Salon double - MILLET, Richard http://salondouble.contemporain.info/taxonomy/term/926/0 fr Vie éclatée, lectures éclectiques, vie électrocutée. Studio de lecture #1 http://salondouble.contemporain.info/lecture/studio-de-lecture-1 <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/fontille-brigitte">Fontille, Brigitte</a> </div> <div class="field-item even"> <a href="/equipe/hivert-ariane">Hivert, Ariane</a> </div> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/lamoureux-d-sir-e">Lamoureux, Désirée</a> </div> <div class="field-item even"> <a href="/equipe/landry-pierre-luc">Landry, Pierre-Luc </a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-biblio"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/biblio/vie-electrique">Vie électrique</a> </div> </div> </div> <!--break--><!--break--> <p><strong>Pierre-Luc Landry [PLL]: </strong>Faut-il entamer ce premier studio de lecture par un résumé du bouquin choisi? La question se pose d’emblée, selon moi, parce que l’exercice est périlleux; comment, en effet, résumer un tel objet, qualifié de «roman» dès la première de couverture par l’éditeur, alors que le projet lui-même erre entre les genres? <em>Vie électrique </em>est un roman en trente chapitres, trente jours, au cours desquels l’auteur entre en dialogue avec lui-même, avec son musée personnel: le lecteur est mis face à des impressions et des réminiscences, des notes de lecture, une sorte de collage réunissant entre deux couvertures la liste des œuvres littéraires, musicales et visuelles que l’auteur a particulièrement appréciées, des considérations sur les lieux qu’il a visités, sur les amitiés qu’il a entretenues, etc. Le projet, Rossignol le résume ainsi:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p style="margin-left:70.8pt;">Dans ce roman vécu, on croisera des fleuves et des livres à soi. Aucune théorie magistrale, aucun <em>conseil</em>. Juste le temps, celui que j’ai passé, que je passe à lire et à partir, la lecture et le départ qui ne sont jamais vraiment des activités mais une autre façon de boire ou de grimper aux arbres. […] Trente jours. Ce qui se passe pendant un mois. Roman continu d’un genre particulier. Roman, c’est-à-dire pulsations, vacillements, vertige, journées précises. Voici le premier jour dans l’exploration du détachement. Et avec lui les vingt-neuf suivants. Sarabande (p.14-16).</p> </blockquote> <p>C’est donc un «roman à soi», un «roman continu» dans lequel chaque pulsation correspond à une journée, une œuvre littéraire, un auteur qu’on apprécie, un lieu qu’on a aimé. Un drôle de roman, en somme, qui ne ressemble pas du tout à un roman mais qui donne envie d’aller lire ailleurs pour voir si on y est.</p> <p>&nbsp;</p> <p><strong>Désirée Lamoureux&nbsp;[DL]:</strong> Je dois affirmer, en toute honnêteté, que j’ai trouvé l’œuvre de Rossignol pénible. Mais à travers les discussions suscitées par ce studio et dont le présent texte est une trace, je vois en quoi elle peut nous interpeler, nous obliger à ouvrir un livre longtemps ignoré, nous encourager à écouter une mélodie trop souvent perdue dans le brouhaha du quotidien. Sorte de <em>Monde de Sophie</em> de l’art, le livre de Rossignol m’a bombardée de suggestions, de routes, sans jamais me laisser le temps de me couler dans ses pages. Trop préoccupé par son propre parcours, l’auteur semble oublier que des lecteurs tentent de le suivre dans son aventure à travers contrée et forme artistique.</p> <p>&nbsp;</p> <p><strong>Brigitte Fontille [BF]:</strong> En effet, l’auteur nous propose de traverser des univers artistiques en jouant les guides touristiques. Toutefois, si son programme avait fort de piquer ma curiosité et mon intérêt (classiques revisités –Stendhal, Tolstoï– et découverte d’artistes qui m’étaient inconnus –Jan Zabranan? Italo Svevo?­–, dans un mélange artistique singulier –orchestrer Claudel, Thoreau et Charlie Parker!), j’ai également été tentée à maintes reprises de quitter le musée... Les œuvres dépoussiérées ou ramenées à la lumière du XXIe siècle me laissent&nbsp;désenchantée: mais où est passé le romancier? Un peu lasse du rythme en fiche de lectures, je pars écouter d’autres ritournelles. Et, c’est peut-être là que j’entends finalement la voix de l’auteur...</p> <p>&nbsp;</p> <p><strong>Ariane Hivert [AH]: </strong>Pendant et après ma lecture, de multiples questions se bousculaient dans ma tête. Et maintenant, les commentaires de mes collègues en soulèvent de nouvelles… À quel moment voit-on le personnage de Rossignol soulever un livre? Peut-il vraiment avoir lu tous les bouquins dont il parle en trente jours? Si c’est un «roman à soi» au point d’en oublier le lecteur, quel est l’intérêt d’en faire un roman? Le rôle de guide touristique est-il vraiment le meilleur moyen pour faire découvrir des œuvres artistiques si profondes? Des questions superficielles, j’en conviens, mais ma propre fibre d’auteure en herbe est choquée par ce manque de réalisme dans un livre qui semble s’apparenter à l’autofiction avec cette «voix de l’auteur» dont parle Brigitte, si forte et si personnelle. Les réponses à ces questions sont-elles si importantes ou bien ces interrogations ne sont-elles que la cristallisation de mon propre désir d’abandonner devant un livre qui m’apparait au premier abord si aride?</p> <p>&nbsp;</p> <p><strong>PLL: </strong>Je suis content que Désirée soulève de telles réticences parce que, comme mes collègues, je me suis heurté moi aussi à des envies d’abandonner, parfois, alors que le propos devenait trop «obscur», trop personnel. Je ne connais pas Rossignol, je ne suis pas familier avec son travail et je sais peu de chose de lui sinon qu’il est éditeur chez Payot &amp; Rivages. Circule sur le Web une photo le représentant cigarette à la bouche, chemise blanche et cravate noire, barbe de trois jours, les yeux posés sur la clope qu’il tient entre ses doigts; un petit quelque chose à la Bret Easton Ellis, une gueule paillarde, un brin baveuse. Voilà tout ce que je connais de l’auteur, qui nous invite dans son livre à assister à un monologue mis en scène expressément pour nos yeux de lecteurs; exercice de voyeurisme s’il en est un, mais dont l’étrangeté séduit. Ce sont des notes de lectures et un carnet d’errance ainsi qu’un journal personnel et tout cela invite à l’écoute, au voyage. Les textes qui sont lus et commentés par Rossignol —et j’entends textes au sens sémiotique d’<em>œuvres</em>, peu importe leur support—, paraissent essentiels; que peut-on comprendre de cette «vie électrique» si l’on n’a pas lu les livres dont il est question, si l’on n’a pas fréquenté les musiciens dont Rossignol discute, etc.? Il y a toutefois dans ce bouquin un beau paradoxe: malgré le caractère essentiel de ces textes premiers, le lecteur peut s’en passer. Si certains titres font partie d’un «savoir encyclopédique commun», d’autres sont des hapax, des livres étranges, des objets dont on peut ne jamais, même, avoir entendu parler. Au final, toutefois, ce n’est pas important: celui ou celle qui aime la littérature (et les autres arts) n’en n’a rien à faire.