C’était en effet un exercice difficile – et quasiment périlleux – que d’offrir une lecture de cet essai. Nous avons choisi de prendre plus ou moins position non pas tant pour lui « laisser de la corde pour se pendre » - ce qui n’est nullement exclu, j’en conviens – mais parce que, pour entrer dans un tel débat, je crois qu’il faut une érudition certaine mais aussi une connaissance approfondie de la littérature contemporaine à l’échelle mondiale (ce que je n’ai évidemment pas!).
Il y a certainement – et on l’a souligné – une grande nostalgie dans le discours de Millet. Il semble souffrir quelque peu de cette sorte d’ « effet de génération » qui nous fait toujours voir dans la suivante une forme de dégénérescence par rapport à ce que nous on a été, à ce que nous on a connu… Personnellement, je me méfie toujours un peu de ce genre de discours, mais reste que Millet, malgré tout – et même s’il crie fort –, a su me charmer par certains tours d’esprit, certaines mises en perspectives, et oui, aussi, par un certain style… davantage parfois que par son propos.
Mais ce qui me fascine plus sûrement dans tout ça, n’est pas tant que l’on tape sur certains clous, mais le fait que plusieurs tapent sur les mêmes clous et que, à force, ils en viendront peut-être à démolir un peu, pour reprendre ton expression, les fondements du bâtiment… On en conviendra, il y a à coup sûr quelque chose « qui se passe » depuis 1980, une forme de désenchantement par rapport à la littérature, qui était jusqu’à maintenant davantage véhiculé par les critiques que par les écrivains.
D’ailleurs, je suis actuellement dans la lecture du fort volumineux Journal de Jean-Pierre Guay, Journal qui a créé une grosse vague dans le milieu des lettres québécoises pendant les années 1980. Pas étonnant, parce que Guay s’en prenait directement à la « littérature » qui était pour lui une forme d’idéologie, voire de secte au Québec, où tout le monde finissait par s’en faire accroire. Par l’écriture de son Journal, Guay souhaitait ni plus ni moins se « délittaraturer » l’existence, soit rompre avec une vision du monde et de la vie complètement déconnectée de la réalité. J’ai d’ailleurs noté une citation qui me rappelait Millet (c’est dans une lettre à je ne sais plus qui – qu’on me pardonne), écrite en 1987 : « Ce que tu me racontes des livres et de la littérature qui ne se vendent pas marque, j’en suis persuadé, la fin d’une époque sinon d’une civilisation […]. La raison : les lecteurs ont développé une conscience d’écrivain. Tout le monde voudrait écrire. Or non seulement tout le monde n’écrit pas mais tout le monde ne lit plus. » Et ça me semble assez symptomatique. Le côté amusant de cette citation, toutefois, est qu’elle se termine de la façon suivante : « Je trouve que cela est bien. L’intellectualisme est une passion morbide. Je suis pour tout ce qui peut contribuer à nous en délivrer. » (tome 5, 1997 : 220) Plutôt que de déplorer la « mort de la littérature », donc, comme le fait Millet, Guay s’en réjouissait… Et Guay aurait certainement tonné à son tour contre Millet, puisque lui, pas de doute, il en fait, de la « littérature », c’est-à-dire qu’il fait du style, plutôt que de dire simplement ce qu’il y a à dire avec les mots pour le dire…
En termes simples (!) et pour revenir à nos moutons, Pierre-Luc et moi avons privilégié une posture métacritque plutôt que de nous en prendre directement aux propos de Millet, de manière à ouvrir un débat plus large. Mais, en effet, il y aurait lieu de nuancer ses positions, comme celle de la démocratisation de la culture qui ne va pas qu’en sens négatif. Par exemple (et c’est simplement mon opinion), s’il est vrai qu’il est une chose positive que la lecture soit de plus en plus accessible à tous, il en revanche déplorable que les lecteurs aient de moins en moins d’outils pour départager une simple lecture divertissante d’une lecture enrichissante. En revanche, il me semble que si le roman est en effet un format qui autorise bien des choses, il reste que, à l’utiliser comme un fourre-tout, il risque quelque peu de devenir une forme désuète qui exclut toute forme d’innovation, ou encore, cherche à la masquer aux yeux des lecteurs les moins attentifs.
Finalement, pour répondre à ta question à savoir si Millet désigne des auteurs particuliers, représentants de cette postlittérature, il en nomme en effet quelques-uns. C’est ce qu’il appelle (on voit vite la référence à Gide) des « faux-monnayeurs ». Et il donne entre autres comme exemple « ces romanciers anglo-saxons, David Lodge, Colm Tóibín, Micheal Cunningham, qui écrivent des romans à partir de la vie de Henry James, Virginia Woolf; on est là non seulement dans la parodie, mais aussi dans le commentaire parodique de la parodie, la littérature comme ludisme. Prendre James et Woolf comme personnages de romans, c’est dénaturer l’idée même de littérature tout en faisant un aveu d’impuissance romanesque. Qu’un David Lodge écrive ensuite sur son propre roman un livre plein d’autosatisfaction, intitulé Dans les coulisses du roman, ne fait que montrer la dimension funèbre et infernale du roman postlittéraire, qui élève son making of au rang de genre pararomanesque. » (2010 : 104-105) En général, toutefois, il évite de trop pointer du doigt des auteurs en particulier. Mais je ne cacherai pas que, pour ma part, il m’arrive de bien aimer certains de ces romans « fausse-monnaie »…
Un "effet de génération"
C’était en effet un exercice difficile – et quasiment périlleux – que d’offrir une lecture de cet essai. Nous avons choisi de prendre plus ou moins position non pas tant pour lui « laisser de la corde pour se pendre » - ce qui n’est nullement exclu, j’en conviens – mais parce que, pour entrer dans un tel débat, je crois qu’il faut une érudition certaine mais aussi une connaissance approfondie de la littérature contemporaine à l’échelle mondiale (ce que je n’ai évidemment pas!).
