Salon double - Crime
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frFreak Show
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<a href="/equipe/beaulieu-guillaume">Beaulieu, Guillaume </a> </div>
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<a href="/biblio/like-a-velvet-glove-cast-in-iron">Like a Velvet Glove Cast in Iron</a> </div>
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<div class="field-label">Dossier Reférent: </div>
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<a href="/dossier/daniel-clowes">Daniel Clowes</a> </div>
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<p>Le corps pose problème. Il naît, grandit, fait défaut, est amputé, meurt, se décompose… Le corps est ce qui fuit. Il s’enfuit à l’impératif de dire, d’écrire, de parler et de rencontrer. C’est avant toute chose un ensemble organique en souffrance, dans le manque comme dans la douleur. Face à une corporalité maladive, handicapée voir symptomatique, peut-on y entendre l’agonie d’une société qui se meurt en écho? Des regards se posent et questionnent. Une parole en quête de sens émerge. La représentation du corps dans<em> Like a Velvet Glove Cast in Iron</em> de Daniel Clowes est problématique. Cette bande dessinée présente un corps étranger, transformé, en mutation, s’ouvrant sur un regard qui renvoie à un malaise.</p>
<p><em>Like a Velvet Glove Cast in Iron</em> illustre un récit sans queue ni tête qui se termine littéralement en queue de poisson. L’histoire débute au moment où Clay, le protagoniste principal, entre dans un cinéma érotique et s’étonne, voire s’alarme, de constater que l’actrice du film qu’il y visionne est son ex-femme. Sous le choc, il part à la recherche de la maison de production qui emploie sa femme. Un ami l’aide à regret en lui prêtant sa voiture. Sur la route, il est battu et détenu par des policiers. Clay se retrouve sans voiture à errer entre ses rêves et des lieux insolites. Il rencontre un amalgame étonnant de gens étranges qui l’aideront ou lui nuiront dans sa quête, allant même jusqu’à causer son démembrement à la fin. Un récit enchâssé met en scène une scénariste et un réalisateur de films gores aux prétentions de cinéma d’auteur. Bien contre lui, Clay se retrouve embarqué dans un de leur film qui met en scène la mort de sa femme. La pornographie est l’élément déclencheur du récit et elle participe également à son dénouement. </p>
<p><span class='wysiwyg_imageupload image imgupl_floating_none_left 0'><a href="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/velvet%20glove001.jpg" rel="lightbox[wysiwyg_imageupload_inline]" title="Daniel Clowes, Like a Velvet Glove Cast in Iron, p. 25"><img src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/velvet%20glove001.jpg" alt="38" title="Daniel Clowes, Like a Velvet Glove Cast in Iron, p. 25" width="580" height="296" class="imagecache wysiwyg_imageupload 0 imagecache imagecache-wysiwyg_imageupload_lightbox_preset" style=""/></a> <span class='image_meta'><span class='image_title'>Daniel Clowes, Like a Velvet Glove Cast in Iron, p. 25</span></span></span></p>
<p>Au cours de sa quête, Clay est happé par différentes mésaventures. Dès le début de son parcours, il est arrêté brusquement par l’intervention brutale de policiers aux méthodes douteuses. Les agents corrompus, en plus de le battre et de graver au scalpel sur son talon un dessin représentant un « Mister Jones » (une sorte d’entité des eaux), violent une prostituée à trois yeux. Le corps de Clay est marqué et celui de la prostituée est violé. Ces éléments renvoient à une commercialisation, à une possession (on peut relier la marque sur le talon au marquage du bétail) et à une consommation maladive des corps (par le viol et la pornographie). Ces gestes témoignent non seulement d’une cruauté, mais aussi d’une volonté d’inscrire le corps dans une perspective d’inadéquation avec le réel. Comme si le corps n’appartenait plus à celui qui l’habite, mais bien à celui qui le regarde ou qui le prend. Cette consommation des corps se voit sous plusieurs aspects dans l’œuvre de Clowes. Notamment, les films pornographiques sont soumis à des critiques qui félicitent le réalisateur pour ses nouveaux exploits enregistrés sur pellicule. Cinéaste qui, dès les premières planches, est considéré par un malade par Clay. Par ailleurs, le titre du film est le même que celui de la bande dessinée. Les personnages du réalisateur et du bédéiste se confondent, nous y voyons une sorte d’autocritique et de dérision de la part de Daniel Clowes. Plus encore, ce dernier informe le lecteur que ce qu’il tient entre ses mains, ces images mettant scène viole, meurtre et violence, il en est le seul réalisateur. </p>
<p><span class='wysiwyg_imageupload image imgupl_floating_none_left 0'><a href="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/velvet%20glove002.jpg" rel="lightbox[wysiwyg_imageupload_inline]" title="Daniel Clowes, Like a Velvet Glove Cast in Iron, p. 51"><img src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/velvet%20glove002.jpg" alt="39" title="Daniel Clowes, Like a Velvet Glove Cast in Iron, p. 51" width="580" height="291" class="imagecache wysiwyg_imageupload 0 imagecache imagecache-wysiwyg_imageupload_lightbox_preset" style=""/></a> <span class='image_meta'><span class='image_title'>Daniel Clowes, Like a Velvet Glove Cast in Iron, p. 51</span></span></span></p>
<p>D’autres occurrences dans <em>Like a Velvet Glove Cast in Iron</em> présente un corps déraillant ou mutant : L’ami de Clay a des crevettes dans les yeux, la serveuse du restaurant est une femme poisson, Clay voit, dans un rêve, une femme avec une queue en pointe de cœur, un tenant de commerce a un nez en forme de tige, un chien n’a pas d’orifice et, à la fin de la bande dessinée, Clay est estropié de tous ses membres par un homme drogué à la testostérone. Ces occurrences, bien qu’elles soient sorties de leur contexte d’énonciation, dénotent tout de même la volonté de Clowes d’inscrire sa bande dessinée dans une perspective d’une représentation des corps problématique. C’est un «freak show» à la hauteur du film de Tod Browning, <em>Freaks <a name="renvoi1"></a></em><a href="#note2">[1]</a>, que ce bédéiste façonne. <em>Like a Velvet Glove Cast in Iron</em>, présente deux types de «freak». Le premier est d’ordre psychologique et s’encre à l’intérieur de perversion sexuelle, comme le spectateur du film «Darling Baby Love», film qui se rapproche d’une production pornographique juvénile. Le second cas est physique et s’arrime à une représentation fictionnelle du corps humain en mutation ou infesté par un corps étranger. Tandis que <em>Freaks</em> met en scène des «freaks», dans sa définition la plus péjorative (littéralement monstre), qui incarnent leur propre rôle, à savoir un lilliputien, un homme-tronc, etc. Tout comme dans l’œuvre de Browning, les vrais monstres dans cette bande dessinée, ce ne sont pas Tina ou la femme aux trois yeux, mais bien les clients du restaurant, les policiers et les spectateurs des films d’un hétéroclite réalisateur.</p>
<p><strong>Le Marquis à l’ère du 3.0</strong></p>
<p>Daniel Clowes exploite un élément controversé de la culture populaire en représentant une scénariste et un réalisateur de «<em>snuff movie</em>». <a name="renvoi2"></a><a href="#note2">[2]</a> Lorsque Clay entre dans une salle de cinéma «underground», il y voit son ancienne femme tenant la vedette du film «Barbara Allen». Celle-ci a une relation sexuelle avec un étudiant, après quoi celui-ci la tue. Le film se termine sur deux hommes masqués qui la jettent dans une fosse. Clay participera aussi à ce film, mais involontairement. Après avoir déposé une rose sur la tombe de sa défunte femme, il est surpris par l’homme qui cherchait à l’exécuter. Le réalisateur, là par hasard, saisit l’occasion au vol et film le démembrement de Clay. L’utilisation de ce type particulier de cinéma par Daniel Clowes renvoie à une dégénérescence de la production qui trouve par le biais du «snuff» une manière d’accéder à un type de cinéma artistique inédit qui se trouve même un public admiratif qui en redemande. Ce n’est plus de la fiction, mais cela se présente comme tel. On peut prétendre que, dans l’univers de <em>Like a Velvet Glove Cast in Iron</em>, il n’y a pas de limite, de barrière, de garde-fou aux personnages. Nous entrons dans un délire pas si délirant que cela en actualisant l’œuvre de Clowes à la réalité présente du Web. Celle qui a éclaté carrément les limites des fantasmes et des perversions, les rendant réels et palpables avec un potentiel de production le plus minimaliste (webcam, ordinateur, connexion Internet) et avec une possibilité de consommation encore plus simple. D’un côté, nous voyons que le public de ce gore extrême est important, mais de l’autre, qui est de loin le plus intéressant, est celui qui permet de s’interroger sur cette désacralisation de la mort et de la souffrance des corps.</p>
<p><span class='wysiwyg_imageupload image imgupl_floating_none_left 0'><a href="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/velvet%20glove004.jpg" rel="lightbox[wysiwyg_imageupload_inline]" title="Daniel Clowes, Like a Velvet Glove Cast in Iron, p. 139"><img src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/velvet%20glove004.jpg" alt="40" title="Daniel Clowes, Like a Velvet Glove Cast in Iron, p. 139" width="494" height="805" class="imagecache wysiwyg_imageupload 0 imagecache imagecache-wysiwyg_imageupload_lightbox_preset" style=""/></a> <span class='image_meta'><span class='image_title'>Daniel Clowes, Like a Velvet Glove Cast in Iron, p. 139</span></span></span></p>
<p>Récemment, le film <em>A Serbian Film</em> de Srđan Spasojević fit scandale, on y représentait une production malsaine de «<em>snuff movie</em> » incluant des jeunes enfants. Le film se présente d’emblée comme une fiction dans lequel un acteur porno à la retraite et un peu à court financièrement reprend du service sans savoir pour qui il s’engage vraiment. L’acteur, sous l’effet de stimulant sexuel pour taureau, commettra des scènes d’une violence inouïe, même pour une fiction. Selon Spasojević, la violence extrême que mettait en scène son film était le reflet de celle qui fit ravage lors du conflit de la Bosnie-Herzégovine. <a name="renvoi3"></a><a href="#note3">[3]</a> Spasojević part de la bestialité éprouvée par une réalité de temps guerre pour présenter une guerre de corps qui affrontent carrément le spectateur dans le confort de ses croyances en une humanité. L’acteur n’a plus le contrôle sur lui-même, il est drogué à son insu et il ne peut faire autrement que d’exécuter les ordres qu’il reçoit du réalisateur sadique. On ne peut s’empêcher de faire l’analogie avec le soldat. L’œuvre de Clowes, quant à elle, présente une jungle urbaine <em>harum-scarum</em> dont la sexualité et la cruauté déroutante en sont le symptôme. Le <em>snuff movie</em> prend même la place d’une sorte de cinéma d’auteur, où la principale esthétique est celle des corps qui se trucident. Par ailleurs, <em>A Serbian Film</em> et <em>Like a Velvet Glove Cast in Iron</em> développent tous deux le personnage «réalisateur» au pouvoir quasi divin, c’est-à-dire de vie ou de mort sur ceux qu’ils mettent en scène.</p>
<p>Daniel Clowes exploite plusieurs formes de violence dans sa bande dessinée. Une scène en particulier exprime la problématique de la représentation des corps s’inscrivant dans une perversion sans nom. Le protagoniste Clay, en cherchant le film qui met en vedette son ex-femme, arrive à une salle où est projeté «Darling Baby Love». Ce film montre deux bambins habillés en Monsieur et en Madame, plaqués l’un à l’autre par des bâtons. Ils sont forcés, pour ainsi dire, à s’embrasser étant donné leur inaptitude à comprendre le langage qu’on leur adresse. Déjà, du haut de leurs quelques mois, contraints à être manipulés comme des marionnettes et à répondre à des fantasmes qui les dépassent. Cette violence faite aux corps, dans la bande dessinée de Clowes, témoigne véritablement d’un malaise face aux contradictions qui émanent de la société dans laquelle <em>Like a Velvet Glove Cast in Iron</em> a vu le jour. Le <em>snuff movie</em> serait peut-être une forme d’archétype répondant à une forte pulsion de mort qui trouve, dans la bande dessinée de Clowes, l’espace parfait pour sa représentation. D’une certaine manière, Daniel Clowes, en surreprésentant le corps, vient l’inscrire dans une problématique sociétale, mais aussi littéraire, à l’intérieur d’un récit en image.</p>
<p><strong>Le désir à néant</strong></p>