</p> <p>Je voudrais revenir à ma propre obsession de lecteur (bien sûr!), c’est-à-dire au genre annoncé en première de couverture: au romanesque de ce projet éclaté. Dans un entretien accordé à Albert Gauvin de <em>Pileface</em>, site Internet consacré à tout ce qui touche Philippe Sollers, Rossignol explique en quoi son projet est, pour lui, bel et bien un <em>roman</em>:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p style="margin-left:70.8pt;">J’appelle ça roman parce qu’il n’y a pas de distinction entre la bibliothèque et les destinations. Le fil d’un narrateur qui passe de Trieste à New York en lisant B. S. Johnson et Alix Cléo Roubaud, pour moi c’est l’histoire d’un roman. Tous ces écrivains sont des personnages de romans. Cela m’intéresse plus que d’inventer un personnage réaliste dans lequel je ne me reconnaîtrais pas (Rossignol, cité par Gauvin, 2012, <a href="http://www.pileface.com/sollers/article.php3?id_article=1265">[en ligne]</a>).</p> </blockquote> <p>On lit dans cette déclaration le désir de faire du roman sans s’engager dans l’imaginaire ou, plus précisément, dans <em>l’invention</em>. Il existe bien sûr tout un pan de la littérature qui se réclame d’un tel mouvement et tout un autre pan qui se réclame de son contraire. Je ne souhaite pas ajouter d’eau au moulin de la dualité roman vrai / roman imaginaire. Cela n’est pas important, surtout pas en ce qui concerne le commentaire et la lecture du livre de Rossignol. Néanmoins, je trouve que le choix éditorial est étonnant. Pourquoi s’acharner à nommer ainsi un livre qui, au final, n’a pas grand-chose à voir avec la production romanesque actuelle? Alors que les témoignages et autres documents ont la cote, pourquoi vouloir à tout prix faire du roman plutôt que de, plus simplement, faire <em>un livre</em>? Que les écrivains soient des «personnages de romans»,&nbsp;soit. Reste que <em>Vie électrique</em> a peu d’atomes crochus avec le genre romanesque, d’autant plus que le livre fait une très grande place à tout ce qui ne l’est pas. On devine en effet à la lecture une préférence de Rossignol pour les œuvres hétéroclites, pour les livres protéiformes, étranges, à mi-chemin entre ceci et cela, pas vraiment romans mais pas vraiment essais. Par exemple, il dit de Rolf Dieter Brinkmann qu’il est disparu du paysage littéraire en raison du mélange des genres qui est au cœur de ses œuvres, notamment de <em>Rome, regards</em> et de <em>La lumière assombrit les feuilles</em>:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p style="margin-left:70.8pt;">Brinkmann choisit de briser le roman traditionnel, de ne plus s’en tenir à une représentation réaliste et paisible du monde. Il décide de projeter ses images et une poésie directe dans un ouvrage indéfinissable, un livre-album qui fait appel à tous les motifs, lettres, photos, factures, billets de train, et qui donne lieu à un récit cinglant (p.107).</p> </blockquote> <p>Un ouvrage indéfinissable, donc. Qualificatif qui pourrait très bien être accolé au livre de Rossignol. Je réfléchis à «voix haute» ici, je ne propose pas de commentaire définitif sur <em>Vie électrique</em>. Si je remets en question l’étiquette de «roman», c’est que je me demande en quoi elle peut être efficace, importante, nécessaire. Réinventer le roman, briser les cadres rigides, oui, je veux bien —et j’aime tout particulièrement les auteurs qui ont cette «audace». Mais pourquoi choisir le label contraignant, s’il ne nous convient pas? Peut-être que mes collègues de ce studio de lecture auront quelque chose à dire à ce sujet…</p> <p>&nbsp;</p> <p><strong>DL: </strong>En effet, pourquoi choisir d’indiquer le genre alors que le projet d’écriture ne va pas du tout dans ce sens? À ma première lecture de l’œuvre, je ne me suis pas posée la question; je me suis plutôt demandée où l’auteur voulait en venir. Avec son début déroutant à Berlin qui semble annoncer une espèce d’histoire d’amour étrange, j’ai attendu en vain que l’auteur termine son histoire. Ce n’est qu’en fermant le livre que j’ai réalisé que le début n’avait en fait peut-être rien à voir avec le reste. En relisant maintenant le premier chapitre, je vois que Rossignol nous annonce bel et bien son projet – «Trente jours. Ce qui se passe pendant un mois. Roman continu d’un genre particulier» (p.16) – au moment même où il quitte Petra pour revenir à Paris. Il semblerait que le roman dont il est question sur la page couverture ne dure que 4 pages pour se perdre dans les méandres d’un autre projet d’écriture. Serait-ce un roman de quelques pages accompagné d’un journal de bord, ou plutôt un journal de bord amorcé par un mini-roman?</p> <p>&nbsp;</p> <p><strong>AH:</strong> Je me suis posée la même question: <em>Vie électrique</em> est-il vraiment un roman? Je comprends le point de vue de Rossignol et, en un sens, je suis d’accord. Les auteurs sont aussi des personnages de roman. Ce récit, parce que je lui accorde que c’en est un, enchaîne les observations littéraires et artistiques sans m’emporter dans un autre monde. Personnellement, c’est ce que je recherche dans un roman: m’évader, que ce soit dans un univers imaginaire ou réel. Tandis qu’en lisant Rossignol, j’ai eu l’impression d’assister à une conférence sur la littérature sur fond musical. Intéressant, certes, mais pas ce à quoi je m’attendais. Il ne faut pas sous-estimer l’importance des attentes que peut avoir un lecteur par rapport à un livre. Avec le temps, le roman s’est imposé comme genre hégémonique —une certaine idée du roman, même— et a pris une grande place dans le spectre littéraire; c’est ainsi que l’étiquette de roman commande tout un horizon s’attente qui a été déçu avec <em>Vie électrique</em>. Comme le dit Pierre-Luc, cela ne doit pas empêcher les auteurs d’essayer de nouvelles choses et de briser les conventions. Mais apposer l’étiquette de «roman» sur un livre, c’est le comparer à tous les autres romans qui ont été écrits avant et lui donner une signification qu’il n’a pas lorsqu’on l’ouvre. Le lecteur est déstabilisé, déçu et souvent se décourage au point de poser ledit roman et de ne pas en terminer la lecture. Je crois que les livres sont écrits pour être lus (et je ne parle pas de l’aspect commercial de la chose), mais lorsque les lecteurs abandonnent le livre d’un auteur, ils sont moins enclins à acheter les suivants et à continuer de faire vivre l’œuvre de cet auteur. À leurs proches, ils diront qu’ils ont été déçus ou, pire, n’en parleront pas du tout, au contraire des ces romans qui ont fait vibrer la corde émotive qui nous traverse tous et dont on veut parler autour de nous. La corde cognitive est plus difficile à faire résonner; elle n’est pas toujours bien tendue, selon l’éducation et l’état d’esprit de chacun. Il faut préparer son lecteur à ce genre de récit qui appelle à la raison avec une étiquette appropriée, autre que celle de «roman», qui elle s’adresse à un nombre grandissant de lecteurs de tous les âges. Il existe cependant des gens qui n’auraient pas acheté le livre s’il n’était pas écrit «roman» sur la couverture, mais plus persévérants, ils continuent leur lecture et, intéressés par le propos de Rossignol, ils poursuivent leur découverte des auteurs qu’il cite. Convenons-en, ces gens sont peu nombreux. Je suis de ceux qui ont été déçus. Et sans ce studio de lecture, j’aurais rapporté le livre à la bibliothèque sans le terminer.