Salon double - BEIGBEDER, Frédéric http://salondouble.contemporain.info/taxonomy/term/928/0 fr Pour une écriture sous ecstasy : Beigbeder coke en stock http://salondouble.contemporain.info/article/pour-une-criture-sous-ecstasy-beigbeder-coke-en-stock <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-label">Auteur(s):&nbsp;</div> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/larange-daniel-s">Larangé, Daniel S.</a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-biblio"> <div class="field-label">Référence bibliographique:&nbsp;</div> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/biblio/vacances-dans-le-coma">Vacances dans le coma</a> </div> <div class="field-item even"> <a href="/biblio/99-francs">99 francs</a> </div> <div class="field-item odd"> <a href="/biblio/nouvelles-sous-ecstasy">Nouvelles sous ecstasy</a> </div> <div class="field-item even"> <a href="/biblio/legoiste-romantique">L&#039;égoïste romantique</a> </div> <div class="field-item odd"> <a href="/biblio/un-roman-francais">Un roman français</a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-dossier-referent"> <div class="field-label">Dossier Reférent:&nbsp;</div> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/dossier/critures-sous-influence-pr-sence-des-drogues-en-litt-rature-contemporaine">Écritures sous influence: présence des drogues en littérature contemporaine</a> </div> </div> </div> <!--break--><!--break--> <p>La consommation endémique de toute espèce d’excitant, si fréquente dans les sociétés postindustrielles, dénonce le besoin d’artificialité dans un monde où toute réalité plonge inexorablement dans l’absurde et le grotesque. La cohérence de l’univers se déconstruit avec la fin des Grands récits (Lyotard, 1979) et ouvre ainsi l’ère du «bonheur paradoxal» en régime d’hyperconsommation (Lipovetsky, 2006). Les romans de Frédéric Beigbeder, qui se revendique haut et fort être un écrivain de la postmodernité, sont disponibles dans les magasins de grandes surfaces. Aussi n’hésite-t-il pas à qualifier son écriture comme celle d’un «&nbsp;néo-néo-hussard de gauche, d[’un] sous-Blondin aux petits pieds pour cocaïnomanes germanopratins, truffé[e] d’aphorismes lourdingues dont même San-Antonio n’aurait pas voulu dans ses mauvais trimestres&nbsp;». (Beigbeder, 1994&nbsp;: 10) On l’a compris: l’artiste postmoderne, jouisseur du totalitarisme des loisirs, se parodie lui-même; il est ce «bouffon» qui se prend au sérieux à force de mêler un égocentrisme exaspéré à de pseudo-révolutionnaires stupéfiants.</p> <p><br />Ainsi Octave, publicitaire à succès, se complaît-il dans l’autodénigrement en s’adressant à son propre reflet:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p>Tu es tellement coké que tu sniffes ta vodka par la paille. Tu sens le collapse arriver. Tu vois ta déchéance dans le miroir: savais-tu qu’étymologiquement «narcissique» et «narcotique» viennent du même mot? (Beigbeder, [2000] 2007: 119)</p> </blockquote> <p><br />L’engourdissement et le sommeil permettent en effet de rêver d’une meilleure vie. La drogue apparaît alors comme la solution artificielle à tous les problèmes existentiels car elle crée une accoutumance à une «ère de l’éphémère» (Lipovetsky, 1987) où fidélité et constance sont devenues des mots dénués de sens.</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p>Je me frotte les gencives, elles me démangent sans cesse. En vieillissant, j’ai de moins en moins de lèvres. J’en suis à quatre grammes de cocaïne par jour. Je commence au réveil, la première ligne précède mon café matinal. Quel dommage de n’avoir que deux narines, sinon je m’en enfilerais davantage: la coke est un «briseur de souci», disait Freud. Elle anesthésie les problèmes. (Beigbeder, [2000] 2007: 53)</p> </blockquote> <p><br />Le thème de la drogue forme un leitmotiv sous la plume de Beigbeder. Dans son univers romanesque, c’est un phénomène de société. Sa consommation relève justement d’une manière d’être postmoderne, dans la mesure où elle procure l’assurance nécessaire pour sortir du nombrilisme et améliorer les rapports aux autres en effaçant toute inhibition. Elle devient alors un mode d’existence permettant sortir de soi-même, de s’oublier, de se libérer de soi. Car l’homme est devenu un monstre pour lui-même.</p> <p>À cet égard, <em>Vacances dans le coma</em> (1994) met en scène l’esseulement tragique de l’homme contemporain, malade de son bien-être et malheureux de son bonheur. Marc Maronnier, son personnage fétiche, sorte de projection fantasmagorique de l’écrivain, souffre justement de cette incapacité d’empathie dans un univers obnubilé par le tout-multi-média:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p>Chroniqueur-nocturne, concepteur-rédacteur, journaliste-littéraire: Marc n’exerce que des métiers aux noms composés. Il ne peut rien faire entièrement. Il refuse de choisir une vie plutôt qu’une autre. De nos jours, selon lui, «tout le monde est fou, on n’a plus le choix qu’entre la schizophrénie et la paranoïa: soit on est plusieurs à la fois, soit on est seul contre tous». Or, comme tous les caméléons (Fregoli, Zelig, Thierry Le Luron), s’il y a une chose qu’il déteste, c’est bien la solitude. Voilà pourquoi il y a plusieurs Marcs Marroniers. (Beigbeder, 1994: 17)</p> </blockquote> <p><br />L’univers postmoderne se caractérise en général par l’impossibilité de définir la moindre identité dans un système qui ne cesse de vous immatriculer, classer et ordonner. L’homme se retrouve morcelé en une infinité d’éclats. S’il ne cherche plus qu’à «s’éclater», c’est que justement il y voit un mode d’existence et l’opportunité de se valoriser. Autrement, il ne reste plus qu’à se recomposer en <em>hommes-valises</em>. Le paradoxe est ainsi mondialisé et la vie n’est plus concevable que comme une interminable mascarade où chacun (se) joue de tous:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p>Dans une société hédoniste aussi superficielle que la nôtre, les citoyens du monde entier ne s’intéressent qu’à une chose: la fête. (Le sexe et le fric étant, implicitement, inclus là-dedans: le fric permet la fête qui permet le sexe.) (Beigbeder, 1994&nbsp;: 18)</p> </blockquote> <p>Le constat reste flagrant: les relations manquent de profondeur, de stabilité et de sincérité pour déboucher sur la copulation où même le plaisir égotiste reste en deçà d’un désir toujours inassouvi. Les personnages dissimulent difficilement un romantisme rabroué derrière leur <em>je-m’en-foutisme</em> de rigueur, comme c’est le cas de <em>L’égoïste romantique</em> (2005). Seuls l’alcool et la drogue permettent donc de jouir librement de nos émotions, puisque la société ne juge plus que sur les apparences forcément trompeuses. C’est pourquoi «Paris est un faux décor de cinéma. [Marc Maronnier] voudrait que toute cette ville soit volontairement factice au lieu de se prétendre réelle». La consommation d’excitants capables d’amplifier les sens, «donne sens» à l’existence: «Euphoria. Tu en gobes une comme ça et tu deviens ce que tu <em>es</em>. Chaque gélule contient l’équivalent de dix pilules d’ecstasy.» (Beigbeder, 1994: 33) Aussi l’hyperbole est la figure grotesque d’une vie magnifiée une fois vidée de son essence: sans elle, il n’y aurait plus de signification. Il n’y a plus de proportion dans une société comprise entre Alberto Giacometti et Fernando Botero, entre la modèle anorexique et l’homme d’affaire ventru.