La figure de Sedna: une réécriture engagée [1]
Au cours des siècles, les contes et légendes ont permis d'instaurer des cadres normatifs, bornant alors les tabous. Si ces derniers sont tombés quelque peu dans la désuétude, les grandes figures légendaires sont toujours réutilisées dans la littérature pour nous rappeler les dangers et les interdits.
La déesse inuite de la mer, Nelda Swinton a répertorié 37 noms différents pour cette divinité. Pour simplifier mon propos ici, j’ai décidé d’utiliser le nom Sedna qui est le plus rependu, mais n’oublions pas que chacun de ces noms à une importance linguistique, symbolique et correspond à une communauté et une perception différente.
Sedna veille sur les âmes, les ombres, les mers et les animaux[1]. C’est une figure ambivalente, car d’une part elle est redoutée à cause de ces capacités destructrices ; mais elle représente également une gardienne protectrice des animaux marins et d’une saison de chasse prospère. Lors du solstice d’hiver, un culte lui était rendu avec des offrandes et des rituels tournant autour de la lumière pour s’assurer d’une bonne saison de chasse.
Tout d’abord, il faut citer l’ouvrage Whale du dramaturge britannique David Holman paru en 1992. Il situe son roman entre imaginaire et réalité en utilisant une histoire vraie comme point de départ de son récit : celle de trois baleines grises qui ont été prises sous la glace en octobre 1988, à Point Barrow, en Alaska
Dans la version de l’auteure groenlandaise Lana Hansen, paru en 2009 sous le titre Sila, on peut y lire une dénonciation de la pollution croissante. Tulugaq, un jeune garçon qui s’échappe de son enveloppe humaine pour incarner un corbeau, est désigné par l’esprit de l’Inlandsis (glace de l’intérieur des terres) pour lutter contre le réchauffement climatique. Pour cela, il va rendre visite à un ours blanc, une baleine, un aigle, un caribou, une truite et une fleur qui lui font des offrandes pour apaiser la fureur de Sedna (Sassuma Arnaa).
Je vais capturer les humains, parce qu’ils polluent beaucoup trop et n’ont aucun respect pour la nature. Il est temps de leur donner une leçon. Ils ne suivent pas les règles, et ils sont tellement égocentriques et irrespectueux de la nature et des autres êtres vivants que cela va leur retomber dessus. Frédéric Laugrand et Jarich Oosten, La femme de la mer. Sedna dans le chamanisme et l’art inuits de l’Arctique de l’Est, Montréal, Liber, 2011 [2008], p. 33.
[2] David Holman, Whale, London, Methuen Drama, 1989, Oxford, Heinemann Plays, 1992, p. 8.
Lana Hansen, Sila, Nuuk, Milik, 2009, p.56.
Buell, Laurence, The environmental imagination: Thoreau, Nature Writing and the fromation of American Culture, Cambridge, Harvard University Press, 1995,
Laugrand, Frédéric et Jarich Oosten, La femme de la mer. Sedna dans le chamanisme et l’art inuits de l’Arctique de l’Est, Montréal, Liber, 2011 [2008], 181 p.
Kennedy, Michael P. J., « The Sea Goddess Sedna. An Enduring Pan-Arctic Legend from Traditional Orature to the New Narratives of the Late Twentieth Century », John Moss [ed.], Echoing Silence. Essays on Arctic Narrative, Ottawa, University of Ottawa Press, 1997, p. 211-224.
Swinton, Nelda, The Inuit Sea Goddess / La déesse inuite de la mer, Montréal, Musée des beaux-arts de Montréal, 1980, 60 p.