Salon double - ACIMAN, Alexandre, et RENSIN, Emmett http://salondouble.contemporain.info/taxonomy/term/836/0 fr Pour en finir (une fois pour toutes?) avec Stephen King http://salondouble.contemporain.info/article/pour-en-finir-une-fois-pour-toutes-avec-stephen-king <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-label">Auteur(s):&nbsp;</div> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/gravel-jean-philippe">Gravel, Jean-Philippe</a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-biblio"> <div class="field-label">Référence bibliographique:&nbsp;</div> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/biblio/criture-m-moires-dun-m-tier">Écriture, mémoires d&#039;un métier</a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-dossier-referent"> <div class="field-label">Dossier Reférent:&nbsp;</div> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/dossier/les-meilleurs-vendeurs">Les meilleurs vendeurs</a> </div> </div> </div> <!--break--><!--break--> <p style="text-align: right;">«Je suis convaincu que la peur est à l'origine de la plupart des mauvais textes.»<br />Stephen King (2001&nbsp;: p.150)</p> <p style="text-align: justify;"><br />Le monde du livre abonde en ouvrages conçus comme des guides de survie et du «bien écrire» à l'intention des écrivains débutants ou pas très sûrs d’eux, des livres qui essaient d’apporter des réponses à des questions comme <em>Qu’est-ce que vivre en écrivant?</em>, mais aussi, surtout, <em>Où trouver mes idées? Pourquoi lire si je veux écrire? Qu’est-ce qu’une bonne description, un bon dialogue, un agent littéraire, une lettre de refus? Comment écrire mon premier roman en un mois et le faire publier?</em> Ces livres ont généralement en commun qu’ils ne sont pas dus à la plume d’auteurs de best-sellers brevetés, mais de celle de <em>coachs</em> d’écriture, de professeurs d’ateliers d’écriture et de directeurs de revues littéraires —d’auteurs dont l’œuvre, si estimable qu’elle soit, loge rarement à l’enseigne des palmarès des plus gros vendeurs de la planète.</p> <p style="text-align: justify;">Dès lors, que se passe-t-il lorsqu’un des plus grands écrivains à succès consent à parler boutique, comme Stephen King le fait dans un intéressant ouvrage pratico-biographique, <em>Écriture, mémoires d’un métier</em> (2001)? On tend l’oreille, évidemment, quoique l’on pense de ses romans.</p> <p style="text-align: justify;">Et ce que j’en pense est assez compliqué, très personnel aussi. C’est à Stephen King que je dois mes premiers émois de lecteur de romans. J’ai lu <em>The Shining</em> (1977) en cachette à onze ans; premier roman que je lus de ma propre initiative, dans une ambiance grisante de secret et de clandestinité. Je ne conçois toujours pas de meilleure porte, aujourd’hui, pour entrer dans le monde de la littérature que celle-là: montrez-moi un lecteur assidu de Beckett et de Proust, et je vous montrerai un adolescent qui a fait ses premières classes littéraires en lisant des auteurs comme King.</p> <p style="text-align: justify;">Mais la suite de l’histoire se complique. Au cours des six années suivantes, j’ai lu du King à m’en écœurer. Et c’est à <em>It</em> (1986) que revient le mérite de m’avoir écœuré de ses histoires pour de bon. Peut-être y a-t-il, dans la carrière de King, un «avant» et un «après»<em> It</em>:&nbsp; depuis <em>It</em>, King semble publier ce qu’il veut, allongeant au kilomètre des romans plus ou moins bien ficelés, dans une apparente absence de contrôle éditorial, lui permettant de devenir une industrie à lui tout seul. Son nom fait confortablement recette, même si son imaginaire n’a pas su imposer à l’horreur moderne des figures aussi marquantes, iconiques, que celles de ses débuts: Carrie White, figure-type d’adolescente souffre-douleur devenue tourmenteuse et bourreau dans <em>Carrie</em> (1974), ou Jack Torrance, écrivain que l’échec et la bouteille finissent par rendre fou dans un hôtel hanté (<em>The Shining</em>).</p> <p style="text-align: justify;">«Et pourtant, nous autres prolos, nous nous soucions de la langue que nous employons [...]; nous avons la passion de l’art et la manière de raconter des histoires par le biais de l’écrit», se défend l’auteur dans&nbsp;<em>Écriture, mémoire d’un métier</em>&nbsp;(p.11-12). On tâchera d’en rendre compte, quand se pointera la tentation de n’offrir ici qu’une lecture ad hominem de son livre —par seul désir&nbsp;d’employer ses propres paroles pour prouver l’inconstance de son talent.</p> <p style="text-align: center;">*</p> <p style="text-align: justify;">Il est un registre où Stephen King excelle,&nbsp;particulièrement dans ses essais et ses préfaces: celui de la candeur, de ce ton conversationnel et décomplexé, cette attitude d’hôte sympathique et d’artisan humble qui sait nous parler boutique sans forfanterie. Et c’est porté par cette voix entraînante qu’<em>Écriture, mémoire d’un métier</em> dispense ses conseils, ainsi qu’une forme de confession biographique et d’auto-analyse qui se prête d’autant plus au jeu de la <em>lecture littéraire</em>, c’est à dire à une recherche, en quelque sorte, de l’<em>inconscient</em> du texte, qu’elle finit par dresser, de manière sans doute peu exhaustive mais révélatrice, l’autoportrait d’une écriture et de ce que j’appellerais son «fonds de commerce».</p> <p style="text-align: justify;"><span style="color:#696969;"><strong>Scan #1</strong></span></p> <p style="text-align: justify;">L’ouvrage, excepté ses avant-propos et les annexes qui le complètent, se structure en quatre parties. La première, «CV», raconte les années d’apprentissage et de galère de l’auteur, ses débuts difficiles dans la vie, de son enfance traumatisée par les docteurs aux débuts de son mariage, avec son cortège de boulots minables et les pétrins dans lesquels sa plume turbulente le mettait à l’école. On y découvre, en outre, comment le manuscrit de <em>Carrie</em>, fut sauvé des poubelles par sa femme Thabita avant de connaître le destin que l’on sait. Mais un coda sur les problèmes de King avec la bouteille suggère que le début de la célébrité ne mit pas un terme à ses déboires; on apprendra aussi que sa pratique d’écriture a souvent pris la forme d’un combat contre une honte profonde et fondamentale, un «complexe de l’imposteur» qui le hantera longtemps.</p> <p style="text-align: justify;">La seconde partie, «Boîte à outils», est celle qui s’apparente le plus au «guide pratique» proprement dit; c’est aussi l’une des plus courtes (30 pages). Ayant déjà mentionné que ce qu’il pourrait en dire a déjà été abordé dans <em>The Elements of Style</em> de William Strunk Jr. et E.B. White (1918), King se met à une défense concise du respect de la grammaire, de la phrase active, du paragraphe construit, du vocabulaire et de la précision lexicale, par l’entremise d’une comparaison filée qui assimile les composantes de la «bonne» langue littéraire à une boîte à outils. La troisième partie, «Écriture», entre plutôt&nbsp;dans ce qu’est, pour King, le métier d’écrire&nbsp;comme <em>Vitas Novæ</em>. Bien que l’auteur s’y autorise quelques conseils, c’est plutôt la défense de sa propre posture qui occupe l’avant-scène: un portrait assez libre de ce que sont ses habitudes, ses routines de travail, ses convictions personnelles, ses arrangements avec l’inspiration. De bonnes pages y sont consacrées, en outre, à la genèse de <em>Misery</em> (1987), aux difficultés du massif <em>Fléau</em> (<em>The Stand</em>, 1978), et aux enjeux dramatiques et moraux de <em>Dead Zone</em> (1979). Enfin, la dernière partie, «De la vie: un post-scriptum», clôt l’ouvrage sur une dernière touche biographique, puisque King y raconte comment, en juin 1999, il manqua de trouver la mort lorsque la camionnette d’un chauffard le happa violemment sur une route de campagne, un incident qui avait fait les manchettes à l’époque. Le récit de sa convalescence et de son retour à l’écriture permet à l’auteur d’exprimer de nouveau sa gratitude envers sa famille et spécialement sa femme, Thabita, dont <em>Écriture, mémoires d’un métier</em> aura maintes fois illustré le soutien «héroïque».</p> <p style="text-align: justify;"><span style="color:#696969;"><strong>Une écriture conjuratoire?</strong></span></p> <p style="text-align: justify;">Les amateurs du genre s’étonneront de voir Stephen King piloter ses <em>Mémoires d’un métier</em> avec un ton aussi invariablement serein. C’est que le texte de présentation de l’édition française permettait de s’attendre (un peu) à autre chose. En effet, on y lit:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p style="text-align: justify;">Stephen King explique sa fascination pour l’horreur comme un moyen de combattre l’angoisse, une sorte de psychanalyse à l’envers: écrire les pires choses qui puissent arriver aide à se débarrasser de la peur. Il écrit non sans humour: «Je suis le malade, et on me paie pour l’être» (p.3).</p> </blockquote> <p style="text-align: justify;">Or, <em>Écriture, mémoires d’un métier</em> ne comporte aucune trace de pareil aveu. Les éditeurs se seraient inspirés d’autres sources, articles et entrevues, qui rendent effectivement ce son de cloche. Par exemple, un article publié en ligne sur le site Web du quotidien <em>Daily Mail</em> à l’occasion d’une biographie non-autorisée, évoquait sensationnellement les débuts difficiles de King et son alcoolisme:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p style="text-align: justify;">Forced to work in a laundry during the school holidays to help pay the bills, and receiving a string of rejection letters from publishers, King became increasingly frustrated at his failure as a novelist. When he was drunk, his anger became focused on his children.</p> <p style="text-align: justify;">«I wanted to grab them and hit them», he has admitted. «Even though I didn’t do it, I felt guilty because of my brutal impulses. I wasn’t prepared for the realities of fatherhood.»</p> <p style="text-align: justify;">The death of his mother at the end of 1973 sent him into a depression which did not lift even after the publication of his first success, <em>Carrie</em>, the following year.</p> <p style="text-align: justify;">[...]</p> <p style="text-align: justify;">Still tormented by a desire to hurt his children, he turned the technique he had learned as a child himself —believing that <em>if he wrote about something bad, then it would never happen</em>. This resulted in <em>The Shining</em>, the story of a little boy whose alcoholic father tries to kill him [...] (Leafe, 2009: <a href="http://www.dailymail.co.uk/tvshowbiz/article-1178151/Stephen-Kings-Real-Horror-Story-How-novelists-addiction-drink-drugs-nearly-killed-him.html">en ligne</a>; je souligne).</p> </blockquote> <p style="text-align: justify;">Ce passage jette un éclairage cru sur ce qu’<em>Écriture, mémoires d’un métier</em> n’aborde pas, peut-être parce que cela ne se traduit pas en conseil raisonnable («<em>If you write about something bad, then it will never happen</em>») à l’adresse des débutants. Mais c’est un aveu qui touche, assurément, un ressort fondamental, presque archaïque, de la poussée créatrice de cet auteur (comme pour bien d’autres), éclairant la question du <em>pourquoi</em> en dehors du <em>comment</em>, quant à elle assez bien détaillée dans le livre. Tout écrivain se doute qu’écrire est une activité qui, en dehors de la discipline qu’elle exige,&nbsp;repose <em>aussi</em> sur un socle obsessionnel, qu’elle peut s’accompagner d’une dimension magique et superstitieuse&nbsp;—un chèque en blanc adressé à la «toute-puissance des pensées» chère à Freud, clé des songes que chacun doit trouver pour lui-même. Il n’empêche que cette conception de l’écriture comme un acte conjuratoire et un exorcisme éclaire trop bien ce qui fonde l’écriture de King (et son fonds de commerce) pour être abandonnée.</p> <p style="text-align: justify;"><span style="color:#696969;"><strong>La honte, la vérité et la merde: une histoire édifiante</strong></span></p> <p style="text-align: justify;">L’anecdote est classique. Revenu du cinéma, où il a vu<em> Le Puits et le pendule</em>, King, jeune adolescent, «novélise» l’adaptation d’Edgar Allan Poe par Roger Corman, en tire quelques copies ronéotypées et entreprend de les vendre à ses camarades de classe. «[À] midi, j’en avais vendu deux douzaines [...].&nbsp;[C]ela paraîssait trop beau pour être vrai», dit-il (p.57). Et ça l’était: le lendemain, la directrice de son école l’oblige à rembourser ses «clients» en lui assénant un discours des plus familiers:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p style="text-align: justify;">«Ce que je ne comprends pas, Stevie [...], c’est ce qui te pousse à écrire des bêtises pareilles. Tu as du talent. Pourquoi le gâcher ainsi?» [...] [J]e dois dire, à son crédit, que sa question n’était pas entièrement rhétorique —mais je n’avais rien à offrir pour ma défense. J’avais honte (p.58).