Salon double - Récit http://salondouble.contemporain.info/taxonomy/term/909/0 fr Emmanuel Carrère: écrivain du discours http://salondouble.contemporain.info/article/emmanuel-carrere-ecrivain-du-discours <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-label">Auteur(s):&nbsp;</div> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/snauwaert-maite">Snauwaert, Maïté</a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-biblio"> <div class="field-label">Référence bibliographique:&nbsp;</div> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/biblio/ladversaire">L&#039;Adversaire</a> </div> <div class="field-item even"> <a href="/biblio/dautres-vies-que-la-mienne">D&#039;autres vies que la mienne</a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-dossier-referent"> <div class="field-label">Dossier Reférent:&nbsp;</div> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/dossier/le-journalisme-litteraire-lecrivain-sur-le-terrain">Le journalisme littéraire: l&#039;écrivain sur le terrain</a> </div> </div> </div> <!--break--><!--break--> <p style="text-align: justify;">Dans son article de 1966 «Les relations de temps dans le verbe français», Émile Benveniste oppose le <em>discours</em> au <em>récit</em>, celui-ci caractérisé par son absence de subjectivité, celui-là au contraire par sa situation. Je veux postuler qu’émergent dans le champ littéraire français des <em>écrivains du discours</em>, parmi lesquels Emmanuel Carrère, qui ne dissimulent pas leur subjectivité derrière des formes génériques, mais proposent un mode d’engagement dans le texte qui est de tout temps. Du côté de la non-fiction ou d’un usage de la fiction au service du réel – entendu, comme chez Philippe Forest après Georges Bataille, en tant qu’irréductible de l’expérience, qui ne s’atteint peut-être que par les voies détournées de la littérature et de la représentation –, ce sont les formes de la vie humaine et ce que l’écriture peut en rendre qui intéressent ces auteurs. Leurs textes non seulement portent la trace de ce travail de terrain et d’une interrogation éthique sur le droit de dire, mais ils discutent la présence de l’auteur et son engagement dans l’écriture comme un mode d’action sur le monde.</p> <p style="text-align: justify;"><br />De sa rencontre avec le monstrueux dans <em>L’Adversaire</em> (2000) à sa confrontation du pathétique dans<em> D’autres vies que la mienne</em> (2009), l’écrivain est chez Emmanuel Carrère celui qui dit «je» dans l’espace public; celui qui prend sur lui la responsabilité de sa représentation du réel, et jusqu’à un certain point la responsabilité du réel, par un double mode d’identification et d’investigation qui agit comme une forme de solidarité à l’égard de celui-ci: en écrivant le monde, l’écrivain se propose non de le surplomber mais d’en participer. La représentation produite ne vise pas l’authentique, «cette fiction particulière qui nous fait perdre de vue le réel en nous laissant croire que, dans quelque réserve profonde, nous pouvons le puiser», comme le définit Pierre Jourde (2005: 11), mais se montre co-extensive de la réalité, participant des formes de sa connaissance voire de sa production. L’auteur ne prétend pas à la saisie d’une vérité une et unique sur le réel, ni à une saisie directe et instantanée telle que la postule Isabelle Meuret (2002) dans son rapprochement entre journalisme littéraire et cinéma-vérité, mais à une vérité singulière dont il est le seul garant, et dont il met de l’avant le dispositif, rend explicites les modalités de reportage et d’écriture, afin d’éviter l’écueil d’une prétention à l’authenticité qui ne serait qu’un <em>effet d’authentique</em> (Jourde, 2005).</p> <p style="text-align: justify;">Cet écrivain du discours, tel que je le postule, qui s’attache à mettre en évidence les modalités de composition de son texte, à y discuter son point de vue, cherche, par contraste avec celui du récit, non l’objectivité ou la neutralité d’un monde présenté comme auto-produit, mais la mise en évidence des subjectivités plurielles et parfois conflictuelles qui médiatisent notre relation au réel.<br /><br />Emmanuel Carrère a d’illustres prédécesseurs dans cette veine que constitue le fait divers ou l’affaire criminelle pour l’imagination des romanciers. Comme le rappelle Bruno Curatolo dans son article «La chronique judiciaire romancée» (2011), cet intérêt pour le réel est mis en évidence par André Gide dans ses <em>Souvenirs de la cour d’assises</em> et <em>La Séquestrée de Poitiers</em>; par Jean Giono avec ses <em>Notes sur l’Affaire Dominici</em> suivies d’un <em>Essai sur le caractère des personnages</em>, dont le titre dit bien l’entrée dans la fiction de toute représentation et de toute appropriation du réel par l’écrivain; par Marguerite Duras avec son «Sublime, forcément sublime Christine V.» pour <em>Libération</em>; et par Carrère lui-même qui, inspiré de l’affaire Romand, écrivit d’abord <em>La Classe de neige</em> sous la forme d’un récit à la troisième personne. Dans ces textes inclassables et souvent hétérogènes dans la production de leurs auteurs, dont les titres signalent l’approximation générique et le lien à la réalité («souvenirs», «notes», «essai», «récit»), celle-ci est présentée comme porteuse d’énigmes que la littérature est à même non de résoudre, mais de révéler dans leurs contradictions, et dans ce qu’elles ont à nous dire de la nature humaine. Ces cas-limites recèlent, avant l’intervention du littéraire, ce dont celui-ci est d’ordinaire à la recherche par les sentiers de la fiction: un drame humain et sa crédibilité jusque dans ses plus étonnants paradoxes. Le travail du romancier est alors d’organiser ce drame, d’en montrer les ressorts et les constituants pour offrir à la réflexion, plutôt qu’à l’imagination, tout le caractère humain qui rattache, à travers leur aspect extraordinaire et malgré celui-ci, ces figures de la monstruosité à nous êtres ordinaires, nous les rendant fascinants et terrifiants à la fois.</p> <p style="text-align: justify;">C’est parce qu’il est notre autre mais qu’il émane de la même fabrique humaine que nous que le criminel, l’infanticide, l’assassin, nous voulons le connaître, nous cherchons à le comprendre. Sa monstruosité ne nous est pas étrangère; elle constitue un degré de notre humanisation – qui en tant que processus, court toujours le risque de sombrer dans la déshumanisation –, degré extrême auquel nous espérons ne jamais parvenir. Ces auteurs montrent que cette monstruosité apparaît sur une ligne continue à notre humanité courante, plutôt qu’elle n’en serait l’envers. Lorsque<em> L’Adversaire</em> reconstitue l’histoire de Jean-Claude Romand, cet homme qui fit croire à son entourage qu’il était médecin et chercheur à l’Organisation Mondiale de la Santé pendant dix-huit ans, alors qu’il n’était rien; puis qui, sur le point d’être découvert, assassina tous les membres de sa famille: parents, femme et enfants, Carrère commence par s’identifier au père de famille en lui, à faire valoir entre eux les rapprochements: «Le matin du samedi 9 janvier 1993, pendant que Jean-Claude Romand tuait sa femme et ses enfants, j’assistais avec les miens à une réunion pédagogique à l’école de Gabriel, notre fils aîné.» (2000: 9, c’est l’<em>incipit</em>) Cette mise en parallèle qui semble banaliser les crimes insiste sur la chronique de la vie ordinaire au <em>dérapage près</em>: «[Gabriel] avait cinq ans, l’âge d’Antoine Romand. Nous sommes allés ensuite déjeuner chez mes parents et Romand chez les siens, qu’il a tués après le repas.» (2000: 9) De l’extérieur, rien ne distinguait avant le passage à l’acte un Emmanuel Carrère d’un Jean-Claude Romand, un père de famille d’un autre. En écrivant cette histoire au «je» – le sien et non celui de Romand –, Carrère fait le choix d’assumer son point de vue, de prendre sa responsabilité d’auteur vis-à-vis d’une histoire qui n’est pas la sienne. Il s’en explique dans une lettre à Romand:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p style="text-align: justify;"><br />Mon problème […] est de trouver ma place face à votre histoire. […] Ce n’est évidemment pas moi qui vais dire “je” pour votre compte, mais alors il me reste, à propos de vous, à dire “je” pour moi-même. À dire, en mon nom propre et sans me réfugier derrière un témoin plus ou moins imaginaire ou un patchwork d’informations se voulant objectives, ce qui dans votre histoire me parle et résonne dans la mienne. (2000: 203-204)</p> </blockquote> <p style="text-align: justify;"><br />L’écrivain devient la caisse de résonance d’une histoire qui, parce qu’elle est incroyable, a besoin d’un écho pour s’actualiser pleinement; non tant pour son acteur principal, dont la problématique est son rapport intérieur à la vérité, mais pour nous qui la recevons sans savoir quoi en faire. Or l’écrivain, en la médiatisant par la mise en évidence de sa propre subjectivité affectée, peut, sinon nous la rendre compréhensible, du moins l’humaniser. «<em>L’Adversaire</em> n’est pas simplement le récit de la vie de Jean-Claude Romand, écrit Émilie Brière, il s’agit avant tout du récit de l’effet qu’a eu ce fait divers dans la vie de l’auteur, et, conséquemment, de celui des démarches entreprises pour l’écriture du roman.» (2009: 166) Si Carrère ne témoigne pas dans son texte d’une empathie particulière pour Romand, il accepte néanmoins de jouer ce rôle de miroir dans lequel se réfléchit cet homme insaisissable, d’être celui qui pourrait à son tour basculer. Il montre que <em>l’adversaire</em>, c’est cet autre sombre et latent que chacun porte en soi. Pour trouver sa place face à cette histoire, il reconnaît une différence de degré mais non d’essence entre lui-même et l’autre.</p> <p style="text-align: justify;"><br />Si l’écrivain choisit ses histoires, il montre qu’elles viennent à lui dans le cours de son quotidien, dont la chronique accentue les points communs. L’<em>incipit</em> de <em>L’Adversaire</em> continuait sa description de la fin de semaine: «J’ai passé seul dans mon studio l’après-midi du samedi et le dimanche, habituellement consacrés à la vie commune, car je terminais un livre auquel je travaillais depuis un an: la biographie du romancier de science-fiction Philip K. Dick. […] J’ai fini le mardi soir et le mercredi matin lu le premier article de <em>Libération</em> consacré à l’affaire Romand.» (2000: 9) En l’occurrence, c’est la solitude comme contrepoint de la vie familiale qui est soulignée, dimension évidente mais la plus énigmatique de l’histoire de Romand, ces journées entières passées à ne rien faire, dont le vide apparaît comme l’envers stérile de la solitude de l’écriture, portant à l’imagination et portée par le projet du livre, mais dont il serait difficile certains jours de rendre compte, et qui n’a personne pour témoin. Lorsque Carrère s’engage sur le terrain de cette histoire, retraçant les lieux parcourus par Romand, lui écrivant et le rencontrant une unique fois, allant à la rencontre des témoins survivants, ce sont les similarités des vies d’hommes qu’il met de l’avant, déplaçant cette fois le foyer d’identification vers le meilleur ami: «L’idée a traversé Luc, elle devait le hanter par la suite, que dans [ce qu’il crut d’abord être un cauchemar] Jean-Claude faisait office de double et qu’il s’y faisait jour des peurs qu’il éprouvait à son propre sujet: peur de perdre les siens mais aussi de se perdre lui-même, de découvrir que derrière la façade sociale il n’était rien.» (2000: 16) Cette peur, on entend que c’est celle aussi bien de Carrère, que c’est «ce qui dans [cette] histoire me parle et résonne dans la mienne» (2000: 204, déjà cité). Anticipant sur le livre de 2009, ce sont déjà d’<em>autres</em> vies qui informent l’écriture de Carrère, telles qu’elles s’inscrivent dans la fibre ordinaire de la sienne.