Salon double - ECO, Umberto http://salondouble.contemporain.info/taxonomy/term/667/0 fr Des faits et des mythes, la création de faux-authentiques chez Dan Brown http://salondouble.contemporain.info/article/des-faits-et-des-mythes-la-cr-ation-de-faux-authentiques-chez-dan-brown <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-label">Auteur(s):&nbsp;</div> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/courant-stephane">Courant, Stéphane</a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-dossier-referent"> <div class="field-label">Dossier Reférent:&nbsp;</div> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/dossier/les-meilleurs-vendeurs">Les meilleurs vendeurs</a> </div> </div> </div> <!--break--><!--break--> <p style="text-align: justify;"><br />Depuis plusieurs années, mes recherches sont consacrées aux questions relatives au tourisme. Lors d’un travail de terrain, je suis tombé par hasard sur une annonce d’un voyagiste qui&nbsp; proposait de «Reviv[re] l'excitation et le mystère du Da Vinci code. Suiv[re] les pas de Robert Langdon pendant sa recherche d'indices cachés éparpillés dans Paris» (CityDiscovery, 2011: <a href="http://www.city-discovery.com/fr/index.php">en ligne</a>). Cette agence parisienne n’est pas l’exception: on en trouve d’autres dans des villes telles que Rome ou Édimbourg. Ce n’est pas la première fois qu’une agence de tourisme joue sur le succès d’un produit culturel –comme cela a été le cas pour le film <em>Le fabuleux destin d’Amélie Poulain</em>. La volonté de ces forfaitistes est d’immerger les lecteurs dans le cadre original du livre. Ainsi, pour le périple <em>Da Vinci code</em> (Dan Brown, 2004), chaque participant peut retrouver les indices plus ou moins explicites qui jalonnent l’enquête et le récit. Les agences reconstituent ainsi les déambulations, les allées et venues de l’enquête entre Notre-Dame et la Pyramide du Louvre et participent, d’une certaine manière, à entretenir, voire à enrichir, les questions que le livre semble avoir insufflées à de nombreux lecteurs.</p> <p style="text-align: justify;">Le <em>Da Vinci code</em> est un très gros succès d’édition, traduit en de nombreuses langues, adapté au cinéma et suscitant l’intérêt des médias. Cette réussite fait suite à un autre ouvrage de Dan Brown, <em>Anges et Démons</em>, paru en 2000. Ce dernier, qui a été traduit en français un après la parution du <em>Da Vinci code</em>, a connu un destin similaire: ventes importantes, traduction en plusieurs langues et adaptation au cinéma. Je ne ferai pas ici une critique littéraire sur le style, mais je vais surtout m’appliquer à décortiquer un aspect qui m’a interpellé lors de ma première lecture de ces deux romans.</p> <p style="text-align: justify;">Le lecteur averti peut remarquer une présentation commune aux deux ouvrages. Tous deux proposent dès les pages 9 et 10 une rubrique intitulée «Les faits» – terme non dénué d’intérêt, qui insinue la véracité des éléments qui sont présentés. L’énoncé de ces faits semble être déterminant, il apparaît être la pierre angulaire sur laquelle le roman se bâtit. Par son ambigüité –tant dans sa présentation que dans son contenu–, cet énoncé semble être un des éléments générateurs du succès. Je me propose ici d’observer et d’analyser par le biais de quelques outils anthropologique cet élément singulier.</p> <p style="text-align: justify;"><span style="color:#696969;"><strong>La mètis de l’écrivain</strong></span></p> <p style="text-align: justify;">La première qualité que l’on peut reconnaître à Dan Brown, au-delà de la question littéraire, c’est cette capacité de <em>ruser</em> le lecteur dès les premières pages. Il y a chez lui ce que Marcel Detienne a remarqué et expliqué chez les Grecs, une mètis, une mètis d’écrivain, une habileté technique, littéraire, à jouer sur plusieurs genres permettant de dérouter le lecteur. La mètis, comme le précise Jean-Pierre Vernant et Marcel Detienne, c’est&nbsp;«une puissance de ruse et de tromperie. Elle agit par déguisement. Pour duper sa victime elle emprunte une forme qui masque, au lieu de la révéler, son être véritable. En elle l’apparence et la réalité, dédoublées, s’opposent comme deux formes contraires produisant un effet d’illusion, <em>apātē</em>» (Detienne et Vernant, 1974: 17).</p> <p style="text-align: justify;">Dan Brown ourdit ses ruses en créant tout à la fois un leurre –un <em>dolos</em>– pour attirer le lecteur et l’illusion –l’<em>apātē</em>– d’une réalité tangible qui n’en est pas moins contestable. Pour saisir cette mètis, reprenons cette présentation de faits&nbsp;tout d’abord dans le <em>Da Vinci code </em>puis dans<em> Anges et Démons</em> :</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p style="text-align: justify;">Les faits</p> <p style="text-align: justify;">La société secrète du <em>Prieuré de Sion</em> a été fondée en 1099, après la première croisade. On a découvert en 1975, à la Bibliothèque nationale, des parchemins connus sous le nom de<em> Dossiers Secrets</em>, où figurent les noms de certains membres du <em>Prieuré</em>, parmi lesquels on trouve Sir Isaac Newton, Botticelli, Victor Hugo et Leonardo Da Vinci.</p> <p style="text-align: justify;"><em>L'Opus Dei</em> est une œuvre catholique fortement controversée, qui a fait l'objet d'enquêtes judiciaires à la suite de plaintes de certains membres pour endoctrinement, coercition et pratiques de mortification corporelle dangereuses. L'organisation vient d'achever la construction de son siège américain -d'une valeur de 47 millions de dollars- au 243, Lexington Avenue, à New York.</p> <p style="text-align: justify;">Toutes les descriptions de monuments, d'œuvres d'art, de documents et de rituels secrets évoqués sont avérées&nbsp;(Brown, 2004: 9).</p> <p style="text-align: justify;">Les faits</p> <p style="text-align: justify;">Le plus grand pôle de recherche scientifique au monde, le CERN (Centre européen pour la recherche nucléaire), a récemment réussi à produire les premiers atomes d'antimatière. L'antimatière est identique à la matière, si ce n'est qu'elle se compose de particules aux charges électriques inversées.</p> <p style="text-align: justify;">L'antimatière est la plus puissante source énergétique connue. Contrairement à la production d'énergie nucléaire par fission, dont l'efficience se borne à 1,5%, elle transforme intégralement sa masse en énergie. En outre, elle ne dégage ni pollution ni radiations.<br />Il y a cependant un problème:</p> <p style="text-align: justify;">L'antimatière est extrêmement instable. Elle s'annihile en énergie pure au contact de tout ce qui est... même l'air. Un seul gramme d'antimatière recèle autant d'énergie qu'une bombe nucléaire de 20 kilotonnes, la puissance de celle qui frappa Hiroshima.</p> <p style="text-align: justify;">Jusqu'à ces dernières années, on n'avait réussi à produire que quelques infimes quantités d'antimatière (quelques atomes à la fois). Mais le «décélérateur d'antiprotons» récemment mis au point par le CERN ouvre de formidables perspectives: sa capacité de production d'antimatière est considérablement renforcée.</p> <p style="text-align: justify;">Se pose désormais une angoissante question: cette substance hautement volatile sauvera-t-elle le monde, ou sera-t-elle utilisée pour créer l'arme la plus destructrice de l'histoire?<br />Note de l'auteur: Tous les tombeaux, sites souterrains, édifices architecturaux et œuvres d'art romains auxquels se réfère cet ouvrage existent bel et bien. On peut encore les admirer aujourd'hui.</p> <p style="text-align: justify;">Quant à la confrérie des Illuminati, elle a aussi existé. (Dan Brown, 2005: 8-9).</p> </blockquote> <p style="text-align: justify;"><br />Si l’on s’attarde aux différentes informations du premier extrait, pêle-mêle, on y trouve des références au Prieuré de Sion –son existence comme nous le verrons par la suite est plus de l’ordre du mythe que de la réalité–, des documents trouvés à la BNF –proposition véridique mais les documents sont des faux–, une liste de noms de personnages célèbres balayant plus de trois siècles avec Hugo l’écrivain, Newton le scientifique, Botticelli l’artiste et Léonard de Vinci le génial touche à tout, l’homme qui fait synthèse de tous les savoirs, le <em>polymètis</em>. Enfin, on y trouve l’<em>Opus Dei</em>, présenté en premier lieu comme une œuvre catholique, pour être ensuite qualifié d’organisation. Le glissement sémantique est intéressant, car l’auteur nous présente l’<em>Opus Dei</em> à la fois comme une organisation ayant des parts d’ombres tant dans ses pratiques que dans son fonctionnement, mais également comme une entreprise florissante pouvant s’enorgueillir de posséder un bien immobilier en plein New York. Enfin, on remarquera que cet énoncé se conclut par un terme non dénué d’intérêt pour notre présentation: «avérées» c’est-à-dire reconnues comme vraies.