</p> </blockquote> <p style="text-align: justify;">Un an après pourtant, non seulement King récidive-t-il, mais il en rajoute: dans la tradition de <em>Mad Magazine</em>, il conçoit <em>The Village Vomit</em>, dont le contenu verse dans l'humour de toilettes et le calembour douteux, et où il s’en prend particulièrement au corps professoral de son école. Une Miss Margitan, professeure de secrétariat, prenant très mal d’y avoir été surnommée «Miss Maggot» (mademoiselle asticot), demande l’expulsion de Stevie pour quelques jours. Il s’en tirera après avoir présenté des excuses officielles, subi une poignée de retenues, vu radier son nom du tableau d'honneur de l'école et, assurément, angoissé beaucoup (car qu’en aurait pensé maman?). Il introjecte à cette occasion un sévère critique intérieur qui le tourmentera longtemps: «Depuis lors je n’ai guère touché à la satire» (p.64) dira-t-il, ce qui est assez vrai. Et il ajoute:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p style="text-align: justify;">J’ai passé pas mal d’années par la suite —trop, j’en ai l’impression— à avoir honte de ce que j’écrivais. Je crois que j’ai dû attendre d’avoir quarante ans pour me rendre compte que la plupart des auteurs de fiction et de poésie ayant publié ne serait-ce qu’une ligne ont été un jour ou l’autre accusés de gâcher le talent que Dieu leur avait donné. Si jamais vous écrivez (ou peignez ou dansez ou sculptez ou chantez, peu importe), il y aura toujours quelqu’un pour essayer de vous faire croire que vous êtes un minable, c’est tout. Je n’invente pas: ce sont les choses telles que je les vois [et j’ai continué longtemps] d’entendre [la directrice de l’école]&nbsp;me demander pourquoi je gaspillais mon talent, pourquoi j’écrivais des âneries (p.58-59).</p> </blockquote> <p style="text-align: justify;">Tout écrivain ayant exercé sa plume turbulente de bonne heure porte en lui le souvenir d’humiliations comparables, et celles de King nous amusent parce qu’elles n’ont rien qui puisse distinguer ses épreuves des nôtres. C’est dans les cours d’écoles et les bureaux des proviseurs que des générations d’apprentis écrivains ont un avant-goût de l’idée que les «démons de l’écriture» demandent, quand on y cède, qu’on leur paie un certain tribut. Ce n’est pas une pratique innocente, reste que l’épreuve de la honte peut avoir ses vertus, et finir par rapporter. <em>Carrie</em>, par exemple, n’aurait pas vu le jour (ni connu le succès que l’on sait), si l’épouse de King n’en avait tiré le premier manuscrit des poubelles pour l’enjoindre à le terminer:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p style="text-align: justify;">[Et] j’ai compris que le fait d’arrêter la rédaction d’un texte simplement parce que c’est difficile, sur le plan affectif ou sur celui de l’imagination, est une mauvaise idée. Il faut parfois continuer même quand on n’en a pas envie, et il arrive qu’on fasse du bon boulot alors qu’on a l’impression d’être là, à pelleter bêtement de la merde, le cul sur une chaise (p.93).</p> </blockquote> <p style="text-align: justify;">De fait, dans <em>Écriture, mémoires d’un métier</em>, la «merde» ne semble pas un terme banal. C’est plutôt un trope récurrent, dont on pourrait suivre la trajectoire comme suit: après avoir constitué une faiblesse (l’auteur se demandant si ce qu’il écrit en serait), elle se reconvertit en force, sous le couvert d’un parti-pris pour l’honnêteté, et le maniement d’une langue authentique. Non seulement l’auteur refuse de se taire, mais il saisit toutes les occasions possibles pour appeler une crotte une crotte; honnêteté nécessaire défendue comme «une bouffée d’air frais et vivifiant [<em>sic</em>] dans une pièce que d’aucuns préféreraient garder fermée» (p.224) :</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p style="text-align: justify;">Il est important de dire la vérité; tellement de choses en dépendent [...]. La <em>legion of Decency</em> n’aime pas le terme <em>merde</em>, et si ça se trouve, vous ne l’aimez pas non plus; mais [...] jamais un gamin n’a couru jusqu’à sa mère pour lui rapporter que sa petite sœur avait <em>déféqué</em> dans la baignoire. Il a pu employer diverses expressions comme <em>fait caca</em> ou simplement <em>fait</em>, mais a <em>chié</em>, j’en ai bien peur, est ce qui lui sera spontanément venu à l’esprit [...] (p.221).</p> </blockquote> <p style="text-align: justify;"><span style="color:#696969;"><strong>Petite esquisse d’un fonds de commerce</strong></span></p> <p style="text-align: justify;">Pourquoi les livres de King vendent-ils si bien? Hormis les considérations commerciales à rendre jaloux n’importe qui, c’est certainement parce que les valeurs qu’il défend, les angoisses qu’il y conjure et la langue qu’il emploie sont celles d’une bonne majorité. Prenons d’abord le fonds commun, souvent trivial, dans lequel King puise l’arsenal de ses objets phobiques: hormis, bien sûr, le forfait gothique standard avec ses cryptes, ses araignées et ses esprits malfaisants, c’est du côté de l’horreur dite «moderne» que l’imagination de King ne connaît pas de limites. Il semble chez lui que<em> tous</em> les objets de la vie domestique s’exposent à devenir les hôtes de quelque <em>anima</em> maléfique. Voitures hantées et téléphones cellulaires maléfiques, climatiseurs maléfiques, sécheuses maléfiques, aspirateurs maléfiques, hôtels maléfiques, supermarchés maléfiques, jouets maléfiques, réfrigérateurs maléfiques, ordinateurs et logiciels de traitement de texte maléfiques, placards maléfiques, broyeurs à déchet maléfiques et rasoirs électriques maléfiques menacent tous, tôt ou tard, de se retourner contre le malheureux consommateur, devenu victime des produits de la vie courante qui assurent son confort en même temps que son esclavage. Si Dieu est dans les détails, le Diable est dans les objets: c’est en partie le <em>mantra</em> que ressasse l’œuvre de King, tel un catalogue raisonné, parfois loufoque, d’un authentique «cauchemar climatisé». Et ce,&nbsp;de la nouvelle au pavé, sans compter son unique film à ce jour, <em>Maximum Overdrive</em> (1986), où les distributrices de sodas utilisent leurs cannettes comme des projectiles, les guichets automatiques envoient les clients se faire foutre et une tribu de camions autopilotés fait basculer l’Amérique dans la terreur.</p> <p style="text-align: center;">*</p> <p style="text-align: justify;">Dans <em>Mémoires d’un métier</em>, le portrait que le «roi de l’horreur» présente de lui-même est celui d’un travailleur obstiné, doublé d’un croyant (il est catholique) et d’un homme de famille heureux et reconnaissant. En mitan de carrière et passé la cinquantaine, King semble s’être relativement débarrassé de ses démons familiers et de ses vieilles hontes, du moment où ils ne semblent plus hanter autre chose que les pages qu’il écrit. Mais le passé qu’évoque la première partie de son livre ne cache en rien la marque profonde qu’a laissé sur son écriture les humiliations de ses débuts difficiles, ses penchants autodestructeurs, sa nature inquiétée par l’échec, et son imagination portée à exacerber le potentiel catastrophique de n’importe quelle situation.</p> <p style="text-align: justify;">Pourtant, en dehors de ce chaos, ses romans ne défendent pas moins le même ensemble de valeurs chrétiennes, testées et approuvées, qu’encense le King serein d’<em>Écriture</em>: la foi en la bonté de l’homme, la fonction de pilier social (et identitaire) accordée au couple et à la famille, la possibilité du salut par l’épreuve, les vertus rédemptrices de l’amour, et la tolérance enfin. Car c’est lorsque ces valeurs sont mises en crise ou menacées que l’horreur survient. Chez King, le chaos et la peur interviennent souvent lorsqu’une entité maléfique, mélange de péché personnel et de manifestation paranormale, perturbe cet équilibre naturel ou chrétien des choses, qu’il faudra bien sûr restaurer. Si on peut qualifier d’opposés ces deux termes, l’imagination de King demeure somme toute plus portée sur la morale que la perversion, se faisant volontiers manichéenne (il distribue maintes fois, en commentant d’anciens romans, les rôles de ses personnages entre «les bons» et «les méchants»), au contraire, par exemple, d’un écrivain comme Clive Barker. <a name="renvoi1"></a><a href="#note1">[1]</a></p> <p style="text-align: justify;">De plus, il est clair que l’expérience de la honte —de ses hontes—&nbsp;n’a cessé de compter dans son œuvre. Celle-ci, du moins, s’avère particulièrement sensible aux épreuves et aux anxiétés de l’<em>Average Joe</em>, du gars ordinaire, trimant dur dans un job ingrat, ne sachant jamais s’il joindra les deux bouts, s’il trouvera enfin la paix. <a name="renvoi2"></a><a href="#note2">[2]</a> «[Je] n’ai pas été élevé parmi ceux de la haute. Je sors de la classe moyenne inférieure américaine, et c’est à elle qu’appartiennent les personnes dont je peux parler avec le plus d’honnêteté, car ce sont celles que je connais le mieux», avance-t-il (p.223). De fait, il est assez constant que l’horreur, dans ses livres, se construise à partir d’événements quotidiens, des crises les plus domestiques: comment annoncer la mort d’un chat à ma fille? Comment gérer mon sentiment d’échec, mes pulsions agressives, ma tentation de boire? Comment faire face aux tourments de la paternité, à tout ce qui m’excède?</p> <p style="text-align: justify;">La famille est peut-être la cellule du bien et un pilier moral, mais elle est aussi le berceau de toutes les frustrations: aussi les responsabilités qu’elle impose ouvrent souvent la voie aux tentations maléfiques, comme lorsqu’un personnage, souvent un jeune père de famille, cède à un expédient surnaturel pour régler ou pallier un conflit domestique potentiel (cf. <em>The Shining, Pet Sematary</em> [1983]). Pour certains, le seul accroissement de tension de ces situations lorsqu’elles se mettent en place, l’exploration des tourments imposés par ces épreuves et le désir de s’en défiler (conflits intérieurs que King évoque généralement avec un réalisme terre à terre et une certaine compassion pour ceux qui les traversent), sont en soi une force de son talent, parfois jugée supérieures aux dérives horrifiques qui surviennent quand le Diable s’en mêle. <a name="renvoi3"></a><a href="#note3">[3]</a></p> <p style="text-align: justify;">Et dans ce domaine, l’imagination de King semble intarissable.</p> <p style="text-align: justify;"><span style="color:#696969;"><strong>Une industrie à lui tout seul</strong></span></p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p style="text-align: justify;">Un bon texte peut souvent être le fruit d’une attitude: celle de quelqu’un qui n’a plus peur et qui est sans affectation (p.150-151).</p> </blockquote> <p style="text-align: justify;">Examinons un peu la nature de la productivité exceptionnelle de King, en partant de ce que dans les <em>Mémoires</em>, l’auteur, pragmatique, conseille à ses ouailles d’écrire 2000 mots en trois heures tous les jours. Ok mettons mille, mais comme on devine que c’est sa méthode, appliquons-lui ce calcul, sur une échelle de 40 ans de carrière. Au bout d’un mois et de 90 heures de travail, 60 000 mots auront été écrits, déjà un roman de modeste envergure, ou un traitement bien développé. Au bout d’un an, on aura obtenu 720 000 mots, autrement dit deux gros pavés de 800 pages à 450 mots la page, ce qui est un ratio mots/page assez élevé mais commun chez les <em>hardcovers</em> gourmands. <a name="renvoi4"></a><a href="#note4">[4]</a> Quarante années de ce régime verraient donc produire quatre-vingt pavés de 800 pages de 450 mots chacune, donc 64 000 de ces pages. Actuellement, la somme (calculée rapidement) du nombre de pages alloué à chacun des titres de la bibliographie de Stephen King sur <em>Wikipédia</em> s’élève à 32 000 pages, les livres écrits sous le pseudonyme de Richard Bachman inclus. Le nombre moyen de mots par page, très variable, n’est pas indiqué. Mais on peut estimer raisonnablement que Stephen King voit environ d’un quart à un peu moins d’une moitié des pages qu’il écrit, d’après ce régime, se retrouver tôt ou tard dans un livre.</p> <p style="text-align: justify;">Une telle cadence d’écriture n’est pas humainement impossible, mais elle exige certainement des dispositions spéciales: un certain manque d’inhibition (la honte d’autrefois étant bel et bien levée), la capacité de pouvoir écrire sous la dictée de l’esprit ou de quelque «film intérieur», une imagination prolixe enfin, prompte à faire flèche de tout bois...