Salon double - Divertissement http://salondouble.contemporain.info/taxonomy/term/690/0 fr Emporter le paradis d'un seul coup http://salondouble.contemporain.info/article/emporter-le-paradis-dun-seul-coup <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-label">Auteur(s):&nbsp;</div> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/brousseau-simon">Brousseau, Simon</a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-biblio"> <div class="field-label">Référence bibliographique:&nbsp;</div> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/biblio/white-noise">White Noise </a> </div> <div class="field-item even"> <a href="/biblio/the-corrections">The Corrections</a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-dossier-referent"> <div class="field-label">Dossier Reférent:&nbsp;</div> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/dossier/critures-sous-influence-pr-sence-des-drogues-en-litt-rature-contemporaine">Écritures sous influence: présence des drogues en littérature contemporaine</a> </div> </div> </div> <!--break--><!--break--><p><br />&nbsp;</p> <p style="text-align: right;"><em>Bruce, I don't know how to say this without sounding a bit precious… but when I drink this sort of very special Scotch, I feel like I've been placed in the bipolar field of the sacred and the profane, the licit and the illicit, the religious and the blasphemous…</em> (Leyner, 1990: 83)<br />&nbsp;</p> <p><br />Il est tout de même étonnant de constater qu'on puisse lire les <em>Paradis artificiels</em> de Baudelaire sans se sentir dépaysé, et en ayant le sentiment qu'il décrit de façon assez exacte le rapport de nos contemporains à la drogue. Je crois que si ce texte est toujours actuel, c'est parce qu'il y a dans l'expérience de la drogue quelque chose de fondamental, quelque chose d'irréductible qui traverse les époques, et que Baudelaire a mis le doigt sur ce que serait, pour utiliser un mot démodé, <em>l'essence</em> de cette expérience. Baudelaire décrit magnifiquement la tentation que représente la drogue, la «volupté immédiate», «l'acuité de la pensée» qu'elle peut procurer. La tentation qui assaille l'homme, selon lui, repose sur son envie de trouver «les moyens de fuir, ne fût-ce que pour quelques heures, son habitacle de fange et […] d'emporter le paradis d'un seul coup.» Il y aurait donc, au cœur de la question de la drogue, un rapport de force entre le désir et le manque, entre l'idéalisme et le plancher des vaches, comme si ces deux états étaient en fait les charges positives et négatives d'une même réalité. La question, pour moi, devient donc de savoir comment les écrivains peuvent représenter cette dynamique fondamentale.<br /><br />La drogue est une question pour la littérature parce qu'elle porte en elle la possibilité d'ébranler la réalité, la conception que nous nous faisons de la réalité, et en cela, elle pose à sa façon le problème du <em>réalisme</em> littéraire. Les écrivains qui traitent de la drogue semblent presque toujours vouloir suggérer que les drogués ne sont pas ceux qu'on croit. Le drogué entretient de la sorte un rapport métonymique avec la société dans laquelle il se trouve. Évidemment, le rapport peut aussi être critique et disruptif, comme c'est le cas dans le discours de la contre-culture où la drogue s'inscrit dans une logique de la dépense férocement subversive: on fume, on boit, on se détruit de façon à livrer une véritable leçon <em>kunique</em><strong><a href="#note1a">[1]</a><a name="note1"></a></strong>&nbsp; à ceux pour qui la préservation du corps et des biens est une fin en elle-même. Dans tous les cas, la drogue est un moyen pour les écrivains de réfléchir à notre rapport au monde: déchirés entre le désir et le manque, nos contemporains connaissent eux aussi la compulsion, la tentation des objets qui chantent à l'unisson, comme dans un dessin animé de Disney qui aurait tourné au cauchemar: «Consomme-nous! Consomme-nous! Quand tout sera consumé, tu seras au Paradis.» Il est peut-être banal d'affirmer que tout peut potentiellement être une drogue: l'amour, le sexe, le café, le dessert, mais il l'est sans doute moins de pousser à termes le raisonnement. Le fait de s'investir affectivement dans la consommation laisse entrevoir une forme de vide. De quelle nature est ce vide? C'est la question que la drogue pose. Et comme il existe plusieurs sortes de drogues, il doit exister aussi plusieurs sortes de vide, ou plusieurs façons de s'y abandonner.<br /><br /><strong>*</strong><br /><br /><em>White Noise</em> (1985), le roman le plus familial de Don DeLillo, révèle une mécanique particulière de la drogue, et d'une façon qui me semble importante pour comprendre le contexte dans lequel s'écrivent plusieurs fictions américaines contemporaines. Don DeLillo met en scène un couple, Jack Gladley et Babette, dont la relation repose sur un pacte d'ouverture radicale à l'autre. Une seule question demeure tabou, se révélant toutefois peu à peu l'enjeu central du roman, à savoir leur peur mutuelle de mourir: «Who will die first?» Cette question devient rapidement un leitmotiv (voir par exemple p. 99-100). En fait, Jack et Babette souhaitent tous deux mourir avant l'autre, car la perspective de se retrouver seuls les terrifie. Je crois que cette peur de la mort n'est pas représentée par DeLillo comme étant propre à ce couple, mais qu'elle incarne au contraire un rapport contemporain à la mort qui s'inscrit dans un contexte social précis. Ce contexte est celui d'une certaine déréalisation du monde, le discours médiatique prenant peu à peu la place du tangible. C'est ce que représente «the most photographed barned in America» (p. 12), qui est devenue ironiquement le passage le plus commenté du roman de DeLillo, mais aussi cette déréliction du sujet contemporain que semble vouloir illustrer le romancier. La peur de la mort a une signification particulière lorsqu'elle s'inscrit dans une expérience existentielle dépourvue de sens, où l'humain est abandonné à lui-même dans un monde de signes: «I am the false character that follows the name around» (p. 17), affirme Jack.<br /><br />C'est dans ce contexte de thanatophobie domestique que la drogue surgit. On apprend que Babette expérimente depuis quelques temps le Dylar, une drogue conçue pour éliminer la peur de la mort. Pour avoir accès au Dylar, Babette accepte de tromper Jack avec un des scientifiques ayant mis au point cette drogue. Ce choix difficile montre à quel point son angoisse de la mort surplombe son existence: si elle décide de tromper son mari, c'est en quelque sorte par amour pour lui, afin de préserver l'harmonie de leur relation et du foyer familial. En agissant ainsi, Babette rejoue le pari mentionné par Baudelaire. La drogue touche toujours d'une façon ou d'une autre à l'absolu, et c'est parce que Babette est idéaliste qu'elle est prête à prendre les risques qui l'accompagnent. Cette drogue séduisante, on s'en doute, a malheureusement des effets secondaires incommodants: Babette est instable, passant du cynisme à l'affectuosité, et le Dylar semble rendre indiscernable la distinction entre les mots et les objets auxquels ils réfèrent. Il s'agit tout bonnement de l'envers de la situation contemporaine décrite par DeLillo: alors que la peur de la mort, la perte de sens de la vie s'inscrit dans une médiatisation incessante du réel, alors que le nuage toxique qui oblige les habitants à quitter la ville plonge ceux qui le respirent dans une étrange impression de déjà-vu, rendant l'expérience inauthentique, le médicament imaginé par DeLillo pour guérir l'angoisse de Babette fait coller les mots à leur signification. Et c'est là que réside toute l'intelligence romanesque de DeLillo, dans cette ambiguïté, dans le refus d'arrêter la réflexion une fois la critique du simulacre effectuée: l'inverse de la situation postmoderne, un monde où le Sens serait d'une limpidité absolue, n'est pas davantage souhaitable. Le constat est peut-être moins pessimiste que réaliste, et évidemment Babette ne peut <em>emporter le paradis d'un seul coup</em>. Sa relation à la drogue est métaphysique puisqu'elle trouve sa justification dans la volonté d'éradiquer la peur de la mort. Le roman de DeLillo montre bien qu'elle doit connaître l'angoisse, qu'elle ne peut y échapper puisque c'est le propre de la drogue que d'offrir des solutions temporaires à des problèmes qui eux, sont le plus souvent&nbsp; irrésolubles.<br /><br /><strong>*</strong><br /><br />Cette idée de DeLillo de réfléchir à la drogue comme appartenant également à la vie des gens ordinaires, et non pas seulement à la marge, est aussi présente dans <em>The Corrections</em> (2001) de Jonathan Franzen. Ce roman familial met aussi en scène une certaine angoisse de la mort, le père de la famille Alfred Lambert étant atteint du Parkinson. Cependant, je crois que c'est d'abord aux difficultés de communication que Franzen cherche à réfléchir, et dans le roman, il y a deux cas où la drogue intervient en tant que possibilité de pallier les difficultés communicationnelles des personnages.<br /><br />Chip, le fils d'Alfred et d'Enid, est un professeur de littérature qui vit une aventure avec une de ses étudiantes, Mélissa. À un moment de leur idylle amoureuse, ils partent en vacances et alors qu'il conduit, Mélissa offre à Chip un comprimé de <em>Mexican A</em>, qui se révèle rapidement être de l'ecstasy. S'en suit un assez long passage où le couple s'envoie en l'air durant plusieurs jours, Chip se sentant désinhibé comme il ne l'a jamais été. Malheureusement pour lui, il ne reste bientôt plus de <em>Mexican A</em> et son sentiment d'intense liberté laisse bientôt place à l'angoisse: il se sent grossier et dégoûtant d'avoir traité Mélissa comme un morceau de viande, et conclut finalement que le seul moyen de mettre fin à sa panique est de consommer à nouveau de l'ecstasy. Mélissa lui confirme qu'il n'en reste plus, et lui annonce qu'il est le seul à en avoir consommé, puisqu'elle faisait semblant en prenant plutôt des comprimés d'Advil:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p>"I never asked you to get that drug," he said.<br />"Not in so many words," she said.<br />"What do you mean by that?"<br />"Well, a fat lot of fun we were going to have without it."<br />Chip didn't ask her to explain. He was afraid she meant he'd been a lousy, anxious lover until he took Mexican A. He had, of course, been a lousy, anxious lover; but he'd allowed himself to hope she hadn't noticed. Under the weight of this fresh shame, and with no drug left in the room to alleviate it, he bowed his head and pressed his hands into his face. Shame was pushing down and rage was boiling up. (Franzen, 2001 : 63)</p> </blockquote> <p>Cet épisode où Chip se trouve confronté au fait qu'il a été un piètre amant met à nu une dynamique relationnelle que le roman ne cesse d'exploiter, c'est-à-dire l'incapacité de communiquer avec les proches. En fait, <em>The Corrections</em> pose cette question sans y apporter de véritable réponse, mais cet épisode de la drogue suggère qu'il est plus facile d'assouvir ses désirs seul, sans considération pour l'objet de ses désirs, (dans le cas de Chip, le terme d'objet est juste, puisqu'il pas question pour lui de considérer Mélissa comme étant un <em>sujet de désir</em>) que de tenter de les partager.