</p> <p style="text-align: justify;">Sans entrer dans le détail pour le second extrait, on voit se reproduire quelques propositions contestables –par exemple, «cette substance [l’antimatière] hautement volatile sauvera-t-elle le monde?&nbsp;»: les sous-entendus sont assez explicites ici, même si on ne perçoit pas trop le lien entre une hypothétique fin de monde et le rôle salvateur de l’antimatière– et des liens ou des associations discutables –comme les termes d’antimatière, de nucléaire et de la bombe d’Hiroshima… Tout ceci fait un cocktail apocalyptique, jouant sur des peurs ou des craintes liées à la recherche et à l’idée sous-jacente que si la recherche sur le nucléaire a permis l’élaboration de la Bombe et des conséquences que l’on connaît –sur Hiroshima et Nagasaki–, la recherche sur l’antimatière risque de conduire à une catastrophe du même genre. Cependant, si la recherche génère des risques, ces derniers ne sont pas systématiquement équivalant à ceux produits par le nucléaire. Brown joue avec cette ambiguïté, avec cet aspect anxiogène et omet de préciser que ce n’est pas tant la recherche qui engendre nos craintes ou nos peurs que notre méconnaissance du sujet étudié et de la méthode employée.</p> <p style="text-align: justify;">Dans ces deux extraits, Dan Brown fait preuve d’une intelligence stratégique en utilisant autant le <em>dolos</em> que l’<em>apātē</em> afin de mieux manipuler son lecteur. C’est par l’entremise de cette manipulation du vrai et du faux, des faits et des divagations, qu’il crée une atmosphère propice aux hypothèses en tous genres. Par cette introduction, il y a une forme de conditionnement du lecteur: Brown aiguise sa curiosité envers les choses les plus secrètes, les plus cachées. On pressent qu’un secret, ou du moins qu’une piste, nous est dévoilé et que peut-être un faisceau de réponses peut surgir de cet ouvrage: «les théories de la manipulation accordent toutes une large place aux conditions qui sont nécessaires à sa réalisation. La préparation de la cible est généralement admise afin d’obtenir le comportement souhaité» (D’Almeida, 2003: 52).</p> <p style="text-align: justify;">Brown manœuvre en s’appuyant sur la prééminence chez le lecteur des préjugés et des stéréotypes en privilégiant notamment la figure emblématique de la société secrète et une thématique inépuisable: celle du complot. Ainsi, on se rend compte que dans le <em>Da Vinci code</em>, c’est l’<em>Opus Dei</em> qui est affichée comme l’organisation secrète, alors que dans <em>Anges et Démons</em> apparaît le nom des <em>Illuminati</em>. Le point commun entre toutes ces sociétés secrètes dans les œuvres de fiction –qu’elles soient juives comme chez Eugène Sue, jésuites ou encore maçonniques comme chez Alexandre Dumas– est qu’elles ont cette capacité de renverser, d’introniser, de manipuler et d’asservir n’importe quel gouvernement, de la plus petite principauté aux plus grands états. Elles proposent un ordre, un agencement stable par rapport aux incertitudes de nos sociétés qui s’amusent avec les nouvelles technologies, les nouvelles matières, et qui n’ont aucun principe transcendantal pour les guider. Dan Brown joue le prédicateur en se fondant sur cette croyance qu’il existe des forces occultes qui agissent sur le destin des individus. Chacun des héros de Dan Brown se débat avec cette destinée tracée par le dessein de quelques-uns. C’est la trame du héros mythique, celle des vieilles machinations, celle des histoires à succès où la critique fait place à l’émotion.</p> <p style="text-align: justify;">Brown concentre dans ses deux ouvrages les grands mythes politiques contemporains qui se différencient peu des mythes des sociétés traditionnelles, puisqu’ils conservent toujours leur structure ou, comme disait Lévi-Strauss, ils s’inscrivent dans une «syntaxe commune» (Lévi-Strauss, 1996: 14) reposant sur des thèmes clefs tels que le secret, l’initiation, le pouvoir, etc. À cela s’ajoute pour le <em>Da Vinci code</em> deux autres éléments ambigus: les fameux «Dossiers Secrets» dont on ne connaît pas l’origine exacte et surtout le fait que Brown se réfère à «la société secrète du Prieuré de Sion» qui fait étrangement écho par son nom à la société du «Protocole des Sages de Sion». Cette société, comme le rappelle Raoult Girardet, est une invention des services de propagande nourrissant le ressentiment envers les juifs: «les Protocoles des Sages de Sion: on sait que ce faux, fabriqué dans les toutes dernières années du XIXe siècle par divers services de la police tsariste, connut avant la Première Guerre mondiale et surtout entre les deux guerres, une prodigieuse diffusion, atteignant à certains moments les tirages qui semblent avoir égalé ceux de la Bible elle-même» (Girardet, 1986: 32).&nbsp; Par ce jeu de confusion et d’ambivalence entre faits avérés et suppositions de faits, entre faits historiques et manipulations, entre fiction et réalité, Dan Brown présente ses «faits» comme autant de propositions authentiques qui peuvent faire chanceler de nombreuses certitudes de lecteurs. Il crée le doute et suggère implicitement que dans cet ouvrage, il y a ici ou là quelques éléments véridiques :</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p style="text-align: justify;">Les règles régissant les processus de cyclisation font que l’on peut parler d’un développement secondaire des légendes. Se met alors en mouvement un mécanisme spécifique qui n’exploite pas des faits réels […], mais d’autres textes, un premier texte en engendrant d’autres. Il faut considérer ce phénomène aussi comme une règle importante du fonctionnement des légendes ou du folklore en général. Les textes, en ce sens inédits, qui dérivent d’autres textes servent généralement à transmettre des stéréotypes ethniques, les symboles, les images et les opinions d’un groupe (Robotycki, 2010&nbsp;: 288).</p> </blockquote> <p style="text-align: justify;"><span style="color:#696969;"><strong>Les cades de l’expérience</strong></span></p> <p style="text-align: justify;">Pour autant, dans les deux extraits présentés ci-dessus, la véritable mètis de Brown ne se réduit pas seulement aux simples reprises de ces mythes, ni à ces malencontreux syllogismes reposant sur des associations contestables: la mètis repose surtout sur l’ambiguïté de la présentation de l’ouvrage. Ainsi le lecteur trouve à la fois le terme «roman» sur la couverture et la mention «faits» en introduction de l’ouvrage. Deux nominations qui apparaissent antinomiques. Brown s’amuse avec ses lecteurs, il essaie de les perdre ou, comme l’affirmerait Ervin Goffman, il joue avec les cadres de l’expérience. Goffman, dont le centre d’intérêt fût les problématiques relatives aux interactions sociales, pose une question simple: «Dans quelle circonstance pensons-nous que les choses sont réelles?» (Goffman, 1991: 10). Pour résumer succinctement son approche, il considère non pas le fait en lui-même, mais les conditions qui produisent soit l’impression de réel soit l’impression de fiction: «Mon idée de départ est la suivante: une chose qui dans certaines circonstances peut se présenter comme la réalité peut en fait être une plaisanterie, un rêve, un accident, un malentendu, une illusion, une représentation théâtrale, etc. J’aimerais attirer l’attention sur le sens des circonstances et sur ce qui le soumet à des lectures multiples» (Goffman, 1991: 18).</p> <p style="text-align: justify;">Dans son approche, Goffman utilise la métaphore théâtrale pour expliquer les relations sociales. Dans toutes interactions, chacun de nous endosse un rôle afin de jouer son personnage dans la société. Il est nécessaire pour l’individu de prendre en compte les rôles que jouent les autres participants, sans quoi la mise en scène de la relation sociale est incompréhensible pour l’ensemble des acteurs. Ainsi, pour chaque activité sociale, nous faisons appel à ce que Goffman nomme «des cadres d’expérience» (1991: 11).&nbsp; Il sous-entend par ces termes que toutes activités et relations sociales sont régies par des cadres qui orientent les interactions et influencent les conduites entre individus. Ils dictent le bon comportement à produire pour optimiser sa relation à autrui. Chaque fois que nous participons à telle ou telle activité, par le jeu des interactions, nous nous assurons d’être dans le bon cadre, c’est-à-dire que nous avons le même sens ou la même interprétation que l’ensemble des participants. C’est ainsi que nous pouvons ajuster nos comportements, les manières de faire ou d’estimer pour tel ou tel évènement son positionnement.