</p> <p style="text-align: center;">*</p> <p style="text-align: justify;">Affaire de renouer avec les vertus comme les vices de son écriture fictionnelle, j’ouvre au hasard un roman de King: ce sera <em>Needful Things</em> (1991), le roman qui devait liquider une fois pour toutes Castle Rock, cette bourgade imaginaire du Maine qui avait, en outre, servi de décor à <em>Dead Zone, Cujo</em> (1981) et <em>The Dark Half</em> (1989). Les premières pages, celles du prologue, sont absorbantes, pleine de verve bonimenteuse: «Come on here, let me shake your hand! Tell you somethin’: I recognized you by the way you walk even before I saw your face good. You couldn’t have picked a better day to come back to Castle Rock [...]» (p.3). Le ton narratif se situe d’entrée de jeu du côté de l’oralité, même si la narration, à l’exception du prologue et de l’épilogue, est plutôt d’un type omniscient à focalisations variables. Ce bonimenteur mystérieux, un peu cynique et au parler franchement local, plante à merveille le décor matériel et mental du roman: c’est-à-dire le réseau d’antipathies et de griefs qui, sous le vernis des apparences, gruge la petite communauté. Le lecteur est ainsi introduit de façon vivante à une multitude de personnages, à leur situation et leurs griefs potentiels envers tel ou telle. L’écheveau compliqué de tensions qu’elle dessine rappelle un peu les récits aux personnages proliférants de Robert Coover, tels <em>John’s Wife</em> (1996) et «Suburban Jigsaw» (2005), où l’intérêt de la lecture, s’il en est un, consiste à avoir quelque idée du réseau des liens particuliers qui unissent les personnages entre eux.</p> <p style="text-align: justify;">Au terme de ses quelques 700 pages, <em>Needful Things</em> devrait nous présenter une Castle Rock réduite à un charnier. C’est qu’elle sera tombée sous la coupe d’un étrange brocanteur, Leland Gaunt, qui ouvre une boutique bien spéciale au début du récit: une boutique —«Needful Things»— où l’on trouve immanquablement l’objet de ses rêves. Carte de baseball autographiée, abat-jour en vitrail ou talisman porte-bonheur: il s’avère que ces simples babioles comportent une telle valeur de fétiche pour ceux <em>qui les désirent vraiment</em>, qu’ils tueraient pour garder la leur. D’une certaine manière, <em>Needful Things</em> illustre le thème, décrit plus tôt, de la malignité des objets, ou de notre attachement excessif pour eux: c’est un conte moral.</p> <p style="text-align: justify;">Cela dit, les détenteurs de ces objets n’auront pas déboursé beaucoup pour les obtenir. Mais ils auront conclu un pacte faustien avec Leland Gaunt: «jouer un tour» à quelque citoyen désigné (déterrer un secret, détruire quelque chose, commettre une quelconque infraction) de sorte qu’éventuellement le propriétaire accusera son voisin, les paroisses ennemies se feront la guerre, chacun se montera contre l’autre jusqu’à ce que la situation dégénère en hécatombe:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p style="text-align: justify;">“It’s best not to think too deeply about these things,” Mr. Gaunt said. He spoke idly, but there was nothing idle about his eyes, which were studying Brian’s face closely. “When I say, ‘Brian Rusk, what do you want more than anything else in the world at this moment?’ what is your response? Quick!”</p> <p style="text-align: justify;">“Sandy Koufax,” Brian responded promptly (p.30).</p> </blockquote> <p style="text-align: justify;">Premier client de la boutique, Brian Rusk est un garçonnet de 11 ans qui reçoit une carte de baseball en échange de son âme. C’est aussi la victime qui laisse la plus forte impression, car tout est encore nouveau pour lui —comme pour les lecteurs. Mais lorsque ceux-ci auront vu une dizaine de clients se laisser ensorceler de la même manière —chacun son tour et à peu de variations près—, le rituel aura perdu depuis longtemps son mystère, pour se réduire à un simple procédé narratif.</p> <p style="text-align: center;">*</p> <p style="text-align: justify;">La prose de <em>Needful Things</em> me rappelle aussi combien Stephen King affectionne la comparaison. «Bien ciblée, une comparaison nous ravit autant que de rencontrer un vieil ami au milieu d’une foule d’inconnus», dit-il à ce sujet dans <em>Écriture</em> (p.212), ce qui fait déjà une comparaison de plus. La comparaison est en effet une figure de prédilection, pour ne pas dire une manie de l’écriture de King: elle y abonde bien plus que les autres figures d’analogie —la métaphore, la métonymie, la synecdoque par exemple— bien qu’elle me semble aussi la tare évidente d’un style résolument <em>moyen</em>. Car si pour un styliste comme William Gass, «une rose qui saigne ses pétales» (1979: 71) transforme aussi bien la nature du sang que celle de la rose, la comparaison maintient la hiérarchie comparé/comparant bien en place; elle confond peu le lien d’identité entre les termes qu’elle rapproche. En fait, et tout comme <em>rencontrer un vieil ami dans une foule d’inconnus</em>, la comparaison chez King sert une fonction rassurante, elles nous rendent familières des notions abstraites en les attachant à des images concrètes. Par exemple, dans <em>Écriture, mémoires d’un métier</em>, le développement des comparaisons filées entre la «langue littéraire» (objet abstrait) et un coffre à outils (image concrète), entre le processus qui consiste à écrire un récit (objet abstrait) et le travail que demande l’excavation d’un fossile (image concrète), traversent de grandes fractions du livre. Mais il s’en trouve, bien sûr, de plus brèves à chaque page de ses histoires: voici, par exemple, comment King évoque le vertige de Brian Rusk, revenant d’une transe hypnotique après avoir tenu dans sa main un objet mystérieux: «It had been like holding a conch shell to your ear and hearing the sound of the ocean... only in 3-D Sensurround» (<em>Needful Things</em>, p.29). Comparaison kinguienne typique.</p> <p style="text-align: justify;">Or il est surprenant que la langue de Stephen King s’exerce si peu à la <em>défamiliarisation </em>dans sa manière d’employer les figures de rhétorique, qu’il privilégie un trope aussi rassurant alors qu’il travaille en plein cœur du genre fantastique. Ne serait-il pas plus juste, ou du moins plus inquiétant, et plus intéressant au niveau du style, que son langage s’exerce à nous<em> faire rencontrer une foule d’inconnus dans un vieil ami</em> plutôt que l’inverse?</p> <p style="text-align: center;">*</p> <p style="text-align: justify;">Parcourir <em>Needful Things</em>, enfin, rafraîchit mon souvenir de l’hypertrophie, de l’expansionnisme narratif si cher à la prose de King, car il est difficile, ici, de ne pas sentir un effort volontaire, délibéré de <em>faire gros</em>, de tout détailler, de porter le récit jusqu’à l’exhaustion, l’excès, la redite, d’autant plus que la technique d’une narration omnisciente à variations focales multiples encourage potentiellement cette expansion jusqu’à l’infini. Par exemple, le passé (et ses traumas) d’un personnage important (et un roman de King peut en comporter beaucoup) sera construit une première fois pour le bénéfice du lecteur, puis raconté par le personnage lui-même une seconde fois —lors d’un moment dramatique—&nbsp;à son éventuelle douce moitié qui, elle, aura été construite de la même façon et se confiera aussi éventuellement de façon similaire. Une situation qui a d’emblée peu de secrets pour le lecteur (par exemple, la manière dont Leland Gaunt ensorcelle la population de Castle Rock) peut prendre de nombreuses pages à être élucidée par tel ou tel personnage (comme Alan Pangborn, shérif du comté et héros de l’histoire), tout cela comme si «raconter», pour Stephen King, était synonyme de «répéter». Dans les moments où la tension monte, les variations focales permettent de conjuguer un nombre excessif de trames narratives. Par exemple, les chapitres 17 et 18 du roman (p.485-542) se subdivisent au total en 42 sous-chapitres dont chacun amorce un changement de point de vue et de lieu&nbsp;(«At about the same time Alan was heading across town to arrest Hugh Priest, Henry Beaufort was standing in his driveway» (p.485); «In the process of tearing apart George T. Nelson’s bedroom, Frank Jewett found half an ounce of coke under the mattress» (p.486); «Lenny Partridge, Castle Rock’s oldest resident [...], also drove one of Castle Rock’s oldest car» (p.487), etc.). Cette méthode pourrait prouver une certaine maîtrise, chez King, de l’enchevêtrement alterné d’une myriade de sous-intrigues (qu’il a peut-être écrites séparément avant de les monter ensemble), mais elle accuse aussi, du moins pour le lecteur, comment l’auteur peut s’éprendre de certaines techniques narrative et les user jusqu’à la corde.</p> <p style="text-align: justify;"><span style="color:#696969;"><strong>En finir</strong></span></p> <p style="text-align: justify;">«Ma conviction la plus profonde, quant à l’invention des histoires, est qu’elles se fabriquent en grande partie d’elles-mêmes» (p.192), révèle King dans ses <em>Mémoires</em>, et il n’est certes pas le premier à défendre qu’écrire, et raconter, soit une descente dans l’inconnu. Étant son premier lecteur, l’écrivain doit chercher à se surprendre puisque c’est là sa meilleure ou sa seule garantie que le lecteur, en le lisant, se laissera surprendre aussi:&nbsp;«Tôt ou tard, une histoire doit bien aboutir <em>quelque part</em>» (p.195). &nbsp;</p> <p style="text-align: justify;">En dépit de certaines rumeurs, le présent article a pris son parti de présumer que Stephen King était l’auteur de chacune des lignes qu’il publie —et cela, en outre, parce que ses fictions accusent couramment les tares d’une écriture rapide et fonctionnelle, donnant parfois l’impression d’être improvisée, et cultivant des obsessions, des procédés qui sont un peu la signature ou la marque de commerce de l’auteur. Leur niveau stylistique est généralement moyen, les intrigues sont souvent chaotiques, la «psychologie» des personnages y est souvent surexposée, les comparaisons surabondent, l’humour de toilettes aussi, si bien que les moments cohésifs qu’ils comportent parfois empêchent rarement que quelques pages plus tard on plonge dans des visions grotesques ou que King recoure à d’évidentes facilités narratives, telles cette bombe qui explose en plein cœur du <em>Fléau</em>, à un moment de l’intrigue où, du propre aveu de l’auteur, le repeuplement de l’Amérique (qu’une pandémie fulgurante décimait au début du roman) avait atteint des proportions qui lui posaient problème: «Un bon coup d’épée dans le nœud gordien», dit-il non sans candeur (p.242-243).</p> <p style="text-align: justify;">Doit-on penser, pour autant, que <em>la littérature de King est foncièrement mauvaise</em>? Il y a trop de preuves, au contraire, qui indiquent qu’à travers (ou grâce à) ces écueils, King parvient à faire quelque chose de bien, à être <u>efficace, à savoir</u> émouvoir, toucher certaines cordes sensibles, bref, savoir exercer son art, dussent ses forces nous paraître souvent des faiblesses sous d’autres aspects. Pour la critique littéraire spécialisée, le best-seller est peut-être le plus atypique des objets: son succès massif et populaire semble le disqualifier d’emblée en tant qu’objet d’étude sérieux, et pourtant il arrive qu’il comporte d’évidentes qualités artistiques et qu’il puisse exsuder un univers d’obsessions privées aussi fourni que la plus excentrique, la plus personnelle des créations. Pour des raisons qu’il ne nous appartient pas d’expliquer, le critique littéraire se fait encore, dans sa spécialité, un dilemme de cette dichotomie entre l’art et le commerce —un problème qu’a pourtant résolu depuis longtemps celui qui s’intéresse, par exemple, au rock et au cinéma, où il va presque de soi d’accepter les œuvres à la fois comme des créations personnelles et des objets de communication de masse. Et d’ailleurs (pour paraphraser Malraux), la poésie est (aussi) une industrie.</p> <p style="text-align: justify;">Comme le suggère le double et paradoxal épigraphe qui coiffe <em>Écriture, mémoires d’un métier</em> (où, à un mot de Cervantès —«L’honnêteté est la meilleure stratégie»— succède celui d’une source anonyme —«Les menteurs prospèrent»—&nbsp;qui est peut-être de King lui-même), il faut peut-être concevoir qu’on puisse être<em> à la fois</em> honnête et prospère.</p> <p style="text-align: justify;">Comme Stephen King. Ou peut-être pas.</p> <p style="text-align: justify;"><strong>Bibliographie</strong></p> <p style="text-align: justify;">BARKER, Clive (1988), <em>Le Jeu de la damnation</em>, Paris, J’ai Lu.</p> <p style="text-align: justify;">COOVER, Robert (1992),<em> La femme de John</em>, Paris, Seuil.