Droits libérés

(Un article de Stéphane Waffo paru dans Le quartier libre.)

Si Napster, Kazaa et d’autres logiciels de partage de fichiers ont remis en question le principe des droits d’auteur sur Internet, aujourd’hui, avec l’avènement des licences Creative Commons, la propriété intellectuelle prend une nouvelle dimension. Ces licences – qui se veulent des alternatives au Copyright standard – permettent aux auteurs de céder quelques-uns de leurs droits aux utilisateurs.

Les licences Creative Commons (CC) permettent aux auteurs – de textes, de photos, d’images ou de musique publiées sur le web – de choisir le type de protection régissant la diffusion de leurs œuvres ou travaux, c’est-à-dire de spécifier aux utilisateurs s’ils ont le droit d’utiliser, de modifier ou encore de diffuser le fruit de leurs efforts. Sur le site canadien de Creative Commons, on explique que cette licence «aide à publier [des] créations en ligne en indiquant aux autres avec exactitude ce qu'ils ont le droit de faire». Oubliez les tracasseries du Copyright ainsi que les significations juridiques complexes. Qu’il s’agisse d’un texte, d’une photo, ou de musique, tout a été préalablement pensé pour l’usager: il ne lui reste ensuite qu’à faire son choix parmi les différentes possibilités proposées par l’organisme. Choisira-t-il de laisser aux usagers le droits de reproduire ses textes à condition que la source soit indiqué? Voudra-t-il interdire l’usage à des fins commerciales? Laissera-t-il la porte ouverte à des modifications ou, dans le cas de la musique par exemple, à de l’échantillonnage? Les combinaisons offerts par CC sont nombreuses.

Pour Vincent Goulet, professeur en actuariat à l’Université Laval, Creative Commons, c’est d’abord et avant tout «une philosophie» en laquelle il croit fortement : celle du partage et d’échange de la créativité et du savoir. Il s’est d’ailleurs familiarisé depuis plusieurs années avec les logiciels libres, qui permettent à tout utilisateur ayant une copie du logiciel de l’étudier, de le modifier et, éventuellement, de le redistribuer. Lorsque M. Goulet a découvert le Creative Commons, c’est naturellement qu’il a adopté ces licences pour protéger ses fichiers. Dans le cadre des cours qu’il dispense – qu’il s’agisse des plans de cours, des revues d’exercices, de ses articles ou des travaux de recherches – la licence CC est même devenue pour lui incontournable.

Diffusion du savoir

Les avantages à utiliser le CC sont nombreux, croit Vincent Goulet. Selon lui, il s’agit d’un produit innovateur – traduit dans une multitude de langues, dont le français – qui permet de choisir la licence en fonction de son pays. Les différentes options de protection qui s’offrent aux usagers et la gratuité sont autant de raisons qui ont poussé M. Goulet à choisir le CC.

Victoria Welby est propriétaire de plusieurs blogues personnels et utilise la licence CC depuis deux mois. Au bas du menu de son blogue Victoria W., Journal érotique d'une intello blasée, on retrouve un logo et l’inscription «Cette création est mise à disposition sous un contrat Creative Commons». C’est dans le cadre de son travail dans un laboratoire de l’UQÀM qu’elle a découvert la licence. «La question du droit d'auteur a souvent été discutée au laboratoire, mais dans une perspective de recherche, et donc de citation des œuvres et de leur archivage dans une base de données.» Si pour elle, le blogue est surtout «un dialogue qui s’installe avec les lecteurs», Internet représente avant tout le «lieu de publication libre» par excellence. «J'autorise les gens à reproduire, distribuer et communiquer mes textes publiquement», mais pas question d’une liberté totale et sans restriction : «Pour autant que mon nom soit cité, que l'usage qui en soit fait ne soit pas commercial et que l'œuvre ne soit ni modifiée, ni adaptée, ni transformée».

Ce n’est pas toute la communauté informatique qui partage ce point de vue positif sur le Creative Commons, comme l’explique Tina Piper, professeure adjointe à la faculté de droit et membre du Centre des politiques en propriété intellectuelle de l’Université McGill. Si la majeure partie des acteurs en informatique et en web est plutôt partisane d’une licence souple, elle explique que plusieurs sont perplexes quant au format. Le géant Microsoft aurait longtemps hésité avant de plonger dans l’univers du Creative Commons. En entrevue avec le site News.com en janvier 2005, Bill Gates avait comparé l’industrie libre à «une nouvelle sorte de communisme». Microsoft s’est ravisé depuis. En effet, en juin 2006, un module a été rajouté à la suite bureautique Office afin que les documents qui y sont créés puissent être placés sous CC. Aujourd’hui, Microsoft fait partie des généreux donateurs de Creative Commons (25 000$ en décembre 2005).

Tina Piper souligne que ceux qui pourfendent la licence sont souvent issus du milieu du logiciel libre. Richard Stallman, fondateur du mouvement pour le logiciel libre, est de des ceux qui croient que les licences Creative Commons offrent trop de choix et d’options. Interrogé sur le bien fondé de la licence, il est d’emblée très sévère. Sur l’objectif et le but recherché par la licence, il est totalement en accord : «Les six ou sept licences initiales de Creative Commons me paraissaient bonnes, chacune pouvait s'utiliser en justice dans un certain champ. J'appuyais donc l'initiative.» Mais c’est lorsque la licence s’est diversifiée qu’il a décidé de ne plus la supporter: «Plus tard l’organisme a publié un tas de licences nouvelles, la majorité étant plus restrictive, trop restrictive.» M. Stallman nuance toutefois ses propos. Selon lui, il est impossible de n’avoir qu’une seule et unique opinion sur les licences Creative Commons, puisqu’elles sont si diversifiées : certaines sont très libres, d’autres très restrictives.

N’empêche qu’aujourd’hui, plusieurs sites et personnalités publiques importants ont choisi d’emboîter le pas à cette alternative au Copyright. Le site Wikitravel, «guide de voyage collaboratif», créé par des montréalais d’origine américaine est un exemple patent, tout comme l’est le site Flickr.com, qui permet de partager de photos et de les publier sous licence libre. C’est aussi dans cet esprit que le groupe de rock français Godon a décidé de publier gratuitement son premier album, Armagodon, ainsi que leurs autres albums, remixes et textes. Quant à l’écrivain et journaliste Cory Doctorow, il fait partie de cette nouvelle vague d’auteurs qui ont décidé de publier leur ouvrage complet sur le web en utilisant une des licences Creative Commons. Il est aussi impliqué dans un projet de film novateur, A Swarm of Angel, une création où les internautes sont appelés à contribuer financièrement et artistiquement au long métrage qui sera éventuellement distribué sous licence CC, notamment via les réseaux Peer to peer.

CC (Creative Commons)

Creative Commons, organisation non gouvernementale, a vu le jour en 2001 à San Francisco. L’organisation – qui a pour symbole les doubles «C», de plus en plus fréquents sur le web – a été créé afin de faciliter la diffusion des œuvres et leur réutilisation à d’autres fins, bref, d’encourager de manière simple et licite la circulation des œuvres, l’échange ainsi que la créativité. «Il ne s’agit pas d’assurer une protection technique aux œuvres placées sous licence Creative Commons, mais d'offrir plus de droits au public en l'informant que certaines utilisations sont consenties à titre gratuit». La création de Creative Commons a reçu des appuis de taille, notamment ceux des universités Harvard et Stanford – où le fondateur, Lawrence Lessig, enseigne le droit – qui ont participé à la fondation de l’organisme.