</p> <p style="text-align: justify;">Cependant, Goffman note qu’il y a plusieurs natures de cadre. Quand nous discutons, jouons à un jeu, les échecs par exemple, nous nous référons à un même cadre, à un partage de règles communes. Chaque participant a une même compréhension des enjeux. L’interaction se déroule dans ce que Goffman nomme un cadre primaire (1991: 17). Il s’agit là d’un cadre de références où tous les acteurs respectent consciencieusement le scénario. Cependant, tout le monde ne respecte pas forcément les règles –un joueur peut tricher quand l’occasion se présente. Le cadre primaire se transforme alors en cadre secondaire. Goffman précise que cette modification peut se faire soit par modélisation, soit par fabrication. Pour saisir la modification par modélisation, prenons l’exemple d’un père jouant avec sa fille: au départ, le cadre primaire comporte une interaction codifiée notamment par un ensemble d’actes signifiant le respect mutuel de chacun. Cependant, le fait de jouer modélise le cadre primaire en cadre secondaire, modifiant les interactions et le positionnement de chaque partenaire. Ainsi la petite fille peut facilement taquiner voire donner des sobriquets à son père sans que celui-ci, dans ce cadre là, n’ait à redire. Un même sobriquet dans un cadre primaire ne passerait peut-être pas par manque de respect.</p> <p style="text-align: justify;">Le passage du cadre primaire en secondaire peut se faire aussi par fabrication, et c’est ici que le lien avec notre affaire s’opère. Par processus de fabrication est sous-entendue une dimension de tromperie, dans le sens où les protagonistes en présence se comportent comme s’ils étaient dans un cadre primaire alors qu’un des acteurs a fabriqué un cadre secondaire à leur insu. Dans notre cas, Dan Brown a, en quelque sorte, transformé le cadre et du coup les horizons d’attente des lecteurs. Le lecteur sait qu’il a acheté un roman et pourtant, par l’entremise des deux pages présentant «les faits», il y a une remise en question des attentes. Où est le vrai? S’agit-il seulement d’un roman historique, puisque l’auteur nous rappelle qu’il s’agit de faits «avérés», qu’&nbsp;«on peut encore les admirer» (même les bâtiments du CERN) et que même la «Confrérie des <em>Illuminati </em>[…] a aussi existé»? Le «aussi» apparaît être plus qu’un adverbe, c’est surtout l’élément qui permet de valider l’ensemble des propos comme vrai. Par cette manipulation adroite, Brown dirige son lecteur, mais surtout fabrique des faux-authentiques.</p> <p style="text-align: justify;"><span style="color:#696969;"><strong>Les faux-authentiques</strong></span></p> <p style="text-align: justify;">Cette notion de faux-authentique a été illustrée par deux auteurs, Umberto Eco et David Brown (à ne pas confondre avec Dan Brown, l’auteur des fictions étudiées ici). Ce dernier donne en exemple plusieurs faux-authentiques répertoriés à travers l’histoire et dans différentes aires géographiques. Ainsi dans le parc de la Paix à Hiroshima, où est tombée la bombe atomique en 1945, demeure un hall d’exposition «endommagé et resté debout près de l’épicentre. Construit dans les années 30, sa structure en béton armé l’a sauvé d’une totale destruction. Cet amas enchevêtré d’acier et de béton est le symbole fort d’un évènement effroyable. […] Ce site est visité chaque année par un grand nombre de touristes-pèlerins en provenance du monde entier […]. Tout important symbole qu’il puisse être, ce hall d’exposition est un faux» (David Brown, 1999: 42).</p> <p style="text-align: justify;">En effet, le mur, attraction lucrative, risquant de tomber à tout moment en raison de son état, a été abattu et reconstruit à l’identique tel que le bombardement l’avait transformé. Le parc de la Paix a donc en son centre un faux, mais malgré cette illusion, ce hall «suscite des émotions profondes et authentiques» (David Brown, 1999: 42). Comme le rappelle David Brown au sujet des «reliques sacrées de certains saints catholiques» ou encore de certaines attractions touristiques, on ne peut que soupçonner l’existence d’une complicité entre «ceux qui présentent l’attraction et ceux qui la visitent. Le faux-authentique n’est pas simplement l’objet en lui-même mais la relation entre les visiteurs et les guides, relation dont l’objet n’est que le médiateur» (David Brown, 1999: 42). Chez Dan Brown, il y a plus qu’une fausse proposition de faits dans la présentation de ses romans, c’est surtout un faux-authentique qu’on y trouve, fondé sur des énoncés faux mais que l’on pense réels, ou, comme le précise David Brown en reprenant Umberto Eco, «l’ardente poursuite d’une réalité idéale entraîne sa propre contradiction en ce que […] le “complètement réel” se confond avec le “complètement faux”» (1999: 42-43).</p> <p style="text-align: justify;">Pour le lecteur, il y a quelque chose de vrai –faut-il le trouver, faut-il le voir, faut-il le visiter– dans ce faux et pour Dan Brown, il y a cette volonté de s’inscrire dans la lignée d’un Roland Dorgeles qui, avec sa toile exposée au Salon des Indépendants de 1910 sous la signature de «Boronali», avait réalisé un authentique canular artistique. Cette peinture si proche de certains courants picturaux de l’époque n’en était pas moins un tableau peint par la queue d’un âne. Un vrai tableau avec un faux artiste, mais un tableau resté dans la mémoire de beaucoup encore aujourd’hui.</p> <p style="text-align: justify;"><strong>Bibliographie</strong></p> <p style="text-align: justify;">BROWN, David (1999), «Des faux-authentiques, Tourisme versus pèlerinage», dans <em>Terrain </em>n°33, p.41-56.</p> <p style="text-align: justify;">BROWN, Dan (2004), <em>Da Vinci code</em>, Paris, Éditions Jean-Claude Lattès.</p> <p style="text-align: justify;">--------- (2005)<em> Anges et Démons</em>, Paris, Éditions Pocket.&nbsp;&nbsp; &nbsp;</p> <p style="text-align: justify;">CityDiscovery, [en ligne]. <a href="http://www.city-discovery.com/fr/ID2832_Tour_DaVinci_Code">http://www.city-discovery.com/fr/ID2832_Tour_DaVinci_Code</a>&nbsp; (Page consultée le 30 novembre 2011).</p> <p style="text-align: justify;">D’ALMEIDA, Fabrice (2003),<em> La manipulation</em>, Paris, Éditions QSJ.</p> <p style="text-align: justify;">DETIENNE, Marcel et Jean-Pierre VERNANT (1974), <em>Les ruses de l’intelligence, La mètis des Grecs</em>, Paris, Éditions Flammarion.</p> <p style="text-align: justify;">ECO, Umberto (1985), <em>La guerre du faux</em>, Paris, Éditions Grasset.</p> <p style="text-align: justify;">GIRARDET, Raoult (1986), <em>Mythes et mythologies politiques</em>, Paris, Éditions du Seuil.</p> <p style="text-align: justify;">GOFFMAN, Erving (1991), <em>Les cadres de l’expérience</em>, Paris, Éditions de Minuit.</p> <p style="text-align: justify;">LEVI-STAUSS, Claude (1996), <em>Anthropologie Structurale</em>, Paris, Éditions Plon.</p> <p style="text-align: justify;">ROBOTYCKI, Czesław (2010), «La fabrication d’un texte authentique, Les Desiderata de Max Ehrmann», dans <em>Ethnologie française</em>, vol. 40, p.285-294.<br />&nbsp;</p> <div id="myEventWatcherDiv" style="display:none;">&nbsp;</div> AGAMBEN, Giorgio BROWN, Dan BROWN, Dan D'ALMEIDA, Fabrice DETIENNE, Marcel ECO, Umberto GIRARDET, Raoult GOFFMAN, Erving LEVI-STRAUSS, Claude ROBOTYCKI, Czeslaw VERNANT, Jean-Pierre Roman Sat, 14 Jan 2012 17:51:54 +0000 Stéphane Courant 451 at http://salondouble.contemporain.info Éloge de la relecture ou L’invraisemblance qui réactive le récit http://salondouble.contemporain.info/antichambre/eloge-de-la-relecture-ou-l-invraisemblance-qui-reactive-le-recit <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/landry-pierre-luc">Landry, Pierre-Luc </a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-text field-field-soustitre"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> Pour une (re)lecture réaliste magique du roman Un an de Jean Echenoz </div> </div> </div> <!--break--><!