<p>Ce qui est frappant dans <em>Like a Velvet Glove Cast in Iron</em> c’est qu’on ne sait d’où viennent les mutations. On sait que le «Mister Jones» y est lié, mais sans plus. Nous postulerons que les inscriptions, les marques, les mutations sur les corps témoignent d’une faille, d’un sentiment de vide, d’un aspect non représentable du corps humain qui propulse les protagonistes dans leur condition de marginal ou de solitaire désabusé. Dans un même ordre d’idée, après que Clay soit tombé inconscient suite à son passage à tabac par les policiers, il rêve (on le remarque par l’irrégularité des lignes qui bordent les cases,) et se voit couché sur son lit. La première case du rêve montre un petit bibelot que Clay semble regarder (on ne voit pas son visage) une main sur le sexe. Cette petite figurine rappelle la Vénus de Willendorf, quoique le visage de celle-ci soit habituellement caché. La case suivante montre ce dernier en train de regarder des photos pornographiques. Cette représentation des corps expose deux canons de beauté totalement différents. La première case présente une femme obèse symbolisant la fertilité et la vie, la seconde case exhibe des femmes aguichantes présentées par des titres aussi éloquents que «Slutty Garbage» ou encore «Shaved and oiled secretaries». Ceci témoigne de la volonté de Daniel Clowes de situer son protagoniste principal dans une réalité en distorsion par la juxtaposition des corps qui s’opposent.</p>
<p><span class='wysiwyg_imageupload image imgupl_floating_none_left 0'><a href="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/velvet%20glove003.jpg" rel="lightbox[wysiwyg_imageupload_inline]" title="Daniel Clowes, Like a Velvet Glove Cast in Iron, p. 110"><img src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/velvet%20glove003.jpg" alt="41" title="Daniel Clowes, Like a Velvet Glove Cast in Iron, p. 110" width="522" height="810" class="imagecache wysiwyg_imageupload 0 imagecache imagecache-wysiwyg_imageupload_lightbox_preset" style=""/></a> <span class='image_meta'><span class='image_title'>Daniel Clowes, Like a Velvet Glove Cast in Iron, p. 110</span></span></span></p>
<p>En représentant un corps souffrant, violé, mutant ou à l’article de la mort, l’auteur porte un regard en abyme par le biais de son alter ego qu’il insère à l’intérieur de son œuvre (le réalisateur des <em>snuff movies</em>). Comme si d’une certaine manière les corps en souffrance agissaient en miroir, reflétant les maux dont les structures, les institutions et les individus sont atteints. Ce rapport malaisé aux corps, dans l’œuvre de Clowes, témoigne d’autant plus de sujets laissés pour compte dans leur désir de parvenir à se saisir de l’objet de leur fantasme. Le langage subversif dans le texte et les images de <em>Like a Velvet Glove Cast in Iron</em> permet à cette beauté froide d’éclore, empêchant au lecteur, pris au corps par le corps de l’œuvre, de la refermer sur elle-même. Nous sommes témoins et voyeurs impuissants, tout comme les protagonistes, des obsessions de ce bédéiste qui s’encrent toujours déjà d’une réalité témoin, elle aussi, d’un réel en souffrance et d’une perte de sens du côté du lecteur. </p>
<p><em>Les </em><em>directeurs du dossier</em><em> tiennent à remercier chaleureusement Alvin Buenaventura, agent de Daniel Clowes, qui leur a accordé une autorisation de reproduction d'extraits des oeuvres de ce dernier.</em></p>
<p> </p>
<p><strong>Bibliographie</strong></p>
<p>BROWNING, Tod, <em>Freaks</em>, Metro-Goldwym Mayor, 1932</p>
<p>CLOWES, Daniel,<em> Like a Velvet Glove Cast in Iron</em>, Seattle, Fantagraphics, 1993.</p>
<p> </p>
<p><a name="note1"></a><a href="#renvoi1">[1]</a> Long Métrage de Tod Browning sorti en 1932. Met en scène un cirque composé de monstres de foire. Hans, lilliputien, reçoit un héritage et un complot malsain s’élabore pour le lui substituer.</p>
<p><a name="note2"></a><a href="#renvoi2">[2] </a>« Le snuff movie (ou snuff film) est un film, généralement pornographique, qui met en scène la torture et le meurtre d'une ou plusieurs personnes. Dans ces films clandestins, la victime est censée ne pas être un acteur, mais une personne véritablement assassinée. » Source : « Snuff Movie », dans<em> Wikipédia</em>, en ligne: <a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Snuff_movie">http://fr.wikipedia.org/wiki/Snuff_movie</a> [consulté le 10 décembre 2011]</p>
<p><a name="note3"></a><a href="#renvoi3">[3]</a> Je paraphrase ici les propos du réalisateur Srđan Spasojević recueillis lors de la première Canadienne du film <em>A Serbian Film </em>présenté lors du festival Fantasia à l’été 2010.</p>
AliénationAltérité CinémaCLOWES, DanielCrimeÉtats-Unis d'Amérique MortObscénité et perversionPornographiePouvoir et dominationReprésentation de la sexualité Représentation du corps Société du spectacleTabousViolenceBande dessinéeThu, 12 Jul 2012 19:55:06 +0000Guillaume Beaulieu545 at http://salondouble.contemporain.infoDes ailes inutiles
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<a href="/equipe/brousseau-simon">Brousseau, Simon</a> </div>
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<a href="/biblio/claustria">Claustria</a> </div>
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<p align="right"><em>J'arrive à m'imaginer assassiné, mutilé, torturé. Je n'arrive pas à m'imaginer vingt-quatre années dans un trou.</em></p>
<p align="right">Régis Jauffret, <em>Claustria </em>(p.71)</p>
<p align="center"> </p>
<p>L'œuvre de Régis Jauffret abonde en histoires sordides, et à la parcourir on a parfois l'impression que le monde est un vaste cloaque où vivotent des êtres condamnés à la souffrance, des êtres dont le bonheur est nécessairement disloqué par quelque psychopathologie intraitable, comme une poupée par un gamin malfaisant. Jauffret est admirablement doué pour la déclinaison d'existences potentielles, qu'il examine avec un détachement clinique qui n'a, à ma connaissance, pas d'égal en littérature contemporaine. Son recueil <em>Microfictions</em>, par exemple, est un véritable vivier d'existences décadentes<a href="#_ftn1" name="_ftnref" title="">[1]</a>. Il me semble que son travail invite à se questionner sur ce que pourrait être une éthique de la fiction. Cette éthique concerne le <em>traitement</em> que la fiction fait subir au réel, mais aussi, et c'est sur cet aspect que j'aimerais insister, l'adhésion ou les réticences que le lecteur éprouve face à ces représentations.</p>
<p>Si Jauffret a le mérite d'aborder de front la négativité de l'existence contemporaine, ses façons de faire peuvent laisser perplexe. Il a développé une voix narrative qui lui est propre, une vision du monde désacralisante qui donne souvent l'impression que les relations humaines se réduisent à une mécanique égoïste. L'expérience de lecture s'accompagne d'une série de questions auxquelles on ne saurait définitivement répondre: est-ce Jauffret qui est cynique, nihiliste, pessimiste, ou bien le monde qu'il décrit? Jauffret est-il un auteur réaliste? Et quand bien même le monde serait effectivement pourri de cynisme, est-ce que la tâche de l'écrivain peut se résumer à enfoncer davantage le clou? Ne fait-il pas déjà assez froid? Cette ambivalence qui parcourt l'œuvre de Jauffret lui confère toute sa valeur. Elle pousse à réfléchir aux visées de la littérature et à ses possibilités, notamment dans son rapport à la connaissance et à la vérité. Dans le préambule de <em>Sévère</em> (2009), Jauffret écrit que «la fiction éclaire comme une torche» (p.7), mais qu'elle le fait paradoxalement à l'aide de mensonges. Selon lui, «elle comble les interstices d'imaginaire, de ragots, de diffamations qu'elle invente au fur et à mesure pour faire avancer le récit à coups de schlague» (p.7).</p>
<p>Ce rapport trouble à la connaissance me semble pertinent pour réfléchir à la littérature contemporaine. Je suis tenté d'inscrire la démarche de Jauffret dans ce changement de notre relation au savoir qu'identifie Peter Sloterdijk au tout début de sa <em>Critique de la raison cynique</em>. Selon lui, il ne s'agit plus aujourd'hui pour le penseur qui aspire à la vérité d'être un ami de la connaissance, selon l'étymologie grecque du terme «philosophe», mais bien de chercher les moyens de vivre avec le poids de notre savoir: «Il n'y a plus de savoir dont on pourrait être l'ami (<em>philos</em>). Avec ce que nous savons, il ne nous vient pas à l'esprit de l'aimer, nous nous demandons, au contraire, comment faire pour vivre avec lui sans nous pétrifier» (p.7-8). Il y aurait donc, dans la démarche de Jauffret, quelque chose qui relève d'une recherche de santé, de l'expurgation. L'un des moyens que privilégie Jauffret pour supporter les aspects les plus sombres de l'existence s'apparente au traitement choc: plutôt que de les oblitérer ou de les nuancer en leur opposant une contrepartie plus lumineuse, il opte pour la surenchère et l'hyperbole, offrant une vision distordue et parfois cauchemardesque d'une réalité qui, faut-il le rappeler, est loin d'être rose bonbon.</p>
<p align="center"><strong>*</strong></p>
<p>Alors que Jauffret a repoussé dans les <em>Microfictions</em> les limites de la fabulation<a href="#_ftn2" name="_ftnref" title="">[2]</a>, certaines de ses œuvres récentes posent un constat troublant: ces destinées inventées, tout aussi abjectes qu'elles soient, trouvent leur équivalent dans la réalité, et il n'existe peut-être pas d'imagination assez débridée pour éclipser le réel en matière d'horreur. On peut remarquer ce glissement dans <em>Sévère</em> (2009), roman mettant en scène Édouard Stern, un banquier français qui a été assassiné par sa maîtresse en 2005, et à plus forte raison dans <em>Claustria </em>(2012), roman qui traite quant à lui de l'affaire Fritzl.</p>
<p>Cette histoire sordide, véritable bombe qui a sauté au visage ébahi du monde en avril 2008, est si invraisemblable qu'on a du mal à y croire. Josef Fritzl a séquestré durant 24 ans, dans le sous-sol de sa maison d’Amstetten, en Autriche, sa fille Elisabeth Fritzl, avec qui il a eu sept enfants. Jauffret souligne dans un entretien que cette histoire comporte plusieurs zones d'ombre, des interstices qu'il a lui-même remplis dans son roman-enquête:</p>
<p>Le procès de 2009, dit Régis Jauffret, a été expédié en trois jours et demi, y compris la lecture du verdict. On n'a jamais fouillé les antécédents de Fritzl, alors qu'il avait déjà fait de la prison pour viol, que des crimes sexuels non élucidés avaient été commis à proximité, et que lui-même passait de longues vacances en Thaïlande... La femme de Fritzl, qui avait vécu 24 ans au-dessus de la cave, n'a jamais été entendue par les juges. Pas plus que les voisins, les anciens locataires de Fritzl ou les experts en acoustique. Or, il est impossible que dans le voisinage immédiat on n'ait pas entendu les cris d'Elisabeth qui accouchait toute seule, ceux des six nourrissons, surtout la nuit, le son de la télé, tout cela dans une cave pas insonorisée. Elisabeth a témoigné, mais à huis clos, les enfants de la cave ne sont jamais apparus en public, on n'a pas la moindre photo d'eux, et les autorités les ont forcés à changer de patronyme... (Robitaille, 2012: <a href="http://www.cyberpresse.ca/arts/livres/romans/201202/25/01-4499729-claustria-de-regis-jauffret-les-enfants-de-la-caverne.php">en ligne</a>)</p>
<p>En lisant <em>Claustria</em>, on comprend que Jauffret cherche à proposer un contrepoint au discours médiatique entourant l'affaire Fritzl. Au caractère forcément <em>punché </em>de la nouvelle journalistique (Fritzl est un monstre! Le monstre enfin condamné!), Jauffret oppose une narration homodiégétique à focalisation interne, le narrateur y allant de suppositions psychologiques et de scènes fabulées visant à brosser un portrait à peu près vraisemblable de l'affaire. Cette opposition entre le discours médiatique et la littérature, et plus particulièrement entre le fait divers et l'écriture romanesque, permet de penser la pertinence de certaines pratiques en littérature contemporaine. Si l'on peut rapprocher <em>Claustria</em> de <em>In Cold Blood </em>de Truman Capote (1966), le roman de Jauffret n'appartient toutefois pas au genre de la <em>Non-Fiction</em>. La raison en est bien simple: alors que l'ensemble des faits entourant les meurtres sanglants d'Herbert Clutter, de sa femme et de ses enfants étaient accessibles à l'écrivain américain, qui a mené une enquête exhaustive, la claustration des victimes de l'affaire Fritzl laisse quant à elle un large pan de l'histoire dans l'ombre. Ce sont précisément ces zones obscures que Jauffret tente d'éclairer à l'aide d'hypothèses fictionnelles. De plus, si Jauffret cherche à comprendre Fritzl, le rendement romanesque qu'il en fait n'a rien pour lui restituer son humanité, et en cela, ses visées s'éloignent aussi de celles de Capote. L'empathie de l'écrivain se tourne plutôt vers les habitants de la cave, celui-ci cherchant à imaginer comment ils ont pu survivre si longtemps dans la réclusion. Une question irrésoluble, une vraie question de romancier.</p>
<p>Le projet de Jauffret s'inscrit dans une conception du roman comme outil de connaissance. Les cinq cents pages qu'il consacre à l'affaire Fritzl, bien qu'elles contiennent des propositions largement hypothétiques, et parfois choquantes (j'y reviendrai), sont tout de même à prendre au sérieux. Au discours médiatique qui se caractérise par sa prétendue limpidité, par sa volonté d'incarner une forme de lisibilité absolue —il n'y a pas d'ambiguïté possible lors d'un <em>bulletin d'informations</em>—, Jauffret oppose une vision de l'affaire Fritzl marquée par l'illisibilité. Ici, je pense d'abord à une forme d'illisibilité toute pragmatique: cette histoire est insupportable, et Jauffret s'évertue à nous faire subir l'horreur. Le lecteur est lui aussi cloitré. Ici, il faut faire preuve de prudence: jamais je n'oserais affirmer que cette expérience d'enfermement littéraire équivaut à l'enfermement bien réel des victimes. Le lecteur n'est pas à plaindre. En amorçant la lecture de <em>Claustria</em>, celui-ci accepte néanmoins de prendre connaissance, sous un mode hypothétique, mais violemment vraisemblable, des faits que la lisibilité médiatique ne peut se permettre d'exposer dans toute leur complexité. L'autre forme d'illisibilité que je souhaite relever découle de la première: l'affaire Fritzl est sans doute inexplicable. On peut se perdre en conjonctures, on peut tenter d'imaginer —et Jauffret s'y essaie avec aplomb—, il n'en demeure pas moins qu'une part de cette histoire échappe à la rationalité. Et c'est sans doute dans cet échec de la saisie rationnalisante que la fiction trouve l'énergie de remodeler, sans révérence, l'enfer créé par Fritzl, et auquel celui-ci pouvait accéder quotidiennement, en descendant l'escalier qui menait à son sous-sol.</p>
