Salon double - EISENSWERG, Uri http://salondouble.contemporain.info/taxonomy/term/635/0 fr Photogénie du terroriste http://salondouble.contemporain.info/lecture/photogenieduterroriste <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/cote-fournier-laurence">Côté-Fournier, Laurence </a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-biblio"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/biblio/attaques-sur-le-chemin-le-soir-dans-la-neige">Attaques sur le chemin, le soir, dans la neige</a> </div> <div class="field-item even"> <a href="/biblio/des-foules-des-bouches-des-armes">Des foules des bouches des armes</a> </div> <div class="field-item odd"> <a href="/biblio/vous-n-etiez-pas-la">Vous n’étiez pas là</a> </div> </div> </div> <!--break--><!--break--><div> &laquo;L&rsquo;acte surr&eacute;aliste le plus simple consiste, revolvers aux poings, &agrave; descendre dans la rue et &agrave; tirer au hasard, tant qu&rsquo;on peut, dans la foule<a name="note1" href="#note1b"><strong>[1]</strong></a>.&raquo; Cette phrase, tir&eacute;e du <em>Second manifeste du surr&eacute;alisme</em>, aurait &eacute;t&eacute; cit&eacute;e en 1968 par un avocat allemand plaidant pour la lib&eacute;ration d&rsquo;&eacute;tudiants accus&eacute;s d&rsquo;incitation &agrave; l&rsquo;incendie. Le tract qu&rsquo;ils avaient distribu&eacute; dans les rues de Francfort, qui avait caus&eacute; leur incarc&eacute;ration, saluait le feu qui avait d&eacute;truit un grand magasin de Bruxelles et fait trois cents morts. Selon l&rsquo;avocat, il s&rsquo;agissait n&eacute;anmoins d&rsquo;&laquo;un simple texte&raquo; marquant les premiers pas litt&eacute;raires de ces jeunes &eacute;tudiants, dans &laquo;la tradition satirique des dada&iuml;stes et des surr&eacute;alistes&raquo; (FBA, p. 116), deux groupes n&rsquo;ayant jamais fait couler le sang. Un mois plus tard, ceux qu&rsquo;on regroupera sous l&rsquo;appellation de &laquo;bande &agrave; Baader&raquo; incendieront deux grands magasins de Francfort, et leurs actions marqueront le d&eacute;but de la gu&eacute;rilla urbaine men&eacute;e en Allemagne par la Rote Arme Fraktion (RAF).</div> <div>&nbsp;</div> <div>Dans la &laquo;trilogie allemande&raquo; d&rsquo;Alban Lefranc <a name="note2" href="#note2b"><strong>[2]</strong></a>, art et politique ne peuvent &ecirc;tre dissoci&eacute;s, sinon au prix d&rsquo;un oubli volontaire, d&rsquo;un abandon &agrave; l&rsquo;euphorie d&rsquo;un discours dominant d&rsquo;o&ugrave; sont expuls&eacute;es toutes les impuret&eacute;s. Si, aux mots r&eacute;volutionnaires des dada&iuml;stes jamais transform&eacute;s en v&eacute;ritables incendies, r&eacute;pondent les actes autrement plus violents de la RAF, Alban Lefranc n&rsquo;oppose pas st&eacute;rilement les armes aux paroles. Trois biographies fictives &eacute;voquent trois figures allemandes r&eacute;elles de l&rsquo;apr&egrave;s-guerre : l&rsquo;enfant terrible du cin&eacute;ma Rainer Werner Fassbinder dans <em>Attaques sur le chemin, le soir, dans la neige</em> (2005), le po&egrave;te Bernward Wesper dans <em>Des foules des bouches des armes</em> (2006) et la chanteuse et mannequin Nico dans <em>Vous n&rsquo;&eacute;tiez pas l&agrave;</em> (2009)<a name="note3" href="#note3b"><strong>[3]</strong></a>. Comme Fassbinder, qui appariait dans son &oelig;uvre des extraits de journaux et d&rsquo;&eacute;missions de radio et de t&eacute;l&eacute;vision de l&rsquo;&eacute;poque, Lefranc int&egrave;gre dans ses biographies des citations de politiciens, d&rsquo;artistes et d&rsquo;historiens, citations qui d&eacute;voilent ce qu&rsquo;a pu &ecirc;tre