Atelier

CANAUX DE FUITE

François Dumont, Isabelle Messier-Moreau, Nicole Valois, Canaux de fuite, 2011
François Dumont, Isabelle Messier-Moreau, Nicole Valois, Canaux de fuite, 2011
François Dumont, Isabelle Messier-Moreau, Nicole Valois, Canaux de fuite, 2011
François Dumont, Isabelle Messier-Moreau, Nicole Valois, Canaux de fuite, 2011
François Dumont, Isabelle Messier-Moreau, Nicole Valois, Canaux de fuite, 2011
Team members: 
Dumont, François
Team members: 
Messier-Moreau, Isabelle
Team members: 
Valois, Nicole
Workshop year: 
2011
Location: 
Pointe-des-Seigneurs
Description: 

L’objectif est d’inscrire dans le paysage de la Pointe-des-Seigneurs la présence de personnes par la diffusion sonore de fragments de narration ou de méditation mettant en scène : des travailleurs ayant vécu à l’époque de l’activité industrielle du XIXe siècle et de la première moitié du XXe siècle; les visiteurs eux-mêmes; des individus qui choisiraient un jour d’habiter les environs.

Deux types de lieux seraient aménagés :
• Une escale, le long du canal, où neuf bancs seraient disposés.
• Neuf haltes où un banc serait placé.

Un dispositif ferait entendre les textes portant sur les personnes dont la désignation serait inscrite sur le banc : en s’assoyant, le visiteur activerait le son. Dans le cas de l’escale, tous les fragments pourraient être entendus (les sons proviendraient du canal); dans le cas des haltes, trois possibilités sont chaque fois présentes : un prénom; un « tu »; un « il » ou un « elle ». Les inscriptions (lumineuses dans l’obscurité) renverraient aux divers prénoms et pronoms évoqués dans les textes, à savoir :
— Thomas, Benjamin, John, Owen, Alexander, Duncan, Évelyne, Félix, Ovide et Mary. Ces personnages sont inspirés du document de David B. Hanna, Griffintown : son histoire et son cadre bâti (Ville de Montréal, Service de la mise en valeur du territoire et du patrimoine, novembre 2007). L’auteur donne des renseignements sur diverses personnes ayant habité les lieux, notamment comme travailleurs d’usine.
— Un « tu » renvoyant au visiteur et à son expérience du paysage.
— Un « il » et un « elle » désignant les futurs habitants du secteur.

Dans les textes portant sur des personnes qui ont jadis occupé l’espace, le passé simple est utilisé, de façon à rendre une expérience de l’instant et non seulement le caractère révolu des événements narrés. Dans les textes au « tu », le présent traduit l’expérience immédiate. Enfin, les textes évoquant des existences possibles sont au conditionnel.

Il nous a semblé que ce lieu manifestait avec beaucoup de force une rencontre des temporalités, associées à des contrastes : intense activité industrielle passée par rapport au calme présent; caractère harassant de l’existence passée par rapport à la disponibilité présumée du passant. À cela s’ajoute le sentiment d’une transition imminente, qui peut conduire à une nouvelle configuration de l’espace avoisinant.

Puisque les textes seraient enregistrés, il serait facile de prévoir leur remplacement par des textes d’autres auteurs qui respecteraient les mêmes contraintes liées aux prénoms et aux noms. De la sorte, les textes pourraient accompagner la transformation des lieux.

Text: 

1

Thomas sortit très tôt, comme d’habitude. Il marchait vite; il courait presque, en se répétant « Allez, Thomas! », mais sa voix, au fond de lui, était couverte par le bruit.

Ce paysage s’offre à toi comme un passage.

En route vers chez lui, elle serait tout occupée par son désir.

2

Benjamin songeait parfois à rejoindre le fleuve, dont l’image lui revenait lorsqu’il traversait le canal.

Tant de bâtiments morts, te dis-tu, tant de ruines faites de sang, pour personne.

Elle s’étonnerait.

3

John fut happé par une puissance de briques.

Tu es cet oiseau qui s’adapte.

Elle prononcerait avec plaisir le mot « comment ».

4

Owen rêvait à ses livres, qui ne le quittaient pas. Une nuit, les livres d’eux-mêmes se fermèrent et il crut voir son plus jeune qui les rouvrait.

Le paysage pivote sur ton axe.

Elle sourirait aux inconnus.

5

Alexander croisa l’ingénieur en chef, qui ne le reconnut pas. Un peu plus loin, il se retourna et regretta d’avoir baissé les yeux.

D’un côté, les résidus de la nature t’offrent leur fête. De l’autre, l’histoire de ton corps se répand dans la ville.

Elle récapitulerait encore une fois : ici, conclurait-elle, ça devrait aller.

6

Ce soir-là, malgré la fatigue, Duncan fit vraiment l’amour avec Évelyne, mais n’osa pas lui en parler.

Étagement du temps, n’est-ce pas? Mais ce moment précis où tu m’entends est mince comme la suie.

Il apprécierait pas mal de gens, au fond, se dirait-il.

7

Ce tas de sable me ressemble, se dit Félix en pressant le pas.

Tu aimerais bien parler d’enfermement avec ceux qui ne sont plus là.

Habité par le présent, il songerait que le passé lui ressemblait peu.

8

Affamé, assourdi, rempli de tout ce qu’il avait manipulé, Ovide ne trouva rien à dire à sa femme qui l’accueillait au seuil de son logis.

Cet arbre te décrit le noir d’où il vient en faisant des gestes clairs.

Il reverrait encore une fois sa nouvelle voisine, et, cette fois, lui parlerait.

9

Mary tenta le coup : elle dessina l’espace qu’elle désirait; elle fit une place pour chaque chose — mais chaque chose se déroba.

Il y a tout à coup un peu d’espace pour ce qui n’est pas toi.

Elle serait sortie prendre un peu l’air, sachant que ses recommencements continueraient.

Note(s): 

François Dumont, écrivain
Isabelle Messier-Moreau, architecte
Nicole Valois, architecte paysagiste