Salut l'Internet- Kwei pamikicikopitcikan - Kuei anite ka tapishimitishunanut - Hello the Internet - Ashkennon’nia Internet - Kway Internet

Salut l'Internet- Kwei pamikicikopitcikan - Kuei anite ka tapishimitishunanut - Hello the Internet - Ashkennon’nia Internet - Kway Internet est une exposition collective issue de la collaboration de la plateforme de diffusion en ligne Galerie Galerie et de l'institut collégial autochtone Kiuna. Respectivement en français, en atikamekw, en inuu-aimun, en anglais, en wendat et en abénaqui, ces différentes salutations à Internet forment une polyphonie de voix qui entrent en dialogue.

Issue d'un partenariat avec le sociologue, critique d'art et commissaire Guy Sioui Durand, l'exposition explore le thème du virtuel comme nouvelle territorialité imaginaire. Selon Sioui Durand, le paradigme traditionnel Nature/Culture fait maintenant place à celui de Culture/Culture. De nouvelles notions apportées par le développement technologique modifient ainsi les rapports de pouvoir et créées de nouveaux enjeux comme la démocratisation d'Internet chez les autochtones et l'influence du numérique dans les représentations de leur culture. La collaboration avec Galerie Galerie permet de donner une forme à ces réflexions.

Les onze étudiant.e.s du cours d'Initiation à l'art moderne et contemporain autochtone, donné à la session d'hiver 2018 à Kiuna, ont ainsi créé des oeuvres hypermédiatiques dans le cadre d'ateliers de création avec Galerie Galerie. Leurs réflexions se séparent en deux grands axes: l'enjeu de la transmission d'un savoir traditionnel et de la culture ancestrale  et l'enjeu de la représentation autochtone dans la culture populaire. 

La transmission d'un savoir traditionnel et de la culture ancestrale dans le contexte territorial

Kaskinomasowin de Fanny Niquay met en représentation le désir de se servir de la technologie numérique comme une manière d'archiver et de garder vivant un savoir-faire traditionnel transmit essentiellement de manière orale. Dans ce collage, des photographies illustrent les étapes de la construction de canoës d'écorce, de capteurs de rêve et de la préparation du poisson. L'arrière-plan, une photographie d'une forêt, rappelle le lien très fort entre la communauté atikamekw et leur territoire. Cette fierté est mise de l'avant subtilement par le panneau du territoire Nitaskinan, symbolisant la déclaration de la souveraineté de la nation Atikamekw du 8 septembre 2014, sur lequel figure en français «territoire ancestral». Perpétuer ces rites permet aux jeunes autochtones de mieux définir leur identité en continuité avec la culture de leurs ancêtres, ce qui prend la forme de strates géologiques dans l'oeuvre Nos racines de Gérald-Junior Dubé. Ce rapport à la mémoire permet de défaire l'oppression coloniale qui a voulue que cette culture disparaisse.

Alors que les différentes nations gagnent leur souveraineté, des cérémoies traditionnelles comme «les cercles des hommes (ou de femmes), les tentes de sudation (sweat lodge), le recours au bâton de parole...» (Niosi, Radio-Canada) permettent aux différentes générations d'autochtones de se rapprocher dans leur processus de guérison et de renforcement vis-à-vis la violence systémique de la part des allochtones. L'oeuvre de Julie Gauthier André, Un voyage dans le pays de nos ancêtres, revient sur un voyage initiatique que l'artiste a vécue. Les photographies de son parcours dans la neige côtoient des symboles qui réconcilient les visions spirituelles (le loup et l'ours) et astrales (la Voie lactée). Les traces de pas rouges, comme l'explique André, montrent «[l']évasion dans les temps anciens» que constitue cette recréation du parcours des innus au temps du nomadisme. De même, le Regard de Renard de Yoan Jerome illustre l'identité innu par des fragments associés à la faune nord-côtière. L'arrière-plan est lui-même constitué de photographies en mosaïque des épines d'un porc-épic. Les fragments constitués de photographies d'animaux et les braises qui encadrent les traces et les yeux reconstruisent un imaginaire propre au territoire de Maliotenam, sur la Côte-Nord, où a vécu l'artiste.

L'exploration du territoire est ainsi associée à une redécouverte de sa culture qui, comme illustrée dans Collection of memories de Tiffany Guanish, amène un état d'apaisement et de ressourcement, en parallèle au mode de vie contemporain effréné. Dans son billet sur l'exposition, Maïtée Labrecque-Saganash témoigne de l'importance de la chasse à l'outarde dans le maintien son équilibre intérieur: «Lorsqu'on maîtrise bien certaines choses comme la chasse et l'artisanat, la distance entre soi et son territoire deviens moins un problème» (Labrecque-Saganash, Métro).

Le territoire comme espace d'un imaginaire s'incarne parfois dans différents lieux géographiques, comme Biculturelle de Sigwanis Lachapelle qui mélange des référents à la culture abénaquis et à la culturelle bolivienne pour représenter sa double identité ainsi que la rencontre des deux peuples dans la sphère numérique, faisant fi de la distance géographique. 