</p> <p>Phénomène social, la consommation en masse de stupéfiants rassure – par marque déposée – un Occident en pleine mutation sociale, économique et culturelle, dans lequel la satisfaction immédiate (et commerciale) doit garantir la fidélisation par <em>manque et procuration</em>. Autrement dit, la drogue devient une métaphore globalisée du système néolibéral qui entretient la masse dans une insatisfaction et une frustration permanentes. Le divertissement généralisé n’est plus seulement un droit garanti par l’État mais un devoir d’état de droit.</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p>Rien n’a changé depuis Pascal: l’homme continue de fuir son angoisse dans le divertissement. Simplement le divertissement est devenu si omniprésent qu’il a remplacé Dieu. (Beigbeder, [2000] 2007: 152)</p> </blockquote> <p>Au faîte de la civilisation, entretenue dans l’attente d’une joyeuse apocalypse, la situation postmoderne est celle d’une fête constante où la jouissance morbide découle de la marchandisation élevée à l’universalité.</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p>Marc a su que la fête serait réussie en voyant le monde qu’il y avait aux toilettes des filles, en train de se remaquiller ou de sniffer de la coke (ce qui revient sensiblement au même, la cocaïne n’étant que du maquillage pour le cerveau). (Beigbeder, 1994: 53)</p> </blockquote> <p>Le discours tenu par Octave est tout aussi déplorable et témoigne de la diffusion de la drogue à une échelle beaucoup plus grande qu’on ne le croit car toute notre société repose sur un mensonge hallucinatoire dont le publicitaire fait l’éloge (de Cortanze, 2012):</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p>Vous êtes les produits d’une époque. Non. Trop facile d’incriminer l’époque. Vous êtes des produits tout courts. La mondialisation ne s’intéressant plus aux hommes, il vous fallait devenir des produits pour que la société s’intéresse à vous. Le capitalisme transforme les gens en yaourts périssables, drogués au Spectacle, c’est-à-dire dressés pour écraser leur prochain. (Beigbeder, [2000] 2007: 256)</p> </blockquote> <p>Le désenchantement est profond. Plus aucun espoir n’est alors permis dans le réel. D’où le recours immodéré à l’altération de la réalité. Le discours de Beigbeder reflète donc bien un état d’esprit de la (haute) société en période de crise: plus cela va mal plus «l’argent dégouline de partout». (Beigbeder, 1994: 41) L’absence de temps incite l’humanité à en finir par un suicide collectif afin de fuir paradoxalement l’inéluctabilité d’une mort programmée.</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p>Le monde ne veut plus changer […]. Nous menons tous des vies absurdes, grotesques et dérisoires, mais comme nous les menons tous en même temps, nous finissons par les trouver normales. Il faut aller à l’école au lieu de faire du sport, puis à la fac au lieu de faire le tour du monde, puis chercher un boulot au lieu d’en trouver un… Puisque tout le monde fait pareil, les apparences sont sauves. (Beigbeder, 1994: 78)</p> </blockquote> <p>En effet, «il faut tout pour défaire un monde». (Beigbeder, 1994: 78) <em>Vacances dans le coma </em>durent le temps d’une fête donnée dans le night-club le plus prisé de Paris, «Les Chiottes», et se termine par l’actionnement de la chasse d’eau:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p>C’est donc ça, la solution festive: une apocalypse turbide, une dernière transe, une saine noyade. Marc signe son testament de fêtard. Il nage dans le carnage. Du blob dans les bleeps. Du Slime sur Smiley. Amer acid. Le bal est démasqué. (Beigbeder, 1994: 117)</p> </blockquote> <p>Finalement la drogue est tout un système idéologique qui aveugle le citoyen-consommateur lui promettant d’autant plus de liberté qu’il l’asservit (Cohen, 2009). Notre propre copyright s’avère être vérolé. Notre propre ADN ne nous appartient plus car d’anonymes compagnies en ont fait l’acquisition à notre insu pour nous (dé)doubler (Kahn et Papillon, 1998). Octave, toxicomane invétéré, s’est rendu compte que la société fonctionne entièrement sur et par le trafic de stupéfiants. La normalité est dorénavant anormale. Il s’agit bien de sortir des normes par une pratique régulière de l’℮-norme – <em>des règlements numériques</em> où tout bascule dans le nombre transcendant, réel et complexe, formant la constante de Neper, autrement dit symbole de l’emballement et de la précipitation des puissances de la science et des techniques – afin de rester dans le jeu social et le réseau, comme les autres. Ce n’est plus la religion qui est l’opium du peuple mais bien l’opium qui est devenu la religion du peuple. Tel est le message du spot publicitaire conçu par Octave et dans lequel le Christ distribue les doses de crack en guise de nourriture spirituelle à ses apôtres lors de la Cène, alors qu’une voix off (se) signe par un «LA COCAÏNE: L'ESSAYER, C'EST LA RÉESSAYER». (Beigbeder, [2000] 2007: 175) En effet, tout devient itératif, faute de devenir interactif, et les jours, les scènes, les rencontres, les paroles et promesses se répètent de plus en plus souvent, à l’infini, en boucle dans un bogue final.<br /><br />Une pareille production littéraire, à la frontière de la schizophrénie et de la paranoïa, ne peut être exempte de pathologie. Dans un dernier soubresaut de bouffonnerie, l’auteur reconnaît avoir écrit des textes sous l’influence de l’ecstasy, dans l’avertissement au recueil <em>Nouvelles sous ecstasy</em>, indiquant précisément que la MDMA (méthylène-dioxymétamphétamine), responsable des effets psycho-actifs combinant certains effets des stimulants et ceux des hallucinogènes, et distribuée sous forme de petits bonbons bien innocents, est le pur produit synthétique de notre société: dans un premier temps une certaine euphorie, une sensation de bien-être, une satisfaction et un plaisir de communion et d’empathie avec son entourage, puis une sensation d’angoisse, une incapacité totale à communiquer, une «descente» qui s’apparente à une forme de dépression plus ou moins intense, entraînant des nausées, des sueurs, des maux de tête et aboutissant à une pulsion de mort concrétisée par le suicide, de préférence en public, une fois sur le Web.