Salon double - Canada http://salondouble.contemporain.info/taxonomy/term/670/0 fr Un mythe canadien? http://salondouble.contemporain.info/lecture/un-mythe-canadien <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/ferland-pierre-paul">Ferland, Pierre-Paul</a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-biblio"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/biblio/du-bon-usage-des-etoiles">Du bon usage des étoiles </a> </div> </div> </div> <!--break--><!--break--> <p style="text-align: justify;">La maison d’édition de Québec Alto se distingue notamment grâce à la publication de traductions d’œuvres canadiennes anglaises. Dominique Fortier, auteure de trois romans et traductrice de six titres canadiens pour la jeune maison d’édition, se trouve au cœur de ce dialogue entrepris entre les deux cultures du Canada. Son premier roman, <em>Du bon usage des étoiles</em> (2009), finaliste pour de nombreuses distinctions (Prix littéraire du Gouverneur Général, Prix des libraires du Québec, Grand prix littéraire Archambault, Prix Senghor du premier roman) et bientôt adapté au cinéma par Jean-Marc Vallée, nous montre un autre versant des échanges culturels qui se développent entre les cultures québécoise et canadienne: celui de l’imaginaire.</p> <p style="text-align: justify;"><br /><em>Du bon usage des étoiles</em> relate le périple historique des navires <em>Erebus</em> et <em>Terror</em> dans l’océan Arctique à partir de l’été 1845 selon les perspectives parallèles des marins se dirigeant vers leur mort et de leurs flammes demeurées en Angleterre, liant la trame épique à une intrigue amoureuse. L’expédition, commandée par l’explorateur de renom Sir John Franklin et son second Francis Crozier, reste prisonnière des glaces. Les quelque 130 membres de l’équipage périssent dans des conditions terribles. Cette exploration avortée du «passage du Nord-Ouest», pratiquement inconnue au Québec, constitue un sujet de fascination ailleurs au Canada, où la chanson folklorique «Northwest Passage» de Stan Rogers a contribué à immortaliser l’équipée dans l’imaginaire collectif. Des auteurs de renom tels que Margaret Atwood, avec la nouvelle «Age of Lead» parue dans <em>Wilderness Tips</em> (1991), Mordecai Richler, avec <em>Solomon Gursky was Here</em> (1989), ou plus récemment Elizabeth Hay, avec <em>Late Nights on Air </em>(2007) se sont inspiré de l’épopée britannique. Atwood, dans <em>Strange Things: the Malevolent North in Canadian Literature </em>(1995), l’associe même à une sorte de mythe fondateur destiné à entrer dans le folklore afin d’être ressassé par chaque génération. En ce sens, le choix de Fortier d’«importer» au Québec un tel récit pourrait s’apparenter à un transfert culturel continental <strong><a href="#1">[1]</a><a id="1a" name="1a"></a></strong>. Il s’agirait, dans ces circonstances, non pas seulement d’habiter, par les artifices de la fiction, un événement marquant de l’Histoire impériale britannique et du Canada, mais surtout de s’approprier un mythe fondateur d’une collectivité américaine et de l’enrichir d’une nouvelle sensibilité.</p> <p style="text-align: justify;"><br /><span style="color:#696969;"><strong>Mythe américain</strong></span><br />À première vue, cette épopée s’inscrit pleinement dans ce qu’il est convenu de nommer le «mythe américain». Jean Morency (1994) indique que &nbsp;</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p style="text-align: justify;"><br />le mythe américain raconterait bientôt comment les hommes, aux temps héroïques de l’exploration du continent, c’est-à-dire aux temps primordiaux –[…]– se sont arrachés à un monde caractérisé par la stabilité, ou imaginé en tant que tel, pour s’enfoncer dans l’espace américain, à la recherche d’un éden [sic] ou d’une utopie, pour s’y retrouver face à face avec&nbsp; l’Indien, et en revenir finalement transformés (12).</p> </blockquote> <p style="text-align: justify;"><br />L’organisation narrative du mythe «qui met en place des réseaux d’oppositions traduisant une hésitation de nature ontologique et débouchant sur l’expression d’une nouvelle réalité» (Morency, 2007: 354) s’inspire directement du «parcours initiatique» qu’ont décrit notamment les anthropologues Claude Lévi-Strauss et Mircea Eliade. Parmi les oppositions les plus emblématiques de ce schéma mythique qui définirait l’américanité, notons par exemple le Nomade contre le Sédentaire, l’Indien contre le Blanc, la Liberté contre l’Ordre, la Civilisation contre la Sauvagerie, etc. Les personnages de <em>Du bon usage des étoiles</em> semblent d’ailleurs pleinement imprégnés de cet imaginaire lorsqu’ils veulent motiver leur entreprise. Ainsi, Franklin part «à la conquête du <em>mythique</em> passage du Nord-Ouest, toujours pour la plus grande gloire de l’empire» (13, je souligne). On raconte même qu’il s’agirait de «la découverte du siècle, qui n’a peut-être d’égale dans l’histoire que la découverte de l’Amérique» (143). Crozier, dans son journal, traite quant à lui avec un vocabulaire biblique de son exaltation de «baptiser le territoire» de ce «nouvel Éden»: «Avant nous, le paysage grandiose fait de glace et de ciel n’existait pas; nous le tirions du néant où il ne retournera jamais, car désormais il a un nom. […] Il a rejoint le domaine toujours grandissant de ce qui est nôtre sur cette Terre» (43).</p> <p style="text-align: justify;"><br />Lorsque l’équipage rencontre une famille d’Esquimaux, la narration insiste également sur la dimension mythique de ce «premier contact»: «On jurerait qu’ils ont découvert quelque créature mythique, une baleine blanche, une licorne qu’ils ne connaissaient que par les livres, et que cette rencontre les fait, eux, entrer dans la légende» (119). Le clin d’œil (tout à fait anachronique) à <em>Moby Dick</em>, le chef-d’œuvre de Melville paru en 1851 que Morency considère comme emblématique de l’américanité, rattache clairement <em>Du bon usage des étoiles</em> à cette matière mythologique. Attrait de la nouveauté, contact bouleversant avec l’Indien (qui engage moult débats au sein de l’équipage entre les partisans du «mythe du Bon Sauvage» et ceux du «primitif» proche de la bête), quête de domestication de la Nature par la Main civilisatrice: à première vue, la perspective que Fortier donne à l’expédition de Franklin se rattache à l’appréhension euphorique du mythe.</p> <p style="text-align: justify;"><br /><span style="color:#696969;"><strong>Revoir les stéréotypes de l’américanité</strong></span><br />Pourtant, malgré l’impression d’une mission divine, le recours à la forme narrative du journal de bord permet à Fortier de dévoiler les motivations toutes personnelles du second capitaine, Crozier, qui ne satisfont pas nécessairement au portrait du «héros civilisateur» à qui on pourrait l’associer. Indiquant qu’il quitte à regret la jeune Sophia qui refuse ses avances, il écrit: «Je ne pars plus vers quelque chose comme je l’ai fait tant de fois, le cœur battant, l’esprit enflammé à la pensée de découvrir une partie de notre monde que personne n’avait aperçue, je quitte quelque chose […]» (35). Au «voyageur dionysiaque» ou au héros civilisateur généralement associés au mythe américain se substitue donc un amant rejeté et nostalgique de celle qui serait «&nbsp;[s]a femme, [s]a maison et [s]on pays» (35).</p> <p style="text-align: justify;"><br />L’enlisement des navires dans les glaciers permet d’ailleurs de présenter la dimension tragique de l’épopée continentale, ce triomphe de la Nature contre la Conquête des Hommes qui s’assimile désormais à un quelconque crime d’<em>hubris</em>: «Venus en découvreurs arpenter une terre inconnue et sillonner des eaux légendaires, les hommes voient leur royaume réduit aux dimensions de deux navires de bois dont ils connaissent […] chaque centimètre carré» (254). Véritable voyage immobile, l’expédition s’avère un échec complet tant aux yeux de l’histoire collective que de celle, personnelle, de Crozier.</p> <p style="text-align: justify;"><br />D’ailleurs, <em>Du bon usage des étoiles</em> traite presque autant des voyageurs perdus dans l’Arctique que de l’épouse de Sir Franklin, lady Jane, demeurée en Angleterre. Si la tradition de l’américanité relègue souvent les femmes au rôle de «gardiennes du foyer», «victimes de ces départs», «avocates de la sédentarité» ou de «vestales chargées de garder le feu sacré» (Lemire, 2003: 108), lady Jane, qui prend sa nièce Sophia sous son aile, se présente volontiers comme une scientifique, une femme de culture qui, sous le couvert de ses activités d’aquarelliste, se permet de redessiner les cartes du Nouveau Monde. Celle qui épouse Franklin en raison de ses mœurs domestiques libérales recommande d’ailleurs à Sophia de tout simplement ne pas se marier (312). Ces éléments correspondent à une véritable mise à mal du voyageur, une sorte d’immense bémol sur l’aventure américaine où on réintègre désormais une sensibilité féminine.</p> <p style="text-align: justify;"><br /><span style="color:#696969;"><strong>Une occasion ratée&nbsp;?</strong></span><br />Cependant, il m’est d’avis que la problématisation du mythe américain que propose Dominique Fortier demeure insuffisante parce qu’<em>elle se prend encore au sérieux</em>. Certes, Fortier, en épilogue, prend bien soin d’avertir que son texte ne constitue qu’une fiction dérivée de faits historiques. <em>Du bon usage des étoiles</em> est donc, fondamentalement, une fabulation, une réinvention libre de l’Histoire. L’occasion ratée de Fortier, selon moi, est précisément de ne pas avoir <em>joué</em> suffisamment avec elle. Pourtant, on connait de nos jours l’objectivité vacillante de l’Histoire, son asservissement au <em>récit</em>, le récit d’un sujet avec son propre biais, ses propres intentions pragmatiques. Si un «roman historique traditionnel» entend être jugé entre autres pour la part qu’il donne à son exactitude factuelle, un roman historique «postmoderne» s’affaire plutôt à scander avec des artifices ludiques la <em>fragilité</em>, voire l’<em>obsolescence</em> de ce savoir soi-disant objectif sur lequel les nations fondent leur unité grâce à divers mythes fondateurs. Or <em>Du bon usage des étoiles</em>, s’il ne prétend qu’à la fabulation en revendiquant ses libertés prises face à l’Histoire, ne va pas assez loin dans son travail de déconstruction. À mon avis, il manque à <em>Du bon usage des étoiles</em> un narrateur servant de médiateur entre l’Histoire et le roman. Ce personnage d’archiviste-ethnologue parcourant divers documents aurait d’ailleurs pu mieux justifier l’insertion dans le roman de textes hétéroclites&nbsp; tels un cantique biblique (21), un texte dramaturgique (91), un manuel d’instructions navales (39), un recueil de vers (116) ou un poème en prose (187-188), un traité de sciences appliquées (135-139), un l’herbier (223), une chanson (233), un menu et une recette (267 et 276) ou une partition musicale (304). Cette nature composite du texte, aussi intéressante puisse-t-elle sembler, m’apparaît plutôt comme une sorte de rendez-vous manqué avec le «grand roman américain» <strong><a href="#2">[2]</a><a id="2a" name="2a"></a></strong>. Tout au long du roman, le collage de textes scientifiques m’a semblé digressif, accessoire&nbsp;à une intrigue déjà ténue. En présence d’un narrateur-archiviste aux prises avec une documentation lacunaire afin de circonscrire le mythe historique, ces insertions auraient pu avoir du sens, car elles auraient pu être liées au cheminement ontologique de ce narrateur. Car c’est bien ce qui manque à <em>Du bon usage des étoiles</em>: pourquoi revit-on cette Histoire dont nous connaissons déjà la fin? Pourquoi devons-nous lire ces pages sur le magnétisme, cette recette de pouding qui nuisent à l’avancée de l’intrigue? Pourquoi ce délire encyclopédique s’il ne provient pas du plaisir de fabuler d’un sujet mégalomane désireux de défigurer un mythe national? <em>Du bon usage des étoiles</em>, il me semble, ne cultive pas une intrigue assez soutenue pour constituer un véritable roman historique «traditionnel» où on s’identifie aux émotions des personnages –les amours de Sophia sont traitées de manière très secondaire− mais ne questionne pas assez la conception de l’Histoire pour être un <em>jeu</em> tout postmoderne avec celle-ci. Pire, on voit, dans la scène du «premier contact» des Blancs avec les Esquimaux narrée à la fois par un narrateur hétérodiégétique, par Crozier dans son journal et par Franklin dans le sien (où il ne manque pas de s’interroger sur l’efficacité de sa plume et les modifications que son épouse apportera au récit pour l’embellir), que Fortier flirte avec cette envie de dévoiler la faillibilité du récit officiel, de carnavaliser un mythe national. L’ajout d’un narrateur-archiviste en tant que témoin mais aussi <em>créateur</em> d’une histoire à la fois personnelle et continentale aurait pu rendre mon expérience de lecture véritablement jouissive.</p> <p style="text-align: justify;"><span style="color:#696969;"><strong>Bibliographie</strong></span><br /><br />MORENCY, Jean (1994), <em>Le mythe américain dans les fictions d’Amérique. De Washington Irving à Jacques Poulin</em>, Québec, Nuit Blanche éditeur.<br /><br />MORENCY, Jean (2007), «Les tribulations d’un mythe littéraire américain : l’odyssée continentale d’Évangéline, poème de Longfellow», dans BOUCHARD, Gérard et ANDRÈS, Bernard [dir.], <em>Mythes et sociétés des Amériques</em>, Montréal, Québec/Amérique (Essais et documents), p. 349-367.</p> <p style="text-align: justify;">NAREAU, Michel (2008), <em>Transferts culturels et sportifs continentaux. Fonctions du baseball dans les littératures des Amériques</em>, thèse de doctorat en études littéraires, Montréal, Université du Québec à Montréal.<br /><br />NAREAU, Michel (2007), «Les taches solaires de Jean-François Chassay», dans Gilles Dupuis, Klaus-Dierter Ertler [dir.], <em>À la carte Le roman québécois (2000-2005)</em>, Frankfurt am Main, Peter Lang, 2007, p. 87-106.</p> <hr /> <p style="text-align: justify;"><a href="#1a"><strong>[1]</strong></a><a id="1" name="1"></a> Dans sa thèse de doctorat, Michel Nareau donne cette définition des transferts culturels continentaux: «Les chercheurs des transferts culturels se sont surtout attardés à l’analyse de la sélection des objets transférés, puis à celle des méthodes employées pour assurer la médiation des éléments choisis (traduction, amalgame, métissage, discours de la différence, appropriation discursive) et enfin à la réception de l’échange (interdiscursivité, utilisation de l’objet, déplacement de sens, modification de l’usage, etc.). Ces trois éléments (sélection, médiation et réception) permettent une juste compréhension des enjeux identitaires et culturels (perception de l’Autre, émergence d'une identité renouvelée, résolution de contradictions, acceptation d'une interculturalité constitutive) des transferts culturels.» (Nareau, 2008 : 54)</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#2a"><strong>[2]</strong></a><a id="2" name="2"></a> Michel Nareau (2007) définit le «grand roman américain» à partir de trois caractéristiques: l’usage du principe de témoignage pour rendre compte de l’expérience originale des Amériques, corollaire de la recherche d’une forme originale, puis la nécessité de se distinguer de l’Europe par des pratiques singulières et enfin, le renversement de ce modèle européen. À cela, il faut ajouter une expérimentation concrète de l’espace continental et une perspective singulière à propos du temps historique (91).</p> <p style="text-align: justify;">&nbsp;</p> http://salondouble.contemporain.info/lecture/un-mythe-canadien#comments Amérique ATWOOD, Margaret Autochtone Autorité narrative Canada Déplacements Dialogues culturels Espace Espace culturel FORTIER, Dominique Histoire Imaginaire Littératures nationales NAREAU, Michel Quête Récit de voyage Roman Sat, 14 Sep 2013 14:09:24 +0000 Laurence Côté-Fournier 792 at http://salondouble.contemporain.info Audrey Prévost, entre silence et inaction http://salondouble.contemporain.info/lecture/audrey-prevost-entre-silence-et-inaction <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/theriault-catherine">Thériault, Catherine</a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-biblio"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/biblio/dee">Dée</a> </div> </div> </div> <!--break--><!--break--> <p>«<em>M'ma, I'm going out!</em>» C'est par ces mots révélateurs, criés par la jeune Dée, que s'ouvre le roman éponyme de Michael Delisle. S'ils sont révélateurs, c'est que, dès l'incipit, on peut commencer à discerner certaines caractéristiques qui marqueront la parole et les actions du personnage central tout au long des pages suivantes. Déjà, le lecteur se trouve devant un être s'exprimant dans une langue étrangère, avec des mots tronqués, un être criant pour être entendu, mais restant sans réponse, un être qui se place d'une certaine façon sous l'autorité maternelle, de l'autre en général. Ces mots sont révélateurs, parce que la parole devient le lieu où les liens de Dée avec les autres s'expriment dans toute leur fragilité, accordant à la parole une place qu'il est nécessaire d'analyser afin de comprendre tous les ressorts de ces relations. On a relevé, avec raison, comment la disparition de la campagne au profit d'une banlieue envahissante épousait la perte de repères des personnages du roman de Michael Delisle<a href="#_ftn1" name="_ftnref1" title="">[1]</a>. Ce court essai tentera plutôt de voir comment la capacité d'action fait écho à la parole déficiente chez Dée pour illustrer une autre forme de déracinement, celle que le personnage porte en lui-même.</p> <p><span style="color:#808080;"><strong>Une oralité souffrante</strong></span></p> <p>Avant même que le dialogue ne soit engagé, chose qui, comme on le verra plus tard, pose problème en soi, Dée fait face à une véritable impossibilité de s'exprimer, que symbolisent ses dents cariées. Vu la récurrence de ses maux dentaires tout au long du roman ainsi que l'importance que leur accorde le personnage, il s'agit d'un indice suggérant que ce qui entoure l'oralité est douloureux chez elle. Cela est marqué d'abord par son vocabulaire et sa syntaxe qui indiquent un niveau de langage familier, voire vulgaire, témoignant de ses origines modestes. «Je vas venir noire noire&nbsp;!» (p.13), «<em>Scram</em>, Charly!» (p.48) ou «T'es pu sur la rue Fournier icitte.» (p.75) ne sont que quelques exemples de son lexique représentatif du milieu ouvrier dont elle est issue. Il est intéressant de noter que la façon dont Dée s'exprime ne change pas réellement du début à la fin du roman. Même si elle quitte le dépotoir et la porcherie de son enfance pour une maison toute neuve, Dée reste d'une certaine façon aussi démunie que la jeune fille qu'elle était pour nommer et appréhender le monde qui l'entoure, son ascension n'ayant rien d'intellectuel. Son discours est de plus fortement empreint de l'anglais de sa mère. Ce qui dans d'autres circonstances aurait pu être un outil ou le signe d'une ouverture à l'autre, prend ici plutôt la forme d'une dépossession; l’étrangeté de la langue maternelle sème la confusion dans ses interactions avec les autres (on peut penser à son voisin (p.83) que l'usage de l'anglais déstabilise au premier contact), le signe d'une identité floue (on se rappelle son frère et elle n'osant pas entrer dans l'église puisqu'ils ne sont pas tout à fait catholiques (p.37). La dépossession que vit le personnage est si grande que, de son véritable prénom, Audrey, ne subsiste qu'une syllabe qui a de plus été francisée et, donc, dénaturée d'une certaine façon. La langue est ainsi à la fois pauvre et confuse chez Dée, à l'image d'un personnage qui ne possède pas les mots pour dire son mal-être.