</p> <p>&nbsp;</p> <p><strong>BF:&nbsp;</strong>Je résiste à ce propos orienté vers l’analyse mercantilisante des œuvres littéraires ou qui suggère un lecteur au premier degré qui se laisse influencer par l’étiquette ou qui utilise l’art pour «s’évader». Il n’en demeure pas moins que l’étiquette de cette œuvre semble bien étrange et suscite avec raison nombre de questions. Je pourrais toutefois voir ce «roman» s’inscrire dans un mouvement de contamination romanesque amorcée dans les années 80. Je pense notamment aux romans <em>réflexifs</em> de Milan Kundera, à certains romans de Pascal Quignard, <em>Vie secrète</em> notamment, dont la charge d’érudition en font à la fois des essais, des biographies, des études anthropologiques, des récits mythologiques, des contes, des traités, etc. Sans nécessairement inscrire Rossignol dans cette généalogie d’écrivains confirmés, je peux percevoir dans <em>Vie électrique </em>un écho de cette démarche poétique qui met au défi le récit. Démarche téméraire pour une œuvre dont la forme et le contenu remettent en cause la jouissance esthétique du lecteur. Or, il faut bien en convenir, <em>Vie électrique</em> produit un effet déceptif par rapport à l’&nbsp;«horizon d’attente» du lecteur. Un romancier qui se propose à l’image d’un simple compilateur et se réduit à une instance énonciative qui dit timidement «je» en se diffractant en une narration plurielle et démultipliée de tous les livres lus pose à juste titre un enjeu vital au lecteur déjà mis en abyme dans cet auteur-lecteur. Chaque livre a son lecteur implicite. Et c’est peut-être dans cette avenue qu’il faudrait tenter de porter notre attention afin de cerner les enjeux d’une œuvre qui semble désorienter le lecteur au point qu’il en questionne sa propre existence (un lecteur fictif au lieu d’un personnage romanesque imaginaire?). À moins que Rossignol soit tout simplement passé à côté de son «pacte de lecture»...</p> <p>&nbsp;</p> <p><strong>DL:</strong> Je ne crois pas que Rossignol soit passé à côté de son «pacte de lecture», comme le propose Brigitte. Il me semble plutôt que son «pacte» participe d’un désir de perdre le lecteur, de l’ennuyer à un tel point qu’il vienne à apprécier ce qu’il lit. L’importance de la patience face à l’ennui, suggérée dès la page 15 dans une citation de John Cage, joue-t-elle un rôle moralisateur? Rossignol nous dit-il que nous sommes trop pressés à comprendre, à être divertis en tout temps? Qu’il faut nous arrêter, prendre le temps d’apprécier les belles choses de la vie, malgré l’ennui qu’elles peuvent parfois susciter? Je vois maintenant en ce roman une critique de notre société actuelle: société qui mise sur un divertissement si envoûtant qu’il nous fait oublier notre existence superflue. Au contraire, le roman de Rossignol, dans ses longueurs et ses langueurs, ne cherche pas à nous procurer une évasion, mais plutôt à nous obliger à nous plonger dans un art trop longtemps mis de côté. &nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> <p><strong>PLL: </strong>Il est évident que <em>Vie électrique</em> n’est pas un roman d’évasion. Le lecteur averti le saura déjà par sa publication dans la collection «L’infini», dirigée par Philippe Sollers. Ici, pas d’illusion romanesque ou de suspension de l’incrédulité; pas de catharsis programmée et, n’en déplaise à Odette qui répond à la question «Le Roman permet -il de s’évader ou lui attribuez vous d’autres fonctions?» [<em>sic</em>] sur <em>Yahoo! Questions/Réponses</em> [<a href="http://qc.answers.yahoo.com/question/index?qid=20080512024141AAnVceH">en ligne</a>], pas de résonnance de l’hridayagranthi ou de quelque «nœud du cœur» que ce soit. <em>Vie électrique</em>, ce n’est pas cela. Ce n’est pas non plus ce best-seller qui nous emmène, justement, sur d’autres rives, dans des aventures rocambolesques et sentimentales. J’ai peut-être l’air méprisant, mais je ne le suis pas. Il n’y a pas de fiction à grand déploiement dans <em>Vie électrique</em> et cela ne lui fait pas défaut. Ce que je tente de dire, c’est que le plaisir de lire ce livre, il est ailleurs; il se trouve dans les nombreuses références à la littérature et à la musique, dans le parcours intellectuel de l’auteur, dans la forme, dans l’espace étrange que Rossignol a aménagé pour lui et son lecteur et où la rencontre opère quand même. On a beaucoup glosé avec Umberto Eco sur la coopération interprétative et le rôle du lecteur dans le roman; dans cette même veine, j’apprécie tout particulièrement ce commentaire d’Alain Robbe-Grillet que je me permets de reproduire ici (et qu’on me pardonne la longueur de la citation):</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p style="margin-left:70.8pt;">Cette idée que le monde est toujours à faire est au fondement de l’esprit moderne. C’est, en somme, ce que Sartre a appelé la liberté. Si le monde est fait, nous ne sommes pas libres, nous ne pouvons que reproduire les formes du monde telles qu’elles sont. Mais si le monde est à faire, notre liberté est sans cesse en jeu. Car dans notre existence, en dehors même de la littérature, nous sommes sans cesse les bâtisseurs d’un monde. Cette situation va aussi se refléter dans celle du lecteur. Celui-ci est appelé à refaire le livre qu’il lit, comme si ce livre était déjà tombé en ruine et que lui-même allait y introduire de nouvelles possibilités de signification. Il ne s’agit pas de construire des cathédrales, mais l’idée est la même: ce sont des cathédrales de pensée. Cette situation est souvent mal comprise par les lecteurs, car ils considèrent que la lecture est une sorte de repos. On a affronté les bizarreries du monde et l’incompréhensibilité de plus en plus flagrante de certains éléments du monde, et quand on rentre chez soi le soir, on lit pour se reposer. Dans ce cas, mieux vaut prendre un Balzac qu’un Kafka ou un Joyce. La lecture de la littérature vivante n’est pas reposante, puisqu’il faut sans cesse s’impliquer soi-même comme créateur du livre, comme si on réécrivait ce livre qu’on est seulement en train de lire. Je le lis, il est tout fait, mais il n’est pas fini. Il continue à vivre (2005, p.41-42).</p> </blockquote> <p>Une chose est sûre: on ne se repose pas dans le livre de Rossignol. Au fil de ce studio de lecture, j’apprends à l’apprécier davantage. C’est une sorte de <em>Dernier inventaire avant liquidation</em> ou de <em>Premier bilan après l’Apocalypse </em>(Beigbeder, 2001 et 2011) en plus intello, un <em>projet</em> au sens fort du terme, une aventure d’écriture <em>et</em> de lecture.