<br /><br />Cette idée du désir d'une présence humaine, sexuelle ou amicale, sans avoir à se révéler en tant que sujet sensible est présente partout dans le roman. Gary, le frère aîné de Chip, est un riche banquier qui vit à Philadelphie et qui est dans le déni total par rapport à son état dépressif. Gary préfère de loin se quereller avec sa femme que de lui admettre qu'il est déprimé. En termes d'impossibilité de communiquer avec l'autre sa faiblesse, cette scène où Gary parle à son reflet est particulièrement signifiante: «"I am not clinically depressed," he told his reflection in the nearly dark bedroom window.&nbsp; With a great, marrow-taxing exertion of will, he stood up from Aaron's bed and sallied forth to prove himself capable of having an ordinary evening.» (Franzen, 2001 : 171) Un peu plus loin, en ce qui paraît être un clin d'œil à David Foster Wallace, Franzen représente Gary en train de vérifier dans le dictionnaire la définition de l'anhédonie<a href="#note2a"><strong>[2]</strong></a><a name="note2"></a>, «a psychological condition characterized by inability to experience pleasure in normally pleasurable acts.» (Franzen, 2001: 174)<br /><br />Je ne crois pas que ce soit un hasard si c'est Enid, la mère de Chip, qui se retrouve finalement à prendre l'antidépresseur <em>parfait</em> inventé par Franzen, l'Aslan. C'est elle qui incarne le centre névralgique de la famille, et c'est également la seule à faire des efforts afin de passer un dernier Noël où tous seraient réunis, avant qu'Alfred ne perde définitivement sa lucidité. Cependant, et cela est&nbsp; frappant à la lecture, elle ne parle jamais de ses angoisses profondes à ses enfants, qui de toute façon jugent ses caprices incommodants. Enid aurait développé une honte maladive quant à ses sentiments. L'Aslan, de la même façon que la <em>Mexican A</em>, a un effet désinhibant. «The drug, lui apprend le médecin, exerts a remarkable blocking effect on "deep" or "morbid shame".» (p. 339) On apprend par la suite que la compagnie ayant inventé l'Aslan cherche à développer différentes déclinaisons de son produit de base, afin de pouvoir virtuellement soigner tous les malaises psychologiques de notre société. Il y a l'Aslan «performance ultra», l'Aslan «pour adolescent», l'Aslan «club med», l'Aslan «séduction», etc. Ici, le réalisme de Franzen franchit la frontière entre le probable et le dystopique. Tout comme dans le roman de DeLillo, la présence de la drogue pose la question du rapport de force entre le désir et le manque, l'appauvrissement des rapports sociaux s'accompagnant d'un idéal de la relation parfaite. Cette oscillation entre les deux extrêmes que sont l'absence de communication et la relation totalement désinhibée, dégraissée de toute difficulté, est la logique relationnelle à laquelle s'intéresse le roman de Franzen. Le paradoxe qu'il y révèle est lourd de conséquence: la quête d'authenticité, la recherche de relations authentiques de ses personnages passe par l'artifice, l'écart qui les sépare des autres leur semblant irréductible. Condamnés à la solitude, ils consentent volontiers à l'illusion du bonheur chimique.<br /><br /><strong>*</strong><br /><br />Les exemples que j'ai commentés illustrent un rapport domestique à la drogue. Même s'il y a tout un monde qui sépare le désespoir des personnages de Franzen et l'enfer de l'alcoolisme et du crack décrit par James Frey dans <em>A Million Little Pieces</em><a href="#note3a"><strong>[3]</strong></a><a name="note3"></a>, je crois qu'une constante les relie. Ces textes qui explorent les questions posées par la drogue expriment à quel point celle-ci surgit dans l'expérience humaine comme possibilité de combler un désir, ou encore de répondre à une insatisfaction. Ces textes ont tous en commun de représenter la drogue comme une promesse: promesse d'oubli, promesse de plaisir, promesse d'une expérience idéale. Ultimement, la drogue représente pour les personnages une version concrète et palpable de l'espoir: autant dire la matérialisation d'une solution à un problème existentiel. Au fond, ces personnages ont en eux, comme la plupart d'entre nous, un fond d'idéalisme qui fait en sorte que la réalité est toujours un peu décevante. À l'extrémité de ce raisonnement, nous retrouvons James Frey et son personnage suicidaire pour qui la consommation de drogues devient le moyen de réfuter la réalité en vivant dans un monde psychotropique et solipsiste. Cette réfutation de la réalité n'est pas un acte nihiliste, il s'agit au contraire d'une tactique de préservation de soi, les relations humaines étant pour lui aussi pratiquement impossibles à concevoir: «More than anything, all I have ever wanted is to be close to someone. More than anything, all I have ever wanted is to feel as if I wasn't alone.» (p. 73)<br /><br />J'ai voulu suggérer ici que la drogue peut incarner en littérature une certaine forme d'insatisfaction à l'égard de la réalité. C'est là son pouvoir critique, voire subversif. Cet écart entre la réalité et le désir est aussi un thème cher aux écrivains. C'est pour combler cet écart qu'on écrit, qu'on lit de manière effrénée, tout comme c'est dans l'espoir de combler cet écart qu'on peut être séduit par la drogue. La littérature a cependant un pouvoir d'élucidation qui l'oppose radicalement à la <em>fuite</em> qu'on associe le plus souvent à la drogue. J'ai évoqué plus tôt l'idée que les drogués ne sont pas ceux qu'on pense. Mark Leyner, dans <em>My Cousin My Gastroenterologist</em>, a eu le génie d'associer le discours médiatique de la société de consommation à la drogue. Le sourire publicitaire est un sourire de drogué, mais il n'y a pas de panacée en vente libre dans les magasins de grande surface. Plus que tout, il faut se méfier de cet enthousiasme feint dont Leyner se moque ici:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p>These Methedrine suppositories are fantastic! I'm spinning through the apartment like a whirling dervish, finishing things I'd put off for months, cleaning the venetian blinds, defrosting the freezer, translating The Ring of the Nibelung into Black English, gluing a model aircraft carrier together for my little son. I'm writing to my congressman, doing push-ups, changing a light bulb as I floss my teeth and feed my fish with one hand, balance my checkbook with the other and scratch my borzoi's silky stomach with my big toe. The stimulatory effect of the suppositories is convulsive. I'm an exploding skeleton of kinetic vectors. (Leyner, p. 49)</p> </blockquote> <p>Cet extrait de My Cousin My Gastroenterologist (1990) illustre bien comment le discours médiatique contemporain joue, tout comme la drogue, sur cette tension entre le désir et le manque qui serait constitutive de l'expérience humaine. Cette parenté entre le monde légitime de la consommation, et celui nécessairement illégitime de la drogue, est fondamentale pour saisir le projet de DeLillo, de Franzen ou de James Frey. Ces auteurs ne sont pas dans une démarche didactique où il s'agirait d'exprimer à quel point la drogue est néfaste. Il s'agit au contraire pour eux de suggérer que l'idée selon laquelle l'incomplétude fondamentale de l'homme, son incomplétude ontologique peut être <em>guérie</em> par la consommation, s'est immiscée peu à peu dans le discours. Le monde que ces auteurs décrivent est un monde de promesses, et les humains qui y évoluent s'y agrippent. Je crois que ces auteurs cherchent aussi à suggérer que tout cela prend place dans une forme de solitude bizarre et pourtant terriblement caractéristique de l'époque: la solitude des gens qui se côtoient, qui habitent ensemble, qui s'aiment. Au fond, Babette n'a pas tellement besoin du Dylar pour vaincre son angoisse. Elle a surtout besoin de Jack pour ne pas être seule devant la mort. S'il est vrai que nous voulons tous <em>emporter le paradis d'un seul coup</em>, ces textes nous rappellent que nous ne voulons certainement pas nous y retrouver seuls.</p> <p>&nbsp;</p> <hr /> <p><strong>Bibliographie</strong></p> <p>DeLillo, Don, <em>White Noise</em>, New York, Penguin Books (Classics Deluxe Edition), 2009 [1985], 310 p.</p> <p>Foster Wallace, David, <em>Infinite Jest</em>, New York/Boston /London, Back Bay Books, Little, Brown and Company, 2006 [1996] 1079 p.</p> <p>Franzen, Jonathan, <em>The Corrections</em>, Toronto, Harper Perennial, 2005 [2001], 609 p.<br />Frey, James, A Million Little Pieces, New York, Doubleday, 2003, 385 p.</p> <p>Leyner, Mark, <em>My Cousin, My Gastroenterologist</em>, New York, Harmony Books, 1990, 154 p.</p> <p>Sloterdijk, Peter, <em>Critique de la raison cynique</em>, Paris, Christian Bourgeois éditeur, 1987. [1983], 670 p. [traduit de l'allemand par Hans Hilderbrand]</p> <p>&nbsp;</p> <p><a href="#note1" name="note1a"><strong>[1] </strong></a>Dans sa <em>Critique de la raison cynique</em>, Sloterdijk propose que dans une société où le mensonge règne, l'énonciation de vérités constitue un «moment agressif, une dénudation mal à propos.» (p. 21) Cette énonciation violente de la vérité par l'action plutôt que par l'abstraction serait le propre du kunisme, c'est-à-dire le cynisme dans son acception antique. Sans faire du drogué un philosophe en puissance, je crois qu'il y a dans son existence <em>d'en bas</em> quelque chose de profondément gênant pour ceux qui sont, comme l'écrit Sloterdijk, <em>tout à fait en haut</em>.&nbsp;</p> <p><br /><a href="#note2" name="note2a"><strong>[2] </strong></a>Ce terme clinique se trouve partout dans <em>Infinite Jest</em>, si bien qu'on peut avancer sans se tromper que Franzen fait ici référence à Wallace. Voir par exemple ce passage: «One of the really American things about Hal, probably, is the way he despises what it is he's really lonely for: this hideous internal self, incontinent of sentiment and need, that pulses and writhes just under the hip empty mask, anhedonia.» (Wallace, 1996: 695)</p> <p><a href="#note3"><strong>[3]</strong></a><a name="note3a"></a> Annie Monette signe d'ailleurs un texte sur le roman de James Frey dans ce dossier, «Performance toxicomaniaque : comment recoller ensemble des milliers petits bouts de soi».