Salon double - AUGER, Manon et LANDRY, Pierre-Luc http://salondouble.contemporain.info/taxonomy/term/925/0 fr L'Estonie à la première personne http://salondouble.contemporain.info/lecture/lestonie-la-premi-re-personne <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/landry-pierre-luc">Landry, Pierre-Luc </a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-biblio"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/biblio/eesti-notes-sur-lestonie-0">Eesti. Notes sur l&#039;Estonie</a> </div> </div> </div> <!--break--><!--break--> <p style="margin-left:247.8pt;">Pas encore de vue d’ensemble de la ville.</p> <p style="margin-left:247.8pt;">J’aime ces tâtonnements entre le noir et le blanc.</p> <p style="margin-left:247.8pt;">Travail d’aveugle, esclave de l’endroit où poser le pied pour ne pas glisser.</p> <p style="margin-left:247.8pt;">J’apprends le braille des trottoirs.</p> <p style="margin-left:247.8pt;">—Richard Millet, <em>Eesti. Notes sur l’Estonie</em></p> <p align="right">&nbsp;</p> <p>Du compositeur estonien Arvo Pärt, j’aime tout particulièrement le <em>Cantus in memoriam Benjamin Britten</em>. Il y a dans cette pièce une tristesse magnifique qui me transporte à tout coup, dès que les cloches sonnent en ouverture, sur les ruines modernes (et encore fonctionnelles, dit-on —je n’ai pas vérifié) de Linnahall, un vaste complexe sportif et culturel construit à Tallinn par l’architecte Raine Karp pour accueillir les compétitions de voile des Jeux olympiques de Moscou, tenus en Union soviétique pendant l’été 1980. Nous sommes arrivés là un peu par hasard, Benoit, Marie-Hélène, Liguori et moi; nous flânions en direction du marché russe de la gare ferroviaire et notre intention était de nous y rendre en passant par Kalamaja, sorte de petit village de pêcheurs qui borde la Baltique, une enclave charmante qui nous a attirés vers elle avec ses maisons colorées, ses habitations en bois et ses chats un peu partout, dans les ruelles étroites, aux fenêtres, dans les parcs, perchés sur les branches d’arbres ou sur les clôtures, etc. Enfin… Marie-Hélène dira qu’elle déteste les chats, mais elle s’est quand même extasiée avec nous devant celui, tout blanc, qui sortait d’une petite fenêtre en haut d’un immeuble de bois pour prendre l’air et contempler les passants. Un chat habitué à l’ambiance particulière de ce village tout juste au nord de la vieille ville, un chat peinard, nonchalant, qui jugeait avec toute la supériorité que lui confère sa race les quatre touristes idiots qui le prenaient en photo et qui jetaient de petits cris à chacun de ses mouvements, puisqu’ils avaient peur qu’il tombe et se casse les pattes sur le pavé quatre étages plus bas.</p> <p style="text-align: center; "><img alt="" id="" longdesc="" src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/Linnahall%201,%202009.JPG" style="width: 350px; height: 263px;" title="Crédit : Pierre-Luc Landry" /></p> <p>Nous sommes donc passés, à tout hasard, devant Linnahall, immense bloc de béton et de briques, monstre gris et brun, sorte de bunker des arts et des sports négligé, comme à l’abandon. Pas âme qui vive: portes condamnées, graffitis un peu partout, murs à moitié défoncés, arbustes ici et là perçant le béton des marches des escaliers… Un seul oiseau sur une torche électrique: une corneille grise et noir qui s’est envolée quand je me suis approché pour la prendre en photo. Je ne peux évoquer cet endroit autrement que par le sentiment d’irréalité qui s’en dégageait et qui nous a poussés à explorer davantage ses environs. Nous sommes montés sur le toit, par où il faut passer pour y entrer. Une vaste agora s’ouvre tout en haut des escaliers, dominée elle aussi par le gris et le brun, quoique ceux-ci soient atténués cette fois par le vert des mousses qui s’accrochent aux blocs de béton et l’aqua des lampadaires qui se multiplient, on dirait, à l’infini. «Administratsioon / АДМИНИСТРАЦИЯ», annonce une plaque graffitée, aqua elle aussi, posée devant une porte fermée à clé. Plus loin, on peut descendre vers le cœur du monstre, vers ce qui semble être la porte principale, elle aussi verrouillée, ornée de l’inscription «Kontserdisaal» —la salle de concert, vraisemblablement, bien qu’il soit presque impossible d’imaginer un orchestre symphonique qui se produirait sous terre, à l’intérieur d’une ruine soviétique. Il est possible toutefois de monter encore plus haut, sur le dernier étage du toit, d’où on a une vue superbe sur la vieille ville, sur Kalamaja, sur Kesklinn et ses gratte-ciel ultra modernes, ou encore, de l’autre côté, sur l’héliport qui dessert Helsinki et sur l’immensité grise de la mer Baltique. Nous nous sommes attardés à cet endroit surréaliste. Et c’est à ce moment sublime que nous avons partagé tous les quatre que me ramène le <em>Cantus in memoriam Benjamin Britten</em> de Pärt. C’est comme si j’entendais les cloches de la cathédrale orthodoxe Alexander Nevsky, au loin, sur la colline de Toompea. C’est comme si je me retrouvais là pour la première fois, en octobre alors que les arbres rougissent et que le vent du nord se lève, et que j’arpentais les ruines de Linnahall, attentif au moindre soulèvement esthétique qui pourrait m’assiéger. C’est comme si nous partagions un breuvage chaud aux Chocolats de Pierre, un troquet d’inspiration française sis dans une petite cour intérieure confidentielle près de la place de l’Hôtel de Ville de Tallinn, après avoir arpenté les rues au dénivelé incertain des vieux quartiers sous un froid mordant et magnifique.