</p> <p>&nbsp;</p> <p><strong>BF: </strong>Malgré tout, malgré quelques déroutes, je demeure ambiguë face à ce livre. Il a pourtant des traces à même de susciter une curiosité, un intérêt qui vient l’inscrire dans une certaine lignée du roman contemporain. J’entends par là la double posture artistique que présente ce livre intriguant. Pertinemment présenté sous une épigraphe de Céline, le roman de Rossignol dévoile clairement son penchant pour la musique et continue de fonder des liens entre la littérature et la musique. C’est à un roman-voyage à la forme «d’un temps mobile et dansé» (p.169) que je me sens conviée, un voyage binaire comme la danse qu’il annonce: sarabande spatiale et temporelle. Si une suite de grands auteurs vient y faire quelques pas, c’est toutefois la dimension sonore de ce roman qui m’intrigue le plus. D’emblée est annoncé l’objectif du voyage entrepris: «C’est un contact avec les sonorités dont j’ai besoin. En France, j’entends toujours les mêmes sons, c’est éreintant» (p.11). Il m’est difficile de ne pas y entendre Marcel Proust qui s’était mis au pastiche à ses débuts littéraires pour se «purger du vice si naturel d’idolâtrie et d’imitation» (Proust, 1919, p.380). Pour l’instant, l’écho des «grands auteurs» agit en basse continue tout au long de ce premier roman de l’auteur, mais je me demande si ce ne serait pas aussi une démarche initiatique afin de trouver sa propre voix, sa voix auctoriale. Cette voix qu’il traque bien patiemment: «J’attends une voix, une seule voix. Je ne crois pas que ce soit demander l’impossible» (p.32). C’est sans surprise Ulysse qui est présenté comme premier guide à Berlin pour amorcer le premier jour de cette grande traversée de «l’exploration du détachement» (p.16).</p> <p><em>L’oreille des yeux</em> du lecteur est grandement sollicitée tout au long du roman pour y entendre, à chacun des trente courts chapitres, un nouveau son, un nouvel écho d’un auteur, une nouvelle «ritournelle» (p.11). Outre une écriture qui tire par l’oreille vers le monde sonore de la «percussion d’un mot» (p.94), d’une «voix basse» (p.117) ou d’un texte lu à «voix haute» (p.46), une terminologie musicale file un réseau de métaphores qui poursuit la séduction de l’oreille du lecteur, mélomane ou pas. C’est ainsi que le narrateur parle du «second mouvement» d’<em>Underwood Memories </em>de Kerouac, d’«improvisation» ou du «souffle du trompettiste» (p. 93) pour qualifier de mouvement d’écriture de Fitzgerald, de «polyphonique» (p.84), «modulation» (p.117 et 154), «danse», «cadence» (p.145), «phrase musicale» (p.154), «partition» (p.37, 98, 154 et157), «gamme» (p.165) ou encore «[l]eitmotiv» (p.165).</p> <p>Un arrière-fond sonore accompagne subtilement le lecteur de ce court roman: un morceau de Thelonious Monk joue pendant qu’il écrit l’épisode du voyage en Espagne de la première journée pour se terminer au bruit d’un match de foot, des élans d’espagnol viennent sonner lors de la lecture silencieuse d’un poème baroque de Luis de Gongora, jusqu’au son du «saxophone merveilleux d’un type qui s’appelait Allen» (p.98) à New York, pour clore avec la célèbre violoniste Julia Fisher qui interprète du Bach. À cette suite, doit s’ajouter, pour le lecteur mélomane les musiques de Chostakovithc, de Buxtehude, la <em>Sarabande</em>, la <em>Chaconne</em> et le deuxième <em>Concerto&nbsp;</em>de Bach. Le lecteur dilettante est même convié à aller écouter l’interprétation de Fisher sur <em>Youtube</em>. Ce sont aussi des écrivains influencés par la musique dans leur écriture qui s’ajoutent à cette basse continue qui constituent l’écho littéraire bien sonore de ce roman: Céline, Joyce, la graphie musicale&nbsp;de Kerouac, Fitzgerald, Wittgenstein, Italo Svevo.</p> <p>Il ne sera donc pas anodin que le vingt-neuvième jour soit celui des musiciennes. Ce parcours musical aux allures de littérature est conduit comme le «toc-toc [d’un] un hoquet qui guiderait les aveugles à la lettre» (p.11). Du «chœur» (p.42) issu des partitions musicales des grands auteurs ayant résonné en Jean-Philippe Rossignol, à cette danse de la séparation, à la voix solitaire de l’auteur Rossignol qui s’accompagne à la harpe, au trentième jour, «[l]e morceau s’arrête» (p.169). Ce roman prend la forme de véritables «suites électriques» (p.169) sur lesquelles l’auteur, le temps d’une danse aux musiques des écrivains qu’il admire, remettra le morceau mais peut-être seul cette fois-ci, «suivant en cela la règle nette qu’un écrivain sans oreille est comme un boxer sans main gauche» (p.37-38).</p> <p>&nbsp;</p> <p><strong>PLL:</strong> Je me permets un aparté métaréflexif, une digression peu pertinente mais quand même essentielle. Je découvre, à travers ce studio, toute la pertinence de mener une lecture à plusieurs têtes d’un même roman. Brigitte, informée par ses propres intérêts, met au jour toute une dimension qui m’avait échappée à la première lecture du roman de Rossignol. Maintenant, cette omniprésence de la musique m’apparaît évidente, voire fondamentale, alors que je m’étais concentré sur tout autre chose lors de mon premier parcours du roman.</p> <p>&nbsp;</p> <p><strong>BF:</strong> Il semble toutefois, au consensus, que ce roman ne nous aura été qu’une pause, suivie d’un long soupir avant de s’éteindre dans un profond silence.</p> <p>&nbsp;</p> <p><strong>AH: </strong>Aller lire ailleurs si on y est, suggère Pierre-Luc à la suite de Rossignol. Je ne sais pas pourquoi, mais je suis rarement tentée de le faire. Je suis pourtant curieuse de nature, mais voilà que j’ai peine à sortir de ma zone de confort; lire et relire les livres que j’ai tant aimé, encore et toujours au point d’en perdre le compte au fil des ans. L’an dernier, mon grand-oncle m’a légué quelques-uns (trois cents) des livres de sa riche bibliothèque (dix mille). Des bouquins assez vieux, qui sentent la poussière et le temps qui passe. Parmi eux, une collection rassemblant une œuvre de chaque auteur ayant été récompensé d’un prix Nobel entre 1901 et 1970. Hemingway, Mistral, Pirandello, Hesse, Gide, Sartre, Kipling… Je sais qu’ils méritent d’être lus. Eux comme bien d’autres. Pourtant, je n’en ai pas ouvert un seul. J’ai l’impression d’avoir besoin que quelqu’un m’insuffle l’envie de les ouvrir, m’en parle avec toute la passion ressentie à sa lecture… comme si les livres n’étaient pas capables de parler pour eux-mêmes, eux qui contiennent tant de mots. Aujourd’hui, ouvrons-en quelques-uns pour voir ce qu’ils ont à dire:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p style="margin-left:70.8pt;">À temps le vieillard aux brins d’osier – acheva sa chanson marine, – car sa voix dans les pleurs allait se noyer; –mais trop tôt, certes, pour les garçons de labours,– car, sans mot dire, la tête éveillée –et les lèvres entrouvertes,– longtemps après le chant ils écoutaient encore (Mistral, 1960, p.56).</p> </blockquote> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p style="margin-left:70.8pt;">–Votre peinture sent le tabac et le sang, lui avait-elle dit un jour? Ne savez-vous donc faire que des soldats?</p> <p style="margin-left:70.8pt;">– Hélas!... répondit-il doucement.</p> <p style="margin-left:70.8pt;">Et tout bas, il se disait: «Je pourrais faire d’elle, si elle voulait, un portrait qui serait un chef-d’œuvre» (Kipling, 1960, p.129).