</p> <p style="text-align: justify;">-------- (2005), «Suburban Jigsaw»,&nbsp; <em>A Child Again</em>, San Francisco, Mc Sweeney’s, p.194-216.</p> <p style="text-align: justify;">GASS, William H. (1979), <em>Fiction and the Figures of Life</em>, Boston, Goodine.</p> <p style="text-align: justify;">KING, Stephen (1974) <em>Carrie</em>, New York, A Signet Book.</p> <p style="text-align: justify;">-------- (1977), <em>The Shining</em>, New York, A Signet Book.</p> <p style="text-align: justify;">-------- (1978) <em>The Stand</em>, New York, A Signet Book.</p> <p style="text-align: justify;">-------- (1979), <em>The Dead Zone</em>, New York, A Signet Book.</p> <p style="text-align: justify;">-------- (1981), <em>Cujo</em>, New York, A Signet Book.</p> <p style="text-align: justify;">-------- (1983), <em>Pet Sematary</em>, New York, A Signet Book.</p> <p style="text-align: justify;">-------- (1986) [scénario et réalisation], <em>Maximum Overdrive</em>, De Laurentiis Entertainment Group, film.</p> <p style="text-align: justify;">-------- (1986), <em>It</em>, New York, A Signet Book.</p> <p style="text-align: justify;">-------- (1987), <em>Misery</em>, New York, A Signet Book.</p> <p style="text-align: justify;">-------- (1989), <em>The Dark Half</em>, New York, A Signet Book.</p> <p style="text-align: justify;">-------- (1991) <em>Needful Things</em>, New York, Viking</p> <p style="text-align: justify;">-------- ([2000] 2001), <em>Écriture, mémoires d’un métier</em>, traduit de l’anglais (États-Unis) par William Olivier Desmond, Paris, Albin Michel.</p> <p style="text-align: justify;">LEAFE, David (2009), «Stephen King’s Real Horror Story: How the novelist’s Addiction to drink and drugs nearly killed him», <em>Mail Online</em> [en ligne]. <a href="http://www.dailymail.co.uk/tvshowbiz/article-1178151/Stephen-Kings-Real-Horror-Story-How-novelists-addiction-drink-drugs-nearly-killed-him.html">http://www.dailymail.co.uk/tvshowbiz/article-1178151/Stephen-Kings-Real-Horror-Story-How-novelists-addiction-drink-drugs-nearly-killed-him.html</a> (Page en ligne depuis le 12 mai 2009).</p> <p style="text-align: justify;">PATRICOT, Ameyric (2011), «King en toc?», <em>La Littérature sous caféine</em> [en ligne]. <a href="http://www.aymericpatricot.com/dotclear/index.php?2011/01/25/545-king-en-toc#co">http://www.aymericpatricot.com/dotclear/index.php?2011/01/25/545-king-en-toc#co</a> (Page en ligne depuis le 25 janvier 2011).</p> <p style="text-align: justify;">PYNCHON, Thomas (1973), <em>Gravity’s Rainbow,</em> New York, Penguin Books.</p> <p style="text-align: justify;">STRUNK, William et E.B. White (1918), <em>The Elements of Style</em>, New York, Penguin Press.</p> <p style="text-align: justify;">&nbsp;</p> <hr /> <p style="text-align: justify;"><a href="#renvoi1" name="note1">[1] </a>Les premières pages des romans de genre sont souvent les meilleures ou, à défaut de l’être, les plus extrêmes. Ainsi, quand Clive Barker, au début de son premier roman, <em>Le Jeu de la damnation</em> (1988 [1985], p.9), installe le décor d’une Berlin occupée dans l’après-guerre (qu’a également exploré Thomas Pynchon dans <em>Gravity’s Rainbow </em>[1973]), où toutes les perversions sont permises, j’éprouve pour ainsi dire en une page un «frisson» d’amoralité absolue, horrifique, proprement sadienne et de permissivité tentatrice plus intense que ne m’ait jamais apporté la somme des romans de King que j’aie lu. Le passage concerné est le suivant:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p style="text-align: justify;">[...] Aucun appétit, aucune curiosité ne demeurait insatisfaite en ces lieux. Les plus profonds secrets du corps et de l’esprit étaient disponibles pour quiconque se sentait l’envie de les découvrir. On en faisait des jeux. Pas plus tard que la semaine précédente, le voleur [soit le personnage du point de vue duquel est racontée cette scène] avait entendu parler d’un jeune homme qui jouait à l’ancien jeu du bonneteau (vous avez vu la carte? hop! vous ne la voyez plus) en substituant, avec le génie de la folie, aux trois cartes deux sceaux et la tête d’un bébé.</p> <p style="text-align: justify;">Ce n’était pas le pire; le bébé était mort et les morts ne souffrent pas. Il y avait d’autres passe-temps à la disposition de ceux qui pouvaient payer, les plaisirs qui utilisaient les vivants comme matière première. Pour ceux qui possédaient certains désirs et l’argent pour les satisfaire, un trafic de chair humaine s’était mis en place. [...] La moitié d’un quignon de pain suffisait à acheter une des filles de réfugiés —dont certaines étaient si jeunes qu’elles avaient à peine des seins à caresser— pour en retirer un plaisir plusieurs fois renouvelé dans les ténèbres complices; personne n’entendait leurs plaintes et celles-ci étaient bien vite interrompues d’un coup de baïonnette quand les mignonnes avaient perdu leur charme. De tels homicides passaient inaperçus dans une ville où des milliers d’êtres humains avaient déjà péri. L’espace de quelques semaines —le temps de passer d’un régime à l’autre— tout devenait possible: aucun acte n’était répréhensible, aucune perversion n’était taboue. (p.9)</p> </blockquote> <p style="text-align: justify;"><a name="note2"></a><a href="#renvoi2">[2]</a> Une autre figure familière, bien sûr, est celle de l’adolescent complexé, impopulaire, qui va toujours s’asseoir dans le fond de la classe et qui est victime des mauvaises plaisanteries de ses camarades: voir, en outre, Carrie.</p> <p style="text-align: justify;"><a name="note3"></a><a href="#renvoi3">[3]</a> Voir, par exemple, ce billet du blogue d’Ameyric Patricot, «King en toc?» (2011: en ligne). (J’ajoute que les commentaires présentés sous le pseudonyme de «Beast Language», du 29 au 30 janvier 2011, sont de moi.)</p> <p style="text-align: justify;"><a name="note4"></a><a href="#renvoi4">[4]</a> <em>Hardcover</em> : couverture rigide (ou cartonnée). <em>Softcover</em> : couverture souple. Il est courant que les premiers tirages de romans importants, aux États-Unis, soient publiés en «hardcover», donc en ouvrages brochés cartonnés, contrairement à ce qui se passe dans la francophonie, où même les premiers tirages présentent une couverture souple —les «couvertures rigides» demeurant une spécialité de certains fournisseurs ou d’éditions spéciales (la Pléiade de Gallimard, Québec Loisirs, le Cercle français du livre, etc.) En seconde édition, un roman américain ne sera pas nécessairement imprimé en «format poche», mais en «softcover», soit un ouvrage de même format, mais en couverture molle —le format «poche» étant en perte de vitesse sur ce marché particulier, et n’étant réservé aujourd’hui qu’aux best sellers (titres meilleurs vendeurs).<br /><br /><br />&nbsp;</p> ACIMAN, Alexandre, et RENSIN, Emmett BARKER, Clive COOVER, Robert GASS, William H. KING, Stephen LEAFE, David PATRICOT, Ameyric PYNCHON, Thomas STRUNK, William WHITE, E.B. Roman Sat, 14 Jan 2012 01:47:16 +0000 Jean-Philippe Gravel 443 at http://salondouble.contemporain.info Les nouveaux salons http://salondouble.contemporain.info/antichambre/les-nouveaux-salons <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/dufour-genevieve">Dufour, Geneviève</a> </div> <div class="field-item even"> <a href="/equipe/landry-pierre-luc">Landry, Pierre-Luc </a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-text field-field-soustitre"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> Étude de la sociabilité des blogues «littéraires» </div> </div> </div> <!--break--><!--break--><p><br />Une littérature s’élabore en parallèle, voire en marge, de l’institution traditionnelle. La tablette numérique devient un des nouveaux outils de lecture; les archives passent au numérique; le domaine de l’édition suit également cette tangente, sans compter toutes ces oeuvres qui s’ébauchent, se peaufinent et s’écrivent dans cet espace virtuel que l’on nomme la blogosphère. Cette littérature peut-elle être étudiée à l’aide des mêmes outils d’analyse convoqués généralement en études littéraires? Peut-on qualifier ses actants d’&nbsp;«écrivains» si ceux-ci ne jouissent d’aucun statut légitime? Partant de l’idée que le livre, dans son format papier, demeure la représentation la plus tangible de cette légitimation, les blogueurs semblent confinés, d’emblée, à un champ périphérique de la littérature puisque leurs écrits échappent aux procédés de reconnaissance traditionnels. En fait, notre hypothèse de travail est la suivante: il semble que la fonction de reconnaissance conventionnellement associée à l’institution littéraire (entendre ici: le processus d’édition par lequel transite un texte publié, la réception critique et académique de l’œuvre, les prix littéraires, etc.) soit prise en charge, dans le cas des blogues<strong><a name="note 1"></a><a href="#note%201a">[1]</a></strong> littéraires, par des instances informelles à la fois disséminées et organisées que nous nommons le réseau de sociabilité, manifestation empirique la plus aisément repérable.<br /><br />Bien qu’elle ne transite par aucun processus de sélection et de publication, l’écriture des blogues littéraires parvient tout de même à acquérir une certaine forme de reconnaissance. Celle-ci, de nature entre autres symbolique, se sédimente par l’établissement d’un réseau distinct et élargi; la marque la plus évidente de ce réseautage est la liste de liens menant vers d’autres blogues dont se dotent la plupart des écrivains —le <em>blogroll</em>. À la lumière du concept de sociabilité littéraire défendu par Michel Lacroix et Guillaume Pinson (2006), notamment, nous verrons au cours de ce texte comment se construisent les trajectoires des blogueurs en quête de légitimation. La blogosphère représente un espace de consécration semblable aux salons littéraires français de l’époque des Lumières; sous le mode de la représentation de soi (voire de la mise en scène), les salons comme le monde des blogues littéraires agissent à titre d’&nbsp;«institution de sociabilité» (Lilti, 2005: 85). Plutôt que d’établir une reconnaissance critique sur le plan littéraire, il semble que, dans une sphère comme dans l’autre, on se situe dans un régime de complaisance et de politesse. Au centre d’un réseau et forcés, par le fait même, de se plier à l’«esprit de société» (Lilti, 2005: 333), les blogueurs s’inscrivent dans une forme de sociabilité privilégiant le consensus et le divertissement. Et en cela ils n’appellent pas à une évaluation esthétique de leurs écrits, mais ils invitent généralement au dialogue et à l’adhésion par les pairs. C’est ce phénomène que nous analyserons dans ce texte.<br /><br /><span style="color: rgb(105, 105, 105);"><strong>Le blogue «littéraire» existe-t-il vraiment?</strong></span><br />Il existe bel et bien des procédés de reconnaissance dans la blogosphère, quoique ceux-ci s’élaborent de manière officieuse, sans flûtes ni champagne. Toutefois, avant de circonscrire les processus de légitimation, précisons d’abord ce en quoi consiste le blogue littéraire, de même que le blogue dans son acception la plus élémentaire. Jill Walker, dans son ouvrage <em>Blogging</em>, explique que le terme «blogue» est une contraction des mots «Web» et «log». Ce dernier terme est emprunté au domaine de la navigation, rappelant ainsi le fait de naviguer sur la Toile, image communément employée dans le discours courant. «Log», plus précisément, désigne le livre de registre dans lequel les marins inscrivent les événements de la journée (Walker, 2008: 18). Le terme «blogue» réfère donc au caractère quotidien de l’écriture, à la notation des faits et anecdotes consignés jour après jour, sur Internet. Le blogue est généralement rédigé par une seule personne qui s’exprime de manière subjective sur des sujets divers. «Souvent annoncé comme un genre nouveau, mais difficilement unifiable sous son évidente diversité» (Couleau et Hellégouarc’h, 2010: 10), le blogue pose nécessairement la question du genre:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p><span style="color: rgb(105, 105, 105);">Qu’il y ait un phénomène social et médiatique des blogs ne fait aucun doute; mais si l’on se demande ce que recouvre ce phénomène, on est gêné parce qu’à cette pratique, il est difficile d’attribuer des caractéristiques génériques. On remarque, d’une part, une tendance à définir le blog comme un «journal personnel en ligne», et d’autre part, on peut être frappé par le nombre important de blogs qui ne relèvent pas de cette qualification générique. On a affaire à des actions de publication et de médiatisation, c’est une certitude; mais la question me semble se poser de savoir si ces pratiques sont appréhendables comme une pratique générique, c’est-à-dire de savoir si elles sont subsumables sous une seule catégorie textuelle (Candel, 2010: 23).