</p> <p>L’effet se retrouve dans l’écriture même. Langage et pensée se désarticulent:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p>Il réfléchit comme quand on donne des coups de poing sur une machine à écrire. Cela donne à peu près ceci&nbsp;: «uhtr&nbsp;!B&nbsp;&nbsp; &nbsp;! jgjikotggbàf&nbsp;! ngègpenkv(&nbsp;&nbsp; &nbsp;ntuj,kguk […]». Ses pensées ressemblent bel et bien à une œuvre de Pierre Guyotat. (Beigbeder, 1994: 132)</p> </blockquote> <p>Autrement le narrateur, sous les effets de la drogue, ne cesse de se poser et reposer des questions qui l’emportent dans une paranoïa totale:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p>T’as gobé? T’as gobé? Tagobétagobétagobé? Qui êtes-vous? Pourquoi on se parle à deux centimètres du visage? Est-il exact que vous avez lu mon dernier livre? Pouvez-vous me garantir que je ne rêve pas? Qu’il n’y a plus de fuite possible? Qu’on ne pourra jamais s’évader de soi-même? Que les voyages ne mènent nulle part? Qu’il faut être en vacances toute la vie ou pas du tout? (Beigbeder, 1999: 15)</p> </blockquote> <p>Peu à peu, la langue même devient pour l’écrivain la drogue nécessaire pour se convaincre de son génie. Suite à son interpellation pour consommation de cocaïne sur la voie publique à la sortie d’une boite de nuit, Frédéric Beigbeder est placé en garde à vue au commissariat. Il lutte contre sa claustrophobie en se remémorant son enfance, ce qui le conduit à rédiger <em>Un roman français</em> (2009) qui obtient le prix Renaudot. La fuite est la seule illusion qui demeure. Fuir par l’écriture. Fuir par la lecture. Passer du réel au virtuel car «on peut combattre la réalité de bien d’autres manières qu’en sombrant chaque nuit dans le coma…» (Beigbeder, 1999: 22) Les stupéfiants participent ainsi à la déshumanisation de l’homme (Dyens, 2008) ne faisant plus de lui <em>un roseau pensant</em> mais «un robot qui pense, voilà la vérité». (Beigbeder, 1994: 134)</p> <p>L’écriture sous ecstasy conduit certes à des moments d’extase qui couvrent le travail lancinant de l’angoisse liée à notre mortalité de plus en plus présente: «Attendre que le siècle s’achève. Il meurt de mort lente» (Beigbeder, 1999: 27).</p> <p>La consommation de stupéfiants permet ainsi d’expérimenter l’universel dans le minimalisme. Tel est le sens de la référence à la nouvelle «alchimique» faite à Philippe Delerm – son «négatif» littéraire – dans «La première gorgée d’ecstasy». L’ivresse, première des promesses de l’or, finit par laisser place à la désillusion:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p>L’ecstasy fait payer très cher ses quelques minutes de joie chimique. Il donne accès à un monde meilleur, une société où tout le monde se tiendrait par la main, où l’on ne serait plus seul&nbsp;; il fait rêver d’une ère nouvelle, débarrassée de la logique aristotélicienne, de la géométrie euclidienne, de la méthode cartésienne et de l’économie Friedmanienne. Il vous laisse entrevoir tout ça, et puis, tout d’un coup, sans prévenir, il vous claque la porte au nez. (Beigbeder, 1999: 40)</p> </blockquote> <p>«S’il est un terme qui sème, en particulier en France, un effroi dans les esprits, c’est bien celui de postmodernité» (Maffesoli, 2008: 165). L’œuvre de Beigbeder, à la fois sarcastique et dépressive, est fondamentalement eschatologique: elle annonce dès le commencement la fin. Il n’y a donc plus de raison de s’étonner car les bonnes surprises ne font plus partie de ce monde. Toute la réflexion qu’il poursuit au fil de ses textes veut justement témoigner de la <em>peur collective</em> en Occident à l’heure des grands changements. Il ne parvient pas alors à trouver d’autre issue à l’irrémédiable qu’en se débauchant entre Bacchus et Dionysos avant de se réfugier, exténué, dans les bras trompeurs de Morphée.</p> <hr /> <p><strong>Bibliographie</strong></p> <p>Beigbeder, Frédéric, <em>Vacances dans le coma</em>, Paris, Librairie générale française, coll. «Livre de poche; 4070», 2002 [1994].<br />Beigbeder, Frédéric, <em>99 francs (14,99 €)</em>, Paris, Gallimard, coll. «Folio&nbsp;; 4062», 2007 [2000].<br />Beigbeder, Frédéric, <em>Nouvelles sous ecstasy</em>, Paris, Gallimard, 1999.<br />Beigbeder, Frédéric, <em>L’égoïste romantique</em>, Paris, Grasset, 2005.<br />Beigbeder, Frédéric, <em>Un roman français</em>. Paris, Grasset, 2009.<br />Cohen, Daniel, <em>La Prospérité du vice: une introduction (inquiète) à l’économie</em>, Paris, Albin Michel, 2009.<br />Cortanze, Gérard de, <em>Éloge du mensonge</em>, Monaco, Le Rocher, 2012.<br />Dyens, Ollivier, <em>La Condition inhumaine: essai sur l’effroi technologique</em>, Paris, Flammarion, 2008.<br />Kahn, Axel et Papillon, Francis, <em>Copies conformes: le clonage en question</em>, Paris, Nil, 1998.<br />Lipovetsky, Gilles, <em>Le bonheur paradoxal: essai sur la société d’hyperconsommation</em>, Paris, Gallimard, 2006.<br />Lipovetsky, Gilles, <em>L’Empire de l’éphémère&nbsp;: la mode et son destin dans les sociétés modernes</em>, Paris, Gallimard, 1987.<br />Lyotard, Jean-François, <em>La Condition postmoderne: rapport sur le savoir</em>, Minuit, 1979.<br />Maffesoli, Michel, <em>Iconologies: nos idol@tries postmodernes</em>, Paris, Albin Michel, 2008.<br />&nbsp;</p> Autofiction BEIGBEDER, Frédéric COHEN, Daniel Contre-culture CORTANZE, Gérard de Culture française Cynisme DYENS, Ollivier France Idéologie Imaginaire médiatique Individualisme KAHN, Axel LIPOVETSKY, Gilles LYOTARD, Jean-François Marchandisation PAPILLON, Francis Postmodernité Présentisme Société de consommation Société du spectacle Sociocritique Transgression Nouvelles Roman Sun, 04 Nov 2012 22:01:56 +0000 Daniel S. Larangé 613 at http://salondouble.contemporain.info Un roman français : un phénomène de réminiscence planifié http://salondouble.contemporain.info/lecture/un-roman-fran-ais-un-ph-nom-ne-de-r-miniscence-planifi <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/gauthier-melissajane">Gauthier, MélissaJane</a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-biblio"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/biblio/un-roman-francais">Un roman français</a> </div> </div> </div> <!--break--><!--break--> <p>«Je vous préviens&nbsp;: si vous ne me libérez pas tout de suite, j’écris un livre» (p.122).<em> Un roman français</em> en est la preuve&nbsp;: la menace a été exécutée. C’est à la suite d’une garde à vue, après que Beigbeder a été appréhendé pour consommation de drogue sur la voie publique, que le célèbre auteur écrit et publie le livre qui m’intéresse ici. Ce roman, dont la forme se serait esquissée dans la «cage» qui tenait l’écrivain prisonnier, se construit de façon à imiter le flot des pensées de ce dernier, celles-ci étant entrecoupées d’épisodes d’interrogatoires, de terreurs <em>claustrophobiques</em>, des divers déplacements du claustré, etc.: «J’aurais donné n’importe quoi pour un livre ou un somnifère. N’ayant ni l’un ni l’autre, j’ai commencé d’écrire ceci dans ma tête, sans stylo, les yeux fermés. Je souhaite que ce livre vous permette de vous évader autant que moi cette nuit-là» (p.15). Toutefois, quoique l’écriture du roman ait été entamée lors de la première nuit d’enfermement de l’auteur, celle-ci ne se termine qu’au terme de quelques jours, la garde à vue de Beigbeder ayant été prolongée. Le narrateur cherche en quelque sorte à faire croire qu’il construit son récit suivant le flux des résurgences du passé dans sa mémoire défaillante. En effet, les souvenirs qui sont évoqués suivent un certain ordre, plus ou moins cohérent, qui semble soumis au hasardeux voyage de Beigbeder dans son enfance oubliée. Néanmoins, il ne s’agit là que d’une reconstruction planifiée, soit faussement aléatoire, l’écriture du texte ne souffrant pas des failles d’un travail mémoriel ni des ruptures lui étant caractéristiques.<br /><br /><span style="color:#808080;"><strong>Un détour par l’autofiction&nbsp;</strong></span><br /><br />Bien que le pacte générique conclu avec le lecteur d’<em>Un roman français</em> soit romanesque, la page couverture portant la mention «roman», l’auteur joue avec ce pacte en employant, à plus d’une reprise, les termes «autobiographie», «autobiographique» et «autobiographe»&nbsp;pour aborder son propre texte: «Si j’ose me citer – et dans un texte autobiographique, chercher à éviter le nombrilisme serait ajouter le ridicule à la prétention […]» (p.22);&nbsp;«C’est à Bali qu’a débuté ma carrière d’autobiographe» (p.139); «C’est pour cela que j’aime l’autobiographie: il me semble qu’il y a, enfouie en nous, une aventure qui ne demande qu’à être découverte […]» (p.269).