Salon double - Cynisme http://salondouble.contemporain.info/taxonomy/term/678/0 fr Pour une écriture sous ecstasy : Beigbeder coke en stock http://salondouble.contemporain.info/article/pour-une-criture-sous-ecstasy-beigbeder-coke-en-stock <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-label">Auteur(s):&nbsp;</div> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/larange-daniel-s">Larangé, Daniel S.</a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-biblio"> <div class="field-label">Référence bibliographique:&nbsp;</div> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/biblio/vacances-dans-le-coma">Vacances dans le coma</a> </div> <div class="field-item even"> <a href="/biblio/99-francs">99 francs</a> </div> <div class="field-item odd"> <a href="/biblio/nouvelles-sous-ecstasy">Nouvelles sous ecstasy</a> </div> <div class="field-item even"> <a href="/biblio/legoiste-romantique">L&#039;égoïste romantique</a> </div> <div class="field-item odd"> <a href="/biblio/un-roman-francais">Un roman français</a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-dossier-referent"> <div class="field-label">Dossier Reférent:&nbsp;</div> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/dossier/critures-sous-influence-pr-sence-des-drogues-en-litt-rature-contemporaine">Écritures sous influence: présence des drogues en littérature contemporaine</a> </div> </div> </div> <!--break--><!--break--> <p>La consommation endémique de toute espèce d’excitant, si fréquente dans les sociétés postindustrielles, dénonce le besoin d’artificialité dans un monde où toute réalité plonge inexorablement dans l’absurde et le grotesque. La cohérence de l’univers se déconstruit avec la fin des Grands récits (Lyotard, 1979) et ouvre ainsi l’ère du «bonheur paradoxal» en régime d’hyperconsommation (Lipovetsky, 2006). Les romans de Frédéric Beigbeder, qui se revendique haut et fort être un écrivain de la postmodernité, sont disponibles dans les magasins de grandes surfaces. Aussi n’hésite-t-il pas à qualifier son écriture comme celle d’un «&nbsp;néo-néo-hussard de gauche, d[’un] sous-Blondin aux petits pieds pour cocaïnomanes germanopratins, truffé[e] d’aphorismes lourdingues dont même San-Antonio n’aurait pas voulu dans ses mauvais trimestres&nbsp;». (Beigbeder, 1994&nbsp;: 10) On l’a compris: l’artiste postmoderne, jouisseur du totalitarisme des loisirs, se parodie lui-même; il est ce «bouffon» qui se prend au sérieux à force de mêler un égocentrisme exaspéré à de pseudo-révolutionnaires stupéfiants.</p> <p><br />Ainsi Octave, publicitaire à succès, se complaît-il dans l’autodénigrement en s’adressant à son propre reflet:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p>Tu es tellement coké que tu sniffes ta vodka par la paille. Tu sens le collapse arriver. Tu vois ta déchéance dans le miroir: savais-tu qu’étymologiquement «narcissique» et «narcotique» viennent du même mot? (Beigbeder, [2000] 2007: 119)</p> </blockquote> <p><br />L’engourdissement et le sommeil permettent en effet de rêver d’une meilleure vie. La drogue apparaît alors comme la solution artificielle à tous les problèmes existentiels car elle crée une accoutumance à une «ère de l’éphémère» (Lipovetsky, 1987) où fidélité et constance sont devenues des mots dénués de sens.</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p>Je me frotte les gencives, elles me démangent sans cesse. En vieillissant, j’ai de moins en moins de lèvres. J’en suis à quatre grammes de cocaïne par jour. Je commence au réveil, la première ligne précède mon café matinal. Quel dommage de n’avoir que deux narines, sinon je m’en enfilerais davantage: la coke est un «briseur de souci», disait Freud. Elle anesthésie les problèmes. (Beigbeder, [2000] 2007: 53)</p> </blockquote> <p><br />Le thème de la drogue forme un leitmotiv sous la plume de Beigbeder. Dans son univers romanesque, c’est un phénomène de société. Sa consommation relève justement d’une manière d’être postmoderne, dans la mesure où elle procure l’assurance nécessaire pour sortir du nombrilisme et améliorer les rapports aux autres en effaçant toute inhibition. Elle devient alors un mode d’existence permettant sortir de soi-même, de s’oublier, de se libérer de soi. Car l’homme est devenu un monstre pour lui-même.</p> <p>À cet égard, <em>Vacances dans le coma</em> (1994) met en scène l’esseulement tragique de l’homme contemporain, malade de son bien-être et malheureux de son bonheur. Marc Maronnier, son personnage fétiche, sorte de projection fantasmagorique de l’écrivain, souffre justement de cette incapacité d’empathie dans un univers obnubilé par le tout-multi-média:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p>Chroniqueur-nocturne, concepteur-rédacteur, journaliste-littéraire: Marc n’exerce que des métiers aux noms composés. Il ne peut rien faire entièrement. Il refuse de choisir une vie plutôt qu’une autre. De nos jours, selon lui, «tout le monde est fou, on n’a plus le choix qu’entre la schizophrénie et la paranoïa: soit on est plusieurs à la fois, soit on est seul contre tous». Or, comme tous les caméléons (Fregoli, Zelig, Thierry Le Luron), s’il y a une chose qu’il déteste, c’est bien la solitude. Voilà pourquoi il y a plusieurs Marcs Marroniers. (Beigbeder, 1994: 17)</p> </blockquote> <p><br />L’univers postmoderne se caractérise en général par l’impossibilité de définir la moindre identité dans un système qui ne cesse de vous immatriculer, classer et ordonner. L’homme se retrouve morcelé en une infinité d’éclats. S’il ne cherche plus qu’à «s’éclater», c’est que justement il y voit un mode d’existence et l’opportunité de se valoriser. Autrement, il ne reste plus qu’à se recomposer en <em>hommes-valises</em>. Le paradoxe est ainsi mondialisé et la vie n’est plus concevable que comme une interminable mascarade où chacun (se) joue de tous:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p>Dans une société hédoniste aussi superficielle que la nôtre, les citoyens du monde entier ne s’intéressent qu’à une chose: la fête. (Le sexe et le fric étant, implicitement, inclus là-dedans: le fric permet la fête qui permet le sexe.) (Beigbeder, 1994&nbsp;: 18)</p> </blockquote> <p>Le constat reste flagrant: les relations manquent de profondeur, de stabilité et de sincérité pour déboucher sur la copulation où même le plaisir égotiste reste en deçà d’un désir toujours inassouvi. Les personnages dissimulent difficilement un romantisme rabroué derrière leur <em>je-m’en-foutisme</em> de rigueur, comme c’est le cas de <em>L’égoïste romantique</em> (2005). Seuls l’alcool et la drogue permettent donc de jouir librement de nos émotions, puisque la société ne juge plus que sur les apparences forcément trompeuses. C’est pourquoi «Paris est un faux décor de cinéma. [Marc Maronnier] voudrait que toute cette ville soit volontairement factice au lieu de se prétendre réelle». La consommation d’excitants capables d’amplifier les sens, «donne sens» à l’existence: «Euphoria. Tu en gobes une comme ça et tu deviens ce que tu <em>es</em>. Chaque gélule contient l’équivalent de dix pilules d’ecstasy.» (Beigbeder, 1994: 33) Aussi l’hyperbole est la figure grotesque d’une vie magnifiée une fois vidée de son essence: sans elle, il n’y aurait plus de signification. Il n’y a plus de proportion dans une société comprise entre Alberto Giacometti et Fernando Botero, entre la modèle anorexique et l’homme d’affaire ventru.</p> <p>Phénomène social, la consommation en masse de stupéfiants rassure – par marque déposée – un Occident en pleine mutation sociale, économique et culturelle, dans lequel la satisfaction immédiate (et commerciale) doit garantir la fidélisation par <em>manque et procuration</em>. Autrement dit, la drogue devient une métaphore globalisée du système néolibéral qui entretient la masse dans une insatisfaction et une frustration permanentes. Le divertissement généralisé n’est plus seulement un droit garanti par l’État mais un devoir d’état de droit.</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p>Rien n’a changé depuis Pascal: l’homme continue de fuir son angoisse dans le divertissement. Simplement le divertissement est devenu si omniprésent qu’il a remplacé Dieu. (Beigbeder, [2000] 2007: 152)</p> </blockquote> <p>Au faîte de la civilisation, entretenue dans l’attente d’une joyeuse apocalypse, la situation postmoderne est celle d’une fête constante où la jouissance morbide découle de la marchandisation élevée à l’universalité.</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p>Marc a su que la fête serait réussie en voyant le monde qu’il y avait aux toilettes des filles, en train de se remaquiller ou de sniffer de la coke (ce qui revient sensiblement au même, la cocaïne n’étant que du maquillage pour le cerveau). (Beigbeder, 1994: 53)</p> </blockquote> <p>Le discours tenu par Octave est tout aussi déplorable et témoigne de la diffusion de la drogue à une échelle beaucoup plus grande qu’on ne le croit car toute notre société repose sur un mensonge hallucinatoire dont le publicitaire fait l’éloge (de Cortanze, 2012):</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p>Vous êtes les produits d’une époque. Non. Trop facile d’incriminer l’époque. Vous êtes des produits tout courts. La mondialisation ne s’intéressant plus aux hommes, il vous fallait devenir des produits pour que la société s’intéresse à vous. Le capitalisme transforme les gens en yaourts périssables, drogués au Spectacle, c’est-à-dire dressés pour écraser leur prochain. (Beigbeder, [2000] 2007: 256)</p> </blockquote> <p>Le désenchantement est profond. Plus aucun espoir n’est alors permis dans le réel. D’où le recours immodéré à l’altération de la réalité. Le discours de Beigbeder reflète donc bien un état d’esprit de la (haute) société en période de crise: plus cela va mal plus «l’argent dégouline de partout». (Beigbeder, 1994: 41) L’absence de temps incite l’humanité à en finir par un suicide collectif afin de fuir paradoxalement l’inéluctabilité d’une mort programmée.