</p> <p><span style="color:#808080;"><strong>Un cri sans réponse</strong></span></p> <p>Alors que le vocabulaire limité de Dée marque son incapacité à s'exprimer, le discours attributif est lui aussi porteur de signification dans le roman, devenant un signe de l'impossibilité pour elle d'être entendue. Dée «crie» (p.11-15), «s'écrie» (p.29-68) lorsqu'elle quitte la maison pour jouer, lorsqu'un chien suffit à la rendre joyeuse ou lorsqu'elle voit ses nouveaux meubles, mais ce ne sont le plus souvent que des exclamations solitaires, n'éveillant aucune réponse chez l'autre. Ainsi, lorsqu'elle s'amuse dans son lit à crier, elle étouffe ce son pour le «faire résonner dans sa tête» (p.40). Toute expression un peu spontanée de sa part ne peut se faire que dans la solitude, mais aussi dans les hurlements, un peu comme un appel. Cette impression est renforcée par l'épisode lourd de sens où elle trouble le silence de la maison familiale de ses chants discordants dans le seul but d'entendre les récriminations des autres. En chantant très fort, elle «espère les implorations» (p.28). Encore une fois, un lecteur attentif ne peut manquer de remarquer que les tentatives de Dée pour entrer en communication avec les autres restent sans succès, se résumant à des cris isolés. Ces marques d'un enthousiasme enfantin semblent toutefois disparaître lorsqu'elle émet une demande, qu'elle tente timidement d'exprimer quelque chose qui pourrait ressembler à un désir né de son intériorité. Le lecteur le remarquera à chaque moment de sa vie. Enfant, elle «miaule» (p.17) pour rappeler au Doc (qui vient d'abuser d'elle) sa promesse de lui offrir de la crème glacée, fiancée, elle «se plaint» (p.49) de ne pas vouloir quitter la maison de son enfance, jeune mariée, elle «murmure» un simple «O.K.» (p.69) pour signifier à son mari qu'ils peuvent terminer la visite de leur futur logement; la parole est loin d'être affirmée. Même dans des moments de sensualité qu'elle a elle-même provoqués, comme lorsqu'elle attire brusquement à elle un camelot pour le dépuceler, Dée ne peut que murmurer son désir (p.107) dans une timide utilisation de l'impératif qui n'aura d'écho que dans l'ordre chuchoté à son fils de mourir (p.110). Face à un véritable interlocuteur, dominant parce qu'adulte, la capacité langagière de Dée, déjà peu développée, semble s'évanouir.</p> <p><span style="color:#808080;"><strong>Parler, mais avec qui?</strong></span></p> <p>Cette position d'infériorité face à une figure adulte, donc autoritaire, est imposée à Dée tout au long du roman et est d'autant plus marquée dans le dialogue que les compétences dialogales de celle-ci sont pour ainsi dire absentes. Le dialogue est un échange de paroles qui suppose et permet théoriquement une compréhension mutuelle. Chez <em>Dée</em>, il devient plutôt le lieu où l'incompréhension se double d'un rapport de force qui écrase le personnage principal et l'isole irrémédiablement. Dée est d'abord soumise à l'autorité de sa mère, puis à l'indifférence de son mari, et ne peut réellement communiquer ni avec l'un, ni avec l'autre. En observant ses rapports avec la première, il est troublant de constater qu'elle répond systématiquement en dehors du sujet à ce que dit sa fille. Alors que Dée a ses premières règles, un simple «<em>Shit!</em>» (p.31) accueille la nouvelle. Plus tard, lorsqu'elle se plaint de crampes, on l'invite à jouer dehors (p.36), tout comme lorsque Dée s'interroge sur l'identité de celui qui se révèlera être son futur mari (p.39). Il faut souligner au passage que si le lecteur a droit, de façon rapportée, aux pensées de la mère sur les transformations de leur monde qui s'urbanise (p.49), celles de Dée restent silencieuses. C'est au lecteur de déduire ce qui l'habite. Si sa mère l'écarte au profit du souvenir d'une autre fille exilée et idéalisée, au point de ne se soucier que d'elle en préparant le mariage de Dée, elle va plus loin encore en prenant sa place auprès de son gendre. Visiter la nouvelle maison de sa fille devient l'occasion pour la mère de faire équipe avec Sarto pour installer le salon, vider les boîtes, réduisant Dée à la fonction de simple spectatrice dans ce qui aurait dû être son nouveau foyer, l'occasion pour elle de se libérer de sa mère. Au lieu de cela, Dée «mal à l'aise, regarde les autres» (p.73), comme elle regarde les voitures partir aux États-Unis ou les gens de son quartier. Ici, c'est Sarto qui lui ordonne de ne rien faire. Avec lui non plus, Dée ne pourra instaurer un dialogue constructif, basé sur un échange entre deux égaux. Laissée seule au motel après leurs noces, Dée n'ose qu'un timide «Pis moé?» (p.61) qui n'obtient pour toute réponse que quelques billets; ce motif se répète lorsqu'elle ose se plaindre de sa solitude «d'une toute petite voix» et que son mari répond: «Je t'ai laissé de l'argent en arrière des tasses» (p.85), répétant le geste du Doc offrant des poules à la famille après avoir abusé d'elle sexuellement (p.21). D'une certaine façon, le seul échange que l'on pourrait qualifier de réussi de tout le livre a lieu avec l'inconnu du motel, qui l'interroge sur ses goûts, lui dit qu'il a été heureux de la rencontrer. Comment s'étonner que leur conversation la laisse «déroutée» et «toute émue» (p.66) quand on réalise que c'est peut-être la première fois qu'on lui pose des questions personnelles, qu'on s'adresse à son esprit plutôt qu'à son corps? Le portrait langagier de Dée qui se dessine à travers ses échanges avec sa mère et son mari, deux figures d'autorité interchangeables, est celui d'une enfant qui peine à être écoutée, qui demande sans recevoir ce qu'elle attend, à la parole entravée.</p> <p><span style="color:#808080;"><strong>Subir plutôt qu'agir</strong></span></p> <p>Au-delà de la parole chez Dée, c'est également sur le plan de l'action que sa mésadaptation ou sa faiblesse est flagrante: dans le rapport de force qui l'oppose aux autres dans le roman, Dée est aussi démunie du point de vue actantiel que du point de vue langagier. Ses actions ont un effet minime en comparaison de celles des autres sur elle, faisant d'elle un personnage soumis aux influences extérieures, sans prise réelle sur son destin. Il est souvent question de décision dans le roman pour souligner les moments où Dée agit par elle-même. On s'attardera ici aux moments qui suivent son mariage, lorsqu'elle passe en quelque sorte de la tutelle de sa mère à celle se Sarto sans pour autant devenir une adulte à part entière, c'est-à-dire un personnage qui décide pour lui-même et agit en conséquence. Elle «décide» qu'un miroir ira à tel endroit, mais son mari remet le projet à plus tard (p.74); «elle sort. C'est décidé», indique-t-on lorsqu'elle va parler à son voisin (p.82); elle a «décidé» de nommer le chien Puppy (p.84); «son pas est décidé» lorsqu'elle poursuit le camelot (p.101); voilà autant d'actions aux répercussions minimes qui soulignent l'insignifiance de son pouvoir à opérer de véritables changements dans le monde qui l'entoure. Alors qu'un acte <em>décisif</em> est censé apporter d'importantes modifications autour de soi, les <em>décisions</em> de Dée ont une portée plus que restreinte. De la même manière, Dée semble dotée d'une faible intentionnalité. Si elle va «au buffet pour faire de l'ordre» (p.108), elle en perd soudainement l'envie. Elle commence à ranger la maison, mais ne ramasse qu'une tranche de pain (p.98). Elle «veut soulever [une] bâche, mais Sarto la retient» (p.68). Les désirs de Dée n'aboutissent donc jamais à des actions menées à terme, par manque de motivation de sa part ou parce que les autres s'y opposent. Si elle parvient à voir un médecin pour soigner ce qui semble être une dépression, c'est que sa mère et Sarto participent au projet, ce qui d'ailleurs ne contribue qu'à la rendre encore plus passive, l'abrutissement par les médicaments devenant l'ultime manifestation de l'inertie dont elle est porteuse. L'incapacité d'agir de Dée répond à son incapacité à s'exprimer pour en faire un être étranger à lui-même, voire aliéné. Incapable de se poser comme agent, Dée en perd son individualité, tel qu'exprimé métaphoriquement lorsqu'elle s'essaie «une fois à écrire<em> Mme Sarto Richer </em>pour voir la serveuse tracer un gros 6 par-dessus.» (p.63). La théâtralité de cette scène résume à elle seule toute les forces contraires qui nuisent à l'exécution des modestes actions du personnage principal, qui en vient peu à peu à ne plus désirer que le sommeil, exact opposé de la vie active.</p> <p><span style="color:#808080;"><strong>Une sexualité trouble comme moyen d'expression</strong></span></p> <p>Dès le début du roman, on voit comment Dée est dépossédée de son propre corps, droguée et violée par le vétérinaire. Cette agression initiale n'est finalement que l'illustration de tout ce qui suivra. En effet, dans chacun des évènements apparemment importants de sa vie, Dée est réduite au rang de témoin de l'action narrative, étant objet plutôt que sujet. Le corps devient cet objet qui subit les actions commises par les autres. Au terme d'une discussion entre sa mère et Sarto, à laquelle Dée ne prend pas part – la parole lui étant une fois de plus refusée – et tournant autour de la promesse de recevoir une maison (p.52-53), Dée est mariée à un homme beaucoup plus âgé qu'elle. Au moment de son mariage, de son déménagement ou de sa grossesse, Dée n'est jamais l'instigatrice des actions qui mènent à une modification de son mode de vie. Ce n'est qu'à travers sa sexualité qu'elle semble momentanément reprendre le contrôle de son corps, devenant pour un instant capable d'agir conformément à son intention. Si ses rapports avec Sarto ont peut-être pu la satisfaire par le passé, c'est, une fois mariée, vers le jeune camelot que son désir penche, puisque Dée «a envie de gens qu'elle ne connait pas» (p.97). C'est avec ce Beau-Blanc, plus jeune qu'elle et lui aussi appelé par un surnom, qu'elle se retrouvera suffisamment en position de force pour initier des actions, poser des gestes, donner des ordres. Mais encore là, c'est en fonction de l'autre qu'elle évalue cette action, étant «contente pour lui» (p.108) au terme de son bref dépucelage. Cette rébellion, cette mince tentative de modification de l'état du monde n'aura pas de suite pour Dée au-delà d'une correction par son mari. Ce n'est pas l'émancipation d'une femme que présente Michael Delisle dans son roman, mais bien l'aliénation d'une enfant profondément seule.</p> <p>Ainsi, chez Dée, la parole est problématique et la place systématiquement en position d'infériorité face aux autres. La jeune femme exprime avant tout un besoin criant d'être écoutée, mais sans y parvenir, tandis que le peu d'importance que lui accordent sa mère et son mari l'exclut de l'espace dialogal, ce qui fait écho à son incapacité d'agir. Cet état d'impuissance en est un d’aliénation, de perte de soi, de situation de soumission face aux forces extérieures. La parole déficiente de Dée et sa capacité d'action limitée deviennent des preuves de son état, qui peut être lu comme une représentation de la situation d'aliénation plus globale que vivaient à l'époque de nombreuses personnes qui voyaient la ville avaler ce qui auparavant étaient leurs terres. On retrouve les thèmes de l'urbanité envahissante et de la parole marquée par la pauvreté dans le tout récent <em>Jeanne chez les autres</em> de Marie Larocque. Mais à la différence de Dée, Jeanne trouvera dans l'écriture une forme de sublimation de son état lui permettant ultimement de s'exprimer, sublimation à laquelle Dée n'a pas droit. Avec <em>Dée</em>, Michael Delisle donne simplement à lire un portrait sans concession qui annonce l'orphelin brisé de <em>Tiroir n<sup>o</sup> 24</em>.</p> <p>&nbsp;</p> <p>DELISLE, Michael, <em>Dée</em>, Montréal, Bibliothèque québécoise, 2007, 128 pages (Leméac, 2002 pour l'édition originale).</p> <p>DELISLE, Michael,&nbsp; <em>Tiroir n<sup>o</sup> 24, </em>Montréal, Boréal, 2010, 126 pages.</p> <p>LAROCQUE, Marie, <em>Jeanne chez les autres</em>, Montréal, Tête première, 2013, 308 pages.</p> <div><br clear="all" /><br /> <hr align="left" size="1" width="33%" /> <div id="ftn1"> <p><a href="#_ftnref1" name="_ftn1" title="">[1]</a> Caroline Montpetit, «Michael Delisle – Mort en banlieue», <em>Le Devoir</em>, «Livres», 12 septembre 2002 (en ligne)&nbsp;: &nbsp;<a href="http://www.ledevoir.com/culture/livres/9065/michael-delisle-mort-en-banlieue">http://www.ledevoir.com/culture/livres/9065/michael-delisle-mort-en-banlieue</a></p> </div> </div> <p>&nbsp;</p> http://salondouble.contemporain.info/lecture/audrey-prevost-entre-silence-et-inaction#comments Canada Delisle, Michael incommunicabilité intentionnalité Oralité Personnages Roman Wed, 06 Nov 2013 17:04:51 +0000 Amélie Paquet 803 at http://salondouble.contemporain.info Concert de voix singulières ou récit totalitaire http://salondouble.contemporain.info/lecture/concert-de-voix-singulieres-ou-recit-totalitaire <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/renaud-kiev">Renaud, Kiev</a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-biblio"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/biblio/les-sangs">Les sangs</a> </div> </div> </div> <!--break--><!--break--> <p>«Ce roman parle de désir, de violence, de fantasmes et d’écriture», annonce la quatrième de couverture des <em>Sangs, </em>le dernier roman d’Audrée Wilhelmy paru chez Leméac. S’il est vrai que l’œuvre traite de pulsions enfouies, – dérangeant par son érotisme déviant et fascinant – c’est peut-être son rapport à l’écriture, central dans le projet romanesque, qui est le plus intéressant à analyser.</p> <p><em>Les Sangs </em>se présente comme une réécriture du conte <em>La Barbe bleue,</em> donnant la parole à toutes les victimes du meurtrier. Chacune des voix est remarquablement bien maîtrisée: sept femmes racontent dans des carnets leur relation avec Féléor Barthélémy Rü, personnage mythique – « un conte à lui tout seul» (p.122) – à qui on attribue le meurtre de ses épouses. Chaque récit s’adresse à un destinataire en particulier: Constance Bloom écrit à son ancien amant, Abigaëlle Fay écrit ses mémoires à l’intention de la future femme de Féléor, Frida Malinovski s’adresse directement à son mari, Marie des Cendres écrit pour elle-même des notes sur des bouts de papier qu’elle coud sous ses jupes. Certaines des femmes écrivent de leur propre chef, d’autres sont invitées à le faire par Féléor. Dans tous les cas, la prise de parole est justifiée par un contexte d’énonciation précis. Les narratrices se lisent entre elles: Frida a accès au récit d’Abigaëlle, et Marie des Cendres lit tous les écrits des anciennes épouses de Féléor. De cette manière, chaque récit parle à la fois de lui-même et des autres textes qui constituent le roman. L’histoire dépasse le récit qui nous est livré: <em>Les sangs</em> est un univers en expansion, un puzzle que le lecteur doit assembler et compléter.</p> <p>La cinquième femme, Phélie Léanore, fait de l’écriture l’objet principal de son récit. L’incipit de son carnet parle de l’acte d’écrire, pour lequel elle avoue posséder peu d’habilité: «J’écris. Seulement ça, c’est déjà un geste drôle pour moi. Je ne suis pas quelqu’un qui devrait prendre un crayon et écrire. Je n’ai pas le talent de présenter les choses pour les rendre intéressantes.» (p.97) Son écriture sans artifices soulève des enjeux littéraires à la lumière desquels on peut analyser tout le roman. Elle note par exemple que «les choses auxquelles on pense trop deviennent fausses. Leur réalité est cachée derrière l'idée qu'on s'en est faite» (p.101), justifiant le projet du livre. En effet, <em>Les sangs </em>s’attaque aux idées reçues, en revisitant un conte dont l’interprétation est bien ancrée dans l’imaginaire occidental. Phélie renchérit: «il ne faut jamais dire les choses qu'on pense en espérant qu'elles seront logiques pour quelqu'un d'autre» (p.100). Respectant cet énoncé, Wilhelmy n’affirme pas directement ses idées; elle a recours à l’évocation. Plutôt que de nommer les sentiments, elle représente les scènes dans le détail: elle fait appel aux odeurs, aux textures, aux goûts, etc. La richesse des descriptions situe le récit très près de l’expérience sensorielle. À première vue, <em>Les sangs </em>n’est donc pas un roman d’idées, bien que le carnet de Phélie nous permette de comprendre l'ensemble du roman comme le projet de déconstruction d'un mythe univoque «cach[é] derrière l’idée qu’on s’en est faite», celui de Barbe Bleue.&nbsp; Plutôt que d’énoncer clairement des opinions en «espérant qu’elles seront logiques pour quelqu’un d’autre», Wilhelmy fait vivre à son lecteur une succession de scènes incarnées, semant le doute dans son esprit.</p> <p>Par ailleurs, la question de la fiabilité des différents narrateurs est centrale dans la reconstitution de l’intrigue des <em>Sangs, </em>puisqu’elle suggère une multitude d’interprétations possibles. Féléor apporte sa version des faits à la suite de chacun des carnets. Il est donc un narrateur omniprésent, qui influence la façon dont le lecteur perçoit les femmes. On peut également lui attribuer les portraits précédant les carnets, qui servent à introduire les personnages. En effet, on comprend que c’est Féléor, et non pas un narrateur omniscient, qui est l’auteur de ces textes brefs, quand il écrit qu’«il est agréable d’enfouir le nez dans [la] toison jamais taillée [du pubis de Lottä]» (p.111). Dès son premier commentaire, Féléor apprend au lecteur que «les pages d[u] carnet [de Mercredi Fugère] étaient bourrées de mensonges» (p.28), remettant en doute le propos de la précédente narratrice. Le fait que la première épouse soit accusée de mensonge influence la lecture de la suite du roman: le lecteur ne sait plus à qui se fier. Féléor s’immisce jusque dans les récits des autres narratrices: il lit chaque jour les entrées du journal d’Abigaëlle et réagit à ce qu’elle écrit. Cela laisse supposer que son influence s'étend jusqu'à l'écriture même des femmes. Plus encore, c’est lui qui agence en un discours suivi les fragments de texte retrouvés sous les jupes de Marie des Cendres, choisissant dans quel ordre son propos est livré. À la clausule de l’œuvre, on apprend que c’est Féléor qui retranscrit les carnets de toutes les femmes. Le lecteur, qui croyait jusque-là avoir accès directement aux voix des sept épouses de Barbe bleue, a été berné: au final, Féléor a sans doute filtré le contenu de l'ensemble des carnets. Peut-être qu’il a tourné à son avantage tous les récits; peut-être que les femmes n’ont pas demandé à être tuées; la prétendue liberté de parole de ses victimes était peut-être feinte. Alors que l’œuvre se présentait comme un texte polyphonique proposant différents regards sur une situation, le contrat de lecture est renversé: il est possible de lire <em>Les sangs</em> comme un roman monolithique, totalisant, contrôlé par un narrateur meurtrier qui s’infiltre dans le récit des autres narratrices, ses victimes, pour influencer la perception du lecteur. Mais rien n’est certain: à travers la multitude de récits, l’histoire véritable du roman est inaccessible.</p> <p><em>Les sangs</em> est un roman conscient de lui-même, qui place l’écriture au centre de ses enjeux, comme beaucoup de publications contemporaines:&nbsp;il s’agit d’une œuvre ouverte, dont plusieurs interprétations contradictoires sont plausibles. Audrée Wilhelmy exploite les enjeux de l’écriture et de la narration – la fiabilité des narrateurs, la forme du carnet, le métadiscours sur l’écriture –, pour suggérer en subtilité différentes pistes d’analyse et, surtout, sans jamais arrêter le sens de l’œuvre, faisant des idées reçues sa cible principale.</p> <p>&nbsp;</p> http://salondouble.contemporain.info/lecture/concert-de-voix-singulieres-ou-recit-totalitaire#comments Canada Roman Wed, 04 Sep 2013 22:29:53 +0000 Kiev Renaud 789 at http://salondouble.contemporain.info Leçons d’humilité. Studio de lecture #2 http://salondouble.contemporain.info/lecture/lecons-dhumilite-studio-de-lecture-2 <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/belanger-david">Bélanger, David</a> </div> <div class="field-item even"> <a href="/equipe/landry-pierre-luc">Landry, Pierre-Luc </a> </div> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/schube-coquereau-phillip">Schube-Coquereau, Phillip</a> </div> <div class="field-item even"> <a href="/equipe/voyer-marie-helene">Voyer, Marie-Hélène</a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-biblio"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/biblio/grande-ecole">Grande École</a> </div> </div> </div> <!--break--><!