères avez-vous constitué cette liste? Désiriez-vous mettre en lumière des mouvements ou des tendances particulières dans la littérature québécoise contemporaine?<br /><br /> <span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Mathieu Arsenault —</strong></span> Le projet de l’Académie de la vie littéraire au tournant du 21e siècle est de prendre le contrepied de l’image médiatique de la littérature québécoise actuelle, qui construit un programme finalement assez réducteur dans ses propositions esthétiques: du roman, du roman, du roman, avec «du souffle», de la «maîtrise» et, assez souvent, une retenue, un art de la concision. Mais ce programme est assurément moins dommageable que le public qu’il associe à la littérature. Car ce public est en déclin, il vieillit sans se renouveler et s’accroche à une idée du littéraire qui lui appartient, mais qui ne se renouvelle pas nécessairement. Quand on parle de relève dans les médias, c’est d’ordinaire à ceci qu’on fait référence: l’espoir que survive ce rapport à la littérature et les pratiques qui lui sont associées. Mais cette idée de la relève n’incarne qu’une forme parmi d’autres de rapport à la tradition littéraire. Pour cette raison, ce à quoi nous travaillons, ce n’est pas à identifier des tendances émergentes en littérature québécoise. Notre projet serait plutôt d’inventer un public, de trouver à quoi ressemble le désir de notre époque pour la chose littéraire. Le public que nous cherchons ne ressemble pas à celui plein de révérence des années 80, ni à celui presque inexistant des années 90. Les littéraires d’aujourd’hui sont plus éclectiques dans leurs goûts. Ils sont peut-être détachés d’une manière salutaire de l’industrie du livre, du système des rentrées littéraires et de la promotion médiatique. Même si ce ne sont pas toujours des livres, ils lisent globalement plus, sans discrimination.<br /><br /> <span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Salon double —</strong></span> Votre projet vient en effet combler un vide dans l’espace littéraire québécois. Il répond à un désir de renouveau de l’espace littéraire qui semble partagé par plusieurs. Pourrais-tu nous parler de la façon dont il a vu le jour? Comment fonctionne l’attribution des prix de l’Académie? As-tu établi des critères précis pour la sélection des œuvres récompensées?<br /><br /> <span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Mathieu Arsenault —</strong></span> J’ai fondé l’Académie à l’hiver 2009 lors d’<a href="http://doctorak-go.blogspot.com/2009/01/les-prix-de-lacademie-de-la-vie.html">une note</a> au ton humoristique sur <a href="http://doctorak-go.blogspot.com"><em>Doctorak, GO!</em></a> Lucide et amusé, je voulais illustrer ma conviction que mon travail n’était pas trop fait pour remporter des prix en faisant croire en blague que même si je fondais une académie, les honneurs finiraient par m’échapper. J’avais établi une liste de livres de récipiendaires faite de livres que j’avais lus dans l’année et que j’avais trouvés curieux ou intéressants. Cette note a été très populaire, pas parce qu’elle était drôle ou particulièrement bien tournée, mais parce qu’on y mentionnait des livres qui n’apparaissaient nulle part ailleurs sur le Web, sinon sur le site de leurs éditeurs. Et, qui plus est, certains auteurs ont été très flattés que je leur remette un prix, même si c’était sans prétention. L’année suivante, j’ai voulu pousser l’exercice plus loin en organisant un gala. Catherine Cormier-Larose, organisatrice de lectures hors pair, est alors entrée au «comité», et nous avons décidé ensemble des prix à remettre. Grâce à elle, le gala a pris la forme d’une soirée de lecture originale un peu trash et faussement officielle, dans l’esprit de la liste des prix. L’Académie a pris avec elle une direction plus convaincante, elle lit beaucoup et possède un excellent jugement. Pour l’édition de cette année, Vickie Gendreau s’est jointe à son tour au comité, car elle confectionne les trophées. Ces trophées prennent le contrepied des statuettes de gala&nbsp;: ils sont uniques, chacun illustrant une image, une scène ou une phrase tirée du livre primé.<br /><br /> Ce que j’aime de ce projet, c’est que nous essayons de maintenir délibérément le flottement entre la parodie d’académie et l’institution sérieuse. Si nous essayons de garder le côté mordant des prix, nous effectuons maintenant la sélection avec plus de sérieux qu’au début, car d’une part, nous sentons un réel engouement de la communauté littéraire pour notre entreprise et d’autre part, on y voit également l’occasion de donner une représentation des différentes potentialités de forme et de contenus littéraires propres à notre époque.