Durant les Fêtes, un ami scénariste m'a fait jouer à un jeu vidéo qui m'a agréablement surpris, tant par sa forme que par son contenu: Heavy Rain. Paru en 2010, il s'agit d'un jeu d'action et d'un thriller psychologique sur Playstation 3 où l'enjeu du gameplay réside dans la narration: chaque action posée par le joueur a des conséquences sur le fil narratif. Une vingtaine de fins sont possibles, sans compter les centaines de détours narratifs que le joueur peut emprunter. Bien que ce ne soit pas à proprement parler une œuvre hypermédiatique, il s'agit selon moi de l'aboutissement parfait de ce type de productions, misant sur une interactivité simple et unique propre aux jeux vidéos actuels.
{C}Les quatre personnages principaux: Ethan Mars, Norman Jayden, Scott Shelby et Madison Paige
Créé par le studio français Quantic Dreams, le jeu raconte l'histoire d'un père dépressif qui doit retrouver son fils kidnappé par un tueur en série, le Tueur aux Origamis, qui le force à relever des défis afin de pouvoir sauver son fils. Le temps est compté car le tueur emprisonne ses victimes – des enfants – dans une prison à ciel ouvert se remplissant tranquillement d'eau de pluie. Les victimes se noient généralement après 4 à 5 jours, lorsque le niveau de l'eau atteint 150 cm.
Le jeu propose de suivre quatre protagonistes: Ethan Mars, père de Shaun, la dernière victime du Tueur aux Origamis, qui relève les indices laissés par le kidnappeur pour retrouver son fils avant qu'il ne meure noyé; Norman Jayden, un agent du FBI sur la trace du tueur qui utilise des techniques d'investigation basées sur la réalité augmentée et a un grave problème de drogue; Madison Paige, une journaliste troublée suite à un viol dont elle a été victime, qui par un hasard de circonstances se retrouve mêlée à l'histoire; et Scott Shelby, un détective privé sorti tout droit d'un film noir qui mène sa propre enquête afin de dénicher des indices permettant de retrouver Shaun Mars.
La simplicité des dispositifs interactifs de Heavy Rain et leur influence sur la narration de l'histoire est sans doute ce qui rend le jeu unique, en le situant à la frontière de l'œuvre hypermédiatique, du film et du jeu vidéo. Bien que parsemé de scènes d'action (où le joueur doit réagir rapidement), le scénario se développe en fonction des choix et des gestes posés par le joueur. Par exemple, avant son kidnapping, le fils montre les symptômes d'une grippe. Si Ethan ne lui donne pas de médication, il peut en mourir, son état s'aggravant en baignant plusieurs jours dans l'eau de pluie, même si les protagonistes réussissent à le secourir avant que la limite des 150 cm d'eau ne soit atteinte. D'ailleurs, chacun des personnages principaux peut mourir durant le jeu – et même tous les quatre à la fois –, ce qui bien évidemment affecte aussi le fil narratif. De plus, il est impossible de revenir en arrière.
Un indice laissé par le Tueur aux Origamis
L'existence de ce type de jeu démontre l'influence grandissante de la narration hypermédiatique dans la culture populaire. Bien entendu, il ne s'agit pas du seul jeu vidéo exploitant ce type de narration, mais d'un des premiers qui va au-delà de simples choix binaires, par exemple entre commettre une bonne ou une mauvaise action. La subtilité de l'écriture et des choix narratifs le place dans une catégorie à part qui ouvre la porte à de tous nouveaux types de narrations et de productions. D'ailleurs le prochain projet de Quantic Dreams, Beyond: Two Souls, a un script de plus de 2000 pages et raconte l'histoire d'une femme – incarnée par l'actrice Ellen Page – sur une période de 15 ans. [1]
[1] Alex Pham (19/07/2012) «Ellen Page is ‘Beyond’ real in ‘emotional and subversive’ game», sur Los Angeles Times. En ligne: http://herocomplex.latimes.com/2012/07/19/ellen-page-beyond-game/ (consulté le 7 janvier 2013)