Un physicien américain ambitionne de révolutionner la lecture en s’attaquant à l’agencement des textes.
Le texte en cascade, l’idéal pour l’oeil humain ?
A la tête de sa start-up, Randall Walker a déclaré la guerre aux blocs de texte. Partant du principe que l’œil voit de manière circulaire, ce qui oblige le cerveau à effectuer un travail de tri entre les lignes de texte qui se superposent, ce physicien américain a développé depuis la fin du siècle dernier une application informatique reformatant les phrases pour les adapter à notre physiologie. Baptisée Live Ink, cette technologie a commence à faire son trou de l’autre côté de l’Atlantique.
Comment Live Ink pourrait modifier la manière dont les gens lisent depuis des siècles ?
C’est vraiment autre chose qu’une petite fonctionnalité supplémentaire. La recherche visuelle a montré à quel point les blocs de texte sont contre-nature. Avec des lignes empilées les unes sur les autres, avec des caractères au-dessus et en dessous du point de fixation, sans relation logique avec la rangée centrale qui est en train d’être lue, les blocs de texte mettent à rude épreuve l’activité de traitement visuel.
Live Ink affiche les phrases en remédiant à ce problème. Cette structure bien particulière n’est d’ailleurs pas tellement différente de la prose, où les mots prononcés restent les mêmes, mais où la cadence, le volume, la durée et la sonorité de l’élocution, soit tout ce qui entoure les mots sans altérer leur signification, améliore la compréhension et l’écoute du message. De la même manière, Live Ink a un impact direct sur le traitement de l’information, puisque que le format lui-même devient porteur d’information.
Si on regarde l’évolution de l’écriture, on s’aperçoit par exemple que les espaces entre les mots sont apparus il y a mille ans, ce qui a permis la lecture silencieuse. Aujourd’hui, nous utilisons notre technique pour franchir une nouvelle étape de la lecture humaine.
Concrètement, qu’est-ce que Live Ink est susceptible d’apporter au lecteur ?
Nous avons démarré un programme pilote en 2000, sur des élèves d’une quinzaine d’années, avec beaucoup de précautions. Nous ne pouvions écarter la possibilité de gêner ces élèves, voire de leur faire perdre une année d’apprentissage à cause d’une technologie qui les aurait handicapés.
En réalité, les données très régulièrement collectées auprès de cinq cents élèves montraient qu’en lisant régulièrement sur ordinateur des manuels scolaires au format Live Ink, leurs résultats s’amélioraient sensiblement. En outre, il s’est avéré que ces élèves voyaient augmenter leurs capacités globales en matière de lecture, sans déperdition même s’ils repassaient ensuite aux formats classiques, aux blocs de texte.
Avec qui travaillez-vous aujourd’hui ?
Les résultats obtenus nous ont donné assez de crédibilité pour collaborer avec des éditeurs de manuels scolaires. Aujourd’hui, nous avons complété la production de manuels pour les domaines avant tout basés sur le texte, comme l’économie, l’histoire, la sociologie ou les sciences naturelles. Avec les parts de marché de nos partenaires actuels, nous atteignons les 30 millions d’élèves américains, âgés de 9 à 18 ans, qui auront accès dans les prochaines années à au moins un manuel amélioré sur ordinateur via Live Ink.
Enfin, nous négocions avec des éditeurs de revues commerciales ou professionnelles. Bientôt, par exemple, les textes de journaux scientifiques et de grands journaux en ligne auront leur option Live Ink.
Qu’en est-il du papier ?
Un roman imprimé dans ce format serait trop cher et trop épais. Mais comme nous avons observé que nos textes sont faciles à lire même avec une petite police, nous pourrions mettre en place un service d’impression à la demande qui préparerait des pages à trois colonnes et à police réduite. D’une manière générale, même si nous avons des pistes pour les journaux papiers, nous nous attendons surtout à voir une proportion grandissante de lecteurs, de tous les âges, adopter toutes sortes d’appareils numériques.
Live Ink adapté au français, est-ce envisageable ?
Effectivement, nous projetons d’étendre Live Ink à d’autres langues. Il faudrait adapter les principes utilisés pour les algorithmes, redéfinir une base de données, prendre en compte les règles particulières concernant l’ordre des mots, la conjugaison, etc. Mais c’est tout à fait faisable.