<br />&nbsp;</p> <p style="text-align: justify;"><em>D’autres vies que la mienne</em>, avec son titre programmatique, poursuit cette veine. Carrère y aborde une catastrophe collective, le tsunami de 2004 dans l’océan Indien, à travers le prisme singulier d’un couple de Français en vacances au Sri Lanka, avec lequel Carrère et sa compagne ont sympathisé, qui perd sa petite fille dans la vague. Or, comme s’il fallait une brèche dans le tissu de sa vie pour s’ouvrir à celle des autres, cette histoire s’inscrit sur la ligne brisée de la propre vie de Carrère: «La nuit d’avant la vague, je me rappelle qu’Hélène et moi avions parlé de nous séparer.» (2009: 7, c’est l’<em>incipit</em>) Cette prémisse va être bouleversée par le tsunami et par une autre tragédie familiale qui frappe plus près. La sœur de la compagne de l’auteur, hospitalisée pour une embolie pulmonaire juste avant leur départ, révèle une récidive de cancer qui va l’emporter en laissant seuls son mari et leurs trois enfants. Faisant suite au premier récit du tsunami, le texte devient le récit de ce cancer, de son issue, des vies croisées qu’il va toucher: celle de la jeune mère qui se prépare en toute conscience à mourir; celles du mari puis du veuf, des enfants; celle du proche collègue de la jeune femme, juge comme elle, survivant du cancer amputé d’une jambe, dont Carrère décide de raconter l’histoire personnelle et le quotidien de sa profession.</p> <p style="text-align: justify;"><br />Cette enquête à son tour, qui rend le livre étrangement hétérogène à la façon du faux départ de <em>Psycho</em> d’Alfred Hitchock (USA, 1960), devient un véritable examen des commissions de surendettement en France. Elle dévoile l’héroïsme d’un homme à présent seul – il partageait avec la défunte son courage et sa vision de la justice –, qui, revenu de la mort, retient le bras de la machine judiciaire et des compagnies financières qui écrasent les plus faibles. Cette catastrophe-là est économique, et n’a pas moins d’impact, social et individuel, que n’en a eu la vague. Elle est seulement plus ordinaire et plus dissimulée sous les replis d’une société en apparence saine parce que la majorité de sa population, relativement au reste du monde, est privilégiée. Dans ces histoires enchevêtrées, liées par leur co-occurrence dans la vie de l’auteur et par leur intensité, le fil rouge est la survie: à la mort de l’enfant, au cancer, à la diminution physique, à l’exclusion sociale. Mais c’est aussi la question du lien, de la solidarité, de la présence de chacun dans la vie des autres qui conduit ces pages. Chez Carrère, la tâche de l’écrivain est de rendre apparent ce lien et de le lier encore à d’autres vies, lui-même inscrit en tant qu’individu dans ce réseau d’imbrications mutuelles génératrices de transformations: «Ah, et puis: je préfère ce qui me rapproche des autres hommes à ce qui m’en distingue. Cela aussi est nouveau» (2009: 308). Inclus dans l’arborescence de ces affections réciproques, ou à son fondement, le couple initial a évolué de l’imminence de la séparation, «avant la vague», au désir, «cinq ans plus tard», après avoir «eu une petite fille», de «vieillir ensemble» (2009: 7). On part en vacances avec une femme dont on est peut-être sur le point de se séparer, et on se retrouve témoin d’un cataclysme, du deuil déchirant d’une jeune famille, de la passion pour la justice sociale d’un survivant du cancer, d’une plongée dans la machine judiciaire française. Ce, selon une courbe d’événements imprévisible quelques mois auparavant et qui va nous affecter durablement.<br /><br />La démarche d’Emmanuel Carrère s’apparente ainsi à celle du journalisme littéraire ou <em>literary journalism</em> de la tradition anglo-saxonne, ce «journalisme au long cours, qui prend le temps de voyager, rencontrer, raconter» tel que le décrit Isabelle Meuret, et qui, marqué par «une qualité d’écriture et un engagement de l’auteur», «permet une approche phénoménologique de la réalité dans toute son humanité», tout en constituant «une investigation minutieuse des faits rapportés», puisque «sa matière première est le réel» (2012). Dans la tradition française, les textes de Carrère relèvent du reportage, qui à la différence du fait divers caractérisé «par le gommage d’indices de l’observation et par une énonciation se voulant objective», «replace au cœur du journal le sujet, témoin des faits narrés ou, du moins, garant de leur validité» (Boucharenc et al., 2011: 14). Le romancier écrit à la fin de <em>D’autres vies que la mienne</em>: «Chaque jour depuis six mois, volontairement, j’ai passé quelques heures devant l’ordinateur à écrire sur ce qui me fait le plus peur au monde: la mort d’un enfant pour ses parents, celle d’une jeune femme pour ses enfants et son mari.» (2009: 308) C’est l’aveu de sa plus grande vulnérabilité qui est le garant de son écriture, tandis que les vies venues à sa rencontre chargent l’écrivain en lui d’une responsabilité éthique: «La vie m’a fait témoin de ces deux malheurs, coup sur coup, et chargé, c’est du moins ainsi que je l’ai compris, d’en rendre compte.» (2009: 308) Ce rôle de reporter est celui de qui, ayant vu et sachant dire, doit témoigner:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p style="text-align: justify;"><br />Le reporter, en effet, est censé avoir été présent personnellement sur place et, s’il n’a pas assisté à proprement parler à l’événement dont il rend compte, ou qu’il n’a pu prendre connaissance lui-même des rouages de la situation qu’il décrit, il doit avoir recueilli et vérifié des témoignages, de préférence de première main. Autrement dit, bien que – ou parce que – se présentant comme le garant de la validité de l’information, l’enquête n’exclut aucunement la présence, en tant que sujet, de l’enquêteur dans un discours: elle l’implique, tout au contraire, et non sans ambiguïtés. (Boucharenc et al., 2011: 14)</p> </blockquote> <p style="text-align: justify;"><br />Dans <em>L’Adversaire</em>, l’écrivain se faisait rapporteur non pour accentuer les différences qui nous séparent irrévocablement de l’assassin, mais pour faire valoir les dénominateurs communs par lesquels chacun peut s’y identifier. Il montrait que, de l’ami jusqu’à l’écrivain, comme nous sans lien d’abord avec son histoire, personne n’est indemne, puisqu’une telle histoire menace le tissu social comme la fabrique individuelle. Dans <em>D’autres vies que la mienne</em>, affrontant «ce qui [lui] fait le plus peur au monde» (2009: 308), il acceptait de confronter des peurs ancestrales, universelles, qui sont parmi les derniers tabous de l’Occident.</p> <p style="text-align: justify;"><br />L’écrivain du discours, chez Carrère, se fait l’émissaire de nos interrogations, s’approchant au plus près de l’énigme sans prétendre en savoir quelque chose, usant de sa présence sur les lieux et de son aura culturelle pour accéder à des dimensions qui nous demeureraient inconnues. Il met au jour l’histoire dans ses constituants, la désépaissit sans la réduire en décrivant la suite des faits avec précision et clarté, dans la maîtrise ordonnée d’une langue de laquelle, pour nous permettre d’en être les interlocuteurs, il ne s’efface pas. Il en expose les éléments croisés de discours: entretiens, témoignages, correspondances, dont aucun ne peut prétendre davantage à la vérité, mais qu’il se donne la tâche d’articuler et de rendre lisibles pour tous. «Est sujet celui par qui un autre est sujet», écrit Henri Meschonnic (2010: 31). C’est en assumant la responsabilité de sa présence dans le texte, des raisons personnelles pour lesquelles l’histoire le touche, de son point de vue, que l’écrivain permet au lecteur d’être à son tour sujet face à l’événement, conscience critique plutôt que spectateur passif et insensibilisé.<br /><br />«Alors que le journalisme se conçoit volontiers comme un discours référentiel, censé rendre compte des faits, des événements – qu’il est par conséquent largement perçu comme <em>tenu au réel</em> –, la littérature est plus traditionnellement considérée comme jouissant d’une plus grande marge de liberté dans ses relations avec la réalité», écrivent&nbsp; Myriam Boucharenc, David Martens et Laurence van Nuijs dans leur introduction au dossier «Croisées de la fiction. Journalisme et littérature» (2011: 9). La particularité de ce que j’ai appelé cette <em>écriture du discours</em> à la française, qui montre un sujet affecté par ce qu’il rapporte et n’est pas sans similitudes avec le journalisme littéraire américain, est qu’elle se sent <em>tenue au réel</em>. Écriture de non-fiction à la façon du <em>non-fiction novel</em> de Truman Capote avec <em>In Cold Blood</em> (1966), dont Carrère dit s’être au départ inspiré pour écrire <em>L’Adversaire</em> (Carrère 2006; Herrero Cecilia 2011), elle n’a pas la «neutralité de ton» du journalisme (Boucharenc et al., 2011: 10) (ce qui n’empêche pas la sobriété chez Carrère), bien qu’elle soit attachée à ne pas trahir la réalité des milieux, des discours, des expertises (la séquence connue des événements, l’emploi du temps avéré de Romand, les rapports des psychiatres et les impressions des journalistes durant le procès, dans <em>L’Adversaire;</em> les réalités juridiques du crédit à la consommation dans<em> D’autres vies que la mienne</em>).</p> <p style="text-align: justify;"><br />Au nom de Carrère on pourrait ajoindre ceux d’Annie Ernaux, de Philippe Forest, de Jane Sautière, qui selon des poétiques singulières, s’inscrivant comme sujets patents dans leurs textes, rapportent une expérience personnelle pour l’élargir en une réflexion sur la vie humaine, qui apparaît fondée sur des intersections, des points de jonction et des influences, parfois littéraires. Dans des textes qui fraient avec le reportage, ces écrivains du discours présentent leur subjectivité comme point d’articulation de leurs rencontres, ressaisie dans le temps second de l’écriture de ce qui donne à penser, mais n’a pas le temps d’être pensé, dans l’expérience quotidienne de la vie humaine.<br /><br /><span style="color:#696969;"><strong>Bibliographie</strong></span></p> <p style="text-align: justify;"><br />BENVENISTE, Émile (1966), «Les relations de temps dans le verbe français», <em>Problèmes de linguistique générale 1</em>, Paris, Gallimard, coll. «Tel», ch. XIX, p. 237-250.</p> <p style="text-align: justify;">BOUCHARENC, Myriam, David MARTENS &amp; Laurence VAN NUIJS (2011), «Croisées de la fiction. Journalisme et littérature» (présentation du dossier), <em>Interférences littéraires/Literaire intenferenties</em>, n°7, novembre, pp. 9-19.</p> <p style="text-align: justify;">BRIÈRE, Émilie, «Faits divers, faits littéraires. Le romancier contemporain devant les faits accomplis», <em>Études littéraires</em>, vol. 40, n°3, automne 2009, p. 157-171.</p> <p style="text-align: justify;">CARRÈRE, Emmanuel (1995), <em>La Classe de neige,</em> Paris, P.O.L.</p> <p style="text-align: justify;">CARRÈRE, Emmanuel (2000), <em>L’Adversaire</em>, Paris, P.O.L., rééd. «Folio».</p> <p style="text-align: justify;">CARRÈRE, Emmanuel (2006), «Capote, Romand et moi», <em>Télérama</em>, 11 mars. Cité dans HERRERO CECILIA, Juan (2011), «Sur la figure du double et l’énigme du mal dans <em>L’Adversaire </em>d’Emmanuel Carrère, une histoire d’imposture criminelle», <em>Çédille, revista de estudios franceses</em>,<em> Monografías 2</em>, p. 313.