<p>Évidemment, Jauffret s'emploie à débusquer, sous les non-dits et les silences, des semblants de vérité. Et c'est peut-être là que son projet rencontre sur son chemin un problème éthique. Lorsque j'évoque le caractère choquant de certaines extrapolations développées par Jauffret, je pense notamment à ce passage où il laisse entendre que le viol et l'inceste ont laissé place, peu à peu, à une relation amoureuse des plus malsaines entre le père et sa fille qui aurait été atteinte du Syndrome de Stockholm: </p>
<p>L'inceste, le viol, puis l'inceste désiré, obsédant, l'attente fiévreuse du seul pénis au monde qui pénétrera jamais dans la cave. Un pénis qu'on n'en peut plus d'espérer, il tarde souvent à se montrer pendant de longs jours, des semaines, quand il la laissait seule pour partir en vacances s'enfoncer dans d'autres chairs. La faim de nourriture quand les provisions se raréfient et l'absence de ce viatique qui transformerait le lit en tapis volant.</p>
<p>Ces cris de jouissance qui vont rejoindre le chœur des femmes en train de jouir au même instant sur toute la peau du monde. L'orgasme égalitaire, nivellement par l'infini, et quand il le lui procure elle est plus heureuse que les reines dont le roi est mort, plus heureuse que les vierges, les épouses au sexe depuis longtemps cicatrisé à force d'être lassées d'attendre des années durant le pénis d'un mari abruti par le travail et les coups de maillet d'un quotidien lancinant comme les aboiements des motos, des voitures, des camions furieux qui toute la nuit traversent comme des chiens ahuris la ville où il est né d'une grossesse indésirable et mourra sans même s'en apercevoir tant son existence n'aura été quatre-vingt-douze années durant qu'une interminable métaphore du néant (p.85).</p>
<p>On le voit, la liberté avec laquelle Jauffret se permet d'extrapoler quant à la relation entre Fritzl et sa fille a quelque chose de profondément irrévérencieux. Je cite longuement cet extrait parce qu'il permet de cerner la proximité du ton adopté par Jauffret dans <em>Claustria</em> avec l'humour noir qui caractérise habituellement ses œuvres de fiction. Ce passage, où Jauffret cède à une forme de lyrisme qui tient du nihilisme triomphant, rappelle certains moments de <em>Microfictions</em> au ton vitriolique où l'existence des personnages devient un prétexte pour faire du style : «Nous avons joui en tirant la chasse d'eau pour couvrir le bruit de nos gémissements. Nous nous sommes mariés le mois suivant pour des raisons fiscales » (2007, p.13); «Ce n'est quand même pas de ma faute s'il s'était lassé de son sexe, et s'il l'a écrasé comme un mégot au fond d'un cendrier» (p.35); «Est-ce que tu m'aimes? Il fait trop chaud» (p.61); «Je la supplie de me tuer, car je le mérite. En me cinglant avec un câble, elle me rappelle que seuls les êtres vivants peuvent espérer mourir» (p.108).</p>
<p>Ma première réaction a été d'interpréter ce traitement de l'affaire Fritzl comme étant impudent, et j'ai pensé que Jauffret allait peut-être trop loin, comme si le réel devenait un simple prétexte pour donner cours à l'écriture. Il y a sans doute un peu de cela, par moments, mais l'explication demeure insatisfaisante. Une interprétation plus proche de la réalité reconnaîtrait peut-être qu'effectivement, dans ce cas précis, les évènements ont atteint un degré d'ambiguïté si radical qu'il est presque impossible d'admettre leur éventualité. Jauffret l'écrit au début du roman: «Je n'arrive pas à m'imaginer vingt-quatre années dans un trou» (p.24). Au final, c'est sans doute ce désir de comprendre la réalité obscure de cette femme et de ces enfants qui ont vécu si longtemps dans une cave qui vient valider le projet de Jauffret. Malgré le ton parfois caustique qu'il adopte, il livre aussi quelques passages empreints de tendresse où se profilent en sourdine des bribes d'humanité ayant résisté à l'atrocité: «Ils regardaient toutes les émissions sur les animaux. Leur mère avait un livre d'images où elle leur montrait les chats, les poissons et les fauves. Ils étaient surpris de les voir en si mauvais état, aplatis, noir et gris sur le papier jauni piqueté de taches brunes, alors qu'ils étaient si gais sur l'écran» (p.136). D'un point de vue littéraire, on pourrait parler de l'art du contrepoint, d'une oscillation entre l'obscur et le lumineux. Cependant, force est d'admettre qu'on ne peut juger ce texte à l'aide de critères exclusivement littéraires. Il s'y profile également des visées éthiques sans lesquelles celui-ci n'aurait aucun sens: révéler dans toute sa complexité ce que le discours dominant cherche à oblitérer, quitte à scandaliser les plus prudes d'entre nous.</p>
<p align="center">*</p>
<p>En tentant de représenter l'immonde dans toute sa démesure, en cherchant à tirer du déni collectif l'existence de ces pauvres gens, Jauffret s'approche à mon avis de ce que pourrait être une expérience empathique authentique. Ce que j'entends par là est difficile à formuler. Je crois que Gilles Deleuze met le doigt sur le rôle fondamental que joue l'empathie dans l'écriture littéraire, quand il écrit que «la littérature ne commence que lorsque naît en nous une troisième personne qui nous dessaisit du pouvoir de dire JE» (Deleuze, 1993: 13). Cette formulation me semble juste en ce qu'elle explique l'écriture de l'autre comme étant une nécessité, un processus de compréhension où les contours de l'identité de l'énonciateur s'estompent pour laisser place à une réalité <em>a priori</em> étrangère. Cette démarche, chez Jauffret, est poussée avec une énergie qui relève du courage, d'où le malaise qu'elle peut engendrer chez le lecteur. Elle implique un renoncement aux critères moraux, à la pudeur et à la discrétion face à la souffrance des victimes. Et pourtant, au cœur de la négativité de l'écriture, il y a bel et bien quelque chose de positif qui ressort, et qui s'apparente à un cliché que je formulerais ainsi: <em>Donner une voix aux victimes, à ceux et celles qui n'ont plus de voix</em>. Ce cliché aurait pu devenir pour Jauffret un écueil, s'il avait par exemple décidé de modérer ses propos et d'embellir le récit afin de répondre aux attentes d'un lectorat en mal d'histoires touchantes. Heureusement, Jauffret a la force d'évoquer ce à quoi l'esprit se refuse tout naturellement: «Roman est allé respirer à la fenêtre. L'air lui manquait en se souvenant. Il regardait au loin. Il se sentait coupable d'avoir été si heureux dans la cave. D'aimer son père, aussi» (p.40).</p>
<p>Ce dernier extrait laisse entrevoir toute la complexité de l'affaire Fritzl. Cette claustration, qui pour nous gens d'en haut est d'une horreur inconcevable, aura été pendant de longues années la seule réalité des enfants et de la femme qui l'ont souffert. Jauffret rappelle que ce sont des humains, et qu'ils ont sans doute aimé eux aussi père et mère. Alors que le discours médiatique, en une sorte de pudeur où se mêlaient la honte et une évidente propension au sensationnalisme, ne pouvait que réifier les victimes en les réduisant précisément à ce rôle de la victime sans voix, Jauffret, lui, aura tenté de se projeter radicalement dans leur existence. «La joie, écrit-il dans <em>Microfictions</em>, n'est pas dans l'oubli, l'insouciance, l'ébriété, l'euphorie que procure le mensonge de croire sa vie éternelle, elle est dans la lucidité de penser à tout instant le réel avec la précision du chirurgien qui incise les chairs d'un patient équarri lors d'une opération à coeur ouvert.» (2007, p.92) Si cette machination littéraire est forcément troublante, il faut admettre que c'est pour le mieux. Les victimes ne sont pas que des victimes. Elles sont nées avec des ailes, des ailes tristement inutiles dans un trou sans ciel.</p>
<p> </p>
<p><strong>Bibliographie</strong></p>
<p> </p>
<p>DELEUZE, Gilles, <em>Critique et clinique</em>, Paris, Minuit, 1993.</p>
<p>JAUFFRET, Régis, <em>Claustria</em>, Paris, Seuil, 2012.</p>
<p>-----, <em>Microfictions</em>, Paris, Gallimard (coll. Folio), 2007.</p>
<p>GEFEN, Alexandre, «“Je est tout le monde et n’importe qui”. Les Microfictions de Régis Jauffret», <em>Critical Review of Contemporary French Fixxion</em>, n°1, december 2010, URL <a href="http://www.critical-review-of-contemporary-french-fixxion.org/english/publications/nr1/gefen_en.html">http://www.critical-review-of-contemporary-french-fixxion.org/english/publications/nr1/gefen_en.html</a></p>
<p>ROBITAILLE, Louis-Bernard, «Claustria, de Régis Jauffret: les enfants de la caverne», <em>La Presse</em>, 25 février 2012. En ligne: <a href="http://www.cyberpresse.ca/arts/livres/romans/201202/25/01-4499729-claustria-de-regis-jauffret-les-enfants-de-la-caverne.php">http://www.cyberpresse.ca/arts/livres/romans/201202/25/01-4499729-claustria-de-regis-jauffret-les-enfants-de-la-caverne.php</a></p>
<p>SLOTERDIJK, Peter, <em>Critique de la raison cynique</em>, Paris, Christian Bourgois Éditeur, 1987 [1983]. [traduit de l'allemand par Hans Hildenbrand]</p>
<p> </p>
<p> </p>
<p><a href="#_ftnref" name="_ftn1" title="">[1]</a> J'ai proposé une lecture de ce recueil ici-même, en 2009: «<a href="http://salondouble.contemporain.info/lecture/ecrire-avec-un-marteau">Lire avec un marteau</a>».</p>
<p><a href="#_ftnref" name="_ftn2" title="">[2]</a> À ce propos, l'article «“Je est tout le monde et n’importe qui”. <em>Les Microfictions </em>de Régis Jauffret», d'Alexandre Gefen, est un incontournable. (Voir dans la bibliographie.)</p>
<p> </p>
http://salondouble.contemporain.info/lecture/des-ailes-inutiles#commentsAmbiguïtéCAPOTE, TrumanCrimeCynismeDELEUZE, GillesÉcritureEmpathieEnfermementÉthiqueExploration des possiblesFait diversFranceGEFEN, AlexandreIncesteJAUFFRET, RégisLimites de la représentationNégativitéOutil de connaissancePouvoir et dominationRapport au père et à la mèreROBITAILLE, Louis-BernardSLOTERDIJK, Peter ViolViolenceRomanMon, 30 Apr 2012 15:13:34 +0000Simon Brousseau501 at http://salondouble.contemporain.infoLe visage de l'histoire
http://salondouble.contemporain.info/lecture/le-visage-de-lhistoire
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<a href="/equipe/leguerrier-louis-thomas">Leguerrier, Louis-Thomas </a> </div>
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<a href="/biblio/les-derniers-jours-de-smokey-nelson">Les derniers jours de Smokey Nelson</a> </div>
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<p style="margin-left: 160px; "><span style="color:#696969;">«C'est mon visage que tu contempleras demain dans les yeux du scélérat qui sera enfin assassiné. Par moi, ton Dieu.» (p.96)</span></p>
<p style="margin-left:28.55pt;"> </p>
<p><em>Les derniers jours de Smokey Nelson</em> de Catherine Mavrikakis raconte le surgissement brutal de jours profondément et fatalement historiques au cœur d'une époque en pleine perte d'historicité. Ces quelques jours presque entièrement occupés par la présence invisible mais terriblement concrète de Smokey Nelson, un Noir américain condamné à mort pour avoir sauvagement assassiné un couple et leurs deux enfants, sont des fragments de l'histoire que le monde contemporain, avec sa haine, ses injustices, sa spiritualité mutilée et ses mille violences nous inflige, nous qui de cette histoire ne cessons d'affirmer la disparition, et hurlons sur tous les toits l'arrivée de son terme. Chacun des quatre principaux personnages du roman entretient un rapport tragique mais essentiel avec l'histoire, celle personnelle de Smokey Nelson comme celle, se dévoilant dans le crime qu'il commet et dans l'exécution s'en suivant, qui pèse de tout le poids de son universalité sur les êtres qui l'endurent. Pearl Watanabe nous apparaît destinée à aller à sa rencontre mais, ayant laissé passer la possibilité terrifiante qu'elle lui offrait, se laisse résorber par elle; Sydney Blanchard la convoite en vain depuis sa naissance pour finalement la trouver dans une mortelle bagarre de rue; Ray Ryan se la construit idéologiquement et réifie son contenu réel pour se protéger de son caractère absurde; tandis que Smokey Nelson, le condamné à mort, ne fait plus qu'un avec elle: à la fois le bourreau et la victime, il incarne la prison infernale où se rencontrent les extrêmes de sa dialectique.</p>
<p><span style="color:#696969;"><strong>Pearl Watanabe</strong></span></p>