</p> <p>&nbsp;</p> Ambiguïté Contre-culture DELILLO, Don Divertissement États-Unis d'Amérique FOSTER WALLACE, David FRANZEN, Jonathan FREY, James Imaginaire médiatique Individualisme LEYNER, Mark Métadiscours Mort Postmodernité Publicité SLOTERDIJK, Peter Société de consommation Société du spectacle Roman Mon, 05 Nov 2012 00:19:36 +0000 Simon Brousseau 624 at http://salondouble.contemporain.info Les mélancomiques http://salondouble.contemporain.info/antichambre/les-m-lancomiques <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/joubert-lucie">Joubert, Lucie</a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-text field-field-soustitre"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> ou pourquoi les femmes en littérature ne font pas souvent rire </div> </div> </div> <div class="field field-type-filefield field-field-podcast"> <div class="field-label">Podcast:&nbsp;</div> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <embed height="15" src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/luciejoubertmars2012 - copie.mp3" autostart="false"></embed> </div> </div> </div> <div class="field field-type-filefield field-field-image"> <div class="field-label">Image:&nbsp;</div> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <div class="filefield-file"><img class="filefield-icon field-icon-image-jpeg" alt="icône image/jpeg" src="http://salondouble.contemporain.info/sites/all/modules/contrib/filefield/icons/image-x-generic.png" /><a href="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/lucie_joubert_web_3.jpg" type="image/jpeg; length=136302">lucie_joubert_web.jpg</a></div> </div> </div> </div> <p style="text-align: justify; ">On a beaucoup glosé sur la quasi-absence des femmes humoristes sur les scènes québécoises et françaises. Si la situation évolue depuis quelques années, la question reste toujours d’actualité quand on se tourne vers le texte littéraire. Où sont les auteures comiques? La difficulté à nommer ne serait-ce que quelques noms ou titres de roman comme exemples atteste une apparente et trompeuse rareté du rire féminin. Certes, les auteures qui font œuvre d’humour et d’esprit existent mais elles demeurent (elles et leurs textes) méconnues. Une des raisons qui expliquent ce malentendu se trouve du côté de la <em>nature</em> de l’humour qu’elles mettent de l’avant. En effet, l’esprit féminin puise partiellement, mais souvent, sa source dans une mélancolie née d’une expérience des déterminismes de la condition des femmes: la difficulté à se définir en tant que sujet social, la constatation d’une impuissance à changer le cours des choses, la conscience d’exprimer un point de vue qui ne touchera que la partie congrue d’un public tourné vers les «vraies affaires»</p> <p style="text-align: justify; ">Dans une telle optique, les femmes, en fines observatrices des travers de la société, font preuve d’un humour qui suscite un rire de connivence quelquefois un peu triste, loin des grands éclats en tout cas, mais qui revendique, dans sa lucidité même, la possibilité de changer la défaite en victoire par l’esprit, fût-il marqué par la mélancolie. Cette conférence se veut donc une invitation à relire ou découvrir des auteures comme, entre autres, Benoîte Groult, Christiane Rochefort, Amélie Nothomb, Monique Proulx, Hélène Monette, Marie-Renée Lavoie et Suzanne Myre.</p> <div id="myEventWatcherDiv" style="display:none;">&nbsp;</div> <div id="myEventWatcherDiv" style="display:none;">&nbsp;</div> http://salondouble.contemporain.info/antichambre/les-m-lancomiques#comments Absurde Adultère Aliénation ALLARD, Caroline Altérité Arts de la scène Arts de la scène Autodénigrement Autodérision BADOURI, Rachid BALZANO, Flora BARBERY, Muriel Belgique BEN YOUSSEF, Nabila BESSARD-BLANQUY, Olivier BISMUTH, Nadine BLAIS, Marie-Claire BOOTH, Wayne BOSCO, Monique BOUCHER, Denise Canada CARON, Julie CARON, Sophie Chick litt. / Littérature aigre-douce Condition féminine Conditionnements sociaux Culture populaire CYR, Maryvonne Désillusion Déterminismes Deuil DEVOS, Raymond Dialectisme hommes/femmes DION, Lise DIOUF, Boucar Discrimination Divertissement Études culturelles FARGE, Arlette Féminisme Féminité Femme-objet FEY, Tina France FRÉCHETTE, Carole Freud GAUTHIER, Cathy Genres sexuels GERMAIN, Raphaëlle GIRARD, Marie-Claude GROULT, Benoîte GROULT, Flora Histoire Humour Humour Humour littéraire Identité Improvisation Improvisation Industrie de l'humour Institution Ironie JACOB, Suzanne LAMARRE, Chantal LAMBOTTE, Marie-Claude LARUE, Monique LAVOIE, Marie-Renée LEBLANC, Louise Les Folles Alliées Les Moquettes Coquettes Littérature migrante Marchandisation Maternité Mélancolie MÉNARD, Isabelle MERCIER, Claudine MEUNIER, Claude et Louis SAÏA MONETTE, Hélène MPAMBARA, Michel MYRE, Suzanne NOTHOMB, Amélie OUELLETTE, Émilie Parodie Pastiche PEDNEAULT, Hélène Platon Pouvoir et domination PROULX, Monique Psychanalyse Psychologie Québec Représentation du corps Rire ROBIN, Régine ROCHEFORT, Christiane ROY, Gabrielle Satire Scatologie SCHIESARI, Juliana Séduction SMITH, Caroline Société de consommation Société du spectacle Sociologie Stand up comique Stand up comique STEINER, George Stéréotypes STORA-SANDOR, Judith Télévision Théâtre Théorie du discours Théories de la lecture TOURIGNY, Sylvie Tristesse VAILLANT, Alain VIGNEAULT, Guillaume Viol Violence Roman Théâtre Fri, 09 Mar 2012 14:12:02 +0000 Lucie Joubert 471 at http://salondouble.contemporain.info Les gros bras du conteur http://salondouble.contemporain.info/lecture/les-gros-bras-du-conteur <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/grenier-daniel">Grenier, Daniel</a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-biblio"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/biblio/the-four-fingers-of-death">The Four Fingers of Death</a> </div> </div> </div> <!--break--><!--break--><p> <span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>L&rsquo;exploration spatiale </strong></span></p> <p><em>The Four Fingers of Death</em>, le tr&egrave;s massif roman de l&rsquo;am&eacute;ricain Rick Moody, auteur de <em>The Ice Storm</em> et <em>The Black Veil</em>, est assez facile &agrave; r&eacute;sumer. Dans une longue introduction r&eacute;dig&eacute;e en 2026, le narrateur, un &eacute;crivain qui se qualifie d&rsquo;ultra-minimaliste <a name="renvoinote1" href="#note1"><strong>[1]</strong></a> appel&eacute; Montese Crandall explique comment il en est venu &agrave; &ecirc;tre l&rsquo;auteur de la nov&eacute;lisation de <em>The Four Fingers of Death</em>, la nouvelle version du film culte de 1963 <em>The Crawling Hand</em>&nbsp;<strong><a name="renvoinote2" href="#note2">[2]</a>.</strong></p> <p>La suite du roman de Moody est la nov&eacute;lisation en tant que telle, divis&eacute;e en deux parties <em>(Book I </em>et <em>Book II</em>), &eacute;crites de la plume de Crandall; la premi&egrave;re racontant, sous forme d&rsquo;entr&eacute;es de journal/blogue, les m&eacute;saventures d&rsquo;une &eacute;quipe d&rsquo;astronautes durant le voyage interplan&eacute;taire de plusieurs mois qu&rsquo;ils doivent faire pour se rendre sur Mars; la seconde d&eacute;crivant en d&eacute;tails les cons&eacute;quences effroyables de cette premi&egrave;re mission humaine de la NASA en vue de l&rsquo;exploitation et de la colonisation de la plan&egrave;te rouge. &Agrave; la page 702, apr&egrave;s avoir inscrit les mots <em>THE END</em>, Montese Crandall revient au premier plan, le temps d&rsquo;une courte postface qui cl&ocirc;t le livre.</p> <p>Bien entendu, on pourrait complexifier infiniment ce r&eacute;sum&eacute; b&ecirc;tement structurel en ajoutant des d&eacute;tails sur ce qui se d&eacute;roule &agrave; l&rsquo;int&eacute;rieur de chacune des parties. C&rsquo;est probablement ce que Moody aurait voulu, le roman s&rsquo;inscrivant r&eacute;solument, et d&egrave;s les premi&egrave;res lignes, dans une esth&eacute;tique de la surench&egrave;re, alors allons-y. </p> <p>Dans son introduction, Montese Crandall explique que ce contrat de nov&eacute;lisation est pour lui un moyen de sortir de sa zone de confort litt&eacute;raire et de reconqu&eacute;rir le respect de sa femme malade, &agrave; l&rsquo;article de la mort, qui vient de se faire transplanter des poumons. L&rsquo;id&eacute;e lui est venue lors d&rsquo;une conversation avec un homme myst&eacute;rieux se faisant appeler D. Tyrannosaurus qui, apr&egrave;s avoir assist&eacute; &agrave; la seule et unique lecture publique de Crandall, devient son ami et lui confie qu&rsquo;il travaille souvent &agrave; &eacute;crire ces versions romanc&eacute;es pour le compte de l&rsquo;industrie florissante des<em> e-books</em>. D. Tyrannosaurus vient d&rsquo;&ecirc;tre engag&eacute; pour romanciser un film de science-fiction &agrave; petit budget intitul&eacute; <em>The Four Fingers of Death</em> et Crandall lui propose de parier le contrat sur une partie d&rsquo;&eacute;chec qu&rsquo;il sait tr&egrave;s bien qu&rsquo;il va gagner, &eacute;tant un ancien champion du jeu. Le d&eacute;nouement cette partie ne sera r&eacute;v&eacute;l&eacute; explicitement que lors de la conclusion, mais on devine que Montese Crandall a effectivement gagn&eacute; puisque c&rsquo;est sa version romanc&eacute;e de <em>The Four Fingers of Death</em> que nous lisons. </p> <p>Une entr&eacute;e du journal/blogue de l&rsquo;astronaute Jed Richards, dat&eacute;e du 30 septembre 2025, ouvre la premi&egrave;re partie du r&eacute;cit lui-m&ecirc;me, c&rsquo;est-&agrave;-dire le &laquo;roman&raquo; qu&rsquo;a fait Montese Crandall &agrave; partir du film de s&eacute;rie B <em>The Four Fingers of Death</em>. Au cours de cette premi&egrave;re partie de plus de trois cents pages, &eacute;crite enti&egrave;rement sous la forme d&rsquo;un journal de bord adress&eacute; aux internautes int&eacute;ress&eacute;s &agrave; suivre la mission (qu&rsquo;il appelle affectueusement &laquo;kids&raquo;), le colonel Jed Richards raconte le d&eacute;roulement du voyage vers Mars et les complications qui ne tardent par &agrave; survenir. Trois vaisseaux sont en route vers Mars, s&eacute;par&eacute;s d&rsquo;une vingtaine de milliers kilom&egrave;tres les uns des autres, abritant neuf astronautes, &agrave; raison de trois &eacute;quipages de trois personnes. &Agrave; travers les commentaires et les &eacute;tats d&rsquo;esprits de Richards, le lecteur est invit&eacute; &agrave; suivre la mission de l&rsquo;int&eacute;rieur. Les relations avec la NASA se d&eacute;t&eacute;riorent alors que l&rsquo;&eacute;quipage est confront&eacute; &agrave; la folie, la d&eacute;pression et la parano&iuml;a. Et une fois sur Mars, les choses ne vont qu&rsquo;empirer. Une myst&eacute;rieuse bact&eacute;rie s&rsquo;attaque aux astronautes, mettant en p&eacute;ril le retour sur Terre, puisqu&rsquo;ils se mettent &agrave; s&rsquo;entretuer. La premi&egrave;re partie se cl&ocirc;t avec le d&eacute;part pr&eacute;cipit&eacute; et d&eacute;sesp&eacute;r&eacute;, en direct de Mars, de l&rsquo;unique astronaute encore sain d&rsquo;esprit, soit le narrateur Jed Richards.</p> <p>S&rsquo;ouvre ensuite la seconde partie du r&eacute;cit, mais pas avant que Montese Crandall n&rsquo;ait repris bri&egrave;vement les r&ecirc;nes de la narration afin de nous expliquer, dans une note de deux pages, que tout ce qu&rsquo;on vient de lire est en fait accessoire &agrave; la compr&eacute;hension de ce qui va suivre, qui est en fait la r&eacute;elle nov&eacute;lisation. Toute la premi&egrave;re partie est en fait une invention de sa part, son ajout personnel au sc&eacute;nario d&rsquo;un film qu&rsquo;il jugeait incomplet. Il a cru bon de situer l&rsquo;effroyable &eacute;pid&eacute;mie qui frappe la Terre en l&rsquo;&eacute;tayant d&rsquo;une longue explication, sorte de r&eacute;cit ant&eacute;rieur o&ugrave; le lecteur aurait acc&egrave;s au pourquoi du comment :</p> <div class="rteindent2"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Astute fans of the genre in whose field I am plowing [&hellip;] will notice I have already taken liberties in one very basic way. I mean, if it is my responsibility to render exactly the film in question, I have failed. All of this backstory about the Mars shot, on which I have just expended a number of pages, does not actually appear in the film. I plead guilty on this point. But do I need to defend myself? (p. 321)<br /> <br type="_moz" /><br /> </span></div> <p>Dans la seconde partie, la narration passe en mode extradi&eacute;g&eacute;tique et change constamment de registre, selon les multiples personnages, alternant entre une focalisation externe assez neutre et un discours indirect libre extr&ecirc;mement cibl&eacute;. Une galerie de protagonistes est ici pr&eacute;sent&eacute;e. Le r&eacute;cit nous les d&eacute;crit d&rsquo;abord un &agrave; un, pour ensuite y revenir en alternance, afin de nous raconter leurs destins crois&eacute;s. </p> <p>L&rsquo;arriv&eacute;e en catastrophe de la navette du colonel Jed Richards que la NASA a refus&eacute; de d&eacute;truire malgr&eacute; les avertissements r&eacute;p&eacute;t&eacute;s de l&rsquo;astronaute (qui se sait infect&eacute; par la bact&eacute;rie), et qui explose &agrave; la derni&egrave;re minute au-dessus du d&eacute;sert de l&rsquo;Arizona relie tous ses personnages. Le corps de Richards a &eacute;t&eacute; presque enti&egrave;rement pulv&eacute;ris&eacute;, mais comme la myst&eacute;rieuse bact&eacute;rie ayant d&eacute;cim&eacute; ses coll&egrave;gues a le pouvoir de r&eacute;animer les morts, un des bras de l&rsquo;astronaute se lib&egrave;re des d&eacute;combres et se met aussit&ocirc;t &agrave; semer la terreur, l&rsquo;infection et la mort dans la r&eacute;gion, jusqu&rsquo;&agrave; ce que le gouvernement am&eacute;ricain se voit dans l&rsquo;obligation d&rsquo;envisager des mesures radicales, pour ne pas dire nucl&eacute;aires, afin d&rsquo;enrayer la menace.