</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p>Le monde ne veut plus changer […]. Nous menons tous des vies absurdes, grotesques et dérisoires, mais comme nous les menons tous en même temps, nous finissons par les trouver normales. Il faut aller à l’école au lieu de faire du sport, puis à la fac au lieu de faire le tour du monde, puis chercher un boulot au lieu d’en trouver un… Puisque tout le monde fait pareil, les apparences sont sauves. (Beigbeder, 1994: 78)</p> </blockquote> <p>En effet, «il faut tout pour défaire un monde». (Beigbeder, 1994: 78) <em>Vacances dans le coma </em>durent le temps d’une fête donnée dans le night-club le plus prisé de Paris, «Les Chiottes», et se termine par l’actionnement de la chasse d’eau:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p>C’est donc ça, la solution festive: une apocalypse turbide, une dernière transe, une saine noyade. Marc signe son testament de fêtard. Il nage dans le carnage. Du blob dans les bleeps. Du Slime sur Smiley. Amer acid. Le bal est démasqué. (Beigbeder, 1994: 117)</p> </blockquote> <p>Finalement la drogue est tout un système idéologique qui aveugle le citoyen-consommateur lui promettant d’autant plus de liberté qu’il l’asservit (Cohen, 2009). Notre propre copyright s’avère être vérolé. Notre propre ADN ne nous appartient plus car d’anonymes compagnies en ont fait l’acquisition à notre insu pour nous (dé)doubler (Kahn et Papillon, 1998). Octave, toxicomane invétéré, s’est rendu compte que la société fonctionne entièrement sur et par le trafic de stupéfiants. La normalité est dorénavant anormale. Il s’agit bien de sortir des normes par une pratique régulière de l’℮-norme – <em>des règlements numériques</em> où tout bascule dans le nombre transcendant, réel et complexe, formant la constante de Neper, autrement dit symbole de l’emballement et de la précipitation des puissances de la science et des techniques – afin de rester dans le jeu social et le réseau, comme les autres. Ce n’est plus la religion qui est l’opium du peuple mais bien l’opium qui est devenu la religion du peuple. Tel est le message du spot publicitaire conçu par Octave et dans lequel le Christ distribue les doses de crack en guise de nourriture spirituelle à ses apôtres lors de la Cène, alors qu’une voix off (se) signe par un «LA COCAÏNE: L'ESSAYER, C'EST LA RÉESSAYER». (Beigbeder, [2000] 2007: 175) En effet, tout devient itératif, faute de devenir interactif, et les jours, les scènes, les rencontres, les paroles et promesses se répètent de plus en plus souvent, à l’infini, en boucle dans un bogue final.<br /><br />Une pareille production littéraire, à la frontière de la schizophrénie et de la paranoïa, ne peut être exempte de pathologie. Dans un dernier soubresaut de bouffonnerie, l’auteur reconnaît avoir écrit des textes sous l’influence de l’ecstasy, dans l’avertissement au recueil <em>Nouvelles sous ecstasy</em>, indiquant précisément que la MDMA (méthylène-dioxymétamphétamine), responsable des effets psycho-actifs combinant certains effets des stimulants et ceux des hallucinogènes, et distribuée sous forme de petits bonbons bien innocents, est le pur produit synthétique de notre société: dans un premier temps une certaine euphorie, une sensation de bien-être, une satisfaction et un plaisir de communion et d’empathie avec son entourage, puis une sensation d’angoisse, une incapacité totale à communiquer, une «descente» qui s’apparente à une forme de dépression plus ou moins intense, entraînant des nausées, des sueurs, des maux de tête et aboutissant à une pulsion de mort concrétisée par le suicide, de préférence en public, une fois sur le Web.</p> <p>L’effet se retrouve dans l’écriture même. Langage et pensée se désarticulent:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p>Il réfléchit comme quand on donne des coups de poing sur une machine à écrire. Cela donne à peu près ceci&nbsp;: «uhtr&nbsp;!B&nbsp;&nbsp; &nbsp;! jgjikotggbàf&nbsp;! ngègpenkv(&nbsp;&nbsp; &nbsp;ntuj,kguk […]». Ses pensées ressemblent bel et bien à une œuvre de Pierre Guyotat. (Beigbeder, 1994: 132)</p> </blockquote> <p>Autrement le narrateur, sous les effets de la drogue, ne cesse de se poser et reposer des questions qui l’emportent dans une paranoïa totale:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p>T’as gobé? T’as gobé? Tagobétagobétagobé? Qui êtes-vous? Pourquoi on se parle à deux centimètres du visage? Est-il exact que vous avez lu mon dernier livre? Pouvez-vous me garantir que je ne rêve pas? Qu’il n’y a plus de fuite possible? Qu’on ne pourra jamais s’évader de soi-même? Que les voyages ne mènent nulle part? Qu’il faut être en vacances toute la vie ou pas du tout? (Beigbeder, 1999: 15)</p> </blockquote> <p>Peu à peu, la langue même devient pour l’écrivain la drogue nécessaire pour se convaincre de son génie. Suite à son interpellation pour consommation de cocaïne sur la voie publique à la sortie d’une boite de nuit, Frédéric Beigbeder est placé en garde à vue au commissariat. Il lutte contre sa claustrophobie en se remémorant son enfance, ce qui le conduit à rédiger <em>Un roman français</em> (2009) qui obtient le prix Renaudot. La fuite est la seule illusion qui demeure. Fuir par l’écriture. Fuir par la lecture. Passer du réel au virtuel car «on peut combattre la réalité de bien d’autres manières qu’en sombrant chaque nuit dans le coma…» (Beigbeder, 1999: 22) Les stupéfiants participent ainsi à la déshumanisation de l’homme (Dyens, 2008) ne faisant plus de lui <em>un roseau pensant</em> mais «un robot qui pense, voilà la vérité». (Beigbeder, 1994: 134)</p> <p>L’écriture sous ecstasy conduit certes à des moments d’extase qui couvrent le travail lancinant de l’angoisse liée à notre mortalité de plus en plus présente: «Attendre que le siècle s’achève. Il meurt de mort lente» (Beigbeder, 1999: 27).</p> <p>La consommation de stupéfiants permet ainsi d’expérimenter l’universel dans le minimalisme. Tel est le sens de la référence à la nouvelle «alchimique» faite à Philippe Delerm – son «négatif» littéraire – dans «La première gorgée d’ecstasy». L’ivresse, première des promesses de l’or, finit par laisser place à la désillusion:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p>L’ecstasy fait payer très cher ses quelques minutes de joie chimique. Il donne accès à un monde meilleur, une société où tout le monde se tiendrait par la main, où l’on ne serait plus seul&nbsp;; il fait rêver d’une ère nouvelle, débarrassée de la logique aristotélicienne, de la géométrie euclidienne, de la méthode cartésienne et de l’économie Friedmanienne. Il vous laisse entrevoir tout ça, et puis, tout d’un coup, sans prévenir, il vous claque la porte au nez. (Beigbeder, 1999: 40)</p> </blockquote> <p>«S’il est un terme qui sème, en particulier en France, un effroi dans les esprits, c’est bien celui de postmodernité» (Maffesoli, 2008: 165). L’œuvre de Beigbeder, à la fois sarcastique et dépressive, est fondamentalement eschatologique: elle annonce dès le commencement la fin. Il n’y a donc plus de raison de s’étonner car les bonnes surprises ne font plus partie de ce monde. Toute la réflexion qu’il poursuit au fil de ses textes veut justement témoigner de la <em>peur collective</em> en Occident à l’heure des grands changements. Il ne parvient pas alors à trouver d’autre issue à l’irrémédiable qu’en se débauchant entre Bacchus et Dionysos avant de se réfugier, exténué, dans les bras trompeurs de Morphée.</p> <hr /> <p><strong>Bibliographie</strong></p> <p>Beigbeder, Frédéric, <em>Vacances dans le coma</em>, Paris, Librairie générale française, coll. «Livre de poche; 4070», 2002 [1994].<br />Beigbeder, Frédéric, <em>99 francs (14,99 €)</em>, Paris, Gallimard, coll. «Folio&nbsp;; 4062», 2007 [2000].<br />Beigbeder, Frédéric, <em>Nouvelles sous ecstasy</em>, Paris, Gallimard, 1999.<br />Beigbeder, Frédéric, <em>L’égoïste romantique</em>, Paris, Grasset, 2005.<br />Beigbeder, Frédéric, <em>Un roman français</em>. Paris, Grasset, 2009.<br />Cohen, Daniel, <em>La Prospérité du vice: une introduction (inquiète) à l’économie</em>, Paris, Albin Michel, 2009.<br />Cortanze, Gérard de, <em>Éloge du mensonge</em>, Monaco, Le Rocher, 2012.<br />Dyens, Ollivier, <em>La Condition inhumaine: essai sur l’effroi technologique</em>, Paris, Flammarion, 2008.<br />Kahn, Axel et Papillon, Francis, <em>Copies conformes: le clonage en question</em>, Paris, Nil, 1998.<br />Lipovetsky, Gilles, <em>Le bonheur paradoxal: essai sur la société d’hyperconsommation</em>, Paris, Gallimard, 2006.<br />Lipovetsky, Gilles, <em>L’Empire de l’éphémère&nbsp;: la mode et son destin dans les sociétés modernes</em>, Paris, Gallimard, 1987.<br />Lyotard, Jean-François, <em>La Condition postmoderne: rapport sur le savoir</em>, Minuit, 1979.<br />Maffesoli, Michel, <em>Iconologies: nos idol@tries postmodernes</em>, Paris, Albin Michel, 2008.<br />&nbsp;</p> Autofiction BEIGBEDER, Frédéric COHEN, Daniel Contre-culture CORTANZE, Gérard de Culture française Cynisme DYENS, Ollivier France Idéologie Imaginaire médiatique Individualisme KAHN, Axel LIPOVETSKY, Gilles LYOTARD, Jean-François Marchandisation PAPILLON, Francis Postmodernité Présentisme Société de consommation Société du spectacle Sociocritique Transgression Nouvelles Roman Sun, 04 Nov 2012 22:01:56 +0000 Daniel S. Larangé 613 at http://salondouble.contemporain.info Should I Stay or Should I Go? Être indécis en compagnie de Mister Wonderful http://salondouble.contemporain.info/article/should-i-stay-or-should-i-go-tre-ind-cis-en-compagnie-de-mister-wonderful <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-label">Auteur(s):&nbsp;</div> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/berthiaume-jean-michel">Berthiaume, Jean-Michel </a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-biblio"> <div class="field-label">Référence bibliographique:&nbsp;</div> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/biblio/mister-wonderful">Mister Wonderful</a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-dossier-referent"> <div class="field-label">Dossier Reférent:&nbsp;</div> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/dossier/daniel-clowes">Daniel Clowes</a> </div> </div> </div> <p>En toute franchise, je dois confesser éprouver beaucoup de sympathie envers Marshall, le protagoniste principal de <em>Mister Wonderful</em>. Non pas pour des raisons d’identification ni de catharsis mais plutôt car je crois ressentir, comme Marshall, d’énormes problèmes face aux gens qui arrivent en retard aux rendez-vous.</p> <p><span class='wysiwyg_imageupload image imgupl_floating_none_left 0'><a href="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/mister%20wonderful001.jpg" rel="lightbox[wysiwyg_imageupload_inline]" title="Daniel Clowes, Mister Wonderful, non paginé"><img src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/mister%20wonderful001.jpg" alt="44" title="Daniel Clowes, Mister Wonderful, non paginé" width="580" height="429" class="imagecache wysiwyg_imageupload 0 imagecache imagecache-wysiwyg_imageupload_lightbox_preset" style=""/></a> <span class='image_meta'><span class='image_title'>Daniel Clowes, Mister Wonderful, non paginé</span></span></span></p> <p>Même si j’ai peine à imaginer être le seul dans cette situation, permettez-moi de préciser mon affirmation. Je ressens cette filiation avec Marshall non pas parce que les retardataires me causent des préjudices mais plutôt parce qu’un retardataire possède un pouvoir effrayant sur ma personne&nbsp;: le pouvoir du doute, c’est-à-dire que chaque retardataire a le potentiel de me faire douter de tout avec chaque minute qui passe.</p> <p>Autrement dit, lorsque j’attends à un rendez-vous et que l’autre personne n’apparaît pas Je deviens une sorte de chat de Schrödinger&nbsp;: <em>Est-ce que j’ai mal compris l’heure? Le lieu? Peut-être qu’il est arrivé et après avoir attendu trop longtemps, il est parti à ma recherche? Suis-je assez visible? Peut-être que j’ai changé depuis? Mes cheveux? Mon rasage? Devrais-je partir à la recherche et risquer de manquer d’être absent lorsque l’autre arrivera? Ou devrais-je rester ici et attendre, tout en risquant de poiroter ici longtemps?