<p>Pearl Watanabe apparaît d’abord dans le roman comme une rescapée de l'histoire. C'est avec une violence que peu de gens connaissent qu'elle y a été confrontée, lorsque, ayant quitté sa terre natale pour s'installer dans l'État de Georgie aux États-Unis, elle a fait la découverte dans le motel où elle travaillait des cadavres fraîchement tués de la famille anéantie par Smokey Nelson. Mais quand elle décide de retourner vivre là d'où elle vient et où elle a grandi, à Hawaii, dans ce «monde protégé» (p.41) qu'elle se promet de ne plus quitter, elle croit pouvoir oublier ce corps à corps si intense avec l'histoire qu'elle a laissé derrière elle dans ce motel de la banlieue d'Atlanta, et ainsi pouvoir mourir «au terme d'une existence qui finirait par être sans histoire» (p.41). Introduite, donc, comme une rescapée, Pearl Watanabe se dévoile pourtant bien vite, alors qu'elle prend l'avion pour aller rendre visite à sa fille sur le continent américain, comme une aventurière partant à la rencontre de l'histoire, de ce destin qu'elle appréhende sans se l'avouer depuis qu'elle a fait la connaissance de Smokey Nelson, de cette étoile qu'elle sait être la sienne et qu'elle voudrait «décrocher du ciel et tenir à bras le corps» (p.70). En cette terre de l'apaisement qu'est Hawaii, Pearl conserve par son nom le souvenir du sursaut d'histoire qui en a fait trembler le sol, le jour du bombardement de Pearl Harbor pendant la Deuxième Guerre mondiale. Elle est la trace que l'histoire a laissée sur ce continent qui voudrait l'oublier. Le caractère inéluctable de sa rencontre avec celle-ci s'impose de toute sa force quand elle découvre que l'exécution de Smokey Nelson, cet événement qui depuis quinze ans se trouve reporté, aura lieu pendant les vacances qu'elle passe alors chez sa fille tout près d'Atlanta. Cet homme qu’elle a croisé dans le stationnement du motel tout de suite après qu’il ait égorgé ses quatre victimes, avec lequel, juste avant d'entrer dans le motel pour y découvrir les corps, elle a fumé une cigarette et échangé des paroles amicales, cet homme qui ne l'a pas tuée alors qu'il savait bien qu'elle témoignerait contre lui et pour lequel elle ne peut s'empêcher de ressentir un attachement profond, elle sait qu'elle a maintenant une chance de le revoir. Ainsi le cloîtrement volontaire de Pearl en terre posthistorique apparaît finalement comme un entre-deux longuement prolongé. Ce qu'elle a pensé être l'aboutissement de sa vie n'était qu'un moment de repos avant la suprême épreuve dont elle ressent secrètement, depuis sa rencontre avec Smokey Nelson, la terrifiante nécessité. Son exil n'était qu'un moment de calme avant la tempête. Un peu comme en offrait aux soldats américains, lorsqu'il était réquisitionné par l'armé, l'hôtel où elle travaille à Hawaii, «afin que les gars envoyés dans le Pacifique aient un lieu agréable pour oublier le sort qui les attendait» (p.54).</p>
<p>Jetée tête première dans la fureur du destin dont elle pensait s'être à jamais extirpée, Pearl commence à faire surgir la logique à la fois terrible et séduisante qui a muri en elle de la noirceur dans laquelle le refoulement l'a si longuement maintenue: </p>
<blockquote><div class="quote_start">
<div></div>
</div>
<div class="quote_end">
<div></div>
</div>
<p>C'est comme si toute sa vie, depuis plus de vingt ans, elle l'avait vécu en prison, avec ce type, ce Nelson... comme si elle s'était sentie coupable des crimes... Que devait-elle expier? Qu'avait-elle fait de si mal en étant séduite par cet homme plus jeune chez qui elle n'avait pu deviner l'horreur? (p.243)</p>
</blockquote>
<p>Si Pearl attribue ce sentiment de culpabilité au fait qu'elle ait pu être séduite par un homme s'étant montré capable d'une telle sauvagerie, c'est peut-être pour se protéger de ce qu'elle sait malgré tout avoir à expier, et qui en elle a été enfoui par le travail du temps anhistorique qui gouverne cet hôtel de l'oubli dans lequel elle s'est réfugiée. Si la honte de s'être attachée à quelqu'un ayant agi de manière monstrueuse était ce qui la préoccupait réellement, elle n'aurait pas perdu toutes ces années à tenter d'oublier le sort réservé à Smokey Nelson, et aurait probablement souhaité qu'il soit exécuté bien avant. Le fait que son attachement pour lui se soit maintenu après qu'elle ait appris ce dont il était capable et que celui-ci soit même devenu beaucoup plus intense et profond —assez pour lui donner l'impression de vivre avec lui en prison— prouve plutôt le contraire. Ce que Pearl sait au fond d'elle devoir expier est peut-être cette souffrance qu'elle ne peut justement pas vivre en prison avec Smokey Nelson:</p>
<blockquote><div class="quote_start">
<div></div>
</div>
<div class="quote_end">
<div></div>
</div>
<p>On avait eu beau, dans les journaux, faire d'elle une pauvre victime des circonstances, de la police qui ne croyait pas en son premier témoignage et plus généralement de la vie, Pearl ne pouvait s'empêcher de se voir comme une espèce de bourreau dans cette affaire (p.67).</p>
</blockquote>
<p>Peut-être est-ce le redoutable impératif formulé dans <em>Les Frères Karamazov </em>par le Staret Zossima qui occupe les pensées troubles avec lesquelles elle se débat au moment où, ayant perdu pour toujours la chance de revoir celui qui l'obsède, elle décide de se donner la mort: «Si tu es capable de prendre sur toi le crime du criminel qui se tient devant toi et que tu juges en ton cœur, alors, prends-le sans attendre et souffre, toi, pour lui, et, lui, laisse le repartir sans reproches» (Dostoïevski, p.577).</p>
<p><span style="color:#696969;"><strong>Sydney Blanchard</strong></span></p>
<p>Tout comme Pearl Watanabe, Sydney Blanchard voudrait bien trouver la place qui lui revient à l'intérieur du plan suprême de l'histoire: «J'ai comme une mission sur cette terre». (p.108) Seulement, il se trompe dans les suppositions qu'il entretient sur la nature de celle-ci. Alors qu'il s'imagine, étant né le jour de la mort de Jimi Hendrix, entrer dans l'histoire en tant que star du rock, le cours des choses qui fait en sorte que les Noirs américains ne peuvent pas tous occuper la place réservée à quelques-uns au sein de l'industrie culturelle continue de gagner du terrain. La mésaventure qui à dix-neuf ans l'a fait passer à deux doigts de la peine capitale et qui du même coup le liait à jamais au sort de Smokey Nelson lui a tout de même donné à réfléchir. Cet épisode seul a de quoi lui faire comprendre que ce rôle qu'il se croit destiné à jouer dans l'effroyable comédie de son temps est tout sauf glorieux. Et il le comprend, au moins partiellement, puisqu'il affirme être conscient de vivre «en sursis» (p.115). Sydney Blanchard est la figure du protagoniste en sursis de l'histoire. C'est de justesse qu'il a pu se dérober à la férocité de son emprise, quand le témoignage de Pearl Watanabe contre Smokey Nelson a fait tomber les accusations de meurtre au nom desquelles l'État allait lui faire la peau. Sans oublier la chance qu'il a eue, près de quinze ans après cet épisode carcéral, d'avoir pu quitter la Nouvelle-Orléans avec sa famille avant que la situation causée par l'ouragan Katrina ne dégénère: «L'histoire a décidé pour moi... Après Katrina, encore un nouveau petit sursis...» (p.115). Après chacun de ces deux événement marquants de sa vie, ces deux moments qu'il ressent comme des irruptions dans celle-ci, sous une forme négative, de l'histoire par laquelle il sait être intimement concerné, Sydney Blanchard a l'impression à la fois d'avoir été épargné et laissé en plan:</p>
<blockquote><div class="quote_start">
<div></div>
</div>
<div class="quote_end">
<div></div>
</div>
<p>Si je me faisais exécuter vendredi, (à la place de Smokey Nelson) je serais même content que quelque chose ait lieu... C'est pas le vedettariat... Je l'envie pas de passer à la télé et dans les journaux... Ça, je l'ai vécu quand j'ai été arrêté... Rien de sympa là-dedans... Non, juste avoir l'impression que la vie m'a pas simplement oublié... (p.37-38)</p>
</blockquote>
<p>S'il voudrait que la vie se souvienne de son existence, afin que celle-ci puisse s'inscrire d'une quelconque manière dans l'histoire universelle, l'approche de l'exécution de Smokey Nelson qui, si ce n'avait été de Pearl Watanabe, aurait bien pu être la sienne, le force à penser cette inscription de son être dans la marche du monde de manière négative, c'est-à-dire en relation à sa propre destruction en tant que sujet historique. C'est qu'il envisage, malgré la bonne étoile qu'il attribue au jour de sa naissance, tout ce que l'histoire a de souffrance à offrir au prolétariat noir américain, que ce soit «dans l'État de John McCain» (p.101) ou chez les «bobos» (p.102) du nord: «L'Amérique, c'est beau, oui, mais pas pour tous!» (p.119). Il est tentant d'interpréter le rapport qu'il établit ―dans une des nombreuses conversations qu'il a avec sa chienne Betsy― entre l'ouragan Katrina et le passage de la Bible où s'abat sur Sodome et Gomorrhe la foudre de Dieu comme une métaphore sur la fatalité dont la société américaine a historiquement marqué les Noirs qui ont essayé d'y vivre: «Il y aurait eu de quoi faire un film, que j'aurais pu vendre cher à des réalisateurs blancs... Ils auraient parlé d'une reprise de la fin de Sodome et Gomorrhe avec des Noirs...» (p.111). L'idée de voir dans l'ouragan Katrina un châtiment divin envoyé aux Noirs pour les punir d'être noirs, idée partagée par plusieurs Américains d'extrême-droite dont Ray Ryan, exprime bien le rapport problématique que Sydney Blanchard entretient avec l'histoire. Même s'il a toujours gardé la conviction que celle-ci lui réservait de grandes choses, il doit reconnaître que ses quelques irruptions dans sa vie ont chaque fois failli lui coûter celle-ci. Malgré le relatif confort de cette vie de longue attente, cette vie de sursis qu'il a connue entre ces moments de crise, il reste que: «un jour, on en peut plus... On demande la fin. On veut que ça finisse pour de bon... On est franchement écœuré que le même film recommence... Qu'on nous le passe en boucle» (p.120). Mais cette fin qui est accordée à Sydney Blanchard n'a rien de grandiose: l'histoire lui annonce simplement et brutalement que son sursis est terminé, et que son dernier soupir, il le poussera, comme tant d'autres de sa couleur et de sa classe sociale, dans la violence et la haine, sur le ciment brûlant du stationnement d'un poste d'essence, tombé sous les balles d'un autre Noir qui comme lui a eu le malheur de naître sous l'étoile cruelle et revancharde des États-Unis d'Amérique.</p>
<p><span style="color:#696969;"><strong>Ray Ryan</strong></span></p>
<p>Ray Ryan, pour sa part, entretient avec l'histoire une relation de maîtrise et de servitude. Il est de ceux qui ne vivent pas le temps historique qu'ils font: travaillant sans relâche à la production et à la reproduction de celui-ci, jamais il ne parvient à s'approprier l'expérience qu'il en fait. C'est cela qui est exprimé par cette phrase que son Dieu —qui tout au long du roman l'accompagne et prend la parole à sa place— aime lui souffler au creux de l'oreille: «Le temps divin avale et broie ton existence» (p.96). Producteur de sa propre dépossession, seule la fiction idéologique qu'il superpose à l'histoire réelle dont il est séparé se trouve à la portée des infimes pouvoirs qu'il peut encore reconnaître comme siens. Peut-être est-il celui des quatre personnages principaux du roman qui entretient le rapport le plus dangereux avec l'histoire, dangereux pour le maintien de sa propre communauté et de toute vie sociale. En affirmant, avec la résolution propre à l'intégrisme religieux, l'existence d'une positivité absolue qui se dévoilera pleinement à la fin de l'histoire, il fait entrer la souffrance vécue dans un plan préétabli résultant d'une volonté consciente, et justifie par là tout ce que celle-ci inflige et continuera d'infliger de malheurs et d'humiliations à l'être humain: «Moi seul prononce les arrêts de mort, les catastrophes que je vous envoie en ce moment et depuis quelques temps sont des signes bien clairs qui montrent la splendeur et la magnitude de la colère que je contiens» (p.93). De Ray Ryan, toute possibilité de révolte a été extirpée. L'histoire ayant toujours suivi son cours malgré la folie de ses faux prophètes, il la sert d'autant mieux qu'il la falsifie en l'intégrant de force dans le sens qu'il lui attribue. Son aveuglement est un conformisme au service de ceux qui comme son fils Tom infligent aux vaincus toute la violence nécessaire au maintien de l'histoire réelle, qui est restée jusqu'à ce jour celle des vainqueurs: «Et quand ton fils, vaillant soldat, s'est fait le gardien du sanctuaire divin, du territoire du Sauveur, tu as acquiescé doucement, fièrement. Que Dieu sauve l'Amérique!» (p.91). En cherchant à donner un sens à l'assassinat de sa fille et de la famille de celle-ci par Smokey Nelson et en voyant dans l'exécution de ce dernier le couronnement de la fausse réalité qu'il a échafaudée en imposant à la véritable un sens clos, Ray Ryan justifie non seulement le meurtre en général, que ce soit à travers la peine de mort administrée ou les exactions commises par le groupe d'extrême-droite dont son fils fait partie, mais aussi, sans le vouloir, la mort atroce et impardonnable de celle qu'il a mise au monde. Cette fin abominable qu'a connu sa fille, il la pardonnera, non pas à Smokey Nelson, qu'il désire à tout prix voir crever, mais à celui que sa conscience étriquée lui désigne comme l'unique responsable de toute chose, y compris des pires: son Dieu vengeur et rancunier.</p>
