Submitted by Alexandra Tremblay on
Le «lo-fi roman web» de Maude Veilleux est une oeuvre hypermédiatique mêlant la poésie contemporaine de son autrice, la culture du meme et une esthétique web nostalgique. Au sujet de son oeuvre, l'autrice a déclaré dans une publication Facebook s'être «inspirée de [s]a page Geocities de 1998», puisant à la fois dans sa pratique préalable sur cette plateforme tout en déclarant humblement que son inexpérience en programmation a aussi participé à la forme de frankie et alex - black lake - super now. Cette posture artistique prend ainsi position en faveur de la création numérique DIY expérimentale, hors du besoin d'une connaissance technique complète afin d'élaborer ses oeuvres. Lors d'une entrevue donnée à l'émission «Au Pire C'est Juste Une heure» à CISM-89,3, Veilleux revendique une démarche interdisciplinaire au-delà de ce qui se fait habituellement dans le milieu littéraire tout en prônant une littérature numérique qui intègre une pluralité de formes propres au web et qui se permet d'explorer les différentes couches de la navigation numérique comme de nouvelles manières de lire un roman. Ces différents niveaux incluent l'intégration de gifs, d'hyperliens et la multiplication des interfaces dans lesquelles interagissent les personnages entre eux. Les personnages, définis en mosaïque par leurs comptes et leur présence numérique, sont présentés au début du roman par des memes «starter-pack» qui donnent un aperçu, sous forme de collages, de leur apparence physique et de leur psychologie.
La thématique du vide est très présente dans le roman de Veilleux, jusqu'à embrouiller la structure du filon narratif. L'autrice décrit, lors de l'entrevue à CISM-89,3, son oeuvre comme une «histoire d’amitié, de leur vie, de leur quotidien». Cette quotidienneté, l’apparent manque de contenu et d’actions qui apparaît comme une absence guide l’expérience de l’oeuvre. Nous apprenons à connaître les personnages par leur présence sur les réseaux sociaux, les pages web qu’ils consultent tel Wikipédia, et ce qu’ils font à l’intérieur de leur appartement. Leur champ d’action est associé à l’intime et à l’intériorité plutôt qu'à leur place dans la sphère publique. Ceux-ci sont souvent tentés par le monde extérieur, que ce soit par un roadtrip vécu comme une expérience anxiogène, une invitation à New York manquée et des conversations awkward avec des personnes extérieures. Le quotidien de frankie et alex - black lake - super now semble hors du réel, étrange et mystérieux, uncanny. Le vide dans l’oeuvre de Maude Veilleux est paradoxalement saturé par la culture populaire. Devant l’échec du sens de la lecture, Veilleux le réinvestit en exacerbant l’idée de consommation. Ici, le consommateur n'achète pas des objets physiques, mais absorbe le web et ses produits culturels au rythme effréné de la vie contemporaine. L'autrice illustre ainsi d’une manière réaliste le fait que nous sommes constamment bombardés, dans le monde numérique et physique, de marques et de cultures uniformisées, que nous sommes surinformés sur le monde qui nous entoure. La consommation illustrée dans frankie et alex - black lake - super now ne se limite donc pas à l'achat, mais à l'attention que nous portons aux produits du capitalisme et nous amène à réfléchir à notre propre solitude et à cette manière de palier à la déprime.