</em></p> <p>Le retard me confronte toujours à moi-même et à, la manière de Dewey Cox, je dois revoir mon existence entière à chaque fois que quelqu’un tarde. Je pense aux minutes qui précèdent mon arrivée, puis à la journée qui vient de se dérouler et comment j’aurais pu arriver plus tôt, ensuite lorsque j’atteins la fin de ma réflexion précédente, je me tourne vers le futur en élaborant de longs récits potentiels de ce qui pourra découler de cette situation. Cette excursion forcée vers le monde des possibles s’alourdit et se précise au fil du temps. Les histoires se dédoublent, je crée des personnages et des situations que je dois douloureusement éliminer lorsque la personne désirée arrive. Je vois cette terreur dans <em>Mister Wonderful</em>&nbsp;: celle de l’inévitable réalisation d’être pris dans un Catch 22 qui se serre.</p> <p><span class='wysiwyg_imageupload image imgupl_floating_none_left 0'><a href="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/mister%20wonderful002.jpg" rel="lightbox[wysiwyg_imageupload_inline]" title="Daniel Clowes, Mister Wonderful, p. 8"><img src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/mister%20wonderful002.jpg" alt="45" title="Daniel Clowes, Mister Wonderful, p. 8" width="580" height="144" class="imagecache wysiwyg_imageupload 0 imagecache imagecache-wysiwyg_imageupload_lightbox_preset" style=""/></a> <span class='image_meta'><span class='image_title'>Daniel Clowes, Mister Wonderful, p. 8</span></span></span></p> <p>Le récit de <em>Mister Wonderful</em> de Daniel Clowes se résume facilement; Marshall se fait emballer dans une histoire de rendez-vous galant par son ami Tim mais, une fois arrivé au rendez-vous, Nathalie (la dame en question) n’y est pas. Forcé de se garder actif devant la longue attente qui s’amorce&nbsp; Marshall se perd dans un monologue intérieur. Il regarde son environnement et réfléchit&nbsp; Natalie arrive, mais contrairement à l’étiquette prescrite, Marshall n’arrête pas sa dérive mentale. S’en suit alors une histoire d’amour potentielle qui existe à mi-chemin entre ce rendez-vous merveilleux et le monde de réflexions personnelles qui habitent l’univers mental de Mister Wonderful.</p> <p>MAIS</p> <p>Une doute plane tout au long du récit&nbsp;: tout ceci arrive-t-il véritablement ou sommes-nous toujours dans le café, voguant au gré de l’imagination de Marshall? Ces chemins possibles façonnent l’œuvre de manière unique car ce qui existe indubitablement entre ces deux récits est le doute. Donc, afin de ne pas louper mon rendez-vous avec le texte, ce qui suivra forment deux analyses complémentaires de <em>Mister Wonderful</em>. En premier lieu, opérant avec la certitude que ce que nous lisons arrive véritablement, nous traiterons de l’imagerie utilisée pour aborder le sujet des pensées encombrantes durant le rendez-vous. De l’autre côté, nous observerons comment Clowes suggère discrètement la fabulation entière d’une histoire d’amour qui vient à remplir l’ennui de Marshall durant l’absence de Natalie.</p> <p><strong>Première analyse&nbsp;: tout ce que vous voyez est VRAI</strong></p> <p>Il m’apparait opportun de commencer avec cette perspective car elle nous permet de souligner les magnifiques accomplissements formels de la part de Daniel Clowes. L’usage de la case, la suggestion des échanges verbaux en plus des ruptures fréquentes des fils de pensée et de conversation offrent une place magistrale à une lecture interprétative de l’œuvre. Premièrement, l’usage de la case coupée et le flux de paroles interrompues nous offre une façon de lire la conversation de manière beaucoup plus active, non pas à la manière d’un spectateur mais plutôt comme si l’usage du dialogue de Clowes était si bien engonsé dans les habitudes sociales que nous nous y identifions immédiatement. On navigue entre des bribes de conversations, des échantillons de pollution sonore et des pistes de réflexion non abouties. Là où l’innovation de la case personnalisée est poussée à son paroxysme, Clowes nous présente des phylactères qui reflètent l’attention de Marshall envers son environnement. Car si ce que vous lisez est vrai, l’usage que Clowes fait des bulles est une amplification, voire une caricature, du vrai, car il imite parfaitement le mouvement d’attention d’une personne moyenne dans une société polluée par les stimuli et le bruit. À sa manière, Clowes nous présente le portrait d’un homme qui doit bloquer une partie de sa vie en société afin d’offrir un répit à son monologue intérieur.</p> <p><span class='wysiwyg_imageupload image imgupl_floating_none_left 0'><a href="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/mister%20wonderful004.jpg" rel="lightbox[wysiwyg_imageupload_inline]" title="Daniel Clowes, Mister Wonderful, p. 19"><img src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/mister%20wonderful004.jpg" alt="46" title="Daniel Clowes, Mister Wonderful, p. 19" width="580" height="222" class="imagecache wysiwyg_imageupload 0 imagecache imagecache-wysiwyg_imageupload_lightbox_preset" style=""/></a> <span class='image_meta'><span class='image_title'>Daniel Clowes, Mister Wonderful, p. 19</span></span></span></p> <p>Malheureusement pour le personnage, cette technique sert à renforcer le constat pessimiste que Marshall, malgré le fait qu’il se retrouve au centre d’une soirée pleine de péripéties, ne réussit jamais à suffisamment assourdir on monologue intérieur afin de pouvoir apprécier cette soirée. Il nous apparaît évident qu’à tout moment, Marshall fuit vers une perspective intime de ce qui se passe devant lui à la manière d’un homme qui regarderait le film de sa soirée. Clowes ne permet jamais à son personnage de vivre, il ne fait que commenter les évènements qui se déroulent devant ses yeux tout en gardant une distance objective, un froid interprétatif. Cette distance qui se forme entre Marshall et les évènements qui se déroulent devant lui se manifestent de manière à créer une distance identique entre le lecteur et le récit. Nous sommes continuellement renvoyés au rang de spectateur&nbsp; au lieu de véritablement sentir une filiation avec Marshall. Nous sommes pris dans la peau du personnage, regardant l’histoire se dérouler de derrière sa toile de subjectivité. De manière bien efficace, Clowes ajoute un niveau de lecture, quasi-métaréflective au récit. Tout au long de <em>Mister Wonderful</em> nous sommes sans contredit en processus de lecture du récit d’un homme qui lit sa propre existence. La force du commentaire dialogué réside dans cette distance crée entre nous et lui et lui et sa soirée. &nbsp;</p> <p>Nous ressentons le même type de rupture avec la superposition des cases de «&nbsp;souvenir&nbsp;» au-dessus des cases de «&nbsp; récit&nbsp;». Clowes, usant une technique qui vise à souligner les méthodes de construction d’une bande dessinée, effectue une autre distanciation forcée chez le lecteur. Il nous arrive à maintes reprises de bouger notre regard afin de pouvoir déceler ce qui se passe derrière la case supérieure mais en vain, car Clowes fait de la case souvenir un obstacle encombrant devant les yeux. La disposition des cases vient appuyer le point de l’histoire, nous calquons notre existence sur des expériences passées qui viennent toujours teinter nos comportements et notre interprétation des choses. Le souvenir rappelle souvent une leçon valable mais il vient aussi régir notre comportement. Le tout ne fait qu’amplifier la frustration du lecteur pris de manière métaphorique derrière un homme de sept pieds durant un concert de musique, si seulement Marshall pouvait cesser les distraction et enfin se dévouer à sa soirée, non seulement aboutirait-il avec une expérience de vie concluante, mais le lecteur&nbsp; aurait droit à une histoire non-tronquée qui accomplirait le contrat de lecture initial&nbsp;:&nbsp; «&nbsp;<em>A Love Story</em>&nbsp;».</p> <p>Mais en plus d’illustrer les divagations de l’esprit de Marshall, le travail graphique de Clowes nous offre aussi l’opportunité d’être témoin des rares moments d’attention soutenue de la part du personnage principal. Avec l’usage de la case géante (qui couvre une ou deux pages entières) nous sommes véritablement mis face-à-face avec les uniques éléments qui ont marqué Marshall au long de la soirée. Avec l’usage des cases géantes nous pouvons retracer de façon mnésique la soirée de Mister Wonderful.</p> <p>Tom&nbsp;: <em>Dis, Marshall, t’as passé une belle soirée hier?</em></p> <p>Marshall&nbsp;: <em>Oui, malgré le fait qu’elle soit arrivée en retard, quand je l’ai vu elle était parfaite. Après avoir parlé un peu d’elle, elle m’a dit qu’il fallait qu’elle parte tôt, c’est dommage mais elle voulait quand même en apprendre sur moi (ce qui prouve qu’elle ne m’a pas pris pour un «&nbsp;loser&nbsp;» complet). C’est drôle mais j’ai eu beaucoup de misère à parler de moi, c’est pas grave parce qu’elle est partie tout de suite après. Je suis allé prendre un marche tout seul et je l’ai recroisé. Je lui ai offert de la déposer en voiture à son événement mondain, ou j’ai rencontré quelques gens, on s’est parlé un peu et j’ai surpris son ex dans une chambre à coucher en train de chicaner sa blonde. J’imagine que ça s’est bien passé parce qu’elle m’a réécrit le lendemain. Je pense qu’on pourrait être heureux ensemble.</em></p> <p>À la manière de Simonide de Céos, les cases géantes de <em>Mister Wonderful</em> semblent devenir les piliers de l’histoire, les moments d’importance qui semblent arracher Marshall des distractions environnantes. Ils servent à démontrer ses véritables instants de présence d’esprit. Le gros plan devient un indice de focus, comme si tout ce qui est d’importance s’approchait violemment l’instant d’un moment précis, pour ensuite retourner au brouhaha environnant. Daniels Clowes présente donc, avec <em>Mister Wonderful</em> le portrait d’un rendez-vous galant, du point de vue d’un déficitaire d’attention. Ce qui est toujours mieux que du point de vue d’un mythomane.</p> <p><strong>Deuxième analyse&nbsp;: tout ce que vous voyez est FAUX.