</p> <p style="text-align: justify;">CARRÈRE, Emmanuel (2009), <em>D’autres vies que la mienne</em>, Paris, P.O.L.</p> <p style="text-align: justify;"><br />CURATOLO, Bruno (2011), «La chronique judiciaire romancée», dans «Croisées de la fiction. Journalisme et littérature», <em>Interférences littéraires/Literaire intenferenties</em>, n°7, novembre, pp. 101-112.</p> <p style="text-align: justify;">DURAS, Marguerite (1985), «Sublime, forcément sublime Christine V.», <em>Libération</em>, 17 juillet 1985.</p> <p style="text-align: justify;">GIDE, André ([1914] 2009),<em> Souvenirs de la cour d’assises</em>, Paris, Gallimard, «Folio».</p> <p style="text-align: justify;">GIDE, André ([1930] 1977), <em>La Séquestrée de Poitiers</em>, suivi de <em>L’Affaire Redureau</em>, Paris, Gallimard, «Folio».</p> <p style="text-align: justify;">GIONO, Jean (1955), <em>Notes sur L’Affaire Dominici</em>, suivies d’un <em>Essai sur le caractère des personnages</em>, Paris, Gallimard.</p> <p style="text-align: justify;">HERRERO CECILIA, Juan (2011), «Sur la figure du double et l’énigme du mal dans L’Adversaire d’Emmanuel Carrère, une histoire d’imposture criminelle», <em>Çédille, revista de estudios franceses</em>, <em>Monografías 2</em>, pp. 307-336.</p> <p style="text-align: justify;">JOURDE, Pierre ([2001] 2005), <em>Littérature et authenticité. Le réel, le neutre, la fiction</em>, Paris, L’Esprit des Péninsules.</p> <p style="text-align: justify;">MESCHONNIC, Henri, «Le Langage comme éthique», <em>Inventer avec l’enfant en CMPP</em>, Toulouse, ERES, 2010, p. 31-40.</p> <p style="text-align: justify;">MEURET, Isabelle (2012), «Le Journalisme littéraire à l’aube du XXIe siècle: regards croisés entre mondes anglophone et francophone», <em>COnTEXTES</em>, 11 [en ligne] URL: <a href="http://contextes.revues.org/5376" title="http://contextes.revues.org/5376">http://contextes.revues.org/5376</a> (page consultée le 15 juillet 2013).</p> http://salondouble.contemporain.info/article/emmanuel-carrere-ecrivain-du-discours#comments Autorité narrative Biographie CAPOTE, Truman CARRÈRE, Emmanuel Deuil Empathie Éthique Fait divers France Récit Subjectivité Essai(s) Récit(s) Mon, 18 Nov 2013 00:49:37 +0000 Maïté Snauwaert 819 at http://salondouble.contemporain.info Voyage sur les traces des monstres. Ou le journalisme selon Palahniuk http://salondouble.contemporain.info/article/voyage-sur-les-traces-des-monstres-ou-le-journalisme-selon-palahniuk <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-label">Auteur(s):&nbsp;</div> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/paquet-amelie">Paquet, Amélie </a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-biblio"> <div class="field-label">Référence bibliographique:&nbsp;</div> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/biblio/stranger-than-fiction-true-stories">Stranger Than Fiction. True Stories.</a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-dossier-referent"> <div class="field-label">Dossier Reférent:&nbsp;</div> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/dossier/le-journalisme-litteraire-lecrivain-sur-le-terrain">Le journalisme littéraire: l&#039;écrivain sur le terrain</a> </div> </div> </div> <!--break--><!--break--> <p style="text-align: justify;">À la recherche des territoires peu explorés de la culture populaire américaine, Palahniuk s’inscrit avec un plaisir contagieux dans la lignée du <em>new journalism</em>. Son objectif n’est de toute évidence pas de renouveler le genre de manière formelle avec son <em>Stranger Than Fiction. True Stories</em>, mais plutôt de proposer de nouveaux personnages à découvrir et à rencontrer. Au besoin de réel qui sous-tend la <em>creative nonfiction</em>, l’auteur de <em>Fight Club</em> ajoute une envie de chair et de sueur. D’un sujet musclé à l’autre, il se plonge ainsi au cœur d’univers singuliers, souvent excentriques, et donne la parole à des gens qui évoluent à l’ombre de la culture dominante. Penseur dans le monde, à sa manière, Palahniuk n’est toutefois pas en quête du propret garçon de café de Sartre. Il s’intéresse surtout à ce qui est monstrueux, par son énormité ou par son caractère sordide. Peu friand des personnages délicats, Palahniuk aime particulièrement les sujets qui font violence au regard de leur observateur par leurs aspects spectaculaires.&nbsp; &nbsp;<br />&nbsp;</p> <p style="text-align: justify;"><span style="color:#696969;"><strong>La solitude de l’écrivain</strong></span></p> <p style="text-align: justify;"><br />Divisé en trois sections, soit «People Together», «Portraits» et «Personal», le recueil rassemble des collaborations de l’auteur –reportages, entretiens ou chroniques– tirées de différents magazines. En sous-titrant le livre <em>True stories</em>, Palahniuk laisse croire d’entrée de jeu que le caractère «véridique» de ses récits serait ce qui permettrait de les placer en relation les uns avec les autres. Dans sa préface, il problématise toutefois l’idée de vérité en expliquant qu’il existe une tension entre les faits et la fiction autant dans son œuvre littéraire que dans ses textes journalistiques. Avec <em>Stranger Than Fiction</em>, il révèle le travail secret en amont de ses romans. Avant d’entreprendre un projet romanesque, il raconte se livrer à des enquêtes à la manière d’un journaliste. Bien que pour <em>Fight Club</em> cette recherche sur le terrain se soit faite par hasard, il explique que cette manière d’aborder l’écriture littéraire s’est imposée pour ses autres livres. Lors de la rédaction d’<em>Invisible Monsters</em>, ses recherches l’ont amené à recourir aux services de lignes érotiques. Pour <em>Choke</em>, il a plutôt décidé de fréquenter des thérapies de groupe offertes aux personnes souffrant d’addiction sexuelle. Cette démarche n’est évidemment pas étonnante chez un écrivain qui préfère le <em>storytelling</em> à la recherche formelle, la petite histoire surprenante au grand récit rassembleur. Chez Palahniuk, tout donne à penser que le travail du journaliste est à peu de choses près le même que celui de romancier.<br /><br />Dans la préface du livre, il fait toutefois une distinction entre les deux manières d’aborder l’écriture en décrivant le travail dans une salle de rédaction: «The journalist writes surrounded by people, and always on deadline. Crowded and hurried. Exciting and fun.» (p. XVII) Frères ennemis, l’écrivain et le journaliste travaillent dans des conditions matérielles et sociales qui sont à l’opposé l’une de l’autre. Chez Palahniuk, tout porte pourtant à croire que l’écrivain envie le journaliste, allant jusqu’à jalouser les contraintes temporelles auxquelles il doit se soumettre. Selon ce portrait, l’écrivain ne connaîtrait que l’ennui et la solitude, alors que le journaliste, bien entouré, profiterait largement de l’énergie de son équipe. Les textes publiés dans <em>Stranger Than Fiction</em> furent précisément pour Palahniuk une occasion de revenir dans le monde: «Every story in this book is about being with other people. Me being with people. Or people being together» (p. XVI) Bien que la démarche journalistique soit une pratique courante chez lui, il n’y a que la <em>creative nonfiction</em> qui puisse réellement lui permettre de se sentir plus près des gens, puisque le roman requiert toujours à son avis une longue période d’isolement.<br /><br /><span style="color:#696969;"><strong>La parole de l’autre</strong></span></p> <p style="text-align: justify;"><br />D’un bout à l’autre du recueil, le bonheur que Palahniuk prend à écouter et à côtoyer ses interlocuteurs est évident, qu’ils soient des vedettes internationales, comme Marilyn Manson et Juliette Lewis, ou des inconnus, comme les lutteurs amateurs en Iowa et les participants enthousiastes du Rock Creek Lodge Testicle Festival<strong><a href="#note2">1</a>.</strong> Répondant à l’idéal journalistique, il cherche toujours, dans ses reportages et ses entrevues, à s’effacer le plus possible pour donner toute la place dans son texte à la parole de l’autre, qu’il cite abondamment.<br /><br />Dans son entretien avec Lewis, il réussit avec doigté à donner une occasion rare à l’actrice, qui fut notamment la meurtrière en cavale de <em>Natural Born Killers</em>, de se présenter sous de multiples facettes lors d’une même entrevue. Le texte débute alors que Lewis subvertit les conventions habituelles d’un entretien journalistique:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p style="text-align: justify;"><br />«One time», Juliette Lewis says, «I wanted to get to know someone better by writing down questions to him…» She says, «These questions are more telling about me than anything I could write in a diary». (p. 119)</p> </blockquote> <p style="text-align: justify;"><br />Pour mettre à l’épreuve l’affirmation de l’actrice, Palahniuk entremêle les questions que lui pose Lewis aux réponses qu’elle formule à ses interrogations à lui. Le procédé est fascinant puisqu’il manque la moitié de la conversation, c’est-à-dire les réponses et les questions de l’écrivain. Le pari qu’il tente de relever est de montrer que Lewis se dévoile en effet davantage dans les questions qu’elle lui pose que dans les réponses qu’elle lui donne.<br /><br />Palahniuk pousse encore plus loin l’expérience lors de sa rencontre avec Marilyn Manson. Après avoir décrit la maison au décor macabre de Manson et relaté ses tendres échanges avec sa conjointe de l’époque, Palahniuk s’installe devant l’infâme chanteur et le laisse conduire sa propre entrevue. Manson se tire au tarot et commente le résultat des cartes. La dernière carte tirée par le chanteur est particulièrement révélatrice du portrait que Palahniuk fait de lui:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p style="text-align: justify;">&nbsp;<br />Manson deals his ninth card: the Tower. «The Tower is a very bad card», he says. «It means destruction, but in the way that this is read, it comes across like I’m going to have to go against pretty much everyone. In a revolutionary way, and there’s going to be some sort of destruction. The fact that the end result is the sun means it probably won’t be me. It will probably be the people who try to get in my way.» (p. 157)</p> </blockquote> <p style="text-align: justify;"><br />En présentant Manson ainsi, Palahniuk construit une saisissante image de solitude autour de la <em>rockstar</em>. Le monstre, celui que Palahniuk tente de connaître par ses écrits journalistiques, est sans doute cet homme capable de tout faire seul à l’écart de la communauté. À l’évidence, l’<em>Antichrist Superstar</em> est plus près de l’écrivain que du journaliste. Tout porte d’ailleurs à croire, dans le recueil, que Palahniuk peut entrer en relation avec tous ces monstres, parce qu’il en est lui-même un, par son statut d’artiste qui lui permet de vivre une période temporaire d’isolement afin de se consacrer à sa création. Dans les portraits de ces deux vedettes, comme dans la majorité des articles, la littérature, dont il ne parle qu’à mots couverts, n’est jamais présentée comme étant au service de la société, comme le sont les informations. Elle est plutôt une zone d’exploration ouverte à la cacophonie, au désordre et au sordide.