Notre communication portera sur le rapport à la lecture mis en jeu dans Le Jardin des Plantes de Claude Simon. Nous tenterons de montrer de quelle manière, chez Claude Simon, le déplacement d’une politique de l’écriture vers une politique de la lecture va de pair avec la mise en place d’une politique de la réécriture.
Du Tricheur (1945) jusqu’à L’Acacia (1989), l’œuvre de Claude Simon se présente en grande partie comme un travail de réécriture, chaque roman réécrivant les précédents. Dans Le Jardin des Plantes, pour la première fois dans l’œuvre, la réécriture est thématisée: elle fait l’objet d’une discussion entre l’écrivain S. et un journaliste, au cours d’un long entretien dont le roman restitue le souvenir. La restitution s’effectue par fragments successifs, entre lesquels sont intercalés des fragments de textes cités intégralement, notamment des extraits de romans, de correspondances et de mémoires. De cet assemblage de textes et de souvenirs ressort un questionnement sur le rapport entre l’écrit et la réalité vécue, lequel passe fondamentalement par une relecture du roman réaliste, de Stendhal à Proust en passant par Flaubert et Dostoïevski.
La dimension picturale de la représentation du vécu, soulignée dans Le Jardin des Plantes par de nombreuses références à la peinture et à la photographie, se révèle au cœur des enjeux, indissociable de celle de l’imagination du lecteur. Comment, demande l’écrivain S. se relisant et lisant les romanciers réalistes, la réalité vécue peut-elle être représentée et transmise adéquatement à l’écrit, alors qu’elle passe inévitablement par le biais de l’image dans la mémoire? En passant par le biais de l’image, la représentation et la transmission romanesques de la réalité vécue se produisent dans un inévitable décalage. Il apparaîtra que l’actualité des textes du passé réside précisément dans ce décalage, dans cette inadéquation avec la réalité qu’ils représentent, au sein de laquelle la lecture ouvre un espace pour la réécriture. (Archives)