</strong></p> <p>Malgré le fait que cette interprétation positionne Marshall comme un fabulateur fini, il nous semble ironique que cette lecture nous offre le récit le plus optimiste des deux. Clowes semble prendre position pour l’idée que n’importe quelle aventure, fictive ou non, est meilleure que la léthargie de notre vie quotidienne et que, malgré le fait que l’histoire déroulée ne soit qu’une fabrication de l’espace mental de notre protagoniste, au moins il vit quelque chose. Cette interprétation vient contrebalancer le pessimisme évident de la première analyse. Car malgré le fait que les péripéties sont imaginées au moins dans celle-ci, Marshall est mentalement disponible pour vivre une expérience véritable, à l’inverse de son acte manqué dans le cas d’une analyse comme nous l’avons fait plus haut. &nbsp;</p> <p><span class='wysiwyg_imageupload image imgupl_floating_none_left 0'><a href="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/mister%20wonderful003.jpg" rel="lightbox[wysiwyg_imageupload_inline]" title="Daniel Clowes, Mister Wonderful, p. 9"><img src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/mister%20wonderful003.jpg" alt="47" title="Daniel Clowes, Mister Wonderful, p. 9" width="580" height="359" class="imagecache wysiwyg_imageupload 0 imagecache imagecache-wysiwyg_imageupload_lightbox_preset" style=""/></a> <span class='image_meta'><span class='image_title'>Daniel Clowes, Mister Wonderful, p. 9</span></span></span></p> <p>En dépit de cette interprétation du texte, il est important de souligner que nous ne possédons aucune indication appuyée par un changement au niveau graphique malgré que ce soit une technique souvent utilisée par Clowes que ce soit dans <em>David Boring (2000)</em>, <em>Ice Haven (2005)</em> ou même <em>Wilson</em> (2010). Très tôt dans l’histoire, Clowes nous démontre qu’il y a apparition d’un segment «&nbsp; souvenir&nbsp;» à la page 13 en effectuant une transition de couleur (la même technique sera utilisée pour illustrer les souvenirs de Nathalie concernant les problématiques liés à sa relation d’antan). Mais en aucun cas y-a-t-il un indice visuel quand nous somme propulsé dans les pensées du protagoniste. Toutefois rien n’empêche Clowes de venir saupoudrer des indices narratifs qui viendraient soutenir la théorie de la fabulation. La présence d’un mini-<em>Great Gazoo</em> <a name="renvoi1"></a><a href="#note1">[1]</a> en plus de l’illustration de l’esprit d’escalier vu en page 36-37 supporte l’idée que <em>Mister Wonderful</em> serait une hallucination de mondes possibles. Le récit met en scène plusieurs moments de rupture dans l’histoire, ruptures qui suggèrent la prise d’une voie particulière et le délaissement d’une autre voix possible à la manière de scénarios possibles. Vu de cette manière, <em>Mister Wonderful</em> nous rappelle la thèse de Kierkegaard&nbsp;concernant la reprise: «la vie ne peut-être comprise qu'en revenant en arrière mais doit être vécue en allant de l'avant» <a name="renvoi2"></a><a href="#note2">[2]</a>. N’est-ce pas le projet qu’annonce <em>Mister Wonderful</em> dans son titre&nbsp;: La possibilité de rencontrer un homme merveilleux qui possède le pouvoir de revoir chacun des évènements et des phrases du rendez-vous afin d’offrir le meilleur scénario possible?</p> <p>Pour continuer dans l’analyse existentialiste Kierkegaardienne, il est important de ne pas négliger le fait que Marshall nous fait aussi part des erreurs qu’il garde en souvenir, ces erreurs ne sont pas regrettées car elles alimentent le vécu du personnage, Marshall est absolument conscient du fait que les défaites autant que les réussites forgent le caractère. C’est pour cette raison que plusieurs des pistes erronées de la soirée semblent conservées dans le fantasme. Cette manière de voir les occurrences les plus négatives comme incitantes à d’expériences nouvelles nous révèle beaucoup concernant la nature aventureuse de notre «&nbsp;Mister Wonderful&nbsp;».</p> <p>Un autre indice de cette fabulation apparait dans la cyclicité des thématiques de conversation entre Marshall et Nathalie. Très tôt dans l’histoire, Marshall admet lire la rubrique <em>Sex Advice</em>&nbsp; du journal en premier, réfléchit au mariage comme une institution et est horripilé par les gens qui bavardent sur leur téléphone cellulaire. Ces détails sont insérés dans les vignettes durant l’attente de Nathalie, il est donc convenu que Clowes illustre ici un monologue intérieur. Néanmoins il semble donc particulièrement suspect comme coïncidence que Nathalie aborde, de la même manière, les trois sujets. En plus, Nathalie partage les mêmes opinions que Marshall sur ces sujets. En quelque sorte, la reprise de ces thématiques vient confirmer le fait que Marshall construit le dialogue entre lui et Nathalie, vérifiant les opinions et réponses de sa conjointe modèle. Rien n’est innocent dans la soirée qui se déroule entre les deux célibataires, chaque moment et chaque renversement est une pièce dans la construction du rendez-vous doux idéal de Marshall. Chaque réplique est la réplique désirée; chaque péripétie correspond à la soirée idéale.&nbsp; Sachant cela il est difficile d’argumenter que le titre de l’œuvre réfère à Marshall, car seul lui possède un pouvoir despotique sur son imagination nécessaire à la création d’un conjointe idéale pour lui, le rendant le seul et véritable <em>Mister Wonderful</em>. Il nous semble que Clowes explore ici les libertés liées à l’omnipotence, comme si son personnage était non pas accablé de la force de voir le monde dans son entièreté mais plutôt amusé par le fait qu’il peut vivre dans une fiction à la fois le séducteur et le séduit, le marionnettiste et la marionnette, dans un monde qu’il crée au fur et à mesure, libre de corriger et d’altérer les évènements qui lui déplaise. <em>Mister Wonderful</em> devient donc la chronique d’un rendez-vous galant d’un démiurge qui décide de s’inventer une soirée en ville à fins de divertissement. Que feriez-vous avec le don d’ubiquité, vous? &nbsp;</p> <p>Nous ne serons jamais absolument certains de quelle perspective Clowes tentait d’illustrer dans Mister Wonderful. Il me semble évident que même avec un billet de confirmation signé de l’auteur lui-même nous serions toujours dans le doute d’un leurre probable venant de la part d’un fripon qui joue à beaucoup trop de jeux avec le lecteur pour être pris au pied de la lettre. Il m’apparaît difficile à argumenter que la valeur énigmatique de l’œuvre prendra toujours le dessus sur nos convictions. D’autant plus, chaque lecture du livre ne fera qu’engendrer d’autres lectures potentielles similaires aux soirées potentielles crées dans l’œuvre. Un nouveau lecteur peut donc se réjouir de faire la connaissance d’une œuvre qui comporte un vaste potentiel interprétatif. Nous devons donc nous contenter de lire <em>Mister Wonderful</em> qui restera toujours un mystère insoluble&nbsp;à la manière de la soirée décrite.&nbsp; Le livre, réfléchissant sur soi-même, devient son propre rendez-vous manqué qui se déplie dans notre imaginaire comme un arbre des possibles.</p> <p><em>Les </em><em>directeurs du dossier</em><em> tiennent à remercier chaleureusement Alvin Buenaventura, agent de Daniel Clowes, qui leur a accordé une autorisation de reproduction d'extraits des oeuvres de ce dernier.</em></p> <p><strong>Bibliographie</strong></p> <p>&nbsp;</p> <p>CLOWES, Daniel, <em>David Boring</em>, New York, Pantheon, 2000.</p> <p>____,<em> Ice Haven</em>, New York, Pantheon, 2005.</p> <p>____, <em>Mister Wonderful</em>, New York, Pantheon, 2011.</p> <p>____,<em>Wilson</em>, Montréal, Drawn &amp; Quarterly, 2010.</p> <p>KIERKEGAARD, Soren, <em>Journaux et Cahiers de notes, tome 1 AA-DD,</em> Paris, Fayard, 2007</p> <p><a name="note1"></a><a href="#renvoi1">[1]</a> Personnage des <em>Flintstones </em>qui fût baptisé Grand Gazoo dans la version française. C’est aussi le personnage qui s’adressait toujours à Fred avec l’appellation affectueuse&nbsp;: «&nbsp;Gros Gras&nbsp;»</p> <p><a name="note2"></a><a href="#renvoi2">[2]</a> Kierkegaard Soren, <em>Journaux et Cahiers de notes, tome 1 AA-DD.</em></p> Ambiguïté Autorité narrative CLOWES, Daniel Cynisme Doute Équivocité États-Unis d'Amérique Exploration des possibles Fabulation Humour Imaginaire Indétermination Mémoire Narrateur Narration Relations humaines Solitude Subjectivité Bande dessinée Fri, 13 Jul 2012 20:21:04 +0000 Jean-Michel Berthiaume 551 at http://salondouble.contemporain.info Des ailes inutiles http://salondouble.contemporain.info/lecture/des-ailes-inutiles <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/brousseau-simon">Brousseau, Simon</a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-biblio"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/biblio/claustria">Claustria</a> </div> </div> </div> <p align="right"><em>J'arrive à m'imaginer assassiné, mutilé, torturé. Je n'arrive pas à m'imaginer vingt-quatre années dans un trou.</em></p> <p align="right">Régis Jauffret, <em>Claustria </em>(p.71)</p> <p align="center">&nbsp;</p> <p>L'œuvre de Régis Jauffret abonde en histoires sordides, et à la parcourir on a parfois l'impression que le monde est un vaste cloaque où vivotent des êtres condamnés à la souffrance, des êtres dont le bonheur est nécessairement disloqué par quelque psychopathologie intraitable, comme une poupée par un gamin malfaisant. Jauffret est admirablement doué pour la déclinaison d'existences potentielles, qu'il examine avec un détachement clinique qui n'a, à ma connaissance, pas d'égal en littérature contemporaine. Son recueil <em>Microfictions</em>, par exemple, est un véritable vivier d'existences décadentes<a href="#_ftn1" name="_ftnref" title="">[1]</a>. Il me semble que son travail invite à se questionner sur ce que pourrait être une éthique de la fiction. Cette éthique concerne le <em>traitement</em> que la fiction fait subir au réel, mais aussi, et c'est sur cet aspect que j'aimerais insister, l'adhésion ou les réticences que le lecteur éprouve face à ces représentations.</p> <p>Si Jauffret a le mérite d'aborder de front la négativité de l'existence contemporaine, ses façons de faire peuvent laisser perplexe. Il a développé une voix narrative qui lui est propre, une vision du monde désacralisante qui donne souvent l'impression que les relations humaines se réduisent à une mécanique égoïste. L'expérience de lecture s'accompagne d'une série de questions auxquelles on ne saurait définitivement répondre: est-ce Jauffret qui est cynique, nihiliste, pessimiste, ou bien le monde qu'il décrit? Jauffret est-il un auteur réaliste? Et quand bien même le monde serait effectivement pourri de cynisme, est-ce que la tâche de l'écrivain peut se résumer à enfoncer davantage le clou? Ne fait-il pas déjà assez froid? Cette ambivalence qui parcourt l'œuvre de Jauffret lui confère toute sa valeur. Elle pousse à réfléchir aux visées de la littérature et à ses possibilités, notamment dans son rapport à la connaissance et à la vérité. Dans le préambule de <em>Sévère</em> (2009), Jauffret écrit que «la fiction éclaire comme une torche» (p.7), mais qu'elle le fait paradoxalement à l'aide de mensonges. Selon lui, «elle comble les interstices d'imaginaire, de ragots, de diffamations qu'elle invente au fur et à mesure pour faire avancer le récit à coups de schlague» (p.7).</p> <p>Ce rapport trouble à la connaissance me semble pertinent pour réfléchir à la littérature contemporaine. Je suis tenté d'inscrire la démarche de Jauffret dans ce changement de notre relation au savoir qu'identifie Peter Sloterdijk au tout début de sa <em>Critique de la raison cynique</em>. Selon lui, il ne s'agit plus aujourd'hui pour le penseur qui aspire à la vérité d'être un ami de la connaissance, selon l'étymologie grecque du terme «philosophe», mais bien de chercher les moyens de vivre avec le poids de notre savoir: «Il n'y a plus de savoir dont on pourrait être l'ami (<em>philos</em>). Avec ce que nous savons, il ne nous vient pas à l'esprit de l'aimer, nous nous demandons, au contraire, comment faire pour vivre avec lui sans nous pétrifier» (p.7-8). Il y aurait donc, dans la démarche de Jauffret, quelque chose qui relève d'une recherche de santé, de l'expurgation. L'un des moyens que privilégie Jauffret pour supporter les aspects les plus sombres de l'existence s'apparente au traitement choc: plutôt que de les oblitérer ou de les nuancer en leur opposant une contrepartie plus lumineuse, il opte pour la surenchère et l'hyperbole, offrant une vision distordue et parfois cauchemardesque d'une réalité qui, faut-il le rappeler, est loin d'être rose bonbon.