</span></p> </blockquote> <p>Étienne Candel suggère de considérer le blogue non pas comme un genre, donc, mais plutôt comme une <em>forme éditoriale</em> (2010: 26). Marie-Ève Thérenty suggère «quatre contraintes nécessaires» pour définir le blogue: «diffusion sur le Web, écriture à la première personne, parcours rétrochronologique, écriture séquencée ou fragmentée» (2010: 54-55). Le blogue diffère donc du site personnel en raison de la potentialité communicative inscrite dans la démarche: c’est le commentaire, véritablement, qui fait le blogue.<br /><br />Le blogue littéraire, quant à lui, semble plus difficile à repérer à cause de son statut littéraire, justement, puisqu’on peut croire que le qualificatif renvoie nécessairement à un jugement de valeur. Et cela&nbsp;nous mène à l’épineuse question: mais qu’est-ce que la littérarité? Qui plus est, le réflexe courant est d’interroger le talent et la solidité des auteurs qui se manifestent dans la blogosphère. Bien qu’en littérature, généralement, on évite de parler de l’intention de l’auteur, dans le cas du blogue, il est d’ordinaire aisé de repérer le projet qui sous-tend l’écriture. Régulièrement, son auteur affiche sur l’interface principale ou dans une interface secondaire l’objectif de son entreprise. Mais s’en remettre exclusivement aux dires de l’auteur est une méthode incertaine, car ne devient pas écrivain qui le veut et qui le formule explicitement. Nous ne parlerons donc pas ici des blogues rédigés par des écrivains reconnus, qu’on pense à ceux de François Bon, Pierre Assouline, Alain Mabanckou ou, chez nous, à ceux de Catherine Mavrikakis et de Christian Mistral, par exemple. Ceux-ci occupent certainement une place de choix sur la blogosphère; leur reconnaissance ne passe pas par la sociabilité virtuelle puisqu’elle est déjà établie par l’institution littéraire officielle. Plus sûrement, on peut faire entrer dans la catégorie littéraire les blogues qui ont pour sujet la littérature et son actualité. Il s’agit d’ailleurs de la définition proposée par<em> Le grand dictionnaire terminologique </em>de l’Office québécois de la langue française (<a href="http://www.granddictionnaire.com/BTML/FRA/r_Motclef/index800_1.asp" target="_blank">en ligne</a>). Cette définition a toutefois le désavantage de réunir sous une seule étiquette les blogues qui <em>se veulent</em> littéraires et les blogues qui <em>s’intéressent</em> à la littérature. C’est-à-dire que ne répondent pas aux mêmes usages et aux mêmes objectifs, à notre avis, les blogues critiques, qui proposent à leurs lecteurs des commentaires maisons et qui font désormais concurrence aux critiques professionnels écrivant traditionnellement dans les périodiques, et les blogues plus «personnels», dirions-nous, que l’on pourrait qualifier de journaux «extimes» (Allard, 2005). En effet, en y regardant de plus près, plusieurs blogues s’apparentent à des carnets d’écriture sans nécessairement traiter de manière directe de la littérature; ces blogues sont davantage de l’ordre du cahier de notes, où s’élaborent des récits tantôt fictionnels, tantôt autobiographiques, où s’échafaudent des réflexions personnelles, sociales, littéraires, etc. D’ailleurs, comme il est fréquent que chaque entrée soit datée, on pourrait aussi les rapprocher de l’écriture diaristique. Mais qu’est-ce qui fait de ces «journaux personnels en ligne» un objet nommément littéraire? Ne pourrait-on pas, à la limite, considérer une suite de statuts publiés sur <em>Facebook</em> comme étant un objet littéraire? Pourquoi cet intérêt de la critique —dont nous sommes, visiblement!— envers les blogues et non pas envers les actes de langage de <em>tous</em> les réseaux sociaux? Le blogue, en réalité, est lui aussi un réseau social —et c’est ce que nous montrerons dans les parties subséquentes de ce texte<a name="note 2"></a><a href="#note%202a"><strong>[2]</strong></a>.<br /><br />En tant qu’acte social, le blogue résiste à la littérarité; c’est ce qu’affirme Alexandre Gefen:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p><span style="color: rgb(105, 105, 105);">Bloguer serait d’abord un acte social, directement ou indirectement performatif qui, de fait, ne s’inscrit que difficilement dans les critères définitoires de la «littérature littéraire»: faiblement contractualisée et possédant sa sphère référentielle propre, l’écriture par blog résiste à l’opposition fait/fiction (critère de fictionnalité) qui pourrait la faire admettre dans le corpus littéraire traditionnel; formalisée par réaction à des contraintes technologiques exogènes, elle peine à opérer cette ostentation du signifiant et cette dénudation des procédés qui la qualifieraient de littéraire par diction. Ainsi, rares sont les études ayant fait du blog un genre littéraire en soi (c’est-à-dire, et quelle que soit la définition du genre que l’on retienne, une forme matrice de sens), y compris dans le monde anglo-saxon, pourtant ouvert à une théorie large des médias et attentif au pouvoir configurant des supports textuels (2010: 156).</span><br />&nbsp;</p> </blockquote> <p>La critique actuelle semble accepter d’emblée l’appellation «blogue littéraire» comme si elle allait de soi. Cela nous agace, car on semble accepter d’emblée comme littéraire des oeuvres aussi diverses que le blogue d’un étudiant en littérature qui aspire au métier d’écrivain ou le journal personnel en ligne d’une nouvelle maman qui chronique son quotidien, par exemple —cela dit sans aucun jugement de valeur concernant l’intérêt de ces démarches, qui sont toutes les deux courantes. Évelyne Broudoux remarque une «dualité autoritative» chez certains blogueurs, ce qui pourrait nous mettre sur la piste des critères faisant d’un blogue un blogue <em>littéraire</em>:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p><span style="color: rgb(105, 105, 105);">La dualité autoritative est rendue visible sur un certain nombres de blogs issus d’horizons variés (personnels, politiques, littéraires, scientifiques, etc.). Une oscillation se laisse effectivement observer entre le «placement de soi» dans un espace social et un domaine d’activités et la «production d’un contenu original» attribuable à un auteur. En effet, ces blogs se laissent reconnaître à leurs prises de position, aux interprétations diverses qui rythment les contributions. Et il est quelquefois difficile de distinguer ce qui au fond motive leur auteur: être reconnu dans un champ pour ses qualités personnelles ou bien produire et créer des objets dont la valeur sera appréciée par un public constitué de néophytes ou d’experts. Doit-on prendre ces manifestations pour des affirmations d’auteurs en manque de légitimité ou s’agit-il «simplement» d’une construction auctoriale classique, à partir de laquelle l’auteur est en mesure de laisser l’exprimer l’écrivain? (2010: 33)</span><br />&nbsp;</p> </blockquote> <p>La littérarité du blogue passerait donc inévitablement par l’intention de son auteur; cette conclusion nous semble pourtant contre-intuitive: la méthode critique de Sainte-Beuve a déjà été décriée et un retour à l’intentionnisme et à la psychologie de l’auteur ne nous semble pas productif —ni souhaitable. Thérenty décrit dans un article ce qu’elle appelle «l’effet-blog en littérature», écartant ainsi le critère de l’intention de l’auteur. Cet effet serait peut-être plus approprié qu’un discours sur les motivations d’écriture pour parler des blogues littéraires. Selon elle, «[l]e premier effet du blog [littéraire] est d’entraîner à une écriture de la subjectivité. Le blog contraint à l’écriture à la première personne et il permet à l’écrivain, même habitué à une écriture impersonnelle, une exploration des limites du moi, sans d’ailleurs que cette quête ne prenne forcément la forme d’une écriture autobiographique» (2010: 58). La seule contrainte de cette écriture du moi serait celle du fragment. L’effet-blogue se fait sentir dans «[l’]indécision, [l’]hésitation entre l’écriture autobiographique et le décollage fictionnel […] [et] invite à écrire sur ce qui est répétitif (l’habitude), sur ce qui est anodin (la banalité, le prosaïque) et sur le détail (l’infime et l’intime)» (2010: 59). Pour d’autres, c’est davantage l’autoréférentialité qui détermine le blogue littéraire. Broudoux suggère d’ailleurs que l’autopublication «facilite et amplifie l’autoréférence»:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p><span style="color: rgb(105, 105, 105);">En effet, l’éditeur qui est le garant de la qualité des textes est aussi le garant des genres publiés. En dehors du genre autofictionnel, les incartades de la personne écrivante dans le texte d’auteur publié sont rarement admises. Il y a donc [avec les blogues] éclatement des genres traditionnels.<br />Ce sont surtout les jeunes intellectuel-le-s qui vont se servir du blog comme d’un espace servant à la construction et à la gestion fine de leur identité: étudiants, jeunes journalistes, artistes ou écrivains, sont susceptibles de jouer avec leur identité, par de multiples détournements passant quelquefois par l’anonymat (2010: 39).</span></p> </blockquote> <p>Le blogue littéraire est donc un amalgame de plusieurs types d’écriture à la fois; il privilégie rarement une direction seule et unique, et c’est ce qui le rend si difficile d’approche. L’entreprise est associée, pour plusieurs, à une quête narcissique. Certains y voient une volonté excessive de communiquer, de se manifester. Retenons à ce sujet le commentaire de Cory Ondrejka, recueilli par Jill Walker dans son ouvrage <em>Blogging</em>. Ce technicien en chef chez <em>Second Life</em> (un site où l’on peut créer un avatar et incarner un personnage dans un monde virtuel) rapproche l’entreprise du blogue à une prise de parole comparable au fait de se rendre sur la plus haute montagne et de crier dans un porte-voix (Walker, 2008: 66). Mais prise à rebours, cette idée ne semble pas s’appliquer parfaitement. On peut associer cette volonté d’expression à un effet escompté, à un désir de communiquer, davantage qu’à un résultat concret puisqu’en réalité, la voix du blogueur, bien qu’elle semble se projeter de manière éhontée, se confond dans la cacophonie ambiante. La blogosphère est vaste. Et pour filer la métaphore encore un peu, nous dirons que la blogosphère offre un paysage infini et bruyant, composé de plusieurs chaînes de montagnes et d’une pluralité de voix s’élançant toutes dans un même lieu. La blogosphère est une suite sans fin de confessions; pour reprendre en d’autres mots l’idée de Geert Lovink dans son article «Blogging, the Nihilist Impulse» (2007: 4), la blogosphère est une parole jamais tue.<br /><br /><span style="color: rgb(105, 105, 105);"><strong>Le caractère social du blogue</strong></span><br />Cette image proposée par Ondrejka mène à mettre en évidence le caractère social du blogue, qui doit être envisagé comme étant partie intégrante d’un tout. Cependant, il est vrai que celui qui écrit ne s’adresse pas forcément à son lecteur. Celui-ci est invisible, souvent inconnu, et ne figure pas toujours parmi le réseau des connaissances immédiates de l’auteur du blogue. Il est vrai également que les discussions échangées entre le blogueur et son lecteur ne peuvent se dérouler de façon synchronique comme c’est le cas lors d’une conversation réelle entre deux interlocuteurs. Il existe en effet une sorte de zone tampon temporelle entre le moment de l’écriture et la réaction du lecteur qui sépare inévitablement les échanges. Or, malgré cette distance entre les différents agents de la blogosphère, des interactions se développent entre les blogues, créant ainsi une communauté. Plus précisément, c’est tout un réseau de sociabilité qui se construit, support symbolique fort utile dans l’établissement de la légitimation de la pratique du blogue littéraire. Comme l’affirme Michel Lacroix dans son article&nbsp;«Littérature, analyse de réseaux et centralité: esquisse d’une théorisation du lien social concret en littérature», «[t]oute solitaire que puisse être l’écriture, le monde littéraire, lui, est éminemment social, pétri d’interrelations entre les multiples acteurs qui l’habitent et lui donnent vie» (2003: 475).<br /><br />Malgré cette sociabilité, le blogue littéraire déboucherait «sur une culture du “happy few”, en suggérant la création de communautés restreinte d’auteurs et de lecteurs»:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p><span style="color: rgb(105, 105, 105);">Les paroles de connaisseurs, le lexique renouvelé par des néologismes ou émaillé par des <em>gimmicks</em> fonctionnent comme des signes de reconnaissance. Les «niches» se multiplient sur le net, tandis que le libre jeu sur les identités pseudonymiques, les indices de connivence construisent un espace relationnel à géométrie variable (Couleau et Hellégouarc’h, 2010: 8).