<p> </p>
<p><span style="color:#696969;"><strong>Smokey Nelson</strong></span></p>
<p>Si le Raskolnikov de Dostoïevski, dans <em>Crime et châtiment, </em>représente le meurtrier qui par son crime et par la conscience de la culpabilité qui en découle réussit à communier, dans le repentir, avec la communauté humaine universelle, si la Thérèse Raquin de Zola représente au contraire celle dont le crime comme la déchéance qui en découle reconduisent la destruction de cette même communauté, Smokey Nelson, pour sa part, est le meurtrier séparé de son crime et sans rapport avec celui-ci, la possibilité d'un tel rapport lui ayant été confisquée. Coupé de la terrible expérience faite par l'assassin que la police oublie d'inquiéter, celle de la vie qui se poursuit même après être apparue si facile à réduire en miette, brusquement retiré de l'histoire pour être enfoui dans l'immobilité du temps carcéral, il ne parvient plus à faire le lien, de même qu'il ne peut plus en établir entre ses crimes et l'exécution qui, plus de quinze ans après, est supposée les punir, entre sa personne et ceux-ci: </p>
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<p>Ses crimes maintenant lui semblaient bien lointains. Ils n'encombraient que très rarement ses pensées. En prison, les souvenirs trop personnels ne servent pas à grand chose. Ils sont plutôt des ennemis à abattre et Smokey avait toujours tenté sauvagement de les chasser (p.284-285).</p>
</blockquote>
<p>Tout ce que Smokey Nelson a été pendant les dix-neuf années qu'a duré sa vie d'homme libre, y compris le tueur sanguinaire ayant décimé toute une famille, la prison a lentement fait en sorte qu'il l'oublie, que tout cela à ses yeux disparaisse. Son arrachement à l'histoire dont il venait par ses actes de reconduire toute la violence et son envoi expéditif dans le couloir de la mort donnent l'impression de son effacement en tant que protagoniste de cette histoire. C'est tout comme si les années précédant son emprisonnement ainsi que celle s'étant écoulées entre celui-ci et son exécution s'étaient volatilisées. De cela résulte la réification de son être dans le rôle de bourreau qu'il a pris sur lui juste avant de sombrer en plein vide carcéral, et dont l'extrême violence semble avoir balayé toutes les autres dimensions de sa personne. Smokey Nelson devient par son emprisonnement et sa condamnation à mort une abstraction figée exprimant le crime en soi<a href="#_ftn1" name="_ftnref" title="">[1]</a>, tandis que concrètement il devient néant pur et anhistorique. Vue la manière dont le monde administré s'est occupé de son cas, ce n'est pas le sentiment de s'être lui-même exclu de l'humanité ressenti par Raskolnikov, ni la dégénérescence morale et physiologique de Thérèse Raquin qui pourrait l'atteindre. On le garde bien au frais, hors de toute histoire, dans un confort climatisé où il doit, afin de pouvoir être, s'anéantir:</p>
<blockquote><div class="quote_start">
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<div class="quote_end">
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<p>les autorités du pénitencier avaient décidé de refroidir un peu les esprits échauffés en faisant marcher à bloc le système central de climatisation, ce qui avait eu pour effet de calmer tout le monde... Un bon repas et l'air climatisé font des merveilles pour l'atmosphère d'un pénitencier. Il y aurait bien d'autres jours pour faire du chahut (p.279).</p>
</blockquote>
<p>L'air climatisé représente ici le véhicule de la glaciation de l'histoire à l'intérieur de la non-vie carcérale. Si la direction de la prison se montre particulièrement généreuse, lors des jours d'exécution, en ce qui a trait à la climatisation des cellules, c'est parce qu'elle est consciente que c'est lors de tels jours que les conditions nécessaires au surgissement de l'histoire disqualifiée se trouvent le plus près d'être réunies :</p>
<blockquote><div class="quote_start">
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<div class="quote_end">
<div></div>
</div>
<p>Même après une exécution, la prison met toujours quelques jours à retrouver son train-train normal. La grogne continue de se faire entendre alors que l'exécuté hante toujours les lieux. Un homme est mis à mort et c'est la cadence idiote des jours qui se suivent et se ressemblent qui, tout à coup, refait surface et envahit les cellules et les espaces communs. L'inhumanité des choses devient subitement insupportable. Dans la prison, on est alors prêt à tout... (p.278).</p>
</blockquote>
<p>C'est donc le jour de sa mise à mort, qui comme tous les autres jours d'exécution porte en lui l'histoire prête à briller à nouveau de son feu atroce et magnifique, que Smokey Nelson sort du vide existentiel qui caractérise sa condition de prisonnier pour se présenter une deuxième fois à la face du monde, cette fois-ci en tant que victime. De la figure abstraite du criminel en soi, il passe à celle tout aussi abstraite du châtié absolu, victime d'un châtiment se prétendant universel mais ne servant dans les faits qu'à satisfaire, par l'entremise du spectacle que lui offre l'État et ses techniciens de la mort, le besoin de vengeance de Ray Ryan<a href="#_ftn2" name="_ftnref" title="">[2]</a>. </p>
<p>Dans <em>Dialectique Négative, </em>Adorno dit qu'«[a]ffirmer qu'un plan universel, dirige vers le mieux, se manifeste dans l'histoire et lui donne sa cohérence, serait cynique après les catastrophes passées et celles qui sont à venir» (Adorno, 2003: 387). Il rajoute toutefois «[qu’]il ne faut pas pour autant renier l'unité qui soude ensemble les moments et les phases de l'histoire dans leur discontinuité et leur éparpillement chaotique» (Adorno, 2003: 387). De la même manière, le fait de chercher à faire entrer dans un plan universel dont le sens se dévoilerait à travers la mise à mort de Smokey Nelson les destinées qui, dans le roman de Mavrikakis, s'éparpillent de manière chaotique et discontinue autour de lui serait dans le meilleur cas cynique et dans le pire, comme il en est du rapport de Ray Ryan à l'histoire, un pas vers le fascisme ordinaire. Inscrire ces destinées dans une histoire maudite et absolument mauvaise n'est pas non plus le but que je poursuis. Mais le présent texte visait tout de même, afin de remplir l'exigence qu'Adorno nous demande de considérer, à donner la parole à l'expérience, celle de l'histoire comme violence perpétuelle, en laquelle <em>Les derniers jours de Smokey Nelson </em>trouve selon moi sa cohérence, et dont les moments discontinus sont maintenus ensemble par l'emprise d'une société condamnée. Si j'ai pris dans ce texte le parti de me confronter le plus bruyamment que je le pouvais à cette expérience si puissamment transmise par Catherine Mavrikakis dans son roman, c'est avec la conviction qu'en elle se trouve la possibilité d'un monde meilleur.</p>
<p> </p>
<p><strong>Bibliographie</strong></p>
<p>ADORNO, Theodor (2003), «Histoire Universelle», dans <em>Dialectique négative, </em>Paris, Payot (Petite Bibliothèque Payot).</p>
<p>DOSTOÏEVSKI, Fédor (2002), <em>Les frères Karamazov</em>, traduit du russe par André Markowicz, Arles, Actes Sud (Babel).</p>
<p>HEGEL (2007), <em>Qui pense abstrait?</em>, édition bilingue, Paris, Hermann.</p>
<p>MAVRIKAKIS, Catherine (2005), <em>Condamner à mort. Les meurtres et la loi à l’écran</em>, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal.</p>
<p> </p>
<div>
<hr align="left" size="1" width="33%" />
<div id="ftn">
<p><a href="#_ftnref" name="_ftn1" title="">[1]</a> «Voilà donc ce qu'est la pensée abstraite: ne voir dans le meurtrier que cette abstraction d'être un meurtrier, et, à l'aide de cette qualité simple, anéantir tout autre caractère humain» (Hegel, 2007: p.3).</p>
</div>
<div id="ftn">
<p><a href="#_ftnref" name="_ftn2" title="">[2]</a> Dans son essai sur la peine de mort, Mavrikakis avait déjà démontré son propos, avant de le mettre en scène à travers le personnage de Ray Ryan et son rapport à l'exécution du meurtrier de sa fille, en partant cette fois-ci du cas véridique de Timothey McVeigh, le militant américain d'extrême-droite responsable de l'explosion d'un immeuble du gouvernement fédéral et de la mort de cent-soixante-huit personnes qui s'y trouvaient: «L'image de la mise à mort de McVeigh, une fois digérée par le spectateur-victime, permettrait à ce dernier de retrouver la paix et de ne plus être hanté par les images de l'explosion. […] Le spectacle ne consiste pas en la mise à mort de McVeigh, il se fonde plutôt dans le dispositif de revanche où McVeigh n'est plus celui qui regarde la mort de ses victimes ; les places ont été changées, tout simplement. À l'image d'un immeuble éventré de cris, de fumée et de pleurs avec en arrière plan l'esprit maléfique de celui qui a perpétré le crime doit succéder l'image de la mort de McVeigh vue par ses victimes. Dans cet espace, celui de l'image cadrée sur les victimes devenues bourreaux, le monde entier lui, bien sûr, ne fait le deuil de rien et surtout pas des morts» (Mavrikakis, 2005: 151-152).</p>
<p> </p>
</div>
</div>
<p> </p>
http://salondouble.contemporain.info/lecture/le-visage-de-lhistoire#commentsADORNO, Theodor W.CrimeDOSTOÏEVSKI, FedorÉvénementHEGELHistoireImaginaire de la finJusticeMAVRIKAKIS, CatherinePeine de mortQuébecRomanTue, 11 Oct 2011 19:20:31 +0000Louis-Thomas Leguerrier386 at http://salondouble.contemporain.infoLittérature impolitique
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<a href="/equipe/bejarano-alberto">Bejarano, Alberto </a> </div>
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<a href="/biblio/2666">2666</a> </div>
</div>
</div>
<!--break--><!--break--><p class="rteindent3"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Jusqu’à quel point quelqu’un peut connaître l’œuvre de quelqu’un d’autre. <br />
Roberto Bolaño, <em>2666</em></span></p>
<p>Nous nous trompons en jugeant nos propres œuvres et en jugeant, toujours de manière imprécise, les œuvres des autres. Rendez-vous au Nobel, disent les écrivains, comme qui dirait: Rendez-vous en enfer. <br />
Roberto Bolaño, <em>2666</em> </p>
<p class="rteindent4"> </p>
<p><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Les bifurcations de <em>2666</em> </strong></span></p>
<p>Cette lecture est une première exploration des rapports entre la figure de l’écrivain et celle des critiques au sein même de la fiction dans le roman <em>2666</em> de l’écrivain chilien Roberto Bolaño (1953-2003). «Que peut-on connaître de l’œuvre des autres?» est l’une des questions posées par Bolaño dans son dernier roman. Notre but est donc d’analyser les significations paradoxales de cette proposition bolanienne et de réfléchir sur les contributions de Bolaño à la littérature contemporaine. </p>
<p>Nous suivrons pour ce faire le chemin proposé et parcouru par Pierre Macherey, à savoir un dialogue ouvert entre philosophie et littérature par le biais d’une exploration commune. La question demeure, comme le suggère Macherey: «quelle forme de pensée est incluse dans les textes littéraires, et peut-elle en être extraite?<a href="#bnote1" name="note1"><strong>[1]</strong></a>» Il s’agit d’un exercice philosophique non pas sur la littérature, mais avec elle. Pour Macherey, </p>
<p class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">le rapport de la littérature et de la philosophie est strictement documentaire: la philosophie affleure à la surface des œuvres de la littérature au titre d’une référence culturelle, plus ou moins travaillée, comme une simple citation qui d’ailleurs, du fait de l’ignorance de leurs auteurs et commentateurs, passe le plus souvent inaperçue. À un autre niveau, l’argument philosophique remplit à l’égard du texte littéraire le rôle d’un véritable operateur formel: c’est ce qui se passe lorsqu’il dessine le profil d’un personnage, organise l’allure générale d’un récit, voire en dresse le décor, ou structure le mode de sa narration. Enfin le texte littéraire peut encore devenir le support d’un message spéculatif, dont le contenu philosophique est souvent ramené sur le plan d’une communication idéologique.<a href="#bnote2" name="note2"><strong>[2] </strong></a><br />
</span></p>
<p>C’est un peu dans la même direction que Jacques Rancière affirme que «la critique littéraire ou cinématographique, ce n’est pas une manière d’expliquer ou de classer les choses, c’est une manière de les prolonger, de les faire résonner autrement<a href="#bnote3" name="note3"><strong>[3]</strong></a>». Pour notre part, nous faisons un exercice de philosophie littéraire, pour reprendre l’expression de Macherey, une sorte d’investigation littéraire à la manière de Claude Lefort (sur <em>L'Archipel du Goulag</em> de Soljenitsyne<a href="#bnote4" name="note4"><strong>[4]</strong></a>) et de Miguel Abensour (sur <em>Le rouge et le noir</em> de Stendhal<a href="#bnote5" name="note5"><strong>[5]</strong></a>). Notre question est la suivante: comment un écrivain, dans notre cas Bolaño, transforme un fait divers en symptôme et avertissement politique? Or, l’écrivain chilien Roberto Bolaño n’a pas fait une simple transposition d’un fait divers; il construit plutôt, dans son roman 2666, un récit apocalyptique sur la violence totalitaire et la violence suicidaire, considérées comme violences autodestructrices. </p>