</p> <p style="text-align: center; "><img alt="" src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/Linnahall%202,%202009_0.JPG" style="width: 350px; height: 263px;" title="Crédit : Pierre-Luc Landry" /></p> <p>C’est cette Estonie mystérieuse et étonnante que je retrouve dans <em>Eesti. Notes sur l’Estonie</em> de Richard Millet. Ce petit ouvrage se lit comme on écoute l’<em>Aliinale</em> de Pärt: lentement, en respectant les blancs —qui sont d’ailleurs nombreux. Ce carnet ne suit aucun plan: c’est un ensemble de notes sur la langue, le froid, les trottoirs, une suite de réminiscences littéraires et personnelles qui entraînent le lecteur dans une Estonie déformée par les souvenirs de l’enfance libanaise de Millet. Ce que Millet offre à son lecteur, au final, ce n’est pas tant un carnet de voyage qu’un carnet écrit <em>à cause</em> d’un voyage, <em>sous l’impulsion</em> d’un voyage —et qui déborde du cadre strict du récit de voyage, bien sûr. Cette posture implique une surconscience de l’écriture, qui se dit en même temps qu’elle se fait. Il y a cela d’intéressant dans <em>Eesti</em>, entre autres choses: cette parole honnête d’un écrivain qui arpente un pays qu’il ne connaît pas, qui le décrit dans ses propres mots, en faisant appel à ses propres souvenirs, sans tomber dans le piège d’un exotisme de pacotille. Cela donne lieu à des moments hors du temps du voyage durant lesquels l’écrivain, dont les sens sont attisés par une madeleine symbolique —une conversation entendue dans un café, une scène dont il est témoin, un orage, même—, s’éloigne de l’Estonie empirique, de cette Estonie dont n’importe quel récit de voyage peut rendre compte, afin d’explorer son geste d’écriture et sa posture de voyageur. Par exemple:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p style="margin-left:70.8pt;">L’orage gronde. Les premières gouttes tombent. Nous ne pouvons rester sur notre banc, à attendre la dame au petit chien de Tchékhov, quoique les installations un peu désuètes, en béton et en fer, me transportent par instants dans un autre décor: sur la plage de Lattaquié, en Syrie, ou encore à Balbec, dans le roman de Proust —en vérité nulle part, comme je le dis à Katrina, qui se moque de moi:</p> <p style="margin-left:70.8pt;">«Tu es toujours dans ta posture hiératique!»</p> <p style="margin-left:70.8pt;">Elle a raison. Je ne parviens pas à me défaire de moi. Un écrivain a ceci d’insupportable qu’il est sans cesse sollicité par sa mémoire, laquelle vagabonde et cherche indéfiniment son langage.</p> <p style="margin-left:70.8pt;">L’esprit de sérieux comme remède à l’angoisse, ou bien écran dressé devant le monde?</p> <p style="margin-left:70.8pt;">Une des raisons de voyager, c’est d’aller défaire la dame au petit chien, le professeur Aschenbach, le narrateur proustien au bout de toutes les jetées. C’est en finir avec le hiératisme des «correspondances», et s’immoler soi-même sur la même jetée, devant l’eau boueuse, par un soir de grand vent.</p> <p style="margin-left:70.8pt;">C’est devenir ce vent (p.102).</p> </blockquote> <p style="text-align: center; "><img alt="" src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/Linnahall%203,%202009.JPG" style="width: 350px; height: 263px;" title="Crédit : Pierre-Luc Landry" /></p> <p>Millet livre à quelques reprises ce type de petits aphorismes sur le voyage. Il écrit, par exemple, que voyager, «c’est n’être personne, abandonner tout préjugé, se défaire de soi<a href="#_ftn1" name="_ftnref" title="">[1]</a>: une liberté incomparable / C’est aussi accéder à soi par altération —consentement infini à autrui» (p.95). Cette réflexion, qui prend la forme de maximes et de fulgurances de l’esprit, entraîne le lecteur bien loin du récit de voyage plus conventionnel, que la collection «Le sentiment géographique», dans lequel l’ouvrage de Millet est publié, cherche d’ailleurs à contourner. Contourner ou, plus simplement, ignorer. C’est-à-dire qu’il n’y a pas de désir explicite de lutter contre une certaine tendance ou façon de faire; c’est plutôt comme si les frontières avaient été repoussées jusqu’à leur extrême limite et que l’individu contemporain ne pouvait se targuer de découvrir et relater, «pour le bénéfice des siens», ce qui se cache derrière le voile opaque de l’exotisme.