<br /><br />Certes, quelques-uns, dont Philippe Vilain dans son article «L’égo beigbederien», ont déjà qualifié l’œuvre de l’auteur de «pratique autofictionnelle» (Vilain, 2008, p.59), en raison notamment des nombreuses références – plus ou moins explicites selon la connaissance du lecteur de l’existence de l’écrivain – que Beigbeder fait à sa propre vie. Cependant, c’est la toute première fois que l’auteur s’assume narrateur-personnage de l’un de ses textes<a href="#note1a"><strong>[1]</strong></a><a name="note1"></a>. Doubrovsky, par le biais de Lejeune, nous rappelle qu’il s’agit là de la condition <em>sine qua non</em> pour que l’on puisse qualifier un texte d’autofiction:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p><br /><span style="color:#808080;">Aujourd’hui encore, il y a une confusion chez certains critiques entre roman autobiographique, autofiction, récit personnel… On tourne autour du mot, mais je crois que Philippe Lejeune l’a dit avec justesse&nbsp;: il faut que le nom propre de l’écrivain soit le nom du personnage. C’est tout ou rien, il n’y a pas de solution intermédiaire… (Doubrovsky, 2007, p.59)</span></p> </blockquote> <p><br />Ce qui est intéressant dans <em>Un roman français</em>, c’est la réflexion de l’auteur sur sa propre démarche d’écriture en ce qui a trait à son passé, réflexion qui s’étend alors à l’écriture dite «autobiographique». Selon Doubrovsky, «[l]’autofiction, c’est le moyen d’essayer de rattraper, de recréer, de refaçonner dans un texte, dans une écriture, des expériences vécues, de sa propre vie qui ne sont en aucune manière une reproduction, une photographie… C’est littéralement et littérairement une <em>réinvention</em>» (Doubrovsky, 2007, p.64). Cette idée de réinvention, Beigbeder en fait mention alors que le récit tire à sa fin:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p><br /><span style="color:#808080;">Ce qui est narré ici n’est pas forcément la réalité mais mon enfance telle que je l’ai perçue et reconstituée en tâtonnant. Chacun a des souvenirs différents. Cette enfance réinventée, ce passé recréé, c’est ma seule vérité désormais. Ce qui est écrit devenant vrai, ce roman raconte ma vie véritable, qui ne changera plus, et qu’à compter d’aujourd’hui je vais cesser d’oublier. J’ai rangé ici mes souvenirs comme dans une armoire. Ils ne bougeront plus d’ici. Je ne les verrai plus autrement qu’avec ces mots, ces images, dans cet ordre […]. (p.268)</span></p> </blockquote> <p><br />Tout le long du texte, il y a ce jeu entre réel et imaginaire, réalité et fiction. L’auteur remet sans cesse en doute ces notions, se demandant continuellement si ce qu’il raconte relève bel et bien de souvenirs réels ou s’il reconstitue, réinvente, imagine…:&nbsp;«Ai-je vécu cela ou suis-je en train d’effectuer une reconstitution historique de moi-même&nbsp;?» (p.114-115) Doubrovsky souligne que «[d]e toute façon, on se réinvente sa vie quand on se la remémore» (Doubrovsky, 2010, p.393). Selon le désormais célèbre auteur et critique, il ne saurait y avoir d’insurmontable fossé entre roman et pratique autobiographique puisqu’«[a]ucune mémoire n’est complète ni fiable […]», il n’y a que «faux souvenirs, souvenirs-écrans, souvenirs tronqués ou remaniés selon les besoins de la cause» (Doubrovsky, 2010, p.391).<br /><br />Toutefois le fait de réaliser le récit de ses origines n’implique pas seulement le narrateur. «On reproche parfois à l’autofiction de favoriser le narcissisme, l’autisme… Ce n’est pas vrai. Ainsi que le disait Camille Laurens, quand on parle de soi, on parle aussi forcément des autres» (Doubrovksy, 2007, p.65). Ainsi, Beigbeder doit aborder l’existence de tous ceux qui ont étroitement fait partie de sa vie, les membres de sa famille plus particulièrement. Bien qu’il affirme avoir&nbsp;«horreur des règlements de compte familiaux, des autobiographies trop exhibitionnistes, des psychanalyses déguisées en livres et des lavages de linge sale en public» (p.56), cela ne l’empêche pas d’écrire un texte qui implique d’autres vies que la sienne, notamment celle de son frère, de ses parents et de ses grands-parents. Il décrit, à travers divers moments de leur existence respective, l’histoire de ceux-ci: les «héros anonymes&nbsp;d’un courage inouï» (p.87) qu’ont été ses grands-parents durant la Seconde Guerre mondiale alors qu’ils ont aidé une famille de Juifs à se protéger de la menace nazie; les amoureux attendrissants qu’ont été ses parents à leurs débuts; les rôles de modèle et d’ennemi qu’a endossés son frère en alternance tout le long de sa vie, ce frère à l’opposé de qui le narrateur s’est forgé dans le seul et unique but d’en être le parfait contraire. Malgré son intrusion impudique dans la vie de ses proches, Beigbeder prend tout de même soin de mentionner que la <em>vérité</em> qui est relatée dans le récit ne relève que de lui: «Je suppose que toute vie a autant de versions que de narrateurs: chacun possède sa vérité; précisons d’emblée que ce récit n’exposera que la mienne» (p.57).<br /><br /><span style="color:#808080;"><strong>L’amnésie: une capacité ou une fatalité?</strong></span><br /><br />Ce jeu que je viens tout juste d’aborder entre réel et imaginaire, réalité et fiction, prend tout son sens, dans <em>Un roman français</em>, dans cette simple phrase: «Mon enfance est à réinventer&nbsp;: l’enfance est un roman» (p.135). La raison pour laquelle l’enfance est ici à imaginer tient dans l’amnésie du narrateur qui semble avoir complètement oublié les quinze premières années de sa vie: «Le seul moyen de savoir ce qui s’est passé dans ma vie entre le 21 septembre 1965 et le 21 septembre 1980, c’est de l’inventer» (p.135).<br /><br />Cependant, la notion même d’amnésie relève, pour le narrateur, d’une conception quelque peu ambivalente. D’une part, Beigbeder affirme que l’amnésie le frappe sans qu’il ne puisse y faire quoi que ce soit, que c’est une forme de fatalité. Alors, «[son] seul espoir, en entamant ce plongeon, est que l’écriture ranime la mémoire[,] [r]anime le souvenir» (p.21). D’autre part toutefois, il témoigne du caractère salvateur de l’amnésie: «J’ai développé une <em>capacité </em>surhumaine d’oubli, comme un <em>don</em>: l’amnésie comme talent précoce et stratégie de survie» (p.236 ; j’ai mis en italique).<br /><br />En plus de cette position plus ou moins paradoxale face à ses propres pertes de mémoire, le narrateur se contredit par rapport à sa vision globale de l’amnésie. D’un côté, il soutient ceci: «je ne mens pas par omission […]; je suis désert» (p.17). D’un autre côté, il déclare que «l’amnésie est un mensonge par omission». Puis, comme pour brouiller davantage ce concept, il révèle, en traitant alors de l’oubli qui rompait le lien avec ses souvenirs d’enfance,&nbsp;qu’il «&nbsp;étai[t] enfermé dans un mensonge&nbsp;» (p.238).