</p> <p align="center"><strong>*</strong></p> <p>Alors que Jauffret a repoussé dans les <em>Microfictions</em> les limites de la fabulation<a href="#_ftn2" name="_ftnref" title="">[2]</a>, certaines de ses œuvres récentes posent un constat troublant: ces destinées inventées, tout aussi abjectes qu'elles soient, trouvent leur équivalent dans la réalité, et il n'existe peut-être pas d'imagination assez débridée pour éclipser le réel en matière d'horreur. On peut remarquer ce glissement dans <em>Sévère</em> (2009), roman mettant en scène Édouard Stern, un banquier français qui a été assassiné par sa maîtresse en 2005, et à plus forte raison dans <em>Claustria </em>(2012), roman qui traite quant à lui de l'affaire Fritzl.</p> <p>Cette histoire sordide, véritable bombe qui a sauté au visage ébahi du monde en avril 2008, est si invraisemblable qu'on a du mal à y croire. Josef Fritzl a séquestré durant 24 ans, dans le sous-sol de sa maison d’Amstetten, en Autriche, sa fille Elisabeth Fritzl, avec qui il a eu sept enfants. Jauffret souligne dans un entretien que cette histoire comporte plusieurs zones d'ombre, des interstices qu'il a lui-même remplis dans son roman-enquête:</p> <p>Le procès de 2009, dit Régis Jauffret, a été expédié en trois jours et demi, y compris la lecture du verdict. On n'a jamais fouillé les antécédents de Fritzl, alors qu'il avait déjà fait de la prison pour viol, que des crimes sexuels non élucidés avaient été commis à proximité, et que lui-même passait de longues vacances en Thaïlande... La femme de Fritzl, qui avait vécu 24 ans au-dessus de la cave, n'a jamais été entendue par les juges. Pas plus que les voisins, les anciens locataires de Fritzl ou les experts en acoustique. Or, il est impossible que dans le voisinage immédiat on n'ait pas entendu les cris d'Elisabeth qui accouchait toute seule, ceux des six nourrissons, surtout la nuit, le son de la télé, tout cela dans une cave pas insonorisée. Elisabeth a témoigné, mais à huis clos, les enfants de la cave ne sont jamais apparus en public, on n'a pas la moindre photo d'eux, et les autorités les ont forcés à changer de patronyme... (Robitaille, 2012: <a href="http://www.cyberpresse.ca/arts/livres/romans/201202/25/01-4499729-claustria-de-regis-jauffret-les-enfants-de-la-caverne.php">en ligne</a>)</p> <p>En lisant <em>Claustria</em>, on comprend que Jauffret cherche à proposer un contrepoint au discours médiatique entourant l'affaire Fritzl. Au caractère forcément <em>punché </em>de la nouvelle journalistique (Fritzl est un monstre! Le monstre enfin condamné!), Jauffret oppose une narration homodiégétique à focalisation interne, le narrateur y allant de suppositions psychologiques et de scènes fabulées visant à brosser un portrait à peu près vraisemblable de l'affaire. Cette opposition entre le discours médiatique et la littérature, et plus particulièrement entre le fait divers et l'écriture romanesque, permet de penser la pertinence de certaines pratiques en littérature contemporaine. Si l'on peut rapprocher <em>Claustria</em> de <em>In Cold Blood </em>de Truman Capote (1966), le roman de Jauffret n'appartient toutefois pas au genre de la <em>Non-Fiction</em>. La raison en est bien simple: alors que l'ensemble des faits entourant les meurtres sanglants d'Herbert Clutter, de sa femme et de ses enfants étaient accessibles à l'écrivain américain, qui a mené une enquête exhaustive, la claustration des victimes de l'affaire Fritzl laisse quant à elle un large pan de l'histoire dans l'ombre. Ce sont précisément ces zones obscures que Jauffret tente d'éclairer à l'aide d'hypothèses fictionnelles. De plus, si Jauffret cherche à comprendre Fritzl, le rendement romanesque qu'il en fait n'a rien pour lui restituer son humanité, et en cela, ses visées s'éloignent aussi de celles de Capote. L'empathie de l'écrivain se tourne plutôt vers les habitants de la cave, celui-ci cherchant à imaginer comment ils ont pu survivre si longtemps dans la réclusion. Une question irrésoluble, une vraie question de romancier.</p> <p>Le projet de Jauffret s'inscrit dans une conception du roman comme outil de connaissance. Les cinq cents pages qu'il consacre à l'affaire Fritzl, bien qu'elles contiennent des propositions largement hypothétiques, et parfois choquantes (j'y reviendrai), sont tout de même à prendre au sérieux. Au discours médiatique qui se caractérise par sa prétendue limpidité, par sa volonté d'incarner une forme de lisibilité absolue —il n'y a pas d'ambiguïté possible lors d'un <em>bulletin d'informations</em>—, Jauffret oppose une vision de l'affaire Fritzl marquée par l'illisibilité. Ici, je pense d'abord à une forme d'illisibilité toute pragmatique: cette histoire est insupportable, et Jauffret s'évertue à nous faire subir l'horreur. Le lecteur est lui aussi cloitré. Ici, il faut faire preuve de prudence: jamais je n'oserais affirmer que cette expérience d'enfermement littéraire équivaut à l'enfermement bien réel des victimes. Le lecteur n'est pas à plaindre. En amorçant la lecture de <em>Claustria</em>, celui-ci accepte néanmoins de prendre connaissance, sous un mode hypothétique, mais violemment vraisemblable, des faits que la lisibilité médiatique ne peut se permettre d'exposer dans toute leur complexité. L'autre forme d'illisibilité que je souhaite relever découle de la première: l'affaire Fritzl est sans doute inexplicable. On peut se perdre en conjonctures, on peut tenter d'imaginer —et Jauffret s'y essaie avec aplomb—, il n'en demeure pas moins qu'une part de cette histoire échappe à la rationalité. Et c'est sans doute dans cet échec de la saisie rationnalisante que la fiction trouve l'énergie de remodeler, sans révérence, l'enfer créé par Fritzl, et auquel celui-ci pouvait accéder quotidiennement, en descendant l'escalier qui menait à son sous-sol.</p> <p>Évidemment, Jauffret s'emploie à débusquer, sous les non-dits et les silences, des semblants de vérité. Et c'est peut-être là que son projet rencontre sur son chemin un problème éthique. Lorsque j'évoque le caractère choquant de certaines extrapolations développées par Jauffret, je pense notamment à ce passage où il laisse entendre que le viol et l'inceste ont laissé place, peu à peu, à une relation amoureuse des plus malsaines entre le père et sa fille qui aurait été atteinte du Syndrome de Stockholm:&nbsp;</p> <p>L'inceste, le viol, puis l'inceste désiré, obsédant, l'attente fiévreuse du seul pénis au monde qui pénétrera jamais dans la cave. Un pénis qu'on n'en peut plus d'espérer, il tarde souvent à se montrer pendant de longs jours, des semaines, quand il la laissait seule pour partir en vacances s'enfoncer dans d'autres chairs. La faim de nourriture quand les provisions se raréfient et l'absence de ce viatique qui transformerait le lit en tapis volant.</p> <p>Ces cris de jouissance qui vont rejoindre le chœur des femmes en train de jouir au même instant sur toute la peau du monde. L'orgasme égalitaire, nivellement par l'infini, et quand il le lui procure elle est plus heureuse que les reines dont le roi est mort, plus heureuse que les vierges, les épouses au sexe depuis longtemps cicatrisé à force d'être lassées d'attendre des années durant le pénis d'un mari abruti par le travail et les coups de maillet d'un quotidien lancinant comme les aboiements des motos, des voitures, des camions furieux qui toute la nuit traversent comme des chiens ahuris la ville où il est né d'une grossesse indésirable et mourra sans même s'en apercevoir tant son existence n'aura été quatre-vingt-douze années durant qu'une interminable métaphore du néant (p.85).</p> <p>On le voit, la liberté avec laquelle Jauffret se permet d'extrapoler quant à la relation entre Fritzl et sa fille a quelque chose de profondément irrévérencieux. Je cite longuement cet extrait parce qu'il permet de cerner la proximité du ton adopté par Jauffret dans <em>Claustria</em> avec l'humour noir qui caractérise habituellement ses œuvres de fiction. Ce passage, où Jauffret cède à une forme de lyrisme qui tient du nihilisme triomphant, rappelle certains moments de <em>Microfictions</em> au ton vitriolique où l'existence des personnages devient un prétexte pour faire du style : «Nous avons joui en tirant la chasse d'eau pour couvrir le bruit de nos gémissements. Nous nous sommes mariés le mois suivant pour des raisons fiscales » (2007, p.13); «Ce n'est quand même pas de ma faute s'il s'était lassé de son sexe, et s'il l'a écrasé comme un mégot au fond d'un cendrier» (p.35); «Est-ce que tu m'aimes? Il fait trop chaud» (p.61); «Je la supplie de me tuer, car je le mérite. En me cinglant avec un câble, elle me rappelle que seuls les êtres vivants peuvent espérer mourir» (p.108).</p> <p>Ma première réaction a été d'interpréter ce traitement de l'affaire Fritzl comme étant impudent, et j'ai pensé que Jauffret allait peut-être trop loin, comme si le réel devenait un simple prétexte pour donner cours à l'écriture. Il y a sans doute un peu de cela, par moments, mais l'explication demeure insatisfaisante. Une interprétation plus proche de la réalité reconnaîtrait peut-être qu'effectivement, dans ce cas précis, les évènements ont atteint un degré d'ambiguïté si radical qu'il est presque impossible d'admettre leur éventualité. Jauffret l'écrit au début du roman: «Je n'arrive pas à m'imaginer vingt-quatre années dans un trou» (p.24). Au final, c'est sans doute ce désir de comprendre la réalité obscure de cette femme et de ces enfants qui ont vécu si longtemps dans une cave qui vient valider le projet de Jauffret. Malgré le ton parfois caustique qu'il adopte, il livre aussi quelques passages empreints de tendresse où se profilent en sourdine des bribes d'humanité ayant résisté à l'atrocité: «Ils regardaient toutes les émissions sur les animaux. Leur mère avait un livre d'images où elle leur montrait les chats, les poissons et les fauves. Ils étaient surpris de les voir en si mauvais état, aplatis, noir et gris sur le papier jauni piqueté de taches brunes, alors qu'ils étaient si gais sur l'écran» (p.136). D'un point de vue littéraire, on pourrait parler de l'art du contrepoint, d'une oscillation entre l'obscur et le lumineux. Cependant, force est d'admettre qu'on ne peut juger ce texte à l'aide de critères exclusivement littéraires. Il s'y profile également des visées éthiques sans lesquelles celui-ci n'aurait aucun sens: révéler dans toute sa complexité ce que le discours dominant cherche à oblitérer, quitte à scandaliser les plus prudes d'entre nous.