La technologie a ainsi modifiée l'appartenance au territoire qu'ont allotochtones et autochtones, passant d'une identité nationale à globale. Ce glissement modifie la manière dont l'indivualité se construit. En effet, dans les oeuvres Un jour... de Gabby Petiquay et Au-delà de mes rêves les plus fous de Kanessa Michel, nous pouvons percevoir l'attrait du voyage, de la découverte de nouveaux milieux ainsi que la réalisation d'ambitions qui ne peuvent se matérialiser qu'en sortant de leur communauté respective. Dans l'oeuvre de Michel, nous pouvons néanmoins percevoir le déchirement qu'entraîne la réalisation de ses aspirations, par des panneaux pointant des direction opposées représentant l'ambivalence ressentie par les jeunes autochtones, parfois les premiers de leur famille à accéder à l'université: «Retourner d'où tu viens» et «Améliorer ta vie/Succès». 

La représentation autochtone dans la culture populaire

Comme l'analyse Labrecque-Saganash, «les Autochtones sont souvent vus comme des reliques du passé. Nous sommes pourtant de grands consommateurs de culture pop aussi, et Salut l’Internet est un projet visant à ''autochtoniser'' le web et s’approprier cette plateforme» (Labrecque-Saganash, Métro). La culture populaire dominante est façonnée par la vision du monde des allochtones blancs et offre une vision de l'autochtone stéréotypée et déshumanisée. Les oeuvres de l'exposition s'inscrivant dans cet axe confrontent cet imaginaire dans le rapport Culture/Culture qu'évoque Guy Sioui Durand.

Les Amérindiens selon Internet de Laura Fontaine épuise la figure de la femme autochtone dans l'imagerie populaire. Ce que l'artiste désigne comme un «collage kitsch sur le stéréotype de la femme autochtone sur le Web» montre l'objectification dans son côté le plus cliché. Ces représentations sont appuyées par une esthétique web vintage, prenant la forme d'images animées scintillantes. L'oeuvre de Fontaine nous montre comment la culture populaire a absorbé des symboles reliés à différentes spiritualités pour en faire un mélange éparse de loups, de capteurs de rêves, de plumes et de corps féminins évacué de toute signification profonde. Cette représentation romantisée de la culture autochtone ne sert pas, à priori, à insuffler un sentiment d'appartenance chez les autochtones, mais plutôt à flatter la vision que les allochtones blancs ont de la colonisation de l'Amérique et de ses fausses promesses d'égalité. Les différentes nations autochtones et leurs particularités se fondent ensemble pour devenir un symbole homogène et subordonné à l'Americana; l'imaginaire blanc du rêve américain et de son territoire. Le collage d'images familières dans Les Amérindiens selon Internet est accompagné d'un chant mélancolique masculin a cappella, hermétique aux allochtones qui visualisent l'oeuvre, car sa compréhension complète est impossible à ceux qui ne partagent pas les référents culturels de l'artiste.

Cette critique post-colonialiste est aussi présente dans Happy Little Indian de Jonah Néwashish. Par une «critique du cliché autochtone vu par Bob Ross» l'artiste s'intéresse au rôle de Bob Ross, figure incontournable de la culture populaire blanche américaine, et de son rôle dans la représentation kitsch et dénaturée de l'Autochtone dans les médias. Ross est connu pour ses paysages faisant l'apologie du territoire amércain et de l'esprit Americana. Comme le déclare l'artiste, «dans certains pays, plusieurs personnes pensent que les Amérindiens de l’Amérique sont comme dans les films où ils fument le calumet comme une habitude de vie, qu’ils portent toujours la coiffe d’un chef et qu’ils jouent du tambour toute la journée. Pourtant, c’est tout le contraire, et ça prouve qu’ils ne connaissent pas la signification de ces derniers». Subvertissant la peinture bucolique et dénuée d'affects de la peinture de Ross placée en arrière-plan, Néwashish superpose au chevalet de celui-ci un collage brutaliste et ironique mêlant l'esthétique minimaliste Paint et des images clip art associées à la représentation stéréotypée des autochtones. Un rectangle noir censurant l'entrejambe d'un bonhomme allumette rappelle l'objectivation du corps des autochtones par les artistes allochtones.

La culture populaire autochtone se réapproprie ces images créées par les médias pour les subvertir et y dégager une identité commune contemporaine. Dans Les Oubliés de Joey Labbé, «une oeuvre qui représente un monde de paroles entre le moderne et la vie traditionnelle», le feu de camp au centre de l'oeuvre est un hyperlien qui mène à une scène du film Phoenix Arizona (1998). Dans cet extrait, Victor Joseph apprend à Thomas Builds-the-Fire comment devenir un «real indian» par une attitude stoïque et en laissant ses cheveux défaits. Le personnage fait ainsi référence au personnage autochtone masculin type, taciturne et sauvage, issu du cinéma hollywoodien. Le film se moque aussi à plusieurs reprises du film Danse avec les loups (1990) de Kevin Costner et de sa représentation du «bon sauvage».

Ce type de mythe enferme l'identité autochtone dans le passé. Incapables de faire face au progrès, le «bon sauvage» et sa culture sont condamnés à disparaître au profit du colonisateur et de sa civilisation. Les artistes qui ont collaboré à l'exposition Salut l'Internet- Kwei pamikicikopitcikan - Kuei anite ka tapishimitishunanut - Hello the Internet - Ashkennon’nia Internet - Kway Internet refusent d'être assimilés à des vestiges historiques.

Par le biais de la technologie numérique, les étudiant.e.s de Kiuna revendiquent leur appartenance à la société post-Internet tout en formulant une critique post-colonialiste de la culture de masse et du web. Les possibilités de représentation du numérique sont utilisées pour exprimer leur subjectivité tout en remédiatisant leur culture traditionnelle afin de la rendre dynamique.

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