<br /><br /> Le choix des textes se fait&nbsp;en comité. On y discute non seulement de ce qu’on a lu mais aussi des livres dont on a entendu parler et que nous nous promettons de lire. Il arrive souvent que nous nous emportions à cause de véritables injustices, des livres extraordinaires qui n’auront de visibilité nulle part. Et ce n'est même pas une question d’injustice à l’égard de leur auteur, c'est une injustice à l’égard de notre époque. Beaucoup de prix travaillent à la perpétuation d’une image conventionnelle de la littérature, à entretenir une sorte de synthèse la plus réussie de formes du roman ou de la poésie qui datent au mieux d’une quinzaine d’années. De notre côté, on aime mieux les livres un peu chambranlants qui pointent vers les potentialités de notre époque. Tu sais, tu lis un texte et tu te dis&nbsp;que c'est étrange de ne pas retrouver plus souvent cette forme, ce langage, ce sujet tellement il appartient à l’expérience de notre époque?<br /><br /> Par ailleurs, le nom ridiculement long d’«Académie de la vie littéraire au tournant du vingt et unième siècle» est ironiquement sentencieux, mais il reflète aussi ce désir de répondre à la nécessité qu’il existe une communauté littéraire vivante, que les auteurs se rencontrent, prennent la mesure de la diversité et comprennent qu’ils ne sont pas seuls dans leur volonté de s’inscrire dans leur époque. Nous sommes fatigués de ces auteurs qui s’imaginent avoir inventé la roue faute d’avoir convenablement lu leurs contemporains.<br /><br /> <span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Salon double —</strong></span> Il est intéressant que tu retournes la question des tendances émergentes en insistant sur «le désir de notre époque pour la chose littéraire.»&nbsp; Les œuvres qui ont été sélectionnées par l’Académie de la vie littéraire au tournant du 21e siècle témoignent certes d’une belle diversité, mais on y trouve tout de même des textes qui se revendiquent en tant que roman. Pensons par exemple à <em>Une vie inutile</em> de Simon Paquet, ou encore à <em>Épique</em> de William S. Messier. Depuis la mise en ligne de Salon double, nous avons accueilli des lectures critiques portant essentiellement sur le roman, alors que l’essai, la nouvelle et la poésie sont largement sous représentés. Cela porte à croire que nos contemporains, du moins ceux qui gravitent autour du monde académique, s’intéressent toujours au roman et y voient une pratique importante qui mérite l’attention. Pourrais-tu expliquer davantage ta pensée sur l’écriture romanesque? Pourquoi les romans de Simon Paquet et de William S. Messier sont-ils de bons textes à tes yeux?<br /><br /> <span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Mathieu Arsenault —</strong></span> Nous n'avons a priori rien contre le roman. Le 20e siècle a donné des romans fascinants de Proust à Don DeLillo, des expériences d'écriture qui ont véritablement pris la mesure de ce dont était capable la forme romanesque. Mais cette volonté de travailler cette forme est peu suscitée aujourd'hui. Les médias, les librairies et le grand public n’ont qu’un intérêt très marginal pour ce travail, ce qui pousse les romanciers à chercher la maîtrise et la retenue dans le style comme dans la structure. Cela dit, des textes comme ceux de Simon Paquet et William S. Messier trouvent un usage, une justification au roman. Le roman de Paquet essaie de donner une structure à un florilège de mots d'esprit absurdes et désespérés, et celui de Messier prend le prétexte du roman pour inscrire la tradition du conte traditionnel dans le réalisme d'un quotidien contemporain. Les romanciers qui nous intéressent se posent des questions, assez indépendamment finalement des critères de maîtrise et de l'actualité de leur sujet. Il importe peu qu'un roman soit mal ficelé, qu'il finisse en queue de poisson, qu'il soit trop long ou surchargé s'il recèle un dispositif esthétique cohérent.