</p> <p><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Les d&eacute;fauts m&eacute;caniques</strong></span></p> <p>Avant de poursuivre cette lecture, il est pertinent de citer le critique et auteur Dale Peck, qui a fait para&icirc;tre en 2004 le recueil d&rsquo;essais <em>Hatchet Jobs</em>, un br&ucirc;lot dans lequel il ridiculisait abondamment une certaine frange de la fiction am&eacute;ricaine contemporaine qu&rsquo;il qualifie d&rsquo; &laquo;hysterical realism&raquo;, l&rsquo;accusant d&rsquo;&ecirc;tre inutilement digressive, superficiellement critique des institutions et trop ouvertement comique et grotesque (dans le mauvais sens de &laquo;provocation facile&raquo;). Peck &eacute;crit par exemple :</p> <div class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">All I'm suggesting is that these writers (and their editors) see themselves as the heirs to a bankrupt tradition. A tradition that began with the diarrheic flow of words that is <em>Ulysses</em>; continued on through the incomprehensible ramblings of late Faulkner and the sterile inventions of Nabokov; and then burst into full, foul life in the ridiculous dithering of Barth and Hawkes and Gaddis, and the reductive cardboard constructions of Barthelme, and the word-by-word wasting of a talent as formidable as Pynchon's; and finally broke apart like a cracked sidewalk beneath the weight of the stupid &mdash; just plain stupid &mdash; tomes of DeLillo</span>.<a name="renvoinote3" href="#note3"><strong>[3]<br /> <br type="_moz" /><br /> </strong></a></div> <p>L&rsquo;essai de <em>Hatchet</em> Jobs consacr&eacute; &agrave; Moody commence avec la phrase suivante : &laquo;Rick Moody is the worst writer of his generation.&raquo; <a name="renvoinote4bis" href="#note4bis"><strong>[4]</strong></a> Un jugement aussi cavalier ne peut que faire sourire, Moody &eacute;tant consid&eacute;r&eacute; par la tr&egrave;s grande majorit&eacute; de ses pairs et des critiques comme une figure sinon importante, du moins respectable, des lettres am&eacute;ricaines des vingt derni&egrave;res ann&eacute;es. L&rsquo;invective adress&eacute;e par Peck &agrave; Moody, chouchou de la critique et des &eacute;crivains, &eacute;tait probablement un moyen pour Peck d&rsquo;attirer l&rsquo;attention sur ses id&eacute;es particuli&egrave;res, mais &agrave; la lecture de <em>The Four Fingers of Death</em>, on se demande s&rsquo;il n&rsquo;avait pas un peu raison, dans la mesure o&ugrave; l&rsquo;ouvrage de Moody semble rassembler, &agrave; la puissance dix, tous les d&eacute;fauts que reprochait Peck aux auteurs dont il traite.</p> <p>Lors d&rsquo;une entrevue pr&eacute;c&eacute;dant la sortie de son livre, Moody l&rsquo;avait d&eacute;crit comme un roman humoristique de 900 pages &agrave; propos d&rsquo;un bras d&eacute;sincarn&eacute; se d&eacute;roulant dans le d&eacute;sert en 2026 <a name="renvoinote4" href="#note4"><strong>[5]</strong></a>. Finalement, le roman ne fait <em>que</em> 725 pages mais, comme nous allons tenter de le d&eacute;montrer, c&rsquo;est peu dire qu&rsquo;il aurait pu &ecirc;tre encore bien plus court. </p> <p>&Agrave; sa d&eacute;charge, il est &agrave; noter que du point de vue d&rsquo;une &eacute;tude sur l&rsquo;imaginaire contemporain, le roman de Moody est une mine d&rsquo;or, un feu roulant d&rsquo;informations digestes et indigestes sur les obsessions d&eacute;finissant notre &eacute;poque et qui, &agrave; travers la fiction, sont projet&eacute;es dans un futur proche n&rsquo;&eacute;tant au fond qu&rsquo;une exaltation du pr&eacute;sent. On y traite du post-humain et de ses diverses d&eacute;clinaisons, de la fin de l&rsquo;histoire, des manipulations biotechnologiques, de la conqu&ecirc;te spatiale, du complexe militaro-industriel sino-indien, des d&eacute;rives religieuses et fanatiques; tout cela au sein d&rsquo;une fiction qui se veut plus grande que nature, pour ne pas dire <em>ob&egrave;se</em>. Comme le dit le narrateur Montese Crandall, qui &eacute;crit habituellement des textes de sept mots maximum, il s&rsquo;agirait ici de prendre le pouls de son &eacute;poque et de le traduire par le monumental r&eacute;cit fictif d&rsquo;une catastrophe invraisemblable ayant frapp&eacute; le d&eacute;sert de l&rsquo;Arizona.</p> <p>Or, le projet esth&eacute;tique de Crandall (et par extension celui de Moody) se lit trop comme un<em> tour de force</em> d&eacute;lib&eacute;r&eacute;, comme une sorte de d&eacute;monstration artificielle, plaqu&eacute;e, de l&rsquo;<em>id&eacute;e</em> d&rsquo;ambition litt&eacute;raire, pour &ecirc;tre vraiment satisfaisante. En effet, pour ambitieux qu&rsquo;il soit, le roman de Moody reste un exercice assez plat.&nbsp; </p> <p>La plupart des gros romans publi&eacute;s aux &Eacute;tats-Unis durant les derni&egrave;res d&eacute;cennies, qu&rsquo;on pense &agrave; <em>The Public Burning</em> de Robert Coover, &agrave; <em>Gravity&rsquo;s Rainbow</em> de Thomas Pynchon, &agrave; <em>Infinite Jest</em> de David Foster Wallace, ou encore au tout r&eacute;cent <em>The Instructions</em> de Adam Levin, se d&eacute;marquent par leur pr&eacute;tention &agrave; cr&eacute;er des univers autarciques dans lesquels le lecteur est appel&eacute; &agrave; entrer en acceptant de laisser derri&egrave;re lui ses rep&egrave;res habituels, ou encore de c&eacute;der toute la place &agrave; ces univers di&eacute;g&eacute;tiques de roman-monde. Il ne s&rsquo;agit pas tant de romans exp&eacute;rimentaux que de romans totalisants, encyclop&eacute;diques, cherchant &agrave;<em> &eacute;puiser</em>, d&rsquo;une certaine mani&egrave;re, la litt&eacute;rature et ses potentialit&eacute;s, comme le disait John Barth<a name="renvoinote5" href="#note5"><strong>[6]</strong></a>. C&rsquo;est dans cette lign&eacute;e de romans totaux que <em>The Four Fingers of Death</em> se place volontiers, en tant que projet esth&eacute;tique du moins &ndash; Moody ayant affirm&eacute; plusieurs fois vouloir rendre hommage ici &agrave; ces &oelig;uvres d&eacute;mesur&eacute;es qui ont berc&eacute; son apprentissage d&rsquo;&eacute;crivain, comme celle de Pynchon &ndash; mais &eacute;galement dans la lign&eacute;e (aussi pynchonnienne) du roman d&rsquo;anticipation humoristique et parodique, dont Kurt Vonnegut est le repr&eacute;sentant le plus typique. Le livre est d&rsquo;ailleurs d&eacute;di&eacute; &agrave; la m&eacute;moire de ce dernier, ce qui a bien s&ucirc;r amen&eacute; bien des commentateurs et critiques &agrave; parler d&rsquo;un roman vonnegutien. Pourtant, le seul aspect qui pourrait rapprocher un tant soit peu l&rsquo;univers de Vonnegut et celui de Moody est la figure de Montese Crandall, &eacute;crivain un peu path&eacute;tique et rat&eacute;, probablement inspir&eacute;e du romancier de science-fiction Kilgore Trout, qui appara&icirc;t dans plusieurs &oelig;uvres de Vonnegut, dont <em>Slaughterhouse Five </em>et <em>Breakfast of Champions</em>.</p> <p>Malheureusement, ce que Moody semble surtout avoir retenu de ces &oelig;uvres, c&rsquo;est une fascination pour la digression, un penchant pour la divagation et une obsession pour l&rsquo;humour scabreux. Le probl&egrave;me est que la digression semble plus une fin en soi qu&rsquo;un outil de travail et que la technique et l&rsquo;artillerie lourde d&rsquo;une volont&eacute; d&rsquo;atteindre une virtuosit&eacute; litt&eacute;raire, deviennent visibles partout. <br /> &nbsp;<br /> L&rsquo;incipit est un bon exemple de cette utilisation un peu fastidieuse de la digression. Crandall se met rapidement &agrave; divaguer, apr&egrave;s avoir ouvert la narration avec les phrases suivantes, &laquo;People often ask me where I get my ideas. Or on one occasion back in 2024 I was asked. This was at a reading in an old-fashioned used-media outlet right here in town, the store called Arachnids, Inc.&raquo; (p. 3) Le lecteur ne sera inform&eacute; sur la personne qui lui a pos&eacute; cette question qu&rsquo;apr&egrave;s un d&eacute;tour de plus de dix pages, une longue digression sur les cartes de baseball et l&rsquo;av&egrave;nement des premiers sportifs cybern&eacute;tiques au cours des d&eacute;cennies pr&eacute;c&eacute;dant le point de d&eacute;part temporel du r&eacute;cit.</p> <p>Il n&rsquo;y rien de particuli&egrave;rement choquant dans cette propension &agrave; digresser, bien s&ucirc;r, apr&egrave;s tout c&rsquo;est l&rsquo;une des forces et des caract&eacute;ristiques majeures d&rsquo;un grand pan de la litt&eacute;rature postmoderne des &Eacute;tats-Unis, mais le probl&egrave;me r&eacute;side dans le fait que ces tirades infinies ne sont finalement reli&eacute;es &agrave; rien, qu&rsquo;elles n&rsquo;aboutissent pas &agrave; une r&eacute;solution ou un effet de synth&egrave;se qui viendrait expliquer leur pr&eacute;sence. Par l&agrave; m&ecirc;me, elles finissent par laisser au lecteur une impression de futilit&eacute; compl&egrave;te, paraissant n&rsquo;avoir &eacute;t&eacute; &eacute;crite que dans le but d&rsquo;emp&ecirc;cher l&rsquo;action d&rsquo;avancer, en jouant de fa&ccedil;on st&eacute;rile sur l&rsquo;id&eacute;e d&rsquo;un r&eacute;cit spiralaire, c&rsquo;est-&agrave;-dire n&rsquo;ayant ni commencement ni fin et tournant sur lui-m&ecirc;me ind&eacute;finiment. Ceci tient surtout &agrave; un probl&egrave;me structurel, parce qu&rsquo;en s&eacute;parant ainsi son livre, en offrant la plume &agrave; un &eacute;crivain extr&ecirc;mement verbeux pour ensuite nous donner acc&egrave;s au roman que cet &eacute;crivain a r&eacute;dig&eacute;, Moody lui coupe la parole, en quelque sorte, et nous emp&ecirc;che de s&rsquo;int&eacute;resser correctement &agrave; ce qu&rsquo;il avait commenc&eacute; &agrave; raconter au cours de l&rsquo;introduction, &agrave; propos de sa vie et de ses opinions. Il n&rsquo;est en bout de ligne qu&rsquo;un &eacute;crivain rat&eacute; dont, de surcroit, nous devrons lire la longue &oelig;uvre int&eacute;grale. </p> <p>Une t&acirc;che ardue qui l&rsquo;est d&rsquo;autant plus que jamais au fil du texte cette longueur n&rsquo;est justifi&eacute;e par les propos tenus par Crandall, d&rsquo;abord au sujet du contrat qu&rsquo;il a sign&eacute; et ensuite au sujet de l&rsquo;&eacute;tat actuel de sa production personnelle et de la litt&eacute;rature en g&eacute;n&eacute;ral. En effet, si le contrat de nov&eacute;lisation stipule, comme le dit Crandall, qu&rsquo;il doit &eacute;crire en trois semaines un court texte compos&eacute; du sc&eacute;nario en ajoutant ici et l&agrave; quelques passages narratifs afin de le rendre agr&eacute;able &agrave; un lectorat branch&eacute; et logophobique, et si Montese Crandall est un sp&eacute;cialiste du texte r&eacute;duit &agrave; sa plus simple expression, le lecteur doit comprendre &agrave; la lecture du roman que Crandall a non seulement refus&eacute; d&rsquo;honorer ses engagements, mais qu&rsquo;il nie sa propre d&eacute;marche par le fait m&ecirc;me, offrant un texte extr&ecirc;mement touffu, charg&eacute;, interminable, qui n&rsquo;est pas du tout dans l&rsquo;air du temps, en 2026. Autrement dit, d&rsquo;un point de vue purement structurel, rien ne justifie ni ne l&eacute;gitime les explications de Montese Crandall, po&egrave;te minimaliste obs&eacute;d&eacute; par la perfection dans la retenue, persuad&eacute; d&rsquo;&eacute;crire une &oelig;uvre au diapason de son &eacute;poque num&eacute;rique, fragmentaire, se transformant soudainement en conteur loquace au bras longs et &agrave; la verve quasi imparable.