Le 20 mars dernier, jour de l’équinoxe vernal, était lancé bleuOrange, revue de littérature hypermédiatique. Pour souligner l’occasion, les auteures, auteurs ayant publié des œuvres dans la revue ont été invités à présenter une performance lors de bleuOrange 00, performances littéraires hypermédiatiques, au Laboratoire nouveaux médias d’OBORO. C’est devant une salle comble qu’Annie Abrahams, Ollivier Dyens, Grégory Chatonsky, Sébastien Cliche, Nick Montfort et Anick Bergeron ont présenté leurs œuvres.
bleuOrange publie des œuvres littéraires hypermédiatiques originales en français et propose, en traduction, des œuvres marquantes. Un tel espace virtuel va faciliter l’accès à ces créations d’une richesse artistique extraordinaire et en permettre l’appréciation par les communautés francophones.
La soirée bleuOrange 00 a été inaugurée par Annie Abrahams avec une version performée de Discours populaire sur la violence. Sur un écran noir ont été projetés des textes en vert. Après un moment, trois musiciens ont entamé une mélodie. Des danseurs sont ensuite entrés en scène et, petit à petit, des spectateurs se sont joints à eux, de même que l’artiste. L’ensemble a donné un effet surprenant, stupéfiant. Les lettres étaient projetées sur les corps des danseurs, qui, par leurs mouvements, s’appropriaient les notes des musiciens. Comme si une communication s’établissait entre l’écran, les humains, la musique, la machine, les mots, et que l’ensemble devenait une seule et même chose complexe, à la fois violente et festive. La performance mélangeait un côté festif et un côté violent, sorte de jeu entre deux extrémités. La violence des textes alternait avec la festivité des danseurs et de la musique pour le spectateur.

Ollivier Dyens a ensuite présenté De lettres et d’acier, œuvre qui comprend deux parties, « Hurler sans bruit » et « Les océans des siècles », et qui est composée de différents poèmes insérés dans la structure d’un Montréal virtuel. Dyens a offert au public une navigation dans des édifices décorés par des textes de Naïm Kattan, Hélène Dorion, St-Denys de Garneau, Dany Lafferière, Michel van Schendel, Anne Hébert, Alain Grandbois, Gaston Miron, Marie Uguay et Céline Cloutier. Ce voyage poétique en trois dimensions donnait l’impression de voler dans un univers où coexistent l’humain et la machine.

La présentation de Grégory Chatonsky proposait deux projections côte à côte. D’un côté, le film de Pasolini, Salo ou les 120 journées de Sodome; de l’autre, le sous-titrage français du film, associé à des images puisées dans la banque de Flickr. La sexualité, omniprésente dans le discours filmique, se faisait absente dans les images accompagnant les sous-titres. Le dispositif invitait les spectateurs à regarder autrement les images tirées de Flickr, leur interprétation étant teintée du texte les accompagnant.
Sébastien Cliche a ensuite présenté Ruptures. Il a d’abord lu des extraits textuels de l’œuvre. Un passage comme «Je perdais progressivement l’usage de la vue et un goût de craie me remontait du fond de la gorge. Devant moi, un monde complètement différent où rien n’était à sa place. Tout n’était que désordre. Chacun avait sa propre idée sur ce qu’il fallait faire. Moi, je trouvais absurde que notre sort dépende du pouvoir de persuasion d’un seul individu» a donné le ton à l’atmosphère angoissante caractéristique de cette œuvre. A suivi une navigation commentée dans l’œuvre, dans laquelle des images de buildings démolis, de champs de débris, juxtaposaient une trame sonore inquiétante, amplifiant l’univers dramatique et l’urgence du moment, comme un tic-tac électronique en écho à la catastrophe. L’œuvre à l’écran et la voix de Cliche ont fait de cette performance quelque chose de captivant où transpirait un sentiment de menace.
La suite de la soirée a été consacrée aux œuvres traduites. Nick Montfort a d’abord fait une lecture de Digital Ream, parcourant les écrans présentant les mots du poème en même temps. Anick Bergeron a ensuite pris place à ses côtés, enfilant des gants de caoutchouc pour lire la version papier de Rame, laquelle comporte 500 mots imprimés sur autant de pages. Pendant que l’une balançait par terre les pages lues, l’autre présentait, à l’écran, différentes appropriations de l’œuvre, des commentaires, etc. Le duo a performé avec énergie et a fait de cette présentation un moment inoubliable.


Finalement, les membres fondateurs de bleuOrange, Bertrand Gervais, Anick Bergeron, Alice van der Klei et Nathalie Roy, ont proposé une lecture de fin.ouverte, la version française de open.ended, une œuvre de Aya Karpińska et Daniel C. Howe. Tour à tour, ils ont lu des vers de cette poésie spatiale tridimensionnelle alors que l’œuvre était projetée à l’écran.
bleuOrange est un espace de diffusion et de promotion de la littérature hypermédiatique en français, un art naissant quoique déjà bien implanté dans certains milieux. Un tel lieu est nécessaire pour donner la place et la parole à des artistes ne cadrant pas dans les catégories habituelles et donc trop souvent laissés pour compte; pour réunir des œuvres multimédias riches en expérience, en signification, en contenu, des œuvres à l’esthétique nouvelle, œuvres encore souvent trop dispersées, peu classées, pratiquement pas documentées et, par conséquent, difficile d’accès. Souhaitons longue vie à bleuOrange et espérons de nombreuses autres soirées de performances à l’image de celle-ci, qui fut, somme toute, un moment bien agréable.
Des photos et des vidéos de la soirées sont disponibles sur le site de la photographe Luce Gaudette-Tremblay, dans le blogue de la revue et dans Facebook.