--break--> <p><strong>David Bélanger [DB]:</strong> Au risque de devoir commencer –risque que je n’osais prendre jusqu’ici–, je crois qu’une tradition inexistante au sein des Studios de lecture, mais pas moins contraignante, stipule que je doive servir ici une appréciation sommaire, ce que je fais sans plus attendre. Ce truc de Gaulejac, ces «anecdotes» –notez le pluriel– m’ont amené à me poser une question, inlassablement, jusqu’à la fin de ma lecture, soit: <em>comment ça marche? </em>Disons plus clairement que je me demandais comment ça fait pour fonctionner; sur le plan strictement humain, je m’étonnais de vouloir tourner les pages, de rire alors qu’il n’y a pas là d’humour tape-à-l’œil, à peine un quiproquo de temps en temps, une contrepèterie peut-être ou une maxime belle de paradoxes, mais rien pour sanctionner mon bonheur. Pour le dire encore plus clairement, et sans doute la question s’est-elle affinée avec ma lecture, je me suis demandé comment tout ce <em>quelconque </em>pouvait devenir fascinant? J’ai pensé d’abord me servir une justification proprement sanitaire: c’est confortable. Confortable, par exemple, comme un épisode des<em> Parent</em>. Personne, évidemment, n’ira m’opposer que cette émission de Radio-Canada est la plus drôle parmi toutes, la plus intelligente sur le plan du contenu ni l’expérience esthétique suprême; pourtant! On s’y jette avec un plaisir certain –notez le «on», ça vous inclut à votre corps défendant–, comme si on rentrait chez soi. Je suis arrivé là dans ma réflexion, réalisant alors que tout ceci, ce studio, c’était un dialogue et que je devais quand même ouvrir le flanc aux contradictions, et laisser la parole à l’autre. L’autre, donc, que dis-tu?</p> <p><strong>Marie-Hélène Voyer [MHV]:</strong> J’y ai davantage trouvé quelque chose de «chaplinesque» à cet humour. Sans doute dans la reprise de certaines situations embarrassantes: les baffes (symboliques ou non) reçues à répétition, les gaffes, les maladresses du narrateur. Et surtout par l’exacerbation de certains jeux de rôles (Chef/apprenti, Jury/artiste)… Le meilleur exemple est sans doute le récit intitulé «L’appréciation du jury» où le narrateur, qui s’est sévèrement blessé au visage la veille d’une importante entrevue d’admission, se voit contraint de se présenter au jury le visage bouffi, le «nez parcouru par une balafre encroûtée de sang séché» (p.27), les yeux «perdus dans les confins violacés d’un énorme hématome»: «[i]ncapable de choisir entre l’air bête de [s]on regard meurtri et celui, arrogant, que [lui] auraient conféré des verres fumés, [il] tranch[e] de la manière la plus improbable, en brisant une paire de lunettes de soleil pour dissimuler derrière l’un de ses verres le pire de [s]es deux yeux» (p.28).</p> <p><strong>Pierre-Luc Landry [PLL]:</strong> Puisque je suis autre je me lance à mon tour. Je ne connais pas <em>Les Parent</em> dont David parle. Je ne sais pas si je me suis senti «confortable» dans les récits d’apprentissage de Gaulejac. Je sais toutefois que j’ai été interpelé par la forme de cet objet-livre d’un jaune tapageur, et par la réflexion qui s’y déploie en filigrane sur le glissement de l’art conceptuel vers la littérature. L’auteur écrit ceci: «Le formalisme était un idiome qu’on pouvait parler sans même le comprendre. Il convenait donc d’être prudent» (p.131). Il me semble que cela en dit beaucoup sur le livre dont on discute ici.</p> <p>Cela en dit beaucoup parce que j’ai lu dans <em>Grande École</em> une «défense et illustration» du concept et de la forme, défense et illustration qui montrent bien qu’un littérateur est aussi un artiste et que le roman est aussi toile, installation, performance. D’entrée de jeu, dès la première anecdote, Gaulejac insiste sur le caractère artistique et conceptuel de l’œuvre à venir:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p style="margin-left:106.2pt;">Un jour, nous avons eu la visite d’un artiste invité à qui incombait la mission de commenter nos travaux. Il me repéra d’emblée: «Toi, ce qui t’intéresse, c’est l’anecdote!» Sur le coup, j’ai vraiment pensé que j’allais être renvoyé de l’école. Mais il a ajouté, magnanime: «C’est très bien, l’anecdote! Tout le monde n’est pas fait pour la grande histoire.» En m’indiquant ainsi la sortie, et en refermant doucement la porte derrière moi, ce Chef avait pris sur lui de dessiner clairement une ligne de partage esthétique que peu daignent reconnaître […]. Mais pour moi il était clair qu’il n’y aurait pas de retour en arrière et que la question de la forme ne serait plus jamais picturale. Les portes du paradis conceptuel m’étaient-elles pour autant grandes ouvertes? (p.9)</p> </blockquote> <p>Comment ne pas voir dans ce premier texte un programme, une confession, une sorte de plan de l’ouvrage qui s’entame? J’ai donc lu <em>Grande École</em> comme le récit d’une découverte: celle de la littérature, que l’on devine à travers les arts visuels et l’étude de ceux-ci dans une prestigieuse école des beaux-arts. «Récits d’apprentissage», donc, mais non pas d’un apprentissage à la <em>Bildungsroman</em>; apprentissage de la littérature, plutôt, qui se cache au détour de l’œuvre et du concept.</p> <p><strong>MHV:</strong> J’aime cette idée de «défense et illustration»… sur un mode mineur, serais-je tentée d’ajouter! Puisque Pierre-Luc et David ont relevé l’importance de l’anecdote, de son statut, de son fonctionnement dans <em>Grande École</em>, je ne peux pas m’empêcher d’ajouter à notre discussion une parenthèse anecdotique. Vous l’avez bien montré, la réflexion sur la forme habite le narrateur. Par le biais d’anecdotes, on voit comment cet étudiant à l’école des beaux-arts évolue (ou du moins chemine) dans son rapport à la matière, aux formes, à l’Art, aux concepts qu’il sous-tend. Je crois aussi qu’il faudra insister sur l’importance de la figure du spectateur dans cette succession de «récits d’apprentissage» que nous propose Gaulejac. Avez-vous remarqué à quel point il y a un écart entre la démarche de l’artiste et la manière dont est constamment mis en procès, jugé, évalué, son travail, avec tout ce que ça implique de revers, d’incompréhensions et de (més)interprétations? Il faudra revenir sur tous ces «procès interprétatifs» où le narrateur est confronté à ses pairs, à ses «Chefs», au «cénacle des plasticiens» (p.14), à «l’artiste très connu» (p.16), etc. Pour reprendre les termes du narrateur, on sent bien qu’on se trouve face à un «plaidoyer pour une revalorisation du rôle du spectateur» (p.40).</p> <p>Mais je m’égare, je voulais vraiment vous raconter une anecdote où j’ai été, en quelque sorte, piégée par les écueils du «procès interprétatif» (ou de la dérive interprétative) qu’a provoqué chez moi la lecture de <em>Grande École</em>. Déjà bien immergée par ma lecture, j’ai constaté, non sans un certain ravissement, l’absence des pages 161 à 176 de mon exemplaire de <em>Grande École</em>. Épatée par cette «entourloupette» formelle de l’auteur, par la grande cohérence de son dispositif –l’œuvre présente une réflexion sur la forme tout en pointant sa propre incomplétude matérielle–, je suis allée discuter de ma lecture avec Pierre-Luc et David. Coup d’éclat! j’ai réalisé que j’étais la seule à avoir hérité de cet ovni imparfait: une pure erreur mécanique en dehors de toute intention d’auteur. En empruntant la copie de Pierre-Luc, j’ai pu lire les pages manquantes dont la première, comble du hasard, présente un récit où le narrateur réfléchit avec quelques amis aux «conséquences conceptuelles de l’escamotage» (p.161)… et moi qui parlais de mise en procès de la forme et de l’interprétation!</p> <p><strong>Phillip Schube-Coquereau&nbsp;[PSC]:</strong> J'encadre ci-dessus mes initiales sans savoir précisément <em>pourquoi </em>je le fais (quelle utilité d'abréger ainsi son nom après l'avoir écrit <em>in extenso</em>?). Cette observation, délibérément anecdotique, mais insignifiante et badine, me servira de point de départ pour relancer la discussion à partir de vos observations préalables. Pourquoi? D'abord parce que l'anecdote se veut toujours signifiante dans <em>Grande École</em>, car elle représente un moment à partir duquel une compréhension supplémentaire a émergé. Ensuite parce que deux questions importantes relatives à l'apprentissage, a fortiori en matière de pratique artistique, y sont constamment posées: le conformisme et la conformité. Dans cette première intervention, je me concentrerai exclusivement sur la relation entre anecdote et apprentissage, histoire d'attraper le train en marche.</p> <p>Je toucherai donc quelques mots à propos du «dispositif» formel de l'ouvrage dont Marie-Hélène parlait, notamment en utilisant l'anecdote sur le <em>hapax </em>qu'elle a reçu et l'étrange coïncidence du récit sur les conséquences de l'escamotage dont son exemplaire est escamoté! Voici ce que me suggère le dispositif <em>Grande École </em>sur cette «étude» narrative de Gaulejac à propos de l'art conceptuel et des idées sur sa valeur, d'autant plus que l'auteur poursuit ici par le récit, rappelons-le, sa réflexion étayée par le dessin dans <em>Le livre noir de l'art conceptuel</em> (Quartanier, 2011). La narrativité volontairement fragmentée en anecdotes (dont Pierre-Luc a relevé la nature programmatique) s'avère le choix intentionnel le plus significatif, car ces micro-récits sont autant de tableaux narratifs successifs qui composent graduellement l'identité artistique en formation du narrateur. En tant que macro-récit, de concept englobant, l'apprentissage ainsi dépeint suit la formule suivante&nbsp;: expérience+expérience+expérience [...] = évolution et définition de l'artiste. Chacune de ces expériences s'inscrit donc dans une série dont la logique serait intrinsèque au sujet qui les expérimente. La situation qui se trouve au cœur de chacune a de l'importance puisqu'en tant qu'anecdote volontairement retenue et mise en réseau avec les autres, elle en obtient une valeur «exemplaire». D'ailleurs, ces récits n'ont-ils pas, selon vous, quelque filiation lointaine avec le genre de l'<em>exemplum</em>? Ainsi considérés, chacun contribue à illustrer un moment-clé de la courtepointe existentielle de l'artiste dans son parcours pour mieux comprendre l'art et pour définir sa propre pratique.</p> <p>Le dispositif d'énonciation choisi par Gaulejac représente par ailleurs l'évolution de la démarche artistique par une certaine «déconstruction» des objets qu'elle se donne et des principes qui l'influencent en les replaçant dans un contexte littéraire qui leur donne de la valeur. Comme l'explique lui-même le dessinateur-littérateur Gaulejac, il s'agit pour lui de placer le langage dans une certaine perspective et de la développer de manière signifiante, ainsi qu'il l'indiquait dans un entretien au magazine <em>Spirale</em>:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p style="margin-left:106.2pt;">J’interroge l’autorité du langage à dire le vrai; je recherche dans ses impasses et ses paradoxes les traces visibles d’un échec de la rationalité à tout expliquer. Dans mon travail d’artiste, les mots sont présents dans l’espace réel, c’est-à-dire extraits de la fluidité du discours pour devenir des objets avec des bords. Ces <em>ready-made</em> sémantiques sont une représentation structurale du langage, mais aussi l’occasion de les entendre une seconde fois, comme des énoncés simples.</p> <p style="margin-left:106.2pt;">Le monde tel qu’il est une construction, qui n’est pas naturelle, mais naturalisée par l’usage implicite. Je pense que les artistes ont un rôle à jouer dans ces processus de naturalisation du monde, notamment pour les déconstruire (Uhl, 2009: <a href="http://www.spiralemagazine.com/parutions/226/portfolio/pfolio_01.html">en ligne</a>).</p> </blockquote> <p>Même si dans cet extrait, Gaulejac réfère à sa production conceptuelle et performative (et non littéraire), je crois que les préoccupations et le travail artistiques auxquels il fait allusion se reflètent dans les principes de création de sa <em>Grande École.</em></p> <p>En somme, je vois dans la <em>disposition</em> de ce livre détaillé en épisodes (pour revenir aux <em>Parent...</em>) une <em>exposition</em> au sens qu'on donne à ce terme dans les beaux-arts; le glissement de l'art vers la littérature, remarqué par Pierre-Luc («le roman est aussi toile, installation, performance») m'apparaît également bilatéral et réciproque: peinture, sculpture et art performatif sont les principaux mediums représentés dans le contenu des anecdotes, tandis que les récits, tels les «tableaux» d'une exposition, se côtoient et se cumulent comme autant de touches qui composent et expriment l'apprentissage et l'identité artistique. Autrement dit, les convictions et les débats exposés possèdent toujours un contrepoint dessiné par la tournure du récit de l'artiste qui les évoque. En raison de la nature exemplaire de chacune des anecdotes —j'y insiste—, toutes concourent à la formation de l'artiste et à la forme du livre. Conservant à l'esprit l'étiquette générique, le lecteur cherche par conséquent à donner à ces fragments leur cohésion au fil de l'expo-solo de l'apprentissage de l'artiste. Alors si on me demandait, au terme de cette intervention, de suggérer un titre à cette exposition, je lancerais «<em>Grande École</em>: soi par exemples!», espérant que vous me pardonnerez le calembour approximatif...</p> <p><strong>DB:</strong> Phillip soulève fort justement la question de la cohésion, que le lecteur produit, par une sorte de phénomène d’induction qu’on connaît bien. Sans récit cadre –sinon la première anecdote citée par Pierre-Luc qui montre la «vocation anecdotique» du narrateur– un système téléologique doit être créé pour expliquer l’agrégat de textes, leur disposition, pour arrêter un «projet à l’œuvre». La proposition de Philip paraît plausible: le titre, <em>Grande École</em>, et l’exemplarité de certaines anecdotes, permettent d’aller dans cette voie. Mais d’autres moments échappent à cette logique. Pensons à «La poésie», véritable fragment qui se refuse à l’anecdote, s’inscrivant dans le duratif: «Je ne partais jamais en voyage sans glisser dans une poche de mon sac à dos quelques livres de poésie. Je ne les lisais pas, trouvant sans doute assez de bonheur à leur seul transport» (p.69). On rencontre ici une certaine maxime qui, plutôt que de reporter une vérité générale, se tourne vers l’en-dedans, une vérité personnelle <em>généralisable</em>. On aurait pu lire, dans une forme moins narrative: «Le vrai amant de poésie trouve assez de bonheur au transport des œuvres qu’il ne lui est pas nécessaire d’en faire la lecture». La vérité sous-tendue par cette assertion devient limpide: la littérature est un art, le livre n’est pas que l’ersatz de cet art, le support à décoder, il en constitue la finalité puisque porter le livre suffit à contenter, il s’agit d’une expérience artistique en soi. Mais Gaulejac n’a pas écrit son fragment en ces termes; plus encore, il a marqué sa subjectivité («trouvant <em>sans doute</em> assez de bonheur»), et cette empreinte devient le liant du recueil. Un peu comme les maximes de La Rochefoucauld qui sont traversées par la voix du moraliste, qui reprend des idées, des termes, et reconduit un style et des équivalences. Le «je», véritable degré zéro de l’homogénéisation du recueil, prend toute sa pertinence chez Gaulejac. D’ailleurs, il semble qu’on puisse faire nôtres ces «deux lectures» que Barthes propose des maximes de La Rochefoucauld:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p style="margin-left:106.2pt;">le même ouvrage, lu de façons différentes, semble contenir deux projets opposés: ici un pour-moi (et quelle adresse! cette maxime traverse trois siècles pour venir me raconter), là, un pour-soi, celui de l’auteur, qui se dit, se répète, s’impose, comme enfermé dans un discours sans fin, sans ordre, à la façon d’un monologue obsédé (Barthes, 1972: 69).</p> </blockquote> <p>Je comprends donc cette recherche de la logique qui unit les anecdotes –le pour-soi–, puisque sans doute cela a-t-il été mon parti dès ma première lecture. Or, voilà qu’écrivant ceci, je me vois plongé dans un pour-moi, glanant les moments détachés du livre, avec la fascination de la découverte, de ce qu’on <em>vient me raconter.</em> L’évolution de la pensée du «je» et son apprentissage me semblent moins déterminants, pour tout dire, que ce qui s’impose par l’addition –car oui, je parlerais davantage d’addition que de succession.</p> <p><strong>PLL: </strong>On a dit bien des choses déjà mais sans aborder la question du dessin. Parce que les récits sont présentés en alternance avec des illustrations très intéressantes. Certaines font rire, et on revient à ce que disait David en introduction. Je ris en effet sans trop savoir pourquoi, un peu par surprise de trouver dans un texte littéraire des images qui étonnent par leur propos étrange et décalé. Je pense par exemple à ce scaphandrier qui dessine au fusain peut-être le portrait d’une femme nue tandis que le vieux casque qu’il porte sur la tête laisse échapper un gaz noir plutôt inquiétant.</p> <p>&nbsp;</p> <p><span class='wysiwyg_imageupload image imgupl_floating_none 0'><a href="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/132/degaulejac_grandeecole_yves_p105_clequartanier.jpg" rel="lightbox[wysiwyg_imageupload_inline]" title=""><img src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/132/degaulejac_grandeecole_yves_p105_clequartanier.jpg" alt="136" title="" width="580" height="451" class="imagecache wysiwyg_imageupload 0 imagecache imagecache-wysiwyg_imageupload_lightbox_preset" style=""/></a> <span class='image_meta'></span></span></p> <p>Il a un recoupement intéressant à faire avec le texte qui précède tout juste le dessin: un garçon de café assiste, après avoir combattu un cancer, à un cours de dessin d’après modèle donné par le narrateur. Le dessin en lui-même, s’il suggère l’inquiétude en raison du gaz noir qui semble menaçant, pris en lui-même, peut être plutôt rigolo. Reste qu’en le mettant en relation avec le texte, c’est tout comme s’il acquérait un sens supplémentaire et qu’il en conférait un à l’anecdote racontée. Il y a une sorte de communion intersémiotique entre le texte et l’image, une symbiose mineure qui fait apprécier l’un et l’autre des «signes». On remarque d’ailleurs cette similitude dans l’économie du texte et de la ligne, dans le caractère épuré de l’un et de l’autre. Texte court, sans artifices, simple et efficace; dessin sur fond blanc au trait noir qui adopte le pointillé généré par ordinateur pour représenter certains matériaux, certaines textures.</p> <p>Je me contenterai d’une petite description lyrique et/ou impressionniste de deux autres illustrations qui m’ont particulièrement marqué: celle de la page 128 qui montre cette femme regardant par la fenêtre de ce qu’on devine être son appartement, duquel émerge une pluie qui tombe à grosses gouttes vers l’extérieur, et celle de la page 159 représentant un homme en costume rappelant vaguement le pied-de-poule, assis à son pupitre, avec sur la tête une grosse boule de ficelles ou de spaghettis accrochés au plafond par un nœud de marin.</p> <p><span class='wysiwyg_imageupload image imgupl_floating_none 0'><a href="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/132/degaulejac_grandeecole_lise_p128_clequartanier.jpg" rel="lightbox[wysiwyg_imageupload_inline]" title=""><img src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/132/degaulejac_grandeecole_lise_p128_clequartanier.jpg" alt="137" title="" width="580" height="580" class="imagecache wysiwyg_imageupload 0 imagecache imagecache-wysiwyg_imageupload_lightbox_preset" style=""/></a> <span class='image_meta'></span></span></p> <p><span class='wysiwyg_imageupload image imgupl_floating_none 0'><a href="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/132/degaulejac_grandeecole_picasso_p159_clequartanier.jpg" rel="lightbox[wysiwyg_imageupload_inline]" title=""><img src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/132/degaulejac_grandeecole_picasso_p159_clequartanier.jpg" alt="138" title="" width="580" height="829" class="imagecache wysiwyg_imageupload 0 imagecache imagecache-wysiwyg_imageupload_lightbox_preset" style=""/></a> <span class='image_meta'></span></span></p> <p>Les anecdotes de Gaulejac sont impersonnelles: aucun des protagonistes n’est nommé, aucun lieu n’est décrit (ou presque). Néanmoins, les fragments tissent la trame d’un tout cohérent. Le même mouvement se répète à travers les illustrations. Si les dessins semblent froids, désincarnés, <em>conceptuels</em> pourrait-on dire, ils forment néanmoins un ensemble que l’on visite à la manière d’une exposition en galerie d’art —Phillip l’a d’ailleurs évoqué plus haut. J’apprécie tout particulièrement l’aspect narratif du dessin, qui sert à raconter quelque chose, quelque chose que le lecteur est amené à créer lui-même, en quelque sorte. L’anecdote intitulée «La chronique» est particulièrement intéressante en ce qu’elle exprime justement la charge narrative des dessins de Gaulejac, ce qui lui aura d’ailleurs été reproché par un Chef:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p style="margin-left:106.2pt;">C’était un gros Chef dont le nez pointant vers le bas et le menton vers le haut si bien qu’ils se touchaient presque. Il soufflait beaucoup en parlant, mais parlait bien. J’étais fier de lui montrer les croquis du grand voyage que j’avais fait pendant l’été. Il tournait les pages de mes carnets et préparait ses mots, qu’il voulait prévenants. Pour lui, le dessin n’était pas un moyen de dire ce qui est, mais de trouver des choses nouvelles; ce n’était pas un outil pour le récit ou la représentation juste du réel, mais pour l’exploration et l’invention au-delà de sa surface. Mon problème selon lui, c’était que je me contentais de raconter; et d’ailleurs, de quoi étais-je le plus fier? De mon voyage ou de mes dessins? (p.118)</p> </blockquote> <p><strong>PSC: </strong>L'année précédent la parution du <em>Livre noir de l’art conceptuel</em>, une exposition de l'artiste, intitulée «3 Canons» et présentée à <em>Occurence: espace d'art et d'essai contemporain</em>, s'attaquait à la question de l'art conceptuel par un autre medium artistique. Marie-Ève Charron, chargée d'apprécier cette exposition pour le quotidien <em>Le Devoir</em>, commentait ainsi la perspective proposée par de Gaulejac: «En résistant à la matérialisation, l'art conceptuel s'est transmis à travers de la documentation et les récits de ses protagonistes, entraînant de ce fait une brèche, une ouverture propice à la fiction et à la relecture. Gaulejac emprunte cette ouverture par le truchement de l'illustration» (Charron, 2010: <u><a href="http://www.ledevoir.com/culture/arts-visuels/312792/l-art-conceptuel-illustre">en ligne</a></u>). Ces propos font écho, me semble-t-il, à la relation intersémiotique relevée par Pierre-Luc; les illustrations composent avec les textes le tableau complexe de l'apprentissage de l'art conceptuel et du geste de «dénaturalisation» de son objet, à la manière du <em>ready-made </em>emblématique de cette pratique.