</p> </blockquote> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p style="margin-left:70.8pt;">Tous les matins, à la même heure, ni une minute avant, ni une minute après, je le voyais déboucher sur quatre pieds (y compris les deux cannes, une à chaque main, qui lui servaient plus que ses pieds). À peine arrivé, […] il s’asseyait, ses deux bâtons entre les jambes, tirant de sa poche sa calotte, sa tabatière et un grand mouchoir à carreaux rouges et noirs; il reniflait une grosse prise de tabac, s’essuyait, puis ouvrait le tiroir de la table et en extrayait un bouquin qui appartenait à la bibliothèque: <em>Dictionnaire historique des musiciens, artistes et amateurs morts et vivants</em>, imprimé à Venise en 1758 (Pirandello, 1963, p.90).</p> </blockquote> <p>Ce n’était pourtant pas si difficile… Et alors que j’écris ces lignes et que je me questionne sur mes habitudes littéraires, mon copain écoute de la musique classique. Schubert, Beethoven, Mendelssohn. Et, comme chaque fois, je dois lui demander le nom du compositeur, même si je reconnais l’air. À bien y penser, je n’ai pas besoin de connaître leur nom, aussi illustre soit l’homme, pour apprécier la puissance de l’œuvre qui fait vibrer quelque chose en moi, tout comme les mots de ces grands auteurs qui peuplent ma bibliothèque. Rossignol parle d’auteurs que je ne connais pas, que je n’ai pas lus ou, si je les ai lus, dont je ne me souviens pas des propos exacts, si ce n’est cette puissance qui se dégage de leur œuvre. Comme pour la musique, je me souviens d’avoir vibré avec les mots, mais à moins de les entendre à nouveau, ils se perdront dans l’immensité de la mer de la littérature.</p> <p>&nbsp;</p> <p><strong>PLL: </strong>En guise de conclusion, je ne peux m’empêcher de penser à Richard Millet, malgré les horreurs qu’il a récemment professées, en refermant le livre de Rossignol. Pas que j’établisse quelque parallèle que ce soit entre l’œuvre des deux écrivains, mais bien parce que Rossignol fait une très grande place dans son musée aux inclassables, classiques comme oubliés de l’histoire littéraire. Et j’en viens à me demander ceci: est-ce que Millet n’aurait pas raison, après tout, et que la littérature ne se déploierait vraiment que dans ce qui n’est pas roman? Puis ma question perd tout son sens, dès lors que j’accepte enfin que <em>Vie électrique</em> soit un roman. Au final, on se balance pas mal de savoir, dans l’immédiat, ce que cela veut dire. On dirait qu’avec les inclassables comme <em>Vie électrique</em>, j’en arrive toujours à la conclusion qu’ils affirment, par leur impudence, la toute-puissance de la littérature. Et j’entends littérature comme le voudrait Luc Lang, c’est-à-dire comme quelque chose de dangereux, comme désordre, chaos, comme «une force imprévisible d’inattendues propositions quant à la question du <em>sujet</em>, et [qu’]il est toujours plus urgent de […] cerner dans cet espace livresque de la “fiction”, que l’on parcourt en ses <em>heures perdues</em> de loisir et de distraction, où l’on s’accorde précisément à perdre son temps avec ce qui n’est que… littérature» (2011, p.26).</p> <p>&nbsp;</p> <p><strong>Bibliographie</strong></p> <p>Frédéric BEIGBEDER (2001), <em>Dernier inventaire avant liquidation</em>, Paris, Grasset.</p> <p>Frédéric BEIGBEDER (2011), <em>Premier bilan après l’Apocalypse</em>, Paris, Grasset.</p> <p>COLLECTIF (2008), «Le Roman permet -il&nbsp; de s’évader ou lui attribuez vous d’autres fonctions?», dans <em>Yahoo! Questions/Réponses</em>, [en ligne]. <a href="http://qc.answers.yahoo.com/question/index?qid=20080512024141AAnVceH">http://qc.answers.yahoo.com/question/index?qid=20080512024141AAnVceH</a> (Page consultée le 9 octobre 2012).</p> <p>Albert GAUVIN (2012), «La <em>vie électrique</em> de Jean-Philippe Rossignol», <em>Pileface</em>, [en ligne]. <a href="http://www.pileface.com/sollers/article.php3?id_article=1265">http://www.pileface.com/sollers/article.php3?id_article=1265</a> (Texte en ligne depuis le 8 mars 2012).</p> <p>Rudyard KIPLING (1960), <em>La lumière qui s’éteint</em>, chapitre VII, s.l., Éditions Rombaldi (Collection des Prix Nobel de littérature, lauréat 1907).</p> <p>Luc LANG (2011), <em>Délit de fiction. La littérature, pourquoi?</em>, Paris, Gallimard (Folio essais / Inédit).</p> <p>Richard MILLET (2010), <em>L’enfer du roman. Réflexions sur la postlittérature</em>, Paris, Gallimard.</p> <p>Frédéric MISTRAL (1960), <em>Mireille</em>, Chant premier, «Le Mas des Micocoules», verset XIII, s.l., Éditions Rombaldi (Collection des Prix Nobel de littérature, lauréat 1904).</p> <p>Luigi PIRANDELLO (1963), <em>Feu Mathias Pascal</em>, chapitre V, Maturation, s.l., Éditions Rombaldi (Collection des Prix Nobel de littérature, lauréat 1934).</p> <p>Marcel PROUST, «Lettre de 1919 à Ramon Fernandez», <em>Correspondances</em>, t. XVIII, Paris, Plon.</p> <p>Alain ROBBE-GRILLET (2005), <em>Préface à une vie d’écrivain</em>, Paris, France Culture / Seuil (Fiction &amp; Cie).</p> <p>&nbsp;</p> http://salondouble.contemporain.info/lecture/studio-de-lecture-1#comments Autoréférentialité BEIGBEDER, Frédéric Critique littéraire Déplacements Dialogue médiatique Dialogues culturels Éclatement textuel Écriture Fiction Fonctions du récit France Genre Indétermination Journaux et carnets KIPLING, Rudyard LANG, Luc Littérature «monde» Mélange des genres MILLET, Richard MISTRAL, Frédéric Nomadisme Obsession Obsessions d'écrivains PIRANDELLO, Luigi Poétique du recueil Portrait de l'artiste PROUST, Marcel Récit de voyage ROSSIGNOL, Jean-Philippe Savoir encyclopédique SOLLERS, Philippe SOLLERS, Philippe Théories des genres Voyage Essai(s) Roman Tue, 16 Oct 2012 18:28:19 +0000 Pierre-Luc Landry 601 at http://salondouble.contemporain.info Comme un long striptease http://salondouble.contemporain.info/lecture/comme-un-long-striptease <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/landry-pierre-luc">Landry, Pierre-Luc </a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-biblio"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/biblio/premier-bilan-apr-s-lapocalypse">Premier bilan après l&#039;apocalypse</a> </div> </div> </div> <!--break--><!--break--> <p><em>Premier bilan après l’apocalypse</em>, c’est d’une certaine façon un écho de Beigbeder à son <em>Dernier inventaire avant liquidation</em>, paru dix ans plus tôt, dans lequel il commentait la liste des «50 livres du siècle» tels que choisis par 6 000 Français, lecteurs du journal <em>Le Monde</em> et clients de la FNAC. Cette fois-ci, Beigbeder se fait plaisir: il présente à son lecteur non pas une liste de romans choisis par un vote populaire, mais plutôt ses 100 livres préférés, «À LIRE SUR PAPIER AVANT QU’IL NE SOIT TROP TARD» (p.21).