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Mieux vaut en rire.

L'exercice était audacieux, et à mon sens a été bien accompli : il est périlleux d'offrir un compte-rendu d'un essai aussi polémique sans le prendre à parti ou le célébrer. On sent à la lecture de votre article des pointes de critique qui laissent deviner votre opinion sur ce livre, mais de manière assez subtile pour tout de même laisser la parole à Millet.

Ou devrais-je plutôt écrire "lui laisser la corde pour se pendre"? Ce qui m'a frappé à la lecture de ce compte-rendu de l'essai de Millet, notamment au travers des citations rapportées dans ce texte, est l'élitisme à peine dissimulé de l'auteur (le bien placé "gallo-centrisme" ne suffit pas à décrire l'étroitesse d'esprit et de culture de Millet). La démocratisation de l'écriture et de la publication (sans oublier l'accessibilité grandissante de la lecture qui en découle!) entraîne une abondance de production qui est à mon sens difficile d'envisager de manière macroscopique.

Caractériser la situation actuelle en se lamentant que "ce n'est pas comme avant, les grands écrivains sont morts, la production contemporaine est pauvre, etc" me semble passablement nostalgique de la part de Millet. D'ailleurs, on ne le peut en prendre acte à la lecture de votre compte-rendu, mais Millet désigne-t-il des criminels se rendant coupable d'un appauvrissement de la littérature? Ou est-ce qu'il n'en reste pas plutôt à des considérations générales à propos d'une production contemporaine dont il est statistiquement improbable de prendre le pouls, puisqu'il y aurait fort à lire pour en avoir parcouru même une parcelle?

Il devient risible par la suite de voir à quoi Millet attribue les causes de cette descente aux enfers de la postlittérature. J'ai perdu le compte; doit-on blâmer à parts égales la "génético-cybernétique", l'aveuglé utopisme américain (ma parole, a-t-il déjà posé un pied en sol américain, ou regardé autre chose que Fox News?), le zèle des traducteurs français, la mondialisation, la volonté de parler de l'actualité de la part d'auteurs qui ont les deux pieds dedans, le fait qu'il y ait "trop d'éditeurs"? Ou est-ce plutôt parce que les écrivains contemporains n'ont pas assez lu leur Tolstoï et leur Dostoïevski, du moins pas avec la même justesse supposée que Millet?

Qui trop embrasse mal étreint, et qui veut relever la saveur de son plat assaisonne à mort, à un point tel qu'on ne peut goûter la pièce de résistance tellement elle est enfouie sous un amalgame infect d'épices. Le projet de Millet aurait peut-être pu être étayé en une dizaine de tomes volumineux, mais vouloir s'en prendre à la forme romanesque par le biais d'un essai à entrée tabulaires reviendrait à vouloir détruire les fondations d'un bâtiment à coup de marteau. Or, dans ce cas-ci, le bâtiment en question est gigantesque, et il me semble que les coups assénés par Millet, certes à l'emporte-pièce mais de manière très dispersée, ont la densité d'une rafale de vent et la précision d'un archer aveugle, quoique enragé.

Certaines des préoccupations de Millet sont effectivement des sujets sensibles qui méritent une attention, et on peut au moins lui donner le mérite d'avoir abordé ces questions de front. Mais au final, tirer dans le tas en clamant que c'est la forme du roman qui est la damnatrice de la post-littérature est aberrant. Le renouvellement de la littérature est et sera toujours possible, peu importe le format de publication qu'elle prend comme véhicule. Parce que le roman est un format, qui autorise bien des choses et en empêche peu.

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