</p> <p style="text-align: center; "><img alt="" src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/Linnahall%204,%202009.JPG" style="width: 350px; height: 263px;" title="Crédit : Pierre-Luc Landry" /></p> <p>Une petite note sur les intentions de cette collection, dirigée par Christian Giudicelli, en page de garde, exprime d’ailleurs plutôt bien cette «politique éditoriale», si on peut l’appeler ainsi, qui donne la parole aux écrivains qui vagabondent:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p style="margin-left:70.8pt;">Tout n’a pas été dit, les guides touristiques n’étant pas conçus pour révéler le plus secret d’une ville ou d’un pays. Le secret, c’est ce qu’un écrivain retrace et tente d’apprivoiser hors de chez lui, dans une rue lointaine, devant un monument célèbre ou le visage d’un passant. Ainsi recompose-t-il, en vagabond attentif, un monde à la première personne. Donc jamais vu.</p> </blockquote> <p style="text-align: center; "><img alt="" src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/Linnahall%205,%202009.JPG" style="width: 350px; height: 263px;" title="Crédit : Pierre-Luc Landry" /></p> <p>Et le pari a été relevé, du moins avec l’ouvrage de Millet; c’est véritablement un monde à la première personne qui se donne à voir dans <em>Eesti</em>, que je me permets ici de citer longuement afin d’en donner un aperçu clair, un monde fait d’observations, de réflexions, de souvenirs, de lectures, et d’une bonne dose de poésie:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p style="margin-left:70.8pt;">Il fait si froid qu’on ne peut s’arrêter nulle part, ni rêver; la rêverie est prise dans la marche: une rêverie obstinée, de la pensée, plutôt, à l’état naissant, prête à bondir vers la joie ou la tristesse où elle se défait.</p> <p align="center" style="margin-left:70.8pt;">*</p> <p style="margin-left:70.8pt;">Dans ces conditions, l’Estonien demeure pour moi un fantôme, tandis que je piétine mon apparence dans la neige et sur le verglas.</p> <p align="center" style="margin-left:70.8pt;">*</p> <p style="margin-left:70.8pt;">Je suis reconnaissant au froid de me délivrer de la sueur, de retrouver cette forme de dignité qu’est le fait de ne pas transpirer immodérément.</p> <p align="center" style="margin-left:70.8pt;">*</p> <p style="margin-left:70.8pt;">Je reste seul, ce soir, dans l’appartement de Kriistina.</p> <p style="margin-left:70.8pt;">Je lis pour oublier la blancheur du dehors, qui imprègne tout, jusqu’aux voix, au texte de Balzac: <em>La Muse du département</em>, et même ma propre langue, la blancheur m’empêchant par exemple de voir se dresser la colline de Sancerre, de la même façon que la bière A. Le Coq que je viens de boire pour accompagner des fromages lapons et estoniens sur du pain noir dissipe le souvenir du goût de pierre à fusil qu’a la sancerre. Nulle synesthésie n’ayant lieu, je tente de boire du cognac lituanien. Trop douceâtre… Je m’en remets donc à la pensée balzacienne, implacable quant à l’insecte social qu’est l’homme moderne, mais qui n’hésite pas, surtout pour les femmes, et tout antithétique que cela paraisse, à risquer une entomologie de la grâce (p.68-69).</p> </blockquote> <p style="text-align: center; "><img alt="" src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/Linnahall%206,%202009.JPG" style="width: 350px; height: 263px;" title="Crédit : Pierre-Luc Landry" /></p> <p>Tout n’est pas agréable, par contre, dans ce carnet; on voit poindre là, d’ailleurs, ce qui rend Millet si antipathique dans ses essais plus polémiques. Ce qu’il dit de «l’insecte social qu’est l’homme moderne» et de sa littérature trahit la même virulence de pensée que dans <em>L’enfer du roman </em>(2010), par exemple<a href="#_ftn2" name="_ftnref" title="">[2]</a>, ou encore <em>Arguments d’un désespoir contemporain</em> (2011) —et dans bien d’autres titres encore. Je ne m’attarde tout simplement pas trop à ces passages sur la «globalisation américaine» (p.72), sur le Spectacle (p.61) ou sur la post-littérature (p.56), me disant que chaque écrivain a ses obsessions et que celles de Millet ne se veulent pas, du reste, charmantes et attachantes.</p> <p style="text-align: center; "><img alt="" src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/Linnahall%207,%202009.JPG" style="width: 350px; height: 263px;" title="Crédit : Pierre-Luc Landry" /></p> <p>Je souris notamment lorsqu’il évoque l’omniprésence de l’ail dans la cuisine estonienne; me viennent tout de suite au nez des effluves corsées, les mêmes que l’on peut respirer en entrant dans la vieille ville par Viru väljak, au pied du restaurant Olde Hansa où l’on boit et mange dans des couverts, des plats et des chopes faits à la main, au sous-sol, selon des techniques vieilles de plusieurs centaines d’années. Cette odeur d’ail qui persiste jusque sur la place de l’Hôtel de Ville, à l’architecture hanséatique imposante, où, tout juste à côté de la pharmacie du magistrat, dans un petit passage, se trouve un restaurant qui fait du bulbe sa spécialité.</p> <p style="text-align: center; "><img alt="" src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/Linnahall%208,%202009.JPG" style="width: 350px; height: 263px;" title="Crédit : Pierre-Luc Landry" /></p> <p>Il y a de ces bouquins dont on retire un immense plaisir de lecture. C'est grâce aux <em>Notes sur l’Estonie</em> de Millet que je suis retourné, par personne interposée, dans ce petit pays du bout du monde. De la même façon que je me laisse transporter là-bas par les violons et le piano quand j’écoute <em>Spiegel im Spiegel</em> de Pärt.