Il y a certainement – et on l’a souligné – une grande nostalgie dans le discours de Millet. Il semble souffrir quelque peu de cette sorte d’ « effet de génération » qui nous fait toujours voir dans la suivante une forme de dégénérescence par rapport à ce que nous on a été, à ce que nous on a connu… Personnellement, je me méfie toujours un peu de ce genre de discours, mais reste que Millet, malgré tout – et même s’il crie fort –, a su me charmer par certains tours d’esprit, certaines mises en perspectives, et oui, aussi, par un certain style… davantage parfois que par son propos.
Mais ce qui me fascine plus sûrement dans tout ça, n’est pas tant que l’on tape sur certains clous, mais le fait que plusieurs tapent sur les mêmes clous et que, à force, ils en viendront peut-être à démolir un peu, pour reprendre ton expression, les fondements du bâtiment… On en conviendra, il y a à coup sûr quelque chose « qui se passe » depuis 1980, une forme de désenchantement par rapport à la littérature, qui était jusqu’à maintenant davantage véhiculé par les critiques que par les écrivains.
D’ailleurs, je suis actuellement dans la lecture du fort volumineux Journal de Jean-Pierre Guay, Journal qui a créé une grosse vague dans le milieu des lettres québécoises pendant les années 1980. Pas étonnant, parce que Guay s’en prenait directement à la « littérature » qui était pour lui une forme d’idéologie, voire de secte au Québec, où tout le monde finissait par s’en faire accroire. Par l’écriture de son Journal, Guay souhaitait ni plus ni moins se « délittaraturer » l’existence, soit rompre avec une vision du monde et de la vie complètement déconnectée de la réalité. J’ai d’ailleurs noté une citation qui me rappelait Millet (c’est dans une lettre à je ne sais plus qui – qu’on me pardonne), écrite en 1987 : « Ce que tu me racontes des livres et de la littérature qui ne se vendent pas marque, j’en suis persuadé, la fin d’une époque sinon d’une civilisation […]. La raison : les lecteurs ont développé une conscience d’écrivain. Tout le monde voudrait écrire. Or non seulement tout le monde n’écrit pas mais tout le monde ne lit plus. » Et ça me semble assez symptomatique. Le côté amusant de cette citation, toutefois, est qu’elle se termine de la façon suivante : « Je trouve que cela est bien. L’intellectualisme est une passion morbide. Je suis pour tout ce qui peut contribuer à nous en délivrer. » (tome 5, 1997 : 220) Plutôt que de déplorer la « mort de la littérature », donc, comme le fait Millet, Guay s’en réjouissait… Et Guay aurait certainement tonné à son tour contre Millet, puisque lui, pas de doute, il en fait, de la « littérature », c’est-à-dire qu’il fait du style, plutôt que de dire simplement ce qu’il y a à dire avec les mots pour le dire…
En termes simples (!) et pour revenir à nos moutons, Pierre-Luc et moi avons privilégié une posture métacritque plutôt que de nous en prendre directement aux propos de Millet, de manière à ouvrir un débat plus large. Mais, en effet, il y aurait lieu de nuancer ses positions, comme celle de la démocratisation de la culture qui ne va pas qu’en sens négatif. Par exemple (et c’est simplement mon opinion), s’il est vrai qu’il est une chose positive que la lecture soit de plus en plus accessible à tous, il en revanche déplorable que les lecteurs aient de moins en moins d’outils pour départager une simple lecture divertissante d’une lecture enrichissante. En revanche, il me semble que si le roman est en effet un format qui autorise bien des choses, il reste que, à l’utiliser comme un fourre-tout, il risque quelque peu de devenir une forme désuète qui exclut toute forme d’innovation, ou encore, cherche à la masquer aux yeux des lecteurs les moins attentifs.
Finalement, pour répondre à ta question à savoir si Millet désigne des auteurs particuliers, représentants de cette postlittérature, il en nomme en effet quelques-uns. C’est ce qu’il appelle (on voit vite la référence à Gide) des « faux-monnayeurs ». Et il donne entre autres comme exemple « ces romanciers anglo-saxons, David Lodge, Colm Tóibín, Micheal Cunningham, qui écrivent des romans à partir de la vie de Henry James, Virginia Woolf; on est là non seulement dans la parodie, mais aussi dans le commentaire parodique de la parodie, la littérature comme ludisme. Prendre James et Woolf comme personnages de romans, c’est dénaturer l’idée même de littérature tout en faisant un aveu d’impuissance romanesque. Qu’un David Lodge écrive ensuite sur son propre roman un livre plein d’autosatisfaction, intitulé Dans les coulisses du roman, ne fait que montrer la dimension funèbre et infernale du roman postlittéraire, qui élève son making of au rang de genre pararomanesque. » (2010 : 104-105) En général, toutefois, il évite de trop pointer du doigt des auteurs en particulier. Mais je ne cacherai pas que, pour ma part, il m’arrive de bien aimer certains de ces romans « fausse-monnaie »…