--break--><div class="rteindent3"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Tout l&rsquo;art de Kafka consiste &agrave; obliger le lecteur &agrave; <em>relire</em>. Ses d&eacute;nouements &mdash;ou ses absences de d&eacute;nouements&mdash; sugg&egrave;rent des explications mais qui n&rsquo;apparaissent pas en clair et qui exigent que l&rsquo;histoire soit relue sous un nouvel angle pour appara&icirc;tre fond&eacute;es. Quelquefois il y a une double ou triple possibilit&eacute; d&rsquo;interpr&eacute;tation d&rsquo;o&ugrave; appara&icirc;t la n&eacute;cessit&eacute; de deux ou trois lectures. Mais on aurait tort de vouloir tout interpr&eacute;ter dans le d&eacute;tail chez Kafka. Un symbole est toujours dans le g&eacute;n&eacute;ral et l&rsquo;artiste en donne une traduction en gros. Il n&rsquo;y a pas de mot &agrave; mot. Le mouvement seul est restitu&eacute;. Et pour le reste il faut faire la part du hasard qui est grande chez tout cr&eacute;ateur.</span> <p>Albert Camus, <em>Carnets</em></p></div> <p> <a href="#note1a" name="note1"><strong>[1]</strong></a></p> <p>On retrouve dans la production litt&eacute;raire contemporaine plusieurs occurrences de r&eacute;cits qui permettent la cohabitation non probl&eacute;matis&eacute;e de naturel et de surnaturel dans un m&ecirc;me univers de fiction, et qui en appellent ainsi &agrave; une lecture diff&eacute;rente du roman en g&eacute;n&eacute;ral en posant autrement la question de l&rsquo;adh&eacute;sion au racont&eacute;. Certains de ces r&eacute;cits, que l&rsquo;on peut qualifier de r&eacute;alistes magiques &agrave; la suite d&rsquo;Amaryll Beatrice Chanady<a href="#note2a" name="note2"><strong>[2]</strong></a>, r&eacute;inventent en quelque sorte le paradigme de la transmission narrative; le lecteur n&rsquo;est pas appel&eacute; &agrave; questionner les &eacute;v&eacute;nements surnaturels du r&eacute;cit r&eacute;aliste magique et accepte les invraisemblances qui le ponctuent comme allant de soi: il les consid&egrave;re comme faisant partie de la r&eacute;alit&eacute; du texte &mdash;r&eacute;alit&eacute; artificielle, certes, mais coh&eacute;rente &agrave; l&rsquo;univers di&eacute;g&eacute;tique mise en place dans le roman. Le cas que je propose d&rsquo;&eacute;tudier est assez particulier: lors d&rsquo;une premi&egrave;re lecture, le roman <em>Un an</em><a href="#note3a" name="note3"><strong>[3]</strong></a> de l&rsquo;&eacute;crivain fran&ccedil;ais Jean Echenoz, paru aux &Eacute;ditions de Minuit en 1997, ne semble pas appartenir au r&eacute;alisme magique comme je le d&eacute;finirai. Toutefois, l&rsquo;invraisemblance di&eacute;g&eacute;tique finale qui vient d&eacute;savouer le r&eacute;cit tout entier permet de relire le roman &agrave; l&rsquo;aune du r&eacute;alisme magique. Cette invraisemblance majeure perd alors de son impossible et la relecture ainsi activ&eacute;e, orient&eacute;e par le r&eacute;alisme magique, vient &agrave; son tour mettre en lumi&egrave;re d&rsquo;autres invraisemblances qui, jusque-l&agrave;, ont pu passer inaper&ccedil;ues. C&rsquo;est ce cas particulier de fiction vertigineuse que je propose d&rsquo;observer dans le cadre de ce texte. Je souhaite, d&rsquo;une certaine fa&ccedil;on et par extension, appliquer ce que Camus a affirm&eacute; des textes de Kafka au roman d&rsquo;Echenoz, et faire ainsi l&rsquo;&eacute;loge de la relecture, qui ouvre l&rsquo;interpr&eacute;tation sur des avenues que le lecteur qui ne s&rsquo;en tient qu&rsquo;&agrave; une seule lecture n&rsquo;aurait peut-&ecirc;tre pas soup&ccedil;onn&eacute;es. Ma d&eacute;marche s&rsquo;apparente ainsi &agrave; celle men&eacute;e par Richard Saint-Gelais dans un article sur le roman <em>Le meurtre de Roger Ackroyd</em> d&rsquo;Agatha Christie, o&ugrave; il affirme que</p> <div class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><br /> le r&eacute;sultat de la relecture est non seulement de voir des indices compromettants l&agrave; o&ugrave; la premi&egrave;re lecture n&rsquo;en voyait pas, mais aussi de voir comment les dispositifs d&eacute;courageaient dans un premier temps des op&eacute;rations de lecture qu&rsquo;en m&ecirc;me temps ils permettaient<a name="note4" href="#note4a"><strong>[4]</strong></a>.</span></div> <p> Et l&rsquo;on verra bien assez vite que c&rsquo;est tout &agrave; fait le cas dans le roman qui nous int&eacute;resse ici.</p> <p><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Quelques pr&eacute;cautions</strong></span></p> <p>La lecture que je proposerai du roman <em>Un an</em> est une lecture immanente du texte. Je souhaite montrer ainsi qu&rsquo;il est possible de lire le roman en modifiant notre r&eacute;ponse esth&eacute;tique &agrave; l&rsquo;aune du r&eacute;alisme magique. On pourrait &mdash;et on peut&mdash; accepter la fin vertigineuse et choquante du roman comme telle, la consid&eacute;rer comme une paralipse, une r&eacute;tention d&rsquo;information par le narrateur, mais on peut aussi l&rsquo;envisager autrement. Il me semble que le r&eacute;alisme magique propose des pistes de r&eacute;flexion int&eacute;ressantes par rapport &agrave; cet effet de lecture singulier. Et s&rsquo;il y a consensus dans les &eacute;tudes sur l&rsquo;&oelig;uvre romanesque d&rsquo;Echenoz, c&rsquo;est bien autour de la question de la subversion des genres; ailleurs, Echenoz se joue des codes du roman d&rsquo;aventures (<em>Le M&eacute;ridien de Greenwich</em>, 1979&nbsp;; <em>L&rsquo;&Eacute;quip&eacute;e malaise</em>, 1986), du roman noir (<em>Le M&eacute;ridien de Greenwich</em>), du roman d&rsquo;espionnage (<em>Lac</em>, 1989) et du roman policier (<em>Cherokee</em>, 1983), par exemple, ce qui rend, il me semble, encore plus plausible la (re)lecture r&eacute;aliste magique que je proposerai ici. Une certaine exploration ludique des codes du myst&egrave;re se trouvait d&eacute;j&agrave;, en 1995, dans <em>Les Grandes blondes</em> et s&rsquo;est poursuivie, en 2003, dans le roman <em>Au piano</em>. J&rsquo;observerai donc sous une loupe r&eacute;aliste magique ce que Christine J&eacute;rusalem, dans son livre <em>Jean Echenoz: g&eacute;ographies du vide</em>, appelle l&rsquo;effet de romanesque: &laquo;L&rsquo;effet de romanesque constitue en quelque sorte la contrepartie sym&eacute;trique du fameux &ldquo;effet de r&eacute;el&rdquo;. Il vise l&rsquo;adh&eacute;sion du lecteur &agrave; l&rsquo;aspect invraisemblable du r&eacute;cit<a name="note5" href="#note5a"><strong>[5]</strong></a>&raquo;. La mise &agrave; mal des codes de la repr&eacute;sentation r&eacute;aliste participe de cet effet de romanesque et, par le fait m&ecirc;me, du r&eacute;alisme magique. Et je tiens &agrave; pr&eacute;ciser, avant de me lancer enfin, que je ne sugg&egrave;re pas de hi&eacute;rarchiser les lectures (ou les relectures) possibles de <em>Un an</em>: les textes d&rsquo;Echenoz sont suffisamment riches pour soutenir une multitude d&rsquo;hypoth&egrave;ses interpr&eacute;tatives, et celle-ci, orient&eacute;e par le r&eacute;alisme magique, n&rsquo;est qu&rsquo;une lecture parmi tant d&rsquo;autres. Il existe en effet d&rsquo;autres interpr&eacute;tations, mais j&rsquo;aimerais en pr&eacute;senter une qui a l&rsquo;avantage d&rsquo;aborder le cas d&rsquo;Echenoz moins comme une subversion des codes (approche par la n&eacute;gation, fr&eacute;quente chez la critique<a name="note6" href="#note6a"><strong>[6]</strong></a>) que comme une strat&eacute;gie positive et, en ce sens, originale. Je souhaite d&eacute;placer quelque peu les enjeux: alors que de nombreuses &eacute;tudes parlent d&rsquo;impossibilit&eacute; et de non-fiabilit&eacute; du narrateur (ou de la narration), je m&rsquo;int&eacute;resserai plut&ocirc;t au revers ignor&eacute; de cette m&eacute;daille maintes fois astiqu&eacute;e, c&rsquo;est-&agrave;-dire &agrave; la <em>possibilit&eacute;</em>. En effet, la plupart des critiques qui s&rsquo;int&eacute;ressent &agrave; ce roman se butent &agrave; ses impossibilit&eacute;s (narratives, fictionnelles)<a href="#note7a" name="note7"><strong>[7]</strong></a>, alors que ma lecture sera plut&ocirc;t &laquo;positive&raquo;.