<br /><br /><span style="color:#696969;"><strong>Construction et destruction</strong></span></p> <p style="text-align: justify;"><br />Les inconnus que rencontrent Palahniuk correspondent aussi à cette manière de concevoir le monstre. Deux des articles les plus mémorables du recueil présentent des passions diamétralement opposées qui se ressemblent pourtant dans leur caractère extrême: le derby de démolition et la construction de châteaux. L’écrivain, qui n’a pas à s’astreindre au fil de l’actualité comme le journaliste, peut s’arrêter pour comprendre ces deux loisirs en marge des tendances de l’époque. Dans les deux cas, ces passions relancent l’idée de la solitude qui parcourt le recueil. Les amoureux&nbsp; de la construction de châteaux portent le rêve d’un isolement total dans la plus grande et la plus solide forteresse possible. Le pilote du derby, seul derrière les commandes de son véhicule, se livre à une entreprise de destruction.<br /><br />Dans «Demolition», Palahniuk rencontre ces amateurs de collision lors d’un événement dans l’état de Washington, où ils sont tous avides de présenter à leurs camarades leurs nouveaux bolides et d’expérimenter de nouvelles stratégies pour faire le plus de dégât possible sur la piste de course. Frank Bren, un pilote épris de son sport, lance pendant l’entrevue une phrase digne d’un célèbre roman de J. G. Ballard: «It’s not quite as good as sex, but it’s close. You just love that sound of crushing metal.» (p. 42) Comme l’expliquent les amateurs à Palahniuk, le seul et unique plaisir dans un derby de démolition est la destruction elle-même. Il est très peu important de gagner la compétition si le pilote n’est pas parvenu à détruire le plus possible les voitures de ses rivaux.<br /><br />Roger DeClements et Jerry Bjorklund, les personnages que Palahniuk rencontre dans «Confessions in Stone», ne trompent pas l’ennui par des rêves de violence comme les pilotes de derby de démolition. Ils consacrent plutôt tout leur temps et leur énergie à construire des châteaux habitables aux États-Unis où ils pourront s’y installer avec leur famille. D’un château à l’autre, ils raffinent leur technique. Ils finissent toujours par vendre le dernier château pour en construire un nouveau. Leurs châteaux attirent les curieux et, dans les villes où s’établissent, ils font parler le voisinage, comme le raconte Bjorklund à Palahniuk: «Rumor has it there’s a basement dungeon under the tower, […] and I just let people keep thinking that. […]&nbsp;I’m probably known as a crazy man in Camas, but I don’t give a damn what they think». (p. 70)&nbsp; Puisque leur passion les tient bien vivants dans un monde qui, sinon, les intéresse très peu, le regard des autres sur leur quête est sans importance aucune.<br /><br /><span style="color:#696969;"><strong>Solitude radicale</strong></span></p> <p style="text-align: justify;"><br />Bien que les hommes soient à l’honneur dans les reportages littéraires de Palahniuk, il ne manque pas de décrire avec soin comment les femmes doivent négocier leur place dans les différents milieux qu’il examine. En général, elles sont d’ailleurs les plus exclues de ces univers marginaux. Où le loisir viril est à l’honneur, la femme a très peu d’espace au cœur de ces microcosmes où l’on aimerait bien se passer d’elle. Au Rock Creek Lodge Testicle Festival, les femmes servent de faire valoir au testicule porté aux nues. Un des lutteurs amateurs rencontrés par Palahniuk lui raconte que sa femme menace ouvertement de le quitter en raison de son sport. Comme le derby de démolition qui est si intense qu’il peut presque remplacer une vie sexuelle, Palahniuk raconte, à partir de sa propre expérience, dans «Frontiers» comment les accros aux stéroïdes arrivent à vivre entre hommes en se passant totalement de sexualité. Dans «The People Can», il entre dans la vie entièrement masculine d’un sous-marin de l’armée américaine. Le monstre total, celui que Palahniuk cherche à rencontrer tout au long de son livre, est probablement cet homme complètement autosuffisant qui pourrait se libérer de toutes ses attaches. Un monstre qui ne regarde pas, comme lui, avec envie les journalistes qui travaillent dans les salles de rédaction bondées, un monstre qui se consacre à son œuvre sans éprouver le moindre regret face à la communauté qu’il a quittée.</p> <hr /> <p><a id="note2" name="note2">1</a> Le Rock Creek Lodge Testicle Festival est un spectacle pour adultes où les amateurs peuvent participer à divers concours&nbsp;: <em>wet T-Shirt</em>, fellations et relations sexuelles sur scène. &nbsp;Très critiqué, le festival attire de nombreux groupes catholiques qui, selon Palahniuk, manifestent en criant des slogans tels que «&nbsp;Demon! I can see you, demon! You are not hiding! » (p. 4).&nbsp;</p> http://salondouble.contemporain.info/article/voyage-sur-les-traces-des-monstres-ou-le-journalisme-selon-palahniuk#comments Documentaire Empathie États-Unis d'Amérique Obscénité et perversion PALAHNIUK, Chuck Récit Essai(s) Récit(s) Sun, 17 Nov 2013 21:30:59 +0000 Amélie Paquet 815 at http://salondouble.contemporain.info La Pologne... quelle Pologne? Studio de lecture #3 http://salondouble.contemporain.info/lecture/la-pologne-quelle-pologne-studio-de-lecture-3 <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/berard-cassie">Bérard, Cassie</a> </div> <div class="field-item even"> <a href="/equipe/blanchard-christian">Blanchard, Christian</a> </div> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/landry-pierre-luc">Landry, Pierre-Luc </a> </div> <div class="field-item even"> <a href="/equipe/petruzziello-treveur">Petruzziello, Treveur</a> </div> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/saint-yves-myriam">Saint-Yves, Myriam</a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-biblio"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/biblio/la-pologne-autres-recits-de-lest">La pologne &amp; autres récits de l&#039;est</a> </div> </div> </div> <!--break--><!--break--> <p style="text-align: justify;"><strong>Myriam Saint-Yves [MS]</strong>: Bien avant d’essayer de résumer <em>La pologne</em>, je sens le besoin de comprendre la <em>chose,</em> le projet, l’intention (même si certains y verront peut-être un exercice futile). Avant d’attaquer la lecture, la quatrième de couverture me semblait à la fois intriguante et rassurante:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p style="text-align: justify;"><span style="color:#696969;">Quoi de commun entre des guerres cosmicomiques et le délire d’un auteur draguant les filles dans les cafétérias? Entre le monde contemporain en prise à ses frissons médiatiques paranoïaques et les errances immorales d’une tribu en Sibérie? On l’aura compris: <em>La pologne </em>n’est ni un carnet de voyage ni un roman historique. <em>La pologne </em>dresse plutôt, dans des fictions postréalistes, la carte d’un vaste espace intérieur. Résolument à l’est (pour ne pas dire à l’ouest) et dans un ton très bédéesque, <em>La pologne</em> met en scène, de façon drôle et énigmatique, nos frousses à tous, nos angoissantes questions existentielles à nous, humains sans foi ni loi, sortis de terre dans la seconde moitié du XXe siècle.</span></p> </blockquote> <p style="text-align: justify;">Il me semble que la définition du livre par la négative aurait dû éveiller quelques soupçons: on comprend vite ce que le livre n’est pas, mais comment expliquer ce qu’il est (au-delà de l’intuitif «c’est spécial»)? Pour moi, cela demeure un mystère, autant en ce qui concerne l’écriture, la forme et le genre qu’en ce qui concerne le récit. D’ailleurs, cette appelation de «récits» qui figure en couverture me semble être un vague fourre-tout, un leurre éditorial.</p> <p style="text-align: justify;">Pour ce qui est de l’écriture de Tholomé, la piste du ton bédéesque aide (un peu) à apprivoiser le rythme saccadé du texte, même si, personnellement, j’ai compris la construction assez tard dans ma lecture. Dans la première partie, j’y ai vu une tentative de reproduire le découpage visuel propre à la bande dessinée. En effet le lecteur de <em>La pologne...</em> saisit le texte par morceaux, un peu comme on procède quand on déchiffre une page de bande-dessinée, en lisant d’abord l’encadré, puis les images, et enfin le texte dans les phylactères. Cela expliquerait du moins l’abondance des «de sorte que» et des marqueurs temporels isolés, qui, selon ma théorie, représenteraient le passage d’une case à l’autre. Dans la seconde partie, il me semble que la dynamique du texte change: on lit plutôt des monologues sans cesse interrompus. Le hic, c’est que cette écriture par hoquets m’a fait perdre le fil… J’ai bien ri, j’ai à peu près saisi chaque récit séparément… mais je n’ai rien retenu du tout! C’est comme si je n’avais pas réussi à assembler toutes les miettes que nous jette Vincent Tholomé.</p> <p style="text-align: justify;"><strong>Treveur Petruzziello [TP]</strong>: Je souhaite poursuivre la réflexion qu’a entamée Myriam sur le ton bédéesque de <em>La pologne &amp; autres récits de l’est</em>. Si cette écriture saccadée a pu incommoder certains lecteurs, elle m’a séduit. Dès l’incipit, la profusion de marques de ponctuation (le point, uniquement), de concert avec les répétitions, les redites et les interjections, m’ont donné l’impression que la narration n’était qu’un flot de paroles prononcées par les personnages. Un peu, comme le soulevait Myriam, comme s’il nous était donné à lire une succession de bulles.</p> <p style="text-align: justify;">Il importe ici, avant que je ne continue, que je résume le premier «récit», «La pologne», sur lequel je m’attarderai. Tous les matins vers neuf heures, vincent tholomé se rend dans une cafétéria de namurland où il commande deux croissants et un café. À une table, il s’assoit dans l’attente qu’une bébi, «une belle femme si tu veux» (p.9), s’installe près de lui pour qu’il puisse lui parler de dieu la pologne. Vincent tholomé lui raconte alors, et ce, malgré le peu d’intérêt dont lui fait part son interlocutrice, comment dieu la pologne s’immisce dans son quotidien, ayant comme seul but de l’importuner.</p> <p style="text-align: justify;">Je dois avouer avoir d’abord cru que dieu la pologne était une pure invention de vincent tholomé, lui permettant de philosopher sur l’existence, mais j’ai eu tôt fait de m’apercevoir que dieu la pologne était un personnage autonome. S’ajoute à celui-ci le diable de l’enfer: «Le problème est. [...] Que le diable de l’enfer et [dieu la pologne] veul[ent]. Pareillement. Faire ami-ami avec l’esprit de vincent tholomé» (p.26). Par leur présence et leur intention, il y a là quelque chose de très bédéesque. Comment ne pas s’imaginer un diable miniature converser avec un ange au-dessus de la tête de vincent tholomé? Comment ne pas songer à Milou, dans l’album <em>Tintin au Tibet</em>, qui observe des gouttes de whisky se répandre sur le flanc d’une montagne alors que, tour à tour, un diable et un ange tentent d’influencer ses agissements?</p> <p style="text-align: justify;">Il m’apparaît intéressant de soulever qu’alors que je croyais, comme je l’ai mentionné précédemment, que vincent tholomé était en contrôle de son existence et de celle de dieu la pologne, c’est l’inverse qui se produit. Dieu la pologne «est à sa planche à dessin» (p.29) et observe le protagoniste. Ici, vincent tholomé, personnage que l’on pourrait aisément associer à l’auteur (ou à «un» auteur) et, donc, à celui qui crée, est créé. C’est en quelque sorte dieu la pologne, bédéiste «suçot[ant] un bout de crayon sur sa planche à dessin» (p.29) et créateur, qui invente vincent tholomé et le manipule comme un pantin.