<br /> <span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong><br /> Les rat&eacute;s de l&rsquo;envol&eacute;e</strong></span></p> <p>Comme nous l&rsquo;avons dit plus haut, cette &laquo;&oelig;uvre int&eacute;grale&raquo; de Montese Crandall que nous lirons aurait donc d&ucirc; &ecirc;tre la version romanesque du film <em>The Four Fingers of Death</em>, lui-m&ecirc;me une nouvelle version d&rsquo;un film culte de 1963, <em>The Crawling Hand</em>. </p> <p>En fait, Montese Crandall, apr&egrave;s avoir h&eacute;rit&eacute; du contrat de nov&eacute;lisation, se lance dans la r&eacute;daction de son livre en se permettant des libert&eacute;s, et nous le laisse savoir, lui qui va jusqu&rsquo;&agrave; inventer de toute pi&egrave;ce la premi&egrave;re partie. Et on finit par comprendre que le &laquo;roman&raquo; n&rsquo;a plus grand-chose &agrave; voir avec le &laquo;sc&eacute;nario&raquo; duquel il est suppos&eacute; s&rsquo;inspirer, puisqu&rsquo;il n&rsquo;a pu s&rsquo;emp&ecirc;cher d&rsquo;y mettre du sien:</p> <div class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Similarly, in the film <em>The Four Fingers of Death</em> the entire action takes place in the San Diego area. I felt I had no choice but to remove the story to a location I know more about &ndash; Rio Blanco itself. One ought to write about what one knows, correct? The desert of my part of the world, after all, is more like Mars, which always forces one to reflect back on when it might have had water, as it once apparently did. [&hellip;] So the Mars of <em>The Four Fingers of Death</em> is really just the contemporary American Southwest, the Southwest of 2025 or thereabouts, with its parboiled economy, its negative population growth, its environmental destruction, its deforestation, its smoldering political rage. (p. 321)<br /> <br type="_moz" /><br /> </span></div> <p>Bien entendu, il s&rsquo;agit ici d&rsquo;une mise en ab&icirc;me repr&eacute;sentant habilement les libert&eacute;s prisent par Moody lui-m&ecirc;me dans son adaptation loufoque et tentaculaire de <em>The Crawling Hand</em> qu&rsquo;est en v&eacute;rit&eacute; ce livre que nous tenons entre nos mains.</p> <p>Au fond, et c&rsquo;est l&agrave; le probl&egrave;me central, tout le projet esth&eacute;tique (qu&rsquo;on parle de celui de Crandall ou de celui de Moody, ce qui revient au m&ecirc;me dans ce cas) r&eacute;side dans l&rsquo;id&eacute;e qu&rsquo;il est possible de faire de la grande litt&eacute;rature <em>&agrave; partir </em>d&rsquo;un mauvais film, qu&rsquo;il est possible de faire de l&rsquo;humour raffin&eacute; <em>&agrave; partir</em> de clich&eacute;s &eacute;cul&eacute;s de science-fiction, qu&rsquo;il est possible de cr&eacute;er une &oelig;uvre transcendante <em>&agrave; partir</em> d&rsquo;une &oelig;uvre de mauvais go&ucirc;t. Rick Moody n&rsquo;est pas le premier &agrave; tenter de travailler sur la fronti&egrave;re entre la culture de masse et la culture d&rsquo;&eacute;lite en proposant un roman dit &laquo;litt&eacute;raire&raquo;, difficile, qui prend sa source directement dans une manifestation culturelle populaire (on pense tout de suite au <em>Don Quichotte</em> de Cervant&egrave;s), mais il devient avec<em> The Four Fingers of Death</em>, un de ceux qui ne sont pas parvenus &agrave; bien exploiter la tension entre les deux. Peut-&ecirc;tre que le probl&egrave;me se situe dans l&rsquo;id&eacute;e de s&rsquo;&ecirc;tre inspir&eacute; ouvertement d&rsquo;une &oelig;uvre pr&eacute;-existante dont il a le projet double et paradoxal de se moquer et d&rsquo;hommager. </p> <p>Parce qu&rsquo;en bout de ligne, son long roman reste le r&eacute;cit d&eacute;bilitant, grotesque et pas tr&egrave;s int&eacute;ressant qu&rsquo;il &eacute;tait au d&eacute;part dans le film de Herbert L. Strock, celui d&rsquo;un bras assassin qui se d&eacute;place tout seul et qui attrape et/ou &eacute;trangle et/ou masturbe ses victimes. Que l&rsquo;histoire de ce bras porteur d&rsquo;une bact&eacute;rie tueuse soit envelopp&eacute;e d&rsquo;une myriade d&rsquo;anecdotes allant de la plus farfelue (un chimpanz&eacute; s&rsquo;exprimant dans le meilleur anglais d&rsquo;Oxford, amoureux de sa ma&icirc;tresse) &agrave; la plus &laquo;tragique&raquo; (un scientifique tentant d&eacute;sesp&eacute;r&eacute;ment de faire revivre sa d&eacute;funte femme en d&eacute;tournant ses fonds de recherche sur les cellules souches) ne change rien &agrave; sa maigreur initiale. </p> <p><em>The Four Fingers of Death</em> est un roman qui n&rsquo;aboutit pas et qui n&rsquo;&eacute;puise rien. Ce n&rsquo;est pas un livre qui prend le pouls de son &eacute;poque, comme l&rsquo;aurait souhait&eacute; Montese Crandall, son auteur putatif. Au lieu d&rsquo;&ecirc;tre une &oelig;uvre exigeante, porteuse d&rsquo;une r&eacute;flexion sur le monde contemporain, c&rsquo;est une &oelig;uvre qui h&eacute;site constamment entre le clich&eacute; facile de l&rsquo;ironique et de l&rsquo;antiphrase et une pseudo lourdeur m&eacute;ta-discursive (qui au fond ne se retrouve que dans le poids du livre lui-m&ecirc;me). Rick Moody a &eacute;crit un roman qui laisse une fausse <em>impression</em> de densit&eacute;, mais qui se lit de fa&ccedil;on tr&egrave;s lin&eacute;aire et qui n&rsquo;est complexe ni dans sa structure narrative, ni dans les th&egrave;mes qu&rsquo;il aborde. Un roman o&ugrave; tout s&rsquo;empile et o&ugrave; rien ne s&rsquo;imbrique.&nbsp;&nbsp;&nbsp; </p> <hr /> <br /> <a name="note1" href="#renvoinote1"><strong>[1]</strong></a>&nbsp; Crandall explique que comme la litt&eacute;rature &agrave; l&rsquo;&egrave;re virtuelle s&rsquo;est dirig&eacute;e de plus en plus vers une pratique de la fragmentation et du r&eacute;cit court, il en est venu &agrave; un minimalisme extr&ecirc;me prenant la forme d&rsquo;une &eacute;puration de ses textes au point de ne rester qu&rsquo;avec une seule phrase, cisel&eacute;e au point d&rsquo;&ecirc;tre parfaite, la fronti&egrave;re entre prose et po&eacute;sie : &laquo;Upon the advent of the digital age, as you know, writers who went on and on just didn&rsquo;t<em> last</em>. You couldn&rsquo;t read all that nonsense on a screen. Fragmentation became the right true way. Fragmentation offered a point-and-click interface. Additionally, this strategic reduction blurred the line between poetry and prose which is where I, Montese Crandall, come into the story.&raquo; (p. 8) <p><a name="note2" href="#renvoinote2"><strong>[2]</strong></a>&nbsp; <em>The Crawling Hand</em> est un vrai film de science-fiction tourn&eacute; en 1963, r&eacute;alis&eacute; par Herbert L. Strock et mettant en vedette Peter Breck, Kent Taylor et Sirry Steffen. Pour consulter la fiche IMDB : <a href="http://www.imdb.com/title/tt0056961/ ">http://www.imdb.com/title/tt0056961/ </a></p> <p><a name="note3" href="#renvoinote3"><strong>[3]</strong></a>&nbsp; Peck, Dale, &laquo;The Moody Blues&raquo;,<span style="font-style: italic;"> Hatchet Jobs, </span><em><span style="font-style: italic;">New York, The New Press, 2004, p. 184-185</span></em>. Dans son livre, Peck pr&eacute;tend entre autres que les &laquo;probl&egrave;mes&raquo; de la litt&eacute;rature am&eacute;ricaine contemporaine ont r&eacute;ellement commenc&eacute;s il y a une trentaine d&rsquo;ann&eacute;es avec la publication de <em>Gravity&rsquo;s Rainbow</em>, de Thomas Pynchon, qui aurait donn&eacute; lieu &agrave; une &eacute;poque marqu&eacute;e par des &laquo;chef-d&rsquo;&oelig;uvres&raquo; froids et auto-indulgents.</p> <p><a name="note4bis" href="#renvoinote4bis"><strong>[4]</strong></a> <em>Ibid.</em>, p. 170.</p> <p><a name="note4" href="#renvoinote4"><strong>[5]</strong>&nbsp;</a> &laquo;Anyway, the result is a 900 page comic novel about a disembodied arm set in the desert in 2026.&raquo; Cit&eacute; dans &laquo;Interview : Rick Moody&raquo;, <em>Night Train Magazine</em>. Url : <a href="http://www.nighttrainmagazine.com/contents/moody_int.php">http://www.nighttrainmagazine.com/contents/moody_int.php</a>. Consult&eacute; le 2 f&eacute;vrier 2011.</p> <p><a name="note5" href="#renvoinote5"><strong>[6]</strong></a>&nbsp; Voir John Barth, &laquo;The Literature of Exhaustion&raquo;, <em>The Friday Book</em>, New York, Putnam, 1984. </p> <p></p> http://salondouble.contemporain.info/lecture/les-gros-bras-du-conteur#comments Autorité narrative BARTH, John Cinéma Contemporain COOVER, Robert Culture populaire Déclin de la littérature Divertissement États-Unis d'Amérique Fabulation Fiction FOSTER WALLACE, David Guerre Imaginaire technologique LEVIN, Adam MOODY, Rick Post-histoire PYNCHON, Thomas Violence VONNEGUT Jr, Kurt Roman Sun, 20 Mar 2011 14:30:10 +0000 Gabriel Gaudette 332 at http://salondouble.contemporain.info Ces poussières faites pour troubler l'oeil http://salondouble.contemporain.info/lecture/ces-poussieres-faites-pour-troubler-loeil <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/brousseau-simon">Brousseau, Simon</a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-biblio"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/biblio/infinite-jest">Infinite Jest</a> </div> </div> </div> <!--break--><!--break--> <div class="rteindent1 rteright">Come, come, and sit you down, you shall not budge.<br /> You go not till I set you up a glass<br /> Where you may see the inmost part of you.<br /> &mdash; Shakespeare, <em>Hamlet</em></div> <div> Peu de temps apr&egrave;s la publication d&rsquo;<em>Infinite Jest</em>, David Foster Wallace (DFW) discutait de son roman avec Michel Silverblatt &agrave; l&rsquo;&eacute;mission radiophonique <em>Bookworm</em><a name="note1" href="#note1a">[1]</a>. Interrog&eacute; sur ses motivations quant &agrave; l&rsquo;&eacute;criture d&rsquo;une &oelig;uvre d&rsquo;une telle ampleur&mdash;on parle d&rsquo;un texte faisant 1079 pages&mdash;, DFW affirme avoir voulu &eacute;crire un livre aussi amusant qu&rsquo;exigeant, et insiste sur l&rsquo;importance qu&rsquo;il accorde &agrave; l&rsquo;<em>effort</em> de lecture, avan&ccedil;ant que la relation du sujet contemporain &agrave; la culture se vivrait le plus souvent dans le confort de la facilit&eacute;. Ce rapport de facilit&eacute; &agrave; la culture est incarn&eacute; principalement, toujours selon DFW, par la t&eacute;l&eacute;vision et le cin&eacute;ma populaire, qu&rsquo;il range sans vergogne dans la cat&eacute;gorie du &laquo;low art&raquo;. Il s&rsquo;agit d&rsquo;&oelig;uvres divertissantes dont le but avou&eacute; est non seulement de r&eacute;pondre &agrave; l&rsquo;urgent besoin de plaisir qui habite l&rsquo;humain, mais aussi, bien s&ucirc;r, de g&eacute;n&eacute;rer des profits en y r&eacute;pondant: &laquo;TV and popular film and most kinds of &quot;low&quot; art&mdash;which just means art whose primary aim is to make money&mdash;is lucrative precisely because it recognizes that audiences prefer 100 percent pleasure to the reality that tends to be 49 percent pleasure and 51 percent pain<a name="note2" href="#note2a">[2]</a>.