</p> <p><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>&Agrave; propos du r&eacute;alisme magique</strong></span></p> <p>Le terme &laquo;r&eacute;alisme magique&raquo; a &eacute;t&eacute; employ&eacute; pour la premi&egrave;re fois par le critique d&rsquo;art allemand Franz Roh dans le titre d&rsquo;un texte publi&eacute; en 1925. Il utilise le terme sans vraiment s&rsquo;engager sur sa signification: il &eacute;crit dans la pr&eacute;face de son texte qu&rsquo;il n&rsquo;attribue pas &laquo;de valeur sp&eacute;ciale au titre &ldquo;r&eacute;alisme magique&rdquo;<a href="#note8a" name="note8"><strong>[8]</strong></a>&raquo;, avec lequel il d&eacute;crit le &laquo;retour de la peinture au r&eacute;alisme apr&egrave;s le style plus abstrait de l&rsquo;expressionnisme<a href="#note9a" name="note9"><strong>[9]</strong></a>&raquo;. Le terme a ensuite migr&eacute; vers l&rsquo;Am&eacute;rique latine et en est venu &agrave; d&eacute;signer &laquo;la tendance contraire, qui est l&rsquo;<em>&eacute;cart</em> d&rsquo;un texte par rapport au r&eacute;alisme plut&ocirc;t que le r&eacute;investissement du r&eacute;alisme par le texte<a href="#note10a" name="note10"><strong>[10]</strong></a>&raquo;. Il a &eacute;t&eacute; employ&eacute; de fa&ccedil;on de plus en plus affirm&eacute;e avec la parution d&rsquo;un essai &eacute;crit par Angel Flores en 1955, intitul&eacute; &laquo;Le r&eacute;alisme magique dans les fictions latino-am&eacute;ricaines<a href="#note11a" name="note11"><strong>[11]</strong></a>&raquo;. Cette double migration &mdash;d&rsquo;une part vers la litt&eacute;rature et d&rsquo;autre part vers l&rsquo;Am&eacute;rique latine&mdash; est devenue plut&ocirc;t permanente apr&egrave;s 1967; selon Maria Takolander, c&rsquo;est la traduction et la diffusion &agrave; travers le monde du roman <em>Cent ans de solitude</em> du Colombien Gabriel Garc&iacute;a M&aacute;rquez qui ont fait en sorte que le terme r&eacute;alisme magique soit accol&eacute; de fa&ccedil;on consensuelle et &laquo;officielle&raquo;, si l&rsquo;on veut, &agrave; cette &laquo;forme fictionnelle hybride qui combine fantastique et r&eacute;alisme, que les auteurs latino-am&eacute;ricains avaient produite et continuaient de produire<a href="#note12a" name="note12"><strong>[12]</strong></a>&raquo;. Dans un ouvrage paru en 1985, Amaryll Beatrice Chanady affirme que la principale caract&eacute;ristique du r&eacute;alisme magique est la suivante: &laquo;[A]lors que dans le fantastique, le surnaturel est per&ccedil;u comme probl&eacute;matique, puisqu&rsquo;il est manifestement antinomique par rapport au cadre rationnel du texte, le surnaturel dans le r&eacute;alisme magique est accept&eacute; comme faisant partie de la r&eacute;alit&eacute;<a name="note13" href="#note13a"><strong>[13]</strong></a>&raquo;. Toutefois, la pr&eacute;sence du surnaturel n&rsquo;est pas suffisante pour d&eacute;crire le r&eacute;alisme magique. Il importe que le cadre de r&eacute;f&eacute;rence r&eacute;aliste soit aussi d&eacute;velopp&eacute; que le cadre de r&eacute;f&eacute;rence surnaturel dans le r&eacute;cit, sinon le texte bascule vers le merveilleux. Selon Chanady, l&rsquo;histoire doit &ecirc;tre situ&eacute;e dans le monde contemporain et contenir une somme importante de descriptions r&eacute;alistes de ce monde et des &ecirc;tres qui l&rsquo;habitent afin de cr&eacute;er un tout harmonieux et coh&eacute;rent. Est r&eacute;aliste magique, en somme, une fiction qui r&eacute;pond aux trois crit&egrave;res suivants: tout d&rsquo;abord, le surnaturel dans le texte n&rsquo;est pas pr&eacute;sent&eacute; comme probl&eacute;matique; ensuite, le conflit de sens habituel entre le naturel et le surnaturel est r&eacute;solu par la narration; finalement, il n&rsquo;y a pas de jugement par rapport &agrave; la v&eacute;racit&eacute; des &eacute;v&eacute;nements dans la fiction, les deux niveaux de r&eacute;alit&eacute; n&rsquo;&eacute;tant pas hi&eacute;rarchis&eacute;s. La diff&eacute;rence principale entre le r&eacute;alisme magique et le fantastique r&eacute;side dans la condition de non probl&eacute;matisation du surnaturel. Dans le fantastique, le surnaturel cr&eacute;e une h&eacute;sitation que Todorov &eacute;rigeait en condition essentielle au genre: &laquo;D&rsquo;abord, il faut que le texte oblige le lecteur &agrave; consid&eacute;rer le monde des personnages comme un monde de personnes vivantes et &agrave; h&eacute;siter entre une explication naturelle et une explication surnaturelle des &eacute;v&eacute;nements &eacute;voqu&eacute;s<a href="#note14a" name="note14"><strong>[14]</strong></a>&raquo;. De plus, dans le r&eacute;alisme magique, l&rsquo;&eacute;v&eacute;nement surnaturel, parce qu&rsquo;il est plac&eacute; sur le m&ecirc;me pied d&rsquo;&eacute;galit&eacute; que l&rsquo;&eacute;v&eacute;nement naturel, n&rsquo;attire pas plus l&rsquo;attention ni des personnages ni du lecteur.</p> <p><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Les impossibilit&eacute;s du roman <em>Un an</em></strong></span></p> <p>L&rsquo;incipit de <em>Un an</em> plonge directement le lecteur dans l&rsquo;action du roman: &laquo;Victoire, s&rsquo;&eacute;veillant un matin de f&eacute;vrier sans rien se rappeler de la soir&eacute;e puis d&eacute;couvrant F&eacute;lix mort pr&egrave;s d&rsquo;elle dans leur lit, fit sa valise avant de passer &agrave; la banque et de prendre un taxi vers la gare Montparnasse&raquo; (p.7). L&rsquo;entr&eacute;e du narrateur dans l&rsquo;imperceptible, avec le bout de phrase &laquo;sans rien se rappeler&raquo;, donne d&rsquo;embl&eacute;e le ton de ce qui sera une narration omnisciente, h&eacute;t&eacute;rodi&eacute;g&eacute;tique et non-repr&eacute;sent&eacute;e, et dot&eacute;e d&rsquo;une personnalit&eacute; forte, au demeurant. Victoire, donc, craint d&rsquo;&ecirc;tre suspect&eacute;e pour la mort de F&eacute;lix parce qu&rsquo;elle ne se souvient de rien; elle fuit Paris et va errer pendant presqu&rsquo;un an, d&rsquo;abord sur la C&ocirc;te basque, puis dans les Landes, &agrave; Toulouse, dans les Landes encore, pour finalement rejoindre Paris en novembre de la m&ecirc;me ann&eacute;e, dix mois apr&egrave;s son d&eacute;part. Au d&eacute;but, <em>tout va bien</em>, pour reprendre les mots de Pierre Lepape qui signe la quatri&egrave;me de couverture: </p> <div class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><br /> Elle loue une villa au Pays basque, se trouve un amant. Mais l&rsquo;amant lui vole ses sous et Victoire va parcourir une &agrave; une les &eacute;tapes de la d&eacute;gringolade sociale: apr&egrave;s la villa, les chambres d&rsquo;h&ocirc;tel, de plus en plus miteuses, puis la belle &eacute;toile; le v&eacute;lo, puis l&rsquo;autostop et, quand elle est devenue trop sale, trop d&eacute;penaill&eacute;e pour le stop, la marche au hasard, l&rsquo;association avec d&rsquo;autres clochards, le chapardage, la promiscuit&eacute;, la perte progressive de soi et du monde.</span></div> <p> &Agrave; quelques reprises dans le roman, Louis-Philippe, ami commun de Victoire et de F&eacute;lix, appara&icirc;t l&agrave; o&ugrave; Victoire se trouve pour lui donner des nouvelles de l&rsquo;enqu&ecirc;te. Il lui recommande de ne pas rentrer tout de suite &agrave; Paris, au d&eacute;but, parce que sa responsabilit&eacute; dans la mort de F&eacute;lix n&rsquo;a pas encore &eacute;t&eacute; &eacute;cart&eacute;e (p.30-31). Puis, alors que le roman s&rsquo;ach&egrave;ve, Louis-Philippe annonce &agrave; Victoire que l&rsquo;affaire F&eacute;lix est close, qu&rsquo;elle peut rentrer &agrave; Paris (p.104). Dix heures plus tard, elle y est. Le r&eacute;cit se termine sur un excipit qui ne r&eacute;sout pas grand-chose, en quelque sorte:</p> <div class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><br /> Victoire, les semaines suivantes, &eacute;vita les lieux qu&rsquo;elle avait l&rsquo;habitude de fr&eacute;quenter auparavant. Puis quand m&ecirc;me un soir de la mi-novembre, ayant presque retrouv&eacute; son apparence normale, elle se risqua jusqu&rsquo;au Central. Elle ne s&rsquo;y &eacute;tait plus rendue depuis la veille de son d&eacute;part mais &agrave; peine entr&eacute;e, debout pr&egrave;s du bar en compagnie d&rsquo;une belle femme, elle aper&ccedil;ut F&eacute;lix. <p>F&eacute;lix, qui avait l&rsquo;air en pleine forme, ne parut pas manifester quelque &eacute;motion particuli&egrave;re en voyant approcher Victoire. Alors, s&rsquo;exclama-t-il seulement, o&ugrave; est-ce que tu &eacute;tais pass&eacute;e? Je t&rsquo;ai cherch&eacute;e partout, je te pr&eacute;sente H&eacute;l&egrave;ne. Victoire, souriant &agrave; H&eacute;l&egrave;ne, s&rsquo;abstint de demander &agrave; F&eacute;lix comment il n&rsquo;&eacute;tait pas mort, ce qui e&ucirc;t risqu&eacute; d&rsquo;infl&eacute;chir l&rsquo;ambiance, et pr&eacute;f&eacute;ra commander un blanc sec. Et Louis-Philippe, dit-elle, tu l&rsquo;as vu ces jours-ci? Ah, dit F&eacute;lix, tu n&rsquo;as pas su. Je suis d&eacute;sol&eacute;. Je vous laisse un instant, dit H&eacute;l&egrave;ne. Je suis d&eacute;sol&eacute;, r&eacute;p&eacute;ta F&eacute;lix &agrave; voix basse apr&egrave;s qu&rsquo;elle se fut &eacute;loign&eacute;e, je croyais que tu savais. On n&rsquo;a pas trop compris ce qui s&rsquo;est pass&eacute; pour Louis-Philippe, on n&rsquo;a jamais bien su, je crois qu&rsquo;on l&rsquo;a trouv&eacute; deux ou trois jours apr&egrave;s dans sa salle de bains. C&rsquo;est tout le probl&egrave;me quand on vit seul. &Ccedil;a s&rsquo;est pass&eacute; juste au moment de ton d&eacute;part, &ccedil;a va faire quoi, un an, un peu moins d&rsquo;un an. J&rsquo;ai m&ecirc;me cru un moment que tu &eacute;tais partie &agrave; cause de &ccedil;a. Mais non, dit Victoire, bien s&ucirc;r que non (p.110-111).