</p> <p><strong>DB&nbsp;</strong>: Je salue aussi cette analyse de Pierre-Luc, qui m’amène, non sans bonheur, à rappeler ce fort sentiment d’une œuvre d’additions plutôt que de succession; pour reprendre les termes de Roger Odin sur le récit, voilà moult micro-transformations et au diable la grande transformation – le au diable est de moi. En ce qui à trait aux images, il faut effectivement souligner que les dessins constituent eux aussi des récits, des récits qu’on n’aurait su raconter autrement que par l’iconographie. La demi-bicyclette de la page 165 –qui ne signifie pas une bicyclette brisée mais bien une bicyclette à demi dessinée– montre une énonciation iconographique abrégée, mais aussi un moyen de transport qui expose son inutilité: en plus de l’absence du guidon et de la roue d’en avant s’ajoutent une roue d’arrière faussée et, pourquoi pas, aucune perspective pour se déplacer. L’objet est laissé là, dans le néant blanc d’une page. L’image est informée narrativement non pas, de façon spécifique, par les textes qui la voisinent mais par le concept qui chapeaute «l’exposition» –pour reprendre l’heureuse intuition de Phillip, à laquelle je souscris sans réserve. Le demi-vélo raconte, comme plusieurs anecdotes de <em>Grande École</em>, une petite défaite: défaite de l’image comme <em>ekphrasis</em> –est-ce un vélo lorsqu’il manque l’essentiel?– et défaite du signifié comme objet –si tant est qu’il s’agisse d’un vélo, il semble condamné à aller nulle part. La chaise renversée (p.232), le stéthoscope muni d’un œil (49) et le téléphone enveloppé de bandages (184) répondent, si on veut, à cette même logique.</p> <p><strong>MHV&nbsp;: </strong>Quelque chose comme une logique de la défaite, oui. Une logique qui définit bien&nbsp; toutes ces anecdotes où l’artiste se frotte aux jugements, reproches, remontrances, à l’incompréhension, la dérision, aux baffes symboliques (comme en témoigne l’extrait que tu proposes, Pierre-Luc). D’ailleurs, cet extrait montre bien à quel point, dans <em>Grande École</em>, la figure de l’apprenti-artiste est malmenée. À ce propos, je pensais au titre que propose Phillip pour ce studio de lecture et je ne pouvais pas m’empêcher de penser à quelque chose comme «L’art de la chute», tant il m’a semblé que <em>Grande École</em> exemplifie les thèmes du heurt, de la chute et de la défaite. Ce motif, qu’on retrouve d’abord sur la quatrième de couverture: «Le héros tombe dans les escaliers. Il roule en bas des marches sous le regard médusé de la foule réunie là. Personne ne lui demande, mais en se relevant, il rassure l’assemblée: “Je vais bien, ça va, rien de cassé”»,&nbsp; apparaît également dans la très belle citation du roman <em>Odile </em>de Queneau, placée en exergue: «Tombé là sans connaissance, je me laissais couvrir de mousses, caillou bénévole et ahuri». On sent bien là une sorte d’<em>esthétique de l’humilité </em>(ça se dit?) qui se dessine dans chaque récit. Autant de situations où l’artiste fait face à «un recadrage de [ses] prétentions basé sur une distinction substantifique entre les exigences de la vraie vie et la nature nécessairement velléitaire de l’étudiant en art» (p.12). <em>Grande École</em> installe ainsi toute une réflexion sur la <em>place</em> de l’artiste dont le rôle n’est-il pas, après tout «d’occuper une place […] sans pour autant y être présent […]» (p.25) et, d’une certaine manière, de «cherch[er] toujours un moyen pour les bêtises de s’incarner dans une forme» (p.51).</p> <p><strong>PSC:</strong> Qu'il me soit permis de saluer à mon tour vos dernières interventions qui ont bien approfondi les aspects déterminants de <em>Grande École.</em> Dans cette dernière intervention, je rebondirai sur ces aspects par des observations complémentaires visant à montrer la cohérence de la proposition dans laquelle ils s'inscrivent.</p> <p>Je reviens d'abord au titre qui contient en germe le programme de la proposition artistique. La «Grande École» désigne à la fois un lieu générique et son précédent, la «petite école», et renvoie plus largement à un cadre intangible, une délimitation du territoire institutionnel, social et culturel des beaux-arts et de ses «agents autorisés», les artistes, apprentis ou maîtres. Face à la société comme aux autres acteurs de ce «champ de production restreinte» apparaissent des exigences de positionnement, dont celle de «trouver sa place», qui apparaissent au gré d'échanges tantôt plus horizontaux (entre pairs), tantôt plus verticaux (de maître à étudiant). Je me plais à envisager ces échanges comme des lignes de perspectives qui se tracent histoire après histoire et dont l'orientation éclaire le rapport entre personnages et, partant, contribue à donner aux récits le sens de l'apprentissage qu'ils contiennent.</p> <p>Comme le soulignait Marie-Hélène, les situations de <em>Grande École </em>participent d'une «esthétique de l'humilité» puisque l'auteur appuie souvent sur le grincement ironique entre les projections initiales des apprentis et le résultat de leurs décisions, entre la théorie et la pratique, etc. Dans «Critique institutionnelle» (p.96-97), un projet d'action artistique très conceptuel, celui d'accrocher à un balcon une bannière livrant le code d'entrée, est bêtement contrecarré par une réalité banale, mais implacable: il n'y a pas de digicode à l'entrée de l'immeuble. Dans «Souffre-douleur», le narrateur, victime d'un attentat pictural à la pudeur de son agenda sur lequel ses collègues ont dessiné un sexe masculin, «entrepr[end] alors d'effacer le mince trait de stylo-bille en le recouvrant d'une épaisse couche de liquide correcteur qui reprenait trait pour trait le dessin qu'elle était censée dissimuler» (p.137). Cette esthétique de l'humilité oscillerait alors de la simple désillusion à l'humiliation ou à la déconvenue.</p> <p>Benoît Melançon abonde dans le même sens que Marie-Hélène lorsqu'il affirme que les «catastrophes» constituent le socle de la plupart des récits d'apprentissage de <em>Grande École</em>:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p style="margin-left:108.15pt;">Cela aurait pu composer une théorie de catastrophes doublée d’une déploration. Il n’en est rien. L’art de Clément de Gaulejac —et il est grand— tient dans la conjonction d’une expérience —c’est bien au narrateur que tout cela est arrivé— et d’une mise à distance de cette expérience —cela lui est bel et bien arrivé à lui, mais comme s’il s’agissait d’un autre. Plutôt que de s’appuyer sur ses malheurs —car c’est de malheurs qu’il faut parler malgré le détachement—, le narrateur livre, sans lien immédiatement visible entre eux, «différents morceaux de lui-même» (p.237). À chacun de se constituer un portrait, de la teinte qui lui conviendra (Melançon, 2013: <a href="http://oreilletendue.com/2013/01/02/pas-de-cote/">en ligne</a>).</p> </blockquote> <p><em>Grande École</em>, indiquait David, ne présente pas de grande transformation, aucune leçon finale épiphanique, nul Rubicon franchi. Au fond, chaque expérience ne se distingue de la banalité des événements que par le fait que l'individu qui la raconte lui donne l'importance particulière d'une expérience signifiante. Genre de l'apprentissage oblige, chacun des récits porte certes une exemplarité, mais celle-ci est plus implicite ou incertaine que celle de narrations directement instrumentalisées par une thèse. Dès lors, l'émergence de cette exemplarité dépend de sa reconnaissance comme telle par le lecteur. Autrement dit, tous les récits n'entraînent pas le même degré ni le même genre d'identification chez le lecteur. L'identification dont je parle ne correspond pas à une parfaite adéquation des expériences personnelles du lecteur avec celles dépeintes; elle est à entendre dans le sens plus large (et en même temps plus restreint et plus critique) de proximité que lui donne Christine Montalbetti:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p style="margin-left:106.75pt;">Car l’identification, en un certain sens, manifeste la clôture, et l’autonomie de la représentation. Je m’explique. Je peux m’identifier (à peu près) à n’importe quoi dans un texte: au personnage principal, dans une propension un peu mégalomaniaque, mais aussi à n’importe quel personnage secondaire, dont une pensée, une attitude, un geste, me paraît entretenir une proximité avec mes pensées, mes attitudes, mes gestes; mais aussi au narrateur, parce qu’il énonce telle ou telle maxime sur le monde qui me paraît coïncider avec un état synthétique de mes expériences, parce qu’au détour d’un paragraphe il déploie une confidence qui n’est pas éloignée du petit lot des événements de ma vie; mais encore au narrataire, qui peut partager avec moi par exemple une ignorance (au sujet de l’univers fictionnel; au sujet du monde réel), ou encore un avis esthétique, une manière de lire, une attente (Montalbetti, 2004: §25).</p> </blockquote> <p>Poussons l'idée un peu plus loin en revenant sur deux remarques concordantes de Pierre-Luc et de David: la nature impersonnelle des récits, favorisée par l'emploi d'un «je, véritable degré zéro de l'homogénéisation du recueil». Ce Je lambda, décharné et parfois presque abstrait, s'avère très efficace pour mener des récits auxquels n'importe quel lecteur pourra <em>s'identifier</em>. Cela nous amène de nouveau, je pense, à l'exemplarité soigneusement aménagée dans tout l'ouvrage. Enfin, je rappellerai que la facture de tous les récits se veut neutre et conventionnelle, marquée par l'usage du discours indirect et par une narration qui évite toute marque idiolectale, ce qui fait de ces anecdotes, selon les mots de David, des «expériences personnelles généralisables.»</p> <p>Tout bien considéré, la réflexion sur l'art qui traverse la <em>Grande École </em>en esquisse un visage critique et réaliste. Il trahit une vision sans idéalisme acquise par une expérience de l'intérieur. Mais heureusement, un jour surviendrait un peu plus de certitude sur ce qu'est la beauté, le moment de l'émancipation, ou pour le dire par un titre de récit, celui de «l'autorisation» (p.131) après les leçons d'humilité:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p style="margin-left:106.15pt;">Un jour, j'ai dit «beau» comme un artiste pour la première fois. C'était avec un autre apprenti. Nous disions ce que nous trouvions beau, hyper beau, vachement beau.... Ce n'était plus un jugement de valeur mais un programme esthétique. Nous étions des artistes, les manches relevées devant la question du beau, émerveillés, et pour tout dire stupéfaits par la mutuelle autorisation que nous nous donnions de disposer d'un tel héritage.</p> </blockquote> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> <p><strong>Bibliographie</strong></p> <p style="margin-left:21.25pt;">Roland BARTHES (1972), «&nbsp;La Rochefoucauld&nbsp;: “Réflexions ou Sentences et Maximes”&nbsp;» dans <em>Le degré zéro de l’écriture suivi de Nouveaux essais critiques,</em> Paris, Seuil (points), p. 69-88.</p> <p style="margin-left:21.25pt;">Marie-Ève CHARRON (2010), « L'art conceptuel illustré », dans <em>Le Devoir</em>, 11 décembre 2010, [<a href="http://www.ledevoir.com/culture/arts-visuels/312792/l-art-conceptuel-illustre">en ligne</a>]. <a href="http://www.ledevoir.com/culture/arts-visuels/312792/l-art-conceptuel-illustre" title="http://www.ledevoir.com/culture/arts-visuels/312792/l-art-conceptuel-illustre">http://www.ledevoir.com/culture/arts-visuels/312792/l-art-conceptuel-ill...</a> (Page consultée le 7 janvier 2013).</p> <p style="margin-left:21.25pt;">Dominique MAINGUENEAU (2004), <em>Le discours littéraire. Paratopie et scène d’énonciation</em>, Paris, éd. Armand Colin, 2004.</p> <p style="margin-left:21.25pt;">Benoît MELANÇON (2013), «&nbsp;Pas de côté&nbsp;», dans <em>L'oreille tendue</em>, [<a href="http://oreilletendue.com/2013/01/02/pas-de-cote/">en ligne</a>]. <a href="http://oreilletendue.com/2013/01/02/pas-de-cote/" title="http://oreilletendue.com/2013/01/02/pas-de-cote/">http://oreilletendue.com/2013/01/02/pas-de-cote/</a> (Page consultée le 7 janvier 2013).</p> <p style="margin-left:21.25pt;">Christine MONTALBETTI (2004), «Narrataire et lecteur: deux instances autonomes», dans <em>Cahiers de narratologie</em>, n° 11, [<a href="http://narratologie.revues.org/13">en ligne</a>]. <a href="http://narratologie.revues.org/13" title="http://narratologie.revues.org/13">http://narratologie.revues.org/13</a> (Page consultée le 7 janvier 2013).</p> <p style="margin-left:21.25pt;">Magali UHL (2009), «Entretien avec Clément de Gaulejac», dans <em>Spirale</em>, n° 226, mai-juin 2009, [<a href="http://www.spiralemagazine.com/parutions/226/portfolio/pfolio_01.html">en ligne</a>]. <a href="http://www.spiralemagazine.com/parutions/226/portfolio/pfolio_01.html" title="http://www.spiralemagazine.com/parutions/226/portfolio/pfolio_01.html">http://www.spiralemagazine.com/parutions/226/portfolio/pfolio_01.html</a> (Page consultée le 7 janvier 2013).</p> http://salondouble.contemporain.info/lecture/lecons-dhumilite-studio-de-lecture-2#comments Art contemporain BARTHES, Roland Canada Devenir Dialogues culturels Esthétique Fragment MAINGUENEAU, Dominique MÉNARD, Isabelle MONTALBETTI, Christine Québec UHL, Magali Récit(s) Roman Fri, 18 Jan 2013 00:38:12 +0000 Pierre-Paul Ferland 663 at http://salondouble.contemporain.info Américains après tout http://salondouble.contemporain.info/lecture/americains-apres-tout <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/ferland-pierre-paul">Ferland, Pierre-Paul</a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-biblio"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/biblio/quelque-part-en-am-rique">Quelque part en Amérique</a> </div> </div> </div> <!--break--><!--break--> <p style="text-align: justify;">La littérature québécoise entretient un étrange lien de fascination et de répulsion envers les États-Unis. Qu’on lise les pamphlets contre l’émigration canadienne-française de Damase Potvin, les romans de la Révolution tranquille de Jacques Godbout ou la panoplie de <em>road novels</em> qui paraissent régulièrement depuis 20 ans, on remarque que les États-Unis y incarnent toujours une <em>projection</em>; ils correspondent à ce qu’on cherche à repousser ou à ce qu’on désire secrètement devenir. C’est pourquoi les écrivains québécois s’obstinent à associer les États-Unis à certains lieux communs censés incarner l’altérité: racisme, dévotion, néolibéralisme, armes à feu, artifices du divertissement, dépravation des mœurs couplée au puritanisme, etc. De nos jours, il est ardu de s’émanciper d’une telle tradition littéraire. La posture critique des écrivains face aux États-Unis constitue désormais un <em>horizon d’attente</em> clair et défini. En contrepartie, rares sont les romans québécois qui présentent les États-Unis comme un lieu de contreculture, de modernité, de cosmopolitisme et de démocratie<strong><a href="#1">[1]</a><a name="1a"></a></strong>.</p> <p style="text-align: justify;">Difficile, dans ces circonstances, d’aborder <em>Quelque part en Amérique</em> (2012) d’Alain Beaulieu autrement qu’à partir de la notion d’américanité qui vise, entre autres, à décrire la perception des États-Unis que transmettent les écrivains québécois. D’autant plus que le paratexte qu’a conçu l’éditeur —Druide, qui publie ici son tout premier titre— renforce apparemment ce contrat de lecture: le titre du roman évoque d’emblée l’indétermination géographique, donc l’attrait du dépaysement; attrait illustré à merveille par une photographie d’une autoroute sur la couverture. Nous sommes, hors de tout doute, dans le régime sémiotique connu de l’américanité, pour ne pas dire dans les clichés. Et la quatrième de couverture en rajoute, nous parlant d’une «épreuve accablante qui nous fera découvrir une Amérique porteuse de tous ses paradoxes». Avant même de lire une seule ligne du roman de Beaulieu, ces informations logent le texte dans une sorte de tradition abondante au Québec et au Canada où on cherche à se réconforter dans certaines différences institutionnelles et sociologiques en mettant en évidence l’altérité (souvent décadente) des États-Unis.</p> <p style="text-align: justify;">Pourtant, ces signaux paratextuels ne rendent pas justice au roman de Beaulieu. <em>Quelque part en Amérique</em> ne parle pas de l’Amérique –pas fondamentalement, en tout cas. Il s’agit d’une histoire qui se déroule aux États-Unis, sans que ce pays soit thématisé outre mesure. En fait, avec <em>Quelque part en Amérique</em>, Beaulieu renoue avec certains des thèmes de prédilection de ses quatre premiers romans: le mensonge et l’oppression du secret, la filiation rompue ou encore les déterminismes du lieu d’origine sur le développement de la personne. Ces thèmes m’apparaissent beaucoup plus féconds que la «piste américaine» afin d’apprécier ce roman à sa juste valeur.</p> <p style="text-align: justify;"><span style="color:#696969;"><strong>Une Amérique d’Américains</strong></span><br />Après la naissance de son fils, Lonie quitte son Bélize natal afin de vivre le «rêve américain» comme l’a fait sa cousine avant elle. Immigrante illégale, elle débarque dans une gare avec son fils de cinq ans, Ludo. L’intervention d’un bon samaritain, Nick Delwigan, lui permet d’éviter <em>in extremis</em> le réseau de traite de femmes auquel elle était destinée. Lonie se terre alors chez la sœur de Nick, Maureen, mariée à un riche prédicateur, et elle y effectue des travaux domestiques. L’arrivée de cette femme et de son enfant dans la vie conjugale de Maureen et Bill fait resurgir tous les problèmes refoulés du couple jusqu’à ce qu’un drame d’une incroyable cruauté vienne enlever Ludo à sa mère. Après ces événements narrés à la première personne par Lonie, la deuxième partie du roman traite de l’évolution du destin de Ludo et Lonie suivant des narrations polyphoniques dans lesquelles chaque personnage donne sa version des événements.</p> <p style="text-align: justify;">À première vue, on voit bien comment une telle histoire ouvre la porte à la critique sociale. Le statut de Lonie permettrait certes à un romancier moralisateur d’aborder les politiques acharnées et inhumaines des États-Unis sur l’immigration illégale. Le statut de Bill, époux de Maureen et dévot richissime, ne rappelle-t-il pas d’emblée ces personnages rongés par leurs délire religieux ou idéologiques qu’on retrouve dans <em>Il n’y a plus d’Amérique</em> (2002) de Louis Caron? Ne peut-on pas voir dans cette famille dysfonctionnelle le reflet d’une quelconque Amérique «en perte de repères» ou «en déclin cauchemardesque»? Toute la prouesse d’Alain Beaulieu réside précisément dans ce <em>refus </em>de céder à la tentation du microcosme et de la métonymie. Ses personnages, aussi stéréotypés puissent-ils sembler, prennent une épaisseur inattendue en vertu de leur psychologie nuancée.