</p> <p style="text-align: justify;">La mise en scène d’un personnage dieu-créateur, qui n’est pas le protagoniste, fait écho à une réflexion que j’ai eue dès l’incipit à la lecture de cet extrait: «Le type. Vincent tholomé. Oui. Mais tu peux l’appeler autrement si tu veux. Tu peux l’appeler raoul duquet. Ou olive dukajmo. Ou que sais-je encore. Moi je dis vincent tholomé. Je préfère l’appeler comme ça. Ça ne concerne personne comme ça. Gêne personne. Etc. Bon» (p.9). Les diverses appellations possibles de même que l’absence de majuscules au début des noms banalisent la singularité du personnage, comme si, dans cette fiction, tout se vaut, comme si tout est interchangeable. Comme si un «dieu manipulateur» peut tout remodeler à sa façon.</p> <p style="text-align: justify;"><strong>Cassie Bérard [CB]</strong>: L’interprétation qui suit. Est brève. Et un peu tordue. Elle veut mettre en parallèle. Des idées qui ont été nommées jusqu'à maintenant dans la discussion. Et qui ont surgi tout au long de ma lecture. Elle veut donner un sens aux mots. «récit». «invention». «dieu créateur».</p> <p style="text-align: justify;">La clé de ce livre éclaté se trouve. Pour moi. Dans la notion de récit. Même si la clé de ce livre ne l’ouvre qu’à demi. Pourquoi ne pas prendre ces courts textes comme des récits. Des histoires racontées. Pourquoi dieu la pologne ne peut-il pas être considéré. Comme un narrateur. Dieu la pologne parle de vincent tholomé et vincent tholomé parle de dieu la pologne.</p> <p style="text-align: justify;">J’ai l’impression que ce «dieu manipulateur» agit sur l’auteur. Comme toute création agit sur son créateur. Dieu la pologne pourrait-il être la part de création. De vincent tholomé. Vincent tholomé est amené à raconter des anecdotes. Et il se laisse influencer par ce qui l’occupe. Par ce qui l’entoure. Les faits. Les gestes. Jusqu’à user d’un langage complètement déconstruit. Jusqu’à une syntaxe et une ponctuation improbables. Dieu la pologne. Après tout. Ne «tente[-t-il pas] de revenir dans l’esprit de vincent tholomé» (p.11). Comme l’indique le titre de l’essai #1.</p> <p style="text-align: justify;">Dans ce qui tient lieu de préface. Une réflexion s’élabore: «il ne suffit que d’un seul esprit. Un seul polonais. Pour que dieu la pologne existe. Il dit qu’il en va de même avec n’importe quoi qui te vient à l’esprit. En fait. Ajoute-t-il. Je dis dieu la pologne mais ça pourrait être n’importe quoi» (p.10). Un seul polonais n’a rien à voir avec la pologne. Puisque ça aurait tout aussi bien pu être namurland. Un seul polonais c’est celui qui est porteur de la parole. Dieu la pologne c’est l’idée qui s’impose. L’idée même de conception d’un récit. C’est aussi abstrait que le fait de nommer la chose dieu la pologne. Aussi complexe que d’essayer de donner un sens à tout ça. Bon.</p> <p style="text-align: justify;"><strong>Pierre-Luc Landry [PLL]: </strong>Je dois avouer, maintenant que mes collègues ont dit quelque chose d’assez intelligent sur le texte, que j’ai été profondément ennuyé par <em>La pologne…</em>, au point de remettre toujours au lendemain mon intervention pour ce studio de lecture. Un petit livre d’à peine 93 pages ne m’aura jamais paru aussi long. Reste que certaines choses intéressantes peuvent être dites sur ce collage de trois récits. Dans le premier, le terme «essai» est employé à plusieurs reprises dans les intertitres. Il me semble qu’il y a là une piste pour quiconque tente de comprendre ce qui se passe sous ses yeux de lecteur. J’entends donc «essai» au sens de «tentative», et cela ouvre grandes les portes de l’intelligibilité. Il y a des personnages et un embryon d’intrigue, une certaine narrativité, donc, mais le récit n’advient pas et le langage est constamment déconstruit. On pense à Ionesco et à Chevillard, comme si on lisait un hybride entre <em>La cantatrice chauve</em> et <em>La nébuleuse du Crabe</em>, un hybride qui a exacerbé ce qui était prégnant chez ses parents génétiques pour créer un clone insupportable que l’on peine à lire et à comprendre. «Tentative», donc —j’y reviens—, tentative de récit, tentative de narration. Exploration formelle poussée à l’extrême. «Rien n’arrive», écrit le narrateur (p.16). S’agit-il d’une prise de position? Aurait-on affaire à une parodie de roman, à une caricature de récit?</p> <p style="text-align: justify;">Je ne parle pas d’Ionesco pour faire beau. La façon dont Cassie a formulé son intervention, un peu plus haut, montre bien l’économie du texte, qui fonctionne par à-coups, par répétitions, martellements, coïts interrompus avec la phrase syntaxique. Comme si le narrateur voulait subvertir le langage, comme s’il refusait d’en faire un usage normal pour créer, en quelque sorte, une espèce de bégaiement narratif qui teintera les trois textes colligés dans le livre. Le langage, tout comme le récit, ne sert plus à communiquer; c’est ce que j’appellerais de «l’art pour l’art» si j’étais parnassien. Mais je ne le suis pas; ce double mouvement de bafouillage —bafouillage du langage et bafouillage du récit— m’a beaucoup dérangé. Mais je ne sais pas pourquoi. J’accepte d’ordinaire assez facilement les expérimentations formelles. Laissez-moi le temps d’y réfléchir encore un peu.</p> <p style="text-align: justify;"><strong>Christian Blanchard [CBL]</strong> : D'entrée de jeu, je remercie Pierre-Luc de s'être ouvertement exprimé: même après avoir lu les différentes interventions —qui offrent d'excellentes pistes au sujet de <em>La pologne</em>— je suis encore un peu coi devant ces «récits», dont la lecture était, je l'avoue à mon tour, pénible. Bon. C'est dit. Et re-dit. Bon. Le rythme saccadé de la lecture où le nom propre devient pronom et où l'adjectif devient nom propre («Broyeur et Goitre») m'a laissé sans boussole dans ma recherche d'une clé à découvrir. Sauf pour un cocasse flash d'une version postapocalyptique du film <em>Chicken Run</em>, amusante vision que mon esprit a bien voulu me concocter, j'avoue que rien ne m'est encore clairement apparu dans le recueil de Tholomé.</p> <p style="text-align: justify;">Deux choses m'ont toutefois marqué à la lecture de <em>La pologne</em>: la quasi-absence de noms propres et la fin du recueil où le lien est effectué entre les différents protagonistes rencontrés au fil de la lecture. On peut donc avancer que le nom n'a pas une grande importance dans le texte, si l'on se fie au passage libre dans l'écriture du nom propre au nom commun. Toutefois, des indices onomastiques tels que «Broyeur et Goitre» (les seuls noms propres, il me semble, dans le recueil) m'amènent également à croire, à la suite de la réflexion de Treveur, que l'auteur désire instaurer non pas des personnages, mais des types interchangeables et utilitaires, qui s'inscrivent dans un projet d'une visée universelle (car comment songer au «grand cosmos» sans viser une pensée universelle de l'existence?). Ainsi, partant d'un récit éclaté, le recueil se termine sur un rassemblement général (à travers une certaine ironie de situation) des personnage-types, en les inscrivant dans une réalité homogène. C'est donc dire que ce n'est pas la personne qui est importante, mais le rôle qu'elle joue, qu'elle comble, dans l'orchestration du «grand cosmos», comme l'atteste cette rencontre de réflexions existentielles multiples rassemblées en une existence commune. Dieu la pologne, grand marionnettiste, aurait-il tressé tous les fils, savamment conçus, interreliés et attribués, à partir de sa table à <em>dessein</em>?</p> <p style="text-align: justify;"><strong>PLL: </strong>Oana Panaïté, dans un article sur les «Poétiques du personnage contemporain», écrit ceci: «Car si l’idée d’un être fictionnel dépourvu d’attributs personnels tels que nom, caractère, situation sociale, possessions matérielles pouvait susciter la polémique il y a un demi-siècle, elle relève aujourd’hui de l’évidence dans la théorie comme dans la pratique de la fiction» (2007: 499). <em>La pologne…</em> n’a pas le potentiel subvertif des <em>Gommes</em> de Robbe-Grillet par exemple qui, il y a presque soixante ans, a choqué le public par ses personnages désincarnés, un peu anonymes. Ici, des personnages, y en a-t-il vraiment? Il y a récit donc il y aurait des personnages, mais réduits à leur degré zéro, à un point tel qu’il ne reste que le langage —et que celui-ci n’a rien pour me retenir, avec ses hachures au final assez insupportables. J’en arrive à me demander ceci: que dire d’autre à propos de ce bouquin et qu’il serait pertinent de relever?</p> <p style="text-align: justify;"><strong>CB</strong>: Difficile en effet d’aller plus loin dans l’analyse de cette œuvre qui se déconstruit sous nos yeux. Difficile d’en extirper du sens sans tomber dans l’interprétation à outrance, où chaque hypothèse de lecture peut être démentie, car trop peu appuyée par le texte fuyant. On peut parler d’un langage réinventé, mais on ne saisit pas le projet. On peut parler de rapprochements avec le conte, des anecdotes sur l’étrangeté du monde, chapeautées par des sous-titres à la <em>Gargantua</em>: «où l’on s’insinue subrepticement dans les coulisses d’un hôpital spécialisé; où l’on se dit qu’il est heureux qu’on porte ici des gants de latex et des blouses vertes désinfectées» (p.57). On peut, en ce sens, retrouver l’exercice que proposait Hervé Bouchard dans <em>Mailloux. Histoires de novembre et de juin</em>: «Où il est dit que Jacques Mailloux reçut en songe les mots qui le font» (p.17). Dans l’une et l’autre des œuvres, ce procédé veut appuyer l’étrangeté de l’univers qui se déploiera. Dans <em>Mailloux</em>, il y a une continuité –l’histoire, bien que fragmentée en courts récits, est soutenue par le personnage de Mailloux qui revient; dans <em>La Pologne</em>, on propose des fragments distincts, un éparpillement du sens. Même si des noms reviennent, ils n’ont pas de substance, pas d’identité, ce sont des squelettes de personnages interchangeables, comme il a été mentionné par Treveur et Christian. On peut parler d’une constance de l’écriture. D’une. écriture. Hachurée. Mais. On. Peut. Aussi. Remettre. En. Question. L’effet. D’un. Tel. Procédé. Qui. Semble. Repousser. Le. Lecteur. Plutôt que de l’inviter à investir le texte. On peut parler d’une expérimentation formelle, comme le propose Pierre-Luc, et se persuader que ce que l’auteur a voulu transmettre par ce travail a une portée qui nous échappe. Et on peut aussi se dire que l’auteur s’est au moins fait plaisir. Pour ce que l’œuvre apporte, eh bien, beaucoup de questionnements et un petit brin d’angoisse littéraire.</p> <p style="text-align: justify;"><strong>PLL: </strong>Même si j’ai affirmé plus haut n’avoir plus rien à dire, je me permets une autre intervention afin de questionner mes collègues. Il ne s’agit pas d’une question rhétorique, soyez rassurés. Toutefois, Myriam et Treveur ont relevé une certaine parenté entre <em>La pologne</em>… et la bande dessinée. La quatrième de couverture va en ce sens: on y affirme que les récits sont écrits «dans un ton très bédéesque». Il y a une allusion directe à la bande dessinée dans le premier récit: «&nbsp;Ce con de dieu la pologne. Il suçote un bout de crayon sur sa planche à dessin. […] Quand dieu la pologne est à sa planche à dessin. Il ne voit pas l’esprit de vincent tholomé prendre une pause dans le présent doré» (p.29). Mais au-delà de ces deux interventions, l’une de la part de l’éditeur, l’autre de l’auteur (ou du narrateur), je n’ai relevé aucune&nbsp;«similitude» —et le mot n’est pas très approprié— entre <em>La pologne…</em> et la bande dessinée. J’aimerais alors entendre Myriam et Treveur nous entretenir un peu de cet aspect du texte, comme Cassie et moi, après en avoir discuté ensemble (vous avez accès ici aux coulisses de ce studio!), n’arrivons pas à bien voir le rapprochement.