</span></p> </blockquote> <p>L’utilisation de pseudonymes est d’ailleurs symptomatique des limitations de cette sociabilité. Olivier Trédan suggère que les blogueurs tentent de reconstruire un «micro-monde» en publiant en ligne et cherchent à la fois à acquérir une certaine légitimité et à choisir les frontières de leur identité numérique:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p><span style="color: rgb(105, 105, 105);">Une récurrence apparaît dans le parcours de blogueurs: le recours à un pseudonyme. […] [D]e prime abord, il s’agit d’un truisme, il permet de pointer le souci accordé à la préservation d’une relative autonomie à l’égard des autres cadres dans lesquels les individus sont amenés à intervenir (famille, travail, etc.). La raison de l’abandon de son espace de publication peut être attribuée à la découverte que des proches non ratifiés sont lecteurs assidus en dépit de ses efforts pour que l’espace de publication reste cantonné au seul cadre des interactions entre pairs. La gestion de cette tension, c’est-à-dire la capacité à n’être lu que par un public déterminé, apparaît comme un élément explicatif du maintien d’une activité de publication sur un temps relativement long (2010: 90).</span><br />&nbsp;</p> </blockquote> <p>Le blogue est donc, véritablement, un acte social, même si sa sociabilité est limitée par les modalités propres à la blogosphère. D’où l’intérêt, selon nous, d’aborder l’écriture sur blogue par le biais de son caractère grégaire, collectif, interindividuel.<br /><br /><span style="color: rgb(105, 105, 105);"><strong>Une pratique en quête de légitimité et de reconnaissance</strong></span><br />Les rapports entre blogueurs permettent d’atteindre une forme de&nbsp; reconnaissance. L’activité du lecteur participe au processus de création et d’évaluation du blogue. En effet, un des lieux de prédilection où le lecteur peut s’exprimer, lecteur qui est fréquemment un blogueur par la même occasion, c’est dans le commentaire. Ce bref message laissé à l’intention de l’auteur et de ses lecteurs agit à titre d’appréciation, mais également de carte de visite. Rares sont les blogues qui refusent de consentir à laisser cet espace ouvert aux lecteurs puisque c’est l’endroit par excellence pour se manifester, se montrer, se faire connaître de ses pairs. La procédure est simple: l’auteur du commentaire inscrit son nom et un message qu’il adresse au blogueur. L’identification n’a pas à être complète. Le pseudonyme, quoique métonymique et dénué d’ancrages dans la réalité, suffit à la tâche d’identifiant puisqu’il est rattaché à un autre blogue. L’identifiant a fonction de lien hypertextuel. Il a certes une fonction onomastique mais, plus encore, il représente une porte d’entrée qui mène vers un autre univers d’écriture. Cet espace personnel, le blogue, est souvent recréé à partir d’une présélection d’informations. On ne se dévoile pas entièrement, on remanie, on fictionnalise. En cliquant sur l’identifiant, on atteint l’espace d’écriture d’un autre blogueur et des liens de connivence peuvent ainsi s’établir. Des ponts sont créés. On découvre d’autres blogues et ces blogues peuvent se retrouver ensuite à figurer dans la liste des auteurs que l’on suit, dans le <em>blogroll</em>. Il existerait donc une manière d’institutionnalisation sur la blogosphère qui passe par le commentaire, comme le remarque Broudoux:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p><span style="color: rgb(105, 105, 105);">Ainsi aux côtés de l’auteur porté par l’éditeur, reconnu par les institutions culturelles, un nouveau profil commence à s’imposer: celui de l’auteur incarné dont la notoriété se mesure à l’amplitude de la conversation provoquée par ses billets, mesurable par les re-blogs, les citations, les «on aime», les «trackbacks», jusqu’à ce qu’il soit répertorié par les médias traditionnels (journaux, radios, télévision) et intégré dans la chaîne de l’autorité. Cet auteur disséminateur bâtit une œuvre-flux plutôt qu’un patrimoine, à partir d’objets remaniés, remixés, recomposés (2010: 42).</span></p> </blockquote> <p>Il existe d’ailleurs certains sites consacrés à cette mission d’institutionnalisation qui répertorient les blogues les plus populaires, qui organisent des galas récompensant les blogueurs (Gala Blogu'Or, Golden Blog Award, Blogger's Choice Award, etc.), des sites qui fournissent des listes de liens vers d’autres blogues, etc. Des «célébrités» de la Toile prennent la parole et agissent comme parrains de blogueurs émergeants en offrant sur leurs sites personnels des liens vers ces blogues qui seront, inévitablement, assaillis de visiteurs dès la publication de leur nom. Des outils comme <em>Google Analytics</em> permettent aux blogueurs de prendre le pouls de leur lectorat, de savoir quels mots-clés ont été entrés dans les moteurs de recherche pour accéder à leur site, quels billets ont été lus le plus souvent, d’où viennent les visiteurs, etc. De véritables niches sont en train de se créer dans lesquelles sont désormais définies <em>de l’intérieur</em> certaines pratiques de l’écriture sur blogue, dont celle du blogue littéraire.<br /><br />Même s’il est un peu vilain de le formuler ainsi, on peut penser que la fonction du commentaire n’est pas innocente. Ce dernier ne sert pas exclusivement à témoigner de son appréciation; il sert également des intérêts plus personnels. En effet, le commentaire est une trace, une manière de manifester sa présence sur la blogosphère. En fait, à bien y regarder, on se rend compte assez rapidement que les commentaires sont presque tous de l’ordre de l’échange sympathique. Rarement lit-on un message constructif à propos des billets publiés sur les blogues. Dans l’ensemble et de façon grossière, on pourrait dire que les commentaires se résument à prononcer des banalités sur un ton appréciatif. La légèreté de ces messages laisse croire que ce n’est pas tant l’essence du message qui importe, mais davantage le fait de laisser une trace, de marquer son territoire. À l’image des colonisateurs qui plantaient des drapeaux partout où ils avaient voyagé, le commentaire sert de balise visible signalant le passage d’un internaute dans l’espace virtuel d’un de ses pairs. Les échanges sont d’ailleurs généralement polis, comme s’ils étaient régis par des lois non écrites de bienséance. Trédan affirme même que «les commentaires sont le plus souvent compatissants, fournissant conseils et soutien à l’auteur lors de moments difficiles» (2010: 88). Il est vrai que la blogosphère est composée principalement d’écrivains parallèles non reconnus dans le «vrai» monde, et que ces derniers ne jouissent d’aucun statut véritable, d’aucune position privilégiée dans le champ. Tous les blogueurs sont sur le même pied d’égalité puisqu’aucun ne possède de véritable autorité qui le favoriserait par rapport à ses pairs. La faible teneur critique des commentaires et leur relative complaisance nous mènent à considérer les relations virtuelles entre blogueurs comme des relations mondaines.<br /><br /><span style="color: rgb(105, 105, 105);"><strong>Le salon revisité</strong></span><br />Dans le cadre d’un article examinant la pratique des blogues <em>girly</em>, pendant démocratisé du magazine féminin type <em>Vogue</em>, <em>Elle</em> et <em>Cosmo</em>, Barbara Sémel compare la nouvelle sociabilité issue de cette pratique à un nouveau «salon de thé»:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p><span style="color: rgb(105, 105, 105);">[L]e blog permet de créer une véritable interaction entre la blogueuse et ses lectrices. Une sociabilité s’installe: chaque blogueuse est aussi lectrice et les discussions ont parfois lieu simultanément sur plusieurs blogs avec des systèmes de coréférence et d’autoréférence. En lisant ces blogs au fil des jours, on peut observer comment, de billets en commentaires, le blog féminin se constitue en nouvel espace de sociabilité, en nouveau salon de thé. Les thèmes abordés se propagent rapidement dans le réseau, grâce notamment à un système de liens hypertextes que l’on trouve de manière ponctuelle dans le corps des billets et de manière plus pérenne dans les <em>blogrolls</em>, ces listes de blogs recommandés qui contribuent à la célébrité de certains blogs et peuvent propulser un petit nouveau très rapidement. Une «communication virale» s’opère qui repose sur ses propres codes langagiers (néologismes, périphrases, jeux de mots, surnoms, connivences dont la compréhension suppose une lecture suivie d’un certain nombre de blogs «recommandés»). Une culture du <em>happy few</em>, qui a l’avantage de ne pas exclure les lectrices néophytes, émerge à travers des billets qui comportent plusieurs niveaux de lecture (2010: 100).</span><br />&nbsp;</p> </blockquote> <p>Bien que Sémel traite dans son texte du blogue féminin dont les thèmes de prédilection seraient le maquillage, la mode, les régimes minceur, les potins de stars, etc. —le portrait est rapidement dressé—, il nous semble que ces considérations sur la sociabilité du blogue peuvent s’appliquer sans grand déplacement au blogue «littéraire»; plutôt que de reproduire les conduites attendues dans un <em>salon de thé</em>, le blogue littéraire s’apparente beaucoup au <em>salon littéraire</em> du siècle des Lumières. Le salon littéraire était lui aussi une institution de sociabilité regroupant des gens afin de converser et de se distraire. Comme le blogueur, l’auteur de salon évolue dans un milieu régi par le consensus. Lilti explique le fonctionnement de ces rencontres:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p><span style="color: rgb(105, 105, 105);">L’auteur qui lit une pièce ou un poème dans un salon n’entend pas le soumettre à la critique, mais il en attend des compliments et des applaudissements, ainsi qu’un soutien dans les conversations mondaines. Ce serait une faute de l’en priver, car il s’agit d’abord pour les auditeurs de se conformer aux normes mondaines, qui ne sont pas celles de la critique intellectuelle, mais celles de la politesse et de la complaisance (2005: 330).</span></p> </blockquote> <p>Le blogue fonctionne à peu de choses près comme le salon littéraire de l’époque: même si personne ne se rencontre de manière réelle —sinon lors des rencontres en chair et en os organisées par des associations régionales comme le célèbre <a href="http://yulblog.org/fr/content/cest-quoi-yulblog" target="_blank">Yulblog</a>—, la blogosphère est un espace où se rassemblent des écrivains patentés qui souhaitent faire entendre leur voix, qui souhaitent s’exprimer et recevoir une rétroaction somme toute bienveillante. Pourquoi les blogueurs se critiqueraient-ils entre eux ouvertement s’ils sont tous au même niveau, si aucun d’entre eux n’a d’autorité sur les autres? Lilti va plus loin encore en précisant que le but du divertissement mondain n’est pas de susciter la controverse mais, au contraire, de favoriser l’adhésion, d’attirer les applaudissements:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p><span style="color: rgb(105, 105, 105);">La réaction des auditeurs, dans une lecture de société, est donc dictée avant tout par les règles minimales de politesse qui imposent de féliciter l’auteur et d’applaudir. Les compliments sont la contrepartie attendue du divertissement que l’auteur a offert, car les auditeurs ne sont pas en position de juges ou de critiques, mais participent à un divertissement de société, au sein duquel il convient avant tout de se plaire mutuellement et d’éviter toute tension (2005: 330).</span></p> </blockquote> <p>Ce ne sont pas des applaudissements que recueille le blogueur, mais plutôt des commentaires, qui sont pour la plupart assez convenus et agréables. Dans la blogosphère règne un climat généralement harmonieux. Le consensus est ordinairement à l’honneur. La véhémence n’est pas au nombre des normes implicites qui régissent les interactions entre blogueurs. Ce que mentionne Lilti à propos de la sociabilité mondaine s’adapte bien à l’univers des blogues:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p><span style="color: rgb(105, 105, 105);">Les contraintes qui pèsent […] sur le jugement sont moins celles d’une norme sociale du goût, que les individus auraient incorporées et qui dicterait inconsciemment leur réaction, que celles qu’impose une forme de sociabilité: les règles de politesse mondaine, et les effets de l’imitation. […] Ce sont des jugements de société, qui ne reposent pas sur un usage public et critique de la raison mais sur l’exercice d’une compétence sociale et culturelle, celle de la politesse mondaine (2005: 334).