<br /><br /> <span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Salon double —</strong></span> Pour désigner cette communauté qui se constitue autour de la&nbsp;littérature, tu parles d'un public plutôt que de lecteurs. Le choix&nbsp;paraît mûrement réfléchi. Il suggère le rassemblement et l'événementiel. Si la vie littéraire est partagée par ce public, leur&nbsp;relation à la littérature déborderait donc d'une relation strictement livresque. Les rassemblements littéraires que l'on connaît&nbsp;aujourd'hui sous le nom de Salon du livre sont en réalité des foires&nbsp;commerciales où l'objet-livre prend complètement le dessus sur la&nbsp;littérature. Pour l'Académie de la vie littéraire au tournant du 21e&nbsp;siècle, y a-t-il une littérature hors du livre, hors du marché du&nbsp;livre? Qui constituerait ce public à inventer?<br /><br /> <span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Mathieu Arsenault —</strong></span>&nbsp;&nbsp;«Une littérature hors du livre». La formule est intéressante, à une époque où, justement, le livre est en phase de dématérialisation. Et en effet, les textes littérairement intéressants ne sont pas toujours confinés au livre. La littérature à venir se prépare peut-être dans le fanzine, dans la lecture publique, dans la note de blogue. C'est-à-dire que les oeuvres à venir ne seront peut-être pas des fanzines et des blogues, mais elles seront imprégnées de toutes les expérimentations qu'ils auront permises.&nbsp;Cette année, nous avons surtout donné des prix à des livres publiés, mais j'aimerais bien qu’on puisse remettre bientôt des prix pour des personnages inventés sur Facebook ou Twitter.&nbsp; J’aimerais aussi amener au-devant de la scène toute cette culture d’essais plus lyriques au ton vraiment dynamique que la pratique du blogue est en train de développer.<br /><br /> Mais cela dit, la distinction entre public et lecteurs excède aussi la question du format de l'imprimé. Parler de lecteurs et de lectorat revient à parler encore depuis cette configuration de la littérature comme production culturelle. La configuration que nous cherchons est plus proche d'une communauté, et je pense que nous ne sommes pas les seuls à chercher cela. Tout le monde appelle, recherche des communautés littéraires. Elles passent par le livre, oui, mais elles passent aussi par leur circulation, par le discours, par la critique et le commentaire. C'était un peu le projet derrière les cartes critiques d'auteurs que nous avons imprimées: faire circuler des auteurs par le biais des cartes qu'on pourrait garder dans sa poche, avec une photo devant et une critique derrière.<br /><br /> <span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Salon double —</strong></span> Tu laisses entendre que l’avenir de la littérature passe peut-être par les différentes marges de la production imprimée et contrôlée par le monde de l’édition traditionnelle, que ce soit par les blogues ou par les fanzines. Nous accordons aussi beaucoup d’importance aux blogues à Salon double et nous avons ajouté cette année sur notre site une section qui recense les billets de nos collaborateurs. Il se dégage de ces pratiques une cohérence qui nous apparaît forte, par exemple par le travail plus ou moins important de l’oralité, ou encore par une volonté de mise à distance du supposé nombrilisme des blogueurs, à propos desquels on affirme souvent qu’ils sont l’incarnation du narcissisme de notre époque. Ces blogues possèdent un lectorat important, peut-être même plus important que celui des livres qui se trouvent sur les tablettes de nos librairies. Pour certains, le statut des blogues pose tout de même problème. Pour assurer la pérennité de ces écritures, il faudrait, dit-on, que le monde de l’édition intervienne d’une façon ou d’une autre. Les Éditions Leméac ont tenté d’imprimer certains blogues, mais ceux-ci ont rapidement décidé de mettre fin à cette collection. Alors que nous observons une littérature Web en pleine effervescence, le directeur de cette maison d’édition, Jean Barbe, y voit plutôt une perte de temps : «Les blogues ont leurs limites, disait-il en 2009, et c’est beaucoup d’énergie créatrice qui n’est pas consacrée à la littérature<strong><a href="#note1a">[1]</a><a name="note1aa"></a>.</strong>» Cette réaction montre bien le fossé qui sépare la culture de l’imprimé et la culture numérique, une forme de culture légitime et une culture qu’on pourrait qualifier de sauvage. Es-tu d’avis qu’un système d’édition et de légitimation est nécessaire sur le Web? N’y a-t-il pas là un danger de dénaturer ces écritures?