<p>Bolaño reprend plusieurs informations concernant certains faits divers oubliés, qui se seraient déroulés entre 1993 et 1997 au Mexique —notamment l’enquête approfondie menée par le journaliste mexicain Sergio González (<em>Les os dans le désert</em>) sur certains crimes ayant eu lieu à Ciudad Juárez<a href="#bnote7" name="note6"><strong>[6]</strong></a>—, et s’en sert pour fabriquer <em>2666</em>, un roman noir en forme de thriller politico-psychologique. Il cherche ainsi à comprendre le fonctionnement de la violence et de la justice à Ciudad Juárez. Sa toile de fond est le rapport entre vieilles et nouvelles violences au XXe siècle. Bolaño veut parler des crimes de Ciudad Juárez comme du possible<a href="#bnote7" name="note7"><strong>[7]</strong></a>, pour reprendre l’expression de Georges Bataille. Il s’interroge en tant que romancier sur la violence et transforme Ciudad Juárez en Santa Teresa, un trou noir, ou l’endroit où se cache le secret du monde, selon ses propres mots. </p>
<p><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Bolaño et la littérature latino-américaine</strong></span></p>
<p class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Épiphanie négative, je veux dire, comme le négatif photographique d’une épiphanie. Ce qui est aussi une chronique quotidienne de nos pays. <a href="#bnote8" name="note8"><strong>[8] </strong></a><br />
</span></p>
<p>Roberto Bolaño est, selon l’écrivain catalan Enrique Vila-Matas, un «écrivain de la multiplicité<a href="#bnote9" name="note9"><strong>[9]</strong></a>», concept tiré des <em>Leçons américaines</em> de l’écrivain italien Italo Calvino. D’après Calvino, un écrivain de la multiplicité n’hésite pas à laisser une grande liberté à ses personnages pour modifier ou transformer la trame narrative de départ, par exemple. Un écrivain multiple n’a pas peur de bifurquer sans arrêt de ses propres voies narratives. Autrement dit, Bolaño laisse parler ses personnages; c’est un auteur polyphonique. Or, pour Vila-Matas, Bolaño échappe aux caractéristiques habituellement associées aux auteurs latino-américains: l’engagement politique, le réalisme magique, l’exotisme baroque, les feuilletons urbains, etc. D’une autre manière, l’écrivain mexicain Jorge Volpi définit Bolaño comme le «dernier des écrivains latino-américains<a href="#bnote10" name="note10"><strong>[10]</strong></a>». Pour Volpi, Bolaño est le dernier écrivain à incarner une certaine idée d’ensemble dans les lettres latino-américaines, au delà des frontières nationales de chaque pays, car il conçoit sa littérature comme une recherche sur les origines et les devenirs des personnages nomades qui parcourent sans cesse cette terre latino-américaine. Ces deux postures à propos de l’œuvre de Bolaño, celle de Vila-Matas et celle de Volpi, invitent à se demander ce qu’est un écrivain latino-américain<a href="#bnote11" name="note11"><strong>[11]</strong></a>.</p>
<p>Dans l’œuvre de Roberto Bolaño, on trouve des romans traitant de la violence politique (le Chili de la dictature de Pinochet dans <em>Étoile distante</em> et <em>Nocturne</em> du Chili; la répression contre les étudiants au Mexique en 1968 dans <em>Amulet</em>; l’extrême droite française des années trente dans <em>Monsieur Pain</em>) ou traitant d’une violence inspirée de faits divers: La piste de glace, Les détectives sauvages, Le policier des rates, Appels téléphoniques, etc. Bolaño a dû s’exiler de façon définitive dès l’âge de 20 ans, à cause de la dictature de Pinochet. Ce «déchirement» personnel restera à toujours en lui et sa littérature sera presque entièrement marquée par le thème de l’exil<a href="#bnote12" name="note12"><strong>[12]</strong></a>. </p>
<p>Bolaño réélabore l’histoire à partir des épiphanies négatives pour faire face aux cauchemars du siècle, notamment dans son roman <em>2666</em>. Il représente le cas d’un écrivain qui, justement, s’oppose à cette «mémoire saturée» des évènements récents de l’Amérique Latine, et fait appel à l’imagination pour s’approcher de l’histoire des victimes et, surtout, de celle des meurtriers.</p>
<p><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Bolaño et la littérature contemporaine</strong></span></p>
<p><em>2666</em>, dernier roman de Bolaño, inachevé et paru de façon posthume, est consacré à l’exploration de certaines formes de violence au XXe siècle: la révolution russe, le nazisme, et finalement la violence suicidaire de fin de siècle à Ciudad Juárez. 2666 traverse tout ces événements à travers la vie et l’œuvre de l’écrivain fictif allemand Benno von Archimboldi, né Hans Reiter, qui parcourt le XXe siècle: de la République de Weimar jusqu’à Ciudad Juárez. Suivant Georges Navet et Patrice Vermeren, on pourrait parler à Ciudad Juárez d’une nouvelle forme de violence, surnommé «suicidaire»: </p>
<p class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Ce que nous avons évoqué sous le nom de violence suicidaire désigne cette violence à la fois hétéro- et autodestructrice qui semble échapper à toute rationalité, comme si elle était une pure négativité se retournant contre tout et finalement contre soi –un mélange instable de rage et de jouissance à être anti-humain en général. On la rencontre dans certaines violences urbaines (pensons par exemple aux émeutes de Los Angeles, en 1993)<a href="#bnote13" name="note13"><strong>[13]</strong></a>.</span></p>
<p>Or, dans son enquête romanesque sur le réel et la violence, Bolaño a réservé une place exceptionnelle à la peinture comme voie parallèle d’exploration des formes de représentation de la violence. Les peintres Gustave Courbet et Georges Grosz occupent une place très importante dans le roman 2666. On pourrait dire que la peinture fonctionne chez Bolaño comme une véritable allégorie des formes de violences. Voyons le cas de Courbet.</p>
<p><strong><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Peinture et violence dans <em>2666</em>: le cas Courbet</span></strong></p>
<p>Résumons d’abord le scénario de cet extrait de <em>2666</em>: Boris Ansky, un écrivain juif et russe fictif créé par Bolaño, écrit un journal intime dans lequel il raconte sa vie et décrit le contexte et la vie quotidienne au moment des grandes purges stalinistes des années 1930. Ansky parle surtout de l’écrivain fictif soviétique, Ephraïm Ivanov, assassiné apparemment par ordre de Staline en 1938 —avec lequel il a écrit trois romans: <em>Le crépuscule</em>, <em>Midi</em> et <em>L’aube</em>. Ansky et Ivanov se lient d’une grande amitié et sont, comme le dit Bolaño, «[c]omplices dans leurs impostures jusqu’à la fin» (p.829). Mais Ansky est un dandy et Ivanov un pamphlétaire (c’est un peu comme si Paul Valéry avait écrit Les chiens de garde de Paul Nizan!). Ansky est l’écrivain fantôme d’Ivanov. En signant les romans d’Ansky, Ivanov devient un écrivain «sérieux». En échange, il introduit le jeune Ansky dans le réseau du parti, dont il est un membre reconnu, et le protège dans la mesure de son pouvoir. Tout se passe plus ou moins bien au début, jusqu’à ce que, d’après Ansky, on juge les romans d’Ivanov (dont Ansky est l’auteur secret) «suspects», selon l’expression de Staline lui-même. Après l’assassinat d’Ivanov, Ansky se cache dans l’Isba de sa famille à Kostekino (Crimée) jusqu’au Pogrom nazi en 1942, où il est assassiné. Quelques mois plus tard, Hans Reiter, jeune soldat allemand, découvre le cahier d’Ansky dans une cachette derrière la cheminée de son Isba en 1943. Il s’enferme dans l’Isba et lit le cahier d’Ansky pendant une saison, une saison en enfer. Il subit une métamorphose. </p>
<p>Selon Bolaño, Ansky est la force de Hans Reiter, c’est-à-dire sa source d’inspiration, et grâce à lui, Reiter deviendra plus tard Benno von Archimboldi, un célèbre écrivain allemand de l’après-guerre. Autrement dit, Reiter se fait écrivain par la peinture: il est bouleversé par les commentaires d’Anski sur Giuseppe Arcimboldo et, plus marginalement, sur Courbet. Mais nous avons ici un paradoxe: Reiter se passionne pour Arcimboldo à partir des commentaires d’Ansky, et non pas à partir des peintures en elles-mêmes (précisons que Reiter n’a jamais visité un musée, ni même regardé un tableau dans un livre). Ansky voit dans la peinture d’Arcimboldo, particulièrement dans <em>Les quatre saisons, de la joie pure</em>. Mais il y voit aussi, dans deux autres tableaux (<em>Le cuisinier</em> et <em>Le juriste</em>), l’horreur. Retenons donc que Reiter découvre la peinture à travers l’écrivain Ansky. C’est comme si l’on était bouleversé seulement par les commentaires de Paul Claudel sur Johannes Vermeer sans avoir jamais entendu parler de Vermeer et sans jamais avoir vu une seule de ses peintures. Autrement dit, ce sont les impressions d’Ansky sur la peinture d’Arcimboldo qui ont fait de Reiter un écrivain: c’est ainsi que Reiter devient Benno von Archimboldi.</p>
<p>Après l’assassinat d’Ivanov, outre ses références à Arcimboldo, Ansky parle également de Courbet. La place qu’occupe Courbet dans le cahier d’Ansky est très significative car c’est à propos du maître d’Ornans qu’Ansky fera une ébauche de comparaison entre le réalisme de Courbet —qu’il admire—, et le réalisme socialiste —qu’il subit et qui l’écrase. Bolaño fait dire à Ansky qu’il considère Courbet «comme le paradigme de l’artiste révolutionnaire» (p.830): «[Ansky] se moque, par exemple, de la conception manichéenne que certains peintres soviétiques ont de Courbet». (p.827) Pour Bolaño, Courbet est «l’artiste du tremblement constant» (p.832). Que représente-elle donc, la figure de Courbet, dans les cahiers d’Ansky? Voyons seulement le cas de <em>L’Atelier du peintre</em> de Courbet et le rapport avec <em>2666</em>.</p>
<p><strong><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><em>L’Atelier du peintre</em> de Courbet dans 2666</span></strong></p>
<p>Quant à <em>L’Atelier du peintre</em>, Ansky s’intéresse seulement à Charles Baudelaire et à Pierre-Joseph Proudhon, qui figurent tous les deux dans la toile<a href="#bnote14" name="note14"><strong>[14]</strong></a>. Il situe Courbet au milieu de ses deux amis, l’artiste et l’homme politique. Il y a d’abord le poète: «Il parle de la silhouette de Baudelaire qui apparaît dans un coin du tableau lisant qui représente la Poésie. Il parle de l’amitié de Courbet avec Baudelaire…» (p.827). Après, Ansky fait une comparaison très énigmatique entre les politiques et l’art, à propos de Proudhon: «Ansky parle de Courbet (l’artiste) avec Proudhon (le Politique) et il compare les opinions sensées de ce dernier avec celles d’une perdrix. Tout politique avec du pouvoir, est, en matière d’art, pareil à une perdrix monstrueuse, gigantesque, capable d’aplanir des montagnes avec ses petits sauts, tandis que tout politique sans pouvoir est comme un curé de village, une perdrix aux dimensions normales<a href="#bnote15" name="note15"><strong>[15]</strong></a>» (p.827). </p>
<p>Michael Fried voit un double paradoxe dans ces deux personnages: Baudelaire a toujours critiqué vivement le réalisme, et donc Courbet, en dénonçant chez lui un certain «matérialisme»<a href="#bnote16" name="note16"><strong>[16]</strong></a>. Par contre, Proudhon, qui a toujours apprécié un certain «matérialisme» chez Courbet, n’a pas compris au fond quel était le «vrai» sens révolutionnaire de Courbet. </p>
<p>Dans <em>l’Atelier du Peintre</em>, tandis que Baudelaire lit, Proudhon semble regarder l’avenir. Courbet fait de l’art et de la politique en même temps parce que, pour lui, il n’y a pas de gestes dits «artistiques» séparés des gestes dits «politiques». Courbet ne fait pas de la politique seulement pendant la Commune. Il est un artiste engagé moins par les thèmes de ses tableaux (même s’il sont assez révolutionnaires) que par la transformation du regard du peintre sur lui-même, sur son œuvre et sur le spectateur. C’est ce que Fried appelle la structure du regard chez Courbet. Autrement dit, et pour aller un peu vite, Courbet invente autant la figure du peintre-spectateur (bien que cela se soit vu avant, notamment dans <em>Les Ménines</em> de Velasquez) qu’un nouveau type de spectateur. C’est un peu le cas d’Edgar Allan Poe, évoqué par Jorge Luis Borges: Poe invente un nouveau type de lecteur, un lecteur moderne, un lecteur qui se méfie des «apparences»<a href="#bnote17" name="note17"><strong>[17]</strong></a>.</p>
<p>Proudhon, pour sa part, se concentre presque exclusivement sur les thèmes à traiter dans l’art. Certes, il regarde vers l’avenir, mais en quels termes? </p>
<p class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Quant à nous socialistes révolutionnaires, nous disons aux artistes comme aux littérateurs: notre idéal, c’est le droit à la vérité. Si vous ne savez avec cela faire de l’art et du style, arrière! Nous n’avons pas besoin de vous. Si vous êtes au service des corrompus, des luxueux, des fainéants, arrière! Nous ne voulons pas de vos arts. Si l’aristocratie, le pontificat et la majesté royale vous sont indispensables, arrière toujours! Nous proscrivons votre art ainsi que vos personnes. L’avenir est splendide devant nous… </span><a href="#bnote18" name="note18"><strong>[18]</strong></a></p>