</p> <p style="text-align: justify;"><strong>MS : </strong>Je dois avouer que je me suis aussi interrogée sur ce lien entre la bande dessinée et <em>La pologne... </em>suggéré par l’éditeur, d’autant plus que, contrairement à Treveur, la présence du dieu et du diable ne m’ont pas du tout rappelé Milou déchiré entre le bien et le mal... Le rapprochement, selon moi, tient à un certain mimétisme formel, mimétisme qui, dans une certaine mesure, pourrait justifier (j’ai été tentée d’écrire <em>excuser</em>) l’éclatement du recueil (à défaut de vraiment révéler un projet littéraire). Comme je l’ai expliqué plus haut, j’ai désespéremment essayé de donner un sens à la phrase hachée de Vincent Tholomé. Elle imite, à mon avis, le rythme saccadé de la lecture picturale, et rend, par des mots (notamment par les marqueurs de relation comme «de sorte que»), les liens logiques qu’opèrent les lecteurs de bandes dessinées lorsqu’ils passent d’une case à l’autre. Dans la seconde partie du recueil, les descriptions des lieux entre parenthèses jouent un peu le rôle des encadrés que l’on retrouve parfois dans les bandes dessinées: «chez chen –22h08– comme toutes les nuits, il reste encore de nombreux clients, quelques couples, la plupart du temps des hommes seuls, ils matent les serveuses, chez chen doit sa réputation méritée à l’allure particulièrement soignée de son personnel féminin» (p.53). On pourrait aussi rapprocher le texte de Tholomé du scénario, ou même de la pièce de théâtre enrichie de didascalies. Je crois que ce qui ressort de nos observations, à Treveur et à moi, c’est l’importance qu’accorde Tholomé à l’articulation des images et des voix, articulation qui est essentielle tant en bande dessinée qu’au cinéma... Bref, parler de «ton bédéesque» n’est peut-être qu’une façon de suggérer la façon dont l’auteur met en scène le récit, privilégiant la parole à l’action, l’enchaînement des tableaux à la cohérence entre eux...</p> <p style="text-align: justify;"><strong>TP: </strong>Qu’est-ce qui contribue au «ton très bédéesque» de <em>La pologne...</em>? Et qu’entendons-nous par «ton bédéesque»? Parce que, peut-être que la divergence de nos lectures ne résulte que d’une mésinterprétation de ce terme. Donc, bédéesque? dis-je. <em>Néologisme</em>! D’accord... Ainsi, si je réfléchis un peu, j’en viens à cette analyse morphologique: bédéesque: radical: bédé (abréviation de bande dessinée) + suffixe: esque (qui signifie <em>à la façon de</em>). Donc, ayant les particularités de la bande dessinée. Comme ubuesque, par exemple, qui renvoie aux caractéristiques du Père Ubu. Et maintenant, que vient singulariser la bande dessinée? Pour ne pas verser dans des hypothèses offrant des réponses creuses et quelque peu bancales, on peut se demander à quelle autre oeuvre on a attribué ce qualificatif et pour quelles raisons.</p> <p style="text-align: justify;">Voilà que je me souviens avoir assisté, en 2007, à l’Espace Libre à Montréal, à une représentation de <em>Problème avec moi</em>, précédé par <em>Le déclic du destin</em>, de Larry Tremblay, dont on avait qualifié de bédéesque le jeu des acteurs. Dans <em>Le déclic du destin, </em>Léo, après avoir mangé un éclair au chocolat, se démembre progressivement, perdant une dent, puis toutes les autres, sa langue, son index droit, et finalement la tête qui se défait de son corps. À propos de la mise en scène du <em>Déclic</em> et de son travail de comédien, Larry Tremblay explique dans ses notes de travail qu’il souhaite «que [le texte] devienne une bulle de B.D.» (1989: 60), qu’«il est primordial que le macabre soit absent du <em>Déclic</em>», et que «le texte du corps et le corps du texte relèvent de la section “farces et attrapes”» (1989: 64). Le bédéesque n’est-ce pas cela justement: la caricature, le burlesque, l’attrape-nigaud, la dérision, l’absurde?</p> <p style="text-align: justify;">Que se passe-t-il dans le premier «récit» de <em>La pologne...</em>? «Comme à son habitude. Dieu la pologne cherche quelque chose. Une mauvaise blague. Vincent tholomé pourrait en être la victime» (p.25-26). Ainsi, successivement, vincent tholomé aura la vision troublée, la tirette du pantalon coincée, une chaussure possédée. Tout cela à cause de dieu la pologne. Alors, ce bédéesque, comment se manifeste-t-il? Par l’histoire, par les emmerdements drôlesques que dieu la pologne fait subir à vincent tholomé, et par l’écriture elle-même. Comme le disait Myriam précédemment, l’écriture saccadée renvoie certes à la disposition du texte dans des phylactères, comme le prouve ce passage&nbsp;: «On s’est retrouvés en pleine guerre cosmique. Dit vincent tholomé. Oui. C’est sûr. Dit une des deux bébis» (p.25), où l’on visualise bien, graphiquement, l’échange et le changement de locuteur. J’oserais ajouter à cela que la langue elle-même s’inscrit dans une volonté de s’apparenter à la bande dessinée. Les onomatopées —«Pan» (p.9), «Mmm» (p.10), «Pfffff» (p.10), «Ah ah» (p.12), «Bin» (p.3), «Hé» (p.15), «Waw!» (p.17), «Paf» (p.21), «Ha ha ha» (p.21), «Pouh» (p.37)— de même que les phrases déconstruites —«<em>Ce toufu bolder de derme. Ce noccard de don bieu.</em> Dit. Très haut. Très fort. Vincent tholomé» (p.20)—, qui rappellent les paroles contaminées d’une femme de ménage atteinte d’un rhume de cerveau, dans <em>Tintin au Tibet</em>, viennent réaffirmer cette influence.</p> <p style="text-align: justify;">Et si la clé de ce livre provenait, en partie, de la compréhension de cette volonté, de cette contamination esthétique?</p> <p style="text-align: justify;"><strong>PLL: </strong>Je vois et comprends mieux maintenant pourquoi certains souhaitent parler de «ton bédéesque» pour qualifier l’œuvre de Tholomé, mais je ne peux me sortir de la tête l’impression qu’on fait fausse route et qu’on déprécie ainsi la bande dessinée en tant qu’art à la fois graphique et littéraire. J’aimerais renvoyer mes collègues de studio et nos lecteurs à ce texte de Gabriel Tremblay-Gaudette —membre de l’équipe de <em>Salon double </em>d’ailleurs et que l’on salue au passage— repris par l’organisme Promo 9<sup>e</sup> art sur leur site web. Il écrit ceci:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p style="text-align: justify;"><span style="color:#696969;">Ce qui semble être désigné par l’emploi de «bédéesque» est une&nbsp;esthétique ou un comportement grossier, humoristique, décalé, fantasque,&nbsp;série de traits stylistiques qui seraient mieux décrits en employant le terme «caricatural».&nbsp; […] La pratique caricaturale peut être employée dans virtuellement toute forme d’art –les imitations de Marc&nbsp;Labrèche, les pièces de théâtre d’été, les chansons de François&nbsp;Pérusse, sont autant de formes de pratiques caricaturales. </span></p> <p style="text-align: justify;"><span style="color:#696969;">La caricature est également appliquée en bande dessinée: Gaston Lagaffe a&nbsp;des aspects caricaturaux, puisque ses traits de personnalité les plus prompts&nbsp;à générer les catastrophes sont mis de l’avant, ainsi que les réactions explosives de ses patrons. Toutefois, la caricature est loin de résumer la&nbsp;pratique de la bande dessinée. On trouve dans l’histoire centenaire du 9e art&nbsp;des artistes et des œuvres qui ont investi pratiquement tous les genres:&nbsp;science-fiction, comédie romantique, policier, fantastique, aventure, récit&nbsp;historique, journalisme et j’en passe. Certains de ces genres sont plus&nbsp;appropriés à la caricature, alors que pour d’autres, ce choix stylistique&nbsp;apparaît impensable (2011: </span><a href="http://www.promo9a.org/2011/08/03/de-lutilisation-du-terme-bedeesque/"><span style="color:#696969;">en ligne</span></a><span style="color:#696969;">).</span></p> </blockquote> <p style="text-align: justify;">Je dirais ainsi, tout comme lui d’ailleurs, que l’emploi du terme «bédéesque» est, la plupart du temps, une sorte de métonymie retorse; on utilise le signifiant pour faire référence à une partie du tout, partie qui ne suffit pas à rendre compte de la diversité stylistique et rhétorique de la bande dessinée. Je ne crois pas qu’il y ait lieu de faire tout un débat sur la question, mais je me permets, en conclusion et parce que j’aime la joute, de piquer encore un bout de phrase à Gabriel, qui n’est pas là pour réagir: «réduire le neuvième art&nbsp;à ses pratiques caricaturales perpétue un préjugé qui ressemble à ceci: “la bande dessinée, ce sont des couleurs criardes, des grosses gouttes de sueur perlant du front des personnages, des onomatopées extravagantes, des scénarios&nbsp;ridicules, etc.”» (2011: <a href="http://www.promo9a.org/2011/08/03/de-lutilisation-du-terme-bedeesque/">en ligne</a>). De la part d’un éditeur comme Le Quartanier, on se serait attendu à un peu plus de prudence dans l’utilisation d’un tel terme.</p> <p style="text-align: justify;">&nbsp;</p> <p style="text-align: justify;"><strong>Bibliographie</strong></p> <p style="margin-left: 21.25pt; text-align: justify;">Hervé BOUCHARD (2006), <em>Mailloux. Histoires de novembre et de juin, </em>Montréal, Le Quartanier.</p> <p style="margin-left: 21.25pt; text-align: justify;">Éric CHEVILLARD (1993), <em>La nébuleuse du Crabe</em>, Paris, Éditions de Minuit.</p> <p style="margin-left: 21.25pt; text-align: justify;">HERGÉ ([1960] 1991), <em>Tintin au Tibet</em>, Belgique, Casterman (Les aventures de Tintin).</p> <p style="margin-left: 21.25pt; text-align: justify;">Alfred JARRY ([1896] 2007), <em>Ubu roi</em>, Montréal, Erpi (Littérature).</p> <p style="margin-left: 21.25pt; text-align: justify;">Eugène IONESCO ([1950] 1997), <em>La cantatrice chauve</em>, Paris, Gallimard (Folio théâtre).</p> <p style="margin-left: 21.25pt; text-align: justify;">Oana PANAÏTÉ (2007), «Poétiques du personnage contemporain», dans Françoise LAVOCAT, Claude MURCIA et Régis SALADO [dir.], <em>La fabrique du personnage</em>, Paris, Honoré Champion (Colloques, Congrès et Conférences, Littérature comparée), p.499-510.</p> <p style="margin-left: 21.25pt; text-align: justify;">Alain ROBBE-GRILLET (1953), <em>Les Gommes</em>, Paris, Éditions de Minuit.</p> <p style="margin-left: 21.25pt; text-align: justify;">Larry TREMBLAY (1989), <em>Le déclic du destin</em>, Montréal, Leméac (Théâtre).</p> <p style="margin-left: 21.25pt; text-align: justify;">Gabriel TREMBLAY-GAUDETTE (2011), «De l’utilisation du terme “bédéesque”…», dans <em>Promo 9<sup>e</sup> art: la bande dessinée au Québec</em>, [<a href="http://www.promo9a.org/2011/08/03/de-lutilisation-du-terme-bedeesque/">en ligne</a>] (Texte consulté le 11 février 2013).</p> http://salondouble.contemporain.info/lecture/la-pologne-quelle-pologne-studio-de-lecture-3#comments BOUCHARD, Hervé CHEVILLARD, Éric Éclatement textuel Esthétique Esthétique bédéesque Expérimentation formelle Genre HERGÉ IONESCO, Eugène JARRY, Alfred PANAÏTÉ, Oana Personnages Poétique Québec Récit Recueil ROBBE-GRILLET, Alain THOLOMÉ, Vincent TREMBLAY, Larry TREMBLAY-GAUDETTE, Gabriel Récit(s) Mon, 11 Feb 2013 13:41:35 +0000 Pierre-Luc Landry 677 at http://salondouble.contemporain.info Et si le fils Kermeur n'existait pas? http://salondouble.contemporain.info/lecture/et-si-le-fils-kermeur-nexistait-pas <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/richir-alice">Richir, Alice</a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-biblio"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/biblio/paris-brest">Paris-Brest</a> </div> </div> </div> <!