L’une des principales innovations de Second Life (la seule, diraient les mauvaises langues) tient à l’invention d’une “monnaie virtuelle” , le Linden dollar. Grâce à lui on peut acheter et vendre sur Second Life des biens tout aussi virtuels que la monnaie. L’existence “d’économies parallèles” dans les mondes synthétiques sera peut être l’un des changements sociaux les plus importants du prochain siècle. Pourra-t-on vivre plusieurs vies dans différents mondes, se comporter en “nouvel émigrant” dans certains d’entre eux, s’installant dans un pays vierge pour faire fortune ? Ces différentes monnaies seront-elles aisément convertibles ? Pourra-t-on s’enrichir “pour de vrai” en convertissant ses fortunes virtuelles en monnaie réelle ?
Ici encore, les visions sont contradictoire, et le “buzz”, la “hype”, ne font rien pour arranger les choses. ll y a quelques semaines encore, il n’y avait rien de plus branché pour une entreprise qu’installer des bureaux dans Second Life. Un peu plus tard tout dégringole. Ainsi le cabinet de consultants Gartner, après avoir chanté les mérites de Second Life, découvre soudain les dangers du monde virtuel et conseille la plus grande des prudences.
Pour un analyste financier comme Randolph Harrison, l’économie de Second Life ne doit pas faire illusion. Il s’agirait en fait d’un système pyramidal, comme celui proposé par certaines chaines de lettres ou de produits : autrement dit, une quasi arnaque. En réalité, seuls quelques chanceux pourraient réellement tirer quelques bénéfices du système en place.
Tout le monde ne partage pas l’opinion de Harrison, qui confie sur son blog avoir reçu bon nombre de lettres contestant férocement son analyse. Un grand théoricien de l’économie virtuelle (quasiment le fondateur du domaine), Edward Castronova, n’accepte pas non plus la vision pyramidale dénoncée par Harrisson. Selon lui, l’erreur commise par ce dernier est d’imaginer Second Life comme une économie analogue à celle des Etats-Unis, pour constater alors qu’elle ne suit pas les lois d’un marché aussi global. Pour Castronova, Second Life n’est rien d’autre qu’un petit village, avec des ressources réelles, mais limitées. “Ce n’est pas une arnaque, c’est une économie villageoise”, affirme-t-il. Il ne s’agit pas, ajoute-t-il, “d’un “schéma pyramidal” mais d’une mini-ruée vers l’or. L’or existe et possède une authentique valeur. L’erreur consiste à penser qu’il y en a pour tout le monde. Castronova met en garde contre l’apparition d’une éventuelle “anti-hype”, aussi déséquilibrée que l’enthousiasme qui l’a précédée, et qui pourrait faire de “2007 l’année du crash des mondes virtuels (…) tout ça parce que SL ressemble plus à Mayberry (NDT : un petit village fictif d’une série télé américaine) qu’à Manhattan.”
Reste à comprendre le statut d’une économie “virtuelle” par rapport son équivalent “réel”. Comment des monnaies “jouets” comme le Linden dollar ou l”or” de World of Warcraft peuvent-ils se mettre à peser sur le commerce mondial ? Comment est on passé du “faire semblant” au “pour de vrai” ?
Dans un monde où l’entertainment devient une préoccupation majeure, la capacité de se distraire devient une source réelle de richesses. A l’heure actuelle, les internautes ont dépensé 1,5 milliard de dollars en objets virtuels, nous explique Suzan Wu, de la société de capital-risque Charles River Ventures. Une dépense qui pourrait sembler inconsidérée, mais qui possède ses bonnes raisons : en réalité, affirme-t-elle, ces “objets” sont en fait une métaphore pour des “services”. Analysant les affaires d’un fleuriste “virtuel”, elle explique : “Le service à trois composants. Il y a l’objet lui même représentant graphiquement une fleur, puis le geste de quelqu’un envoyant une fleur à son flirt en ligne, et enfin l’effet trophée par lequel tout le monde peut voir que vous avez reçu une fleur.” Bien entendu, des trois composant, le plus “matériel” (l’objet graphique) est le moins important.
Continuant sa démonstration, elle explique que de surcroit, des objets virtuels peuvent procurer des bénéfices réels. “Si j’achète pour 10 dollars un million en or dans World of Warcraft je gagne 20 heures d’amusement. Avec les mêmes 10 dollars, je n’en obtiendrai que deux heures si je vais au cinéma.”.
Un autres aspect intéressant de l’économie de Second Life a été mis à jour par l’économiste français Michel Gensollen. Selon lui, certains objets de SL n’appartiennent pas qu’au monde virtuel, mais peuvent avoir de la valeur dans le monde réel : “Dans Second Life“, explique-t-il lors d’un interview à Libération, “deux types de biens immatériels coexistent. Les premiers appartiennent au seul monde virtuel, comme les terrains ou les maisons. D’autres, en revanche, peuvent appartenir à la fois aux deux mondes. C’est le cas d’un fichier musical, qui peut migrer d’un monde à l’autre, ou d’un meuble, d’une robe, dans la mesure où la vraie valeur sera la forme de la robe ou le design du meuble. La possibilité existe donc de créer dans le réel et de vendre dans le virtuel et inversement.”
Face au phénomène, les chercheurs essayent d’élaborer des méthodes pour comprendre le fonctionnement des sociétés virtuelles de demain. Robert Bloomfield, qui dirige à l’université de Cornell le Business Simulation Laboratory (Laboratoire de simulation économique) en est venu à créer une nouvelle sorte de science économique, la “métanomique”, qu’il subdivise en trois grande tendances :
- La perspective immersionniste, qui étudie l’économie des mondes virtuels comme un domaine séparé du reste de l’expérience, de manière indépendante du monde réel ;
- La perspective “augmentationiste”, qui prend au contraire en compte l’existence du système économique dans sa globalité, envisageant ainsi les conversions entre argent virtuel et réel, le phénomène des “gold farmers” chinois, etc. ;
- Enfin, la perspective “expérimentationiste” qui consiste à considérer les univers virtuels comme autant de laboratoires où effectuer des expériences.
Alors qu’il est difficile de manipuler toute une société dans l’unique but d’engranger des résultats pour une recherche, rien n’empêche dans le monde virtuel, de créer une communauté selon les règles qu’on souhaite étudier ! Avec son projet Worlds for Studies, Bloomfield se situe dans cette vision experimentationiste : “mon intention est de susciter un effort collectif pour créer des mondes virtuels afin d’étudier des situations économiques du monde réel. Plus précisément, j’envisage un monde peuplé d’un ensemble de jeux sérieux orientés vers l’économie.” Dans l’excellent blog Terra Nova, il donne un exemple de ce qu’il souhaite obtenir. On pourrait ainsi “créer deux mondes virtuels identiques, excepté sur un type de régulation : par exemple l’un utiliserait des impôts à la consommation tandis que l’autre les prélèverait sur le salaire. Au bout de plusieurs mois de jeu, comment ces mondes diffèreraient-ils en terme de création de richesse, d’inégalités de salaires, ou dans quelqu’autre domaine susceptible de vous intéresser ?”