David Clark et l'encyclopédie interactive, ou l'esthétisation de la connaissance

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Depuis 2002, année où il a mis en ligne sa première œuvre hypermédiatique A is for Apple, David Clark s’est peu à peu imposé comme un artiste incontournable du Web. S’il a fait un détour du côté du cinéma interactif avec Meanwhile en 2006, son travail se caractérise d’abord et avant tout par un effort de mise en relations de différents thèmes de la culture populaire et de l’histoire des idées, par le biais de séquences animées qui confèrent un indéniable attrait esthétique à ses œuvres au contenu plutôt didactique. Ainsi, A is for Apple offrait un regard sur l’Histoire en prenant comme point de départ la pomme, qui devient pour ainsi dire une lorgnette à partir de laquelle il devient possible d’appréhender l’Histoire. La pomme, c’est New York, mais c’est également le passage à l’ère informatique, la représentation du péché originel, le subterfuge utilisé par la méchante marraine de Blanche-Neige pour essayer de l’assassiner, etc.

David Clark a poursuivi dans cette voie avec 88 Constellations for Wittgenstein (2008), qui reprend le procédé à l’œuvre dans A is for Apple en le développant et en le complexifiant. Cette fois, nous avons affaire à 88 fragments correspondants aux 88 constellations de la carte du ciel. Comme le titre l’indique, ces fragments sont liés entre eux par la vie de Wittgenstein, mais également par ses idées. Avec cette œuvre, l’utilisation de constellations pour représenter les liens qui unissent les faits entre eux prend tout son sens, puisqu’elle vient en quelque sorte incarner une idée chère à Wittgenstein, qui affirmait dans le Tractatus logico-philosophicus qu’il est impossible de penser un objet en dehors des liens qui l’unissent à d’autres objets. Notre rapport à la réalité serait ainsi marqué par la nécessité de penser celle-ci en termes de liaison, et c’est précisément ce que l’oeuvre de David Clark vise à représenter. D’ailleurs, de façon plus globale, on peut dire que l’assertion de Wittgenstein trouve un écho tout à fait significatif dans le fonctionnement même du Web, qui est le dispositif de liaison des informations par excellence :


«De même que nous ne pouvons absolument nous figurer des objets spatiaux en dehors de l’espace, des objets temporels en dehors du temps, de même ne pouvons-nous nous figurer aucun objet en dehors de la possibilité de sa connexion avec d’autres. Si je puis me figurer l’objet lié dans l’état des choses, je ne puis me le figurer en dehors de la possibilité de ce lien.» [1]



Deux ans après la mise en ligne de ce projet colossal qui retrace de façon fort bien documentée l’époque de Wittgenstein, David Clark récidive aujourd’hui avec une œuvre qui fonctionne selon la même logique : Sign After the X. Cette fois, il s’agit de tracer une histoire du signe X, toujours en visant à établir une certaine cohérence historique autour de la thématique. Ce projet est également une remédiatisation d’un livre de Marina Roy, qui s’intitule lui aussi Sign after the X. David Clark décrit ce projet comme étant une «encyclopédie interactive» et de fait, le terme semble bien choisi compte tenu de la diversité des thèmes abordés. Celui-ci s’attaque à des sujets aussi vastes que l’esprit, le corps, le langage, le territoire et la loi. Le X est traité comme étant d’abord le signe mathématique visant à représenter l’inconnu, mais également le signe de la censure, ou encore celui servant à localiser un endroit précis dans l’espace. Cette lettre permet ainsi de revisiter l’histoire du XXe siècle, marqué par de nombreuses découvertes qui ont permis d’approfondir notre connaissance du monde, de l’homme, et ainsi de faire tomber certains X en repoussant les limites de l’inconnu. D’un autre côté, ce signe représente également toute une génération, caractérisée par une certaine désillusion face à l’idée de progrès, et on comprend rapidement à naviguer dans l’oeuvre de Clark qu’il se trouve toujours d’autres X derrière ceux que l’on fait tomber...



Notons enfin que l’ensemble des œuvres hypermédiatiques de David Clark se trouve sur son site personnel, Chemical Pictures.

[1] Ludwig Wittgenstein (1993), Tractatus logico-philosophicus, Paris : Gallimard, collection « Tel », p. 34.