</p></span></div> <p> Le roman s&rsquo;ach&egrave;ve sur cette invraisemblance empirique et di&eacute;g&eacute;tique majeure: empirique, d&rsquo;une part, parce que Louis-Philippe, mort, &eacute;tait bien vivant tout au long du r&eacute;cit et que F&eacute;lix, vivant, &eacute;tait plut&ocirc;t mort d&egrave;s l&rsquo;ouverture du r&eacute;cit; di&eacute;g&eacute;tique, d&rsquo;autre part, pour les m&ecirc;mes raisons: la mise en intrigue par le narrateur omniscient perd ici de sa coh&eacute;rence et de sa cr&eacute;dibilit&eacute;. De deux choses l&rsquo;une: ou Louis-Philippe serait un fant&ocirc;me et aurait menti &agrave; Victoire concernant la mort de F&eacute;lix, d&rsquo;une certaine fa&ccedil;on ressuscit&eacute;; ou, encore, le narrateur aurait retenu une somme importante de savoir et Victoire aurait tout simplement &eacute;t&eacute; victime d&rsquo;hallucinations lors de son errance. C&rsquo;est la deuxi&egrave;me hypoth&egrave;se qui semble au premier abord la plus valide, notamment en ce que le narrateur para&icirc;t d&eacute;l&eacute;guer la focalisation &agrave; Victoire &mdash;le lecteur aurait donc lu un r&eacute;cit &agrave; focalisation interne fixe sur le personnage de Victoire. Mais ce n&rsquo;est pas le cas. J&rsquo;ai affirm&eacute; plus t&ocirc;t que la narration, d&egrave;s les premiers mots du r&eacute;cit, entre dans l&rsquo;imperceptible en mentionnant que Victoire ne se souvient de rien. N&eacute;anmoins, cette focalisation interne est plut&ocirc;t simul&eacute;e; en effet, il serait plus juste de parler d&rsquo;un narrateur omniscient qui se joue du lecteur, &agrave; tout le moins du narrataire ou, encore mieux: qui se joue <em>de son propre syst&egrave;me narratif</em>, comme l&rsquo;&eacute;crit Genette &agrave; propos de Proust dans &laquo;Discours du r&eacute;cit<a name="note15" href="#note15a"><strong>[15]</strong></a>&raquo;. Un moment particulier du roman permet de bien comprendre ce que je veux dire: le narrateur met en sc&egrave;ne une d&eacute;l&eacute;gation de focalisation tout &agrave; fait impossible, et qui commence sur le rebord d&rsquo;une fen&ecirc;tre, cadre parfait pour l&rsquo;occasion:</p> <div class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><br /> L&rsquo;apr&egrave;s-midi du m&ecirc;me jour, comme elle vaquait &agrave; la cuisine vers l&rsquo;heure du th&eacute;, un courant d&rsquo;air fit s&rsquo;ouvrir puis claquer bruyamment la fen&ecirc;tre de sa chambre. Elle monta l&rsquo;escalier pour aller fermer le battant mais d&rsquo;abord, accoud&eacute;e &agrave; la barre d&rsquo;appui, elle consid&eacute;ra la mer vide. <p>Pas vide pour longtemps puisque par la droite du cadre, au loin, parut la proue d&rsquo;un cargo rouge et noir. Inactif pour le moment, accoud&eacute; au bastingage, le radiot&eacute;l&eacute;graphiste affect&eacute; &agrave; ce cargo consid&eacute;rait dans sa longue-vue la c&ocirc;te pointill&eacute;e de pavillons, les drapeaux flaccides hiss&eacute;s sur les plages et les d&eacute;riveurs aux voiles faseyantes, affaiss&eacute;es comme de vieux rideaux. Ensuite, au beau milieu du ciel, le radiot&eacute;l&eacute;graphiste observa le bimoteur &agrave; h&eacute;lices tra&icirc;nant une banderole publicitaire environn&eacute;e d&rsquo;oiseaux marins tra&ccedil;ant des chiffres, sur fond de nuages passant du m&ecirc;me &agrave; l&rsquo;autre et du pareil au m&ecirc;me (p.28-29).</p></span></div> <p> Cette d&eacute;l&eacute;gation de focalisation au personnage de Victoire est impossible pour plusieurs raisons. Tout d&rsquo;abord, quelques pages auparavant, on a annonc&eacute; que &laquo;l&rsquo;oc&eacute;an &eacute;tait trop &eacute;loign&eacute; [du pavillon] pour qu&rsquo;on puisse l&rsquo;entendre&raquo; (p.23). De plus, le radiot&eacute;l&eacute;graphiste, lorsqu&rsquo;il regarde la c&ocirc;te avec sa longue-vue, ne voit qu&rsquo;un pointill&eacute; de pavillons, ce qui rend impossible le fait que Victoire soit en train d&rsquo;observer, &agrave; l&rsquo;&oelig;il nu, ce qu&rsquo;il fait sur le cargo qu&rsquo;elle distingue seulement au loin. Tout ce qui est rapport&eacute;, donc, nous parvient du narrateur qui, sans focalisation, est tout &agrave; fait omniscient. L&rsquo;hypoth&egrave;se d&rsquo;une s&eacute;rie d&rsquo;hallucinations par Victoire est donc &agrave; rejeter. Le narrateur n&rsquo;a pas op&eacute;r&eacute; l&rsquo;importante r&eacute;tention de savoir que supposait cette hypoth&egrave;se. Il convient donc de revenir &agrave; la premi&egrave;re hypoth&egrave;se, qui stipule que Louis-Philippe est un fant&ocirc;me qui ment &agrave; Victoire pour une raison que l&rsquo;on ne conna&icirc;t pas, et que F&eacute;lix, de quelque fa&ccedil;on que ce soit, est revenu &agrave; la vie apr&egrave;s que Victoire ait quitt&eacute; Paris.</p> <p><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Et le surnaturel</strong></span></p> <p>Cette hypoth&egrave;se r&eacute;aliste magique r&eacute;actualise en quelque sorte le r&eacute;cit, que l&rsquo;on est tent&eacute; de relire &agrave; l&rsquo;aune de cette nouvelle donn&eacute;e. Cette relecture r&eacute;aliste magique permet de mettre en lumi&egrave;re d&rsquo;autres invraisemblances, empiriques celles-l&agrave;, qui ont pu &eacute;chapper &agrave; la vigilance du lecteur, qui les aura peut-&ecirc;tre rel&eacute;gu&eacute;es au statut de simples descriptions stylis&eacute;es, par exemple. Il faut l&rsquo;avouer, ce sont de petites occurrences surnaturelles qui ponctuent ici et l&agrave; le r&eacute;cit, mais qui peuvent &ecirc;tre interpr&eacute;t&eacute;es comme &eacute;tant de v&eacute;ritables invraisemblances par un (re)lecteur qui consid&egrave;re le texte autrement, apr&egrave;s avoir &eacute;tabli que Louis-Philippe est un fant&ocirc;me. D&rsquo;ailleurs, d&egrave;s la dixi&egrave;me page du roman, n&rsquo;est-il pas indiqu&eacute; que &laquo;[c]&rsquo;&eacute;tait toujours par hasard au Central, et fr&eacute;quemment en fin d&rsquo;apr&egrave;s-midi, que Victoire croisait Louis-Philippe alors que lui, o&ugrave; qu&rsquo;elle f&ucirc;t et n&rsquo;importe quand, savait toujours la retrouver d&egrave;s qu&rsquo;il voulait&raquo; (p.10)? Ce qui s&rsquo;av&egrave;re juste: Victoire n&rsquo;a laiss&eacute; derri&egrave;re elle aucune trace qui e&ucirc;t permis de la retrouver et, pourtant, Louis-Philippe vient frapper &agrave; la porte du pavillon qu&rsquo;elle occupe &agrave; Saint-Jean-de-Luz, puis se trouve par hasard &agrave; l&rsquo;h&ocirc;tel Albizzia en m&ecirc;me temps qu&rsquo;elle, la prend en stop sur la route qui m&egrave;ne &agrave; Toulouse et, finalement, vient la rejoindre dans un bar situ&eacute; &agrave; peu pr&egrave;s nulle part, alors que Victoire erre en for&ecirc;t depuis longtemps d&eacute;j&agrave;. Mais ces co&iuml;ncidences ne pourraient &ecirc;tre, apr&egrave;s tout, que des co&iuml;ncidences. Nombreuses et d&eacute;routantes, certes, mais pas surnaturelles pour autant. Le premier v&eacute;ritable indice de la pr&eacute;sence du surnaturel dans le r&eacute;cit, c&rsquo;est No&euml;lle Valade, la propri&eacute;taire de la villa que loue Victoire &agrave; Saint-Jean-de-Luz, qui l&rsquo;incarne. La premi&egrave;re description du personnage va comme suit:</p> <div class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><br /> Visage clair et v&ecirc;tement clairs, l&egrave;vres souriantes et cabriolet corail ton sur ton, cette propri&eacute;taire nomm&eacute;e No&euml;lle Valade <em>semblait flotter &agrave; quelques centim&egrave;tres du sol </em>malgr&eacute; son imposante poitrine mais il en est ainsi des imposantes poitrines, certaines vous lestent et d&rsquo;autres vous exhaussent, sacs de sable ou ballons d&rsquo;h&eacute;lium, et <em>sa peau translucide et lumineuse</em> d&eacute;notait un v&eacute;g&eacute;tarisme strict (p.15; c&rsquo;est moi qui souligne).