Performance d'Annie Abrahams dans le cadre de la série Sortir de l'écran/Spoken screen

Dans le cadre de la série Sortir de l’écran/Spoken screen a eu lieu, le 26 mars 2008, la performance d’Annie Abrahams, Le chœur souhaitant / The Wish Choir, à la galerie La Centrale Powerhouse.

Cet artiste, pionnière de l’art Web, propose une multitude d’œuvres sur son site. Une des particularités de sa démarche artistique est de solliciter la collaboration des visiteurs de son site, en leur demandant de contribuer des fragments de textes autour de divers thèmes. C’est l’une de ces expériences de création participative, intitulée Wishes/vœux, qui a été adaptée sous forme de performance, dans la volonté de la série Sortir de l’écran qui permettait aux artistes du Web à présenter leurs œuvres, permettant ainsi aux spectateurs de découvrir leurs travaux autrement que sur Internet.

À leur arrivée, les spectateurs se présentant à la galerie pouvaient être désarçonnés par la configuration de la salle. Contrairement aux autres événements de la série Sortir de l’écran, aucune scène ne semblait aménagée afin d’y accueillir l’artiste, qui circulait librement parmi le public. De petites colonnes rectangluaires disposées avec ordre dans la salle et quelques chaises éparses permettaient aux spectateurs d’insinuer qu’ils n’allaient pas s’installer dans une posture passive au cours de la performance. Une projection d’une série de photographies présentant une personne anonyme recouverte d’un drap, et dont l’enchaînement fluide créait une impression de tournoiement, était diffusé sur un mur. Dans un coin était posé un écran où roulait en continu un vidéo présentant Annie Abrahams se roulant une cigarette et la fumant avec un air de lassitude profonde.

Puis, après quelques minutes d’attente, un texte de Caroline Hazard était projeté dans la salle. La voix de femme adressait à un destinataire anonyme un discours des plus élogieux où les compliments étaient déclinés par ordre alphabétique. Devait-il être entendu par l’artiste mise en scène dans le vidéo, afin de la sortir de sa torpeur et cesser de fumer des cigarettes à la chaîne? Était-il plutôt adressé à cette personne qui tournoyait sous son drap, afin que celle-ci se révèle enfin au monde? Il est clair, dans tous les cas, que chaque spectateur pouvait souhaiter se faire tenir des propos aussi flatteurs.

Après la diffusion de ce discours, les spectateurs ont pu entendre un poème à plusieurs voix sur le thème de la solitude. Ce poème était en fait le résultat d’un atelier d’écriture réalisé sous la direction de Annie Abrahams la veille au Laboratoire NT2 et était le fruit d’une écriture collaborative. Il est donc intéressant de souligner la redoutable efficacité de l’artiste et de Kathy Kennedy, participante à l’atelier d’écriture et responsable du montage sonore, qui ont réussi à adapter en tout juste un peu plus de 24 heures le résultat de cet atelier d’écriture, qui a permis aux participants de travailler non seulement leur plume mais également leur voix, puisque le résultat final projeté à la Centrale mettait en relief le travail sur la corporalité et la musicalité de la lecture de poème.

Après ces préambules a eu lieu le programme principal. Tout d’abord, Annie Abrahams a distribué aux spectateurs volontaires des feuilles sur lesquelles étaient inscrites des phrases extraites de la page Wishes/vœux du site de l’artiste. Puis, elle s’est rendue en face d’une des colonnes et s’est mise à réciter les souhaits des internautes à voix haute. Peu après, une des spectatrices est venue s’installer face à une des colonnes et a joint sa voix à celle de Annie Abrahams. Puis un autre, puis une autre, jusqu’à ce que se constitue un chœur improvisé où s’entremêlaient les voix des gens présents et les souhaits de milliers d’internautes. À mesure que se sont taries les sources de souhaits, les spectateurs ont quitté la lumière des projecteurs, jusqu’à ce que l’artiste se retrouve à nouveau seule et puisse faire entendre isolément les rêves d’espoirs des visiteurs de www.bram.org. Le mélange des voix provoquait une cacophonie qui rendait bien compte du nombre pratiquement incommensurable des souhaits reuceillis à même une conscience collective contenant une réserve d’espoir intarissable, mais si le spectateur portait attention aux déclamations d’un des participants, il pouvait mettre en relief le plus cher désir d’un des visiteurs de l’œuvre dans sa version Web, et par le fait même donner corps à un de ces messages anonymes.

Cette performance avait tout à la fois un caractère très incarné, par les lectures des spectateurs et le concert de voix qu’elles provoquaient, mais aussi un aspect plus intimiste lorsqu’étaient isolées les demandes des internautes ayant contribué à la création de Wishes/vœux. Finalement, l’incarnation physique de l’œuvre ne pouvait être possible que par la constitution préalable de cette liste de souhaits, constitution qui a été rendue possible grâce à sa genèse sur un site Web. La volonté de Sortir de l’écran était donc magnifiquement réalisée par cette performance, où Web et présence physique ont fait bon ménage pour offrir un spectacle étonnant, profond et touchant.

Des photos sont disponibles sur le site d'Annie Abrahams.