À l'heure des rétrospectives!

Le féminisme sur le Web en 2013
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L’année 2013 tire à sa fin et les rétrospectives abondent sur le Web. Les trois grands médias sociaux ainsi que plusieurs blogues et quotidiens en ligne ont publié des listes des moments marquants par le biais de vidéos, de photographies, de témoignages et même de graphiques. Parmi les «incontournables» de la culture du Web, YouTube a produit un remix parodique des vidéos les plus regardées en 2013. Le mash-up fait allusion aux succès d’une cyberculture de l’absurde: des références au dit vidéoclip de Miley Cyrus, au phénomène mondial et éphémère du Harlem Shake, en passant par les propositions culinaires du groupe Epic Meal Time pour enfin s’éterniser sur le très récent clip d’Ylvis, «YouTube Rewind» représente l’humour frivole (et nord-américain) qui anime les internautes.

Facebook réalise également une vidéo qui met quant à elle l’accent sur le potentiel de liaison entre ses usagers; des statuts sur les thèmes de l’amour, du mariage, de la naissance, de l’égalité et du courage se renvoient les uns aux autres et se concluent sur la formule édifiante «we are all connected». L’entreprise élabore en outre des «instantanés» des sujets les plus abordés. Le top 3 des sujets les plus discutés dans le monde, question de satisfaire la curiosité insatiable du lecteur ou de la lectrice, se compose du Pape François, des élections politiques en général et du décisif bébé royal.

Enfin, Twitter nous dresse des portraits mensuels de l’année 2013 grâce aux mots-clics (hashtags) les plus «re-tweetés». Plus sobre et légèrement plus diversifié, l’abrégé de Twitter présente les coups d’éclat médiatiques de l’année, de la mort de Nelson Mandela à la diffusion japonaise du film animé «Castle in the Sky», sous un air de consensus.

Mais qu’occultent ces grandes rétrospectives ? Car au delà de la communauté globale et solidaire que mettent en scène ces rétrospectives, il semble que plusieurs voix et débats notables de l’année 2013 soient absents. Les plateformes respectives de Twitter, Facebook et YouTube ont été, d’abord et avant tout, le théâtre de grandes discordes et de conflits, notamment en ce qui a trait à la question féministe. En effet, le terme «féminisme» fut déployé comme jamais dans l’espace public qu’est le Web, et ce, parfois au détriment du mouvement. Instrumentalisé, vilipendé ou au contraire revendiqué, 2013 a vu des milliers d’internautes se positionner sur la question des femmes, de l’avortement, de la culture du viol et des différentes formes de militantisme. Au Québec comme à l’international, l’actualité en ligne a maintes fois engendré des affrontements féroces entre journalistes, animateur.e.s, blogueur.e.s et internautes de tous azimuts. Le NT2 propose donc aujourd’hui, à l’occasion de la nouvelle année à venir, de faire un topo (nécessairement incomplet) des controverses et des actions combatives de femmes qui ont su utiliser les médias sociaux à bon escient.

Tout d’abord, YouTube a secondé plusieurs féministes qui ont désiré répondre avec humour aux dérives du patriarcat. Mentionnons d’abord la vidéo créée par le collectif All India Bakchod. Suite à l’effroyable viol collectif de Jyoti Singh Pandey et de la mobilisation monstre des femmes indiennes contre la culture du viol, le groupe humoristique a mis en ligne une vidéo sitôt devenue virale intitulée «It’s Your Fault». Les deux comédiennes tournent en ridicule les arguments brandis par certains médias de masse en jouant la soumission absolue aux prescriptions qu’ils supposent.

Dans un même ordre d’idées, plusieurs femmes se sont insurgées contre le vidéoclip et les paroles de la chanson pop «Blurred Lines» de Robin Thickle. Si l’enjeu paraît mineur, les questions de la représentation de la femme dans les médias ont rapidement pris les devants. Le concept de ligne trouble entre le désir, le refus et le consentement chanté par Thickle a associé rapidement sa chanson à une culture plus généralisée de la violence sexuelle envers les femmes. Est-ce que ces ripostes acérées des internautes et de certaines associations étudiantes (majoritairement au Royaume-Uni) révèlent un soudain ras-le-bol partagé à l’égard des images typées et objectivées de la femme dans la culture populaire? Est-ce que 2013 marque un tournant? L’une des vidéos parodiques de «Blurred Lines» (ma préférée) est réalisée par des étudiantes de l’Université d’Auckland (Nouvelle-Zélande).

YouTube a également permis à plusieurs voix féministes de se manifester sur la Toile. Mentionnons à ce propos les interventions de Wendy Davis, d’Elizabeth Warren et de Sarah Slamen qui, devant un Sénat majoritairement républicain, ont défendu les droits des femmes et ont tenté d’abolir ou de freiner des législations pro-vie. L’obstruction parlementaire de Davis, d’une durée incroyable de 11 heures, a notamment été regardée en direct sur l’Internet par plus de 200 000 personnes, selon Elizabeth Plank. Cette campagne a également été accompagnée par des vagues incroyables de «tweets», attestant du potentiel de contestation de ces plateformes privatisées.

Une victoire féministe sur le Web s’est aussi conclue cette année. Une pétition en ligne de Change.org initiée par Soraya Chemaly et lancée en novembre 2011 demandait aux modérateurs de Facebook d’en bannir et d’en interdire les pages et les commentaires haineux, notamment à l’endroit des groupes encourageant la violence envers les femmes. Deux ans plus tard, au moyen des efforts concertés de plusieurs groupes féministes en ligne et d’une campagne colossale sur Twitter (#notfunnyfacebook), les dirigeants de la compagnie ont finalement reconnu le problème et ont entrepris d’améliorer les procédures de détections de ces discours dangereux1. Leur réponse officielle est d'ailleurs publiée sur Facebook. 

Le mouvement #SolidarityIsForWhiteWomen mis en branle par Mikki Kendall met également à profit la Twittosphère et sa capacité de retransmission rapide de l’information. Dans un moment de frustration, Kendall a initié cette campagne pour stimuler une réflexion sur l’inclusion des femmes de couleur au sein d’un féminisme «blanc». Des centaines de «re-tweets» plus tard, l’auteure a réussi à relancer, si ce n’est que de manière éphémère, un débat crucial sur les différences de classe et d’ethnicité au sein du mouvement féministe. 

À ce propos, le hashtag‪ #SolidarityIsForWhiteWomen‬‬ en appelle aux débats qui ont sévi au Québec et ailleurs sur les modes de militance féministe et sur l’intégration des différences culturelle et sexuelle. L’incontournable présence médiatique des FEMEN en 2013 en a d’ailleurs fait un modèle de contestation auquel plusieurs femmes ont mesuré leurs convictions et leurs types d’engagement avec la cause féministe.

Enfin, Facebook, YouTube et Twitter ont certainement contribué à diffuser la voix des militantes et des activistes sur la Toile, dont celle de Malala Yousafzai, jeune militante pakistanaise pour le droit des femmes. Malgré tout, ces soulèvements de part et d’autre de l’Internet révèlent la montée inquiétante d’un conservatisme de droite toujours plus intransigeant et du masculinisme qui l’accompagne. Sur ce, je laisse l’internaute à cette vidéo réalisée par The Representation Project, un mouvement californien, qui dresse une rétrospective de la représentation de la femme dans les médias américains en 2013. (À quand la rétrospective québécoise?)

Joyeux Noël et Bonne Année 2013 de toute l'équipe du NT2. Offrez-donc aux fillettes cette année des cadeaux atypiques qui leur donneront envie de devenir ingénieures, par exemple. Après tout, «We ALL Can Do It!».