</p> <div> <p style="text-align: center; "><img alt="" src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/Linnahall%209,%202009.JPG" style="width: 350px; height: 263px;" title="Crédit : Pierre-Luc Landry" /></p> <p style="text-align: center;">&nbsp;</p> <p style="text-align: justify;"><em><font><font size="2">Les photographies qui illustrent ce texte ont été réalisées par Pierre-Luc Landry à Tallinn, en octobre 2009.</font></font></em></p> <p style="text-align: justify;">&nbsp;</p> <hr align="left" size="1" width="33%" /> <div id="ftn"> <p><a href="#_ftnref" name="_ftn1" title="">[1]</a> On me fait remarquer, à juste titre, que cet appel à se défaire de soi est paradoxal et curieux, considérant la longue citation qui précède et dans laquelle Millet affirme qu’il ne parvient pas à se défaire de lui-même. Comme il revient constamment à ses obsessions, même en Estonie, serait-ce que le voyage, qu’il décrit ainsi, n’arrive pas à se réaliser complètement? Si le voyage est une altération, on peut supposer que cette altération ne se constate qu’en observant dans le détail ce qui se passe <em>à l’intérieur de soi</em> et non pas à l’extérieur, et qu’ainsi Millet voyage bel et bien, puisqu’il retourne en lui-même pour y constater le changement —et l’immuable, puisqu’il en reste néanmoins.</p> </div> <div id="ftn"> <p><a href="#_ftnref" name="_ftn2" title="">[2]</a> Que Manon Auger et moi avons recensé l’an dernier dans ce même salon: lire <a href="lecture/dans-le-vestibule-de-lenfer">«Dans le “vestibule de l’enfer”»</a>, publié le 4 avril 2011.</p> </div> </div> <p>&nbsp;</p> <div id="myEventWatcherDiv" style="display:none;">&nbsp;</div> <div id="myEventWatcherDiv" style="display:none;">&nbsp;</div> <div id="myEventWatcherDiv" style="display:none;">&nbsp;</div> <div id="myEventWatcherDiv" style="display:none;">&nbsp;</div> <div id="myEventWatcherDiv" style="display:none;">&nbsp;</div> <div id="myEventWatcherDiv" style="display:none;">&nbsp;</div> <div id="myEventWatcherDiv" style="display:none;">&nbsp;</div> <div id="myEventWatcherDiv" style="display:none;">&nbsp;</div> http://salondouble.contemporain.info/lecture/lestonie-la-premi-re-personne#comments Aphorismes AUGER, Manon et LANDRY, Pierre-Luc France Genre Journaux et carnets MILLET, Richard Récit de voyage Récit de voyage Vagabondage Fri, 27 Apr 2012 16:20:43 +0000 Pierre-Luc Landry 485 at http://salondouble.contemporain.info Comme un long striptease http://salondouble.contemporain.info/lecture/comme-un-long-striptease <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/landry-pierre-luc">Landry, Pierre-Luc </a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-biblio"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/biblio/premier-bilan-apr-s-lapocalypse">Premier bilan après l&#039;apocalypse</a> </div> </div> </div> <!--break--><!--break--> <p><em>Premier bilan après l’apocalypse</em>, c’est d’une certaine façon un écho de Beigbeder à son <em>Dernier inventaire avant liquidation</em>, paru dix ans plus tôt, dans lequel il commentait la liste des «50 livres du siècle» tels que choisis par 6 000 Français, lecteurs du journal <em>Le Monde</em> et clients de la FNAC. Cette fois-ci, Beigbeder se fait plaisir: il présente à son lecteur non pas une liste de romans choisis par un vote populaire, mais plutôt ses 100 livres préférés, «À LIRE SUR PAPIER AVANT QU’IL NE SOIT TROP TARD» (p.21).</p> <p><span style="color:#a9a9a9;"><strong>«L’apocalypse» numérique</strong></span></p> <p>On pourrait gloser longtemps sur la nostalgie un peu clichée qu’affecte Beigbeder dans son «Making of», sorte de préface où il oppose bêtement le livre numérique au livre papier et où il exprime un fétichisme lui aussi convenu pour le format qu’il considère à l’article de la mort<a href="#_ftn1" name="_ftnref1" title="">[1]</a>: Beigbeder y fait rimer numérique avec «bêtise» (p.26) et annonce une Apocalypse «d’amnésie et de vulgarité» (p.26). On pourrait dénoncer les raccourcis qu’il emprunte, les comparaisons bâclées qu’il sert à ses lecteurs, ainsi que le manichéisme de sa prise de position. Mais laissons ces considérations à d’autres, notamment à François Bon —qui se passe ici de présentation—, apôtre du tout numérique dont le dernier bouquin, <em>Après le livre</em>, aborde justement cette question. Messieurs Bon et Beigbeder discutent d’ailleurs du sujet dans un entretien publié sur le site Internet de <em>L’Express</em> et que l’on peut lire en suivant le lien fourni ici (Martinet, 2001: [<a href="http://www.lexpress.fr/culture/livre/frederic-beigbeder-face-a-francois-bon-le-livre-numerique-est-il-une-apocalypse_1051089.html">en ligne</a>]). On pourrait applaudir, toutefois, le pessimisme lucide —qu’on me passe l’expression légèrement oxymorique— de certains de ses arguments, comme celui concernant «le syndrome de déconcentration qui touche de plus en plus de victimes des ordinateurs, [et qui] est démultiplié lorsqu’on lit sur une tablette qui reçoit des e-mails, des vidéos, des chansons, des chats, des posts, alertes, skype, tweets, et des beeps et des blurps, sans compter les virus et les pannes qui vous interrompent en plein monologue intérieur de Molly Bloom» (p.19).