</span></p> </blockquote> <p>Comme à la cour et dans les sociétés mondaines en général, ce n’est pas tant le commentaire en lui-même qui prime, mais le commentaire en tant que marque de sociabilité, en tant que marque d’adhésion, en tant qu’appui social et symbolique à l’entreprise littéraire de ses pairs. Le commentaire est une mise en scène de cette adhésion. Il est une matérialisation de la reconnaissance. Lacroix précise que les outils convoqués pour étudier les réseaux de sociabilité, comme le commentaire, sont des objets d’analyse à traiter avec parcimonie parce qu’ils sont, eux-mêmes, l’incarnation non objective d’une sociabilité:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p><span style="color: rgb(105, 105, 105);">Les réseaux ne sont jamais accessibles qu’au travers de représentations, lesquelles sont autant de points de vue subjectifs sur les réseaux à l’étude. Les travaux sur l’épistolaire, entre autres, l’on en effet mis en évidence: il n’existe pas de source «objective», de document neutre en ce qui concerne les relations entre individus; qu’ils soient médiés par l’écrit ou l’image, ils ont été produits par un individu ou un groupe d’individus dans un contexte particulier, avec des objectifs particuliers, il y a eu médiatisation, re-présentation des relations au moyen du texte ou d’un autre support. Ainsi, si la lettre est le signe d’une relation concrète entre individus, elle est aussi sa mise en scène, sa représentation dans le cadre du genre épistolaire (2003: 484).</span></p> </blockquote> <p>Si le commentaire est, à l’image de la lettre, un signe qui représente le lien de sociabilité établi entre deux interlocuteurs, il est toutefois une mise en scène minimale des liens qui unissent les blogueurs entre eux. En effet, les commentaires sont relativement brefs, n’excédant guère plus que cinquante mots. Dans la plupart des cas, on peut même dire que les commentaires se résument à une dizaine de mots, à une impression fugitive. Cette brièveté n’est pas étrangère aux formulations langagières abrégées utilisées dans les réseaux sociaux que sont <em>Facebook</em> et <em>Twitter</em>, par exemple, ou encore à la manière du clavardage et des messages textes envoyés par les téléphones portables. On pourrait donc penser que les commentaires, si l’on pousse l’idée de leur caractère bienséant et de la pauvreté de leur contenu, ne sont que la marque d’une sociabilité et rien d’autre. Or, une telle conclusion serait rapide. Le commentaire, quoique pauvre en soi sur le plan du contenu, permet justement d’établir des points de contact entre les différents agents de la blogosphère et de construire ainsi une communauté menant, ultimement, à une légitimation de l’écriture. La reconnaissance par les pairs est essentielle dans le processus de légitimation bien que celui-ci, dans le cas des blogues, ait cours en dehors des cercles officiels. De plus, malgré la complaisance de ces échanges entre blogueurs, l’espace du commentaire est également occupé par les identités respectives des internautes. Ces derniers ne laissent pas seulement derrière eux un banal message d’appréciation: ils peuvent faire don également d’un univers littéraire par l’entremise de leurs pseudonymes qui auraient fonction d’hypertexte. L’identifiant renvoie directement à un autre espace d’écriture (un blogue), à un autre réseau de sociabilité, à un autre monde.<br /><br /><span style="color: rgb(105, 105, 105);"><strong>En guise de démonstration</strong></span><br />Un seul exemple tiré d’un de ces blogues littéraires permet de voir en quoi le parallèle avec le salon littéraire est intéressant et opératoire. Nous avons dit plus tôt, à la suite de Broudoux, que les jeunes intellectuels étaient ceux dont les blogues étaient le plus susceptibles d’être qualifiés de littéraires; l’exemple qui suit est tiré du blogue <em>Saint-Henri</em>, tenu par Clarence L’inspecteur, pseudonyme d’un candidat au doctorat en études littéraires à l’UQÀM proche du <em>Salon double</em><a name="note 3"></a><a href="#note%203a"><strong>[3]</strong></a> et dont nous ne révélerons pas la véritable identité, par respect pour son anonymat (si tant est que l’anonymat soit possible dans le milieu très restreint des études supérieures en littérature au Québec!):</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p><span style="color: rgb(105, 105, 105);">Ça fait maintenant plus d'une semaine que je n'ai rien écrit ici, ce qui me fait me questionner sur la pertinence de cet espace, dans ma vie, dans la tienne, dans la vie des autres. Je ne sais plus vraiment quoi faire avec Saint-Henri, à part le maintenir en vie. Remarque, j'ai jamais vraiment su où je m'en allais avec ça. Je sais pas non plus d'où vient mon relâchement. L'année dernière j'écrivais tous les jours. Peut-être que je suis influencé par le fait que mon blogroll (par définition les gens que je lis le plus et qui me lisent en retour) semble être sur le respirateur artificiel. L'année dernière il me semble que je jouais dans une cour d'école pleine de petits culs vraiment enthousiastes. Et là, tout le monde a gradué ou je sais pas, tout le monde s'est rendu compte qu'il y avait un McDo de l'autre côté de la rue faque tout le monde passe la récré au complet au McDo à se manger des gangbang pis y a pu personne pour&nbsp;<a href="http://sainthenri.blogspot.com/2010/04/boule-de-neige.html" target="_blank">jouer à tag</a>&nbsp;ou aux quatre coins. En même temps, c'est même pas vrai: y a encore plein de monde, faut juste les trouver. C'est moi qui est rendu trop paresseux.&nbsp;<a href="http://salondouble.contemporain.info/antichambre/une-litt-rature-qui-ne-se-poss-de-pas" target="_blank">Là-bas</a>, ils préparent une grosse conférence sur l'univers des blogues. L'année dernière, j'aurais participé avec passion, j'aurais même participé sous mon pseudonyme, avec un chapeau pis tout, pour ajouter à l'illusion pis à la magie. Mais non, la magie c'était l'année passée. L'année passé [sic], on écrivait des&nbsp;<a href="http://sainthenri.blogspot.com/2010/07/la-mort-dun-soubresaut-ix.html" target="_blank">récits communs en épisodes multiples</a>, qui tournaient autour de la mort de l'un d'entre nous. L'année passée on écrivait des&nbsp;<a href="http://toujourstropbon.blogspot.com/" target="_blank">hommages virtuels en gang à la grande littérature française</a>. Maintenant, on se rabat sur Twitter, qui nous apprend plein d'affaires, et surtout à ne plus écrire aucun mot au complet (2011: [<a href="http://sainthenri.blogspot.com/2011/06/preguica.html" target="_blank">en ligne</a>]).</span></p> </blockquote> <p>Ce billet exprime, bien qu’en négatif, l’interaction entre les blogueurs typique du champ qui est en train de se former: on trouve dans le billet toute une série de liens hypertextes pointant vers d’autres billets, d’autres sites et d’autres blogues dont l’auteur et ses lecteurs (eux aussi blogueurs) peuvent se reconnaître. On voit que des thèmes se sont diffusés au sein de son réseau de sociabilité et que des projets menés en collégialité<a name="note 4"></a><a href="#note%204a"><strong>[4]</strong></a> ont émergé de la pratique du blogue de ce réseau en particulier. L’auteur fait référence à la liste des blogues «amis», la <em>blogroll</em>, qui agit comme support à une communication virale typique de la blogosphère où le lecteur d’un site pointe vers ce site sur le sien et, en échange, l’auteur du site lui retourne la faveur, et ainsi de suite —l’explication est alambiquée mais le concept est plutôt simple. Toutes ces références sont destinées évidemment aux <em>happy few</em>, à ceux qui sont concernés par ces projets, par ces jeux littéraires ayant cours sur le blogue <em>Saint-Henri</em> et sur ceux du réseau de Clarence L’inspecteur. Cela n’empêche pas les lecteurs non-avertis, les néophytes, de cliquer sur les liens et de remonter la ligne du temps pour prendre connaissance de ces jeux dont ils ignoraient l’existence. N’empêche que ce billet illustre fort bien l’esprit de salon qui règne sur la blogosphère. De plus, les commentaires suscités par ce billet sont en général écrits sur le même ton: une nostalgie de cet «âge d’or» où le réseau était véritablement vivant.<br /><br />I<span style="color: rgb(105, 105, 105);"><strong>l n’y a pas eu de nouvelle révolution</strong></span><br />Si le blogue «emprunte» autant à la dynamique des salons (littéraires ou de thé), il y aurait lieu de penser, à la suite de Thérenty, qu’il ne s’agirait donc pas à proprement parler d’une <em>nouvelle</em> révolution, mais bien plutôt du prolongement de la révolution médiatique entamée au XIXe siècle:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p><span style="color: rgb(105, 105, 105);">Un certain nombre d’effets engendrés par l’écriture sur blog relèvent moins de la révolution numérique que de la révolution médiatique et notamment tout ce qui relève de la quotidienneté, de la périodicité et du recueil. Le support web a permis de prolonger cette poétique inventée au XIXe siècle avec la révolution médiatique (2010: 61).</span></p> </blockquote> <p>Nous ne nions pas le fait qu’il y a dans le blogue un potentiel que l’on pourrait qualifier de révolutionnaire. À cet effet, d’ailleurs, il faut lire le texte d’Amélie Paquet paru récemment dans <em>Salon double</em> et traitant lui aussi du blogue littéraire. «À chaque fois que la culture libre fait un pas en arrière, [écrit-elle,] je me dis que nous avons raté notre chance. Internet aurait pu sauver le monde, mais il ne le sauvera pas. Les blogues littéraires ne pourront rien pour le sort du monde» (2011: [<a href="http://salondouble.contemporain.info/antichambre/une-litt-rature-qui-ne-se-poss-de-pas" target="_blank">en ligne</a>]). Paquet estime que les blogueurs ont manqué leur chance, celle de changer le monde par la culture libre. Thérenty, pour sa part, souhaite de la part des commentateurs du Web un peu de retenue, de «prudence historique», lorsqu’ils examinent le phénomène des blogues:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p><span style="color: rgb(105, 105, 105);">Par ailleurs, ces observations voudraient inviter aussi les commentateurs enthousiastes du Web à un peu de prudence historique. Les conséquences de l’entrée de la civilisation dans l’ère médiatique au XIXe siècle n’ont quasiment pas été étudiées pour la littérature; il ne faudrait pas pour autant imputer au Web l’invention de phénomènes qui lui sont bien antérieurs et qu’il amplifie et renouvelle comme l’écriture du quotidien, le travail sur le fragment, le jeu sur les frontières entre référence et fiction… (2010: 61)</span></p> </blockquote> <p>Cette invitation n’est pas un pied de nez aux artisans du Web 2.0, au contraire: Thérenty souligne d’ailleurs que les blogues amplifient et renouvèlent des pratiques issues de la révolution médiatique du XIXe siècle. De la même manière, les blogues reprennent l’éthique et l’esthétique des salons tout en les adaptant à la nouvelle réalité qui leur permet d’exister. Il nous semblait toutefois important de montrer et d’exprimer clairement que la pratique de l’écriture sur blogue n’est pas surgie <em>ex nihilo</em>. C’est dans cette optique que nous rapportons les propos d’Oriane Deseilligny, qui rapproche les blogues à la pratique plus que centenaire des écritures de soi:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p><span style="color: rgb(105, 105, 105);">Certes, comme dispositif éditorial et communicationnel, le blog est bien sans précédent dans l’histoire des supports. Toutefois sur le plan discursif, il hérite de formes ancrées dans l’histoire longue de la culture écrite. […] [C]omme format spécifique de publication et comme structure de production textuelle préformatée, le blog réinvestit et automatise des formes textuelles, discursives et de communication écrite bien plus anciennes à l’écriture de soi (2010: 73-74).</span></p> </blockquote> <p><span style="color: rgb(105, 105, 105);"><strong>Une seconde oralité?