</p> <p style="text-align: justify;">L’Amérique de Beaulieu s’efface derrière ses personnages. Si certains peuvent justement voir dans l’indétermination géographique du titre et dans l’obsession de Beaulieu à ne jamais donner de toponymie claire à son histoire un vœu de&nbsp;«continentaliser» son roman, j’y vois plutôt, au contraire, un refus de thématiser à tout prix l’espace américain. Sans oublier, plus pragmatiquement, que la narratrice analphabète ne devrait guère se soucier de savoir si elle se trouve à Dallas ou à Albuquerque puisque, pour elle, «l’Amérique» est bel et bien encore un bloc monolithique: «J’ai rêvé de ce pays si longtemps qu’une fois là je ne savais plus comment le prendre» (67). Or, contrairement par exemple à l’avatar de Sergio Kokis dans <em>Le pavillon des miroirs</em> (1995), Lonie n’exerce pas de critique acerbe du mode de vie consumériste et superficiel des Américains. Au contact de Maureen, qui a pourtant tous les attributs de l’«épouse trophée» oisive dont les petits tracas émotifs pâlissent en comparaison de la pauvreté et de la souffrance que Lonie a vécues toute sa vie, elle demeure compréhensive, voire fascinée:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p style="text-align: justify;">J’ai découvert avec une certaine stupéfaction que cette femme, qui était née et avait grandi dans le pays le plus riche du monde, qui n’avait manqué de rien et qui vivait maintenant dans un palace sans jamais se soucier de savoir si elle allait un jour manquer d’argent pour se nourrir ou se loger, que cette femme pour qui la vie avait tenu les promesses les plus audacieuses, était au bord de la dépression. Cela m’a incitée à en prendre soin par de petites attentions qu’elle a sans doute fini par associer à des marques d’amitié (77).</p> </blockquote> <p style="text-align: justify;">La complicité entre les deux femmes se développe alors que Maureen l’emmène faire une virée à la plage. Lorsque Maureen joue avec Ludo, Lonie dit:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p style="text-align: justify;"><br />Cette femme qui n’avait pas eu d’enfant prenait sa revanche avec le mien, et j’étais heureuse de lui offrir ce cadeau que tout son argent n’aurait pas pu lui procurer. […] Nous nous rendions du bonheur chacune à notre façon […] (89).</p> </blockquote> <p style="text-align: justify;"><br />Pour utiliser l’expression consacrée, on voit bien que Maureen vit «les malheurs des gens sans soucis». Pourtant, la narratrice n’exprime pas de mépris ou de rancœur à son endroit, mais plutôt de la surprise et, plus loin, de l’empathie. Le décalage entre l’extrême richesse et l’extrême pauvreté n’est pas perçu comme le reflet d’une quelconque lutte des classes. Beaulieu, autrement dit, traite ses personnages américains avec la même affection qu’il traite le personnage de Lonie. Il s’agit d’un contraste net avec, par exemple, les personnages de <em>Les derniers jours de Smokey Nelson</em> (2010) que la romancière Catherine Mavrikakis aborde, selon moi, avec un certain degré de condescendance. Dans <em>Les derniers jours de Smokey Nelson</em>, le personnage dévot de Ray Ryan entend la voix de Dieu lui-même en narration à la seconde personne. Malgré la gravité de ce que vit Ryan, le deuil de sa fille, le portrait caricatural qu’en dresse la romancière le rend antipathique et invraisemblable. Mavrikakis relate notamment une partie de chasse entre le père et la fille où celle-ci s’illustre au tir: «Elle maniait ces engins puissants avec une dextérité qui <em>vous faisait rire tous les deux</em>» (79, je souligne). Plus loin, Dieu sanctifie la croisade du fils de Ray qui joint une milice apparentée au Ku-Lux Klan en énumérant les «tares» de l’Amérique. Je me permets de citer cette longue énumération, tant elle me semble représentative, précisément par l’effet hyperbolique qu’elle transmet, de la réduction du personnage dévot en stéréotype du Républicain honni:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p style="text-align: justify;"><br />Les enfants assassinés lâchement dans le sein de leur mère, […], la terreur exercée par les hommes noirs à l’intérieur du pays, […], le viol perpétuel des frontières du territoire par des étrangers de toutes espèces, le complot permanent contre les hommes blancs, l’hystérie féministe des créatures hommasses, […], l’excitation frénétique des sodomites qui entachent à jamais l’idée même du mariage, le retour du communisme et du socialisme abjects […], l’étouffement progressif du pouvoir d’achat des travailleurs honnêtes menés systématiquement par un gouvernement cynique, le non-respect du drapeau des États-Unis […], l’insolence des jeunes envers les patriarches, les aînés, la désertion des églises, l’esprit scientifique qui s’empare de tout et qui croit mettre à mal le mystère divin, la télévision blasphématrice et l’Internet vénéneux […] tout cela met Tom hors de lui et le force à prendre les armes (92).</p> </blockquote> <p style="text-align: justify;"><br />Voilà ce qu’on pourrait nommer un condensé idéologique! En contrepartie, Bill, ce prédicateur amoureux de la prière mais atterré par la stérilité de sa femme que nous présente Beaulieu, contourne le stéréotype du Républicain, puisque le récit aborde le personnage à travers son rôle de mari. L’histoire que le romancier raconte supplante le procès moral.</p> <p style="text-align: justify;"><span style="color:#696969;"><strong>Une écriture effacée?</strong></span><br />Beaulieu ne sacrifie pas uniquement son portrait de l’espace américain au bon fonctionnement du drame psychologique. La langue de <em>Quelque part en Amérique</em> semble transparente. Chantal Richard mentionne que, au Québec, le choix du romancier qui situe son texte aux États-Unis de transcrire la langue anglaise dans un registre unilingue ou plurilingue dépasse la simple question de la lisibilité ou du réalisme<strong><a href="#2">[2]</a><a name="2a"></a></strong>. Ce choix, compte tenu de la tension historique au Québec en regard de l’anglais, serait révélateur d’une «position idéologique» ou d’une «tendance psychosociale» (2000: 232). Certes, comme les narrateurs anglophones de <em>Quelque part en Amérique</em> relatent leur propre histoire, un souci de réalisme aurait carrément poussé Beaulieu à rédiger son roman en anglais. Pourtant, l’absence d’un locuteur francophone permet à la narration d’opérer une identité totale entre le français et l’anglais (comme si nous regardions un film doublé<strong><a href="#3">[3]</a><a name="3a"></a></strong>). Beaulieu ne problématise pas le plurilinguisme nord-américain. Autrement dit, si, comme le propose Richard, toute insertion de l’anglais dans un roman québécois suppose une prise de position linguistique, on peut affirmer que l’homogénéité linguistique de Beaulieu, même si motivée par un souci de cohérence esthétique, récuse l’altérité américaine. Ce qu’il faut retenir, dans ce cas, c’est justement l’envers de cette altérité, c’est-à-dire la stricte humanité de ces personnages en dépit de leur éloignement géographique et culturel du Québec.</p> <p style="text-align: justify;">Dans un même ordre d’idées, bien que la parole soit un phénomène apparemment crucial pour mettre en valeur la polyphonie d’un texte littéraire, Beaulieu choisit, au contraire, de supprimer à peu près tous les effets de style relatifs au phénomène de la voix, hormis la polyphonie –qui constitue d’ailleurs, selon moi, une faiblesse du roman: la narration à la troisième personne aurait peut-être davantage convenu à l’histoire de Lonie et Ludo. Certes, parfois Lonie nous rappelle certains décalages culturels –elle ignore notamment le concept de «pension alimentaire» (91)– mais ces marques de la tangibilité du narrateur sont éparses. La subjectivité de la voix s’éclipse, comme l’hétérolinguisme, au profit de la progression de l’histoire et de l’émotion. Le dépouillement linguistique (tant de la langue que de la parole) donne une apparence d’absence esthétique relativement rare en littérature contemporaine (qui n’est, bien sûr, qu’une illusion, puisque l’effacement de la langue exige paradoxalement un travail important). À l’ère des narrateurs non-fiables et des focalisations fragmentées, le classicisme de Beaulieu apparaît presque transgressif. Il s’agit d’une évolution nette dans l’œuvre de Beaulieu, qui avait habitué ses lecteurs à certaines prouesses métafictionnelles dans <em>Le Fils perdu</em> (1999) et <em>Le Joueur de quilles</em> (2004), voire à une sorte de transfictionnalité carnavalesque dans <em>La Cadillac blanche de Bernard Pivot </em>(2006), où l’auteur imaginait un colloque réunissant tous ses écrivains favoris.</p> <p style="text-align: justify;">Cette limpidité, ce dépouillement qui provoque une sorte de dénationalisation du texte, manque cependant parfois de cohérence. À trois occasions, la narration commet quelques fautes tant sur le plan de l’esthétique telle que je l’ai présentée précédemment que sur le plan du réalisme. Ironiquement peut-être, ces failles surviennent quand Beaulieu cherche à lier son texte à la tradition de l’américanité. Lors de leur virée, Maureen s’empresse de comparer Lonie à «son» Neal Cassady (84) tout en prenant soin de résumer <em>Sur la route</em>, qu’elle a lu au collège, à la narratrice. La justification fictionnelle de l’intertexte kerouacien paraît tirée par les cheveux… Plus loin, toujours en route, Lonie remarque: «Nous avons traversé sans les voir des villes aux noms francophones, ce qui témoignait de la présence passée des Français dans cette partie de l’Amérique» (102). Ludo, devenu adulte, va quant à lui être ravi de savoir que sa copine «avait même appris des rudiments de français pour pouvoir lire des textes qui se référaient à la période où l’Amérique avait été foulée et défrichée par des explorateurs de l’Hexagone» (144). Ces références à la présence francophone en Amérique du Nord sonnent faux. Du point de vue de l’histoire, pourquoi Lonie et Ludo s’intéresseraient-ils à ce fait anthropologique? On croirait que le romancier a tenté artificiellement de saupoudrer quelques leitmotive de l’américanité, Jack Kerouac en tête de liste, pour s’insérer dans la tradition de <em>Volkswagen Blues</em> (1984) de Jacques Poulin et <em>Petit homme Tornade</em> (1996) de Roch Carrier, entre autres. Déjà dans son premier roman, <em>Fou-Bar</em> (1997), Beaulieu avait inséré une telle digression «américaine» qui fracturait l’illusion référentielle. Harold Lubie, criminel en cavale à la recherche de sa copine dans le Maine, scandait son américanité dans une étrange parenthèse:&nbsp;«Je considère l’Amérique, nourrice de mes ancêtres, les Rouges autant que les Blancs, comme ma première mère» (1997: 121).</p> <p style="text-align: justify;">Qu’on les considère comme des maladresses ou non, ces digressions narratives illustrent à merveille le lien intime qui existe dans la littérature québécoise entre l’Amérique et l’identité. <em>Quelque part en Amérique</em> ne montre-t-il pas, par ces petites fissures desquelles émerge un discours clair sur l’américanité, qu’on a beau chasser le naturel, il reviendra au galop? Mobiliser l’imaginaire américain, dans le roman québécois, suppose toujours une prise de position identitaire et <em>Quelque part en Amérique</em> nous en fait la preuve. Dans ce cas-ci, les allusions à la composante francophone de l’Amérique révèlent ce que le refus de la métonymie à fins critiques nous montrait déjà: ce «quelque part» en Amérique, ça pourrait aussi être chez nous.<br />&nbsp;</p> <hr /> <p style="text-align: justify;"><span style="color:#696969;"><strong>Bibliographie</strong></span><br />Beaulieu, Alain. <em>Quelque part en Amérique</em>. Montréal, Druide (Coll. Écarts), 2012.<br />Beaulieu, Alain. <em>Le postier Passila</em>. Montréal, Actes Sud, 2010.<br />Beaulieu, Alain. <em>La cadillac blanche de Bernard Pivot</em>. Montréal, Québec Amérique (Coll. Mains libres), 2006.<br />Beaulieu, Alain. <em>Le joueur de quilles</em>. Montréal, Québec Amérique, 2004.<br />Beaulieu, Alain. <em>Le fils perdu</em>. Montréal, Québec Amérique, 1999.<br />Beaulieu, Alain. <em>Le dernier lit</em>. Montréal, Québec Amérique, 1998.<br />Beaulieu, Alain. <em>Fou-Bar</em>. Montréal, Québec Amérique, 1997.<br />Caron, Louis. <em>Il n’y a plus d’Amérique</em>. Montréal, Boréal, 2002.<br />Carrier, Roch. <em>Petit homme tornade</em>. Montréal, Alain Stanké, 1996.<br />Godbout, Jacques. <em>Une histoire américaine</em>. Paris, Seuil, 1986.<br />Kokis, Sergio. <em>Le pavillon des miroirs</em>. Montréal, XYZ, 1995.<br />Larue, Monique. <em>Copies conformes</em>. Montréal, Lacombe, 1989.<br />Mavrikakis, Catherine. <em>Les derniers jours de Smokey Nelson</em>. Montréal, Héliotrope, 2011.<br />Poulin, Jacques.<em> Volkswagen Blues</em>. Montréal, Babel/Actes Sud, 1984.<br />Richard, Chantal. «Le problème du locuteur anglophone dans le roman québécois se déroulant aux États-Unis: du métissage à l’assimilation», dans Robert Viau [dir.], <em>La création littéraire dans le contexte de l’exiguïté</em>, Beauport (Québec), Publications MNH (Écrits de la francité, n°&nbsp;4), 2000, p. 231-252.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#1a"><strong>[1]</strong></a><a name="1"></a> Même un roman comme <em>Chercher le vent</em> (2001) de Guillaume Vigneault. qui présente les États-Unis de manière plus positive, prend la peine de relater un épisode où le faste new-yorkais corrompt le personnage principal.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#2a"><strong>[2]</strong></a><a name="2"></a> Par exemple, <em>Une histoire américaine </em>(1986) de Jacques Godbout tend à traduire immédiatement en français les dialogues se déroulant en anglais alors que <em>Copies conformes </em>(1989) de Monique Larue transcrit les dialogues dans leur langue intégrale.</p> <p style="text-align: justify;"><strong><a href="#3a">[3]</a><a name="3"></a></strong> Une seule scène du roman exploite les marques transcodiques. Lors de leur virée, Maureen et Léonie utilisent la carte de crédit de Bill pour payer leurs achats et elles rient du jeu de mots&nbsp;«<em>Bill with a bill</em>» (89).</p> http://salondouble.contemporain.info/lecture/americains-apres-tout#comments Amérique BEAULIEU, Alain Canada Conscience linguistique Déplacements Espace culturel États-Unis d'Amérique Exil GODBOUT, Jacques KEROUAC, JACK KOKIS, Sergio Lieux communs Polyphonie RICHARD, Chantal Roman Tue, 08 Jan 2013 15:02:57 +0000 Pierre-Paul Ferland 656 at http://salondouble.contemporain.info La parole contre l’aliénation http://salondouble.contemporain.info/lecture/la-parole-contre-l-ali-nation <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/guillois-cardinal-raphaelle">Guillois-Cardinal, Raphaëlle</a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-biblio"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/biblio/la-guerre-au-ventre">La guerre au ventre</a> </div> </div> </div> <!--break--><!--break--><p>Les pièces de Michel Ouellette abordent la question identitaire, tant sur le plan individuel que collectif, ainsi que de nombreux thèmes universels tels que le rapport au passé, la solitude, la misère, la liberté, l’amour et la famille. Se montrant audacieuses dans leur forme par leur caractère non linéaire et leurs dialogues fragmentaires, elles présentent des personnages franco-ontariens hantés par leur histoire familiale (eux-mêmes privés d’une perception linéaire du temps) qui, habités d’une volonté de rupture avec leurs origines, prennent la route et s’exilent. Or, ils entraînent avec eux leurs fantômes et font de leur nouveau milieu un espace mortifère. Dans cette optique, les titres des pièces de Ouellette, que l’on pense à <em>Corbeau en exil</em> (1992)<em>, L’homme effacé</em> (1997)<em>, La dernière fugue </em>(1999) ou <em>Fausse route</em> (2001), sont très évocateurs.</p> <p>À la suite de <em>French Town</em> (1994) et de <em>Requiem</em> (1999), <em>La guerre au ventre </em>(mise en scène par le Théâtre du Nouvel-Ontario en 2011) commence par du non-dit, par une difficulté de se dire, transmise d’une génération à l’autre. Elle porte en elle toute l’histoire de la famille Bédard, entamée avec les deux pièces précédentes: un oncle coupable de meurtre, une mère marquée par ce drame familial, un père irresponsable, violent et alcoolique, une sœur pour qui la vie n’est pas facile, ainsi qu’un frère qui se suicide d’un coup de carabine dans la bouche pour se taire à tout jamais. Toutefois, dans <em>La guerre au ventre, </em>Martin, l’un des fils Bédard, comprend que la fuite n’est pas la solution et qu’il doit concilier son lourd passé familial avec sa propre vie. Ici, la guerre devient le symbole du combat intérieur que livre&nbsp;Martin contre ses origines. Non seulement elle réfère à des guerres bien réelles de l’histoire canadienne, mais elle se déroule également dans le ventre de Martin qui lutte pour sa survie après y avoir reçu une balle de fusil, coup non mérité, dû à la rencontre d’un homme violent et possessif. Région du corps d’où l’on est originaire, le ventre devient donc un lieu de combat à la fois physique et symbolique.</p> <p>Le passé familial de Martin, rempli à la fois d’amour et de haine, s’enchevêtre à celui de sa femme, une anglophone nommée Kelly Kelly. L’amour qui unit Martin à la mère de ses enfants s’érige sur des secrets et, conséquemment, écrasé par le poids du passé, semble voué à l’échec. Kelly quitte Martin en lui enlevant ses enfants qui sont des Kelly, bien plus que des Bédard, car Martin n’a pas su transmettre son identité en héritage: ses filles ne portent pas son nom et ne parlent pas français. Le fils ainé, quant à lui, le seul à avoir été élevé dans les deux langues, a voulu imiter les hommes de la famille Kelly en s’illustrant dans l’armée canadienne. Toutefois, il est mort en Afghanistan, laissant Martin en proie à une grave crise identitaire dont la question centrale est la suivante: «Comment on appelle ça, un père qui a perdu son fils?»(64). Et même si Martin parcourt plusieurs kilomètres pour s’éloigner de sa ville natale, il demeure hanté par son histoire familiale; dans sa tête s’élèvent les voix des femmes qui l’ont marqué. Désespéré, il se demande pourquoi il n’entend que des voix féminines et pourquoi le fantôme de son fils, lui, ne se manifeste pas. La plus dure des femmes est sans contredit sa belle-mère Bridget qui, en plus de mépriser ses origines francophones, lui dit: «T’es pas un homme, toi. Pas un homme comme ton père.»(48). Totalement dérouté, parlant à sa sœur, à sa mère et à sa grand-mère, Martin demeure prisonnier de sa condition de fils, incapable d’assumer sa paternité.</p> <p><strong>Quand le fils deviendra père</strong></p> <p>Lorsque, gravement blessé, Martin est conduit à l’hôpital, la vue du sang qui coule de son ventre (ainsi que sa présence en ce lieu) ramène le souvenir de la naissance de son fils&nbsp;:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p>Une balle dans mon ventre. Le sang. Qui sent. […] Je suis à l’hôpital. […] Kelly est là. Couchée sur le dos. Les jambes ouvertes. La boule de sang sort d’elle. Patrice. On me tend les ciseaux pour couper le cordon ombilical. Je reste figé dans le moment, comme coincé entre deux secondes. Pis le médecin me donne un coup de coude pis je coupe le cordon machinalement, comme une machine, sans réfléchir. C’est la vie. La vie qui continue. Patrice. J’étais là, à sa naissance. Je suis encore là. Dans le sang de sa naissance. Patrice. Patrice.(46-47).</p> </blockquote> <p>En fait, plus la pièce progresse, plus on constate que la balle que Martin a reçue au ventre n’illustre pas seulement les disputes qui hantent son passé familial, mais aussi le combat qu’il mène pour occuper sa place d’homme et de père. Alors dans un état critique, Martin emploie la parole pour éviter la mort physique et symbolique. L’incapacité de Simone, la mère de Martin, à parler de l’histoire familiale, incapacité avec laquelle s’ouvrait <em>French town,</em> se confronte ici à la volonté de parole de Martin<em>.</em> À la fin de la pièce, la guérison de sa blessure au ventre concorde avec l’acceptation de son passé familial et la récupération de son rôle paternel, puisque Kelly et ses deux filles reviendront vers lui.