<br /><br />De nombreuses hypothèses ponctuent d’ailleurs le texte en ce qui concerne l’amnésie en soi ou les raisons des pertes de mémoire du narrateur. Celui-ci se remet souvent en doute: «Il est possible que j’aie cru être amnésique alors que j’étais juste un paresseux sans imagination» (p.135). Cette amnésie, qu’elle soit volontaire ou non, qu’elle relève d’une faculté ou soit imposée comme une fatalité, est ce qui constitue la source même du récit de Beigbeder, ce dernier ayant imaginé son enfance pour combler les trous: «Toutes les enfances ne sont peut-être pas des romans mais la mienne en est un» (p.231). L’auteur, avec toute la charge de signification que cela suppose, nous raconte sa vie «[t]elle qu[’il l’a] vécue: un roman français» (quatrième de couverture). &nbsp;<br /><br /><span style="color:#808080;"><strong>Le (prétendu) miracle de l’écriture</strong></span><br /><br />Dès le départ, le dénouement du récit est prévisible: «Je prie pour que le miracle advienne ici, et que mon passé se développe petit à petit dans ce livre, à la façon d’un polaroïd» (p.22). Puisqu’il y a un récit, le lecteur se doute d’emblée que le texte révèlera au narrateur ses souvenirs oubliés. Ceux qui connaissent les romans de Beigbeder ne sauraient être surpris de ce manque de raffinement qui caractérise la démarche entamée dans le texte. Il n’est effectivement pas rare que les narrateurs mis en scène par l’écrivain manipulent leur histoire de façon à créer certains effets, à «contrôler» en quelque sorte la réception du lecteur<a href="#note2a" name="note2"><strong>[2]</strong></a>: les narrateurs cherchent ainsi à choquer ou à insulter, à inspirer la pitié ou la compassion, à susciter le mépris ou le dégout, à séduire, à repousser, à faire réfléchir…, et ce, en mettant de l’avant, plus ou moins explicitement, les stratégies employées dans le but d’obtenir les effets recherchés. Alors, lorsque le narrateur affirme que l’«écriture possède un pouvoir surnaturel» (p.21) et aborde les phénomènes de réminiscences involontaires qui ont frappé certains auteurs, dont Proust, le lecteur sait d’avance ce qui adviendra. Certains clins d’œil de la part de l’auteur confirme cette idée de <em>stratégie</em>:&nbsp;«(Note de l’auteur de moins en moins amnésique à mesure que son récit approche de son dénouement)» (p.214).<br /><br /><em>Un roman français</em> est alors ponctué de résurgences diverses, de souvenirs qui réapparaissent comme des «boomerang[s] spatio-temporel[s]» (p.175). Le simple fait d’être enfermé semble permettre le retour du passé oublié, «il suffit d’être en prison et l’enfance remonte à la surface» (p.46). Même s’il affirme à de nombreuses reprises que rien ne lui revient jamais, que son enfance demeure une énigme, que ses souvenirs relèvent du domaine de l’inaccessible, le narrateur parvient à recoller les morceaux du «puzzle» (p.174). Il suffisait de le priver de sa liberté: «Tapez sur la tête d’un écrivain, il n’en sort rien. Enfermez-le, il recouvre la mémoire» (p.128).<br /><br />Si l’on pouvait classifier, en suivant l’idée de Doubrovsky, les auteurs en deux types, soit les écrivains «à programme» et ceux «à processus», Beigbeder se classerait certes lui-même dans la seconde catégorie, qui ne peut toutefois l’accueillir. L’écrivain à programme planifie son œuvre alors que l’écrivain à processus se laisse guider par elle, «les mots avec lesquels ce récit est écrit surgiss[ant] d’eux-mêmes, […] s’appel[ant] les uns les autres par consonance» (Doubrovsky, 2010, p.389). Le titre de cette lecture, «<em>Un roman français</em>: un phénomène de réminiscence planifié», est représentatif de cette erreur de classement, Beigbeder étant un faux écrivain à processus, donnant à son texte l’apparence d’un flot de pensées spontané et irréfléchi alors que celui-ci est organisé et calculé.</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p><br />J’hallucine. Je lui cite la seule phrase de Giono dont je me souvienne&nbsp;: «&nbsp;Mon livre est fini, je n’ai plus qu’à l’écrire.&nbsp;» Elle résume bien ma situation présente. Le flic me vante l’influence de la privation de liberté sur l’écriture romanesque. Je le remercie pour l’étroitesse des conditions de ma garde à vue, qui contribue effectivement à épanouir mon imaginaire. (p.93)</p> </blockquote> <p><br />C’est en effet l’imaginaire de Beigbeder, et non sa mémoire, qui semble au final sous-tendre l’écriture d’<em>Un roman français</em>. «Tapez sur la tête d’un écrivain, il n’en sort rien. Enfermez-le» (p.128), il écrit un roman.</p> <p>&nbsp;</p> <hr /> <p><strong>Bibliographie</strong></p> <p><br />BEIGBEDER, Frédéric (2009). <em>Un roman français</em>, Paris, Grasset, 281 p.<br />BEIGBEDER, Frédéric (2000). <em>99 F</em>, Paris, Gallimard, collection «&nbsp;folio&nbsp;», 304 p.<br />BEIGBEDER, Frédéric (1997). <em>L’Amour dure trois ans</em>, Paris, Grasset, 194 p.<br />DOUBROVSKY, Serge (2010). «Le dernier moi», dans Claude Burgelin, Isabelle Grell et Roger-Yves Roche (dir.), <em>Autofiction(s). Colloque de Cerisy 2008</em>, Lyon, Presses Universitaires de Lyon, p.383-393.<br />DOUBROVSKY, Serge (2007).&nbsp;«Les points sur les "i"», dans Jean-Louis Janelle et Catherine Viollet (dir.), <em>Genèse et autofiction</em>, Louvain-la-Neuve, Academia-Bruylant, p.53-65.<br />VILAIN, Philippe (2008). «L’ego beigbederien», dans Alain-Philippe Durand (dir.), <em>Beigbeder et ses doubles</em>, Amsterdam, Rodopi, p.59-60.</p> <p><strong><a href="#note1">[1]</a><a name="note1a"></a> </strong>Il s’agit en fait de la première fois que Beigbeder s’assume narrateur-personnage de l’un de ses textes si l’on exclut le bref épisode qui conclut L’amour dure trois ans dans lequel Beigbeder affirme clairement ceci&nbsp;: «Marc Marronnier est mort. Je l’ai tué. À partir de maintenant il n’y a plus que moi ici et moi je m’appelle Frédéric Beigbeder.» (Beigbeder, 1997, p.193)</p> <p><a href="#note2"><strong>[2]</strong></a><a name="note2a"></a> <em>99 F</em> est sans doute le meilleur exemple. Octave, le narrateur, y met de l’avant toutes les stratégies, notamment de manipulation, qu’il emploie, entre autres par rapport à sa démarche d’écriture.</p> <p><br /><br />*<em>Ce texte intègre l’orthographe recommandée (ou nouvelle orthographe).</em><br />&nbsp;</p> http://salondouble.contemporain.info/lecture/un-roman-fran-ais-un-ph-nom-ne-de-r-miniscence-planifi#comments Ambiguïté Autofiction Autofiction Autoréflexivité Autorité narrative BEIGBEDER, Frédéric DOUBROVSKY, Serge France Identité LEJEUNE, Philippe Mémoire Narrativité Roman Mon, 01 Oct 2012 13:45:17 +0000 Simon Brousseau 592 at http://salondouble.contemporain.info Comme un long striptease http://salondouble.contemporain.info/lecture/comme-un-long-striptease <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/landry-pierre-luc">Landry, Pierre-Luc </a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-biblio"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/biblio/premier-bilan-apr-s-lapocalypse">Premier bilan après l&#039;apocalypse</a> </div> </div> </div> <!--break--><!--break--> <p><em>Premier bilan après l’apocalypse</em>, c’est d’une certaine façon un écho de Beigbeder à son <em>Dernier inventaire avant liquidation</em>, paru dix ans plus tôt, dans lequel il commentait la liste des «50 livres du siècle» tels que choisis par 6 000 Français, lecteurs du journal <em>Le Monde</em> et clients de la FNAC. Cette fois-ci, Beigbeder se fait plaisir: il présente à son lecteur non pas une liste de romans choisis par un vote populaire, mais plutôt ses 100 livres préférés, «À LIRE SUR PAPIER AVANT QU’IL NE SOIT TROP TARD» (p.21).