</p> <p><span style="color:#a9a9a9;"><strong>«L’apocalypse» numérique</strong></span></p> <p>On pourrait gloser longtemps sur la nostalgie un peu clichée qu’affecte Beigbeder dans son «Making of», sorte de préface où il oppose bêtement le livre numérique au livre papier et où il exprime un fétichisme lui aussi convenu pour le format qu’il considère à l’article de la mort<a href="#_ftn1" name="_ftnref1" title="">[1]</a>: Beigbeder y fait rimer numérique avec «bêtise» (p.26) et annonce une Apocalypse «d’amnésie et de vulgarité» (p.26). On pourrait dénoncer les raccourcis qu’il emprunte, les comparaisons bâclées qu’il sert à ses lecteurs, ainsi que le manichéisme de sa prise de position. Mais laissons ces considérations à d’autres, notamment à François Bon —qui se passe ici de présentation—, apôtre du tout numérique dont le dernier bouquin, <em>Après le livre</em>, aborde justement cette question. Messieurs Bon et Beigbeder discutent d’ailleurs du sujet dans un entretien publié sur le site Internet de <em>L’Express</em> et que l’on peut lire en suivant le lien fourni ici (Martinet, 2001: [<a href="http://www.lexpress.fr/culture/livre/frederic-beigbeder-face-a-francois-bon-le-livre-numerique-est-il-une-apocalypse_1051089.html">en ligne</a>]). On pourrait applaudir, toutefois, le pessimisme lucide —qu’on me passe l’expression légèrement oxymorique— de certains de ses arguments, comme celui concernant «le syndrome de déconcentration qui touche de plus en plus de victimes des ordinateurs, [et qui] est démultiplié lorsqu’on lit sur une tablette qui reçoit des e-mails, des vidéos, des chansons, des chats, des posts, alertes, skype, tweets, et des beeps et des blurps, sans compter les virus et les pannes qui vous interrompent en plein monologue intérieur de Molly Bloom» (p.19).</p> <p>Il y a malgré tout une certaine étroitesse d’esprit de la part de Beigbeder dans cet essai, mais elle ne se fait sentir que dans l’introduction fataliste dans laquelle il condamne à la fois le numérique et la «culture-buffet», pour reprendre un terme de Michel Biron (2010: 7), que cette nouvelle ère permet ou encourage:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p style="margin-left:2.0cm;"><span style="color:#a9a9a9;">Un roman de papier ne s’écrivait pas comme un script sur Word. On ne lisait pas sur papier comme on zappe sur un écran. On n’écrivait pas au stylo comme on tape sur un clavier. L’écriture et la lecture sur papier avaient une lenteur qui leur conférait une noblesse: en aplanissant toutes les formes d’écriture, l’écran les rend interchangeables. Le génie est ravalé au rang d’un simple blogueur. Léon Tolstoï ou Katherine Pancol sont identiques, inclus dans le même objet. L’écran est… communiste! Tout le monde y est logé à la même enseigne, lisible dans la même police: la prose de Cervantès est ravalée au même rang que Wikipédia. Toutes les révolutions ont pour but de détruire les aristocraties (p.16-17).</span></p> </blockquote> <p>Car le palmarès dressé par Beigbeder est loin d’être conservateur: en témoigne la présence du premier album du groupe Téléphone, des poèmes de Cocteau, du journal de Kurt Cobain et, en première position, du roman <em>American Psycho</em> de Bret Easton Ellis. Beigbeder a osé davantage que les 6 000 Français qui se sont prêtés à l’exercice dix ans plus tôt en présentant, oui, certains romans très souvent cités dans des palmarès du genre, mais aussi des oubliés, des marginaux, des recueils de poèmes, des journaux, des autobiographies, et même un album rock. J’aborderai donc l’essai de Beigbeder par d’autres voies que celles que la préface peut mettre de l’avant, en l’occurrence par celle de la réflexion qu’il propose, en filigrane, sur la littérature contemporaine.</p> <p><span style="color:#a9a9a9;"><strong>Une certaine littérature contemporaine</strong></span></p> <p>En effet, il est possible d’aborder ce livre par ce qu’il dit de Beigbeder et, par extension, par ce qu’il dit de la littérature, notamment d’une certaine littérature contemporaine. <em>Premier bilan après l’apocalypse</em>, au final, c’est un long striptease pendant lequel on en apprend tout autant sur Beigbeder que sur les romans qu’il a choisi de faire figurer dans ce grand palmarès. On y voit, bien sûr, qu’il a un faible pour un certain type de littérature qu’il produit lui-même, qu’il a un faible pour les drogués, les alcooliques, les paumés, les auteurs morts jeunes, les homosexuels, les dandys, les provocateurs, etc. Il s’intéresse aux personnages malheureux, désespérés, aux bourgeois en crise, peu importe de quel côté de la page ils se trouvent. Il cherche aussi à retracer les filiations symboliques qui traversent le XX<sup>e</sup> siècle; c’est la figure tutélaire de Francis Scott Fitzgerald —et non pas celle d’Ernest Hemingway comme on aurait pu s’y attendre— qui domine ce bilan.</p> <p>Beigbeder a un parti pris pour les auteurs vivants, malgré ce qui a été énoncé plus haut. Il dénonce d’ailleurs le peu d’attention qu’ils reçoivent de la part des historiens de la littérature:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p style="margin-left:2.0cm;"><span style="color:#a9a9a9;">Je dois beaucoup à mes contemporains: je ne vois pas pourquoi la plupart des historiens de la littérature punissent certains auteurs d’être toujours en vie. […] L’avantage des auteurs vivants, c’est qu’on peut les croiser, devenir leur copain ou leur ennemi, leur poser des questions sur leur méthode de travail et (éventuellement) écouter leurs réponses, s’influencer, se comparer, s’estimer, se disputer, se réconcilier, coucher avec, vomir dessus. Une bonne partie des auteurs cités dans mon hit-parade n’ont jamais été mentionnés dans aucun essai littéraire. […] [P]endant que la littérature française s’endormait sur ses lauriers depuis la mort de Proust, Céline, Sartre et Camus, un certain nombre d’auteurs étrangers l’ont réveillée, et une bande d’écrivains français est née de ce bazar planétaire nommé mondialisation. Cette génération […] est en train de s’imposer petit à petit, à l’usure, un peu partout dans le monde […]. Pour la première fois, les voici tous (français et étrangers) inventoriés par un petit confrère qui a contribué, quelquefois, par son agitation désordonnée, à en révéler certains (p.22-23).</span></p> </blockquote> <p>À travers la présentation de ses 100 livres préférés, Beigbeder réfléchit inévitablement à l’époque contemporaine et aux défis auxquels la littérature doit faire face. Par exemple, à propos de Viktor Pelevine, il pose la question suivante: «comment raconter des histoires à des gens qui en ont marre qu’on leur raconte des histoires?» (p.36) La question est juste, et il propose une piste de solution à partir de la démarche d’écriture et des romans de l’écrivain russe. Selon Beigbeder, Pelevine a trouvé la façon d’éviter cet écueil du contemporain en décrivant «un monde où tout s’équivaut»:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p style="margin-left:2.0cm;"><span style="color:#a9a9a9;">Quand on a vécu la chute du communisme, puis l’explosion de Tchernobyl et de l’oligarchie, on n’a plus confiance en rien. […] Pelevine pond une littérature onirique et transsexuelle, où les contrôles d’identité sont permanents, entrelardés de délires mêlant <em>Matrix</em> et Tolstoï. Ses personnages passent leur temps à contrôler leurs papiers d’identité comme pour se rassurer de leur propre existence (p.36).