Une visite chez Ta mère
La jeune maison d'édition Ta mère propose un catalogue varié, regorgeant de curiosités délicieuses. Certains de leurs plus récents titres ont comme point commun d'avoir pris le beau risque d'ouvrages collaboratifs; Raymond Bock et Alexie Morin ont dirigé le projet Maison de vieux, recueil de nouvelles portant sur l'âge d'or; Mathieu Handfield et Maxime Raymond ont coordonné Les cicatrisés de Saint-Sauvignac, roman écrit à huit mains; finalement, Benoit Tardif, directeur artistique de Ta mère, a illustré les quatre récits écrits par Jean-Phillippe Baril Guérard et recueillis dans Ménageries.
Chaque projet est agréablement réussi et tire parti du travail d'équipe qui y est déployé. En effet, les treize textes de Maison de vieux explorent une pluralité de points de vue sur la vieillesse avancée; du plus émouvant chez William S. Messier, au plus déjanté chez Julien-Pier Boisvert; du lexical avec Isabelle Claude dit Grandjean, au bref avec Sandrine Galand. La richesse du recueil vient de ces points de vue croisés, qui viennent parfois renforcer les idées reçues sur les maisons de retraite et parfois les complexifier par un regard de biais.
Le jeu sur les rapports texte-image déployé dans Ménageries se base également sur la complémentarité. Plutôt que de servir de contrepoints l'un à l'autre, texte et image adoptent tous deux une approche faussement simpliste. Le langage gras, sale et assumé qu'emploie Jean-Phillippe Baril Guérard, par ailleurs parfaitement maîtrisé, met en mots des récits anecdotiques qui en disent long sur les moralités corrompues et rapprochent beaucoup l'humain de la bête. Il en est de même pour les illustrations de Benoit Tardif, exécutées dans un style limpide et direct.
La palme de la collaboration revient toutefois aux quatre auteurs du projet Les cicatrisés de Saint-Sauvignac. Relatant une année dans un village de région où la création d'un parc aquatique aura des retombées inattendues, le roman en quatre chapitres adopte le point de vue de quatre narrateurs différents appartenant au même univers diégétique et crée des effets multifocaux riches. Chaque auteur parvient à donner une voix singulière au narrateur de son chapitre tout en atténuant son propre style, de manière à conserver une unicité forte pour l'ensemble de l'oeuvre. Roman mélangeant histoire d'amour, eugénisme, illumination religieuse, pornographie, et j'en passe, Les cicatrisés est une lecture aussi jouissive qu'époustouflante.
Comme quoi, Ta Mère a des recettes (littéraires) inimitables.
Lisez l'entretien de Salon double avec Ta Mère ici.