&raquo; <p>Un roman de l&rsquo;envergure d&rsquo;<em>Infinite Jest</em> repose sur le projet de s&rsquo;opposer &agrave; la facilit&eacute; de l&rsquo;art divertissant, tant par sa structure narrative complexe et par les th&egrave;mes qui y sont abord&eacute;s que par l&rsquo;engagement que sa lecture implique. Le nombre d&rsquo;heures n&eacute;cessaires &agrave; la lecture de cette brique agit de fa&ccedil;on d&eacute;cisive sur le lecteur, l&rsquo;exposant longuement &agrave; la tristesse du sujet contemporain qui appara&icirc;t, au fil du texte, &ecirc;tre l&rsquo;un des fils reliant entre eux les nombreux personnages de l&rsquo;histoire<a name="note3" href="#note3a">[3]</a>. C&rsquo;est pourquoi il me semble pertinent d&rsquo;aborder ici ce roman qui, bien qu&rsquo;ayant &eacute;t&eacute; publi&eacute; il y a quinze ans, demeure d&rsquo;une actualit&eacute; criante, tant par la r&eacute;flexion qu&rsquo;il propose sur la culture contemporaine que par le regard critique qu&rsquo;il porte sur l&rsquo;&eacute;criture de fiction. </p> <p><em>Infinite Jest</em> se d&eacute;ploie en un &eacute;cheveau et il est n&eacute;cessaire d&rsquo;en d&eacute;gager les fils narratifs principaux avant de poursuivre. L&rsquo;histoire se d&eacute;roule dans un futur<a name="note4" href="#note4a">[4]</a> o&ugrave; les ann&eacute;es ne sont plus compt&eacute;es en nombres, mais portent plut&ocirc;t le nom de diverses compagnies ayant pay&eacute; des droits pour, litt&eacute;ralement, passer &agrave; l&rsquo;histoire. Le c&oelig;ur du r&eacute;cit se d&eacute;roule lors de <em>The Year of the Depend Adult Undergarment</em><a name="note5" href="#note5a">[5]</a>. Le roman contient trois trames narratives principales qui se recoupent en de nombreux chass&eacute;s-crois&eacute;s. La premi&egrave;re trame concerne une acad&eacute;mie de tennis, Enfield Tennis Academy, o&ugrave; &eacute;tudie Hal Incandenza, un jeune surdou&eacute; &agrave; la m&eacute;moire exceptionnelle qui poss&egrave;de une vaste culture, en plus d&rsquo;&ecirc;tre d&eacute;pendant &agrave; la marijuana. La deuxi&egrave;me trame expose la vie des pensionnaires d&rsquo;un centre de r&eacute;habilitation pour drogu&eacute;s et alcooliques, Ennet House, qui se trouve en bas de la colline o&ugrave; est situ&eacute;e l&rsquo;acad&eacute;mie Enfield. Don Gately, un ex-toxicomane travaillant pour le centre, occupe une place importante dans cette partie. Finalement, une troisi&egrave;me trame met en sc&egrave;ne Marathe, un membre des <em>Assassins des Fauteuils Rollents</em>, ce groupe de terroristes qu&eacute;b&eacute;cois souhaitant que le Qu&eacute;bec se s&eacute;pare de l&rsquo;ONAN<a name="note6" href="#note6a">[6]</a> (Organization of North American Nations), c&rsquo;est-&agrave;-dire l&rsquo;union politique du Canada, des &Eacute;tats-Unis et du Mexique. Il faut pr&eacute;ciser que ces trois trames principales sont accompagn&eacute;es de nombreuses sc&egrave;nes secondaires o&ugrave; l&rsquo;on rencontre divers personnages qui ne participent pas de fa&ccedil;on directe &agrave; l&rsquo;intrigue. D&rsquo;ailleurs, l&rsquo;emploi du terme &laquo;intrigue&raquo; ne rend pas justice &agrave; la logique qui pr&eacute;vaut dans <em>Infinite Jest</em>, o&ugrave; l&rsquo;enjeu lectural ne se situe pas tant dans la d&eacute;couverte d&rsquo;un d&eacute;nouement que dans l&rsquo;exploration d&rsquo;une exp&eacute;rience collective du r&eacute;el, de la tristesse de ce r&eacute;el et des personnages qui l&rsquo;habitent. </p> <p>Il est &eacute;vident qu&rsquo;un commentaire de quelques pages ne peut suffire &agrave; donner ne serait-ce qu&rsquo;une id&eacute;e g&eacute;n&eacute;rale d&rsquo;<em>Infinite Jest</em>. Il me semble n&eacute;anmoins important de discuter, m&ecirc;me bri&egrave;vement, la fa&ccedil;on dont DFW pose la question de l&rsquo;empathie et de la place qu&rsquo;elle devrait occuper dans le travail du romancier contemporain. Pour le dire sans d&eacute;tour, l&rsquo;&eacute;crivain reproche &agrave; son &eacute;poque de favoriser un rapport individualiste &agrave; la r&eacute;alit&eacute;, renfor&ccedil;ant le penchant naturel qu&rsquo;aurait l&rsquo;individu &agrave; se consid&eacute;rer comme &eacute;tant le centre du monde. L&rsquo;empathie est d&eacute;crite par DFW comme &eacute;tant cette capacit&eacute;, cet effort que l&rsquo;humain peut et doit fournir, afin de se d&eacute;centrer et de pouvoir ainsi acc&eacute;der &agrave; l&rsquo;autre. Cet effort, cette volont&eacute; de penser le monde &agrave; partir de l&rsquo;autre est, pour DFW, <em>la vraie libert&eacute;</em>, et il en fait un projet d&rsquo;&eacute;criture: &laquo;The really important kind of freedom involves attention, and awareness, and discipline, and effort, and being able truly to care about other people and to sacrifice for them, over and over, in myriad petty little unsexy ways, every day. This is real freedom<a name="note7" href="#note7a">[7]</a>.&raquo; On le comprend, cette libert&eacute; &eacute;voqu&eacute;e par DFW implique un rejet du culte du moi et de l&rsquo;&eacute;gocentrisme qui r&eacute;gissent &agrave; bien des &eacute;gards les rapports sociaux de notre &eacute;poque. En ce sens, ses propos rejoignent la th&egrave;se d&eacute;fendue par Christopher Lasch dans <em>The Culture of Narcissism: American Life in an Age of Diminishing Expectations</em>, &agrave; savoir que l&rsquo;individu contemporain, en se repliant toujours plus sur soi-m&ecirc;me, devient inapte &agrave; conf&eacute;rer un sens &agrave; son existence, qu&rsquo;il appr&eacute;hende le plus souvent avec anxi&eacute;t&eacute;: &laquo;The new narcissist is haunted not by guilt but by anxiety. He seeks not to inflict his own certainties on others but to find a meaning in life. Liberated from the superstitions of the past, he doubts even the reality of his own existence<a name="note8" href="#note8a">[8]</a>.&raquo;</p> <p>Cette conception de l&rsquo;empathie, transpos&eacute;e dans l&rsquo;&eacute;criture romanesque, se traduit en un effort soutenu pour cerner la singularit&eacute; des diff&eacute;rents maux qui affligent les sujets contemporains: les angoisses li&eacute;es aux pressions sociales, la consommation de drogue v&eacute;cue comme moyen d&rsquo;&eacute;chapper &agrave; la vie imm&eacute;diate en alt&eacute;rant un r&eacute;el per&ccedil;u comme &eacute;tant l&rsquo;insupportable m&ecirc;me, sans oublier ces d&eacute;pressions s&rsquo;enracinant dans la banalit&eacute; du quotidien, d&eacute;voilant ce que ce mal-&ecirc;tre a de plus troublant, c&rsquo;est-&agrave;-dire le fait qu&rsquo;il soit incontournable. Cette attention soutenue, ce regard qui s&rsquo;efforce de comprendre la souffrance de fa&ccedil;on litt&eacute;rale et empathique, sans ironie ou cynisme, est pour DFW un authentique projet d&rsquo;&eacute;criture romanesque. Il s&rsquo;oppose par exemple &agrave; l&rsquo;&eacute;criture de Bret Easton Ellis, &agrave; qui il reproche de <em>seulement d&eacute;peindre</em> la noirceur du monde dans lequel on vit, sans toutefois chercher &agrave; proposer des possibilit&eacute;s de rendre le monde habitable. C&rsquo;est ce qu&rsquo;il d&eacute;plore du c&eacute;l&eacute;brissime et controvers&eacute; roman de Bret Easton Ellis, <em>American Psycho</em> (1993): </p></div> <div class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Really good fiction could have as dark a worldview as it wished, but it&rsquo;d find a way both to depict this world and to illuminate the possibilities for being alive and human in it. You can defend <em>Psycho</em> as being a sort of performative digest of late-eighties social problems, but it&rsquo;s no more than that<a name="note9" href="#note9a">[9]</a>.</span></div> <div> Mais DFW ne s&rsquo;oppose pas seulement aux &eacute;critures qui s&rsquo;&eacute;vertuent &agrave; d&eacute;peindre le monde dans sa noirceur. Cette id&eacute;e de l&rsquo;importance de l&rsquo;empathie et d&rsquo;un effort sinc&egrave;re pour comprendre les humains va de pair avec un rejet d&rsquo;une certaine pratique de la m&eacute;tafiction o&ugrave; la prouesse formelle devient une fin en elle-m&ecirc;me. DFW en fait m&ecirc;me une avenue possible pour d&eacute;passer la m&eacute;tafiction, dont on conna&icirc;t l&rsquo;importance aux &Eacute;tats-Unis. Celui-ci &eacute;voque plusieurs &eacute;crivains, dont William T. Vollmann, Loorie Moore et Jonathan Franzen<a name="note10" href="#note10a">[10]</a>, qui appartiennent selon lui &agrave; cette nouvelle g&eacute;n&eacute;ration qui cherche &agrave; se d&eacute;barrasser des m&eacute;canismes de la m&eacute;tafiction, notamment de son ironie. Pour l&rsquo;auteur, il y a une distinction importante &agrave; faire entre l&rsquo;&eacute;criture et la lecture de texte qui fonctionnent en circuit ferm&eacute; (la fascination du monde universitaire pour les dispositifs narratifs, ind&eacute;pendamment des id&eacute;es qu&rsquo;ils supportent, en est un bon exemple) et les textes qui parlent du monde. Rejetant en bloc les discours visant &agrave; valider l&rsquo;&eacute;criture de fiction par le biais de pirouettes narratives exposant la sagacit&eacute; de l&rsquo;&eacute;crivain et sa compr&eacute;hension des m&eacute;canismes de l&rsquo;&eacute;criture, DFW adopte une posture r&eacute;solument du c&ocirc;t&eacute; de la vie, aux antipodes du solipsisme de ce qu&rsquo;il consid&egrave;re &ecirc;tre le propre de la mauvaise m&eacute;tafiction, c&rsquo;est-&agrave;-dire le retournement de l&rsquo;&eacute;criture sur l&rsquo;&eacute;criture, ce cercle parfait duquel la vie est exclue:</div> <div class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><em>Fiction&rsquo;s about what it is to be a fucking human being.</em> If you operate, which most of us do, from the premise that there are things about the contemporary U.S. that make it distinctively hard to be a real human being, then maybe half of fiction&rsquo;s job is to dramatize what it is that makes it tough. The other half is to dramatize the fact that we still &quot;are&quot; human beings, now. Or can be<a name="note11" href="#note11a">[11]</a>. (Je souligne.)</span></div> <div> Cet appel &agrave; l&rsquo;ouverture et &agrave; l&rsquo;empathie peut, a priori, sembler clich&eacute; et moralisateur. Je pr&eacute;f&egrave;re pour ma part y voir une prise de position philosophique s&eacute;rieuse qui s&rsquo;appuie sur un constat troublant et difficilement r&eacute;futable, soit celui d&rsquo;un amenuisement des rapports sociaux r&eacute;ifiant le sujet contemporain en le r&eacute;duisant &agrave; une fonction qui l&rsquo;isole,&nbsp;celle du travailleur/consommateur. En cela, il me semble &eacute;galement que la r&eacute;flexion romanesque dans laquelle DFW s&rsquo;engage est &agrave; mettre en parall&egrave;le avec le travail amorc&eacute; par Peter Sloterdijk dans sa trilogie des <em>Sph&egrave;res</em>, par lesquelles celui-ci s&rsquo;&eacute;vertue &agrave; repenser l&rsquo;existence humaine en termes de relations et de transferts. Cette phrase, qui r&eacute;sume bien l&rsquo;esprit dans lequel est r&eacute;dig&eacute;e cette trilogie, pourrait sans l&rsquo;ombre d&rsquo;un doute se trouver en exergue d&rsquo;<em>Infinite Jest</em>: &laquo;Il faut &ecirc;tre au moins deux pour constituer une subjectivit&eacute; r&eacute;elle<a name="note12" href="#note12a">[12]</a>.