</span></p> </blockquote> <p>Néanmoins, un peu plus loin, Beigbeder suggère que «l’amour reste le meilleur sujet de littérature, peut-être même le seul» (p.51). «Sans amour, pas de romans» (p.51), ajoute-t-il, ce qui semble aller un peu à l’encontre de ce qu’il avait affirmé tout juste quelques pages plus tôt à propos de Pelevine. La question se pose en effet&nbsp;: si l’amour est possible dans un univers déjanté comme celui que met en scène l’auteur russe dans ses fictions, lui est-il essentiel pour autant? Chose certaine, on voit mal comment raccorder la production romanesque plutôt <em>trash</em> de Pelevine aux romans, par exemple, de Françoise Sagan et de Colette, que Beigbeder encense également. Aussi, il considère que «tous les grands livres racontent la même chose: comment leur auteur est devenu un écrivain. Tous les grands livres racontent pourquoi ils sont des grands livres: pour combler le vide, sans y parvenir» (p.141). Reste que, pour Beigbeder —et ça se sent—, c’est le <em>trash</em> qui sauvera la littérature<a href="#_ftn2" name="_ftnref2" title="">[2]</a>. Il écrit:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p style="margin-left:2.0cm;"><span style="color:#a9a9a9;">Dans un entretien resté mythique, Ballard a déclaré (et tous ceux qui désirent comprendre quelque chose à la littérature du XXI<sup>e</sup> siècle feraient bien de recopier ceci noir sur blanc dans leurs petits calepins): «Je crois à mes obsessions personnelles, à la beauté de l’accident de voiture, à la paix de la forêt engloutie, à l’émoi des plages estivales désertes, à l’élégance des cimetières de voitures, au mystère des parkings à étages, à la poésie des hôtels abandonnés.» Il aurait pu ajouter les hélicoptères foudroyés, les tsunamis atomiques, les publicités tridimensionnelles, les attentats télévisés, les mannequins en plastique, et «les autoroutes filant au-dessus de nos têtes» (p.97).</span></p> </blockquote> <p>Beigbeder propose sa propre vision de la littérature du XXI<sup>e</sup> siècle, hystérique, plurielle, hallucinée. Pour lui, c’est Bret Easton Ellis, qui figure deux fois dans le palmarès —et qui occupe entre autres la première position—, qui a inventé le roman du XXI<sup>e</sup> siècle: «Eh bien, oui: ce schizophrène bisexuel a INVENTÉ, vous m’entendez, INVENTÉ le roman du XXI<sup>e</sup> siècle et n’a pas l’intention de changer son fusil d’épaule. Sa force est justement de ne pas se déjuger, de creuser le même sillon, toujours plus superficiellement profond. Aucun écrivain de la planète n’ose aller aussi loin dans l’étalage du N’IMPORTE QUOI» (p.106).</p> <p>Ce «n’importe quoi» que prône Beigbeder, l’absurde et le chaos qui semblent lui plaire particulièrement dans les romans de son palmarès, sont possibles aujourd’hui puisqu’il endosse l’idée que l’humanité a connu sa fin, en quelque sorte, au XX<sup>e</sup> siècle. En effet, «[u]n autre Livre [que la Bible] raconte la fin de l’humanité» (p.198): <em>Si c’est un homme</em> de Primo Levi. «Si l’on lit ces deux livres, on a tout lu, ajoute-t-il. Entre les deux, il y eut l’homme.» (p.198) Il ajoute: «Depuis 1944, nous vivons sans pourquoi. Nous sommes devenus des post-humains, des zombies, des clones, des robots, des individus matériels, des hédonistes égoïstes, des mammifères» (p.199). Ici, Beigbeder rejoint peut-être un peu Richard Millet, qui titrait son dernier essai ainsi: <em>L’enfer du roman. Réflexions sur la postlittérature </em>(2010). Bien que les deux auteurs partagent une certaine opinion du numérique —et on peut lire le texte que Manon Auger et moi avons publié ici même, au <em>Salon</em>, pour le constater (Auger et Landry, 2011: [<a href="../../lecture/dans-le-vestibule-de-lenfer">en ligne</a>])—, Beigbeder s’éloigne la plupart du temps de la position réactionnaire et cynique de Millet<a href="#_ftn3" name="_ftnref3" title="">[3]</a>, notamment en ce qui concerne les programmes de «creative writing» offerts dans les universités étasuniennes, que Millet décriait et à propos desquels Beigbeder affirme que la technique «ne doit pas être une entourloupe si l’on en juge par la quantité de bons écrivains qu’elle produit en Amérique depuis trente ans» (p.319).</p> <p><span style="color:#a9a9a9;"><strong>Beigbeder superlatif</strong></span></p> <p>Dans la dernière ligne droite de son palmarès, à partir de la 15<sup>e</sup> position, Beigbeder se déchaîne: les superlatifs pleuvent, et l’auteur se permet <em>d’affirmer</em>.&nbsp;</p> <p>Il sacre <em>Paludes</em> d’André Gide «premier récit du XX<sup>e</sup> siècle» (p.409). Si, pour Beigbeder —et pour plusieurs autres critiques, cette opinion étant assez répandue—, «[d]epuis ses origines, le roman rabâche <em>Don Quichotte</em>» (p.410), c’est depuis <em>Paludes</em> «que la littérature a le droit de pratiquer le second degré» (p.410). C’est une chose attestée en effet que Gide aurait été «l’inventeur», en quelque sorte, de la mise en abyme, du moins serait-il celui qui aurait nommé le procédé ainsi dans son <em>Journal</em>. Beigbeder va plus loin, toutefois, et ajoute que <em>Paludes</em> a changé la façon dont on lit la littérature. Il s’agirait donc, véritablement, du premier roman du XX<sup>e</sup> siècle. Publié en 1895, «<em>Paludes</em> est à la fois un point de départ et un point d’arrivée. <em>Paludes</em> ne sert qu’à être <em>Paludes</em>: le livre composite, imparfait, vain, le plus cohérent, parfait et indispensable de ma bibliothèque» (p.411). Ce <em>Jacques le fataliste </em>du XX<sup>e</sup> siècle ouvre la voie et s’impose, pour Beigbeder, au numéro 3 de son palmarès, comme roman ayant entamé le siècle.</p> <p>«[L]e livre le plus branché de 2011 a été écrit en 1965» (p.377), affirme Beigbeder. Ce livre, c’est à Georges Perec qu’on le doit: <em>Les Choses</em>, pour Beigbeder, parle définitivement de notre époque:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p style="margin-left:2.0cm;"><span style="color:#a9a9a9;">Saurons-nous échapper aux choses? Il m’est arrivé d’évoquer la guerre entre l’écrit et l’image; il est évident qu’une autre guerre est déclarée entre l’homme et les machines. Dans le premier <em>Terminator</em> (1984), le grand film de James Cameron avec Arnold Schwarzenegger, les machines prenaient le pouvoir. Vous vous souvenez? Un ordinateur géant nommé Skynet asservissait les êtres humains et lançait les vilains Terminators à leurs trousses pour les exterminer. Savez-vous quelle était la date de leur victoire dans le film? Le 29 août 1997. Il y a quatorze ans. Plutôt flippant, non? Aujourd’hui Facebook dévoile notre vie privée, le livre numérique veut remplacer le livre papier, les centrales nucléaires menacent d’exploser, Google privatise la mémoire du monde. Perec avait raison de se méfier des choses: elles voulaient notre place, et elles l’ont obtenue (p.378-379).