</p> <p>Enfin, <em>La guerre au ventre,</em> près de vingt ans après, fait écho à la première pièce de Ouellette, <em>Corbeaux en exil </em>(1992), dans laquelle le protagoniste s’exerce à tuer un corbeau au vol devant le Colonel, une figure paternelle, qui l’accuse d’avoir tenté de le tuer sous prétexte de vouloir atteindre le corbeau. Or, dans <em>La guerre au ventre,</em> la figure du corbeau réapparaît par le biais d’une légende qui semble être une clé du théâtre de Ouellette. Cette légende raconte l’histoire de Kaagaagiou, un bel oiseau multicolore qui, durant l’hiver, se voit obligé de manger des cadavres d’animaux pour survivre. Nourri de la mort, Kaagaagiou reprend ses forces mais se transforme par le fait même en un corbeau noir au chant rocailleux. La légende se termine sur cette phrase essentielle: «Pour vaincre, il faut manger la passé.»(75). C’est-à-dire l’incorporer et le digérer. Si, pour Lucie Hotte, professeure à l’Université d’Ottawa et spécialiste de la littérature franco-canadienne, tuer le corbeau équivaut à tuer le père (pour le devenir soi-même), on peut affirmer que Martin récupère pleinement son rôle parental après avoir réglé ses comptes avec le corbeau : lors d’un affrontement imaginaire, le fantôme du fils de Martin se manifeste enfin et vainc l’oiseau noir. De plus, en répliquant au corbeau «Je vais pas me taire. Jamais.»(83), Martin met fin au silence qui se montrait jusque-là constitutif de sa famille et par extension, de sa propre identité. Ainsi, alors qu’avant <em>La guerre au ventre</em>, dans le théâtre de Ouellette, le père n’est que problèmes, incapable qu’il est de bien communiquer ou d’occuper son rôle, généralement alcoolique, violent, totalement irresponsable ou tout simplement absent, Martin, grâce à sa parole, s’affranchit, devient père à part entière et peut finalement vivre sa propre vie sans être à distance de soi. Considérant cela, il sera intéressant de voir comment se présenteront les protagonistes des prochaines pièces de Ouellette, afin d’affermir ou d’infirmer la résolution du rôle paternel que semble marquer <em>La guerre au ventre, </em>au sein de cette œuvre dramaturgique.</p> <p>&nbsp;</p> <p><strong>Bibliographie</strong></p> <p>&nbsp;</p> <p>HOTTE, Lucie et POIRIER, Guy. (dir.) (2009). <em>Habiter la distance. Études en marge de La distance habitée</em>, &nbsp;Sudbury, Prise de parole, 195 p.</p> <p>OUELLET, François (1996). « <em>Se faire</em> Père. L’œuvre de Daniel Poliquin », dans HOTTE, Lucie et OUELLET, François (dir.), <em>La littérature franco-ontarienne : enjeux esthétiques</em>, Ottawa, Le nordir, p. 91-116.</p> <p>OUELLETTE, Michel (1992). <em>Corbeaux en exil</em>, Hearst, Le Nordir, 114 p.</p> <p>OUELLETTE, Michel (1997). <em>L’homme effacé</em>, Hearst, Le Nordir, 1997, 93 p.</p> <p>OUELLETTE, Michel (1999). <em>La dernière fugue</em> suivi de <em>Duel</em> et de <em>King Edward</em>, Hearst, Le Nordir, 161 p.</p> <p>OUELLETTE, Michel. (2000) <em>French Town</em>, Hearst, Le Nordir, 114 p.</p> <p>OUELLETTE, Michel (2001). <em>Requiem</em> suivi de <em>Fausse Route</em>, Hearst, Le Nordir, 139 p.</p> <p>OUELLETTE, Michel (2011). <em>La guerre au ventre</em>, Hearst, Le Nordir, 92 p.</p> http://salondouble.contemporain.info/lecture/la-parole-contre-l-ali-nation#comments Arts de la scène Canada Filiation Guerre Théâtre Fri, 16 Nov 2012 16:31:45 +0000 Raphaëlle Guillois-Cardinal 635 at http://salondouble.contemporain.info Entretien avec Les Éditions David http://salondouble.contemporain.info/antichambre/entretien-avec-les-ditions-david <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/fontille-brigitte">Fontille, Brigitte</a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-filefield field-field-image"> <div class="field-label">Image:&nbsp;</div> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <div class="filefield-file"><img class="filefield-icon field-icon-image-png" alt="icône image/png" src="http://salondouble.contemporain.info/sites/all/modules/contrib/filefield/icons/image-x-generic.png" /><a href="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/ditions david.png" type="image/png; length=7399">ditions david.png</a></div> </div> </div> </div> <!--break--><!--break--> <p style="text-align: justify;">Afin d'aborder la rentrée littéraire automnale, Salon Double a mené une série d'entretiens avec plusieurs éditeurs afin de découvrir leur historique, leurs politiques éditoriales et leurs vues plus larges sur la littérature contemporaine. La série se poursuit par un entretien avec Les éditions David. Marc Haentjens a accepté de répondre à nos questions.</p> <p style="text-align: justify;"><strong>Les <a href="http://editionsdavid.com/">Éditions David</a> sont une maison d’édition littéraire établie à Ottawa depuis 1993. La maison publie des textes de création (romans, nouvelles, poésie) ainsi que des études et essais traitant de la littérature canadienne-française. La maison accueille en priorité des auteurs francophones de l’Ontario mais aussi des auteurs d’autres régions du Canada. Son catalogue compte aujourd’hui près de 250 titres, répartis à travers huit collections.<br /><br />Les œuvres de création représentent le volet le plus porteur de la maison d’édition avec cinq collections principales :<br /><br />-&nbsp;&nbsp; &nbsp;trois collections de prose: la collection <em>Voix narratives</em>, composée de romans, nouvelles et récits, la collection <em>Indociles</em>, ouverte à des romans de facture plus contemporaine, et la collection <em>14/18 </em>dirigée vers le public adolescent (14 ans et plus);<br /><br />-&nbsp;&nbsp; &nbsp;deux collections de poésie : la collection Voix intérieures, ouverte à des textes de poésie actuelle, et la collection <em>Voix intérieures – Haïku</em>, une collection de « niche » dédiée spécifiquement à la publication de textes liés à ce genre poétique (dans ses différentes variations: haïku, renku et, récemment, haïbun).<br /><br />Les ouvrages de réflexion continuent néanmoins d’alimenter quelques collections axées sur la connaissance et l’étude de la littérature francophone au Canada : la collection <em>Voix savantes</em>, réunissant des études et des essais collectifs, la collection <em>Voix retrouvées</em>, accueillant des éditions critiques de textes anciens ou oubliés, et la collection <em>Voix didactiques</em> consacrée à des auteurs de littérature jeunesse.<br /><br />À travers ce programme, la maison d’édition veut contribuer à l’expression d’une littérature originale qui reflète les diverses réalités de la francophonie canadienne. Elle souhaite aussi développer un lectorat – et un lectorat critique - susceptibles d’apprécier et de suivre cette littérature.</strong><br /><br /><span style="color:#696969;"><strong>Brigitte Fontille [BF] –</strong></span> Qu’est-ce qui a motivé la décision de fonder une nouvelle maison d’édition? Est-ce que vous sentez que votre maison d’édition a permis de combler un manque dans la scène littéraire contemporaine? Qu’est-ce qui a motivé la création de la collection «Indociles»?<br /><br /><span style="color:#696969;"><strong>Marc Haentjens [MH] –</strong></span> Les Éditions David ont été fondées par Yvon Malette en 1993. La motivation souvent invoquée par Yvon était de publier sa thèse de doctorat - une étude sur Gabrielle Roy - que plusieurs maisons d'édition tardaient à accepter. En réalité, plusieurs collègues dans son entourage (Yvon enseignait alors à l'Université d'Ottawa et au Cégep de l'Outaouais) se montraient intéressés à voir naître dans la région une maison avec un profil littéraire au sein de laquelle ils pourraient publier ou collaborer.<br /><br />De fait, la maison a rapidement reçu de nombreuses propositions et, après seulement quelques années, elle publiait en même temps des études littéraires, des romans, des nouvelles et de la poésie. Elle se donnait aussi plusieurs directeurs de collection formant, autour d'Yvon Malette, une équipe éditoriale solide. À son quinzième anniversaire (2008), la maison franchissait la barre des 200 titres, avec une réputation acquise dans le milieu littéraire et universitaire.<br /><br />Le changement de direction, en 2009, a légèrement infléchi l'orientation éditoriale de la maison. Me distançant un peu du milieu universitaire, j'ai surtout cherché depuis quelques années à accentuer la place de la maison dans la vie littéraire environnante, en Ontario notamment. Cela a d'abord conduit à développer une collection pour adolescents, la collection 14/18, qui venait à peine de naître à mon arrivée, et à lui donner une place centrale dans le catalogue; puis à créer, en 2011, une nouvelle collection de romans, la collection Indociles, ouverte à de jeunes auteurs et à des textes de facture plus contemporaine.</p> <p style="text-align: justify;"><span class='wysiwyg_imageupload image imgupl_floating_none_left 0'><a href="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/Jepromets_Ouellet%281%29.jpg" rel="lightbox[wysiwyg_imageupload_inline]" title=""><img src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/Jepromets_Ouellet%281%29.jpg" alt="85" title="" width="580" height="975" class="imagecache wysiwyg_imageupload 0 imagecache imagecache-wysiwyg_imageupload_lightbox_preset" style=""/></a> <span class='image_meta'></span></span><br /><br /><span style="color:#696969;"><strong>BF –</strong></span> Quelle politique éditoriale vous êtes-vous donnée, quelle ligne directrice ou vision de la littérature vous oriente? Est-ce que votre politique éditoriale a changé depuis le début de vos activités?<br /><br /><span style="color:#696969;"><strong>MH –</strong></span> Plusieurs lignes directrices orientent les Éditions David depuis leur création en 1993. Je dirais: un intérêt marqué pour la langue et la littérature, un souci d'excellence et une ouverture à la francophonie canadienne, dans ses différentes manifestations régionales. Ces lignes n'ont pas fondamentalement changé au fil des ans.<br /><br />S'y sont cependant ajoutées ces dernières années quelques autres préoccupations: le dépistage de nouveaux auteurs, un enracinement (ou un ancrage) plus profond en Ontario français et une volonté de développement du lectorat, particulièrement chez les jeunes.</p> <p style="text-align: justify;"><span style="color:#696969;"><strong>BF –</strong></span> Qu’est-ce qui vous intéresse dans une écriture ou un projet, vous amène à choisir un texte en particulier parmi les manuscrits que vous recevez? Notamment pour la collection «Indociles».<br /><br /><span style="color:#696969;"><strong>MH –</strong></span> Notre intérêt pour un manuscrit varie évidemment selon les collections. Pour notre collection Voix narratives (romans, nouvelles), l'intérêt et la portée de l'histoire viennent sans doute en premier, suivis de près par la qualité de l'écriture. Travaillant dans un contexte minoritaire, nous sommes toutefois plus portés à accepter des œuvres imparfaites que nous le serions dans un autre contexte, ce qui signifie, bien sûr, d'investir davantage dans un travail d'édition.<br /><br />Pour notre collection Indociles, c'est beaucoup plus le propos, le style ou le ton qui nous intéressent, de même que la nature du commentaire porté sur la société. Nous souhaitons aussi avec cette collection nous permettre d'accueillir de nouveaux auteurs. Enfin, nous sommes concernés par l'accueil que pourrait recevoir l'œuvre chez un lectorat plus jeune.</p> <p style="text-align: justify;"><span class='wysiwyg_imageupload image imgupl_floating_none_left 0'><a href="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/Unjour_Martin%281%29.jpg" rel="lightbox[wysiwyg_imageupload_inline]" title=""><img src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/Unjour_Martin%281%29.jpg" alt="87" title="" width="580" height="896" class="imagecache wysiwyg_imageupload 0 imagecache imagecache-wysiwyg_imageupload_lightbox_preset" style=""/></a> <span class='image_meta'></span></span><br /><br /><span style="color:#696969;"><strong>BF –</strong></span> Je trouve particulièrement intéressant qu’une des orientations de la collection sur la poésie porte sur le haïku, forme très codifiée. Pourriez-vous nous parlez de l’intérêt que les Éditions David ont manifesté envers cette forme poétique peu commune et qui n’est pas d’ici?<br /><br /><span style="color:#696969;"><strong>MH –</strong></span> La collection «Voix intérieures – Haïku» est née aux Éditions David sous l'impulsion de quelques auteurs (Francine Chicoine, André Duhaime, Jeanne Painchaud...) intéressés par cette forme poétique et désireux de la diffuser plus largement au Québec et au Canada. La réalisation de plusieurs recueils collectifs (comme <em>Dire le Nord</em>, <em>Dire la faune</em>, <em>Dire la flore</em>), puis l'institution d'un camp littéraire annuel axé sur le haïku à Baie-Comeau ont alors contribué à développer un vaste réseau de haïkistes qui nourrissent aujourd'hui le catalogue de la collection. Avec tout près de 60 titres publiés, celle-ci représente aujourd'hui une collection unique, au Canada et même au sein de la francophonie. Elle ne cesse par ailleurs de s'enrichir de nouveaux auteurs, mais aussi de nouvelles formes, comme le renku (dialogue entre deux haïkistes) et le haïbun (combinaison de prose et de haïku).</p> <p style="text-align: justify;"><span class='wysiwyg_imageupload image imgupl_floating_none_left 0'><a href="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/Agripper_Collectif_RVB.jpg" rel="lightbox[wysiwyg_imageupload_inline]" title=""><img src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/Agripper_Collectif_RVB.jpg" alt="88" title="" width="580" height="943" class="imagecache wysiwyg_imageupload 0 imagecache imagecache-wysiwyg_imageupload_lightbox_preset" style=""/></a> <span class='image_meta'></span></span><br /><br /><span style="color:#696969;"><strong>BF –</strong></span> Comment peut-on assurer sa diffusion et sa survie quand on est un « petit » joueur dans le monde de l’édition, où quelques groupes d’éditeurs, notamment québécois, obtiennent pratiquement toute la visibilité, tant en librairie que dans les médias? Quel rôle joue le numérique dans votre stratégie de commerce?<br /><br /><span style="color:#696969;"><strong>MH –</strong></span> La diffusion reste évidemment un enjeu de taille. Nous trouvant, par notre taille et notre situation géographique, dans la périphérie de l'industrie du livre, nous&nbsp; devons travailler deux fois plus fort pour réussir à intéresser les médias, les libraires et les autres intervenants de la chaîne du livre. Nous n'y réussissons pas autant que nous l'aimerions, mais nous gagnons quand même notre place et nous réalisons, de temps en temps, quelques bons coups.<br /><br />Le numérique apparaît, dans ce contexte, comme une occasion à saisir. Bien qu'il obéisse lui aussi à des intérêts commerciaux dominants (qu'on pense à Amazon ou à Archambault), il est encore en friche et permet, de ce fait, de se démarquer un peu plus. C'est pourquoi, d'ailleurs, plusieurs maisons d'édition francophones hors Québec (dont la nôtre) sont déjà bien positionnées sur ce marché.</p> <p style="text-align: justify;"><span class='wysiwyg_imageupload image imgupl_floating_none_left 0'><a href="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/Yeuxexil_Resch_RVB%281%29.jpg" rel="lightbox[wysiwyg_imageupload_inline]" title=""><img src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/Yeuxexil_Resch_RVB%281%29.jpg" alt="86" title="" width="510" height="840" class="imagecache wysiwyg_imageupload 0 imagecache imagecache-wysiwyg_imageupload_lightbox_preset" style=""/></a> <span class='image_meta'></span></span><br /><br /><span style="color:#696969;"><strong>BF –</strong></span> En tant que maison d’édition francophone située hors du Québec, pensez-vous que la réalité montréalaise éclipse celle du reste de la francophonie canadienne, tant dans le circuit littéraire que dans les œuvres qui sont publiées actuellement?<br /><br /><span style="color:#696969;"><strong>MH –</strong></span> Il est en effet très difficile d'être inclus ou considéré dans le milieu littéraire québécois quand on est situé à l'extérieur de Montréal (et de Québec). Cette réalité, qui vaut sans doute pour les éditeurs québécois établis «en région», est encore plus sensible pour les éditeurs franco-canadiens qui souffrent en outre d'être perçus - et classés par de nombreux acteurs du livre - comme des&nbsp; éditeurs «étrangers».<br /><br />Pratiquement, cela se traduit par une très grande difficulté à obtenir l'attention des médias, à être invité dans des événements littéraires ou des salons du livre et à obtenir une présence en librairie. Trois conditions presque incontournables pour réussir à intéresser un public lecteur.</p> <p style="text-align: justify;"><span class='wysiwyg_imageupload image imgupl_floating_none_left 0'><a href="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/191/CB-III_Poirier_RVB_2.jpg" rel="lightbox[wysiwyg_imageupload_inline]" title=""><img src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/191/CB-III_Poirier_RVB_2.jpg" alt="95" title="" width="580" height="896" class="imagecache wysiwyg_imageupload 0 imagecache imagecache-wysiwyg_imageupload_lightbox_preset" style=""/></a> <span class='image_meta'></span></span></p> <p style="text-align: justify;">&nbsp;</p> <p style="text-align: justify;"><span style="color: rgb(105, 105, 105); "><strong>BF –</strong></span> On a le sentiment que le milieu littéraire francophone hors Québec est exigu, et encore plus réduit quand on se concentre sur ceux qui s’éloignent de pratiques littéraires à vocation commerciale et optent pour une vision plus rigoureuse, plus audacieuse de l’écriture. Quelle importance a la communauté, celle des auteurs, des autres éditeurs, des libraires, pour vous?</p> <p style="text-align: justify;"><span style="color:#696969;"><strong>MH –</strong></span> Le milieu du livre est avant tout un écosystème où tous les acteurs sont liés et interdépendants. L'éditeur n'existe qu'à travers des auteurs, mais aussi, pour la diffusion de ses livres, à travers des libraires, des critiques littéraires, des professeurs de littérature, des bibliothécaires, des événements littéraires, des plateformes médiatiques, etc.&nbsp; Or, c'est un fait que cet écosystème est (beaucoup) moins complet dans la francophonie canadienne qu'il ne l'est au Québec et, particulièrement, dans les principales métropoles québécoises.<br /><br />Beaucoup d'énergie est donc mise, dans nos milieux, pour réunir ou aller chercher tous les intervenants en présence et s'efforcer de créer un effet dynamique autour des livres, des auteurs et de la littérature. L'effervescence qu'on peut ressentir dans certains salons du livre, comme ceux de Sudbury, de Hearst, de Toronto (en Ontario), de Shippagan ou de Dieppe (au Nouveau-Brunswick), témoigne de cette cohésion. &nbsp;</p> <p style="text-align: justify;"><span class='wysiwyg_imageupload image imgupl_floating_none_left 0'><a href="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/ITHURIEL_LAFRAMBOISE_CMYK%281%29.JPG" rel="lightbox[wysiwyg_imageupload_inline]" title=""><img src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/ITHURIEL_LAFRAMBOISE_CMYK%281%29.JPG" alt="90" title="" width="580" height="980" class="imagecache wysiwyg_imageupload 0 imagecache imagecache-wysiwyg_imageupload_lightbox_preset" style=""/></a> <span class='image_meta'></span></span></p> <p style="text-align: justify;"><br /><span style="color:#696969;"><strong>BF –</strong></span> Quels sont vos coup de cœur et coup de gueule du moment, par rapport à la situation littéraire ou aux derniers événements littéraires dans la francophonie canadienne?</p> <p style="text-align: justify;"><span style="color:#696969;"><strong>MH –</strong></span> Le développement de l'édition - et de l'écosystème littéraire - est dans la francophonie canadienne une œuvre de longue haleine. On ne pense donc pas tellement en termes de coups de cœur ou de coups de gueule, mais plutôt en termes de consolidation et de durée.<br /><br />À cet égard, on peut se féliciter de voir comment certaines de nos maisons d'édition ont réussi au fil des ans à se tailler une place dans le milieu du livre. On peut également se réjouir de voir notre bassin d'auteurs s'élargir et se renouveler, en nous apportant des textes d'une diversité et d'une qualité littéraire de plus en plus grandes. Enfin, on peut s'enthousiasmer devant la réaction du public lecteur devant certaines de nos publications.<br /><br />En revanche, il faut malheureusement assumer que ce soit toujours aussi difficile de convaincre les principaux décideurs de la chaîne du livre - à tous les niveaux - de notre bien-fondé. Mais ça, c'est le lot, il faut croire, de nos structures petites et périphériques...