Actualité et inactualité de l’art contemporain

Un billet de Gregory Chatonsky.

Il y a une surprise à voir combien le discours de la modernité artistique s’est déplacé avec et sur le réseau Internet. En effet, la modernité disait à chacun qu’il ne pouvait saisir la réalité artistique de son temps. L’artiste n’était pas simplement une figure romantique, incomprise et solitaire (et on aurait tort de penser que cette figure s’est évaporée avec Marcel Duchamp), mais aussi celle d’un visionnaire ayant toujours une longueur d’avance, cette longueur étant la distance même lui permettant de configurer (d’anticiper) de nouveaux modèles esthétiques.

Cette échappée permanente de la production artistique s’est transformée avec Internet d’un discours de la distance à un discours médiatique du flux: de très nombreux sites listent, de façon d’ailleurs très intéressante, les créations les plus récentes. On effleure ces sites, on passe du temps dessus, on consulte, on voit des photos, des vidéos, on lit des descriptions, on se fait une idée de ce que cela doit donner en exposition, on sait très bien que ce n’est qu’une idée, une autre distance d’un ordre différent de la précédente. Car l’avance esthétique s’est volatilisée et on peut même s’interroger sur la validité des instances de médiation critique qui permettait de raccrocher la production artistique à un public d’amateurs. Leur autorité règne encore, mais n’est-ce pas une simple persistance d’une structure passée qui s’est réifiée?

Quoiqu’il en soit, je reviens à ce sentiment devant la profusion de ces sites présentant des travaux artistiques. C’est une orgie menant parfois à une indigestion. Que d’idées et de formes! Quelle richesse! On doit sans doute avoir une certaine jouissance à apercevoir cette multiplicité à s’y frayer un chemin, à faire même des découvertes (tiens celui-ci est pas mal! Cet autre est moyen! Je préfère celui-ci! Je le bookmarke), même si, tout au fond, on sait qu’il y a là quelque chose d’anecdotique, que la beauté des images, leur intelligence même, leur sens de l’à propos, du contemporain, leur sens de la disjonction, du kitch, que tout cela et plus encore, est peut-être anecdotique. On s’en veut un peu de dévaloriser l’anecdotique, mais on le différencie par commodité du singulier.

On regarde les maîtres anciens. Ils faisaient des images dans un autre contexte, avec d’autres images, avec d’autres regards. Ce discours de l’art passé n’est pas nouveau, il a aussi son histoire et sa nostalgie. On peut s’infiltrer avec joie dans les mailles du réseau, dans ce flux de nouveautés, parfois faire quelques comparaisons avec la modernité du siècle dernier, qui semble déjà si loin. Remonter plus avant encore. Mais il n’empêche que ce flux rejoue sur une autre scème le petit pathos moderne du temps: toujours en avance, nous le suivons à présent. Peut-être que cela ne se passe pas là mais simplement dans les singularités, dans l’impossibilité même de subsumer les pratiques, de leur donner un mot commun “art”, le commun de ce mot justement le transformerait peut-être en mot d’ordre. Rester donc à la production, à notre production, par défaut de partage et de communauté, à destination d’un partage possible et à venir.

Je réfléchissais donc au projet “À vif” et je me disais, depuis le temps, peut-être 3 ou 4 ans, qu’il était enfin temps de le réaliser… Étrange ces projets qui restent en suspend. N’attendons pas trop.