</span></p> </blockquote> <p>Bien que cette vision des choses soit bourrée de raccourcis (Facebook ne dévoile que ce que l’on veut bien dévoiler, après tout…), reste que la lecture contemporaine d’un roman de <a>1965</a> <a>en </a><a>dit</a> <a>beaucoup </a>sur l’actualité de Perec. N’empêche que ce ne sont pas <em>Les Choses</em> qui closent le XX<sup>e</sup> siècle, mais bien plutôt <em>American Psycho</em> d’Ellis, numéro 1 du palmarès, qui vient «assassiner» le siècle selon Beigbeder. «Tout est là» (p.418), affirme-t-il: «<em>American Psycho</em> est le meilleur roman du XX<sup>e</sup> siècle car il a digéré tous les autres. […] C’est ce roman qui a donné de la force et de l’ambition au roman du XXI<sup>e</sup> siècle[.] […] [P]ersonne ne peut plus faire comme si <em>American Psycho</em> n’avait pas tout changé» (p.420-421). On peut ne pas être d’accord avec Beigbeder, mais mon objectif ici n’est pas de discuter de son effort de catégorisation. Pour lui, c’est véritablement Ellis qui vient clore le siècle. Et puisqu’un siècle vient de se terminer, un autre peut s’entamer.</p> <p>Le XXI<sup>e</sup> siècle, donc, débute selon Beigbeder avec Édouard Levé et son <em>Autoportrait</em> publié en 2005. Ce livre est écrit d’une façon plutôt particulière: il suit les méandres du monologue intérieur non pas à la manière de Joyce et des autres, mais en utilisant un procédé accumulatif dans lequel les phrases se suivent mais ne se ressemblent pas, n’ont pas nécessairement de lien entre elles. Pour Beigbeder, «[c]ette trouvaille est peut-être la plus importante dans le roman français depuis le Nouveau Roman» (p.349). Le numéro 15 du palmarès ouvre un nouveau siècle, comme <em>Paludes </em>l’avait fait 110 ans auparavant:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p style="margin-left:2.0cm;"><span style="color:#a9a9a9;">Toute personne qui ouvre ce livre comprendra immédiatement son originalité: chaque phrase est unique, personnelle, non liée à la précédente, et cependant l’ensemble est un miroir. C’est une installation d’art contemporain drolatique et intime. C’est surtout l’un des textes les plus novateurs publiés dans les années zéro. Si <em>Paludes</em> est le premier livre du XX<sup>e</sup> siècle, l’<em>Autoportrait</em> de Levé est peut-être le <em>Paludes</em> du XXI<sup>e</sup> (p.350).</span></p> </blockquote> <p><span style="color:#a9a9a9;"><strong>Pour conclure</strong></span></p> <p>Au final, c’est une lecture du présent à travers la littérature d’un passé somme toute assez proche que Beigbeder propose dans <em>Premier bilan après l’apocalypse</em>. Qu’on soit d’accord ou pas avec les théoriciens qui affirment que la «fin du monde» littéraire a eu lieu au XX<sup>e</sup> siècle et avec l’idée que le numérique annonce la fin du livre, on trouve indéniablement un certain plaisir à lire cet essai-palmarès. Si j’en ai proposé une lecture immanente et rapide, me contentant parfois de résumer les propos de l’auteur, c’est parce que c’est ainsi qu’il est intéressant de lire l’essai de Beigbeder: comme s’il s’agissait, après tout, d’une biographie, d’un essai personnel, d’un livre dans lequel il nous parle de lui et de lui seul, mais à travers les livres qu’il a aimés. Parce que, bien sûr, on sort de ce <em>Premier bilan après l’apocalypse</em> avec l’envie d’aller lire autre chose, quelques-uns des romans qui auront été abordés dans ce palmarès, mais on en sort aussi avec une connaissance accrue de l’auteur, du personnage, connaissance qui nous invite peut-être à lire ou relire son œuvre à l’aune des révélations qui auront été faites au fil de l’essai. Beigbeder en est d’ailleurs conscient, nul doute là-dessus. Dans son <em>Dernier inventaire avant liquidation</em>, il annonçait noir sur blanc qu’un&nbsp;«critique est un lecteur comme les autres: lorsqu’il donne son avis, favorable ou défavorable, il n’engage que lui-même, et encore, une de ses nombreuses facettes contradictoires» (Beigbeder, 2001: 16). <em>Premier bilan après l’apocalypse</em>, c’est comme si Beigbeder s’était <em>mis à nu</em> pendant un long striptease qui aura duré tout un siècle, un siècle vu à travers 100 romans.</p> <p>&nbsp;</p> <p><span style="color:#808080;"><strong>Bibliographie</strong></span></p> <p>Manon AUGER et Pierre-Luc LANDRY (2011), «Dans le “vestibule de l’enfer”», dans <em>Salon double, observatoire de la littérature contemporaine</em>, [en ligne]. <a href="../../lecture/dans-le-vestibule-de-lenfer">http://salondouble.contemporain.info/lecture/dans-le-vestibule-de-lenfer</a> [Texte paru en ligne le 4 avril 2011].</p> <p>Frédéric BEIGBEDER (2001), <em>Dernier inventaire avant liquidation</em>, Paris, Gallimard (Folio).</p> <p>Frédéric BEIGBEDER (2011), <em>Premier bilan après l’apocalypse</em>, Paris, Grasset.</p> <p>Michel BIRON (2010), <em>La conscience du désert. Essais sur la littérature au Québec et ailleurs</em>, Montréal, Boréal (Papiers collés).</p> <p>François BON (2011), <em>Après le livre</em>, Paris, Seuil.</p> <p>Laurent MARTINET (2011), «Frédéric Beigbeder face à François Bon: le livre numérique est-il une apocalypse?», dans <em>L’Express</em>, [en ligne].&nbsp; <a href="http://www.lexpress.fr/culture/livre/frederic-beigbeder-face-a-francois-bon-le-livre-numerique-est-il-une-apocalypse_1051089.html">http://www.lexpress.fr/culture/livre/frederic-beigbeder-face-a-francois-bon-le-livre-numerique-est-il-une-apocalypse_1051089.html</a> [Texte paru en ligne le 15 novembre 2011].</p> <p>Richard MILLET (2010), <em>L’enfer du roman. Réflexions sur la postlittérature</em>, Paris, Gallimard.</p> <div><br clear="all" /><br /> <hr align="left" size="1" width="33%" /> <div id="ftn1"> <p><a href="#_ftnref1" name="_ftn1" title="">[1]</a> Au passage, on pourrait aussi lui reprocher que sa nostalgie ne soit pas dirigée vers des questions plus pressantes, comme celle de la survie du français, alors qu’il adopte des expressions anglophones («Making of», par exemple)&nbsp;là où il pourrait facilement utiliser des termes équivalents en français. Mais ce serait une tout autre question…</p> </div> <div id="ftn2"> <p><a href="#_ftnref2" name="_ftn2" title="">[2]</a> On voit bien à la lecture des commentaires de Beigbeder que l’amour est possible dans le <em>trash</em> et que l’un n’exclut pas l’autre. Toutefois, même s’il affirme que l’amour est le seul sujet possible de toute littérature, reste qu’il insiste davantage sur le pouvoir salvateur des esthétiques déjantées, qui viendront selon lui sauver la littérature.</p> </div> <div id="ftn3"> <p><a href="#_ftnref3" name="_ftn3" title="">[3]</a> S’il manque de nuance et adopte une position très pamphlétaire en introduction, Beigbeder n’exploite pas ce filon dans le reste de son ouvrage et se contente de révéler ses goûts en matière de lecture, son (humble) opinion sur la littérature du XX<sup>e</sup> siècle.</p> </div> </div> <div> <hr align="left" size="1" width="33%" /> <div> <div id="_com_1"> <p>&nbsp;</p> </div> </div> </div> <p>&nbsp;</p> http://salondouble.contemporain.info/lecture/comme-un-long-striptease#comments AUGER, Manon et LANDRY, Pierre-Luc BEIGBEDER, Frédéric BON, François Contemporain Critique littéraire Culture numérique Déclin de la littérature France MARTINET, Laurent MILLET, Richard Essai(s) Tue, 29 Nov 2011 19:17:25 +0000 Pierre-Luc Landry 415 at http://salondouble.contemporain.info