</p> <p>Il y a malgré tout une certaine étroitesse d’esprit de la part de Beigbeder dans cet essai, mais elle ne se fait sentir que dans l’introduction fataliste dans laquelle il condamne à la fois le numérique et la «culture-buffet», pour reprendre un terme de Michel Biron (2010: 7), que cette nouvelle ère permet ou encourage:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p style="margin-left:2.0cm;"><span style="color:#a9a9a9;">Un roman de papier ne s’écrivait pas comme un script sur Word. On ne lisait pas sur papier comme on zappe sur un écran. On n’écrivait pas au stylo comme on tape sur un clavier. L’écriture et la lecture sur papier avaient une lenteur qui leur conférait une noblesse: en aplanissant toutes les formes d’écriture, l’écran les rend interchangeables. Le génie est ravalé au rang d’un simple blogueur. Léon Tolstoï ou Katherine Pancol sont identiques, inclus dans le même objet. L’écran est… communiste! Tout le monde y est logé à la même enseigne, lisible dans la même police: la prose de Cervantès est ravalée au même rang que Wikipédia. Toutes les révolutions ont pour but de détruire les aristocraties (p.16-17).</span></p> </blockquote> <p>Car le palmarès dressé par Beigbeder est loin d’être conservateur: en témoigne la présence du premier album du groupe Téléphone, des poèmes de Cocteau, du journal de Kurt Cobain et, en première position, du roman <em>American Psycho</em> de Bret Easton Ellis. Beigbeder a osé davantage que les 6 000 Français qui se sont prêtés à l’exercice dix ans plus tôt en présentant, oui, certains romans très souvent cités dans des palmarès du genre, mais aussi des oubliés, des marginaux, des recueils de poèmes, des journaux, des autobiographies, et même un album rock. J’aborderai donc l’essai de Beigbeder par d’autres voies que celles que la préface peut mettre de l’avant, en l’occurrence par celle de la réflexion qu’il propose, en filigrane, sur la littérature contemporaine.</p> <p><span style="color:#a9a9a9;"><strong>Une certaine littérature contemporaine</strong></span></p> <p>En effet, il est possible d’aborder ce livre par ce qu’il dit de Beigbeder et, par extension, par ce qu’il dit de la littérature, notamment d’une certaine littérature contemporaine. <em>Premier bilan après l’apocalypse</em>, au final, c’est un long striptease pendant lequel on en apprend tout autant sur Beigbeder que sur les romans qu’il a choisi de faire figurer dans ce grand palmarès. On y voit, bien sûr, qu’il a un faible pour un certain type de littérature qu’il produit lui-même, qu’il a un faible pour les drogués, les alcooliques, les paumés, les auteurs morts jeunes, les homosexuels, les dandys, les provocateurs, etc. Il s’intéresse aux personnages malheureux, désespérés, aux bourgeois en crise, peu importe de quel côté de la page ils se trouvent. Il cherche aussi à retracer les filiations symboliques qui traversent le XX<sup>e</sup> siècle; c’est la figure tutélaire de Francis Scott Fitzgerald —et non pas celle d’Ernest Hemingway comme on aurait pu s’y attendre— qui domine ce bilan.</p> <p>Beigbeder a un parti pris pour les auteurs vivants, malgré ce qui a été énoncé plus haut. Il dénonce d’ailleurs le peu d’attention qu’ils reçoivent de la part des historiens de la littérature:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p style="margin-left:2.0cm;"><span style="color:#a9a9a9;">Je dois beaucoup à mes contemporains: je ne vois pas pourquoi la plupart des historiens de la littérature punissent certains auteurs d’être toujours en vie. […] L’avantage des auteurs vivants, c’est qu’on peut les croiser, devenir leur copain ou leur ennemi, leur poser des questions sur leur méthode de travail et (éventuellement) écouter leurs réponses, s’influencer, se comparer, s’estimer, se disputer, se réconcilier, coucher avec, vomir dessus. Une bonne partie des auteurs cités dans mon hit-parade n’ont jamais été mentionnés dans aucun essai littéraire. […] [P]endant que la littérature française s’endormait sur ses lauriers depuis la mort de Proust, Céline, Sartre et Camus, un certain nombre d’auteurs étrangers l’ont réveillée, et une bande d’écrivains français est née de ce bazar planétaire nommé mondialisation. Cette génération […] est en train de s’imposer petit à petit, à l’usure, un peu partout dans le monde […]. Pour la première fois, les voici tous (français et étrangers) inventoriés par un petit confrère qui a contribué, quelquefois, par son agitation désordonnée, à en révéler certains (p.22-23).