l&rsquo;air du temps dans lequel &ndash;et contre lequel&ndash; ses trois sujets ont &eacute;volu&eacute;. En t&eacute;moigne cet extrait d&rsquo;une <em>Histoire de l&rsquo;Allemagne </em>datant de 1992: &laquo;Dans les ann&eacute;es soixante, la reconstruction &eacute;tait largement achev&eacute;e; l&rsquo;accroissement du temps libre et de l&rsquo;aisance donna &agrave; chacun le loisir de r&eacute;fl&eacute;chir s&eacute;rieusement &agrave; la port&eacute;e du pass&eacute; nazi&raquo; (FBA, p. 53). Ou encore, cette phrase lanc&eacute;e en plein boom &eacute;conomique allemand par Franz Josef Strauss, ministre-pr&eacute;sident de Bavi&egrave;re : &laquo;un peuple capable de telles prouesses &eacute;conomiques a le droit de ne plus vouloir entendre parler d&rsquo;Auschwitz&raquo; (AC, p. 41).</div> <div>&nbsp;</div> <div>En arri&egrave;re-plan de ces trois &oelig;uvres se meuvent Andreas Baader, Gudrun Ensslin et Ulrike Meinhof, figures de proue de la RAF, terriblement photog&eacute;niques et dangereusement beaux, incendiaires et poseurs de bombes, eux-m&ecirc;mes transform&eacute;s au fil du temps en images aussi s&eacute;duisantes que celles des publicit&eacute;s vendant les produits br&ucirc;l&eacute;s. Ind&eacute;pendantes les unes des autres mais intrins&egrave;quement li&eacute;es par leurs th&egrave;mes et le territoire qu&rsquo;elles couvrent, les trois biographies ne suivent pas les r&egrave;gles habituelles du genre, celles des dialogues ins&eacute;r&eacute;s dans la bouche des morts et des sc&egrave;nes d&rsquo;anthologie restituant les moments importants de la vie des grands. Elles constituent plut&ocirc;t une cartographie de la r&eacute;sistance culturelle, une repr&eacute;sentation d&rsquo;un refoul&eacute; allemand, celui du nazisme et d&rsquo;un capitalisme embrass&eacute; d&rsquo;un peu trop pr&egrave;s, un peu trop vite; refoul&eacute; qu&rsquo;on aurait bien voulu tenir &agrave; distance mais qui ne cesse de remonter &agrave; la surface gr&acirc;ce aux efforts d&rsquo;artistes et de terroristes dont les d&eacute;marches, dans l&rsquo;apr&egrave;s-guerre allemand d&rsquo;Alban Lefranc, semblent indistinctes.</div> <div>&nbsp;</div> <div><strong><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Du cin&eacute;ma consid&eacute;r&eacute; comme une forme de boxe</span></strong></div> <div>&nbsp;</div> <div>Si les strat&eacute;gies de r&eacute;sistance culturelle et politique en viennent &agrave; partager d&rsquo;aussi frappantes ressemblances dans les diff&eacute;rentes biographies &eacute;crites par Lefranc, c&rsquo;est que les unes comme les autres oeuvrent &agrave; partir de repr&eacute;sentations qui d&eacute;forment de mani&egrave;re ambigu&euml; les images associ&eacute;es au capitalisme de l&rsquo;apr&egrave;s-guerre. Fassbinder, engouffrant de formidables doses de coca&iuml;ne pour maintenir la productivit&eacute; d&eacute;mesur&eacute;e qu&rsquo;il conservera tout au long de sa carri&egrave;re, r&eacute;alise des drames historiques dans lesquels triomphent les plus vils au profit des plus faibles, au son d&rsquo;anciens discours de politiciens qui se targuent des progr&egrave;s accomplis depuis la guerre. Ce &laquo;clochard au bizarre accent bavarois, une allure de plouc beauf au milieu des richards de Munich&raquo; (AC, p. 15-16) &eacute;crit du fond de sa haine jamais &eacute;puis&eacute;e contre la soci&eacute;t&eacute; allemande et r&eacute;alise des films qu&rsquo;il l&acirc;che &agrave; la face du monde &laquo;comme des chiens&raquo; (AC, p. 45). Il est rappel&eacute; que le r&eacute;alisateur n&rsquo;a pas h&eacute;sit&eacute;, dans le cadre d&rsquo;un faux documentaire, &agrave; faire dire &agrave; sa propre m&egrave;re: &nbsp;&laquo;Ce qu&rsquo;il nous faudrait vois-tu dans ce pays [&hellip;] c&rsquo;est un chef, un v&eacute;ritable chef, mais qu&rsquo;il fasse preuve aussi de gentillesse et de bont&eacute;.