<br /><br /> <span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Mathieu Arsenault —</strong></span> En effet, le réseau de l’imprimé n’a jusqu’ici considéré que très timidement la scène littéraire du blogue. Mais je ne sais pas s’il faut en imputer la faute aux résistances des éditeurs traditionnels, car le passage de l’entrée de blogue au livre est plus difficile qu’il n’y paraît. Cette entrée qui paraissait infiniment spirituelle, pertinente et vivifiante dans un flux RSS peut étonnamment paraître bête, rien de plus qu’amusante et relever de la redite une fois imprimée. Il faut aussi considérer comment la forme du blogue a évolué rapidement et en marge de plusieurs manières d’écrire qui n’ont pas immédiatement rapport avec le littéraire, comme le journal intime ou le commentaire d’actualité, en plus de développer sa propre forme qui ne pourrait plus aujourd'hui faire l’économie des hyperliens, des vidéos et des images qu’elle intègre. Par exemple, une des grandes libérations que la rédaction de blogue a pu faire subir à ma manière d’écrire vient directement de l’hyperlien. Si je veux faire un rapprochement entre la philosophie de Blanchot et le forum d’image de <a href="http://www.4chan.org/"><em>4chan</em></a>, je dois évoquer les concepts de mèmes, de trollage, mentionner certaines polémiques et certains événements qui d’ordinaire échappent, mais alors complètement, aux littéraires à qui je m’adresse. Si je devais ouvrir une parenthèse explicative pour chacun de ces éléments, le rythme de mon essai se trouverait ralenti et me pousserait subrepticement vers une forme de dissertation sans doute «cool» mais scolaire. L’hyperlien permet de redonner une sorte de fierté et d’ouverture à l’essai qui s’adresse au public indépendamment de l’étendue de ses connaissances. Comme si le texte lui disait&nbsp;: «je ne vulgariserai pas parce que je sais que tu prendras les moyens de suivre le propos si le sujet t’intéresse». L’hyperlien trouve d’autres usages ailleurs, cela peut être vrai aussi pour l’intégration des images et de la vidéo ou encore le système de commentaires.<br /><br /> C'est la raison pour laquelle les seuls blogues imprimables présentement sont ceux qui font le moins usage des spécificités techniques du blogue comme les essais en bloc de Catherine Mavrikakis ou les <a href="http://www.mereindigne.com/"><em>Chroniques d'une mère indigne</em></a> et d’<a href="http://taxidenuit.blogspot.com/"><em>Un taxi la nuit</em></a>. On ne mesure pas encore pour cette raison les substantielles innovations de style et de rythme qui apparaissent en marge du réseau littéraire reconnu qu’aucune forme imprimée ne saurait encore contenir aisément. Il faut encore savoir bricoler son chemin vers le roman, la poésie et l’essai pour les faire passer à l’écrit en plus de combattre les réticences des comités éditoriaux traditionnels à qui manquent les références pour saisir la pertinence de cette manière d’écrire pour notre époque.<br /><br /> Mais les expérimentations textuelles hors des formes conventionnelles ne se sont pas non plus arrêtées au blogue. Beaucoup de blogueurs ont depuis quelque temps déserté la scène pour Facebook ou Twitter où s’intensifie la proximité du texte avec l’immédiateté des communications. Les créations littéraires faites à partir de Facebook (la création de personnages qui interagissent avec le public par exemple) sont d’une nature si différentes qu’il est pour le moment difficile de savoir si un archivage et une recontextualisation de leur expérience esthétique sont possibles. Je veux dire&nbsp;par là que certaines expériences d’écriture sur Facebook ont indéniablement des caractéristiques littéraires, mais pas celle de la durée dans le temps. Si les blogues étaient déjà limite en ce qui concerne leur publication, ces nouvelles expérimentations s’éloignent encore plus de tout ce que représente le livre. Ma conception du littéraire est aussi mise à l’épreuve devant les poussées du numérique!<br /><br /> <span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Salon double —</strong></span> Avant de terminer cet entretien, nous aimerions parler un peu d’un prix spécial que vous avez remis cette année au recueil posthume de Geneviève Desrosiers : <a href="http://www.oiedecravan.com/cat/catalogue.php?v=t&amp;id=16&amp;lang=fr"><em>Nombreux seront nos ennemis</em></a>. Publié une première fois en 1999&nbsp;par l'Oie de Cravan, il a été réédité en 2006 par le même éditeur. La poésie de Desrosiers se démarque par sa force mélancolique et par son absence de compromis. Comment lis-tu le vers «Tu verras comme nous serons heureux» répété à plusieurs reprises dans le poème «Nous»? Dans le texte de présentation du prix, on note «l'humour ironique» très présent dans le recueil, mais pourrait-on aussi lire derrière cette ironie une trace d'espoir?