</span></p> </blockquote> <p>À travers la présentation de ses 100 livres préférés, Beigbeder réfléchit inévitablement à l’époque contemporaine et aux défis auxquels la littérature doit faire face. Par exemple, à propos de Viktor Pelevine, il pose la question suivante: «comment raconter des histoires à des gens qui en ont marre qu’on leur raconte des histoires?» (p.36) La question est juste, et il propose une piste de solution à partir de la démarche d’écriture et des romans de l’écrivain russe. Selon Beigbeder, Pelevine a trouvé la façon d’éviter cet écueil du contemporain en décrivant «un monde où tout s’équivaut»:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p style="margin-left:2.0cm;"><span style="color:#a9a9a9;">Quand on a vécu la chute du communisme, puis l’explosion de Tchernobyl et de l’oligarchie, on n’a plus confiance en rien. […] Pelevine pond une littérature onirique et transsexuelle, où les contrôles d’identité sont permanents, entrelardés de délires mêlant <em>Matrix</em> et Tolstoï. Ses personnages passent leur temps à contrôler leurs papiers d’identité comme pour se rassurer de leur propre existence (p.36).</span></p> </blockquote> <p>Néanmoins, un peu plus loin, Beigbeder suggère que «l’amour reste le meilleur sujet de littérature, peut-être même le seul» (p.51). «Sans amour, pas de romans» (p.51), ajoute-t-il, ce qui semble aller un peu à l’encontre de ce qu’il avait affirmé tout juste quelques pages plus tôt à propos de Pelevine. La question se pose en effet&nbsp;: si l’amour est possible dans un univers déjanté comme celui que met en scène l’auteur russe dans ses fictions, lui est-il essentiel pour autant? Chose certaine, on voit mal comment raccorder la production romanesque plutôt <em>trash</em> de Pelevine aux romans, par exemple, de Françoise Sagan et de Colette, que Beigbeder encense également. Aussi, il considère que «tous les grands livres racontent la même chose: comment leur auteur est devenu un écrivain. Tous les grands livres racontent pourquoi ils sont des grands livres: pour combler le vide, sans y parvenir» (p.141). Reste que, pour Beigbeder —et ça se sent—, c’est le <em>trash</em> qui sauvera la littérature<a href="#_ftn2" name="_ftnref2" title="">[2]</a>. Il écrit:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p style="margin-left:2.0cm;"><span style="color:#a9a9a9;">Dans un entretien resté mythique, Ballard a déclaré (et tous ceux qui désirent comprendre quelque chose à la littérature du XXI<sup>e</sup> siècle feraient bien de recopier ceci noir sur blanc dans leurs petits calepins): «Je crois à mes obsessions personnelles, à la beauté de l’accident de voiture, à la paix de la forêt engloutie, à l’émoi des plages estivales désertes, à l’élégance des cimetières de voitures, au mystère des parkings à étages, à la poésie des hôtels abandonnés.» Il aurait pu ajouter les hélicoptères foudroyés, les tsunamis atomiques, les publicités tridimensionnelles, les attentats télévisés, les mannequins en plastique, et «les autoroutes filant au-dessus de nos têtes» (p.97).</span></p> </blockquote> <p>Beigbeder propose sa propre vision de la littérature du XXI<sup>e</sup> siècle, hystérique, plurielle, hallucinée. Pour lui, c’est Bret Easton Ellis, qui figure deux fois dans le palmarès —et qui occupe entre autres la première position—, qui a inventé le roman du XXI<sup>e</sup> siècle: «Eh bien, oui: ce schizophrène bisexuel a INVENTÉ, vous m’entendez, INVENTÉ le roman du XXI<sup>e</sup> siècle et n’a pas l’intention de changer son fusil d’épaule. Sa force est justement de ne pas se déjuger, de creuser le même sillon, toujours plus superficiellement profond. Aucun écrivain de la planète n’ose aller aussi loin dans l’étalage du N’IMPORTE QUOI» (p.106).</p> <p>Ce «n’importe quoi» que prône Beigbeder, l’absurde et le chaos qui semblent lui plaire particulièrement dans les romans de son palmarès, sont possibles aujourd’hui puisqu’il endosse l’idée que l’humanité a connu sa fin, en quelque sorte, au XX<sup>e</sup> siècle. En effet, «[u]n autre Livre [que la Bible] raconte la fin de l’humanité» (p.198): <em>Si c’est un homme</em> de Primo Levi. «Si l’on lit ces deux livres, on a tout lu, ajoute-t-il. Entre les deux, il y eut l’homme.» (p.198) Il ajoute: «Depuis 1944, nous vivons sans pourquoi. Nous sommes devenus des post-humains, des zombies, des clones, des robots, des individus matériels, des hédonistes égoïstes, des mammifères» (p.199). Ici, Beigbeder rejoint peut-être un peu Richard Millet, qui titrait son dernier essai ainsi: <em>L’enfer du roman. Réflexions sur la postlittérature </em>(2010). Bien que les deux auteurs partagent une certaine opinion du numérique —et on peut lire le texte que Manon Auger et moi avons publié ici même, au <em>Salon</em>, pour le constater (Auger et Landry, 2011: [<a href="../../lecture/dans-le-vestibule-de-lenfer">en ligne</a>])—, Beigbeder s’éloigne la plupart du temps de la position réactionnaire et cynique de Millet<a href="#_ftn3" name="_ftnref3" title="">[3]</a>, notamment en ce qui concerne les programmes de «creative writing» offerts dans les universités étasuniennes, que Millet décriait et à propos desquels Beigbeder affirme que la technique «ne doit pas être une entourloupe si l’on en juge par la quantité de bons écrivains qu’elle produit en Amérique depuis trente ans» (p.319).