</p> <p><span style="color:#a9a9a9;"><strong>«L’apocalypse» numérique</strong></span></p> <p>On pourrait gloser longtemps sur la nostalgie un peu clichée qu’affecte Beigbeder dans son «Making of», sorte de préface où il oppose bêtement le livre numérique au livre papier et où il exprime un fétichisme lui aussi convenu pour le format qu’il considère à l’article de la mort<a href="#_ftn1" name="_ftnref1" title="">[1]</a>: Beigbeder y fait rimer numérique avec «bêtise» (p.26) et annonce une Apocalypse «d’amnésie et de vulgarité» (p.26). On pourrait dénoncer les raccourcis qu’il emprunte, les comparaisons bâclées qu’il sert à ses lecteurs, ainsi que le manichéisme de sa prise de position. Mais laissons ces considérations à d’autres, notamment à François Bon —qui se passe ici de présentation—, apôtre du tout numérique dont le dernier bouquin, <em>Après le livre</em>, aborde justement cette question. Messieurs Bon et Beigbeder discutent d’ailleurs du sujet dans un entretien publié sur le site Internet de <em>L’Express</em> et que l’on peut lire en suivant le lien fourni ici (Martinet, 2001: [<a href="http://www.lexpress.fr/culture/livre/frederic-beigbeder-face-a-francois-bon-le-livre-numerique-est-il-une-apocalypse_1051089.html">en ligne</a>]). On pourrait applaudir, toutefois, le pessimisme lucide —qu’on me passe l’expression légèrement oxymorique— de certains de ses arguments, comme celui concernant «le syndrome de déconcentration qui touche de plus en plus de victimes des ordinateurs, [et qui] est démultiplié lorsqu’on lit sur une tablette qui reçoit des e-mails, des vidéos, des chansons, des chats, des posts, alertes, skype, tweets, et des beeps et des blurps, sans compter les virus et les pannes qui vous interrompent en plein monologue intérieur de Molly Bloom» (p.19).</p> <p>Il y a malgré tout une certaine étroitesse d’esprit de la part de Beigbeder dans cet essai, mais elle ne se fait sentir que dans l’introduction fataliste dans laquelle il condamne à la fois le numérique et la «culture-buffet», pour reprendre un terme de Michel Biron (2010: 7), que cette nouvelle ère permet ou encourage:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p style="margin-left:2.0cm;"><span style="color:#a9a9a9;">Un roman de papier ne s’écrivait pas comme un script sur Word. On ne lisait pas sur papier comme on zappe sur un écran. On n’écrivait pas au stylo comme on tape sur un clavier. L’écriture et la lecture sur papier avaient une lenteur qui leur conférait une noblesse: en aplanissant toutes les formes d’écriture, l’écran les rend interchangeables. Le génie est ravalé au rang d’un simple blogueur. Léon Tolstoï ou Katherine Pancol sont identiques, inclus dans le même objet. L’écran est… communiste! Tout le monde y est logé à la même enseigne, lisible dans la même police: la prose de Cervantès est ravalée au même rang que Wikipédia. Toutes les révolutions ont pour but de détruire les aristocraties (p.16-17).</span></p> </blockquote> <p>Car le palmarès dressé par Beigbeder est loin d’être conservateur: en témoigne la présence du premier album du groupe Téléphone, des poèmes de Cocteau, du journal de Kurt Cobain et, en première position, du roman <em>American Psycho</em> de Bret Easton Ellis. Beigbeder a osé davantage que les 6 000 Français qui se sont prêtés à l’exercice dix ans plus tôt en présentant, oui, certains romans très souvent cités dans des palmarès du genre, mais aussi des oubliés, des marginaux, des recueils de poèmes, des journaux, des autobiographies, et même un album rock. J’aborderai donc l’essai de Beigbeder par d’autres voies que celles que la préface peut mettre de l’avant, en l’occurrence par celle de la réflexion qu’il propose, en filigrane, sur la littérature contemporaine.</p> <p><span style="color:#a9a9a9;"><strong>Une certaine littérature contemporaine</strong></span></p> <p>En effet, il est possible d’aborder ce livre par ce qu’il dit de Beigbeder et, par extension, par ce qu’il dit de la littérature, notamment d’une certaine littérature contemporaine. <em>Premier bilan après l’apocalypse</em>, au final, c’est un long striptease pendant lequel on en apprend tout autant sur Beigbeder que sur les romans qu’il a choisi de faire figurer dans ce grand palmarès. On y voit, bien sûr, qu’il a un faible pour un certain type de littérature qu’il produit lui-même, qu’il a un faible pour les drogués, les alcooliques, les paumés, les auteurs morts jeunes, les homosexuels, les dandys, les provocateurs, etc. Il s’intéresse aux personnages malheureux, désespérés, aux bourgeois en crise, peu importe de quel côté de la page ils se trouvent. Il cherche aussi à retracer les filiations symboliques qui traversent le XX<sup>e</sup> siècle; c’est la figure tutélaire de Francis Scott Fitzgerald —et non pas celle d’Ernest Hemingway comme on aurait pu s’y attendre— qui domine ce bilan.</p> <p>Beigbeder a un parti pris pour les auteurs vivants, malgré ce qui a été énoncé plus haut. Il dénonce d’ailleurs le peu d’attention qu’ils reçoivent de la part des historiens de la littérature:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p style="margin-left:2.0cm;"><span style="color:#a9a9a9;">Je dois beaucoup à mes contemporains: je ne vois pas pourquoi la plupart des historiens de la littérature punissent certains auteurs d’être toujours en vie. […] L’avantage des auteurs vivants, c’est qu’on peut les croiser, devenir leur copain ou leur ennemi, leur poser des questions sur leur méthode de travail et (éventuellement) écouter leurs réponses, s’influencer, se comparer, s’estimer, se disputer, se réconcilier, coucher avec, vomir dessus. Une bonne partie des auteurs cités dans mon hit-parade n’ont jamais été mentionnés dans aucun essai littéraire. […] [P]endant que la littérature française s’endormait sur ses lauriers depuis la mort de Proust, Céline, Sartre et Camus, un certain nombre d’auteurs étrangers l’ont réveillée, et une bande d’écrivains français est née de ce bazar planétaire nommé mondialisation. Cette génération […] est en train de s’imposer petit à petit, à l’usure, un peu partout dans le monde […]. Pour la première fois, les voici tous (français et étrangers) inventoriés par un petit confrère qui a contribué, quelquefois, par son agitation désordonnée, à en révéler certains (p.22-23).</span></p> </blockquote> <p>À travers la présentation de ses 100 livres préférés, Beigbeder réfléchit inévitablement à l’époque contemporaine et aux défis auxquels la littérature doit faire face. Par exemple, à propos de Viktor Pelevine, il pose la question suivante: «comment raconter des histoires à des gens qui en ont marre qu’on leur raconte des histoires?» (p.36) La question est juste, et il propose une piste de solution à partir de la démarche d’écriture et des romans de l’écrivain russe. Selon Beigbeder, Pelevine a trouvé la façon d’éviter cet écueil du contemporain en décrivant «un monde où tout s’équivaut»:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p style="margin-left:2.0cm;"><span style="color:#a9a9a9;">Quand on a vécu la chute du communisme, puis l’explosion de Tchernobyl et de l’oligarchie, on n’a plus confiance en rien. […] Pelevine pond une littérature onirique et transsexuelle, où les contrôles d’identité sont permanents, entrelardés de délires mêlant <em>Matrix</em> et Tolstoï. Ses personnages passent leur temps à contrôler leurs papiers d’identité comme pour se rassurer de leur propre existence (p.36).