&raquo; (AC, p. 30) &nbsp;Les corps, tant le sien, &laquo;le support par o&ugrave; peut sortir de la beaut&eacute;, des films, des livres, des tableaux&raquo; (AC, p. 47), que celui de ses personnages, constituent son arme de choix. Les spectateurs, confortables et distants sur leurs si&egrave;ges, doivent abandonner peu &agrave; peu leurs d&eacute;fenses, jusqu&rsquo;&agrave; ce que la violence sournoise des films de Fassbinder leur &eacute;clate au visage :</div> <div>&nbsp;</div> <div class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">On choisira pour chaque film un corps de douleur, un homme, une femme, peu importe cette fois, qui sera lentement broy&eacute; par nous tous. Ce seront des histoires simples, de pauvres m&eacute;los. [&hellip;] Et que sur l&rsquo;&eacute;cran soudain sans crier gare des supplici&eacute;s fassent des signes sur leurs b&ucirc;chers. Pass&eacute; la rage sans m&eacute;lange des d&eacute;buts, on introduira ensuite un bon gros rire par le groin, un peu comme ce coup de karat&eacute; qui d&eacute;tend les chairs avant de les d&eacute;chirer. (AC, p. 48-49)</span></div> <div>&nbsp;</div> <div>Mythe ou r&eacute;alit&eacute;, Lefranc pr&ecirc;te &agrave; Fassbinder, pugiliste qui encaisse les coups et, surtout, les rend, &nbsp;le d&eacute;sir d&rsquo;utiliser comme acteur Mohammed Ali et de lui faire jouer les r&ocirc;les les plus provocants:</div> <div>&nbsp;</div> <div class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Faire jouer &agrave; Ali un r&ocirc;le de leader politique? Ali en porte-parole des Black Panthers? Ali en truand reconverti? Ali en entra&icirc;neur sportif? Ali en terroriste allemand incendiaire de grands magasins? Ali en &eacute;crivain russe? [&hellip;] Il lui faut Ali, le seul qui puisse terroriser l&rsquo;Am&eacute;rique reaganienne apr&egrave;s sa digestion difficile de Miles David [&hellip;]. Il lui faut un bon viol &agrave; l&rsquo;Am&eacute;rique, massif, en gros plan, la seule chose qui puisse ravir le masochisme bourgeois. &nbsp;(AC, p. 82-83)</span></div> <div>&nbsp;</div> <div>Dans cette dynamique qui s&rsquo;apparente &agrave; celle d&rsquo;un combat extr&ecirc;me, o&ugrave; &laquo;d&eacute;clencher des crises&raquo; (AC, p. 15) sert de principe esth&eacute;tique suffisant pour nourrir toute une filmographie, courir &agrave; sa perte va de soi. On n&rsquo;est en effet &laquo;jamais assez plong&eacute; dans la catastrophe&raquo; (AC, p. 15), et s&rsquo;enfoncer dans cette catastrophe, au prix d&rsquo;une violence qui doit tout broyer, y compris soi-m&ecirc;me, est la seule route &agrave; prendre pour &eacute;chapper aux plats discours ambiants qui r&eacute;p&egrave;tent de sains principes de vie en masquant de leurs voix aseptis&eacute;es les menaces plus graves. Une &eacute;mission de radio mart&egrave;le qu&rsquo;&laquo;<em>une alimentation diversifi&eacute;e doubl&eacute;e de quelques exercices quotidiens simples [&hellip;] permet d&rsquo;entretenir ses capacit&eacute;s musculaires, d&rsquo;endurance et d&rsquo;&eacute;quilibre qui vont participer &agrave; la pr&eacute;vention du risque de chute</em>&raquo; (AC, p. 78-79); Fassbinder, mort &agrave; 37 ans apr&egrave;s avoir soigneusement massacr&eacute; son corps, aura choisi son camp.