&raquo; <p>&Ecirc;tre humain, dans <em>Infinite Jest</em>, c&rsquo;est &ecirc;tre l&rsquo;ar&egrave;ne o&ugrave; combattent, bien souvent jusqu&rsquo;&agrave; la mort&mdash;par suicide, &eacute;videmment&mdash;, le d&eacute;sespoir et l&rsquo;envie d&rsquo;&eacute;chapper &agrave; une condition jug&eacute;e insupportable. En ce sens, il est juste de dire que ce roman propose une vision tragique du monde; l&rsquo;emprunt du syntagme &laquo;Infinite Jest&raquo; au <em>Hamlet</em> de Shakespeare invite &agrave; suivre cette piste d&egrave;s le titre<a name="note13" href="#note13a">[13]</a>. Cette affirmation m&eacute;rite tout de m&ecirc;me d&rsquo;&ecirc;tre nuanc&eacute;e; il y a une ind&eacute;niable part de grotesque aux sc&egrave;nes tragiques, dans<em> Infinite Jest</em>, grotesque qui ne peut qu&rsquo;entra&icirc;ner le malaise du lecteur. Il suffit de penser au suicide du p&egrave;re Incandenza qui, bien que tragique, n&rsquo;&eacute;chappe pas au grotesque, celui-ci se donnant la mort en se faisant cuire la t&ecirc;te dans le four &agrave; micro-ondes. Il est difficile d&rsquo;&eacute;voquer cette copr&eacute;sence du grotesque et du tragique sans mentionner Schopenhauer, qui affirme, dans <em>Le monde comme volont&eacute; et comme repr&eacute;sentation</em>, qu&rsquo;il s&rsquo;agit l&agrave; du propre de l&rsquo;existence humaine: </p></div> <div class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">La vie de chacun de nous, &agrave; l&rsquo;embrasser dans son ensemble d&rsquo;un coup d&rsquo;&oelig;il, &agrave; n&rsquo;en consid&eacute;rer que les traits marquants, est une v&eacute;ritable trag&eacute;die; mais quand il faut, pas &agrave; pas, l&rsquo;&eacute;puiser en d&eacute;tail, elle prend la tournure d&rsquo;une com&eacute;die. Chaque jour apporte son travail, son souci; chaque instant, sa duperie nouvelle; chaque semaine, son d&eacute;sir, sa crainte; chaque heure, ses d&eacute;sappointements, car le hasard est l&agrave;, toujours aux aguets pour faire quelque malice; pures sc&egrave;nes comiques que tout cela. Mais les souhaits jamais exauc&eacute;s, la peine toujours d&eacute;pens&eacute;e en vain, les esp&eacute;rances bris&eacute;es par un destin impitoyable, les m&eacute;comptes cruels qui composent la vie tout enti&egrave;re, la souffrance qui va grandissant, et, &agrave; l&rsquo;extr&eacute;mit&eacute; du tout, la mort, en voil&agrave; assez pour faire une trag&eacute;die. On dirait que la fatalit&eacute; veut, dans notre existence, compl&eacute;ter la torture par la d&eacute;rision; elle y met toutes les douleurs de la trag&eacute;die; mais, pour ne pas nous laisser au moins la dignit&eacute; du personnage tragique, elle nous r&eacute;duit, dans les d&eacute;tails de la vie, au r&ocirc;le du bouffon<a name="note14" href="#note14a">[14]</a>.</span></div> <div> Pour ne donner qu&rsquo;un exemple de cette vision tragique de l&rsquo;existence propos&eacute;e par <em>Infinite Jest</em>, on peut &eacute;voquer Kate Gompert, cette femme d&eacute;pendante &agrave; la marijuana qui, apr&egrave;s trois tentatives de suicide, donne le choix &agrave; son m&eacute;decin de lui administrer des &eacute;lectrochocs ou bien de lui rendre la ceinture avec laquelle elle a tent&eacute; de mettre fin &agrave; ses jours... Cette lucidit&eacute; devant l&rsquo;immuabilit&eacute; du mal qui l&rsquo;habite a de quoi faire fr&eacute;mir le lecteur, et les mots le rapprochent peut-&ecirc;tre des secondes insupportables &eacute;voqu&eacute;es par Kate:</div> <div class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">&lsquo;I want shock,&rsquo; she said finally. &lsquo;Isn&rsquo;t part of this whole concerned kindness deal that you&rsquo;re supposed to ask me how I think you can be of help? Cause I&rsquo;ve been through this before. You haven&rsquo;t asked what I want. Isn&rsquo;t it? Well how about either give me ECT again, or give me my belt back. <em>Because I can&rsquo;t stand feeling like this another second, and the seconds keep coming on and on.&rsquo;</em> (p.74; je souligne.)</span></div> <div> Ce passage permet de saisir comment s&rsquo;imbriquent deux des th&egrave;mes majeurs d&rsquo;<em>Infinite Jest</em>, soit la solitude et l&rsquo;empathie. &Eacute;videmment, le probl&egrave;me de l&rsquo;empathie est indissociable de celui de la&nbsp; solitude et laisse entendre qu&rsquo;il y aurait <em>quelque chose</em> qui r&eacute;siste, entre les sujets, les emp&ecirc;chant de partager leur exp&eacute;rience du monde. Ce qui est triste &agrave; propos de notre temps, dit DFW, c&rsquo;est cette solitude, ce <em>quelque chose</em> qui fait &eacute;cran, emp&ecirc;chant l&rsquo;humain de vivre une relation <em>imm&eacute;diate</em> avec ses proches. Quelques pages avant de r&eacute;clamer des &eacute;lectrochocs, Kate Gombert insiste justement sur la radicalit&eacute; de sa solitude, les m&eacute;dicaments repr&eacute;sentant <em>tout ce qu&rsquo;elle avait dans le monde</em>:</div> <div class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">The doctor said could she tell him a little bit about why she&rsquo;s here with them right now? Can she remember back to what happen?<br /> She took an even deeper breath. She was attempting to communicate boredom or irritation. &lsquo;I took a hundred-ten Parnate, about thirty Lithonate capsules, some old Zoloft. I took everything I had in the world. (p.70)</span></div> <div> Si j&rsquo;insiste sur l&rsquo;impossibilit&eacute; qu&rsquo;ont plusieurs personnages d&rsquo;<em>Infinite Jest</em> &agrave; vivre une relation imm&eacute;diate &agrave; la r&eacute;alit&eacute;, c&rsquo;est qu&rsquo;il me semble que la tristesse de l&rsquo;existence, dans ce roman, est &agrave; mettre en lien avec les diff&eacute;rentes formes de m&eacute;diations qui participent de l&rsquo;exp&eacute;rience du monde contemporain. Par cela, le roman de DFW peut &ecirc;tre lu comme l&rsquo;exemplification de la th&egrave;se soutenue par Guy Debord dans <em>La soci&eacute;t&eacute; du spectacle</em>, qui veut que &laquo;[t]oute la vie des soci&eacute;t&eacute;s dans lesquelles r&egrave;gnent les conditions modernes de production s&rsquo;annonce comme une immense accumulation de <em>spectacles</em>. Tout ce qui &eacute;tait directement v&eacute;cu s&rsquo;est &eacute;loign&eacute; dans une repr&eacute;sentation<a name="note15" href="#note15a">[15]</a>.&raquo; De fait, un &eacute;l&eacute;ment majeur du roman est l&rsquo;intrigue qui gravite autour d&rsquo;un film, <em>Infinite Jest</em>, qui a &eacute;t&eacute; r&eacute;alis&eacute; par James Incandenza quelques mois avant qu&rsquo;il ne se suicide. Ce film, qui repr&eacute;sente dans le roman le divertissement par excellence, a la propri&eacute;t&eacute; du tuer son spectateur en lui procurant une dose l&eacute;tale de plaisir. Celui-ci n&rsquo;arrive plus &agrave; d&eacute;tourner son attention du film, source de plaisir intarissable, et meurt simplement d&rsquo;inanition. C&rsquo;est d&rsquo;ailleurs la raison pour laquelle les <em>Assassins des Fauteuils Rollents</em> tentent de mettre la main sur ce film, qu&rsquo;ils aimeraient bien distribuer dans les foyers des citoyens de l&rsquo;ONAN. <p>Cette id&eacute;e d&rsquo;un divertissement qui provoque un plaisir mortel gagne &agrave; &ecirc;tre mise en parall&egrave;le avec la solitude du sujet contemporain. DFW semble vouloir proposer, par de nombreuses sc&egrave;nes, que la relation de l&rsquo;individu &agrave; ce qu&rsquo;il consid&egrave;re &ecirc;tre la libert&eacute; soit totalement erron&eacute;e, puisque ce que l&rsquo;individu contemporain choisit, c&rsquo;est toujours le plaisir, sous diverses formes. Les exp&eacute;riences des drogu&eacute;s, des alcooliques et des citoyens friands de t&eacute;l&eacute;vision, en ce sens, peuvent &ecirc;tre pens&eacute;es conjointement en tant que sources de plaisir op&eacute;rant une m&eacute;diation entre le sujet et le monde, ajoutant une enveloppe (faussement) protectrice entre sa personne et ce qui s&rsquo;offre &agrave; lui. Ce qui est important de souligner, c&rsquo;est que ces diff&eacute;rentes sources de plaisir sont trait&eacute;es dans le texte comme autant de formes d&rsquo;ali&eacute;nation. Ainsi, la sc&egrave;ne o&ugrave; Marathe, membre des <em>Assassins des Fauteuils Rollents</em>, discute du libre arbitre avec Steeply, un repr&eacute;sentant des services secrets am&eacute;ricains, montre bien que la notion de choix pose probl&egrave;me dans la mesure o&ugrave; les citoyens n&rsquo;ont pas les moyens de choisir de fa&ccedil;on &eacute;clair&eacute;e, si bien que la possibilit&eacute; de mourir de plaisir, pour plusieurs, constitue sans doute un sort enviable:</p></div> <div class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Marathe shrugged. &lsquo;Us, we will force nothing on U.S.A. persons in their warm homes. We will make only available. Entertainment. There will be then some choosing, to partake or choose not to.&rsquo; Smoothing slightly at his lap&rsquo;s blanket. &lsquo;How will U.S.A.s choose? Who has taught them to choose with care? How will your Offices and Agencies protect them, your people?&rsquo; (p.318)</span></div> <div> Plus loin, Marathe propose que la nation am&eacute;ricaine est de toute fa&ccedil;on d&eacute;j&agrave; morte, les citoyens &eacute;tant d&eacute;sormais incapables d&rsquo;effectuer le moindre choix &eacute;clair&eacute;:</div> <div class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Someone or some people among your own history sometime killed your U.S.A. nation already, Hugh. Someone who had authority, or should have had authority and did not exercise authority. I do not know. <em>But someone sometime let you forget how to choose, and what. Someone let your peoples forget it was the only thing of importance, choosing</em>. (p.319; je souligne.)</span><br /> &nbsp;</div> <div>Ici, il faut se rappeler les propos de DFW au sujet des arts du divertissement, qui ne proposent rien d&rsquo;autre que du plaisir, niant par le fait m&ecirc;me tout ce qui est triste dans l&rsquo;existence, la solitude en premier lieu. Le jeune Hal, habitu&eacute; au fonctionnement rigoureux de l&rsquo;Institut de tennis d&rsquo;Enfield, explique par exemple aux plus jeunes que la solitude est la condition &agrave; laquelle ils sont tous condamn&eacute;s: &laquo;We&rsquo;re all on each other&rsquo;s food chain. All of us. It&rsquo;s an individual sport. Welcome to the meaning of individual. We&rsquo;re each deeply alone here. It&rsquo;s what we all have in common, this aloneness.&raquo; (p.112) Ce diagnostic, qui concerne d&rsquo;abord les jeunes athl&egrave;tes de l&rsquo;acad&eacute;mie Enfield, m&eacute;rite qu&rsquo;on l&rsquo;applique &agrave; l&rsquo;ensemble des personnages du roman et peut-&ecirc;tre &eacute;galement aux lecteurs. Dans l&rsquo;entrevue accord&eacute;e &agrave; Valerie Stivers, DFW exprime de fa&ccedil;on explicite ce lien qu&rsquo;il &eacute;tablit entre la tristesse, les m&eacute;dias de divertissement et l&rsquo;usage de drogues: </div> <div class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">I wonder why I'm lonely and doing a lot of drugs? Could there be any connection between the fact that I've got nothing to do with other people, that I don't really have a fucking clue what it is to have a real life and the fact that most of my existence is mediated by entertainment that I passively choose to receive<a name="note16" href="#note16a">[16]</a>?