</strong></span><br />Par ailleurs, le lecteur de blogue, bien qu’invisible et virtuel, possède un avantage que le lecteur courant n’a pas puisqu’il peut, comme c’est aussi le cas dans un salon littéraire, converser avec l’auteur. L’aspect communicationnel s’élabore de manière singulière dans le cas des blogues. Selon Walker, la venue du blogue est la résultante d’un retour de l’oralité dans nos sociétés. Reprenant les travaux de Walter J. Ong (1982), Walker se penche, dans <em>Blogging</em>, sur le passage de l’oralité à la littérature écrite pour mieux comprendre l’incidence culturelle du blogue. Ainsi, la transition qui s’est effectuée entre l’imprimé et les médias électroniques s’apparente à une seconde oralité. Il s’agit en quelque sorte d’un retour à une culture plus proche de celle de la Grèce antique que de l’ère post-Gutenberg. Le caractère oral du blogue lui vient de sa forme en constante modulation, de la langue qui y est déployée plus près du langage de tous les jours et de sa teneur sociale. Walker fait d’ailleurs un lien avec les travaux de Platon concernant le texte écrit qui représente, selon lui, une déresponsabilisation de l’auteur (2008: 65). Le texte écrit demeure silencieux devant les inflexions du lecteur. Il ne peut établir de communication entre l’auteur et le lecteur, ce que le blogue peut faire. Le lecteur de blogue peut adresser une question à l’auteur du billet qu’il vient de lire. L’auteur est en mesure de répondre aux interrogations de manière relativement instantanée, favorisant ainsi le dialogue entre les différents agents du discours, que ceux-ci soient en amont ou en aval du texte. Ce sont ces interactions qui font penser que le blogue est plus proche de la culture orale que de la culture de l’écrit. C’est à peu près ce qu’Isabelle Escolin-Contensou rapporte elle aussi, en citant d’autres penseurs de la communication:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p><span style="color: rgb(105, 105, 105);">Danah Boyd s’intéresse au blog en tant que processus de communication entre blogueurs tour à tour auteurs/orateurs et lecteurs/auditeurs. Elle assimile alors l’exercice du blog à celui du discours d’opinion tenu en public. Le blog emprunte ainsi des traits à la «seconde oralité»: autorité partagée, énonciation à la fois engagée, subjective et objective, et enfin agrégation et montage des éléments textuels (2010: 18).</span></p> </blockquote> <p>Cette seconde oralité redore également le blason de la blogosphère en présentant le commentaire certes comme un espace complaisant, mais plus encore comme l’incarnation matérielle de la responsabilisation de l’auteur par rapport à son discours, ce que le livre ne peut véritablement proposer et ce, même si cet auteur utilise un pseudonyme. Bien que l’on soit en présence d’une incarnation virtuelle, le blogueur se prononce de façon réelle. L’échange est public et visible. Or, contrairement aux autres manifestations issues d’une culture de l’oralité (donc non exposées aux technologies permettant de fixer sur bande des performances orales), le blogue possède une pérennité. Il allie la permanence du texte écrit à la responsabilité de l’œuvre orale. Comme le texte imprimé, le blogue offre une empreinte lisible de l’univers qu’il déploie, un univers auquel on peut aussi se référer ultérieurement. Il laisse également des traces visibles des réseaux de sociabilité qui s’élaborent entre les différents agents de ce milieu littéraire parallèle. Le blogue se situe donc à cheval sur deux traditions littéraires, l’oralité et l’écriture, jouissant ainsi de l’effet de responsabilisation de l’un et de la pérennité de l’autre.</p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> <p><strong><a name="note 1a"></a><a href="#note%201">[1]</a></strong> Nous orthographons «blogue» de cette manière puisqu’il s’agit de la francisation officielle du terme «blog» adoptée et recommandée par l’Office québécois de la langue française. Néanmoins, on retrouvera dans notre texte des occurrences de l’anglicisme «blog» puisque certains critiques, en France notamment, utilisent cette forme. La Commission générale de terminologie et de néologie a officialisé l’expression «bloc-notes» pour traiter du blogue, mais il y a là risque de confusion avec les autres acceptions du terme.</p> <p><a name="note 2a"></a><a href="#note%202"><strong>[2]</strong></a> Pourquoi alors considérer la blogosphère comme étant un bassin potentiel de littérature et non pas les autres réseaux? Nous ne prétendons pas détenir de réponse à cette question complexe, mais peut-être faudrait-il, à notre avis, explorer du côté du caractère <em>public</em> des blogues, accessibles généralement par tous (à moins d’être privé) et ainsi non réservés à un cercle «d’amis» comme peut l’être <em>Facebook</em>. Puisque, après tout, ce n’est pas la longueur qui détermine la littérarité: il existe déjà des études sur les productions littéraires sur <em>Twitter</em>, autre réseau social désormais célèbre, à l’origine d’ailleurs du néologisme <em>twitterature</em>. On pense entre autres à l’<a href="http://www.twittexte.com/ScriptorAdmin/scripto.asp?resultat=734326" target="_blank">Institut de twittérature comparée</a>, qui niche sur le web, ou encore au livre <em>Twitterature: The World’s Greatest Books in Twenty Tweets or Less</em> d’Alexandre Aciman et Emmett Rensin (2009).</p> <p><a name="note 3a"></a><a href="#note%203"><strong>[3]</strong></a> Il est d’ailleurs amusant de constater que <em>Salon double</em> flirte (peut-être) aussi avec le salon littéraire, par son nom, d’abord, puis par sa fonction, celle d’observer la littérature contemporaine et d’en discuter avec ses lecteurs et ses collaborateurs. Cette affirmation n’est toutefois guère plus qu’une opinion, puisque nous ne sommes pas en mesure de déterminer s’il existe une proximité réelle entre le projet de <em>Salon double</em> et celui du salon littéraire.</p> <p><a name="note 4a"></a><a href="#note%204"><strong>[4]</strong></a> Il y aurait là matière, d’ailleurs, à mettre ces projets élaborés en collégialité en parallèle avec tous les jeux organisés dans les salons littéraires du XVIIe siècle: concours de madrigal, hommages dissimulés à d’autres salonniers, etc. L’équivalent actuel serait sans doute les vases communicants, projet collectif entamant sa deuxième année et au sein duquel, une fois par mois, certains blogueurs permutent leurs blogues entre eux: l’un écrit sur le blogue de l’autre, et vice-versa. Les vases communicants sont répertoriés à chaque mois par de nombreux blogueurs, dont François Bon, ainsi que sur <em>Facebook</em> et <em>Twitter</em>.</p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> <p><span style="color: rgb(105, 105, 105);"><strong>Bibliographie</strong></span><br /><br />Alexandre ACIMAN et Emmett RENSIN (2009), <em>Twitterature: The World’s Greatest Books in Twenty Tweets of Less</em>, New York, Penguin.<br /><br />Laurence ALLARD (2005), «Termitières numériques: les blogs comme technologie agrégative de soi», dans <em>Multitudes</em>, no21: «Postmédia, réseaux, mises en commun», p.79-86.<br /><br />Danah BOYD (2004), «Broken Metaphors as Liminal Practices», [<a href="http://www.danah.org/papers/BrokenMetaphors.pdf" target="_blank">en ligne</a>]. [Texte cité par Isabelle Escolin-Contensou (2010)].<br /><br />Évelyne BROUDOUX (2010), «L’exercice autoritatif du blogueur et le genre éditorial du microblogging de Tumblr», dans Christèle COULEAU et Pascale HELLÉGOUARC'H [dir.], <em>Les blogs. Écritures d’un nouveau genre?</em>, Paris, L’Harmattan (Itinéraires. Littérature, textes, cultures, 2010, 2. Centre d’Étude des Nouveaux Espaces Littéraires, Université Paris 13), p.33-42.<br /><br />Étienne CANDEL (2010), «&nbsp;Penser la forme des blogs, entre générique et génétique&nbsp;», dans Christèle COULEAU et Pascale HELLÉGOUARC'H [dir.], <em>Les blogs. Écritures d’un nouveau genre?</em>, Paris, L’Harmattan (Itinéraires. Littérature, textes, cultures, 2010, 2. Centre d’Étude des Nouveaux Espaces Littéraires, Université Paris 13), p.23-31.<br /><br />CLARENCE L’INSPECTEUR (2011), «Saint-Henri: Preguiça», dans <em>Saint-Henri</em>, samedi le 25 juin 2011 [<a href="http://sainthenri.blogspot.com/2011/06/preguica.html" target="_blank">en ligne</a>]. (Page consultée le 14 juillet 2011).<br /><br />Christèle COULEAU et Pascale HELLÉGOUARC’H (2010), «Introduction», dans Christèle COULEAU et Pascale HELLÉGOUARC'H [dir.], <em>Les blogs. Écritures d’un nouveau genre?</em>, Paris, L’Harmattan (Itinéraires. Littérature, textes, cultures, 2010, 2. Centre d’Étude des Nouveaux Espaces Littéraires, Université Paris 13), p.7-12.<br /><br />Oriane DESEILLIGNY (2010), «Le blog intime au croisement des genres de l’écriture de soi», dans Christèle COULEAU et Pascale HELLÉGOUARC'H [dir.], <em>Les blogs. Écritures d’un nouveau genre?</em>, Paris, L’Harmattan (Itinéraires. Littérature, textes, cultures, 2010, 2. Centre d’Étude des Nouveaux Espaces Littéraires, Université Paris 13), p.73-82.<br /><br />Isabelle ESCOLIN-CONTENSOU (2010), «le blog, nouvel espace littéraire entre tradition et reterritorialisation», dans Christèle COULEAU et Pascale HELLÉGOUARC'H [dir.], <em>Les blogs. Écritures d’un nouveau genre?</em>, Paris, L’Harmattan (Itinéraires. Littérature, textes, cultures, 2010, 2. Centre d’Étude des Nouveaux Espaces Littéraires, Université Paris 13), p.13-22.<br /><br />Alexandre GEFEN (2010), «Ce que les réseaux font à la littérature. Réseaux sociaux, microblogging et création», dans Christèle COULEAU et Pascale HELLÉGOUARC'H [dir.], <em>Les blogs. Écritures d’un nouveau genre?</em>, Paris, L’Harmattan (Itinéraires. Littérature, textes, cultures, 2010, 2. Centre d’Étude des Nouveaux Espaces Littéraires, Université Paris 13), p.155-166.</p> <p>Institut de twittérature comparée, [<a href="http://www.twittexte.com/ScriptorAdmin/scripto.asp?resultat=734326" target="_blank">en ligne</a>]. (Page consultée le 3 août 2011).</p> <p>Michel LACROIX (2003), «Littérature, analyse de réseaux et centralité: esquisse d’une théorisation du lien social concret en littérature», dans <em>Recherches sociographiques</em>, vol.44, no3, p.475-497.<br /><br />Michel LACROIX et Guillaume PINSON (2006), «Liminaire», dans <em>Tangence</em>, no80, p.5-17.<br /><br />Antoine LILTI (2005), <em>Le monde des salons. Sociabilité et mondanité à Paris au XVIIIe siècle</em>, Paris, Fayard.<br /><br />Geert LOVINK (2007), «Blogging, the Nihilist Impulse», dans <em>Eurozine</em> [<a href="http://www.eurozine.com/articles/2007-01-02-lovink-en.html" target="_blank">en ligne</a>]. (Page consultée le 15 mai 2010).<br /><br />Office québécois de la langue française, «Blogue littéraire», dans <em>Le grand dictionnaire terminologique</em>, [<a href="http://www.granddictionnaire.com/BTML/FRA/r_Motclef/index800_1.asp" target="_blank">en ligne</a>]. (Page consultée le 14 juillet 2010).<br /><br />Walter J. ONG (1982), <em>Orality and Literacy</em>, New York, Routledge.<br /><br />Amélie PAQUET (2011), «Une littérature qui ne se possède pas. Réflexions sur le blogue littéraire», dans <em>Salon double, observatoire de la littérature contemporaine</em>, [<a href="http://salondouble.contemporain.info/antichambre/une-litt-rature-qui-ne-se-poss-de-pas" target="_blank">en ligne</a>]. (Page consultée le 14 juillet 2011).<br /><br />Barbara SÉMEL (2010), «La culture du macaron. Un nouveau genre, une nouvelle sociabilité, une nouvelle vitrine?», dans Christèle COULEAU et Pascale HELLÉGOUARC'H [dir.], <em>Les blogs. Écritures d’un nouveau genre?</em>, Paris, L’Harmattan (Itinéraires. Littérature, textes, cultures, 2010, 2. Centre d’Étude des Nouveaux Espaces Littéraires, Université Paris 13), p.95-102.<br /><br />Marie-Ève THÉRENTY (2010), «L’effet-blog en littérature. Sur L’Autofictif d’Éric Chevillard et Tumulte de François Bon», dans Christèle COULEAU et Pascale HELLÉGOUARC'H [dir.], <em>Les blogs. Écritures d’un nouveau genre?</em>, Paris, L’Harmattan (Itinéraires. Littérature, textes, cultures, 2010, 2. Centre d’Étude des Nouveaux Espaces Littéraires, Université Paris 13), p.53-63.<br /><br />Olivier TRÉDAN (2010), «Itinéraire d’un blogueur: entre quête de reconnaissance et visibilité limitée», dans Christèle COULEAU et Pascale HELLÉGOUARC'H [dir.], <em>Les blogs. Écritures d’un nouveau genre?</em>, Paris, L’Harmattan (Itinéraires. Littérature, textes, cultures, 2010, 2. Centre d’Étude des Nouveaux Espaces Littéraires, Université Paris 13), p.83-93.<br /><br />Jill WALKER RETTBERG (2008), <em>Blogging</em>, Cambridge, Polity Press (Digital Media and Society).</p> http://salondouble.contemporain.info/antichambre/les-nouveaux-salons#comments ACIMAN, Alexandre, et RENSIN, Emmett ALLARD, Laurence Blogosphère Blogue littéraire BOYD, Danah BROUDOUX, Évelyne CANDEL, Étienne CLARENCE L'INSPECTEUR COULEAU, Christèle, et HELLÉGOUARC’H, Pascale Culture numérique DESEILLIGNY, Oriane ESCOLIN-CONTENSOU, Isabelle France GEFEN, Alexandre Hypermédia Institut de twittérature comparée Institution littéraire LACROIX, Michel LACROIX, Michel, et PINSON, Guillaume Légitimation LILTI, Antoine LOVINK, Geert Office québécois de la langue française ONG, Walter J. Oralité PAQUET, Amélie Québec Réseau de sociabilité Salon littéraire SÉMEL, Barbara THÉRENTY, Marie-Ève TRÉDAN, Olivier WALKER RETTBERG, Jill Mon, 15 Aug 2011 13:42:59 +0000 Pierre-Luc Landry et Geneviève Dufour 361 at http://salondouble.contemporain.info