</p> <p align="center">*</p> <p>En tentant de représenter l'immonde dans toute sa démesure, en cherchant à tirer du déni collectif l'existence de ces pauvres gens, Jauffret s'approche à mon avis de ce que pourrait être une expérience empathique authentique. Ce que j'entends par là est difficile à formuler. Je crois que Gilles Deleuze met le doigt sur le rôle fondamental que joue l'empathie dans l'écriture littéraire, quand il écrit que «la littérature ne commence que lorsque naît en nous une troisième personne qui nous dessaisit du pouvoir de dire JE» (Deleuze, 1993: 13). Cette formulation me semble juste en ce qu'elle explique l'écriture de l'autre comme étant une nécessité, un processus de compréhension où les contours de l'identité de l'énonciateur s'estompent pour laisser place à une réalité <em>a priori</em> étrangère. Cette démarche, chez Jauffret, est poussée avec une énergie qui relève du courage, d'où le malaise qu'elle peut engendrer chez le lecteur. Elle implique un renoncement aux critères moraux, à la pudeur et à la discrétion face à la souffrance des victimes. Et pourtant, au cœur de la négativité de l'écriture, il y a bel et bien quelque chose de positif qui ressort, et qui s'apparente à un cliché que je formulerais ainsi: <em>Donner une voix aux victimes, à ceux et celles qui n'ont plus de voix</em>. Ce cliché aurait pu devenir pour Jauffret un écueil, s'il avait par exemple décidé de modérer ses propos et d'embellir le récit afin de répondre aux attentes d'un lectorat en mal d'histoires touchantes. Heureusement, Jauffret a la force d'évoquer ce à quoi l'esprit se refuse tout naturellement: «Roman est allé respirer à la fenêtre. L'air lui manquait en se souvenant. Il regardait au loin. Il se sentait coupable d'avoir été si heureux dans la cave. D'aimer son père, aussi» (p.40).</p> <p>Ce dernier extrait laisse entrevoir toute la complexité de l'affaire Fritzl. Cette claustration, qui pour nous gens d'en haut est d'une horreur inconcevable, aura été pendant de longues années la seule réalité des enfants et de la femme qui l'ont souffert. Jauffret rappelle que ce sont des humains, et qu'ils ont sans doute aimé eux aussi père et mère. Alors que le discours médiatique, en une sorte de pudeur où se mêlaient la honte et une évidente propension au sensationnalisme, ne pouvait que réifier les victimes en les réduisant précisément à ce rôle de la victime sans voix, Jauffret, lui, aura tenté de se projeter radicalement dans leur existence. «La joie, écrit-il dans <em>Microfictions</em>, n'est pas dans l'oubli, l'insouciance, l'ébriété, l'euphorie que procure le mensonge de croire sa vie éternelle, elle est dans la lucidité de penser à tout instant le réel avec la précision du chirurgien qui incise les chairs d'un patient équarri lors d'une opération à coeur ouvert.» (2007, p.92) Si cette machination littéraire est forcément troublante, il faut admettre que c'est pour le mieux. Les victimes ne sont pas que des victimes. Elles sont nées avec des ailes, des ailes tristement inutiles dans un trou sans ciel.</p> <p>&nbsp;</p> <p><strong>Bibliographie</strong></p> <p>&nbsp;</p> <p>DELEUZE, Gilles, <em>Critique et clinique</em>, Paris, Minuit, 1993.</p> <p>JAUFFRET, Régis, <em>Claustria</em>, Paris, Seuil, 2012.</p> <p>-----, <em>Microfictions</em>, Paris, Gallimard (coll. Folio), 2007.</p> <p>GEFEN, Alexandre, «“Je est tout le monde et n’importe qui”.&nbsp;Les&nbsp;Microfictions&nbsp;de Régis Jauffret», <em>Critical Review of Contemporary French Fixxion</em>, n°1, december 2010, URL <a href="http://www.critical-review-of-contemporary-french-fixxion.org/english/publications/nr1/gefen_en.html">http://www.critical-review-of-contemporary-french-fixxion.org/english/publications/nr1/gefen_en.html</a></p> <p>ROBITAILLE, Louis-Bernard, «Claustria, de Régis Jauffret: les enfants de la caverne», <em>La Presse</em>, 25 février 2012. En ligne:&nbsp;<a href="http://www.cyberpresse.ca/arts/livres/romans/201202/25/01-4499729-claustria-de-regis-jauffret-les-enfants-de-la-caverne.php">http://www.cyberpresse.ca/arts/livres/romans/201202/25/01-4499729-claustria-de-regis-jauffret-les-enfants-de-la-caverne.php</a></p> <p>SLOTERDIJK, Peter, <em>Critique de la raison cynique</em>, Paris, Christian Bourgois Éditeur, 1987 [1983]. [traduit de l'allemand par Hans Hildenbrand]</p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> <p><a href="#_ftnref" name="_ftn1" title="">[1]</a> J'ai proposé une lecture de ce recueil ici-même, en 2009: «<a href="http://salondouble.contemporain.info/lecture/ecrire-avec-un-marteau">Lire avec un marteau</a>».</p> <p><a href="#_ftnref" name="_ftn2" title="">[2]</a> À ce propos, l'article «“Je est tout le monde et n’importe qui”.&nbsp;<em>Les&nbsp;Microfictions&nbsp;</em>de Régis Jauffret», d'Alexandre Gefen, est un incontournable. (Voir dans la bibliographie.)</p> <p>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;</p> http://salondouble.contemporain.info/lecture/des-ailes-inutiles#comments Ambiguïté CAPOTE, Truman Crime Cynisme DELEUZE, Gilles Écriture Empathie Enfermement Éthique Exploration des possibles Fait divers France GEFEN, Alexandre Inceste JAUFFRET, Régis Limites de la représentation Négativité Outil de connaissance Pouvoir et domination Rapport au père et à la mère ROBITAILLE, Louis-Bernard SLOTERDIJK, Peter Viol Violence Roman Mon, 30 Apr 2012 15:13:34 +0000 Simon Brousseau 501 at http://salondouble.contemporain.info Fin d'une ère et début de jeu http://salondouble.contemporain.info/lecture/fin-dune-ere-et-debut-de-jeu <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/tremblay-gaudette-gabriel">Tremblay-Gaudette, Gabriel</a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-biblio"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/biblio/player-one-what-is-to-become-of-us">Player One: What Is to Become of Us</a> </div> </div> </div> <!--break--><!--break--><p> <span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Mise en jeu d'une apocalypse</strong></span></p> <p>Oublions un instant les sc&eacute;narios extr&ecirc;mement improbables, comme une invasion de zombies, une guerre intersid&eacute;rale, ou une r&eacute;bellion de robots-tueurs. Peut-on penser &agrave; une plausible amorce de fin du monde, dont l&rsquo;humain serait directement responsable? Le mode de vie occidental actuel et le nombre &eacute;lev&eacute; d&rsquo;habitants sur la plan&egrave;te pourraient-ils provoquer des circonstances menant au d&eacute;clenchement du dernier acte de la com&eacute;die humaine humaine? Certes, les bonzes d&rsquo;Hollywood s&rsquo;&eacute;vertuent &agrave; nous proposer sur grand &eacute;cran des visions de telles catastrophes, mais ceci n&rsquo;est que pr&eacute;texte &agrave; encha&icirc;ner les s&eacute;quences spectaculaires d&rsquo;effets sp&eacute;ciaux. Toutefois, dans le domaine de la litt&eacute;rature, dont le terrain de jeu se situe habituellement davantage au plan de l&rsquo;int&eacute;riorit&eacute; psychologique que dans le fla fla tonitruant, l&rsquo;imaginaire de la fin est un moment fort de remise en question et de l&rsquo;introspection collective: le d&eacute;sastre y est source de r&eacute;flexions, et non de pyrotechnies. </p> <p>Dans sa plus r&eacute;cente parution, <em>Player One: What Is to Become of Us</em>, Douglas Coupland propose une r&eacute;ponse tr&egrave;s plausible &agrave; cette question de la fin probable de l&rsquo;humanit&eacute;, ce qui lui donne l&rsquo;occasion d&rsquo;enfermer pendant cinq heures<a href="#note1a" name="note1"><strong>[1]</strong></a> une demi-douzaine de personnages dans le bar d&rsquo;un h&ocirc;tel &agrave; proximit&eacute; de l&rsquo;a&eacute;roport Lester B. Pearson de Toronto. Ce huis-clos donne l&rsquo;occasion &agrave; ceux-ci de r&eacute;fl&eacute;chir tour &agrave; tour, en soliloques et en dialogues, &agrave; propos du futur de l&rsquo;humanit&eacute;, de la notion du temps, de la capacit&eacute; &agrave; concevoir sa propre vie sous la forme d&rsquo;un r&eacute;cit, de l&rsquo;omnipotence vertigineuse du Web et d&rsquo;autres sujets triviaux. Coupland, qui a d&eacute;j&agrave; flirt&eacute; avec l&rsquo;imaginaire de la fin dans <em>Generation X</em> (1991), <em>Girlfriend in a Coma</em> (1998) et <em>Generation A</em> (2009), d&eacute;clenche la fin de l&rsquo;humanit&eacute; avec une pr&eacute;misse &eacute;tonnamment fonctionnelle: il reprend l&rsquo;hypoth&egrave;se du g&eacute;ologue Marion King Hubbert, qui avait pr&eacute;dit dans les ann&eacute;es 1950 que la production plan&eacute;taire de p&eacute;trole allait atteindre un sommet (le <em>Hubbert&rsquo;s Peak of Oil Production</em>), auquel moment le prix du baril allait escalader &agrave; une vitesse vertigineuse<a href="#note2a" name="note2"><strong>[2]</strong></a>. C&rsquo;est ce qui se produit dans <em>Player One</em>: en quelques minutes, le baril passe de 250$ &agrave; 410$ l&rsquo;unit&eacute;, ce qui cause des &eacute;meutes plan&eacute;taires et donne tout son sens &agrave; l&rsquo;expression &laquo;jungle urbaine&raquo;, puisque c&rsquo;est la loi du plus fort (et du mieux arm&eacute;) qui pr&eacute;domine soudainement. La situation est d&eacute;crite de la mani&egrave;re suivante par une jeune gothique de 15 ans: &laquo;It&rsquo;s been one great big hockey riot for the past half-hour. There&rsquo;s no gas left. Everyone&rsquo;s going apeshit. I&rsquo;ve been taking pictures.&raquo; (p.90) </p> <p>L&rsquo;annonce de cette augmentation exponentielle du prix du baril de p&eacute;trole, et le d&eacute;clenchement quasi-instantan&eacute; d&rsquo;une panique g&eacute;n&eacute;ralis&eacute;e se traduisant par une violence aveugle, sont observ&eacute;s de loin par les quatre personnages principaux du r&eacute;cit. Karen est une m&egrave;re monoparentale ayant pris l&rsquo;avion pour venir rencontrer un inconnu dont elle a fait la connaissance sur le Web (plus pr&eacute;cis&eacute;ment, sur un forum de discussion apocalyptique anticipant la venue du <em>Hubbert&rsquo;s Peak</em>); Rick est un homme dans la quarantaine ayant perdu sa famille dans le fond d&rsquo;une bouteille, depuis contraint, comble de l&rsquo;ironie, &agrave; travailler comme barman; Luke est un pasteur d&eacute;sabus&eacute; qui a, le matin m&ecirc;me de la journ&eacute;e o&ugrave; se d&eacute;roule les &eacute;v&eacute;nements, d&eacute;valis&eacute; le compte bancaire de sa paroisse et qui trimballe dans ses poches la rondelette somme de 20&nbsp;000 dollars; et Rachel est une jeune femme splendide qui est toutefois atteinte de nombreux troubles neurologiques la rendant incapable de reconna&icirc;tre les visages, de comprendre les &eacute;motions et de vivre ad&eacute;quatement en soci&eacute;t&eacute;. Ajoutons &eacute;galement &agrave; ces protagonistes un motivateur professionnel, un Casanova rat&eacute;, un jeune homme d&eacute;pendant &agrave; son iPhone et un tireur fou messianique. </p> <p>Un dernier acteur tient un r&ocirc;le important dans <em>Player One</em>, et son discours en forme de narration homodi&eacute;g&eacute;tique se trouve &agrave; la fin de chacun des cinq chapitres de l&rsquo;&oelig;uvre. Agissant un peu &agrave; la mani&egrave;re d&rsquo;un ch&oelig;ur dans une trag&eacute;die grecque &mdash;il n&rsquo;est pas un personnage intervenant dans la di&eacute;g&egrave;se&mdash;, celui (ou celle) qui est nomm&eacute; Player One commente les actions et les pens&eacute;es des personnages avec un ton d&eacute;tach&eacute; lui permettant de porter un regard lucide sur la catastrophe qui se d&eacute;roule. En plus de donner l&rsquo;occasion &agrave; Coupland de livrer des observations plus mordantes et globales sur ce qui se joue dans son roman, Player One permet de dissiper la tension narrative de la progression du r&eacute;cit en d&eacute;voilant de mani&egrave;re laconique les &eacute;l&eacute;ments-cl&eacute; &agrave; survenir: qui mourra, qui survivra, qui commettra des actions &eacute;tonnantes ou d&eacute;plorables, etc. L&rsquo;utilisation de ce narrateur extrins&egrave;que au r&eacute;cit a un double effet: dans un premier temps, de mettre &agrave; mal l&rsquo;une des forces de l&rsquo;&eacute;criture couplandienne (la capacit&eacute; &agrave; offrir un r&eacute;cit toujours captivant sans &ecirc;tre haletant), et, dans un second temps, de concentrer l&rsquo;attention du lecteur sur les r&eacute;flexions et les propos des personnages, qui deviennent d&egrave;s lors l&rsquo;enjeu de la lecture.