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Notre engagement

Les commentaires de François Bon me semblent justes, et j’avoue être déçu de lire un texte qui aborde la blogosphère comme étant le lieu de froids calculs, avant même de poser la question de son intérêt dans l’histoire des communautés de pensée.

Il y a une insistance sur la légitimité (le mot est utilisé 9 fois...) dans votre texte qui m’agace profondément. La littérature n’a rien à voir avec la légitimité; la littérature légitime, c’est celle qu’on enseigne à l’Université. On ne peut pas penser le contemporain comme ça. Je serais bien curieux de connaître le discours que tenait «la critique» contemporaine du premier Tzara, ou encore celle d’Henry Miller, qui écrivait JE comme personne ne l’avait fait avant lui, tandis que Julien Green réfléchissait justement de façon il me semble plus légitime, en tout cas plus sage, dans les sillages de Gide. La nouveauté est toujours d’abord irrecevable, illégitime, et c’est ce qui fait son intérêt et son importance capitale (saluons au passage Hubert Aquin, Kathy Acker, Samuel Beckett, Charles Bukowski, Dosto, Flaubert, Sarah Kane, Jack Kerouac, William S. Burroughs et les autres.)

Un petit passage de Miller, parce que ça ne me semble pas complètement éloigné de ce qui nous occupe :

« There is only one thing which interests me vitally now, and that is the recording of all that which is omitted in books. Nobody, so far as I can see, is making use of those elements in the air which give direction and motivation to our lives. » (C’est dans TROPIC OF CANCER)

Allons lire ALL WORK AND NO PLAY, un projet dont la pensée est entièrement engagée dans un processus bloguesque, plutôt que de perdre notre temps sur des blogues où le copinage prévaut à l’écriture.

Quand François Bon dit que vous écrivez contre vous-mêmes, c’est aussi à ça qu’il fait référence, j’imagine. Votre texte sonne «arrière-garde», ne voit tout simplement pas les potentialités présentes et futures du blogue, lui refuse son importance en focalisant délibérément sur un aspect vil et superficiel qui n’est pas la norme, ne peut pas être la norme des sociabilités sur le Web. Vous donnez l’impression d’imaginer le pire afin de discréditer le meilleur. Je vous renvoie à Gilles Deleuze, qui répondait ainsi à ceux qui disqualifiaient le cinéma, sous prétexte qu’il s’agit d’un art commercial et «populaire» :

« L’énorme proportion de nullité dans la production cinématographique n’est pas une objection : elle n’est pas pire qu’ailleurs, bien qu’elle ait des conséquences économiques et industrielles incomparables. Les grands auteurs de cinéma sont donc non seulement plus vulnérables, il est infiniment plus facile de les empêcher de faire leur oeuvre. L’histoire du cinéma est un long martyrologe. Le cinéma n’en fait pas moins partie de l’histoire de l’art et de la pensée, sous les formes autonomes irremplaçables que ces auteurs ont su inventer, et faire passer malgré tout. » (C’est dans L’IMAGE-MOUVEMENT)


Enfin... je crois que notre débat montre à quel point il serait important pour nous, jeunes universitaires, de nous questionner quant à notre engagement. Vous semblez à l’aise avec la dissection, les considérations sur les «outils» à utiliser pour mener à bien votre réflexion, mais je crois qu’il faut aussi vous demander ce que vous êtes en train de faire avec ces outils. Il y a dans votre application quelque chose de si systématique qu’à terme, elle réduit le champ des possibles à une mécanique qui prive la blogosphère de son énergie vitale.

Et puis de l’autre côté, il y a un texte comme celui d’Amélie Paquet, « Une littérature qui ne se possède pas », que vous citez par ailleurs dans un contexte qui ne lui rend pas justice. Je le souligne parce que ça me semble important. Je crois que le texte d’Amélie Paquet travaille justement à penser le blogue en dehors des instances traditionnelles de la littérature imprimée. Vous réduisez sa réflexion à ceci :

«Paquet estime que les blogueurs ont manqué leur chance, celle de changer le monde par la culture libre.»

S’il vous plaît, prenez le temps de relire ce beau passage sur la gratuité, le don, le superflu... :

«Je pense aussi et surtout que la littérature sert à maintenir le contact entre les individus d’une communauté et que ce contact peut être maintenu grâce aux libres partages des expériences. L’écrit, par la forme qu’il adopte, permet un partage de certaines réalités au cœur de nos expériences qui ne seraient pas racontables à l’oral. Il y a aussi dans ces petites histoires individuelles laissées partout sur le Web quelque chose de superflu. Évidemment, on ne pourra pas toutes les lire, il y a en trop. La littérature, c’est aussi ça : être de trop, être superflu, être inutile dans un monde administré tourné vers la rentabilité. Le blogue me paraît à cet égard être bel et bien tributaire d’une logique propre à l’activité littéraire et un refuge de choix pour la littérature de demain.»

Voilà... Un refuge de choix pour la littérature de demain. Une façon stimulante d’interroger la positivité d’une pratique nouvelle, au lieu de l’appréhender comme si tout y était déjà joué.

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