</span></div> <p> Mais, ici, le vocabulaire nuance le surnaturel; le narrateur indique que No&euml;lle Valade <em>semblait</em> flotter au-dessus du sol, et calque ainsi, en mode mineur, la fausse d&eacute;l&eacute;gation de focalisation que j&rsquo;ai pr&eacute;sent&eacute;e plus t&ocirc;t: c&rsquo;est Victoire qui per&ccedil;oit le personnage, semble-t-il, alors que, je l&rsquo;ai dit, c&rsquo;est plut&ocirc;t le narrateur qui prend en charge le point de vue. Le surnaturel se fait ressentir un peu plus loin encore, comme dans le passage suivant:</p> <div class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><br /> Du bout des doigts, sans trop les approcher, No&euml;lle Valade montrait les papiers peints disjoints, la baignoire entart&eacute;e, les &eacute;tains sous oxyde, suspendant son geste avant le point de contact, sans que Victoire compr&icirc;t d&rsquo;abord si cela relevait d&rsquo;une r&eacute;pulsion sp&eacute;ciale inspir&eacute;e par ces lieux ou d&rsquo;une politique d&rsquo;ensemble &agrave; l&rsquo;&eacute;gard des objets. Cependant No&euml;lle Valade parut &eacute;prouver de la sympathie pour sa locataire, ne montra nulle m&eacute;fiance et r&eacute;duisit au minimum les formalit&eacute;s de location: ni papiers ni caution, seulement <em>trois mois d&rsquo;avance en liquide qui volet&egrave;rent en douceur, libellules vertes et bleues, du sac &agrave; main de Victoire vers le sien</em>&nbsp; (p.17; c&rsquo;est moi qui souligne). </span></div> <div class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><br /> Et comme elle enclenchait la marche arri&egrave;re, Victoire put v&eacute;rifier qu&rsquo;il s&rsquo;agissait effectivement d&rsquo;une politique d&rsquo;ensemble, &eacute;tendue &agrave; toute chose mat&eacute;rielle que No&euml;lle Valade ne touchait qu&rsquo;en de&ccedil;&agrave; du bout des doigts, <em>menant son v&eacute;hicule par influx de faisceaux magn&eacute;tiques</em> (p.18-19; c&rsquo;est moi qui souligne)</span>.</div> <p> Cette fois-ci, le surnaturel est beaucoup plus prononc&eacute;: la propri&eacute;taire du pavillon fait voleter des billets de banque jusqu&rsquo;&agrave; son sac &agrave; main et conduit son cabriolet &laquo;par influx de faisceaux magn&eacute;tiques&raquo; (p.19). Et le myst&egrave;re continue de ponctuer le r&eacute;cit, notamment lorsque Victoire se lie avec Gore-Tex et Lampoule, deux itin&eacute;rants rencontr&eacute;s &agrave; Toulouse; Gore-Tex, quand vient le temps de manger, red&eacute;couvre &laquo;toujours au fond d&rsquo;une poche les m&ecirc;mes trente-cinq francs permettant &agrave; Victoire d&rsquo;accompagner Lampoule chez l&rsquo;&eacute;picier discount&raquo; (p.75), indique le narrateur. Ces petits morceaux de surnaturel ne sont pas sans &eacute;voquer la &laquo;r&eacute;alit&eacute; myst&eacute;rieuse&raquo; dont parle Pierre Lepape en quatri&egrave;me de couverture: &laquo;<em>Un an</em>, dans sa simplicit&eacute; lin&eacute;aire, imm&eacute;diate, met en valeur la po&eacute;tique d&rsquo;Echenoz. Celle-ci repose sur le combat perp&eacute;tuel que se livrent <em>une r&eacute;alit&eacute; myst&eacute;rieuse</em> et dont le sens fuit sans cesse [&hellip;] et les mots pour la dire le plus exactement possible&raquo; (je souligne).</p> <p>Il me semble donc que l&rsquo;on retrouve les trois crit&egrave;res du r&eacute;alisme magique de Chanady dans la (re)lecture du roman d&rsquo;Echenoz que je viens de proposer. D&rsquo;abord, que Louis-Philippe soit mort et F&eacute;lix vivant n&rsquo;est pas pr&eacute;sent&eacute; de fa&ccedil;on probl&eacute;matique par la narration; ensuite, le conflit de sens entre le r&eacute;alisme d&eacute;solant de l&rsquo;&eacute;tat des lieux du pavillon, par exemple, et les pouvoirs myst&eacute;rieux de No&euml;lle Valade, puisqu&rsquo;il n&rsquo;est pas pr&eacute;sent&eacute; comme probl&eacute;matique, ne se pose m&ecirc;me pas; et, finalement, les deux niveaux de r&eacute;alit&eacute; ne sont pas hi&eacute;rarchis&eacute;s. On pourrait nuancer le r&eacute;alisme magique du roman <em>Un an</em> en disant que le cadre de r&eacute;f&eacute;rence naturel prend beaucoup plus de place dans le r&eacute;cit que le cadre de r&eacute;f&eacute;rence surnaturel, qui n&rsquo;est, en bout de ligne, pas vraiment &eacute;rig&eacute; en cadre de r&eacute;f&eacute;rence. Il faudrait parler, plut&ocirc;t, d&rsquo;<em>occurrences</em> surnaturelles. N&rsquo;emp&ecirc;che que les deux autres crit&egrave;res sont tout &agrave; fait respect&eacute;s, notamment parce qu&rsquo;ils se sous-entendent l&rsquo;un et l&rsquo;autre, et permettent, &agrave; d&eacute;faut d&rsquo;inscrire d&eacute;finitivement l&rsquo;&oelig;uvre &eacute;tudi&eacute;e dans le r&eacute;alisme magique, de proposer comme je viens de le faire une relecture <em>orient&eacute;e</em> par le r&eacute;alisme magique. Une relecture qui rend inop&eacute;rante l&rsquo;invraisemblance finale qui cl&ocirc;t le r&eacute;cit et qui permet, par la mise au jour d&rsquo;une r&eacute;alit&eacute; di&eacute;g&eacute;tique artificielle, de mettre fin au vertige lectoral caus&eacute; par une telle finale en queue de poisson. Ce parcours est non seulement orient&eacute; par le r&eacute;alisme magique mais, encore plus, <em>volontairement</em> orient&eacute;. C&rsquo;est-&agrave;-dire que ce que je d&eacute;fends, c&rsquo;est une posture lecturale, une possibilit&eacute; effective de lecture qu&rsquo;est susceptible de mener un lecteur habitu&eacute; aux r&eacute;cits non seulement r&eacute;alistes magiques, mais aussi fantastiques, &eacute;tranges, merveilleux, etc., ou encore tout lecteur adepte de ces textes qui demandent un peu plus de coop&eacute;ration interpr&eacute;tative au sens o&ugrave; l&rsquo;entend Umberto Eco<a href="#note16a" name="note16"><strong>[16]</strong></a>.</p> <p><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>En guise de &laquo;contrepoint&raquo;</strong></span></p> <p>Je n&rsquo;ai pas souhait&eacute; d&eacute;fendre dans ce texte l&rsquo;hypoth&egrave;se que le roman <em>Un an</em> est r&eacute;aliste magique au pied de la lettre, on le sait maintenant, mais plut&ocirc;t celle qu&rsquo;il peut <em>activer une lecture </em>r&eacute;aliste magique, un peu comme Richard Saint-Gelais a d&eacute;j&agrave; montr&eacute; qu&rsquo;il &eacute;tait possible de lire <em>Candide</em> de Voltaire de fa&ccedil;on polici&egrave;re, m&ecirc;me si le texte en question ne rel&egrave;ve pas du genre policier<a href="#note17a" name="note17"><strong>[17]</strong></a>. Ainsi, je ne peux passer sous silence le contrepoint du roman, son successeur qui vient en expliquer les invraisemblances et d&eacute;sactiver tout &agrave; fait les possibilit&eacute;s de lire l&rsquo;&oelig;uvre selon une grille r&eacute;aliste magique. En effet, dans <em>Je m&rsquo;en vais</em><a href="#note18a" name="note18"><strong>[18]</strong></a>, roman paru chez Minuit en 1999, Echenoz explique de fa&ccedil;on tr&egrave;s pragmatique l&rsquo;invraisemblance finale de <em>Un an</em>: F&eacute;lix souffre de ce que la m&eacute;decine appelle un bloc auriculo-ventriculaire de deuxi&egrave;me degr&eacute; type Luciani-Wenckebach, affliction qui peut produire l&rsquo;arr&ecirc;t simultan&eacute; des fonctions vitales pour quelques heures, rapprochant ainsi le patient atteint de la mort clinique<a href="#note19a" name="note19"><strong>[19]</strong></a>. N&eacute;anmoins, au r&eacute;veil, le patient ne se rappelle pas avoir souffert, puisqu&rsquo;il n&rsquo;a rien ressenti. C&rsquo;est ce qui est arriv&eacute; &agrave; F&eacute;lix: il n&rsquo;&eacute;tait pas mort quand Victoire a d&eacute;cid&eacute; de partir, seulement subissait-il un &eacute;pisode de cette maladie. Quant &agrave; Louis-Philippe, il a feint sa mort pour mieux escroquer F&eacute;lix qui, &agrave; la fin, le sait mais ne le r&eacute;v&egrave;le pas &agrave; Victoire. Quoi qu&rsquo;il en soit, c&rsquo;est une posture lecturale que je d&eacute;fends; autrement dit, peu importe que <em>Je m&rsquo;en vais</em> r&eacute;duise la l&eacute;gitimit&eacute; d&rsquo;une lecture r&eacute;aliste magique de <em>Un an</em>: selon Bertrand Gervais, toute th&eacute;orie doit reconna&icirc;tre et rendre compte de la diversit&eacute; des actes de lecture. Il affirme qu&rsquo;il &laquo;n&rsquo;y a pas un seul acte de lecture dont on pourrait faire une th&eacute;orie unifi&eacute;e et globale, [mais qu&rsquo;il] y a une multiplicit&eacute; d&rsquo;actes dont il faut reconna&icirc;tre et, par suite, d&eacute;finir les variables<a href="#note20a" name="note20"><strong>[20]</strong></a>&raquo;. Je me suis attard&eacute; ici &agrave; une seule lecture du roman d&rsquo;Echenoz, mais une lecture plut&ocirc;t &laquo;originale&raquo; si l&rsquo;on consid&egrave;re celles pr&eacute;sent&eacute;es ailleurs, et qui s&rsquo;inscrit d&rsquo;une certaine fa&ccedil;on dans une tentative plus globale de lire de fa&ccedil;on critique l&rsquo;&oelig;uvre du romancier. J&rsquo;ai voulu faire abstraction des nouvelles