</div> <div>&nbsp;</div> <div><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>La r&eacute;sistance des corps</strong></span></div> <div>&nbsp;</div> <div>Nico, de qui ni le pass&eacute; de mannequin ni les chansons n&rsquo;&eacute;voquent de prime abord les combats politiques, Nico est &laquo;la plus belle femme du monde&raquo;, amie d&rsquo;Andy Warhol et mannequin, une image &agrave; vendre qui projette ostensiblement ses origines nazies. On r&eacute;sume sa vie &agrave; quelques actes de pr&eacute;sence autour des grands de son temps, biographie qui forme un <i>Who&rsquo;s who</i> miniature d&rsquo;une &eacute;poque et que Lefranc exp&eacute;die au d&eacute;but du livre:</div> <div>&nbsp;</div> <div class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Pour avoir la paix, on vous cloue sur quelques faits av&eacute;r&eacute;s: La Dolce Vita, le Velvet Underground, quelques films de Warhol. Pour rire un peu (on aime rire), on ajoute &agrave; la liste un fils pr&eacute;tendument de Delon, des coucheries avec Jim Morrison, Iggy Pop, Leonard Cohen et d&rsquo;autres moins fameux.</span></div> <div class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">La putain du bruit public dit: c&rsquo;est bien peu, en cinquante ans de vie. (VN, p. 13)</span></div> <div>&nbsp;</div> <div>L&rsquo;essentiel de Nico ne sera toutefois pas dans son &oelig;uvre mais dans ce qu&rsquo;elle en viendra &agrave; repr&eacute;senter. Lefranc vouvoie la chanteuse en lui posant mille questions auxquelles elle ne r&eacute;pond pas: Nico ne produit pas de discours, que des mythes, offerts aux affam&eacute;s et aux curieux.&nbsp;Elle d&eacute;fie les cat&eacute;gories et &eacute;chappe aux classements faciles. Nico, n&eacute;e en 1938, &nbsp;&laquo;poss&egrave;de plusieurs p&egrave;res &agrave; [son] arc, un carquois plein sur le dos &raquo;, qu&rsquo;elle d&eacute;coche calmement &laquo;sur les renifleurs d&rsquo;origines et de fondements.&raquo; (VN, p. 22-23) &laquo;Petite fille blonde avec de d&eacute;licieuses tresses nazies&raquo;, sa beaut&eacute; en devient &eacute;quivoque, comme un symbole de la s&eacute;duction des cr&eacute;atures produites par le r&eacute;gime hitl&eacute;rien: &laquo;Vous ne manquez jamais, surtout aupr&egrave;s des journalistes britanniques, de rappeler la splendeur nazie de cette ann&eacute;e-l&agrave;, vos cuisses vives, les joies de l&rsquo;&eacute;ducation au grand air.&raquo; (VN, p. 20).</div> <div>&nbsp;</div> <div><em>Vous n&rsquo;&eacute;tiez pas l&agrave;</em> d&eacute;bute sur ces paroles tir&eacute;es du journal de Franz Kafka: &laquo;sois absolument silencieux et seul. Le monde viendra s'offrir &agrave; toi pour que tu le d&eacute;masques, il ne peut faire autrement, extasi&eacute;, il se tordra devant toi.&raquo; Ce sera vers le visage parfait de Nico que rampera cette humanit&eacute; prise dans son mensonge, et ce seront les paradoxes qu&rsquo;il v&eacute;hiculera qui permettront &agrave; Lefranc de placer Nico dans le m&ecirc;me ensemble r&eacute;sistant que Fassbinder et les membres de la bande &agrave; Baader. Incarnation, par sa blondeur teutonne et sa beaut&eacute;, du miracle &eacute;conomique allemand de l&rsquo;apr&egrave;s-guerre &ndash;comme les femmes fatales mises en sc&egrave;ne par Fassbinder&ndash;, elle cumule en dilettante les apparitions d&rsquo;&eacute;clat. &nbsp;</div> <div>&nbsp;</div> <div>En cela, la s&eacute;duction caus&eacute;e par la simple apparition, la simple existence, rassemble Nico et les membres de la bande &agrave; Baader. Tandis que les anarchistes d&eacute;crits par Uri Eisensweig dans l&rsquo;ouvrage qu&rsquo;il a consacr&eacute; &agrave; leurs