<p>Proudhon et Courbet étaient effectivement très proches. Courbet admirait énormément Proudhon et le philosophe encourageait le peintre à peindre le «réel», dans un sens assez différent de Baudelaire. Les deux regardent vers l’avenir, mais ils ne cherchent et ne voient peut-être pas les mêmes choses. C’est peut-être dans ce sens qu’Ansky parle de la perdrix et de Proudhon. La perdrix ne regarde pas très loin. Elle n’est pas comme l’aigle ou le faucon qui, eux, ont une vision excellente. En termes artistiques, Proudhon serait-il comparable à une perdrix?</p>
<p>On sait que <em>L’Atelier du peintre</em> est défini par la critique comme une sorte de manifeste du réalisme de Courbet. Thomas Schlesser la définit dans ces termes: «l’œuvre de Courbet est engagée. En faveur du réalisme d’abord, dont elle se veut à la fois le bilan et le programme esthétique… Mais cette œuvre (l’Atelier) est également engagée politiquement, socialement, en faveur d’un monde nouveau<a href="#bnote19" name="note19"><strong>[19]</strong></a>». Selon Bolaño, Ansky considère Courbet «comme le paradigme de l’artiste révolutionnaire. Il se moque, par exemple de la conception manichéenne que certains peintres soviétiques ont de Courbet» (p.827). Il s’agit de deux idées différentes. D’une part, il y a la figure de Courbet comme héros révolutionnaire ou comme artiste engagé et, d’autre part, il y a le détournement du réalisme de Courbet chez les réalistes soviétiques des années 1930. Toutes ces discussions permettent à Bolaño de mieux définir ses propres idées sur le politique et ce qu’on appellera l’impolitique. </p>
<p><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Bolaño et la critique littéraire</strong></span></p>
<p>Bolaño s’intéresse aussi dans <em>2666</em> à la figure du critique littéraire comme personnage de fiction. Dans la première partie du roman, les quatre personnages principaux, quatre critiques littéraires —un Français, un Espagnol, un Italien et une Anglaise—, essaient de lever le voile qui recouvre certains aspects de la vie de Benno von Archimboldi, un écrivain qui n’est connu de personne:</p>
<p class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Le travail de Pelletier se focalisa sur l’insularité, sur la rupture qui semblait caractériser la totalité des livres d’Archimboldi au regard de la tradition allemande, mais pas au regard d’une certaine tradition européenne. Le travail de Espinoza, l’un des plus séduisants qu’Espinoza ait jamais écrits, gravitait autour du mystère qui voilait la silhouette d’Archimboldi, dont pratiquement personne, pas même son éditeur, ne savait rien : ses livres paraissaient sans photo sur le rabat ou en quatrième de couverture ; ses données bibliographiques étaient minimes (écrivain allemand né en Prusse en 1920). (p. 28)</span></p>
<p>Les méthodes et les résultats des recherches des critiques littéraires sur son «personnage», c’est-à-dire sur l’écrivain Archimboldi, sont analysés par Bolaño pour mieux comprendre son propre rôle en tant qu’écrivain jugé par la critique a posteriori: l’écrivain comme objet d’étude. L’écrivain partage alors avec les critiques les mêmes intentions: réfléchir sur le métier de l´écriture et sur la méthode, c’est-à-dire sur le style.</p>
<p>Bolaño fait un exercice d’anticipation littéraire puisqu’il va à la rencontre de la critique sur son propre terrain. Il réfléchit aux rapports entre littérature et critique littéraire afin de s’interroger sur les possibilités et les limites de la fiction une fois étudiée et expliquée par les critiques. Qu’est-ce qu’un critique croit savoir sur son objet d’étude? Pourquoi, à un moment donné, un critique croit en savoir plus de l’œuvre que l’auteur lui-même? Voyons un exemple. C’est M. Bubis, l’éditeur d’Archimboldi, qui raconte la scène:</p>
<p class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">«Qu’en pensez vous d’Archimboldi? répéta Bubis.</span></p>
<p class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Le visage de Junge devint rouge comme le crépuscule qui, derrière la colline, montait, puis vert, comme les feuilles pérennes des arbres du bois.</span></p>
<p class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">- Hum, dit-il, hum, puis les yeux se tournèrent vers la petite maison, comme s’il attendait que de là vienne l’inspiration ou l’éloquence, ou n’importe quel type d’aide. Pour être franc avec vous, dit-il- puis: sincèrement, mon opinion n’est pas…puis, enfin: que puis-je vous dire?</span></p>
<p class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">- Quelque chose, dit Bubis, votre opinion en tant que lecteur, votre opinion en tant que critique.</span></p>
<p class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">- Bien, dit Junge, je l’ai lu, c’est un fait.</span></p>
<p class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Tous deux sourirent. </span></p>
<p class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">- Mais ajouta-t-il, je n’ai pas l’impression que c’est un auteur…c’est-à-dire, il est allemand, on ne peut pas le nier, sa prosodie est allemande, vulgaire mais allemande, ce que je veux dire, c’est que j’ai l’impression que ce n’est pas un écrivain européen.</span></p>
<p class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">- Américain, peut-être? dit Bubis, qui à l’époque caressait l’idée d’acheter les droits de trois romans de Faulkner.</span></p>
<p class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">- Non, pas américain non plus, plutôt africain, dit Junge, et il se remit à faire des grimaces sous les branches des arbres. Plus exactement: asiatique, murmura le critique.</span></p>
<p class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">- De quelle partie de l’Asie ? voulut savoir Bubis.</span></p>
<p class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">- Comment je pourrais le savoir, dit Junge, indochinois, malais, il a l’air persan dans ses meilleurs passages.</span></p>
<p class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">- Ah, la littérature persane, dit Bubis, qui en réalité ne connaissait absolument rien à la littérature persane.</span></p>
<p class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">- Malais, malais, dit Junge…</span></p>
<p class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Ce soir-là…Bubis apprit à la baronne que le critique n’aimait pas les livres d’Archimboldi. </span></p>
<p class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">- Ça a de l’importance? demanda la baronne qui, à sa manière, et en conservant toute son indépendance, aimait l’éditeur et tenait en haute estime ses opinions.</span></p>
<p class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">- Ça dépend, dit Bubis en caleçon, a côté de la fenêtre, tout en regardant l’obscurité extérieure par un interstice minuscule entre les rideaux. Pour nous, en réalité, ça n’a pas beaucoup d’importance. Pour Archimboldi, en revanche, ça en a beaucoup. (p.933)</span></p>
<p>La question de la vulgarité est une caractéristique proposée par plusieurs critiques au moment de définir la personnalité et l’œuvre d’Archimboldi. Mais, ce qui nous intéresse c’est le fait de constater qu’Archimboldi a, selon Junge, un style jugé comme extra-européen, voir extra-occidental. En tout cas, c’est un style en dehors du canon. Cela est un aspect que les quatre critiques littéraires de la première partie du roman entrevoient seulement dans leurs rêves et leurs cauchemars.</p>
<p>Bolaño essaie dans <em>2666</em> d’anticiper la réception de la critique à sa propre œuvre. On se demande toutefois quelles sont les stratégies narratives de Bolaño pour contourner et «tromper» la critique, et comment l’écrivain reconfigure la figure du critique à travers ses propres fictions. Ce sont les questions que pose Bolaño à plusieurs reprises. Comme on l’a déjà montré, pour lui, les critiques ne pouvaient pas «rire ou se déprimer» (p.43) avec l’auteur, avec Archimboldi. Bolaño se demande quel type de relation se construit entre les auteurs et les critiques. Il se demande, dans le cas de Grosz par exemple, quelle est la définition d’une œuvre originale et les rapports entre celle-ci et les copies:</p>
<p class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Mme Bubis se posait la question de savoir jusqu’au quel point quelqu’un peut connaître l’œuvre de quelqu’un d’autre. Par exemple, moi, l’œuvre de Grosz me passionne, dit-elle en désignant les dessins de Grosz accrochés au mur, mais est-ce que je connais réellement son œuvre? Ses histoires me font rire, à certaines moments je crois que Grosz les a dessinées pour que je rie, à certaines occasions le rire se transforme en éclat de rire, et les éclats de rire en cris de fou rire, mais j’ai rencontré une fois un critique d’art qui aimait Grosz, évidemment, et qui pourtant sombrait dans la dépressions lorsqu’il assistait à une rétrospective de son œuvre, ou lorsque pour des raisons professionnelles, il devait étudier un tableau ou un dessin. Et ces dépressions ou ces périodes de tristesse duraient habituellement des semaines. Ce critique d’art était un ami à moi, mais jamais nous n’avions abordé le sujet de Grosz. Une fois cependant je ai dit ce qui m’arrivait. Au début il ne voulait pas le croire. Ensuite il s’est mis à remuer la tête d’un côté à l’autre. Puis il m’a regardé de haut en bas comme s’il ne me connaissait pas. J’ai pensé qu’il était devenu fou. Il a cessé toute relation amicale avec moi pour toujours. Il n’ya pas très longtemps on m’a raconté qu’il dit encore que je ne sais rien sur Grosz et que mon goût esthétique ressemble à celui d’une vache. Bon, en ce qui me concerne, il peut dire ce qu’il veut. Moi je ris avec Grosz, lui, Grosz, le déprime, mais qui connaît Grosz réellement? Imaginons, dit Mme Bubis, qu’à cet instant précis on frappe à la porte et qu’apparaisse mon vieil ami le critique d’art. Il s’assoit ici, sur le sofa, à côté de moi, et l’un des vous sort un dessin non signé, nous assure qu’il est de Grosz et qu’il désire le vendre. Je regarde le dessin et souris, puis je sors mon chéquier et je l’achète. Le critique d’art regarde le dessin et n’est pas deprimé, il essai de me faire reconsidérer l’affaire. Pour lui ce n’est pas un dessin de Grosz. Pour moi c’est un dessin de Grosz. Lequel des deux a raison? Ou prenons l’histoire d’une autre manière. Vous, dit Mme Bubis en montrant Espinoza, vous sortez un dessin non signé et dites qu’il est de Grosz, et vous essayez de le vendre. Je ne ris pas, je l’observe froidement, apprécie le trait, la fermeté, la satire, mais rien dans le dessin ne suscite mon plaisir. Le critique d’art l’observe minutieusement et, comme c’est normal chez lui, il est déprimé et séance tenante fait une offre, une offre qui excède ses économies et qui, si elle est acceptée, le plongera dans de longues soirées de mélancolie. J’essaie de le dissuader. Je luis dis que le dessin me paraît douteux parce qu’il ne me fait pas rire. Le critique me répond qu’il était temps que je vois l’œuvre de Grosz avec des yeux d’adulte et il me félicite. Lequel des deux a raison? (p.42)</span></p>
<p>On pourrait dire néanmoins que l’appréciation artistique, bien entendu, ne peut reposer exclusivement sur les plaisir ou l’émotion immédiate que peut produire une œuvre. Bolaño remet en question l’influence du marché dans l’art, c’est-à-dire le fait que l’institutionnalisation des chefs d’œuvre ait plus d’importance que sa réception. C’est le cas des ventes aux enchères d’œuvres d’art. Mais, d’autre part, il faut constater que les options proposées par Mme Bubis sont assez simplistes: ou bien on rit, ou bien on est déprimé. Il semble nécessaire d’analyser ces idées tout en tenant compte de l’usage de l’ironie chez Bolaño. Et si l’on posait la question de Bubis autrement? Au lieu de se demander qui a raison, si on se demandait plutôt pourquoi l’un ou l’autre devait avoir plus raison que l’autre et quelles seraient les conditions de possibilité d’un jugement esthétique? Cette question nous fait penser au dernier film d’Abbas Kiarostami, <em>Copie conforme</em> (2010): dans le film, un spécialiste de l’art de la Renaissance est remis en question en tant qu’homme face à ses propres idées par sa femme, notamment dans une scène à Florence durant laquelle ils discutent de la valeur d’une œuvre originale face à une copie de celle-ci, et sur la réception de l’œuvre par le public.</p>
<p>Dans le cas de deux critiques littéraires du roman, Pelletier et Espinoza, quoiqu’il s’agisse de chercheurs confirmés et sérieux dans leur métier, ils sont plus intéressés à «s’occuper de sauvegarder l’œuvre d’Archimboldi» (p.144). Ils agissent comme des gardiens du temple. Par contre, Norton et Morini, les deux autres critiques, ont un autre type de relation avec l’œuvre d’Archimboldi. C’est pour cela qu’ils ne veulent pas poursuivre Archimboldi comme des paparazzis. Ainsi:</p>