</p> <p><span style="color:#a9a9a9;"><strong>Beigbeder superlatif</strong></span></p> <p>Dans la dernière ligne droite de son palmarès, à partir de la 15<sup>e</sup> position, Beigbeder se déchaîne: les superlatifs pleuvent, et l’auteur se permet <em>d’affirmer</em>.&nbsp;</p> <p>Il sacre <em>Paludes</em> d’André Gide «premier récit du XX<sup>e</sup> siècle» (p.409). Si, pour Beigbeder —et pour plusieurs autres critiques, cette opinion étant assez répandue—, «[d]epuis ses origines, le roman rabâche <em>Don Quichotte</em>» (p.410), c’est depuis <em>Paludes</em> «que la littérature a le droit de pratiquer le second degré» (p.410). C’est une chose attestée en effet que Gide aurait été «l’inventeur», en quelque sorte, de la mise en abyme, du moins serait-il celui qui aurait nommé le procédé ainsi dans son <em>Journal</em>. Beigbeder va plus loin, toutefois, et ajoute que <em>Paludes</em> a changé la façon dont on lit la littérature. Il s’agirait donc, véritablement, du premier roman du XX<sup>e</sup> siècle. Publié en 1895, «<em>Paludes</em> est à la fois un point de départ et un point d’arrivée. <em>Paludes</em> ne sert qu’à être <em>Paludes</em>: le livre composite, imparfait, vain, le plus cohérent, parfait et indispensable de ma bibliothèque» (p.411). Ce <em>Jacques le fataliste </em>du XX<sup>e</sup> siècle ouvre la voie et s’impose, pour Beigbeder, au numéro 3 de son palmarès, comme roman ayant entamé le siècle.</p> <p>«[L]e livre le plus branché de 2011 a été écrit en 1965» (p.377), affirme Beigbeder. Ce livre, c’est à Georges Perec qu’on le doit: <em>Les Choses</em>, pour Beigbeder, parle définitivement de notre époque:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p style="margin-left:2.0cm;"><span style="color:#a9a9a9;">Saurons-nous échapper aux choses? Il m’est arrivé d’évoquer la guerre entre l’écrit et l’image; il est évident qu’une autre guerre est déclarée entre l’homme et les machines. Dans le premier <em>Terminator</em> (1984), le grand film de James Cameron avec Arnold Schwarzenegger, les machines prenaient le pouvoir. Vous vous souvenez? Un ordinateur géant nommé Skynet asservissait les êtres humains et lançait les vilains Terminators à leurs trousses pour les exterminer. Savez-vous quelle était la date de leur victoire dans le film? Le 29 août 1997. Il y a quatorze ans. Plutôt flippant, non? Aujourd’hui Facebook dévoile notre vie privée, le livre numérique veut remplacer le livre papier, les centrales nucléaires menacent d’exploser, Google privatise la mémoire du monde. Perec avait raison de se méfier des choses: elles voulaient notre place, et elles l’ont obtenue (p.378-379).</span></p> </blockquote> <p>Bien que cette vision des choses soit bourrée de raccourcis (Facebook ne dévoile que ce que l’on veut bien dévoiler, après tout…), reste que la lecture contemporaine d’un roman de <a>1965</a> <a>en </a><a>dit</a> <a>beaucoup </a>sur l’actualité de Perec. N’empêche que ce ne sont pas <em>Les Choses</em> qui closent le XX<sup>e</sup> siècle, mais bien plutôt <em>American Psycho</em> d’Ellis, numéro 1 du palmarès, qui vient «assassiner» le siècle selon Beigbeder. «Tout est là» (p.418), affirme-t-il: «<em>American Psycho</em> est le meilleur roman du XX<sup>e</sup> siècle car il a digéré tous les autres. […] C’est ce roman qui a donné de la force et de l’ambition au roman du XXI<sup>e</sup> siècle[.] […] [P]ersonne ne peut plus faire comme si <em>American Psycho</em> n’avait pas tout changé» (p.420-421). On peut ne pas être d’accord avec Beigbeder, mais mon objectif ici n’est pas de discuter de son effort de catégorisation. Pour lui, c’est véritablement Ellis qui vient clore le siècle. Et puisqu’un siècle vient de se terminer, un autre peut s’entamer.</p> <p>Le XXI<sup>e</sup> siècle, donc, débute selon Beigbeder avec Édouard Levé et son <em>Autoportrait</em> publié en 2005. Ce livre est écrit d’une façon plutôt particulière: il suit les méandres du monologue intérieur non pas à la manière de Joyce et des autres, mais en utilisant un procédé accumulatif dans lequel les phrases se suivent mais ne se ressemblent pas, n’ont pas nécessairement de lien entre elles. Pour Beigbeder, «[c]ette trouvaille est peut-être la plus importante dans le roman français depuis le Nouveau Roman» (p.349). Le numéro 15 du palmarès ouvre un nouveau siècle, comme <em>Paludes </em>l’avait fait 110 ans auparavant:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p style="margin-left:2.0cm;"><span style="color:#a9a9a9;">Toute personne qui ouvre ce livre comprendra immédiatement son originalité: chaque phrase est unique, personnelle, non liée à la précédente, et cependant l’ensemble est un miroir. C’est une installation d’art contemporain drolatique et intime. C’est surtout l’un des textes les plus novateurs publiés dans les années zéro. Si <em>Paludes</em> est le premier livre du XX<sup>e</sup> siècle, l’<em>Autoportrait</em> de Levé est peut-être le <em>Paludes</em> du XXI<sup>e</sup> (p.350).