</p> <p>Coupland opte pour une approche narrative multifocale, d&eacute;j&agrave; pr&eacute;sente dans <em>Hey Nostradamus</em> (2003) et raffin&eacute;e dans <em>Generation A</em> (2009). Or, dans ces deux romans, la narration multifocale &eacute;talait un spectre de perceptions vari&eacute;es sur des &eacute;v&eacute;nements de longue dur&eacute;e; dans <em>Player One</em>, l&rsquo;action, concentr&eacute;e sur seulement cinq heures, peut &ecirc;tre diss&eacute;qu&eacute;e avec davantage de nuances puisque les cinq personnages qui se relaient la focalisation du r&eacute;cit ont des postures tr&egrave;s particuli&egrave;res et portent tous un regard diff&eacute;rent sur l&rsquo;existence et sur leur &eacute;poque. Les opinions vari&eacute;es des personnages, s&rsquo;ils pr&eacute;sentent par moment certains points de convergence, permettent de faire l&rsquo;&eacute;talage de contradictions &eacute;clairantes pour brosser le portrait des affres de notre temps. </p> <p><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Observer le contemporain</strong></span> </p> <p>Giorgio Agamben explicitait &eacute;loquemment dans son essai <em>Qu&rsquo;est-ce que le contemporain?</em> les qualit&eacute;s particuli&egrave;res du sujet contemporain: </p> <div class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Le contemporain est celui qui per&ccedil;oit l&rsquo;obscurit&eacute; de son temps comme une affaire qui le regarde et qui n&rsquo;a de cesse de l&rsquo;interpeller, quelque chose qui, plus que toute lumi&egrave;re, est directement et singuli&egrave;rement tourn&eacute; vers lui. Contemporain est celui qui re&ccedil;oit en plein visage le faisceau des t&eacute;n&egrave;bres qui provient de son temps<a href="#note3a" name="note3"><strong>[3]</strong></a>.<br /> </span></div> <div><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><br /> </span><span style="color: rgb(0, 0, 0);">L&rsquo;&eacute;crivain fait acte de t&eacute;moin, de scribe et de commentateur de son temps lorsqu&rsquo;il prend un certain recul &mdash;le temps d&rsquo;&eacute;crire un roman&mdash;, sa mise en retrait volontaire de sa soci&eacute;t&eacute; lui permettant de l&rsquo;observer avec une distance critique n&eacute;cessaire. C&rsquo;est le jeu auquel se pr&ecirc;te Coupland de roman en roman. L&rsquo;auteur poursuit son &oelig;uvre de descripteur du contemporain, lui qui avait il y a deux d&eacute;cennies si bien r&eacute;ussi &agrave; cristalliser le d&eacute;tachement, le rapport ambivalent &agrave; la culture populaire et le d&eacute;sarroi d&rsquo;une strate de population dans son premier roman <em>Generation X</em> que ce terme a &eacute;t&eacute; consacr&eacute; par les sociologues.</span></div> <div> Coupland avait d&eacute;j&agrave; proc&eacute;d&eacute; &agrave; une forme de mise &agrave; jour de certaines de ses &oelig;uvres: les jeunes adultes incapables de composer avec leur r&eacute;alit&eacute; qui pr&eacute;f&eacute;raient fictionnaliser leurs existences dans <em>Generation X</em> en 1991 sont devenus des jeunes adultes incapables de cr&eacute;er des histoires dans <em>Generation A</em> en 2010; les employ&eacute;s serviles et misanthropes de Microsoft dans <em>Microserfs</em> en 1995 sont devenus des jeunes <em>geeks</em> employ&eacute;s d&rsquo;une compagnie de jeux vid&eacute;o, prosp&egrave;res et ouverts sur le monde dans <em>JPod</em> en 2006. C&rsquo;est donc dire que Coupland sait se mettre &agrave; jour d&rsquo;une parution &agrave; l&rsquo;autre.</div> <p> Il le prouve d&rsquo;ailleurs &eacute;loquemment d&egrave;s les premi&egrave;res lignes de <em>Player One</em>. Apr&egrave;s que Karen ait observ&eacute; qu&rsquo;un jeune adolescent la filme avec son iPhone depuis qu&rsquo;elle a d&eacute;tach&eacute; deux boutons de son chemisier, elle pense pour elle-m&ecirc;me: </p> <div class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Those little bright blue windows she always sees from her back-row seat in Casey&rsquo;s school auditorium, a jiggling sapphire matrix of memories that will, in all likelihood, never be viewed, because people who tape music recitals tape pretty much everything else, and there&rsquo;s not enough time in life to review even a fraction of those recorded memories. Kitchen drawers filled with abandoned memory cards. Unsharpened pencils. Notepads from realtors. Dental retainers. The drawer is a time capsule. (p.2) </span></div> <p> En quelques lignes, Coupland rel&egrave;ve comment la propension &agrave; l&rsquo;enregistrement num&eacute;rique provoque une accumulation exponentielle des m&eacute;moires externalis&eacute;es, devenant archives du pass&eacute; surann&eacute; d&egrave;s son enregistrement; une m&eacute;moire externe accessible et d&eacute;pass&eacute;e tout &agrave; la fois. </p> <p>Les observations cyniques sur notre temps s&rsquo;intercalent avec fluidit&eacute; au milieu d&rsquo;un r&eacute;cit de catastrophe. Par exemple, le pr&ecirc;tre Luke d&eacute;plore la liste fort r&eacute;duite des sept p&eacute;ch&eacute;s capitaux qui lui servent de mat&eacute;riel de travail : </p> <div class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">There are only seven sins, not even eight, and once you&rsquo;ve heard about nothing but seven sins over and over again, you must resort to doing Sudoku puzzles on the other side of the confessional, praying for someone, anyone, to invent a new sin and make things interesting again. (p.8) </span></div> <p> Qui plus est, il souhaite que cette liste soit actualis&eacute;e: </p> <div class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Luke thinks sins badly need updating and he keeps a running list in his head of contemporary sins that religion might well consider: the willingness to tolerate information overload; the neglect of the maintenance of democracy; the deliberate ignorance of history; the equating of shopping with creativity; the rejection of reflective thinking; the belief that spectacle is reality; vicarious living through celebrities. And more, so much more. (p.112) <br /> </span></div> <div><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><br /> </span><span style="color: rgb(0, 0, 0);">Le personnage a tendance &agrave; bl&acirc;mer le Web comme la source de tous les maux contemporains. Il ne respecte visiblement pas cette technologie, allant m&ecirc;me jusqu&rsquo;&agrave; songer : &laquo;Goddamn Internet. And his computer&rsquo;s spell-check always forces him to capitalize the word &ldquo;Internet&rdquo;. Come on: World War Two <em>earned</em> its capitalisation. The Internet just sucks human beings away from reality.&raquo; (p.24)</span></div> <div> Luke n&rsquo;est pas le seul &agrave; voir le Web, les ordinateurs et les technologies de l&rsquo;information comme agent d&rsquo;un changement consid&eacute;rable de notre &eacute;poque. La premi&egrave;re fois que Rick pose les yeux sur Rachel, il se l&rsquo;imagine &ecirc;tre ainsi:</div> <p></p> <div class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">She&rsquo;s most likely addicted to video games and online shopping, bankrupting her parents in an orgy of oyster merino and lichen alpaca. Fancy a bit of chit-chat? Doubtful. She&rsquo;d most likely text him, even if they were riding together in a crashing car&mdash;and she&rsquo;d be fluent in seventeen software programs and fully versed in the ability to conceal hourly visits to gruesome military photo streams. She probably wouldn&rsquo;t remember 9/11 or the Y2K virus, and she&rsquo;ll never bother to learn a new language because a machine will translate the world for her in 0.034 seconds. (p.27) </span></div> <p> Non sans une certaine ironie, Coupland s&rsquo;interroge et formule des hypoth&egrave;ses sur ce qu&rsquo;il peut advenir de nous<a href="#note4a" name="note4"><strong>[4]</strong></a>. Certains des th&egrave;mes chers &agrave; l&rsquo;auteur - la solitude, la perception du temps, l&rsquo;influence de la technologie, la foi, l&rsquo;imaginaire de la fin - sont abord&eacute;s, bien que succinctement, &agrave; un moment ou un autre du r&eacute;cit. Coupland ne traite pas le contemporain avec la rigueur th&eacute;orique d&rsquo;un philosophe ou d&rsquo;un essayiste, mais il r&eacute;ussit tout de m&ecirc;me &agrave; g&eacute;n&eacute;rer une exp&eacute;rience litt&eacute;raire forte, dr&ocirc;le et propice aux <em>musements</em><a href="#note5a" name="note5"><strong>[5]</strong></a> de la part du lecteur. L&rsquo;&eacute;crivain qui, par le biais d&rsquo;un de ses personnages, indique d&egrave;s le d&eacute;but du r&eacute;cit l&rsquo;importance de voir son existence comme un r&eacute;cit: &laquo;Our curse as humans is that we are trapped in time; our curse is that we are forced to interpret life as a sequence of events&mdash;a story&mdash;and when we can&rsquo;t figure out what our particular story is, we feel lost somehow&raquo; (p.5), affirmer, au terme de l&rsquo;&oelig;uvre, que cette conception de notre r&eacute;cit de vie est impraticable &agrave; notre &eacute;poque: </p> <div class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Information overload triggered a crisis in the way people saw their lives. It sped up the way we locate, cross-reference, and focus the questions that define our essence, our roles&mdash;our stories. The crux seems to be that our lives stopped being stories. And if we are no longer stories, what will our lives have become? (p.211)<br /> </span></div> <div>Or, plut&ocirc;t que de verser dans un pessimisme nostalgique d&rsquo;un pass&eacute; plus simple, Coupland propose une version revue et am&eacute;lior&eacute;e de cette id&eacute;e, qui &eacute;corche au passage un certain discours technophile valorisant les nouveaux m&eacute;dias comme un pays de cocagne&nbsp;des nouvelles exp&eacute;rimentations narratives: &laquo;&nbsp;Non-linear stories? Multiple endings? No loading times? It&rsquo;s called life on earth. Life need not be a story, but it does need to be an adventure.