</p> <p style="text-align: justify;"><em>Téléchargez en pièce jointe le communiqué de la rentrée littéraire de l'automne 2012 des Éditions David.</em></p> Canada Collectif Écrits théoriques Essai(s) Poésie Récit(s) Roman Tue, 23 Oct 2012 21:07:17 +0000 Brigitte Fontille 606 at http://salondouble.contemporain.info Entretien avec Ta mère http://salondouble.contemporain.info/antichambre/entretien-avec-ta-m-re <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/tremblay-gaudette-gabriel">Tremblay-Gaudette, Gabriel</a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-filefield field-field-image"> <div class="field-label">Image:&nbsp;</div> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <div class="filefield-file"><img class="filefield-icon field-icon-image-png" alt="icône image/png" src="http://salondouble.contemporain.info/sites/all/modules/contrib/filefield/icons/image-x-generic.png" /><a href="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/ta mère.png" type="image/png; length=99998">ta mère.png</a></div> </div> </div> </div> <!--break--><!--break--> <p style="text-align: justify;">Afin d'aborder la rentrée littéraire automnale, Salon Double a mené une série d'entretiens avec plusieurs éditeurs afin de découvrir leur historique, leurs politiques éditoriales et leurs vues plus larges sur la littérature contemporaine. Nous inaugurons cette série par un entretien avec la maison d'édition Ta Mère. Maude Nepveu-Villeneuve a accepté de répondre à nos questions.</p> <p style="text-align: justify;"><strong>Ta Mère est encore jeune, mais elle a beaucoup d'enfants. Née en 2005, la maison d'édition lancera cette année son dix-septième titre (dix-neuvième, si l'on compte les deux numéros de sa collection spéciale Ta Mère Comic). Depuis le début, Ta Mère a à coeur la diffusion d'une littérature audacieuse et originale et le développement d'une relation solide avec le lecteur. La qualité esthétique de l'objet-livre est aussi au centre de ses préoccupations, et une de ses couvertures a notamment été primée lors du concours LUX 2011. Ses livres lui ont valu des nominations, des mentions ou des prix divers dans le monde de l'édition indépendante ainsi qu'une inscription dans la liste préliminaire du Prix des libraires du Québec 2011. Ce festival de tapes dans le dos institutionnelles lui permet d'élargir toujours davantage son lectorat et son réseau de diffusion, de même que sa crédibilité auprès des recherchistes de Radio-Canada.</strong><br /><br /><span style="color:#808080;"><strong>Salon Double </strong></span><span style="color:#808080;"><strong>—</strong></span> Qu’est-ce qui a motivé votre décision de fonder une nouvelle maison d’édition? Est-ce que vous sentez que votre maison d’édition a permis de combler un manque dans la scène littéraire contemporaine?<br /><br /><span style="color:#808080;"><strong>Ta Mère </strong></span><span style="color:#808080;"><strong>—</strong></span><span style="color:#808080;"> </span>Ta Mère est née en 2005, alors que les trois fondateurs (Maxime Raymond, Rachel Sansregret et Guillaume Cloutier, qui est aujourd’hui parti faire de la musique qui sonne bizarre) étaient encore au cégep. À l’origine, c’était pratiquement de la microédition: la première année, nous avons tout fait nous-mêmes. Dès le départ, nous avions l’idée d’être un peu irrévérencieux et ludiques, tout en offrant un contenu sérieux et de qualité. Faire de beaux objets, grâce au travail de Benoit Tardif, qui est devenu directeur artistique depuis, faisait aussi partie de nos objectifs de départ. On pense qu’il y avait et qu’il y a encore de la place dans le paysage éditorial québécois pour un peu plus d’audace.</p> <p><span class='wysiwyg_imageupload image imgupl_floating_none_left 0'><a href="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/c1-pdr-lores.jpg" rel="lightbox[wysiwyg_imageupload_inline]" title="Partir de Rien, des éditions Ta mère"><img src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/c1-pdr-lores.jpg" alt="65" title="Partir de Rien, des éditions Ta mère" width="500" height="875" class="imagecache wysiwyg_imageupload 0 imagecache imagecache-wysiwyg_imageupload_lightbox_preset" style=""/></a> <span class='image_meta'><span class='image_title'>Partir de Rien, des éditions Ta mère</span></span></span></p> <p style="text-align: justify;"><span style="color:#808080;"><strong>Salon Double </strong></span><span style="color:#808080;"><strong>—</strong></span> Quelle politique éditoriale vous êtes-vous donnée, quelle ligne directrice ou vision de la littérature vous oriente? Est-ce que votre politique éditoriale a changé depuis le début de vos activités?</p> <p style="text-align: justify;"><span style="color:#808080;"><strong>Ta Mère </strong></span><span style="color:#808080;"><strong>—</strong></span><span style="color:#808080;">&nbsp; </span>Au commencement, Ta Mère voulait toucher à tout. On voyait la maison d’édition comme un lieu d’exploration et d’apprentissage, sans limites. Maintenant, nous privilégions plutôt les récits longs, peu importe leur genre, à condition qu’ils aient quelque chose d’unique à proposer. Nous aimons bien les nouvelles, aussi, mais il faut que le recueil soit cohérent, ou même conceptuel. Et pour l’instant, nous ne publions plus de poésie. Par contre, ce qui reste depuis le début, c’est un intérêt marqué pour le design. C’est pourquoi nous publions d’autres types de projets, comme notre série de comics.</p> <p style="text-align: justify;"><span class='wysiwyg_imageupload image imgupl_floating_none_left 0'><a href="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/c1-m%C3%A9nagerie-fb.jpg" rel="lightbox[wysiwyg_imageupload_inline]" title="Ménageries de Ta mère"><img src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/c1-m%C3%A9nagerie-fb.jpg" alt="66" title="Ménageries de Ta mère" width="580" height="757" class="imagecache wysiwyg_imageupload 0 imagecache imagecache-wysiwyg_imageupload_lightbox_preset" style=""/></a> <span class='image_meta'><span class='image_title'>Ménageries de Ta mère</span></span></span><br /><br /><span style="color:#808080;"><strong>Salon Double</strong></span><span style="color:#808080;"><strong> —</strong></span> Qu’est-ce qui vous intéresse dans une écriture ou un projet, vous amène à choisir un texte en particulier parmi les&nbsp; manuscrits que vous recevez?<br /><br /><span style="color:#808080;"><strong>Ta Mère </strong></span><span style="color:#808080;"><strong>— </strong></span>Chaque projet est différent, et chaque manuscrit a sa propre façon de nous accrocher. Le point commun, c’est probablement une vision personnelle et singulière du monde et une forme littéraire inventive. Ça prend aussi une certaine dose d’insouciance et d’effronterie, même si le texte lui-même peut être assez sérieux. En gros, nous publions les livres qui nous plaisent assez pour qu’on passe un an à travailler relativement bénévolement dessus.<br /><br /><span class='wysiwyg_imageupload image imgupl_floating_none_left 0'><a href="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/c1-michel-lores.jpg" rel="lightbox[wysiwyg_imageupload_inline]" title="Michel Tremblay de Ta Mère"><img src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/c1-michel-lores.jpg" alt="67" title="Michel Tremblay de Ta Mère" width="500" height="878" class="imagecache wysiwyg_imageupload 0 imagecache imagecache-wysiwyg_imageupload_lightbox_preset" style=""/></a> <span class='image_meta'><span class='image_title'>Michel Tremblay de Ta Mère</span></span></span><br /><span style="color:#808080;"><strong>Salon Double</strong></span><span style="color:#808080;"><strong> —</strong></span> Comment peut-on assurer sa diffusion et sa survie quand on est un «petit» joueur dans le monde de l’édition québécois, où quelques groupes d’éditeurs obtiennent pratiquement toute la visibilité, tant en librairie que dans les médias? Quel rôle joue le numérique dans votre stratégie de commerce?<br /><br /><span style="color:#808080;"><strong>Ta Mère </strong></span><span style="color:#808080;"><strong>—</strong></span><span style="color:#808080;">&nbsp; </span>Le réseau de lecteurs se construit petit à petit, événement par événement, livre par livre, librairie par librairie. Ta Mère a toujours voulu développer une identité forte en tant qu’éditeur, pour créer un lien de confiance avec les lecteurs. C’est comme ça qu’ils en viennent à attendre « le prochain Ta Mère » et qu’ils prennent le risque d’acheter un livre dont ils ne savent pas grand-chose. Twitter, Facebook et les relations avec des blogueurs nous aident beaucoup à créer cette identité, mais le travail visuel de Benoit y est aussi pour beaucoup. Et évidemment, des subventions et un diffuseur, ça aide à sortir du cercle initial de lecteurs, à atteindre de plus gros médias et un public plus large. Nous commençons tout juste à transformer notre catalogue pour les liseuses numériques, ce qui pourrait aussi nous permettre de joindre d’autres lecteurs: on verra bien!<br /><br /><span style="color:#808080;"><strong>Salon Double </strong></span><span style="color:#808080;"><strong>— </strong></span>On a le sentiment que le milieu littéraire québécois est très petit, et encore plus réduit quand on se concentre sur ceux qui s’éloignent de pratiques littéraires à vocation commerciale et optent pour une vision plus rigoureuse, plus audacieuse de l’écriture. Quelle importance a la communauté, celle des auteurs, des autres éditeurs, des libraires, pour vous?<br /><br /><span style="color:#808080;"><strong>Ta Mère </strong></span><span style="color:#808080;"><strong>—</strong></span><span style="color:#808080;"> </span>Tout le monde, dans le milieu, sait que l’édition est un travail difficile et un marché dur à percer. Avec les autres éditeurs qu’on connaît (et on finit tous par se connaître à force de fréquenter les mêmes événements), il y a une sorte d’entraide: on se donne des tuyaux (le nom d’un imprimeur, par exemple) et on s’intéresse à ce que font les autres. Quelques éditeurs indépendants ont aussi créé Dynamo-Machines, dont on fait partie. C’est un organe de diffusion de l’édition indépendante, pour maximiser la diffusion des catalogues et faciliter l’accès des petits éditeurs à des salons qui coûtent cher (dynamomachines.com). On ne sent pas vraiment de compétition directe dans la communauté: le but est de faire rayonner les livres le plus possible, pas de devenir riche.<br /><br /><span style="color:#808080;"><strong>Salon Double </strong></span><span style="color:#808080;"><strong>—</strong></span> Quels sont vos coup de cœur et coup de gueule du moment, par rapport à la situation littéraire ou aux derniers événements littéraires au Québec?<br /><br /><span style="color:#808080;"><strong>Ta Mère </strong></span><span style="color:#808080;"><strong>—</strong></span><span style="color:#808080;"> </span>…quels événements littéraires? Sérieusement, on aime beaucoup tout ce qui se passe en BD en ce moment, ça bouillonne de ce côté-là, avec des gens comme Pow Pow, Colosse, la Mauvaise tête… Et du côté du Quartanier, aussi, il se fait des choses vraiment intéressantes. Ce qu’on n’aime pas: les couvertures de livre fades, qui ne prennent pas de risque; les maisons d’édition qui marchent au cash; tout ce qui ne se réinvente pas.</p> <p style="text-align: justify;"><span class='wysiwyg_imageupload image imgupl_floating_none_left 0'><a href="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/c1-glissade-lowres_0.jpg" rel="lightbox[wysiwyg_imageupload_inline]" title="Les cicatrisés de Saint-Sauvignac (histoires de glissades d&#039;eau) de Ta Mère"><img src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/c1-glissade-lowres_0.jpg" alt="68" title="Les cicatrisés de Saint-Sauvignac (histoires de glissades d&#039;eau) de Ta Mère" width="500" height="875" class="imagecache wysiwyg_imageupload 0 imagecache imagecache-wysiwyg_imageupload_lightbox_preset" style=""/></a> <span class='image_meta'><span class='image_title'>Les cicatrisés de Saint-Sauvignac (histoires de glissades d'eau) de Ta Mère</span></span></span><br /><br /><span style="color:#808080;"><strong>Salon Double </strong></span><span style="color:#808080;"><strong>—</strong></span>&nbsp; Vous multipliez les livres collectifs (<em>Le livre noir de Ta mère</em>, <em>Maison de vieux</em>, <em>Les cicatrisés de Saint-Sauvignac</em>). Qu’est-ce qui vous séduit dans ce type de projet?<br /><br /><span style="color:#808080;"><strong>Ta Mère </strong></span><span style="color:#808080;"><strong>— </strong></span>C’est surtout l’intérêt de travailler avec plusieurs auteurs qu’on aime, et aussi la possibilité d’aborder une thématique sous plusieurs angles différents. On aime voir comment les visions personnelles des auteurs peuvent se juxtaposer et se contredire dans un même livre. Et on aime pouvoir publier quelqu’un qui n’a pas encore écrit de roman ou de recueil à lui tout seul, mais qui peut apporter quelque chose de bon à un collectif.</p> <p style="text-align: justify;"><span class='wysiwyg_imageupload image imgupl_floating_none_left 0'><a href="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/c1-maisondevieux-cover-lores.jpg" rel="lightbox[wysiwyg_imageupload_inline]" title="Maison de vieux de Ta Mère"><img src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/c1-maisondevieux-cover-lores.jpg" alt="70" title="Maison de vieux de Ta Mère" width="500" height="872" class="imagecache wysiwyg_imageupload 0 imagecache imagecache-wysiwyg_imageupload_lightbox_preset" style=""/></a> <span class='image_meta'><span class='image_title'>Maison de vieux de Ta Mère</span></span></span><br /><br /><span style="color:#808080;"><strong>Salon Double </strong></span><span style="color:#808080;"><strong>—</strong></span> Beaucoup de vos livres se concentrent sur une problématique inhabituelle ou pouvant avoir l’air «triviale». Trouvez-vous qu’on a une vision trop sérieuse de la littérature? Qu’est-ce qui vous pousse vers ce genre de concept très éloigné de l’idée de la «Grande littérature»?<br /><br /><span style="color:#808080;"><strong>Ta Mère </strong></span><span style="color:#808080;"><strong>—</strong></span><span style="color:#808080;"> </span>Pour nous, il y a la littérature tout court, la bonne et la mauvaise, mais pas la «grande» et la «petite», la «vraie» et la «fausse». Nous ne sommes pas les premiers à aborder des thématiques triviales: des auteurs qu’on considère comme des «grands» l’ont fait bien avant nous (<em>Madame Bovary </em>et <em>Orgueil et préjugés</em>, c’est quoi, sinon des histoires de triangles amoureux?). Le sujet importe peu, tout est dans la façon d’en parler.<br /><br /><strong>Les prochains titres à paraître de Ta Mère sont:</strong></p> <div><strong><i>Danser a capella</i>, un recueil de monologues dynamiques par Simon Boulerice (à paraître le 25 septembre, lancement le 2 octobre prochain à partir de 19h00, à la Librairie Raffin, 6330 St-Hubert, Montréal);</strong></div> <div><strong><i>Toutes mes solitudes!</i>, un roman de plage pour intellectuels par Marie-Christine Lemieux-Couture (à paraître mi-novembre).</strong></div> <div>&nbsp;</div> <div>Pour en savoir plus: <span><span><a href="http://www.tamere.org/a-paraitre/" target="_blank">http://www.tamere.org/a-<wbr>paraitre/</wbr></a><br /><br /><em>Salon Double remercie Maude Nepveu-Villeneuve d'avoir accepté de répondre à notre questionnaire au nom des Éditions de Ta Mère, et Benoît Tardif, directeur artistique de la maison d'édition, de nous avoir fourni les couvertures des livres afin d'illustrer l'entretien. </em></span></span><br />&nbsp;</div> Canada Québec Poésie Récit(s) Nouvelles Roman Tue, 25 Sep 2012 16:19:46 +0000 Gabriel Gaudette 588 at http://salondouble.contemporain.info Les mélancomiques http://salondouble.contemporain.info/antichambre/les-m-lancomiques <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/joubert-lucie">Joubert, Lucie</a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-text field-field-soustitre"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> ou pourquoi les femmes en littérature ne font pas souvent rire </div> </div> </div> <div class="field field-type-filefield field-field-podcast"> <div class="field-label">Podcast:&nbsp;</div> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <embed height="15" src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/luciejoubertmars2012 - copie.mp3" autostart="false"></embed> </div> </div> </div> <div class="field field-type-filefield field-field-image"> <div class="field-label">Image:&nbsp;</div> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <div class="filefield-file"><img class="filefield-icon field-icon-image-jpeg" alt="icône image/jpeg" src="http://salondouble.contemporain.info/sites/all/modules/contrib/filefield/icons/image-x-generic.png" /><a href="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/lucie_joubert_web_3.jpg" type="image/jpeg; length=136302">lucie_joubert_web.jpg</a></div> </div> </div> </div> <p style="text-align: justify; ">On a beaucoup glosé sur la quasi-absence des femmes humoristes sur les scènes québécoises et françaises. Si la situation évolue depuis quelques années, la question reste toujours d’actualité quand on se tourne vers le texte littéraire. Où sont les auteures comiques? La difficulté à nommer ne serait-ce que quelques noms ou titres de roman comme exemples atteste une apparente et trompeuse rareté du rire féminin. Certes, les auteures qui font œuvre d’humour et d’esprit existent mais elles demeurent (elles et leurs textes) méconnues. Une des raisons qui expliquent ce malentendu se trouve du côté de la <em>nature</em> de l’humour qu’elles mettent de l’avant. En effet, l’esprit féminin puise partiellement, mais souvent, sa source dans une mélancolie née d’une expérience des déterminismes de la condition des femmes: la difficulté à se définir en tant que sujet social, la constatation d’une impuissance à changer le cours des choses, la conscience d’exprimer un point de vue qui ne touchera que la partie congrue d’un public tourné vers les «vraies affaires»</p> <p style="text-align: justify; ">Dans une telle optique, les femmes, en fines observatrices des travers de la société, font preuve d’un humour qui suscite un rire de connivence quelquefois un peu triste, loin des grands éclats en tout cas, mais qui revendique, dans sa lucidité même, la possibilité de changer la défaite en victoire par l’esprit, fût-il marqué par la mélancolie. Cette conférence se veut donc une invitation à relire ou découvrir des auteures comme, entre autres, Benoîte Groult, Christiane Rochefort, Amélie Nothomb, Monique Proulx, Hélène Monette, Marie-Renée Lavoie et Suzanne Myre.</p> <div id="myEventWatcherDiv" style="display:none;">&nbsp;</div> <div id="myEventWatcherDiv" style="display:none;">&nbsp;</div> http://salondouble.contemporain.info/antichambre/les-m-lancomiques#comments Absurde Adultère Aliénation ALLARD, Caroline Altérité Arts de la scène Arts de la scène Autodénigrement Autodérision BADOURI, Rachid BALZANO, Flora BARBERY, Muriel Belgique BEN YOUSSEF, Nabila BESSARD-BLANQUY, Olivier BISMUTH, Nadine BLAIS, Marie-Claire BOOTH, Wayne BOSCO, Monique BOUCHER, Denise Canada CARON, Julie CARON, Sophie Chick litt. / Littérature aigre-douce Condition féminine Conditionnements sociaux Culture populaire CYR, Maryvonne Désillusion Déterminismes Deuil DEVOS, Raymond Dialectisme hommes/femmes DION, Lise DIOUF, Boucar Discrimination Divertissement Études culturelles FARGE, Arlette Féminisme Féminité Femme-objet FEY, Tina France FRÉCHETTE, Carole Freud GAUTHIER, Cathy Genres sexuels GERMAIN, Raphaëlle GIRARD, Marie-Claude GROULT, Benoîte GROULT, Flora Histoire Humour Humour Humour littéraire Identité Improvisation Improvisation Industrie de l'humour Institution Ironie JACOB, Suzanne LAMARRE, Chantal LAMBOTTE, Marie-Claude LARUE, Monique LAVOIE, Marie-Renée LEBLANC, Louise Les Folles Alliées Les Moquettes Coquettes Littérature migrante Marchandisation Maternité Mélancolie MÉNARD, Isabelle MERCIER, Claudine MEUNIER, Claude et Louis SAÏA MONETTE, Hélène MPAMBARA, Michel MYRE, Suzanne NOTHOMB, Amélie OUELLETTE, Émilie Parodie Pastiche PEDNEAULT, Hélène Platon Pouvoir et domination PROULX, Monique Psychanalyse Psychologie Québec Représentation du corps Rire ROBIN, Régine ROCHEFORT, Christiane ROY, Gabrielle Satire Scatologie SCHIESARI, Juliana Séduction SMITH, Caroline Société de consommation Société du spectacle Sociologie Stand up comique Stand up comique STEINER, George Stéréotypes STORA-SANDOR, Judith Télévision Théâtre Théorie du discours Théories de la lecture TOURIGNY, Sylvie Tristesse VAILLANT, Alain VIGNEAULT, Guillaume Viol Violence Roman Théâtre Fri, 09 Mar 2012 14:12:02 +0000 Lucie Joubert 471 at http://salondouble.contemporain.info Une littérature qui ne se possède pas http://salondouble.contemporain.info/antichambre/une-litt-rature-qui-ne-se-poss-de-pas <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/paquet-amelie">Paquet, Amélie </a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-text field-field-soustitre"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> Réflexions sur le blogue littéraire </div> </div> </div> <!