--break--><!--break--> <p>Cinquième des romans publiés par l'écrivain français Tanguy Viel,&nbsp;<em>Paris-Brest</em>&nbsp;retrace l'histoire d'une famille du Finistère, dont la grand-mère, qui a récemment fait fortune en épousant sur le tard un riche vieillard, est un soir victime d'un cambriolage. Les coupables ne sont autres que son petit-fils et un proche de ce dernier, constamment nommé le fils Kermeur. Ce petit-fils est aussi le narrateur du récit, qu'il nous conte tout en étant lui-même occupé à écrire ce qu'il appelle son «roman familial», soit une version plus «romanesque» (p.178) des mêmes événements. D'emblée, cette mise en abyme instaure un espace de jeu entre le niveau diégétique auquel la narration nous donne accès, et un récit intradiégétique que le narrateur nous dit avoir couché sur le papier:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p>[…] j'avais ouvert l'histoire sur la mort de ma grand-mère, alors qu'en vérité elle se portait comme un charme, elle buvait du porto blanc, elle voyait jusqu'à la grille du jardin. Mais dans mon livre, non, il y avait son cadavre empoussiéré et toute la famille qui se tenait faussement digne devant le caveau tandis que les fossoyeurs faisaient descendre le cercueil suspendu à une corde (p.175).</p> </blockquote> <p>Cette seconde fiction creusée au cœur même de l'univers romanesque met en évidence les grands topoï empruntés au roman policier ou au film noir dont toute l'écriture de Viel se nourrit. Féru de ce genre fictionnel, qu’il évoque notamment dans un court texte intitulé significativement&nbsp;<em>Hitchcock, par exemple</em>&nbsp;(2010), Viel en maîtrise à merveille tous les codes: chacune de ses intrigues met en scène un protagoniste acculé, par la jalousie ou par la trahison, à commettre un acte désespéré; le tout dépeint dans une esthétique proche des films de Welles ou de Minnelli. Reste à découvrir ce qui se joue entre ces schèmes narratifs et leur&nbsp;<em>ré-actualisation</em>, c'est-à-dire à déterminer comment le recours à une trame actantielle éculée permet à Viel de dépasser les impasses du modèle romanesque traditionnel pour proposer une manière différente de penser le récit. Cette lecture ambitionne de trouver une réponse à cette question en se penchant sur un personnage intrigant, tant le rôle qu’il occupe au sein de&nbsp;<em>Paris-Brest</em>&nbsp;est ambigu.</p> <p><span style="color: rgb(128, 128, 128); "><strong>Le narrateur comme réceptacle d’une parole et d’un mode d’agir</strong></span></p> <p>Si le fils Kermeur ne semble pas être à proprement parler un ami du narrateur, il dispose néanmoins d'une influence considérable sur la parole et la manière d'agir de celui-ci. Au fil du roman, le lecteur prend progressivement conscience que le discours du fils Kermeur imprègne de manière indélébile la narration, à tel point que les opinions, les valeurs et les actions de ce personnage atypique remplacent souvent les représentations du narrateur. Son ascendant sur ce dernier est tel que le vocabulaire dont il use parvient, dès les premières pages du roman, à conditionner la perception que le narrateur a du monde qui l’entoure:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p>Mais où donc avait-il été chercher une expression pareille et si cristalline en même temps, si efficace que je ne pouvais plus jamais faire comme si je ne l'avais pas entendue, la vieille dame. Et d'une certaine manière il avait gagné: pour moi aussi ma grand-mère était devenue «la vieille dame» (p. 12).</p> </blockquote> <p>Les quelques syntagmes que le narrateur emprunte au lexique du fils Kermeur transforment le regard qu’il pose sur sa grand-mère,&nbsp;<em>étrangéisant</em>&nbsp;ce visage autrefois familier pour le réduire à une figure archétypale. Il est intéressant de constater que cette contamination de point de vue opère un glissement d’un niveau fictionnel à l’autre: réduite à n’être plus que «la vieille dame», la grand-mère du narrateur se voit dépouillée de l’affectivité qui la relie à son petit-fils pour incarner parfaitement le rôle de la victime dans le «roman familial» qu’écrit ce dernier. Elle n’est plus, somme toute, que l’un des personnages d’une trame narrative maintes fois revisitée:&nbsp;&nbsp;</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p>[...] quand le fils Kermeur sort de prison pour se venger, [...] je peux expliquer comment on en est arrivé là. La vérité en somme. La fortune d'Albert. Le Languedoc-Roussillon. Le cambriolage chez la vieille dame (p.177).</p> </blockquote> <p>Bientôt, ce ne sont plus quelques mots mais des pans entiers de discours que le narrateur calque sur celui du fils Kermeur, comme lorsque, interrogé par l'inspecteur à propos du cambriolage qui a eu lieu dans l'appartement de sa grand-mère, il répète à la virgule près les propos prescrits par son comparse deux pages plus tôt (pp. 105 et 107). Privé d'une parole qui lui soit propre, le narrateur se confond dès lors de plus en plus avec ce personnage, tant ce dernier dicte jusqu'au moindre de ses agissements. Incitant le narrateur à demeurer à Brest lorsque ses parents sont contraints de s'exiler dans le Languedoc-Roussillon, le fils Kermeur réussit sans trop de difficultés à le convaincre de voler sa grand-mère, pour lui prescrire ensuite le comportement qu'il adoptera lorsqu'il se retrouvera face à la police. Tandis que l’influence du fils Kermeur sur le narrateur se fait grandissante à mesure que le roman avance, elle atteint son apogée au moment du cambriolage, confrontant le lecteur à un narrateur qui semble désormais dénué de toute volonté propre:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p>Tout ce que le fils Kermeur a voulu ce soir-là, on l'a fait. Même s'asseoir au comptoir, même commander du gin tonic, c'est lui qui l'a voulu&nbsp;(p. 132).</p> </blockquote> <p>La passivité du narrateur de&nbsp;<em>Paris-Brest</em>&nbsp;devient de la sorte le lieu d’inscription d’un discours qui ne lui appartient pas, mais dont il est le parfait réceptacle.&nbsp;&nbsp;</p> <p><span style="color: rgb(128, 128, 128); "><strong>Le fils Kermeur: alter ego agissant</strong></span></p> <p>Pourtant, on en vient à douter de l'existence du fils Kermeur, qui pourrait bien n’être qu’une identification imaginaire du narrateur de&nbsp;<em>Paris-Brest</em>, tant le comportement de ce dernier s'assimile à l'agir et au dire de ce protagoniste. Le fait que le narrateur rapporte exclusivement des paroles que le fils Kermeur et lui-même échangent seul à seul, excepté dans son «roman familial» où il lui arrive d'exposer Kermeur à d'autres personnages tandis que sa propre figure n’apparaît jamais, conforte cette hypothèse. Le fils Kermeur ne s'adresse à aucun moment aux autres personnages du récit, si ce n'est par l'entremise du narrateur. Quand le vigile d'une grande surface les surprend, enfants, en train de voler des bonbons, il n'appréhende que le narrateur; le fils Kermeur s'est volatilisé (p.84). Lorsque la mère du narrateur passe devant l'ami de son fils, elle fait semblant de ne pas le voir... ou peut-être ne le voit-elle pas? Au début du roman, le narrateur rapporte une conversation du fils Kermeur avec sa mère, mais les paroles de cette dernière ne s'adresse pas à lui:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p>[...] je continuais d'entendre&nbsp;<em>sous mon crâne</em>&nbsp;cette&nbsp;<em>improbable</em>&nbsp;conversation de lui et de ma mère, inacceptable, disait l'un, c'est un marché inacceptable, et la voix de ma mère qui venait s'y superposer: je&nbsp;<em>te</em>&nbsp;rappelle aussi que tu n'es pas majeur, que nous sommes responsables de toi devant la loi (p.17).</p> </blockquote> <p>Le pronom personnel désigne clairement le narrateur comme destinataire de la parole de sa mère, ce qui laisse supposer soit qu'elle choisit délibérément de ne pas adresser la parole à Kermeur, soit que ce personnage et son fils ne font qu'un et que ce sont ses propres propos que le narrateur rapporte ici. Le fait que la narration spécifie que cet échange verbal résonne dans la tête du narrateur, tout en soulignant son caractère invraisemblable, achève de mettre en doute son authenticité. La voix du fils Kermeur apparaît plutôt comme le produit de l’imagination du narrateur.</p> <p><em>Paris-Brest</em>&nbsp;abonde d'autres indices textuels qui visent à confondre ces deux personnages, faisant d'eux les pendants actif et passif d'une même instance narrative. Tout d'abord, le rôle prépondérant que le narrateur prête au fils Kermeur dans son «roman familial» contraste avec le rôle secondaire qu'il se contente d'assumer au sein de la diégèse: dans l'imagination du narrateur, Kermeur devient une figure forte d'opposition à la mère, sorte d'alter ego agissant du narrateur, tandis que sur le premier plan de la diégèse, il n’engage jamais une confrontation directe avec elle. Viel élabore également certaines anacoluthes qui tendent à gommer les différences entre les deux énonciateurs, du type: «[...] toutes ces pages sur moi surtout, le fils Kermeur et nous deux dans la nuit orangée qui embrumait la rade» (p.147). Enfin, il arrive au narrateur lui-même de qualifier le fils Kermeur d'«ectoplasme» (p.111), mettant ainsi en doute la corporéité de ce personnage.</p> <p><span style="color: rgb(128, 128, 128); "><strong>Rejouer les codes du genre pour mieux les déjouer</strong></span></p> <p>L'enjeu n'est toutefois pas tant d'établir l'inexistence du fils Kermeur que de montrer que cette figure narrative intervient davantage comme force motrice de l’action que comme acteur sensible du récit. Le fait que Kermeur n’existe qu’en tant que projection imaginaire du narrateur ne l’empêche pas de posséder un pouvoir tangible sur ce dernier. Au contraire, il semble justement que ce soit en vertu de son incorporéité que cette figure exerce un tel ascendant sur l’instance en charge de la narration. Plutôt que personnage jouissant d’une certaine autonomie au sein de l’histoire, le fils Kermeur apparaît comme l’incarnation d’une posture romanesque archétypale, qui emprunte apparence et attitude aux figures du roman policier et du film noir:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p>Non, je n'ai pas rêvé quand j'ai écarté le rideau blanc et que j'ai vu, oui, comme sortie du granit usé, j'ai vu cette silhouette posée là, comme une ombre inscrite à même l'horizon, le fils Kermeur devant la grille, et il attendait (pp.169-170).</p> </blockquote> <p>C’est en vertu de ce statut de parangon narratif que ce personnage exerce un effet certain sur la figure passive du narrateur. À travers lui s’exerce tout le canevas minutieusement réglé de la fable policière, qui dicte au narrateur le déroulement de sa propre intrigue romanesque:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p>[...] dès que je me suis mis à mon bureau parisien pour écrire mon roman familial, j'ai eu ce rire dans les oreilles, le rire du fils Kermeur, et c'est avec ce rire-là que me sont venues mes phrases, que me sont venus le ton du livre et la couleur du livre (pp.172-173).</p> </blockquote> <p>Plus que l'agencement du récit qui se révèle, somme toute, conforme à nos attentes de lecteur occidental, c'est l'emprise qu'exerce l’archétype romanesque –incarné par le personnage du fils Kermeur– sur le narrateur qui importe. L’intrigue policière ne sert que de&nbsp;<em>pré-texte</em>&nbsp;au roman: elle fonctionne comme un canevas qui permet à Viel d’interroger la possibilité pour le sujet de se raconter au travers d’une langue qui est toujours déjà traversée, modelée, déterminée, etc. par une multitude d’autres.