&raquo; (p.211)</div> <p> <span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Avant la fin</strong></span></p> <p>Il est certes curieux que la question de la fin de l&rsquo;humanit&eacute;, pourtant centrale comme contexte narratif au r&eacute;cit, devienne quelque peu secondaire et prenne la forme d&rsquo;un bruit de fond &agrave; mi-chemin dans le roman, ressurgissant sporadiquement mais sans grand impact (ce qui est antinomique, puisque c&rsquo;est bien de la Fin avec un grand F dont il est ici question!). On l&rsquo;aura sans doute compris, cette amorce n&rsquo;est employ&eacute;e que pour permettre de placer les personnages dans un &eacute;tat de crise qui se traduit bien par une sensibilit&eacute; &agrave; fleur de peau, doubl&eacute;e d&rsquo;une honn&ecirc;tet&eacute; totale, ouvrant la voie &agrave; des discours et des confessions sans retenue. Il est donc l&eacute;gitime de reprocher &agrave; Coupland d&rsquo;avoir mis la table en vue de l&rsquo;an&eacute;antissement de l&rsquo;esp&egrave;ce humaine dans le premier tiers du r&eacute;cit pour ensuite se contenter d&rsquo;un huis-clos fort pertinent mais peut-&ecirc;tre incongru dans un contexte o&ugrave; un tel enjeu est en cours. Ce qui r&eacute;chappe cet impair est la grande qualit&eacute; des &eacute;changes entre les personnages, &eacute;changes <em>justement</em> permis par le cataclysme. </p> <p>En effet, force est de constater que Coupland arrive, avec ce roman, &agrave; la pleine ma&icirc;trise d&rsquo;une d&eacute;marche d&rsquo;auteur contemporain au seuil d&rsquo;une &eacute;criture postmoderniste; au seuil, puisqu&rsquo;il commente les faits et gestes d&rsquo;une soci&eacute;t&eacute; postmoderne sans pour autant revendiquer ou assumer de plain-pied une pratique esth&eacute;tique ou &eacute;thique appartenant &agrave; ce paradigme philosophique. Il continue donc &agrave; d&eacute;noncer les habitudes consum&eacute;ristes tout en employant sans vergogne le nom de marques d&eacute;pos&eacute;es, &agrave; signaler l&rsquo;absence de religion tout en pr&ocirc;nant une qu&ecirc;te spirituelle &eacute;mancip&eacute;e de l&rsquo;affiliation &agrave; une pratique dogmatique, et &agrave; interroger les d&eacute;rives de technologies dont on peut constater qu&rsquo;il saisit bien les particularit&eacute;s et applications.</p> <p>L&rsquo;ambivalence apparente des propos et comportements des personnages couplandiens si&eacute;rait mal &agrave; une &eacute;criture pamphl&eacute;tiste ou revendicatrice. Or, de par les tensions qu&rsquo;il met en mots dans son roman, l&rsquo;auteur reconduit le v&oelig;u d&rsquo;Agamben consistant &agrave; recevoir en plein visage le faisceau des t&eacute;n&egrave;bres de son &eacute;poque<a href="#note6a" name="note6"><strong>[6]</strong></a>: il d&eacute;peint et souligne la noirceur du contemporain, mais y incorpore aussi des touches lumineuses, principalement par l&rsquo;humour, ce qui conf&egrave;re &agrave; <em>Player One</em> un &eacute;quilibre nuanc&eacute;, &agrave; la fois salutaire et garant d&rsquo;une observation riche et renseign&eacute;e sur notre &eacute;poque. </p> <p><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Les faits saillants d&rsquo;une carri&egrave;re </strong></span> </p> <p>Par souci critique, il appara&icirc;t important de signaler que Coupland puise &eacute;norm&eacute;ment &agrave; ses propres &oelig;uvres en recyclant certains passages au travers de <em>Player One</em>. Il est d&rsquo;ailleurs int&eacute;ressant de noter que Coupland, en travaillant partiellement avec une approche de collage litt&eacute;raire, s&rsquo;inscrit dans un renouveau de cette pratique litt&eacute;raire, h&eacute;rit&eacute;e des dada&iuml;stes mais syst&eacute;matis&eacute;e dans le roman par Guy Tournaye (<em>Le d&eacute;codeur</em>, Gallimard, 2005), dans l&rsquo;article par Jonathan Lethem (<em>The ecstasy of Influence: A Plagiarism</em>, Harper&rsquo;s Magazine, f&eacute;vrier 2007) et dans l&rsquo;essai par David Shields (<em>Reality Hunger: A Manifesto</em>, Knopf, 2010). Ainsi, la r&ecirc;verie de Rick qui observe le chiffre du compteur de la pompe &agrave; essence augmenter rapidement telle une r&eacute;capitulation historique en acc&eacute;l&eacute;r&eacute; est identique &agrave; celle de John Johnson dans <em>Miss Wyoming</em> (1999); les soliloques sur la solitude comme mal de l&rsquo;&acirc;me de notre &eacute;poque de Karen sont des d&eacute;riv&eacute;s de ceux d&rsquo;Elizabeth Dunn d&rsquo;<em>Eleanor Rigby</em> (2004); l&rsquo;atteinte d&rsquo;un point de notre histoire culturelle et technologique o&ugrave; l&rsquo;ensemble de notre m&eacute;moire collective a &eacute;t&eacute; enregistr&eacute;e sur des outils p&eacute;riph&eacute;riques est une id&eacute;e qui remonte &agrave; <em>Microserfs</em> (1995), et ainsi de suite<a href="#note7a" name="note7"><strong>[7]</strong></a>. On peut consid&eacute;rer ces reprises par Coupland comme une forme de paresse &eacute;hont&eacute;e ou encore comme une forme d&rsquo;&nbsp;&laquo;autointertextualit&eacute;&raquo;, un <em>best of </em>que l&rsquo;auteur n&rsquo;aurait pas laiss&eacute; le soin &agrave; son &eacute;diteur de mettre en place. &Agrave; sa d&eacute;charge, puisque <em>Player One</em> est &agrave; l&rsquo;origine une s&eacute;rie de cinq lectures publiques dans le cadre de la s&eacute;rie Massey, on peut comprend pourquoi Coupland a souhait&eacute; offrir un compendium de ses &oelig;uvres pr&eacute;c&eacute;dentes &agrave; un nouveau public, en prenant tout de m&ecirc;me soin de les ins&eacute;rer dans un cadre narratif et di&eacute;g&eacute;tique original. Et il devient m&ecirc;me amusant, pour les lecteurs assidus de Coupland, de d&eacute;couvrir et de reconna&icirc;tre la provenance de ces id&eacute;es litt&eacute;raires pr&eacute;c&eacute;dentes. Mais, au final, il ne nous appartient pas de juger cette d&eacute;cision de l&rsquo;auteur<a href="#note8a" name="note8"><strong>[8]</strong></a>. &Agrave; cet effet, l&rsquo;&eacute;crivain renoue avec une pratique qui avait fait sa marque de commerce dans <em>Generation X</em>, soit celle de confectionner des n&eacute;ologismes assortis de d&eacute;finitions qui, chacun &agrave; leur mani&egrave;re, mettent en lumi&egrave;re un des traits de notre vie moderne. En voici une s&eacute;lection, en guise de conclusion: </p> <div class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">&laquo;<strong>Androsolophilia</strong>: The state of affairs in which a lonely man is romantically desirable while a lonely woman is not.&raquo; (p.216)<br /> &nbsp;<br /> &laquo;<strong>Blank-Collar Workers</strong>: Formerly middle-class workers who will never be middle-class again and who will never come to terms with that.&raquo; (p.218) <p></p></span><br /> <meta charset="utf-8" /><span style="color: rgb(128, 128, 128);">&laquo;<strong>Deomiraculositeria</strong>: God&rsquo;s anger at always being asked to perform miracles.&raquo; (p.222) &laquo;Grim Truth: You&rsquo;re smarter than TV. So what?&raquo; (p.227)<br /> &nbsp;<br /> &laquo;<strong>Omniscience fatigue</strong>: The burnout that comes with being able to know the answer to almost anything online.&raquo; (p.234) <br /> &nbsp;<br /> &laquo;<strong>Post-adolescent Expert Syndrome</strong>: The tendency of young, people, around the age of eighteen, males especially, to become altruistic experts on everything, a state of mind required by nature to ensure warriors who are willing to die with pleasure on the battlefield. Also the reason why religions recruit kamikazes pilots and suicide bombers almost exclusively from the 18-to-21 range. &ldquo;Kyle, I never would have guessed that when you were up in your bedroom playing World of Warcraft all through your teens, you were, in fact, becoming an expert on the films of Jean-Luc Godard&rdquo;.&raquo; (p.236)<br /> &nbsp;<br /> &laquo;<strong>Red Queen&rsquo;s Blog Syndrome</strong>: The more one races onto one&rsquo;s blog to assert one&rsquo;s uniqueness, the more generic one becomes.&raquo; (p.240) </span> <p> </p></div> <hr /> <div class="rteindent1"> <meta charset="utf-8" /> </div> <p><meta charset="utf-8" /><a href="#note1" name="note1a"><strong>[1]</strong></a>La di&eacute;g&egrave;se s&rsquo;&eacute;tale sur cinq heures, en autant de chapitres; chacune de ces sections a pr&eacute;alablement fait l&rsquo;objet d&rsquo;une lecture publique dans le cadre de la s&eacute;rie Massey commandit&eacute;e par la Canadian Broadcasting Company, House of Anansi Press et le Massey College de l&rsquo;Universit&eacute; de Toronto. Depuis novembre 2010, ces lectures sont disponibles en baladodiffusion sur la boutique iTunes. </p> <p><a href="#note2" name="note2a"><strong>[2]</strong></a>De nombreuses informations sur cette th&eacute;orie sont disponibles sur le site Web suivant: EcoSystems, <em>Hubbert Peak of Oil Production</em>, [en ligne]. <a href="http://www.hubbertpeak.com" title="http://www.hubbertpeak.com">http://www.hubbertpeak.com</a> (Page consult&eacute;e le 24 novembre 2010). </p> <p><a href="#note3" name="note3a"><strong>[3]</strong></a>Giorgio Agamben, <em>Qu&rsquo;est-ce que le contemporain?</em>, Paris, Rivages poche (Petite biblioth&egrave;que), 2008, p.22. </p> <p><a href="#note4" name="note4a"><strong>[4]</strong></a>Le sous-titre <em>What Is to Become of Us</em>, pourrait &ecirc;tre lu autant comme une affirmation qu&rsquo;une interrogation. </p> <p><a href="#note5" name="note5a"><strong>[5]</strong></a><em>Musement</em> est un calque de l&rsquo;anglais &laquo;&nbsp;musing&nbsp;&raquo;, d&eacute;signant une forme d&rsquo;errance mentale. Se r&eacute;f&eacute;rer aux th&eacute;ories de Charles Sanders Peirce pour de plus amples explications (si toutefois vous avez quelques ann&eacute;es &agrave; y consacrer). Pour ceux et celles qui voudraient faire l&rsquo;&eacute;conomie de cet apprentissage, Bertrand Gervais d&eacute;crit ce concept dans l&rsquo;introduction de son essai <em>Figures, lectures. Logiques de l&rsquo;imaginaire tome 1</em>, Montr&eacute;al, Le Quartanier, collection &laquo; Erres essais &raquo;, 243 pages, pp.15-42.</p> <p><a href="#note6" name="note6a"><strong>[6]</strong></a>Giorgio Agamben, <em>Op. cit.</em>, p.22. </p> <p><a href="#note7" name="note7a"><strong>[7]</strong></a>Il serait un peu futile de dresser une liste compl&egrave;te des emprunts &agrave; ses &oelig;uvres pr&eacute;c&eacute;dentes, mais sachez que chacune d&rsquo;entre elles a &eacute;t&eacute; &laquo;mise &agrave; contribution&raquo;. </p> <p><a href="#note8" name="note8a"><strong>[8]</strong></a>La distinction entre la pratique acceptable et malhonn&ecirc;te est peut-&ecirc;tre une affaire d&rsquo;appartenance continentale, apr&egrave;s tout; dans une entrevue avec &Eacute;cran Large, Jim Jarmush, reconnaissant s&rsquo;&ecirc;tre inspir&eacute; de cin&eacute;astes asiatiques pour la r&eacute;alisation de son film <em>Ghost Dog</em>, avait cit&eacute; Jean-Luc Godard: &laquo;En Am&eacute;rique, vous appelez &ccedil;a du plagiat, et en Europe, nous appelons &ccedil;a un hommage&raquo;. (Shamia Amirali, <em>Jim Jarmush &ndash; Broken Flowers Masterclass</em>, [en ligne]. <a href="http://www.ecranlarge.com/article-details-532.php" title="http://www.ecranlarge.com/article-details-532.php">http://www.ecranlarge.com/article-details-532.php</a> (Page consult&eacute;e le 3 d&eacute;cembre 2010).<br /> </p> http://salondouble.contemporain.info/lecture/fin-dune-ere-et-debut-de-jeu#comments AGAMBEN, Giorgio Canada Cinéma Collage littéraire Contemporain Coupland, Douglas Cynisme GERVAIS, Bertrand GODARD, Jean-Luc Imaginaire de la fin Intertextualité JARMUSH, Jim LETHEM, Jonathan Narrativité PEIRCE, Charles Sanders SHIELDS, David TOURNAYE, Guy Roman Tue, 14 Dec 2010 18:26:24 +0000 Gabriel Gaudette 298 at http://salondouble.contemporain.info