</span></p> </blockquote> <p>Néanmoins, un peu plus loin, Beigbeder suggère que «l’amour reste le meilleur sujet de littérature, peut-être même le seul» (p.51). «Sans amour, pas de romans» (p.51), ajoute-t-il, ce qui semble aller un peu à l’encontre de ce qu’il avait affirmé tout juste quelques pages plus tôt à propos de Pelevine. La question se pose en effet&nbsp;: si l’amour est possible dans un univers déjanté comme celui que met en scène l’auteur russe dans ses fictions, lui est-il essentiel pour autant? Chose certaine, on voit mal comment raccorder la production romanesque plutôt <em>trash</em> de Pelevine aux romans, par exemple, de Françoise Sagan et de Colette, que Beigbeder encense également. Aussi, il considère que «tous les grands livres racontent la même chose: comment leur auteur est devenu un écrivain. Tous les grands livres racontent pourquoi ils sont des grands livres: pour combler le vide, sans y parvenir» (p.141). Reste que, pour Beigbeder —et ça se sent—, c’est le <em>trash</em> qui sauvera la littérature<a href="#_ftn2" name="_ftnref2" title="">[2]</a>. Il écrit:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p style="margin-left:2.0cm;"><span style="color:#a9a9a9;">Dans un entretien resté mythique, Ballard a déclaré (et tous ceux qui désirent comprendre quelque chose à la littérature du XXI<sup>e</sup> siècle feraient bien de recopier ceci noir sur blanc dans leurs petits calepins): «Je crois à mes obsessions personnelles, à la beauté de l’accident de voiture, à la paix de la forêt engloutie, à l’émoi des plages estivales désertes, à l’élégance des cimetières de voitures, au mystère des parkings à étages, à la poésie des hôtels abandonnés.» Il aurait pu ajouter les hélicoptères foudroyés, les tsunamis atomiques, les publicités tridimensionnelles, les attentats télévisés, les mannequins en plastique, et «les autoroutes filant au-dessus de nos têtes» (p.97).</span></p> </blockquote> <p>Beigbeder propose sa propre vision de la littérature du XXI<sup>e</sup> siècle, hystérique, plurielle, hallucinée. Pour lui, c’est Bret Easton Ellis, qui figure deux fois dans le palmarès —et qui occupe entre autres la première position—, qui a inventé le roman du XXI<sup>e</sup> siècle: «Eh bien, oui: ce schizophrène bisexuel a INVENTÉ, vous m’entendez, INVENTÉ le roman du XXI<sup>e</sup> siècle et n’a pas l’intention de changer son fusil d’épaule. Sa force est justement de ne pas se déjuger, de creuser le même sillon, toujours plus superficiellement profond. Aucun écrivain de la planète n’ose aller aussi loin dans l’étalage du N’IMPORTE QUOI» (p.106).</p> <p>Ce «n’importe quoi» que prône Beigbeder, l’absurde et le chaos qui semblent lui plaire particulièrement dans les romans de son palmarès, sont possibles aujourd’hui puisqu’il endosse l’idée que l’humanité a connu sa fin, en quelque sorte, au XX<sup>e</sup> siècle. En effet, «[u]n autre Livre [que la Bible] raconte la fin de l’humanité» (p.198): <em>Si c’est un homme</em> de Primo Levi. «Si l’on lit ces deux livres, on a tout lu, ajoute-t-il. Entre les deux, il y eut l’homme.» (p.198) Il ajoute: «Depuis 1944, nous vivons sans pourquoi. Nous sommes devenus des post-humains, des zombies, des clones, des robots, des individus matériels, des hédonistes égoïstes, des mammifères» (p.199). Ici, Beigbeder rejoint peut-être un peu Richard Millet, qui titrait son dernier essai ainsi: <em>L’enfer du roman. Réflexions sur la postlittérature </em>(2010). Bien que les deux auteurs partagent une certaine opinion du numérique —et on peut lire le texte que Manon Auger et moi avons publié ici même, au <em>Salon</em>, pour le constater (Auger et Landry, 2011: [<a href="../../lecture/dans-le-vestibule-de-lenfer">en ligne</a>])—, Beigbeder s’éloigne la plupart du temps de la position réactionnaire et cynique de Millet<a href="#_ftn3" name="_ftnref3" title="">[3]</a>, notamment en ce qui concerne les programmes de «creative writing» offerts dans les universités étasuniennes, que Millet décriait et à propos desquels Beigbeder affirme que la technique «ne doit pas être une entourloupe si l’on en juge par la quantité de bons écrivains qu’elle produit en Amérique depuis trente ans» (p.319).</p> <p><span style="color:#a9a9a9;"><strong>Beigbeder superlatif</strong></span></p> <p>Dans la dernière ligne droite de son palmarès, à partir de la 15<sup>e</sup> position, Beigbeder se déchaîne: les superlatifs pleuvent, et l’auteur se permet <em>d’affirmer</em>.&nbsp;</p> <p>Il sacre <em>Paludes</em> d’André Gide «premier récit du XX<sup>e</sup> siècle» (p.409). Si, pour Beigbeder —et pour plusieurs autres critiques, cette opinion étant assez répandue—, «[d]epuis ses origines, le roman rabâche <em>Don Quichotte</em>» (p.410), c’est depuis <em>Paludes</em> «que la littérature a le droit de pratiquer le second degré» (p.410). C’est une chose attestée en effet que Gide aurait été «l’inventeur», en quelque sorte, de la mise en abyme, du moins serait-il celui qui aurait nommé le procédé ainsi dans son <em>Journal</em>. Beigbeder va plus loin, toutefois, et ajoute que <em>Paludes</em> a changé la façon dont on lit la littérature. Il s’agirait donc, véritablement, du premier roman du XX<sup>e</sup> siècle. Publié en 1895, «<em>Paludes</em> est à la fois un point de départ et un point d’arrivée. <em>Paludes</em> ne sert qu’à être <em>Paludes</em>: le livre composite, imparfait, vain, le plus cohérent, parfait et indispensable de ma bibliothèque» (p.411). Ce <em>Jacques le fataliste </em>du XX<sup>e</sup> siècle ouvre la voie et s’impose, pour Beigbeder, au numéro 3 de son palmarès, comme roman ayant entamé le siècle.</p> <p>«[L]e livre le plus branché de 2011 a été écrit en 1965» (p.377), affirme Beigbeder. Ce livre, c’est à Georges Perec qu’on le doit: <em>Les Choses</em>, pour Beigbeder, parle définitivement de notre époque:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p style="margin-left:2.0cm;"><span style="color:#a9a9a9;">Saurons-nous échapper aux choses? Il m’est arrivé d’évoquer la guerre entre l’écrit et l’image; il est évident qu’une autre guerre est déclarée entre l’homme et les machines. Dans le premier <em>Terminator</em> (1984), le grand film de James Cameron avec Arnold Schwarzenegger, les machines prenaient le pouvoir. Vous vous souvenez? Un ordinateur géant nommé Skynet asservissait les êtres humains et lançait les vilains Terminators à leurs trousses pour les exterminer. Savez-vous quelle était la date de leur victoire dans le film? Le 29 août 1997. Il y a quatorze ans. Plutôt flippant, non? Aujourd’hui Facebook dévoile notre vie privée, le livre numérique veut remplacer le livre papier, les centrales nucléaires menacent d’exploser, Google privatise la mémoire du monde. Perec avait raison de se méfier des choses: elles voulaient notre place, et elles l’ont obtenue (p.378-379).