<br /><br /> <span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Mathieu Arsenault </strong><strong>—</strong></span> Qu’est-ce que l’ironie? Dans notre compréhension ordinaire, l’ironie apparaît presque indissociable du sarcasme et du cynisme parce que nous considérons comme un signe d’agression la rupture qu’elle instaure dans la communication. Mais il m’apparaît que le sens de l’ironie est en train de changer présentement. Quand la distinction entre la communication publique et la communication privée s’amenuise, et quand le moralisme exacerbé du grand public fait en sorte de rendre suspects les énoncés qui s’éloignent des formules creuses et dominantes, l’ironie apparaît comme un espace intime aménagé dans l’aire ouverte des échanges quotidiens, un espace où l’intention et le sens n’apparaissent qu’à ceux qui connaissent intimement les modulations du ton et de la pensée de l’interlocuteur ironique. Comme posture langagière, l’ironie est d’une immense importance, et seule la poésie me semble à même de la mettre convenablement en scène comme expérience. La poésie de Geneviève Desrosiers me semble annoncer cette période où le poème ne requiert plus l’adhésion de son lecteur ni par un «nous» national ou humaniste, ni par une expérience subjective si singulière qu’elle se refuse à la communication. <a href="http://www.lequartanier.com/catalogue/occidentales.htm"><em>Les occidentales</em></a> de Maggie Roussel m’apparaît être un accomplissement de cette posture propre à notre époque.<br /><br /> Faire apparaître ce genre de filiation est une des choses qui me tient le plus à cœur dans le projet de l’Académie de la vie littéraire. Nous ne voudrions pas devenir une tribune de plus pour la diffusion des publications courantes. Car l’actualité littéraire est aussi constituée de ces œuvres qui reviennent d’on ne sait trop où et dont on découvre la pertinence à la lumière de ce qui s’écrit aujourd'hui, de l’évolution de la sensibilité et des manières de lire. Par exemple, l’année dernière, nous donnions le prix à <em>On n’est pas des trous de cul</em> de Marie Letellier, une ethnographie de la misère urbaine fascinante surtout pour les retranscriptions d’entrevues que le livre contient. Ce livre n’a jamais été réédité et nous lui avons donné un prix parce que j’en ai entendu parler de manière passionnée à plusieurs reprises dans des circonstances différentes. Ce n’est que tout récemment que m’est apparue une esquisse d’interprétation à cet engouement: le déclin de l’intérêt pour la lecture de fiction québécoise me semble en train d’ouvrir le champ au documentaire écrit, sous la forme de l’autobiographie, de l’essai lyrique ou, comme dans le cas du livre de Letellier, au document qui présente une réalité crue dans une langue brute. Ces œuvres à la redécouverte discrète mais intense trouvent difficilement leur espace. Souvent, elles n’ont pas le raffinement esthétique qui leur permettrait d’apparaître sur la scène de la recherche universitaire. Elles n’ont peut-être pas non plus un potentiel commercial qui justifierait leur réédition ou leur remise en circulation dans l’espace médiatique.<br /><br /> Ce qui est amusant avec un projet comme l’Académie, c'est de chercher à faire plus que la célébration et la diffusion de la production annuelle. Nous construisons un récit sur le thème de la sensibilité littéraire de notre époque.<br /> <a href="#note1aa"><br /> </a></p> <hr /> <p><a href="#note1aa"><br /> </a> <strong><a href="#note1aa">1</a>. </strong>Cité dans Annick Duchatel, «C’est écrit dans la blogosphère», <em>Entre les lignes : le plaisir de lire au Québec</em>, vol. 6, no 1 (2009), p. 20.<br />&nbsp;</p> http://salondouble.contemporain.info/antichambre/entretien-avec-mathieu-arsenault#comments Blogue littéraire Communauté littéraire Contre-culture Critique littéraire Cyberespace DESROSIERS, Geneviève Dialogue médiatique Engagement Événement Fiction Hypermédia Ironie Journaux et carnets LALONDE, Pierre-Léon LETELLIER, Marie Média MESSIER, William S. Québec Réalisme Résistance culturelle ROUSSEL, Maggie Style Entretiens Bande dessinée Écrits théoriques Essai(s) Poésie Récit(s) Roman Tue, 31 May 2011 02:40:51 +0000 Salon double 347 at http://salondouble.contemporain.info