repr&eacute;sentations<a name="note4" href="#note4b"><strong>[4]</strong></a> disparaissaient sous la n&eacute;gativit&eacute; de leurs gestes, les terroristes de Lefranc, eux, s&rsquo;imposent par une &laquo;extr&ecirc;me pr&eacute;sence<a name="note5" href="#note5b"><strong>[5]</strong></a>&raquo; et des actes spectaculaires qui rappellent &agrave; la soci&eacute;t&eacute; le pouvoir de l&rsquo;individu sur le collectif. Alors que dans la biographie consacr&eacute;e &agrave; Fassbinder, le corps, celui du r&eacute;alisateur ou celui des protagonistes de ses films, devait &ecirc;tre broy&eacute; pour que soit expos&eacute;e la violence latente du nouvel &Eacute;tat allemand, c&rsquo;est plut&ocirc;t son esth&eacute;tisation qui domine ici. Jet&eacute;s en prison, les terroristes r&eacute;pliquent en exposant aux m&eacute;dias leur perfection physique:</div> <div>&nbsp;</div> <div class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Le 14 octobre 1968, ils comparaissaient devant le tribunal de Francfort. Ils avaient fait venir des v&ecirc;tements tout expr&egrave;s pour l&rsquo;occasion, des chemises de soie et des vestes de cuir, plant&eacute; des havanes au coin de leur bouche. Gudrun arborait un immense sourire sans parole. Pour des articulations souples, une peau saine et tendue, un regard sans cillement, Andreas avait recommand&eacute; le maximum de promenades autoris&eacute;es, beaucoup de sport dans les cellules, de profiter de toutes les occasions de faire craquer l&rsquo;espace domestique. Rien ne devait transpirer des humiliations subies, rien des fouilles sur les corps mis &agrave; nu, rien de l&rsquo;&eacute;miettement de leurs nerfs apr&egrave;s six mois sans l&rsquo;autre sexe. Opposer &agrave; leurs juges des corps effr&eacute;n&eacute;s vivants. (FBA, p. 136)</span></div> <div>&nbsp;</div> <div>Il n&rsquo;est donc gu&egrave;re surprenant que dans <em>Des foules, des bouches, des armes</em>, ce soient les vies des membres de la RAF qui finissent, un peu par d&eacute;faut, par prendre le premier rang, &eacute;clipsant au passage la vie autrement plus fade de Bernard Vesper, qui semble initialement former le propos principal du roman. &Eacute;crivain, fils d&rsquo;un po&egrave;te nazi, tout le destin de Vesper peut &ecirc;tre r&eacute;sum&eacute; par la phrase fulgurante qui ouvre le livre:</div> <div>&nbsp;</div> <div class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">On raconte que Bernward Vesper, fils de Will Vesper, po&egrave;te paysan qui vibra pour l&rsquo;Allemagne hitl&eacute;rienne, connut Gudrun Ensslin, future ic&ocirc;ne &eacute;g&eacute;rie de la Fraction arm&eacute;e rouge, lui fit un fils, Felix, &eacute;crivit un livre et se suicida; qu&rsquo;il fut &eacute;cras&eacute; par ce p&egrave;re qu&rsquo;il se ha&iuml;ssait d&rsquo;aimer ou se plaisait &agrave; ha&iuml;r, selon les jours, et qu&rsquo;il en fit toute la mati&egrave;re du grand cahier qu&rsquo;il avait toujours avec lui; que les drogues faillirent bien l&rsquo;emporter tout pr&egrave;s d&rsquo;une r&eacute;v&eacute;lation qu&rsquo;il voulait faire partager &agrave; tous; que dans l&rsquo;ivresse, aux confins de l&rsquo;aube, il n&rsquo;&eacute;tait pas toujours ridicule. &nbsp;(FBA, p. 15)</span></div> <div>&nbsp;</div> <div><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Fictions du terroriste</strong></span></div> <div>&nbsp;</div> <div>Lefranc, &eacute;crivant quelques d&eacute;cennies apr&egrave;s le passage de ses sujets, observe non seulement ce qu&rsquo;a &eacute;t&eacute; leur existence, mais surtout, ce qui en reste. Sur les