</span></p> </blockquote> <p>Bien que cette vision des choses soit bourrée de raccourcis (Facebook ne dévoile que ce que l’on veut bien dévoiler, après tout…), reste que la lecture contemporaine d’un roman de <a>1965</a> <a>en </a><a>dit</a> <a>beaucoup </a>sur l’actualité de Perec. N’empêche que ce ne sont pas <em>Les Choses</em> qui closent le XX<sup>e</sup> siècle, mais bien plutôt <em>American Psycho</em> d’Ellis, numéro 1 du palmarès, qui vient «assassiner» le siècle selon Beigbeder. «Tout est là» (p.418), affirme-t-il: «<em>American Psycho</em> est le meilleur roman du XX<sup>e</sup> siècle car il a digéré tous les autres. […] C’est ce roman qui a donné de la force et de l’ambition au roman du XXI<sup>e</sup> siècle[.] […] [P]ersonne ne peut plus faire comme si <em>American Psycho</em> n’avait pas tout changé» (p.420-421). On peut ne pas être d’accord avec Beigbeder, mais mon objectif ici n’est pas de discuter de son effort de catégorisation. Pour lui, c’est véritablement Ellis qui vient clore le siècle. Et puisqu’un siècle vient de se terminer, un autre peut s’entamer.</p> <p>Le XXI<sup>e</sup> siècle, donc, débute selon Beigbeder avec Édouard Levé et son <em>Autoportrait</em> publié en 2005. Ce livre est écrit d’une façon plutôt particulière: il suit les méandres du monologue intérieur non pas à la manière de Joyce et des autres, mais en utilisant un procédé accumulatif dans lequel les phrases se suivent mais ne se ressemblent pas, n’ont pas nécessairement de lien entre elles. Pour Beigbeder, «[c]ette trouvaille est peut-être la plus importante dans le roman français depuis le Nouveau Roman» (p.349). Le numéro 15 du palmarès ouvre un nouveau siècle, comme <em>Paludes </em>l’avait fait 110 ans auparavant:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p style="margin-left:2.0cm;"><span style="color:#a9a9a9;">Toute personne qui ouvre ce livre comprendra immédiatement son originalité: chaque phrase est unique, personnelle, non liée à la précédente, et cependant l’ensemble est un miroir. C’est une installation d’art contemporain drolatique et intime. C’est surtout l’un des textes les plus novateurs publiés dans les années zéro. Si <em>Paludes</em> est le premier livre du XX<sup>e</sup> siècle, l’<em>Autoportrait</em> de Levé est peut-être le <em>Paludes</em> du XXI<sup>e</sup> (p.350).</span></p> </blockquote> <p><span style="color:#a9a9a9;"><strong>Pour conclure</strong></span></p> <p>Au final, c’est une lecture du présent à travers la littérature d’un passé somme toute assez proche que Beigbeder propose dans <em>Premier bilan après l’apocalypse</em>. Qu’on soit d’accord ou pas avec les théoriciens qui affirment que la «fin du monde» littéraire a eu lieu au XX<sup>e</sup> siècle et avec l’idée que le numérique annonce la fin du livre, on trouve indéniablement un certain plaisir à lire cet essai-palmarès. Si j’en ai proposé une lecture immanente et rapide, me contentant parfois de résumer les propos de l’auteur, c’est parce que c’est ainsi qu’il est intéressant de lire l’essai de Beigbeder: comme s’il s’agissait, après tout, d’une biographie, d’un essai personnel, d’un livre dans lequel il nous parle de lui et de lui seul, mais à travers les livres qu’il a aimés. Parce que, bien sûr, on sort de ce <em>Premier bilan après l’apocalypse</em> avec l’envie d’aller lire autre chose, quelques-uns des romans qui auront été abordés dans ce palmarès, mais on en sort aussi avec une connaissance accrue de l’auteur, du personnage, connaissance qui nous invite peut-être à lire ou relire son œuvre à l’aune des révélations qui auront été faites au fil de l’essai. Beigbeder en est d’ailleurs conscient, nul doute là-dessus. Dans son <em>Dernier inventaire avant liquidation</em>, il annonçait noir sur blanc qu’un&nbsp;«critique est un lecteur comme les autres: lorsqu’il donne son avis, favorable ou défavorable, il n’engage que lui-même, et encore, une de ses nombreuses facettes contradictoires» (Beigbeder, 2001: 16). <em>Premier bilan après l’apocalypse</em>, c’est comme si Beigbeder s’était <em>mis à nu</em> pendant un long striptease qui aura duré tout un siècle, un siècle vu à travers 100 romans.</p> <p>&nbsp;</p> <p><span style="color:#808080;"><strong>Bibliographie</strong></span></p> <p>Manon AUGER et Pierre-Luc LANDRY (2011), «Dans le “vestibule de l’enfer”», dans <em>Salon double, observatoire de la littérature contemporaine</em>, [en ligne]. <a href="../../lecture/dans-le-vestibule-de-lenfer">http://salondouble.contemporain.info/lecture/dans-le-vestibule-de-lenfer</a> [Texte paru en ligne le 4 avril 2011].</p> <p>Frédéric BEIGBEDER (2001), <em>Dernier inventaire avant liquidation</em>, Paris, Gallimard (Folio).</p> <p>Frédéric BEIGBEDER (2011), <em>Premier bilan après l’apocalypse</em>, Paris, Grasset.</p> <p>Michel BIRON (2010), <em>La conscience du désert. Essais sur la littérature au Québec et ailleurs</em>, Montréal, Boréal (Papiers collés).</p> <p>François BON (2011), <em>Après le livre</em>, Paris, Seuil.</p> <p>Laurent MARTINET (2011), «Frédéric Beigbeder face à François Bon: le livre numérique est-il une apocalypse?», dans <em>L’Express</em>, [en ligne].&nbsp; <a href="http://www.lexpress.fr/culture/livre/frederic-beigbeder-face-a-francois-bon-le-livre-numerique-est-il-une-apocalypse_1051089.html">http://www.lexpress.fr/culture/livre/frederic-beigbeder-face-a-francois-bon-le-livre-numerique-est-il-une-apocalypse_1051089.html</a> [Texte paru en ligne le 15 novembre 2011].</p> <p>Richard MILLET (2010), <em>L’enfer du roman. Réflexions sur la postlittérature</em>, Paris, Gallimard.</p> <div><br clear="all" /><br /> <hr align="left" size="1" width="33%" /> <div id="ftn1"> <p><a href="#_ftnref1" name="_ftn1" title="">[1]</a> Au passage, on pourrait aussi lui reprocher que sa nostalgie ne soit pas dirigée vers des questions plus pressantes, comme celle de la survie du français, alors qu’il adopte des expressions anglophones («Making of», par exemple)&nbsp;là où il pourrait facilement utiliser des termes équivalents en français. Mais ce serait une tout autre question…</p> </div> <div id="ftn2"> <p><a href="#_ftnref2" name="_ftn2" title="">[2]</a> On voit bien à la lecture des commentaires de Beigbeder que l’amour est possible dans le <em>trash</em> et que l’un n’exclut pas l’autre. Toutefois, même s’il affirme que l’amour est le seul sujet possible de toute littérature, reste qu’il insiste davantage sur le pouvoir salvateur des esthétiques déjantées, qui viendront selon lui sauver la littérature.</p> </div> <div id="ftn3"> <p><a href="#_ftnref3" name="_ftn3" title="">[3]</a> S’il manque de nuance et adopte une position très pamphlétaire en introduction, Beigbeder n’exploite pas ce filon dans le reste de son ouvrage et se contente de révéler ses goûts en matière de lecture, son (humble) opinion sur la littérature du XX<sup>e</sup> siècle.</p> </div> </div> <div> <hr align="left" size="1" width="33%" /> <div> <div id="_com_1"> <p>&nbsp;</p> </div> </div> </div> <p>&nbsp;</p> http://salondouble.contemporain.info/lecture/comme-un-long-striptease#comments AUGER, Manon et LANDRY, Pierre-Luc BEIGBEDER, Frédéric BON, François Contemporain Critique littéraire Culture numérique Déclin de la littérature France MARTINET, Laurent MILLET, Richard Essai(s) Tue, 29 Nov 2011 19:17:25 +0000 Pierre-Luc Landry 415 at http://salondouble.contemporain.info