</span><br /> &nbsp;</div> <div>Il devient int&eacute;ressant, &agrave; la lumi&egrave;re de cette d&eacute;claration, de penser l&rsquo;articulation des th&egrave;mes de la solitude et de la d&eacute;pendance aux drogues et aux m&eacute;dias de divertissement, incarn&eacute;s de fa&ccedil;on tout &agrave; fait embl&eacute;matique par le film <em>Infinite Jest</em>. En effet, il est difficile de ne pas y voir un commentaire sur notre propre rapport aux m&eacute;dias, sur le semblant de relation au monde que leur fonctionnement induit. Le sujet contemporain appr&eacute;cie l&rsquo;art divertissant, dit DFW, parce que les m&eacute;dias supportent des &oelig;uvres faites uniquement de plaisir et lui permettent, en lui procurant une exp&eacute;rience esth&eacute;tique heureuse, d&rsquo;oublier tout ce que sa vie a de triste. Cette fuite dans la fiction, devons-nous comprendre, n&rsquo;est pas tellement &eacute;loign&eacute;e de la mort effective des spectateurs du film <em>Infinite Jest</em>. <p>C&rsquo;est dans cette repr&eacute;sentation du divertissement, au c&oelig;ur d&rsquo;une &oelig;uvre qui s&rsquo;efforce de confronter le lecteur &agrave; la tristesse de la vie contemporaine, qu&rsquo;il faut voir l&rsquo;effort de l&rsquo;auteur &agrave; susciter l&rsquo;empathie de celui-ci. Si la t&eacute;l&eacute;vision, comme le propose DFW, conforte l&rsquo;illusion que nous ne sommes pas seuls, <em>Infinite Jest</em> cherche au contraire &agrave; lever le voile sur cette solitude. Il y aurait, dans l&rsquo;exp&eacute;rience de lecture que propose DFW, quelque chose qui rel&egrave;ve du sevrage, et donc de la douleur. Ce sevrage, on l&rsquo;aura compris, concerne l&rsquo;illusion m&eacute;diatique du bonheur socialement partag&eacute;. Celui-ci a une valeur positive, car il implique une forme de renouement avec la r&eacute;alit&eacute; imm&eacute;diate, le refus de l&rsquo;illusion de ce monde &laquo;100% plaisir&raquo; de l&rsquo;&eacute;cran qui, pr&eacute;cis&eacute;ment, <em>fait &eacute;cran</em> devant le tragique de l&rsquo;existence. Tragique qui, pour DFW comme pour Pier-Paolo Pasolini, r&eacute;side dans l&rsquo;amenuisement des rapports humains, et m&ecirc;me, peut-&ecirc;tre, dans leur simple disparition: &laquo;Je tiens simplement &agrave; ce que tu regardes autour de toi et prennes conscience de la trag&eacute;die. Et quelle est-elle, la trag&eacute;die? La trag&eacute;die, c&rsquo;est qu&rsquo;il n&rsquo;existe plus d&rsquo;&ecirc;tres humains; on ne voit plus que de singuliers engins qui se lancent les uns contre les autres<a name="note17" href="#note17a">[17]</a>.&raquo;&nbsp;</p></div> <hr /> <div> <meta name="Titre" content="" /><br /> <a name="note1a" href="#note1">[1]</a> L&rsquo;entrevue, qui a eu lieu le 11 avril 1996, est disponible en ligne: <a href="http://www.kcrw.com/media-player/mediaPlayer2.html?type=audio&amp;id=bw960411david_foster_wallace" title="http://www.kcrw.com/media-player/mediaPlayer2.html?type=audio&amp;id=bw960411david_foster_wallace">http://www.kcrw.com/media-player/mediaPlayer2.html?type=audio&amp;id=bw96041...</a> (site consult&eacute; le 21 novembre 2010). <p><a name="note2a" href="#note2">[2]</a> Pour en conna&icirc;tre davantage sur cette r&eacute;flexion que propose David Foster Wallace &agrave; propos de la t&eacute;l&eacute;vision et des divertissements, on consultera &agrave; profit l&rsquo;entretien de l&rsquo;auteur avec Larry McCaffery, &laquo;A conversation with David Foster Wallace&raquo;, En ligne: <a href="http://www.dalkeyarchive.com/book/?GCOI=15647100621780" title="http://www.dalkeyarchive.com/book/?GCOI=15647100621780">http://www.dalkeyarchive.com/book/?GCOI=15647100621780</a> (site consult&eacute; le 21 novembre 2010).</p> <p><a name="note3a" href="#note3">[3]</a> Dans une entrevue accord&eacute;e &agrave; la revue <em>Stim</em>, l&rsquo;auteur affirme sans d&eacute;tour avoir voulu &eacute;crire &agrave; propos de ce qu&rsquo;il y a de triste dans l&rsquo;Am&eacute;rique contemporaine: &laquo;I wanted to do something sad. I think it's a very sad time in America and it has something to do with entertainment. It's not TV's fault, It's not [Hollywood's] fault and it's not the Net's fault. It's our fault. We're choosing this.&raquo; cf. Valerie Stivers, &laquo;Interview with David Foster Wallace&raquo;, Stim, Mai 1996, En ligne: <a href="http://www.stim.com/Stim-x/0596May/Verbal/dfwtalk.html" title="http://www.stim.com/Stim-x/0596May/Verbal/dfwtalk.html">http://www.stim.com/Stim-x/0596May/Verbal/dfwtalk.html</a> (site consult&eacute; le 25 novembre 2010).</p> <p><a name="note4a" href="#note4">[4]</a> Ce futur &eacute;tant celui du temps de l&rsquo;&eacute;criture, soit 1996, la lecture d&rsquo;<em>Infinite Jest</em> s&rsquo;av&egrave;re d&rsquo;autant plus int&eacute;ressante en 2010 qu&rsquo;elle met en sc&egrave;ne une certaine id&eacute;e de ce qu&rsquo;aurait pu &ecirc;tre notre &eacute;poque. Quelques rares indices, dans le texte, permettent de reconstituer la chronologie et de situer l&rsquo;action du roman &agrave; la fin de la premi&egrave;re d&eacute;cennie du 21e si&egrave;cle. Stephen Burn, dans son livre sur <em>Infinite Jest</em>, reconstitue savamment la chronologie du roman en affirmant, preuves &agrave; l&rsquo;appui, que l&rsquo;action s&rsquo;y termine en 2010, nomm&eacute;e non sans ironie <em>The Year of the Glad</em>. cf. Stephen Burn, <em>Infinite Jest, A Reader&rsquo;s Guide</em>, New York/London, Continuum Contemporaries, 2003, 96 p. </p> <p><a name="note5a" href="#note5">[5]</a> Pour le plaisir, voici les noms des autres ann&eacute;es mentionn&eacute;es dans le texte: (1) Year of the Whopper, (2) Year of the Tucks Medicated Pad, (3) Year of the Trial-Size Dove Bar, (4) Year of the Perdue Wonderchicken, (5) Year of the Whisper-Quiet Maytag Dishmaster, (6) Year of the Yushityu 2007 Mimetic-Resolution-Cartridge-View TP Systems For Home, Office, Or Mobile, (7) Year of Dairy Products from the American Heartland, (8) Year of the Depend Adult Undergarment, (9) Year of Glad. </p> <p><a name="note6a" href="#note6">[6]</a> Remarquons au passage que cet acronyme permet &agrave; l&rsquo;auteur de faire un jeu de mots savoureux, en d&eacute;signant les citoyens de l&rsquo;ONAN comme &eacute;tant des onanistes. Ce d&eacute;tail est important puisqu&rsquo;il t&eacute;moigne de la condition des personnages du roman, le plus souvent pr&eacute;occup&eacute;s bien davantage par leur propre plaisir que par celui des autres.</p> <p><a name="note7a" href="#note7">[7]</a> David Foster Wallace, <em>This is Water, Some Thoughts, Delivered on a Significant Occasion, about Living a Compassionate Life</em>, New York/Boston/London, Little, Brown and Company, 2009, p.120. Une version de ce texte sensiblement diff&eacute;rente est disponible en ligne: <a href="http://www.guardian.co.uk/books/2008/sep/20/fiction" title="http://www.guardian.co.uk/books/2008/sep/20/fiction">http://www.guardian.co.uk/books/2008/sep/20/fiction</a> (site consult&eacute; le 21 novembre 2010).</p> <p><a name="note8a" href="#note8">[8]</a> Christopher Lasch, <em>The Culture of Narcissism: American Life in An Age of Diminishing Expectations</em>, New York/London, W.W. Norton &amp; Company, 1991 [1979], p.VXI.</p> <p><a name="note9a" href="#note9">[9]</a> Larry McCaffery, &laquo;A Conversation with David Foster Wallace&raquo;, En ligne: <a href="http://www.dalkeyarchive.com/book/?fa=customcontent&amp;GCOI=15647100621780&amp;extrasfile=A09F8296-B0D0-B086-B6A350F4F59FD1F7.html" title="http://www.dalkeyarchive.com/book/?fa=customcontent&amp;GCOI=15647100621780&amp;extrasfile=A09F8296-B0D0-B086-B6A350F4F59FD1F7.html">http://www.dalkeyarchive.com/book/?fa=customcontent&amp;GCOI=15647100621780&amp;...</a> (site consult&eacute; le 21 novembre 2010).</p> <p><a name="note10a" href="#note10">[10]</a> D&rsquo;ailleurs, son roman <em>The Corrections</em>, r&eacute;cipiendaire du <em>National Book Award </em>en 2001, partage avec <em>Infinite Jest</em> ce projet d&rsquo;une litt&eacute;rature empathique s&rsquo;&eacute;vertuant &agrave; comprendre les malaises des sujets contemporains. Une lecture comparative de ces deux romans permettrait sans doute de saisir &agrave; quel point les projets romanesques de Franzen et de Foster Wallace ont beaucoup en commun.&nbsp;&nbsp; </p> <p><a name="note11a" href="#note11">[11]</a> Larry McCaffery, <em>Op. cit.</em> </p> <p><a name="note12a" href="#note12">[12]</a> Peter Sloterdijk, <em>Bulles. Sph&egrave;res 1</em>, traduit de l&rsquo;allemand par Olivier Mannoni, Paris, Hachette Litt&eacute;ratures (coll. Pluriel Philosophie), 2002 [1998], p. 59. </p> <p><a name="note13a" href="#note13">[13]</a> Cette allusion invite &agrave; penser <em>Infinite Jest</em> en termes tragiques, d&rsquo;abord parce qu&rsquo;Hamlet est une trag&eacute;die, mais surtout parce que le passage &eacute;voqu&eacute; traite de la mort, de la relation &agrave; l&rsquo;autre et de l&rsquo;empathie, th&egrave;mes centraux du roman de DFW. Il s&rsquo;agit d&rsquo;une r&eacute;f&eacute;rence &agrave; la sc&egrave;ne du fossoyeur (Acte V, sc&egrave;ne I), alors qu&rsquo;Hamlet d&eacute;couvre le cr&acirc;ne de Yorick, l&rsquo;ancien fou du roi, et exprime l&rsquo;horreur qu&rsquo;il ressent devant la mort de cet &ecirc;tre qui lui &eacute;tait cher: &laquo;Let me see. [<em>He takes the skull</em>]. Alas, poor Yorick! I knew him, Horatio&mdash;a fellow of infinite jest, of most excellent fancy. He hath borne me on his back a thousand times, and now how abhorred in my imagination it is! My gorge rises at it.&raquo; cf. Shakespeare, <em>Hamlet</em>, Paris, GF-Flammarion (coll. Bilingue), 1995, p.370. </p> <p><a name="note14a" href="#note14">[14]</a> Arthur Schopenhauer, <em>Le monde comme volont&eacute; et comme repr&eacute;sentation</em>, traduit de l&rsquo;allemand par A. Burdeau, &eacute;dition revue et corrig&eacute;e par Richard Roos, Paris, Quadrige/PUF, 2008, p. 404.</p> <p><a name="note15a" href="#note15">[15]</a> Guy Debord, <em>La soci&eacute;t&eacute; de spectacle</em>, Paris, Gallimard (coll. Folio), 1992 [1967], p.15.</p> <p><a name="note16a" href="#note16">[16]</a> Valerie Stivers, <em>Op. cit.</em>.</p> <p><a name="note17a" href="#note17">[17]</a> Pier-Paolo Pasolini, <em>Contre la t&eacute;l&eacute;vision et autres textes sur la politique et la soci&eacute;t&eacute;</em>, Besan&ccedil;on, Les Solitaires intempestifs, p.93, cit&eacute; dans Georges Didi-Huberman, <em>Survivances des lucioles</em>, Paris, Les &Eacute;ditions de Minuit (coll. Paradoxe), 2009, p.25. <br /> <meta name="Mots cl&eacute;s" content="" /><br /> <meta http-equiv="Content-Type" content="text/html; charset=utf-8" /><br /> <meta name="ProgId" content="Word.Document" /><br /> <meta name="Generator" content="Microsoft Word 2008" /><br /> <meta name="Originator" content="Microsoft Word 2008" /><br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> </p></div> http://salondouble.contemporain.info/lecture/ces-poussieres-faites-pour-troubler-loeil#comments Cinéma Contemporain Culture populaire DEBORD, Guy Délinéarisation Divertissement EASTON ELLIS, Bret Empathie États-Unis d'Amérique Fiction Foster Wallace, David FRANZEN, Jonathan Individualisme LASCH, Christopher Métafiction MOORE, Loorie PASOLINI, Pier-Paolo Publicité SCHOPENHAUER, Arthur SHAKESPEARE SLOTERDIJK, Peter Solitude Télévision Tragique Tristesse Roman Tue, 21 Dec 2010 00:19:07 +0000 Simon Brousseau 301 at http://salondouble.contemporain.info