Faire parler l'ordinaire
La jeune poétesse Érika Soucy possède une capacité rare pour saisir, en quelques vers succincts, la complexité d’un moment ou d’une relation à travers ses détails les plus concrets, les moins lyriques: «Tu garoches la chaise/dans laquelle tu me berças/un jour de retour d’impôt/l’aube dans le coma/tu fatigues/tu me parles de Dieu/nous allons disparaître». Après un très beau premier recueil, Cochonner le plancher quand la terre est rouge, Érika Soucy poursuit son travail poétique avec L’Épiphanie dans le front, dans lequel de brefs fragments éclairent une réalité quotidienne bâtie autour du travail des hommes en montagne ou dans les centrales électriques, quelque part dans une Côte-Nord habitée par «le gun la bière la colle les enfants».
En mettant en scène cette ruralité trash, Érika Soucy évite de tomber dans le misérabilisme et sait jouer de l’apitoiement avec un humour noir: «Une berceuse en innu/chantée au son/sans savoir/je n’ai même pas le luxe/d’être première nation». La poétesse, qui s’adresse à un «tu» paternel le plus souvent absent, fait des fausses espérances et de l’attente le cœur de son recueil, et les observe d’un regard caustique et féroce, en construisant de petites histoires lapidaires qui frappent par leur âpreté et leur précision: «nous faisons la prière/depuis que tu as serré/la main de la sainte-vierge/ta guidoune du dimanche/quand tu rentres scrap». L’Épiphanie dans le front est un recueil violent, où les images poétiques sont souvent construites autour de bribes de conversation hargneuses ou d’objets dérisoires. C’est une preuve du grand talent de l’auteure que de parvenir à faire émerger de ces morceaux prosaïques une voix d’une telle puissance et d'une telle clarté, dans ce recueil où «c’est l’ordinaire qui parle/partout».
Commentaires
Juste et concret.
Merci, c'est la critique la plus juste et concrète qu'il y a eu sur mon travail. On sent une véritable compréhension et une véritable recherche autour du livre. Ça fait ma soirée ! :)
Erika Soucy