</span></p> </blockquote> <p><span style="color:#a9a9a9;"><strong>Pour conclure</strong></span></p> <p>Au final, c’est une lecture du présent à travers la littérature d’un passé somme toute assez proche que Beigbeder propose dans <em>Premier bilan après l’apocalypse</em>. Qu’on soit d’accord ou pas avec les théoriciens qui affirment que la «fin du monde» littéraire a eu lieu au XX<sup>e</sup> siècle et avec l’idée que le numérique annonce la fin du livre, on trouve indéniablement un certain plaisir à lire cet essai-palmarès. Si j’en ai proposé une lecture immanente et rapide, me contentant parfois de résumer les propos de l’auteur, c’est parce que c’est ainsi qu’il est intéressant de lire l’essai de Beigbeder: comme s’il s’agissait, après tout, d’une biographie, d’un essai personnel, d’un livre dans lequel il nous parle de lui et de lui seul, mais à travers les livres qu’il a aimés. Parce que, bien sûr, on sort de ce <em>Premier bilan après l’apocalypse</em> avec l’envie d’aller lire autre chose, quelques-uns des romans qui auront été abordés dans ce palmarès, mais on en sort aussi avec une connaissance accrue de l’auteur, du personnage, connaissance qui nous invite peut-être à lire ou relire son œuvre à l’aune des révélations qui auront été faites au fil de l’essai. Beigbeder en est d’ailleurs conscient, nul doute là-dessus. Dans son <em>Dernier inventaire avant liquidation</em>, il annonçait noir sur blanc qu’un&nbsp;«critique est un lecteur comme les autres: lorsqu’il donne son avis, favorable ou défavorable, il n’engage que lui-même, et encore, une de ses nombreuses facettes contradictoires» (Beigbeder, 2001: 16). <em>Premier bilan après l’apocalypse</em>, c’est comme si Beigbeder s’était <em>mis à nu</em> pendant un long striptease qui aura duré tout un siècle, un siècle vu à travers 100 romans.</p> <p>&nbsp;</p> <p><span style="color:#808080;"><strong>Bibliographie</strong></span></p> <p>Manon AUGER et Pierre-Luc LANDRY (2011), «Dans le “vestibule de l’enfer”», dans <em>Salon double, observatoire de la littérature contemporaine</em>, [en ligne]. <a href="../../lecture/dans-le-vestibule-de-lenfer">http://salondouble.contemporain.info/lecture/dans-le-vestibule-de-lenfer</a> [Texte paru en ligne le 4 avril 2011].</p> <p>Frédéric BEIGBEDER (2001), <em>Dernier inventaire avant liquidation</em>, Paris, Gallimard (Folio).</p> <p>Frédéric BEIGBEDER (2011), <em>Premier bilan après l’apocalypse</em>, Paris, Grasset.</p> <p>Michel BIRON (2010), <em>La conscience du désert. Essais sur la littérature au Québec et ailleurs</em>, Montréal, Boréal (Papiers collés).</p> <p>François BON (2011), <em>Après le livre</em>, Paris, Seuil.</p> <p>Laurent MARTINET (2011), «Frédéric Beigbeder face à François Bon: le livre numérique est-il une apocalypse?», dans <em>L’Express</em>, [en ligne].&nbsp; <a href="http://www.lexpress.fr/culture/livre/frederic-beigbeder-face-a-francois-bon-le-livre-numerique-est-il-une-apocalypse_1051089.html">http://www.lexpress.fr/culture/livre/frederic-beigbeder-face-a-francois-bon-le-livre-numerique-est-il-une-apocalypse_1051089.html</a> [Texte paru en ligne le 15 novembre 2011].</p> <p>Richard MILLET (2010), <em>L’enfer du roman. Réflexions sur la postlittérature</em>, Paris, Gallimard.</p> <div><br clear="all" /><br /> <hr align="left" size="1" width="33%" /> <div id="ftn1"> <p><a href="#_ftnref1" name="_ftn1" title="">[1]</a> Au passage, on pourrait aussi lui reprocher que sa nostalgie ne soit pas dirigée vers des questions plus pressantes, comme celle de la survie du français, alors qu’il adopte des expressions anglophones («Making of», par exemple)&nbsp;là où il pourrait facilement utiliser des termes équivalents en français. Mais ce serait une tout autre question…</p> </div> <div id="ftn2"> <p><a href="#_ftnref2" name="_ftn2" title="">[2]</a> On voit bien à la lecture des commentaires de Beigbeder que l’amour est possible dans le <em>trash</em> et que l’un n’exclut pas l’autre. Toutefois, même s’il affirme que l’amour est le seul sujet possible de toute littérature, reste qu’il insiste davantage sur le pouvoir salvateur des esthétiques déjantées, qui viendront selon lui sauver la littérature.</p> </div> <div id="ftn3"> <p><a href="#_ftnref3" name="_ftn3" title="">[3]</a> S’il manque de nuance et adopte une position très pamphlétaire en introduction, Beigbeder n’exploite pas ce filon dans le reste de son ouvrage et se contente de révéler ses goûts en matière de lecture, son (humble) opinion sur la littérature du XX<sup>e</sup> siècle.</p> </div> </div> <div> <hr align="left" size="1" width="33%" /> <div> <div id="_com_1"> <p>&nbsp;</p> </div> </div> </div> <p>&nbsp;</p> http://salondouble.contemporain.info/lecture/comme-un-long-striptease#comments AUGER, Manon et LANDRY, Pierre-Luc BEIGBEDER, Frédéric BON, François Contemporain Critique littéraire Culture numérique Déclin de la littérature France MARTINET, Laurent MILLET, Richard Essai(s) Tue, 29 Nov 2011 19:17:25 +0000 Pierre-Luc Landry 415 at http://salondouble.contemporain.info