Lieu

Cartographier la ville autrement
Exposition référente: 

Le lieu tel que le conçoit Daniel Chartier, professeur en études littéraires à l'UQAM, est avant tout «une idée de lieu», soit la somme des discours produits sur lui. Nous l'abordons donc ici tant dans sa conception phénoménologique - l'expérience du lieu - que discursive - le lieu comme signe «susceptible de révéler les valeurs et les contradictions de ceux qui l'érigent, l'habitent ou le pratiquent» (Chartier, Parent et Vallières, 2013: 10).

Les trois œuvres sélectionnées pour la thématique Lieu concrétisent l'expérience sensible du lieu, vécu par les artistes ou par les internautes invités à participer au projet. La figure du flâneur vient à l’esprit en ce qui a trait au processus de création de ces projets. Les artistes et les participant.e.s foulent la ville; ils et elles notent leurs impressions, leurs rencontres ou enregistrent les sons des lieux. Grâce aux technologies numériques, ils et elles transposent ensuite le territoire tel qu'il est, ainsi que la perception qu'ils ou elles ont de ce territoire, dans un espace parallèle en ligne. Les œuvres présentent alors une carte, empruntée à Google Maps ou au réseau de transport de la ville, et un parcours qui lui est superposé, qu'il soit poétique, sonore ou graphique. 

En ressort un environnement augmenté1 où le lieu cartographié est détourné pour dorénavant représenter, plutôt que principalement renseigner. Les internautes ont ainsi accès à la vision des artistes ou des participant.e.s du territoire; à l'idée du lieu.

Pièces d'exposition associées: 

Gares, projet collaboratif entre l'artiste Sébastien Cliche et les participant.e.s de La Traversée - Atelier québécois de géopoétique, s'attarde aux lieux de passage que constituent les gares ferroviaires autour de Montréal. Ces flâneurs et flâneuses de La Traversée observent attentivement et interprètent ce lieu qui n'en est pas tout à fait un.

Nous pouvons associer les lieux de passage au concept de non-lieu théorisé par l'anthropologue français Marc Augé (Non-Lieux. Introduction à une anthropologie de la surmodernité, 1992). Le non-lieu peut se définir sommairement comme un espace de transition où les usagers et usagères demeurent anonymes. En ce sens, Gares détourne le sens originel du non-lieu de la gare en s'appropriant cet espace et en donnant une voix à ses occupant.e.s. Le lieu, investi par les traces des artistes, porte alors la mémoire de leur passage. Le projet arrive ainsi à résister au côté rationnel et aride de la cartographie ainsi qu'à l'absence de mémoire du non-lieu.

Les usagers de ces espaces de transition marquent ceux-ci d’un surplus symbolique décelé par l’attention singulière des membres de la Traversée. - See more at: http://nt2.uqam.ca/fr/repertoire/gares#sthash.HYKNvGmm.dpuf

Carte sonographique de Montréal use de l'interface de Google Maps comme support technologique et interface visuelle interactive. Les pistes audio téléversées par les artistes ou les citoyen.ne.s convié.e.s à participer au projet sont placées aux emplacements géographiques précis de leur enregistrement.

Un regard critique face aux cartes virtuelles semble émerger. D'une part, l'œuvre est constituée de fragments personnalisés marquant le paysage urbain, alors que les cartes géographiques et les navigateurs comme Google Maps identifient avant tout les lieux touristiques et consensuels des espaces urbains. D'autre part, le projet s'éloigne d'un usage fonctionnel associé à la cartographie en fournissant des marqueurs sonores plutôt que des informations pragmatiques. Les lieux deviennent ainsi des ondes de mémoire, des récits éphémères captés par un flâneur attentif.

 

L’œuvre est en ce sens une adaptation de l’espace cartographique qui identifie traditionnellement les lieux collectifs (et consensuels) de la vie culturelle et ces grands centres. Carte sonographique de Montréal détourne l’usage proprement fonctionnel (et mercantile) des cartes virtuelles et des données de géolocalisation en fournissant des informations additionnelles, périphériques, qui n’ont aucune utilité en soi. Un «surplus» symbolique d’information qui marque les lieux d’une mémoire, d’un récit et d’une voix. - See more at: http://nt2.uqam.ca/fr/repertoire/carte-sonographique-de-montreal#sthash....

Les artistes Marie-Pier April et Boris Dumesnil-Poulin ont parcouru la ville de Montréal (le géographique) le crayon à la main et en ont préservé les traces écrites et dessinées (le graphique). Alors que leur méthode de transcription du territoire s'attache aux formes traditionnelles de l'art, leur mode de diffusion du résultat est du côté des technologies interactives.

Les lieux de la ville sont tracés et archivés comme des esquisses éphémères. Les dessins sont flous et disparaissent au moindre changement du mot-clé, l'association entre le texte et l'image est aléatoire et produit une sémantique toute nouvelle à chaque déplacement de la souris. De plus, l'internaute ne rencontre jamais de repères précis sur la carte de Montréal tracée; celle-ci n'est manifestement pas associée à la géographie réelle de la ville. En ressort donc cette «incapacité», répétée et constante dans le projet d'April et Dumesnil-Poulin, de réussir une cartographie fidèle de Montréal. Une déambulation sensible d'un territoire ne sera jamais entièrement cartésienne.