cercueils trop t&ocirc;t clou&eacute;s de ces &ecirc;tres seront &eacute;rig&eacute;s des mausol&eacute;es faits de lambeaux d&rsquo;images m&eacute;diatiques, d&rsquo;&eacute;chos de rumeurs publiques mille fois d&eacute;lay&eacute;s, de r&eacute;cup&eacute;rations figeant le discours des &oelig;uvres qu&rsquo;ils auront laiss&eacute;es. En choisissant de se concentrer sur cette p&eacute;riode r&eacute;volue, Lefranc peut ainsi montrer les interpr&eacute;tations qu&rsquo;on a faites de ces parcours, qui sont bien souvent r&eacute;duits &agrave; l&rsquo;anecdote et au spectaculaire, comme si la pleine port&eacute;e des actions demeurait incompr&eacute;hensible ou insoutenable. L&rsquo;&oelig;uvre autrefois jug&eacute;e si scandaleuse de Fassbinder est exploit&eacute;e pour qu&rsquo;en soit tir&eacute; profit; Nico devient une autre de ces mannequins aux vell&eacute;it&eacute;s artistiques ridicules, drogu&eacute;e et d&eacute;chue. Le cas des terroristes de la RAF est toutefois le plus patent, et Lefranc recense m&eacute;thodiquement les explications et commentaires construits autour de leurs oeuvres. Des psychologues attribuent le radicalisme de leurs positions &agrave; des troubles d&rsquo;&eacute;locution dans la petite enfance, d&rsquo;autres &agrave; leur &eacute;ducation protestante. C&rsquo;est de m&ecirc;me par la dissection du cerveau d&rsquo;Ulrike Meinhof qu&rsquo;on tentera de trouver une explication &agrave; la violence de son comportement, car on &laquo;<em>consid&egrave;re que le glissement vers la terreur peut &ecirc;tre expliqu&eacute; par la maladie cervicale</em>.&raquo; (AC, p. 26) Les terroristes sont au c&oelig;ur d&rsquo;expositions d&rsquo;art, de pi&egrave;ces de th&eacute;&acirc;tre et de films qui contribueront &agrave; styliser leurs actes et &agrave; transformer les membres de la bande &agrave; Baader en ic&ocirc;nes culturelles. Il n&rsquo;est alors plus question de d&eacute;terminer si la violence constitue, ou non, une m&eacute;thode d&rsquo;action politique valable, mais plus directement de savoir si une telle violence peut m&ecirc;me &ecirc;tre re&ccedil;ue pour ce qu&rsquo;elle est, sans &ecirc;tre r&eacute;duite &agrave; une image affaiblie ou &agrave; l&rsquo;anecdote, s&eacute;diment&eacute;e dans un r&eacute;cit qui en ferme les interpr&eacute;tations. &nbsp;</div> <div>&nbsp;</div> <div>De la violence et des actes, il reste donc surtout des images, qui &eacute;chappent peu &agrave; peu au contr&ocirc;le de ceux qui les ont fait na&icirc;tre. Dans la mythologie r&eacute;volutionnaire, ces jeunes terroristes prennent des allures de rock star ou de vedettes de cin&eacute;ma<a name="note6" href="#note6b"><strong>[6] </strong></a>&nbsp;&ndash;ce qu&rsquo;a &eacute;t&eacute; Nico, ce qu&rsquo;a mis en sc&egrave;ne Fassbinder. Lefranc, &agrave; cet &eacute;gard, est loin d&rsquo;&ecirc;tre inconscient de l&rsquo;ambigu&iuml;t&eacute; qui entoure les membres de la bande &agrave; Baader. Il leur fait ainsi dire : &laquo;On nous a reproch&eacute; notre go&ucirc;t des Porsche, des chemises de soie, des jambes de femmes. On se demande bien quel s&eacute;minaire de sociologie a &eacute;tabli une fois pour toutes que les r&eacute;volutionnaires doivent rouler dans des voitures d&rsquo;agonie.