&nbsp;<em>Paris-Brest</em>&nbsp;apporte une réponse novatrice à cette question, en mettant en place une posture énonciative capable de rejouer –tout en s’en maintenant à distance– les poncifs du genre policier, dans l’écart qui sépare le récit diégétique auquel se livre le narrateur et le roman dont il est lui-même l’auteur.</p> http://salondouble.contemporain.info/lecture/et-si-le-fils-kermeur-nexistait-pas#comments France Narrateur Narration Récit Roman policier Stéréotypes Théories du récit VIEL, Tanguy Roman Thu, 31 May 2012 15:29:50 +0000 Salon double 563 at http://salondouble.contemporain.info Pour une contemporanéité de l’imaginaire http://salondouble.contemporain.info/antichambre/pour-une-contemporan-it-de-l-imaginaire <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/gauvin-francis">Gauvin, Francis</a> </div> </div> </div> <!--break--><!--break--> <p align="right"><span style="color:#808080;">Le temps ne fait pas que s’écouler; il travaille.</span></p> <p align="right"><span style="color:#808080;">Georges Didi-Huberman (2002: 320)</span></p> <p>&nbsp;</p> <p><em>Qu’est-ce que le contemporain?</em> Après deux publications récentes (Agamben, 2008; Ruffel, 2010) posant cette question, sans compter les conférences et articles à ce sujet, la contemporanéité demeure un phénomène obscur. Cette indétermination se répercute jusque dans l’utilisation du terme. Par exemple, <em>Salon double</em> se veut un portrait de la littérature contemporaine en préconisant une réflexion sur des œuvres récemment publiées, et ce, à partir d’enjeux théoriques ou esthétiques qui sont également dits contemporains. Cela dit, il est difficile de distinguer où la contemporanéité commence et où elle s’achève, étant donné la relativité du contemporain. Ce qui l’est aujourd’hui est appelé à ne plus l’être demain. Une telle incertitude se remarque également lorsqu’on dit d’une personne qu’elle est contemporaine à tel ou tel phénomène, et ce, même si la concordance historique n’est pas tout à fait précise.&nbsp;Comprise ainsi, la contemporanéité devient une sorte d’espace-temps plus ou moins élastique qui permet de relever le parfum d’une époque. Dans cette mesure, il serait tentant de savoir jusqu’où cette élasticité peut tenir le coup; mais je pense que cette manière d’envisager le contemporain est inadéquate. Il n’est pas une période historique malléable.</p> <p>Le véritable problème qui relève de ces exemples est d’ordre phénoménologique, puisqu’ils font de la contemporanéité une simple extension de l’actualité. Ce qui est actuel, c’est ce qui est en acte, ce qui s’actualise à tout instant. Que tel phénomène soit contemporain d’un autre, cela signifie simplement que tous deux s’actualisent à peu près en même temps. De la même manière que la proposition <em>ce qui est contemporain aujourd’hui ne le sera plus demain</em> ne fait qu’illustrer l’actualité dans sa succession. En aucun cas ces exemples ne permettent d’atteindre quelconque phénomène de contemporanéité. Il faut donc pousser l’examen plus loin si l’on veut se rendre à l’origine de ces manifestations.</p> <p><span style="color:#808080;"><strong>Une approche du contemporain</strong></span></p> <p><em>Le Grand Robert</em> définit le contemporain comme ce qui est «en même temps que» ou «du même temps que». Bien que ces deux acceptions semblent identiques, elles sont phénoménologiquement distinctes. «En même temps» suppose que certaines choses se produisent au même moment, alors que «du même temps» suggère plutôt que ces choses se produisent à peu près durant la même période historique. L’un signifie une simultanéité temporelle, tandis que l’autre, une concordance historique. Au-delà de cette distinction (sur laquelle je ne peux insister<a href="#_ftn1" name="_ftnref" title="">[1]</a>), l’idée de <em>mêmeté</em> revient à travers ces deux acceptions, et c’est à partir de celle-ci qu’il faut réfléchir à ce qu’est la contemporanéité.</p> <p>Le «même» est un concept embêtant car il sous-entend que plusieurs entités, reconnues comme étant différentes, sont perçues identiquement. Il faut d’emblée admettre qu’il y a la présence effacée –mais non moins silencieuse– d’un observateur qui soutient cette <em>mêmeté</em>. En ce qui concerne le contemporain, il serait impossible de faire fi de l’interaction imaginaire d’un sujet qui, par l’entremise d’opérations sémiotiques, constate au mieux de ses perceptions un rapprochement historico-temporel. La validité du «en même temps que» et «du même temps que» est toujours déterminée par une présence subjective. Aussi simple et naïve que puisse être cette constatation, ses implications ne le sont pas.</p> <p>Cela implique de savoir si le sujet est témoin du contemporain, ou s’il en est lui-même sujet. Autrement dit, est-ce que la contemporanéité se résume à l’image actuelle des choses, ou participe-t-elle d’un processus de l’imaginaire, sans lequel il ne peut y avoir de temporalité? Évidemment il serait absurde de penser que le sujet est similaire à une caméra qui observe les choses telles qu’elles sont, toujours en distinguant le moment présent du passé et de l’avenir. La relation entre moments passés, présents et futurs est beaucoup plus complexe puisqu’elle fait intervenir la mémoire. Sans son support, il serait impossible de juxtaposer diverses images afin d’assumer quelconque chronologie.</p> <p>Mais encore, il faut une faculté permettant cette juxtaposition. Mon hypothèse est que la contemporanéité n’est pas un simple effet du cours des choses, mais qu’elle est un véritable travail de l’intérieur, sorte de tension temporale au sein de l’imaginaire. Pour reprendre l’expression de Bertrand Gervais, elle serait une des <em>logiques de l’imaginaire</em><a href="#_ftn2" name="_ftnref" title="">[2]</a>. Je propose en ce sens de pénétrer au cœur de l’imaginaire afin d’observer, à la source, le phénomène de contemporanéité. Cette entreprise permettra ultérieurement d’étudier ses manifestations à partir d’un regard porté sur son origine.</p> <p><span style="color:#808080;"><strong>Pour une contemporanéité de l’imaginaire</strong></span></p> <p>Afin d’illustrer l’implication de l’imaginaire dans toute manifestation de contemporanéité, il serait opportun de mettre en parallèle les notions de temps et d’histoire avec celle de récit. Que l’histoire soit un récit, cela va pratiquement de soi; mais qu’en est-il du temps? À prime abord, le temps est irreprésentable. Au mieux on peut le considérer comme une intuition qui ne se démontre qu’à partir de sa mesure. Ceci dit, toute unité de temps correspond à un <em>micro-récit</em>. Par exemple, une année correspond à une révolution de la Terre autour du soleil. En disant&nbsp;:&nbsp;«il y a un an de cela», il est sous-entendu que depuis ce jour la Terre a tourné une fois autour du soleil. Un récit est ainsi mis en parallèle. Lors de chaque mesure temporelle, deux événements sont toujours comparés l’un par rapport à l’autre, et cette comparaison suppose une activité sémiotique qui dépasse la prise de mesure. Il y a une mise en perspective entre deux événements perçus.</p> <p>Conséquemment, la perspective à l’intérieur de laquelle il y a mise en relation détermine la valeur de la mesure. Ce fait s’observe aisément dans notre rapport à l’histoire. Selon les conditions socio-historiques dans lesquelles nous évoluons, notre façon d’interpréter le cours des événements peut varier. Il n’y a pas d’Histoire universelle, puisque les balises servant à définir les périodes historiques ne sont pas unanimes. Notre perspective est toujours orientée par les points de repère employés; et c’est là que l’imaginaire intervient de la manière la plus déterminante. Les points de repère sont –et il ne peut pas en être autrement– des figures de l’imaginaire. Bien que ce à quoi ces figures référent puisse être réel (nous pouvons croire dur comme fer qu’il y a un soleil et qu’il y a une Terre), il n’en demeure pas moins que ces entités sont d’abord et avant tout des figures de notre imaginaire. Une preuve de cela, c’est l’évolution de notre conception de la Terre. Seule une figure peut passer d’une surface plane à une sphère, puisque l’imaginaire offre la souplesse nécessaire à ce que nos représentations se défigurent.</p> <p>Étant donné que ce n’est qu’à partir de figures de l’imaginaire qu’il y a perspective, il résulte que toute conception historique ou temporelle des choses corresponde en une juxtaposition de figures qui sont <em>déjà présentes</em> au sein de l’imaginaire. Des figures du passé, du présent et de l’avenir se rencontrent <em>en même temps</em> pour penser <em>une même histoire</em>. Dans cette optique, la contemporanéité n’est donc pas une simple concordance historique ou temporelle, pas plus qu’elle n’est réductible à l’actualité. Elle est l’horizon à l’intérieur duquel il y a temps et histoire. En d’autres termes, elle est leur condition de possibilité, soit la tension temporale permettant à ce que certaines choses soient considérées temporellement ou historiquement.</p> <p><span style="color:#696969;"><strong>Bibliographie</strong></span></p> <p>Giorgio AGAMBEN (2008), <em>Qu’est-ce que le contemporain?</em>, Paris, Payot &amp; Rivages.</p> <p>Georges DIDI-HUBERMAN (2002), <em>L’image survivante</em>, Paris, Minuit.</p> <p>Bertrand GERVAIS (2007), <em>Figures, lectures. Logiques de l’imaginaire tome I</em>, Montréal, Le Quartanier.</p> <p>Bertrand GERVAIS (2008), <em>La ligne brisée</em><em>: labyrinthe, oubli et violence</em><em>. Logiques de l’imaginaire tome II</em>, Montréal, Le Quartanier.</p> <p>Bertrand GERVAIS (2009), <em>L'imaginaire de la fin: temps, mots et signes. Logiques de l’imaginaire. Tome III</em>, Montréal, Le Quartanier.</p> <p>Martin HEIDEGGER ([1927] 1985), <em>Être et temps</em>, traduit de l’allemand par Emmanuel Martineau, édition numérique hors-commerce, Authentica, &nbsp;[en ligne]. <a href="http://nicolas.rialland.free.fr/heidegger/">http://nicolas.rialland.free.fr/heidegger/</a> (Texte consulté le 17 novembre 2011).</p> <p>Lionel RUFFEL [dir.] (2010), <em>Qu’est-ce que le contemporain?</em>, Nantes, Cécile Defaut.</p> <div><br clear="all" /><br /> <hr align="left" size="1" width="33%" /> <div id="ftn"> <p><a href="#_ftnref" name="_ftn1" title="">[1]</a> Ce serait laborieux d’entrer ici dans les détails au sujet de la distinction entre temporalité et histoire. À ce compte, le paragraphe §72 de l’ouvrage <em>Être et temps </em>(Heidegger, [1927] 1985) est assez explicite.</p> </div> <div id="ftn"> <p><a href="#_ftnref" name="_ftn2" title="">[2]</a> Cette formulation sert de titre à un ouvrage en trois tomes: <em>Figures, lectures. Logiques de l’imaginaire tome I</em>, Montréal, Le Quartanier, 2007; <em>La ligne brisée</em><em>: labyrinthe, oubli et violence</em><em>. Logiques de l’imaginaire tome II</em>, Montréal, Le Quartanier, 2008; <em>L'imaginaire de la fin: temps, mots et signes. Logiques de l’imaginaire. Tome III</em>, Montréal, Le Quartanier, 2009.</p> <p>&nbsp;</p> </div> </div> <p>&nbsp;</p> http://salondouble.contemporain.info/antichambre/pour-une-contemporan-it-de-l-imaginaire#comments AGAMBEN, Giorgio Contemporain DIDI-HUBERMAN, Georges GERVAIS, Bertrand HEIDEGGER, Martin Histoire Imaginaire Présentisme Récit RUFFEL, Lionel Temps Essai(s) Sun, 20 Nov 2011 23:40:31 +0000 Francis Gauvin 409 at http://salondouble.contemporain.info