<p class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">pour le dire en un mot et de manière brutale, Pelletier et Espinoza, tout en se promenant dans Sankt Pauli, prirent conscience que la quête d’Archimboldi ne pouvait jamais emplir leurs vies. Ils pouvaient le lire, ils pouvaient l’étudier, ils pouvaient le triturer, mais ils ne pouvaient pas s’écrouler de rire avec lui, ni sombrer dans la déprime avec lui, en partie parce que Archimboldi était toujours loin, en partie parce que son œuvre, à mesure qu’on s’y enfonçait, dévorait ses explorateurs. Pour le dire en un mot: Pelletier et Espinoza comprirent à Sankt Pauli, et ensuite dans l’appartement de Mme Bubis décoré des photographies du défunt M. Bubis et de ses écrivains, qu’ils voulaient faire l’amour et non la guerre. (p.44)</span></p>
<p><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Bolaño pour une littérature impolitique</strong></span></p>
<p>Tout au long de <em>2666</em>, Bolaño reconfigure les rapports entre critiques et écrivains à travers un nouveau regard sur le critique et sur son influence sur les lecteurs. Pour l’écrivain chilien, rien n’échappe vraiment à la fiction, même pas les analyses les plus «objectives» des critiques. Chez Bolaño, on retrouve une nouvelle approche de la fiction, qu’il faudra étudier davantage. </p>
<p>On lit <em>2666</em> comme une enquête critique sur le contemporain, comme le dit le philosophe Italien Roberto Esposito. On se demande aussi quel horizon il peut y avoir pour une pensée de l’émancipation dans ce contexte suicidaire<a href="#bnote20" name="note20"><strong>[20]</strong></a>. Ce qui est surtout intéressant pour nous est d’interroger ces deux scénarios à travers le concept de l’impolitique. C’est-à-dire, l’impolitique comme ce qui semble être impropre au politique et difficile d’aborder du point de vue politique. Pour Esposito, «l’impolitique est une catégorie, mieux une perspective… (un horizon catégoriel) essentiellement négative, critique et nécessairement liée à cette négativité, à son inexprimabilité positive, sous peine de renversement dans son propre opposée, c’est-à-dire, dans les catégories du politique… on peut parler toujours à partir de ce qu’elle ne représente pas<a href="#bnote21" name="note21"><strong>[21]</strong></a>». C’est par ailleurs dans cette perspective aussi que Jean Luc Nancy parle de «la littérature en limite du politique<a href="#bnote22" name="note22"><strong>[22]</strong></a>».</p>
<p>Dès son premier roman, <em>Littérature nazie en Amérique</em>, Bolaño nous livre une sorte de feuille de route de sa littérature à venir: une littérature mineure toujours en déplacement. Une littérature définie par son goût pour les détails et les rencontres inouïes et <em>a priori </em>insignifiantes. Il s’inspire notamment de Georges Perec: </p>
<p class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">on a tendance à revenir sur ses pas, on a peur de se perdre, on se limite volontiers aux seuls grands axes; mais avec un minimum d’expérience et d’esprit d’initiative, il est néanmoins relativement facile de se laisser aller au petit bonheur; il suffit en somme de marcher un peu le nez en l’air, de se laisser tenter par une allée plantée d’arbres, une statue équestre, un magasin à la vitrine lointainement alléchante, un attroupement, l’enseigne d’un pub, un autobus qui passe… <a href="#bnote23" name="note23"><strong>[23]</strong></a></span></p>
<p>Il y a un souci de l’infra-ordinaire chez Bolaño, ce qui par ailleurs caractérisera l’œuvre de Bolaño par la suite (voir par exemple <em>La piste de glace </em>ou <em>Monsieur Pain</em>). </p>
<p>D’autre part, Bolaño est, pour nous, un autopsiste du XXe siècle: son but est de comprendre les rationalités qui sont derrière les différents types de violence. Dans toute son œuvre, de ses premiers romans (<em>La littérature nazie en Amérique</em><a href="#bnote24" name="note24"><strong>[24]</strong></a>) jusqu’à <em>2666</em>, Bolaño s’est toujours demandé non pas quelle est l’origine du mal, mais bien plutôt comment fonctionnent les dispositifs de la violence. </p>
<p>Le but de la littérature chez Bolaño est de s’interroger sur les conditions de possibilité des violences. Bolaño se demande à plusieurs reprises: Comment réagit un individu quelconque face à la violence? Parfois, il est un résistant, même sans le vouloir (Auxilio dans <em>Amulet</em>), parfois il est un traitre (Wieder dans <em>Étoile distante</em>), parfois il est un «courtisan» (le prêtre jésuite dans <em>Nocturne du Chili</em>). À rebours d’une littérature de plus en plus attaché au politiquement correct, l’écriture de Bolaño dérange parce qu’elle se veut avant tout «viscéraliste<a href="#bnote25" name="note25"><strong>[25]</strong></a>». Bolaño traite le réel en autopsiste et non pas en thérapeute<a href="#bnote26" name="note26"><strong>[26]</strong></a>. Il y a chez Bolaño une autopsie du réel et non pas une thérapeutique. </p>
<p><em>2666</em> est un grand roman du XXe siècle par ses thèmes, et c’est aussi un roman qui inaugure le XXIe siècle par sa méthode, par la façon par laquelle Bolaño traite le «réel». Bolaño construit une «philosophie littéraire», comme l’écrit Macherey, qui dépasse les cadres d’analyse propres à un écrivain latino-américain du XXe siècle. C’est pour cela qu’il est si proche de Borges<a href="#bnote27" name="note27"><strong>[27]</strong></a>. Mais Borges, tout en étant un écrivain né au XIXe siècle, a été aussi à part entière un écrivain du XXe siècle par sa méthode (notamment à partir de Fictions (1940) où l’on trouve «Pierre Ménard», «Funes», «Tlon» etc.). L’intérêt éveillé par Borges dans le milieu philosophique en France dès les années 1950 avec Caillois et ensuite chez Foucault, Deleuze, Derrida, Blanchot, Rancière, est très connu, mais il ne faut pas oublier que Borges est né dans un sous-continent où l’on disait (Groussac) qu’«être connu comme écrivain en Amérique du Sud n’est pas être connu point». Tout cela pour dire que même Borges, aujourd’hui apprécié partout, a dû attendre plusieurs décennies pour être «découvert» par les philosophes. Notre but néanmoins n’est pas bien sûr de «découvrir» Bolaño par la philosophie, mais seulement de penser avec lui le siècle passé et le siècle à venir. Il nous semble que Bolaño est en cela, et à sa manière, un «disciple» de Borges. </p>
<p> </p>
<hr />
<p><a href="#note1" name="bnote1">1</a> Pierre Macherey, <em>À quoi pense la littérature?</em>, PUF, Paris, 1990, p.8.<br />
<a href="#note2" name="bnote2">2</a> <em>Ibid</em>., p.11.<br />
<a href="#note3" name="bnote3">3</a> Jacques Rancière,<em> Et tant pis pour les gens fatigués</em>, Paris, Amsterdam, 2009, p.482.<br />
<a href="#note4" name="bnote4">4</a> Claude Lefort, <em>Un homme en trop : réflexions sur « L’archipel du Goulag »</em>, Paris, Seuil, 1976.<br />
<a href="#note5" name="bnote5">5</a> Miguel Abensour, « Le rouge et le noir à l’ombre de 1789? », dans <em>Critique de la Politique autour de Miguel Abensour</em>, Paris, Unesco, 2006.<br />
<a href="#note6" name="bnote6">6</a> Il s’agit d’un ensemble de crimes commis contre des femmes dans la ville fictive de Santa Teresa, inspirée de Ciudad Juárez au Mexique, la ville la plus violente du monde: 119 assassinat par 100 000 habitants. Bien qu’il y ait de plus en plus de meurtres liés au trafic de drogues à Ciudad Juárez, la violence envers les femmes y demeure très «singulière», presque toujours développée comme un rituel. Il y a surtout une manière assez frappante d’exercer une violence sexuelle. Il y a eu près de 500 victimes entre 1993 et 2003, l’année de l’achèvement du roman. Les crimes se poursuivent encore aujourd’hui. Précisons que le cadavre retrouvé en 1993 n’est pas le premier de cette série de crimes, mais seulement le premier présenté par la presse comme fait divers.<br />
<a href="#note7" name="bnote7">7</a> «Bataille —penseur par excellence de l’impossible— aura bien compris qu’il fallait parler des camps comme du possible même, le ‘possible d’Auschwitz’, comme il écrit exactement». Georges Didi-Huberman, <em>Images malgré tout</em>, Paris, Minuit, 2003, p.42.<br />
<a href="#note8" name="bnote8">8</a> Bolaño, «La littérature et l’exil» (inédit en français), publié dans <em>Entre paréntesis</em>, Barcelona, Anagrama, 2003. (Je traduis.)<br />
<a href="#note9" name="bnote9">9</a> Propos recueillis dans Edmundo Paz Soldán et Gustavo Faverón Patriau, <em>Bolaño salvaje</em>, Barcelone, Editorial Candaya, 2008.<br />
<a href="#note10" name="bnote10">10</a> Andrés Gómez Bravo, «Jorge Volpi: “Roberto Bolaño fue el ultimo escritor latinoamericano”», latercera.com, [en ligne]. <a href="http://latercera.com/contenido/1453_229364_9.shtml" title="http://latercera.com/contenido/1453_229364_9.shtml">http://latercera.com/contenido/1453_229364_9.shtml</a>. (Page en ligne depuis le 26 février 2010 et consultée le 4 juin 2010).<br />
<a href="#note11" name="bnote11">11</a> Voir aussi un article d’Horacio Castellanos Moya à propos de Bolaño: Horacio Castellanos Moya, «Sobre el mito Bolaño», lanacion.com, [en ligne]. <a href="http://www.lanacion.com.ar/nota.asp?nota_id=1176451" title="http://www.lanacion.com.ar/nota.asp?nota_id=1176451">http://www.lanacion.com.ar/nota.asp?nota_id=1176451</a>. (Page en ligne depuis le 19 septembre 2009 et consultée le 15 novembre 2009).<br />
<a href="#note12" name="bnote12">12</a> À ce sujet voir surtout le poète péruvien César Vallejo comme personnage dans <em>Monsieur Pain</em> et la «mère des poètes mexicains», l’uruguayenne Auxilio Lacouture, dans <em>Amulet</em>, entre autres.<br />
<a href="#note13" name="bnote13">13</a> Georges Navet et Patrice Vermeren, « Théories de la violence, politiques de la mémoire et sujets de la démocratie », <em>Topique </em>2003/2, n° 83, p.47.<br />
<a href="#note14" name="bnote14">14</a> On pourrait faire toute une thèse sur ce tableau et notamment autour de Courbet-Baudelaire-Proudhon. Disons au passage qu’elle a déjà été faite par Frédérique Desbuissons: «Peu de toiles ont été plus commentées et décortiquées que <em>L’Atelier</em>. Une thèse de l’historienne de l’art Frédérique Desbuissons est d’ailleurs consacrée à cet incroyable flot d’interprétations qui continue aujourd’hui encore», Thomas Schlesser, <em>Courbet, un peintre à contre temps</em>, Paris, Ed. Scala, 2007, p.32. Le titre de la thèse de Desbuissons est: «Énigme et interprétations: <em>L’Atelier du peintre </em>de Gustave Courbet, histoire d’une œuvre inachevée» (sous la direction de M. Gilbert Lascault).<br />
<a href="#note15" name="bnote15">15</a> Chez Bolaño on trouve toujours une fascination pour les comparaisons entre les hommes et les animaux. Ce thème est traité dans toute son œuvre. Le rat a une place du premier ordre chez Bolaño.<br />
<a href="#note16" name="bnote16">16</a> Michael Fried, <em>Le réalisme de Courbet</em>, Paris, Gallimard, 1993.<br />
<a href="#note17" name="bnote17">17</a> «Hay un tipo de lector actual, el lector de ficciones policiales. Estae lector ha sido —ese lector se encuentra en todos los países del mundo y se cuenta por milloes- engendrado por Edgar Allan Poe», Borges, <em>El cuento policial, en Prólogo a Seis Problemas para Isidro Parodi</em>, Barcelona, Ed Bruguera, 1982.<br />
<a href="#note18" name="bnote18">18</a> Proudhon, <em>Du principe de l’art et de sa destination sociale</em>, Genève-Paris, Slatkine, 1982, p.280.<br />
<a href="#note19" name="bnote19">19</a> Thomas Schlesser, <em>Courbet, un peintre à contre temps</em>, Paris, Scala, 2007, p.32.<br />
<a href="#note20" name="bnote20">20</a> Quelle est la figure de la femme construite par les bourreaux? Quel rapport y a t il entre langage et passage à l’acte (façons de torturer et de tuer en 2666)?<br />
<a href="#note21" name="bnote21">21</a> Roberto Esposito, «Perspectives de l’impolitique», <em>Revue Tumultes</em>, no 8, Apolitismes, 1996, p.60.<br />
<a href="#note22" name="bnote22">22</a> Voir Jean Luc Nancy, «Autour de la notion de communauté littéraire», <em>Revue Tumultes</em>, no 6, mai 1995, p.15.<br />
<a href="#note23" name="bnote23">23</a> Georges Perec,<em> L’infra ordinaire</em>, Paris, Seuil, 1989, p. 82.<br />
<a href="#note24" name="bnote24">24</a> Dans <em>La littérature nazie en Amérique</em> (1993), on trouve tous les thèmes et contextes traités par Bolaño par la suite.<br />
<a href="#note25" name="bnote25">25</a> Le réel-visceralisme ou infra-rréalisme est le mouvement crée par Bolaño au Mexique dans les années 1970. Voir surtout <em>Les détectives sauvages</em>, <em>L’université inconnue </em>(poèmes de Bolaño) et les poèmes de Mario Santiago (Ulises Lima dans <em>Les détectives sauvages</em>).<br />
<a href="#note26" name="bnote26">26</a> Dans cette perspective, on pourrait placer Bolaño à côté de Thomas Bernhard ou David Lynch.<br />
<a href="#note27" name="bnote27">27</a> Dans «Conseils pour écrire un conte», Bolaño déclare que sa référence la plus importante est Borges: «Il faut lire et relire Borges, encore une fois», dans <em>Entre Paréntesis</em>, Barcelona, Anagrama, 2003.</p>
http://salondouble.contemporain.info/lecture/litterature-impolitique-0#commentsBATAILLE, GeorgesBAUDELAIRE, CharlesBOLAÑO, RobertoBORGES, Jorge LuisBRAVO, Andrés GomezChiliCrimeDESBUISSONS, FrédériqueESPOSITO, RobertoFait diversHistoireImaginaire de la finJusticeLACOUTURE, AuxilioLEFORT, ClaudeMACHEREY, PierreMOYA, Horacio CastellanosPolitiquePROUDHON, Pierre-JosephReprésentationREVERDY, PierreRoman policierSCHLESSER, ThomasVALLEJO, CésarVILAS-MATAS, EnriqueViolenceRomanWed, 12 Jan 2011 14:30:59 +0000Alberto Bejarano305 at http://salondouble.contemporain.info