--break--><!--break--> <p><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Hackers create the possibility of new things entering the world. Not always great things, or even good things, but new things.<br />McKenzie Wark,<em> A Hacker Manifesto</em></span><br /><br />Le 8 mai dernier, j’étais présente à une consultation du Conseil des arts et des lettres du Québec à la Grande bibliothèque de Montréal qui avait lieu en parallèle avec le Forum sur la création littéraire. Cette consultation était une première étape en vue de formuler des propositions qui seront remises à la ministre de la Culture, des Communications et de la Condition féminine, Christine St-Pierre, afin d’aider le milieu littéraire à s’ajuster aux nouvelles technologies. Des gens différents étaient conviés à cette rencontre : des éditeurs, des universitaires, des écrivains, des poètes performeurs et hypermédiatiques, des directeurs de revues culturelles, etc. J’étais invitée à cet événement pour faire entendre le point de vue des blogueurs littéraires. L’invitation était étonnante au premier abord, puisqu’elle suppose que le blogue littéraire serait désormais reconnu par les institutions culturelles, ce qui n’est pas encore tout à fait vrai même s’il y a une certaine avancée de côté. L’invitation me gênait aussi; si je l’acceptais, cela voulait dire que je me sentais d’une certaine manière capable de représenter les blogueurs, ce qui n’est pas le cas. Si ma pratique du blogue, qui a commencé en 2002 sur la plateforme Livejournal<a name="renvoi1"></a><strong><a href="#note1"><strong>[1]</strong></a></strong>, est restée en marge du milieu, je peux toutefois dire que je suis une grande lectrice de blogues. À mes yeux, cette position de lectrice me conférait donc une pertinence. Les blogueurs ne me connaissent pas nécessairement, mais moi, je les connais bien. J’aime même plusieurs blogueurs que je lis depuis de nombreuses années sans que ceux-ci n’en savent rien.<br /><br />Bien des idées concernant l’avenir de la littérature au Québec ont été échangées lors de cette consultation, mais malheureusement, il a été assez peu question des blogues. Les propositions des intervenants à cette rencontre visaient surtout à soutenir l’industrie du livre ainsi qu’à soutenir les écrivains, les vrais écrivains —ceux qui sont publiés sur papier ou ceux dont les performances sont reconnues par le milieu littéraire. Ne faisant pas partie de l’industrie, ne jouissant pas de la reconnaissance documentée des livres papier, le blogue n’était pas concerné par toutes les propositions. Je suis rentrée chez moi en me disant avec regret que j’avais manqué une occasion en or de défendre mes idées au sujet des blogues. Je peux néanmoins essayer de me reprendre ici, sur le site de <em>Salon double</em>, en faisant ce qui me convient le mieux, c’est-à-dire en publiant un texte sur Internet. J’aimerais proposer, dans ce cadre, une réflexion sur les blogues littéraires qui m’apparaît essentielle en ce moment parce qu’ils sont de plus en plus amenés à être reconnu par les institutions culturelles. Je désire donner corps à plusieurs observations que j’ai en tête depuis longtemps à propos des blogues littéraires. Ces observations, même si je les avais prononcées lors de la consultation, je crois qu’elles n’auraient pas pu être entendues, parce qu’elles remettent en question plusieurs prémisses sur lesquelles le Conseil des arts et des lettres du Québec est fondé. J’énonce maintenant ces réflexions en tant que blogueuse, bien sûr, mais surtout en tant que lectrice de blogues littéraires.<br /><br /><strong><span style="color: rgb(128, 128, 128);">La littérature hors de ses gonds</span></strong></p> <p><br />L’écrivaine américaine Kathy Acker a écrit un article en 1995 portant sur les liens entre la littérature et Internet : «Writing, Identity and Copyright in the Net Age »<a name="renvoi2"></a><strong><a href="#note2"><strong>[2]</strong></a></strong>. Le texte d’Acker était très en avance sur son temps. D’abord parce qu’en 1995, le réseau Internet venait à peine d’être commercialisé et qu’il était fréquenté surtout par les universitaires, les informaticiens et les <em>geeks</em>. Près du milieu universitaire, Acker, qui est morte en 1997, était à la fine pointe de la technologie. Sa réflexion concernant les possibilités offertes par les nouvelles technologies pour la création littéraire était très avant-gardiste. Encore aujourd’hui, l’essai d’Acker m’apparaît comme un des plus pertinents pour réfléchir à Internet. En évoquant sa lecture d’Hannah Arendt, Acker écrit ces trois mots très importants : «Writing masters nothing»<a name="renvoi3"></a><strong><a href="#note3"><strong>[3]</strong></a></strong>. Il faut entendre cette phrase dans tous ses sens possibles. Pour Acker, si la littérature ne peut pas nous protéger de la souffrance inhérente au vivre ensemble, elle permet toutefois de donner sens à nos vies qui seraient sinon incohérentes. Même si l’écrivain joue un rôle important pour donner une cohérence à nos expériences du monde par le biais des récits qu’il produit, il ne contrôle pas le mouvement sémantique qu’il provoque. Dans une certaine mesure, son écriture le dépasse lui-même. Il n’est pas entièrement maître de ses écrits, puisqu’il ne connaît pas consciemment tout ce qui est l’origine de son texte et qu’il ne contrôle pas tous les effets qu’il produira. Acker va plus loin : «If we look at the literary industry today, writing is in trouble»<a name="renvoi4"></a><strong><a href="#note4"><strong>[4]</strong></a></strong>. La littérature est en danger parce que l’industrie la contraint à se maîtriser. Remettant en question la notion d’identité telle qu’elle est communément conçue, elle postule que l’écrivain n’est peut-être pas le seul auteur de son œuvre. Cette idée remet en question celle du copyright. Pour Acker, l’écrivain ne possède pas son texte. Fondée sur la reprise et sur le détournement, toute son œuvre littéraire est construite pour défendre cette idée, qu’on pense par exemple à <em>Great Expectations</em> (1983) qui reprend à sa manière le roman de Charles Dickens ou à <em>Don Quixote : Which Was a Dream</em> (1986), qui met en scène une nouvelle Don Quichotte, héroïne féminine, inspirée de Cervantès.<br /><br /><strong><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Le nouveau territoire</span></strong></p> <p><br />Internet offre plusieurs nouvelles possibilités pour la littérature. La plus importante de celles-ci est que la littérature pourrait, grâce à Internet, tenter de s’échapper de l’industrie du livre et ainsi du copyright : «As it now stands, the literary industry depends upon copyright. But not literature.»<a name="renvoi5"></a><strong><a href="#note5"><strong>[5]</strong></a></strong> Acker adopte ici une posture qui s’apparente à celle des pirates informatiques. L’hacktivisme politique<a name="renvoi6"></a><strong><a href="#note6"><strong>[6]</strong></a></strong> existe depuis les premiers réseaux informatiques. Les hackers, qui ne sont pas des crackers<a name="renvoi7"></a><strong><a href="#note7"><strong>[7]</strong></a></strong>, se servent du piratage informatique de manière engagée afin de lutter contre ceux qui veulent contrôler les réseaux. Les hackers militent donc activement pour la libre circulation des idées et des contenus afin de mettre en échec toutes formes de propriétés privées. Ils piratent des œuvres, non pas dans le but de nuire aux artistes, mais parce qu’ils pensent que la libre circulation des produits culturels est plus importante que tout. Par exemple, un réseau de pirates cinéphiles travaille dans l’ombre à la préservation et à la distribution de milliers de films importants dans l’histoire du cinéma<a name="renvoi8"></a><strong><a href="#note8"><strong>[8]</strong></a></strong>. Les films qui ne sont pas toujours rentables pour l’industrie ne sont souvent pas bien conservés, ni distribués. On sait que l’industrie du DVD a décidé de constituer des zones commerciales. Ces zones commerciales font que certains films importants du cinéma français ne sont pas distribués en Amérique du Nord parce qu’il ne serait pas payant de le faire sur un territoire principalement anglophone. La circulation des films repose entièrement sur une logique capitaliste et non sur une logique qui viserait à faire la promotion de la culture artistique.<br /><br /><strong><span style="color: rgb(128, 128, 128);">La liberté du blogue</span></strong></p> <p><br />Au moment où Acker rédigeait son texte, le copyright était plus rare sur Internet et l’esprit de la culture libre qui a entrainé la fondation de <em>Wikipédia</em>, par exemple, commençait tout juste à se répandre. Même si aujourd’hui Internet a un peu changé, le blogue littéraire est une forme encore libre des marchés économiques et a tout intérêt, à mon avis, à préserver cette liberté, à ne pas entrer dans les rangs du capitalisme. Il y a si peu de choses qui échappent encore aux lois économiques. Si le blogue parvient à le faire, c’est déjà une nouvelle importante pour l’avenir de la littérature, pour une littérature qui ne se possède pas. Dans cet esprit, Internet est encore un territoire neuf à explorer pour les écrivains, un territoire où la liberté peut encore être conquise et, surtout, où elle pourrait peut-être être préservée. Acker ne propose pas de formes particulières que la littérature sur Internet pourrait prendre. Elle souligne seulement qu’il est cohérent pour les écrivains de chercher à s’imposer sur le territoire inédit de la toile. De toute évidence, le blogue peut être une forme qui permette de renouer avec l’idée de la phrase «writing masters nothing». Selon moi, le blogue n’a pas besoin d’être publié sur papier pour acquérir une valeur littéraire. La transposition sur papier du blogue peut même être moins intéressante que la version en ligne. La version papier peut être utile pour conserver les textes, pour les consulter et pour les relire. Je ne nie pas du tout le plaisir et l’utilité du livre papier. Je crois toutefois que le blogue littéraire doit, en plus de préserver à tout prix sa liberté, rester ce qu’il est, c’est-à-dire un genre fragmentaire, imparfait, précaire. Cette fragilité assumée lui confère paradoxalement une grande force dans le monde d’aujourd’hui. Il occupe une place que les autres formes littéraires, le roman, la poésie, le théâtre, l’essai, ne peuvent pas, ou ne peuvent plus prendre. Se présenter dans le monde comme vulnérable est en soi un grand acte de courage. De ce point de vue, le blogue littéraire est un genre courageux. Il a les tempes assez solides pour se montrer aux autres sans être appuyé par l’industrie du livre.<br /><br /><strong><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Des textes de trop</span></strong></p> <p><br />Quand j’ai commencé l’écriture de mon blogue, je ne pensais pas à ma démarche. Je ne pensais pas faire un travail d’écriture. Je cherchais seulement une manière d’entrer en contact avec des gens. Le blogue était pour moi comme une bouteille que je lançais à la mer. J’imaginais qu’un internaute inconnu passerait un jour lire mes textes. Ce qui est fascinant, c’est que je n’allais jamais savoir qui m’avait lue, ni à quelle occasion, mais je pouvais me dire que cela arriverait peut-être; ce petit espoir, si mince, me permettait déjà de me sentir un peu moins seule dans le monde. Dans ses premiers balbutiements à la fin des années 1990 et aux débuts des années 2000, le blogue d’avant la lettre prenait la forme de journaux intimes anonymes ou signés sous pseudonymes. Les auteurs n’étaient pas nécessairement des jeunes écrivains; souvent, même, il s’agissait de gens qui n’avaient autrement pas la chance d’écrire et qui partageaient des moments importants de leur vie avec des inconnus à l’intérieur des petites communautés comme celle de Livejournal. Dans ce blogue anonyme, il y avait une sorte de clandestinité qui était propice aux confidences, aux échanges. Sans réfléchir ni théoriser leurs démarches, les blogueurs de l’époque croyaient que le partage de l’expérience était possible entre les êtres humains, même avec des inconnus sur Internet. En laissant un texte disponible sur le Web, ils confiaient à Internet une missive sans destinataire prédéterminé. Puisque ces blogueurs n’étaient pas des aspirants écrivains, on peut se demander si ces blogues étaient des blogues littéraires. Cela dépend évidemment de notre point de vue sur ce qui définit la littérarité, mais selon le mien, oui, il s’agissait bel et bien de littérature. La littérature peut nous raconter des histoires, éveiller notre curiosité, nous dégouter de notre vie, nous inspirer, aiguiser notre regard vers les autres, nous aider à prendre conscience de nous-mêmes et de notre place dans le monde, susciter en nous des émotions, stimuler notre imagination… Je pense aussi et surtout que la littérature sert à maintenir le contact entre les individus d’une communauté et que ce contact peut être maintenu grâce aux libres partages des expériences. L’écrit, par la forme qu’il adopte, permet un partage de certaines réalités au cœur de nos expériences qui ne seraient pas racontables à l’oral. Il y a aussi dans ces petites histoires individuelles laissées partout sur le Web quelque chose de superflu. Évidemment, on ne pourra pas toutes les lire, il y a en trop. La littérature, c’est aussi ça : être de trop, être superflu, être inutile dans un monde administré tourné vers la rentabilité. Le blogue me parait à cet égard être bel et bien tributaire d’une logique propre à l’activité littéraire et un refuge de choix pour la littérature de demain.<br /><br /><strong><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Rater notre chance</span></strong></p> <p><br />Je ne suis pas une personne nostalgique. J’ai trop à vivre et à découvrir encore pour regretter le passé. Je dois toutefois avouer que parfois en observant Internet se développer j’ai l’impression que nous sommes passés à côté. Aujourd’hui, nous avons de nouveaux professionnels, des spécialistes des réseaux sociaux qui nous expliquent le jeu à jouer pour devenir une célébrité sur le Web ou pour faire de l’argent. Peu à peu, l’esprit de la culture libre, l’esprit des hackers, semble disparaître progressivement d’Internet. À chaque fois que la culture libre fait un pas en arrière, je me dis que nous avons raté notre chance. Internet aurait pu sauver le monde, mais il ne le sauvera pas. Les blogues littéraires ne pourront rien pour le sort du monde. Je crois qu’ils ont néanmoins tout intérêt à préserver l’esprit de la culture libre. La bonne littérature ne se possède pas, elle est donc entièrement liée à la pensée de la culture libre. Quand j’étais jeune et encore un peu naïve, je connaissais un homme qui avait publié un roman. Il m’avait donné un exemplaire. Ça me gênait un peu parce que je l’avais lu et ne l’aimais pas du tout. Lorsqu’il m’a demandé ce que j’avais pensé de son livre, j’avais répondu que je l’avais prêté à ma mère qui l’avait beaucoup aimé et qui l’avait prêté à une de ses collègues de travail qui l’avait aussi beaucoup apprécié. Ma manœuvre était malhonnête, mais ça m’évitait de mentir. Ma mère avait réellement aimé son livre. Il m’a répondu sur un ton très sérieux : «Pourquoi tu lui as prêté? Elle aurait pu l’acheter». Il n’avait pas l’air heureux de savoir que quelqu’un avait lu et aimé son livre. Peut-être qu’il se doutait que je n’aimais pas son livre et qu’il voulait se venger en étant bête avec moi. Mais je ne crois pas, j’avais été assez habile pour détourner le sujet. Je crois qu’il devait seulement penser qu’en tant que jeune femme réservée je n’osais pas lui dire que j’aimais son livre. «Elle aurait pu l’acheter». Ce jour-là, j’ai compris que les écrivains n’étaient pas tous comme je le pensais. Et du coup, je me suis sentie encore plus seule. J’avais envie de lui hurler à la tête qu’il était déjà chanceux que ma mère ait été touchée pour son livre, que ça valait tellement plus que le 1$ de droit d’auteur qu’il aurait pu encaisser si je n’avais pas prêté mon exemplaire. Il s’en foutait bien que quelqu’un soit touché par son histoire, il ne voulait qu’accumuler ses ridicules droits d’auteur à coup de 1$. Un dollar, ce n’est pas grand chose, mais c’est déjà une valeur d’échange, quelque chose de mesurable sur lequel tout le monde s’entend. Lorsque cette histoire est arrivée, je venais tout juste d’ouvrir mon blogue. Si j’avais pu trouver un formulaire attestant que je renonçais à tout jamais à d'éventuels droits d’auteur, je l’aurais signé.</p> <p>&nbsp;</p> <hr /> <p><strong><a name="note1"></a><a href="#renvoi1">[1]</a></strong>Livejournal est un réseau social fondé en 1999 par Brad Fitzpatrick. Les membres sont liés entre eux par un profil et un blogue. Créé en 2004, Facebook, réseau très populaire aujourd’hui, est basé sur le même principe, mais le profil est placé complètement à l’avant scène en laissant de côté le blogue.&nbsp;</p> <p><strong><a name="note2"></a><a href="#renvoi2">[2]</a></strong>&nbsp;L’article est publié dans le recueil d’essais &nbsp;Bodies of Work, New York, Serpent's Tail, 1996. Il est aussi disponible en ligne sur le site de JSTOR et offert en téléchargement gratuit pour les étudiants par le biais de leurs universités : <a href="http://www.jstor.org/pss/1315246.. " title="http://www.jstor.org/pss/1315246.. ">http://www.jstor.org/pss/1315246.. </a></p> <p><strong><a name="note3"></a><a href="#renvoi3">[3]</a></strong>Kathy Acker, « Writing, Identity, and Copyright in the Net Age », <em>The Journal of the Midwest Modern Language Association</em>, volume 28, numéro 1, printemps 1995, p.94.</p> <p><strong><a name="note4"></a><a href="#renvoi4">[4] </a></strong><em>Ibid</em>., p. 94.</p> <p><strong><a name="note5"></a><a href="#renvoi5">[5]</a></strong>&nbsp;<em>Ibid</em>., p. 96.</p> <p><strong><a name="note6"></a><a href="#renvoi6">[6]</a></strong> Au sujet de l’hacktivisme politique et de son histoire, je recommande les lectures suivantes : McKenzie Wank, <em>A Hacker Manifesto</em>, Cambridge, Harvard, 2004; Otto von Busch &amp; Karl Palmas, <em>Abstract hacktivism : the making of a hacker culture</em>, London et Istanbul, 2006; Éric Dagiral, « Pirates, hackers, hacktivistes: déplacements et dilution de la frontière électronique », <em>Critique</em>, Editions de Minuit, Juin-Juillet 2008, pp. 480-495; Razmag Reucheyan, « Philosophie politique du pirate », <em>Critique</em>, Editions de Minuit, Juin-Juillet 2008, pp. 458-469; Tim Jordan, <em>Activism! Direct action, hacktivism and the future of society</em>, London, Foci, 2002; Tim Jordan and Paul A. Taylor, <em>Hacktivism and Cyberwars. Rebels with a cause?</em>, London, Routledge, 2004; metac0m, « What is Hacktivism? », décembre 2003, en ligne: <a href="http://www.thehacktivist.com/?pagename=hacktivism" title="http://www.thehacktivist.com/?pagename=hacktivism">http://www.thehacktivist.com/?pagename=hacktivism</a> (consulté le 27 mai 2010).</p> <p><strong><a name="note7"></a><a href="#renvoi7">[7]</a></strong> Le cracker se sert du piratage dans le simple but de détruire des sites Web.</p> <p><strong><a name="note8"></a><a href="#renvoi8">[8]</a></strong> Bien sûr, plusieurs bibliothèques et cinémathèques s’attaquent déjà à cette tâche, mais les pirates le font dans un autre esprit.</p> <p>&nbsp;</p> http://salondouble.contemporain.info/antichambre/une-litt-rature-qui-ne-se-poss-de-pas#comments ACKER, Kathy Blogue littéraire BUSCH, Otto von Canada Culture de l'écran Culture Geek Culture libre Cyberespace DAGIRAL, Éric Droit d'auteur Flux Hacktivisme politique JORDAN, Tim Journaux et carnets PALMAS, Karl Pirate Résistance culturelle REUCHEYAN, Razmag TAYLOR, Paul A. WARK, McKenzie Mon, 20 Jun 2011 18:25:51 +0000 Amélie Paquet 354 at http://salondouble.contemporain.info