&raquo; (FBA, p. 149) Les biographies fictives de Lefranc, forc&eacute;ment prises elles aussi dans le jeu de l&rsquo;appropriation des actes politiques et des &oelig;uvres artistiques, tentent d&rsquo;&eacute;chapper aux pi&egrave;ges d&eacute;nonc&eacute;s ou &eacute;voqu&eacute;s en multipliant les points de vue et les mises &agrave; distance. Lefranc, conscient comme Fassbinder que &laquo;la repr&eacute;sentation ouvre toujours aussi l&rsquo;espace d&rsquo;une r&eacute;alit&eacute; m&eacute;diatique<a name="note7" href="#note7b"><strong>[7]</strong></a>&raquo;, fait une large place aux discours de ceux qui ont eux aussi glos&eacute; sur ces figures. Il cite ainsi &ndash;peut-&ecirc;tre hors contexte&ndash; Christine Angot, qui a &eacute;crit dans une pi&egrave;ce consacr&eacute;e &agrave; la bande &agrave; Baader (<em>Angot/Meinhof</em>), &laquo;ce sont des gens qui ont analys&eacute; une situation, qui ont compris le danger, qui ont vu le danger, et on voit maintenant &agrave; quel point ils avaient raison. Sur le fond ils avaient raison de tuer le patron des patrons, Schleyer&raquo; (AC, p. 19). Lefranc, sans jamais tirer de telles conclusions, laisse quant &agrave; lui les corps parler, et les gens parler pour ces corps.<br /> &nbsp;</div> <hr /> <div><a name="note1b" href="#note1">1</a> Andr&eacute; Breton, <em>Manifestes du surr&eacute;alisme</em>, Gallimard (Folio essais), 1979 [1930], p. 74.</div> <div><a name="note2b" href="#note2">2</a> Les trois livres ne sont pas parus officiellement sous forme de trilogie lors de leur premi&egrave;re publication. Ils ont toutefois &eacute;t&eacute; pr&eacute;sent&eacute;s ainsi lors de la traduction en allemand en 2009 et regroup&eacute;s sous l&rsquo;appellation d&rsquo;<em>Angriffe</em>.</div> <div><a name="note3b" href="#note3">3</a> Pour all&eacute;ger les citations, <em>Des foules des bouches des armes</em> sera d&eacute;sign&eacute; par FBA, <em>Attaques sur le chemin, le soir, dans la neige</em> par AC et<em> Vous n&rsquo;&eacute;tiez pas l&agrave;</em> par VN.</div> <div><a name="note4b" href="#note4">4</a> Uri Eisenswerg, <em>Fictions de l&rsquo;anarchisme</em>, Paris, Christian Bourgois &Eacute;diteur, 2001, 357 p.</div> <div><a name="note5b" href="#note5">5</a> Thomas Elsaesser, dans l&rsquo;ouvrage qu&rsquo;il a consacr&eacute; &agrave; Fassbinder, analyse en ces termes l&rsquo;image du terroriste qui, &laquo;en l&rsquo;absence d&rsquo;une repr&eacute;sentation qui relierait d&rsquo;une fa&ccedil;on cr&eacute;dible l&rsquo;individu au collectif (comme pr&eacute;tendent le faire le &quot;guide&quot; fasciste ou le gourou d&rsquo;une secte, vise la repr&eacute;sentativit&eacute; sous forme d&rsquo;actes spectaculaires et d&rsquo;une extr&ecirc;me pr&eacute;sence.&raquo; Thomas Elsaesser, <em>R. W. Fassbinder, un cin&eacute;aste d&rsquo;Allemagne</em>, Paris, &Eacute;ditions Centre Georges-Pompidou, 2005, p. 57.</div> <div><a name="note6b" href="#note6">6</a> Le terme &laquo; Prada Meinhof &raquo;, qui associe la marque de v&ecirc;tements de luxe &agrave; la figure d&rsquo;Ulrike Meinhof, a ainsi &eacute;t&eacute; cr&eacute;&eacute; pour d&eacute;signer les gens participant &agrave; des mouvements politiques ou sociaux trait&eacute;s comme des espaces &agrave; la mode qu&rsquo;il est de bon ton de fr&eacute;quenter.</div> <div><a name="note7b" href="#note7">7</a> Thomas Elsaesser, <em>R. W. Fassbinder, un cin&eacute;aste d&rsquo;Allemagne</em>, Paris, &Eacute;ditions Centre Georges-Pompidou, 2005 p. 57.</div> <p>&nbsp;</p> http://salondouble.contemporain.info/lecture/photogenieduterroriste#comments Action politique Biographie BRETON, André Cinéma Combat EISENSWERG, Uri ELSAESSER, Thomas FASSBINDER, Rainer Werner France Histoire LEFRANC, Alban Politique Portrait de l'artiste Pouvoir et domination Terrorisme Violence WESPER, Bernward Roman Wed, 17 Nov 2010 11:02:14 +0000 Laurence Côté-Fournier 290 at http://salondouble.contemporain.info