donn&eacute;es apport&eacute;es par le roman subs&eacute;quent <em>Je m&rsquo;en vais</em>, d&rsquo;abord parce que <em>Un an</em> est bel et bien un roman ind&eacute;pendant, avec un d&eacute;but et une fin, &eacute;crit sans que l&rsquo;auteur n&rsquo;ait en t&ecirc;te de produire une suite mais, aussi, parce qu&rsquo;Echenoz lui-m&ecirc;me mentionne, dans un entretien donn&eacute; aux &eacute;ditions Br&eacute;al pour un ouvrage didactique destin&eacute; aux lyc&eacute;ens, que <em>Je m&rsquo;en vais</em> n&rsquo;est pas une suite, mais un<em> contrepoint</em> au roman <em>Un an</em>:</p> <div class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Il y avait &agrave; la fin de [&hellip;] <em>Un an</em> [&hellip;] un personnage que l&rsquo;on croit mort, mais dont on s&rsquo;aper&ccedil;oit qu&rsquo;il est vivant, et un second personnage qui, inversement, est mort alors qu&rsquo;on le croit vivant. Pour moi, &ccedil;a ne devait pas causer de probl&egrave;me, en tous cas pas dans un roman; mais mon &eacute;diteur a re&ccedil;u quelques lettres de lecteurs [&hellip;] qui trouvaient cette fin un peu insolite, d&eacute;concertante. [&hellip;] &Ccedil;a &eacute;t&eacute; un peu le d&eacute;clic; je me suis dit qu&rsquo;il fallait &eacute;crire un livre qui soit totalement ind&eacute;pendant du premier, mais qui puisse en m&ecirc;me temps servir de code explicatif. Tous mes livres ont toujours &eacute;t&eacute; ind&eacute;pendants les uns des autres; l&agrave;, je ne voulais pas du tout d&rsquo;une suite, mais d&rsquo;une certaine mani&egrave;re d&rsquo;un contrepoint<a href="#note21a" name="note21"><strong>[21]</strong></a>.</span></div> <p> Cette fin d&eacute;concertante dont parle Echenoz participe au questionnement du paradigme de la transmission narrative et au vertige dont le lecteur peut &ecirc;tre victime, deux ph&eacute;nom&egrave;nes qui ne sont pas &agrave; proprement parler, ni exclusivement, contemporains, mais que l&rsquo;on retrouve n&eacute;anmoins dans tout un pan de la production litt&eacute;raire actuelle.</p> <p> <a href="#note1" name="note1a"><strong>[1]</strong></a> Ce texte est une version remani&eacute;e d&rsquo;une communication pr&eacute;sent&eacute;e au colloque &laquo;Le roman artificiel. Vertiges de la transmission narrative en fiction contemporaine&raquo;, dans le cadre du Congr&egrave;s 2010 de l&rsquo;ACFAS, tenu &agrave; Universit&eacute; de Montr&eacute;al, le 12 mai 2010.<br /> <a href="#note2" name="note2a"><strong>[2]</strong> </a>Amaryll Beatrice Chanady, <em>Magical Realism and the Fantastic: Resolved Versus Unresolved Antinomy</em>, New York &amp; London, Garland Publishing, Inc., 1985.<br /> <a href="#note3" name="note3a"><strong>[3] </strong></a>D&eacute;sormais, les renvois &agrave; cette &eacute;dition seront signal&eacute;s dans le corps du texte par la seule mention du num&eacute;ro de la page, entre parenth&egrave;ses. <br /> <a href="#note4" name="note4a"><strong>[4] </strong></a>Richard Saint-Gelais, &laquo;&ldquo;Je le quittai sans qu&rsquo;il e&ucirc;t achev&eacute; de la lire&rdquo;. Lecture, relecture et fausse premi&egrave;re lecture du roman policier&raquo;, <em>Tangence</em>, n&deg;36 (mai 1992), p.68.<br /> <a href="#note5" name="note5a"><strong>[5]</strong></a> Christine J&eacute;rusalem, <em>Jean Echenoz: g&eacute;ographies du vide</em>, Saint-&Eacute;tienne, Publications de l&rsquo;Universit&eacute; de Saint-&Eacute;tienne Jean Monnet (Centre interdisciplinaire d&rsquo;&Eacute;tude et de Recherche sur l&rsquo;Expression Contemporaine, Travaux 118), 2005, p.73.<br /> <a name="note6a" href="#note6"><strong>[6]</strong></a> Par exemple, dans Petr Dytrt, <em>Le (post)moderne des romans de Jean Echenoz: de l&rsquo;anamn&egrave;se du moderne vers une &eacute;criture du postmoderne</em>, Brno, Masarykova Universita, 2007. Ou encore, dans Christine J&eacute;rusalem, <em>op. cit</em>..<br /> <a href="#note7" name="note7a"><strong>[7] </strong></a>On lira d&rsquo;ailleurs avec beaucoup d&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t, entre autres, l&rsquo;article de Frances Fortier et Andr&eacute;e Mercier, &laquo;L&rsquo;autorit&eacute; narrative dans le roman contemporain. Exploitations et red&eacute;finitions&raquo;, <em>Prot&eacute;e</em>, volume 34, num&eacute;ros 2-3 (automne-hiver 2006), p.139-152.<br /> <a href="#note8" name="note8a"><strong>[8] </strong></a>Lois Parkinson Zamora et Wendy B. Faris, &laquo;Editors&rsquo; Note&raquo;, dans Franz Roh, &laquo;Magic Realism: Post-Expressionism&raquo;, dans Lois Parkinson Zamora et Wendy B. Faris [dir.], <em>Magical Realism: Theory, History, Community</em>, Durham &amp; London, Duke University Press, 1995, p.15. C&rsquo;est moi qui traduis. Texte original: &laquo;I attribute no special value to the title &ldquo;magical realism&rdquo;.&raquo;<br /> <a href="#note9" name="note9a"><strong>[9]</strong></a> <em>Id.</em> C&rsquo;est moi qui traduis. Texte original: &laquo;this new painting&rsquo;s return to Realism after Expressionism&rsquo;s more abstract style.&raquo;<br /> <a href="#note10" name="note10a"><strong>[10] </strong></a><em>Id</em>. C&rsquo;est moi qui traduis. Texte original: &laquo;the contrary tendency, that is, a text&rsquo;s departure from realism rather than it&rsquo;s reengagement of it.&raquo;<br /> <a name="note11a" href="#note11a"><strong>[11]</strong></a> Le texte a &eacute;t&eacute; repris dans l&rsquo;ouvrage collectif dirig&eacute; par Parkinson Zamora et Faris en 1995: Angel Flores, &laquo;Magical Realism in Spanish American Fiction&raquo;, dans Lois Parkinson Zamora et Wendy B. Faris [dir.], <em>op. cit.</em>, p.109-117.<br /> <a href="#note12" name="note12a"><strong>[12]</strong></a> Maria Takolander, <em>Catching Butterflies. Bringing Magical Realism to Ground</em>, Bern, Peter Lang, 2007, p.29. C&rsquo;est moi qui traduis. Texte original: &laquo;a hybrid form of fiction that combined fantasy and realism, which Latin American writers had produced and were producing.&raquo;<br /> <a href="#note13" name="note13a"><strong>[13]</strong></a> Amaryll Beatrice Chanady, <em>op. cit</em>., p.30. Passage traduit par Charles W. Scheel, dans <em>R&eacute;alisme magique et r&eacute;alisme merveilleux</em>, Paris, L&rsquo;Harmattan, 2005, p.90-91. Texte original: &laquo;while in the fantastic the supernatural is perceived as problematic, since it is patently antinomious with respect to the rational framework of the text, the supernatural in magical realism is accepted as part of reality.&raquo;<br /> <a href="#note14" name="note14a"><strong>[14]</strong></a> Tzvetan Todorov, <em>Introduction &agrave; la litt&eacute;rature fantastique</em>, Paris, &Eacute;ditions du Seuil (Points), 1970, p.37.<br /> <a href="#note15" name="note15a"><strong>[15]</strong></a> G&eacute;rard Genette, <em>Figures III</em>, Paris, &Eacute;ditions du Seuil (Po&eacute;tique), 1972, p.221.<br /> <a href="#note16" name="note16a"><strong>[16] </strong></a>Umberto Eco, <em>Lector in fabula. Le r&ocirc;le du lecteur, ou la Coop&eacute;ration interpr&eacute;tative dans les textes narratifs</em>, traduit de l&rsquo;italien par Myriem Bouzaher, Paris, Grasset (Le Livre de Poche / Biblio essais), 1985.<br /> <a href="#note17" name="note17a"><strong>[17]</strong></a> Richard Saint-Gelais, &laquo;Rudiments de lecture polici&egrave;re&raquo;, <em>Revue belge de philologie et d&rsquo;histoire</em>, num&eacute;ro 75, 1997, p.789-804.<br /> <a href="#note18" name="note18a"><strong>[18] </strong></a>Jean Echenoz, <em>Je m&rsquo;en vais</em>, Paris, &Eacute;ditions de Minuit, 2001 [1999].<br /> <a href="#note19" name="note19a"><strong>[19]</strong></a> <em>Ibid</em>., p.55.<br /> <a href="#note20" name="note20a"><strong>[20]</strong></a> Bertrand Gervais, <em>&Agrave; l&rsquo;&eacute;coute de la lecture</em>, Qu&eacute;bec, &Eacute;ditions Nota Bene (NB Poche), [1993] 2006, p.8-9.<br /> <a href="#note21" name="note21a"><strong>[21]</strong></a> Jean Echenoz, <em>Je m'en vais, op. cit</em>., p.230.</p> http://salondouble.contemporain.info/antichambre/eloge-de-la-relecture-ou-l-invraisemblance-qui-reactive-le-recit#comments CAMUS, Albert CHANADY, Amaryll Beatrice DYTRT, Petr ECHENOZ, Jean ECO, Umberto FLORES, Angel FORTIER, Frances et MERCIER, Andrée France GENETTE, Gérard GERVAIS, Bertrand JÉRUSALEM, Christine PARKINSON ZAMORA, Lois, et FARIS, Wendy B. Réalisme magique ROH, Franz SAINT-GELAIS, Richard SCHEEL, Charles W. TAKOLANDER, Maria Théories de la lecture TODOROV, Tzvetan Roman Thu, 02 Dec 2010 17:07:28 +0000 Pierre-Luc Landry 296 at http://salondouble.contemporain.info