Une filiation homicide

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Référence bibliographique: 
New York, Harper Perennial, 2004
400 pages.

 

Septième roman très médiatisé de Lionel Shriver, We Need to Talk about Kevin raconte du point de vue de la mère du meurtrier, Eva Khatchadourian, les événements qui surviennent après un massacre dans une école secondaire. Eva décrit la réaction des gens qui la croisent à l’épicerie, le comportement des journalistes et des documentaristes qui la contactent et l’entrevue donnée par son fils coupable à la télévision. Le récit se construit à partir de lettres qu’elle adresse à son ex-mari, le père de Kevin. Puisque celles-ci ne seront jamais envoyées à leur destinataire, comme nous l’apprenons à la fin du livre, la narratrice se révèle plus diariste qu’épistolière. Alors qu’Eva défend férocement dans ses écrits ses intuitions au sujet de la monstruosité de son fils, qu’elle prétend avoir cernée aux premiers jours de son existence, elle s’attribue toutefois certaines responsabilités et critique sans ménagement ses aptitudes de mère. Sa réflexion passe sans crier gare d’une théorie de la nature maléfique de Kevin à une analyse de son fils comme animal social dont la personnalité fut engendrée par son milieu de vie. Shriver use avec brio de l’ambigüité permise par la littérature pour enrichir l'étude menée par son personnage. Le féminisme reçoit le même traitement : Eva critique avec gravité certaines inégalités hommes-femmes tout en attaquant sa propre vie de femme professionnelle émancipée. Au contraire de son ex-mari qu’elle présente comme un imbécile optimiste, incapable de voir le caractère dangereux de Kevin, Eva est une pessimiste lucide sans pitié pour elle-même et pour son entourage. Le jour du deuxième « anniversaire » du massacre, Eva visite son fils en prison. La complexité de leur relation se révèle alors à elle. Elle comprend qu’elle arrive à aimer encore son fils et que ce dernier a conduit à son aboutissement, à travers son geste infâme, une logique de la détestation du monde qu’elle lui a transmise bien malgré elle.