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L'écologie queer en action: pour un changement radical

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ARONS, W. “Queer Ecology / Contemporary Plays.” Theatre Journal, vol. 64, no. 4, 2012, pp. 565–582.

Wendy Arons est une traductrice, dramaturge et professeure de littérature dramaturgique à l’université de Canergie Mellon à Pittsburgh aux États-Unis. Elle cumule un peu plus de vingt ans d’expérience en enseignement de la littérature. Ses intérêts de recherches incluent, entre autres, la performance, l’écologie, et les écodrames. Elle tient également un blog, The Pittsburg tatler, où elle publie des textes critique sur le théâtre des nouvelles du milieu théâtral. Sa pensée s’inscrit dans le courant écocritique et l’écoféminisme. Son texte cherche à répondre à deux questions : quelle forme d’art pourra faire changer nos perceptions sur les éléments qui nous entourent, et autour de quoi s’articule ce changement.

L’article d’Arons amène à se questionner sur plusieurs aspects de la relation entre humains et autre-qu’humains. À partir de sa réflexion sur l’écologie queer, elle relève trois éléments qu'elle explore à travers tout autant de pièces contemporaines. Dans Grasses of a Thousand Colors de Wallace Shawn, Arons analyse la déconstruction des binarités telles qu’humain/autre-qu’humain, dans Bears de Mark Rigney, elle aborde la différence entre la conscience humaine et autre-qu’humaine, qui relève davantage du degré que du type, et dans My Barking Dog d’Eric Coble, elle approfondit l’hybridité et son potentiel pour une réorganisation radicale du monde social. Tous ces éléments contribuent, plus largement, à décentrer l’expérience humaine, qui n’est pas unique et qui n’a pas une valeur intrinsèque plus grande que celles d’autres formes de vie, ou même des matières.

Un aspect récurrent des analyses d’Arons est celui du consentement des autre-qu’humains. La pièce Bears travaille cette notion avec ses trois protagonistes captifs d’un zoo, les ours Growl Bear, Timmy et Suzie Wild Bear. Chacun vit cette captivité et la relation forcée aux humains de manière différente, de même que la possibilité de s’évader du zoo pour vivre, à sa manière bien personnelle, en tant qu’ours. Grasses of a Thousand Colors et My Barking dog s’intéressent au consentement à travers la sexualité entre différentes espèces. Dans les deux cas, Arons affirme que cette sexualité n’est ni perverse ni tabou. Elle se déploie plutôt dans une intimité, un moment de rencontre privilégié avec l’autre. Un maillage advenu soudainement entre les espèces, sans que l’humain n’assoie sa supériorité sur l’autre-qu’humain de quelque manière que ce soit : «In each case, the trope of the human fucking the nonhuman that adheres to our cultural understanding of bestiality is refigured: sex with an animal becomes less a means of dominance of the human over the nonhuman than a radical opening of the human to the nonhuman.» (p.581) Dans My Barking Dog, cette relation mène d’ailleurs à une grossesse, et ce malgré l’expression de genre des personnages. L’avènement de cette grossesse fait tomber plusieurs constructions sociales, notamment celles qui s’entêtent à binariser le sexe, et plus largement le genre, en plus d’offrir un discours modéré entre les positions qui visent un effacement complet de l’humain et celles qui donnent lieu aux idées de robotisations des abeilles.

La crise de la sensibilité qu’étudient Estelle Zhong Mengual et Baptiste Morizot se résoudra-t-elle par ce chemin de l’hybridité? La pièce de théâtre qu’analyse Arons permet de penser qu’il s’agit d’une voie possible. Et dans ce cas, pourquoi ne pas commencer — ou plutôt, continuer — par l’explorer à travers la fiction? Cependant, la question du consentement demeure. Comment s’assurer que l’humain ne répétera pas les mêmes erreurs, tout en pensant bien faire? Comment peut-on mesurer le consentement chez les autre-qu’humains? La pièce Bears aborde trois manières dont les choses pourraient se dérouler : avec le consentement des autre-qu’humains, mais sans leur intervention, sans leur consentement ni leur intervention, ou encore avec leur consentement. Si cette pièce ne permet pas de répondre avec certitude à la question, elle donne matière à réflexion. Une réponse plus étoffée, du moins pour les animaux non-humains, pourrait se trouver chez les théoriciennes antispécistes comme Sue Donaldson et Will Kymlicka qui proposent d’instaurer une citoyenneté animale et de les laisser vivre avec nous ou non, à leur choix.

Le texte d’Arons soulève en effet plusieurs questions, mais l’autrice réussit à inscrire sa réflexion à la fois dans une lignée de théoriciens et théoriciennes — plus particulièrement, Timothy Morton et Jane Bennett — en plus d’appliquer ses réflexions de manière concrète à des pièces contemporaines qui abordent de front la relation entre autre-qu’humains et humains. S’il demeure difficile d’imaginer un monde réel égalitaire et sans catégories binaires, Wendy Arons montre bien que la fiction demeure une manière de découvrir petit à petit des réponses.

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Commentaires

Portrait de Syrielle Deplanque

Tout d’abord, je voudrais te remercier pour ton article qui est très intéressant et bien écrit. Les théories et thématiques que tu abordes sont quelques peu flou pour moi, donc je m’excuse si mon commentaire enfonce des portes ouvertes. Je trouve particulièrement stimulant que l’art et la littérature soient utilisé pour questionner les relations entre humains et autre-qu’ humains. La manière dont les théories antispecistes ont de décentrer la place de l’humain est très intéressante, mais m’oblige à me poser la question de l’interprétation qui peut exister entre les différents partis.
Comme nous ne partageons pas le même système de signe, et que nous n’avons pas trouvé de moyen absolument certain d’interpréter ces derniers, pouvons-nous être certain de ne pas faire d’erreur dans la lecture des signes.
Le fait de placer un autre-qu’humain au centre d’une œuvre, permet de remettre en question notre propre compréhension de notre environnement. Malgré cela, il faut garder à l’esprit, à mon sens, qu’il s’agit d’une œuvre humaine qui par conséquence est subjective. Cela pose également la question du droit à la parole de l’autre pour qui l’humain parle. Un petit peu de la même manière qu’a pu le faire des non-autochtones pour les autochtones. Parler pour eux ne serait-il pas substitué leur parole ? Ce qui vient à nous demander, comment laisser la parole à l’autre et comment parler sans sur interpréter les signes ? Ce sont des questions ouvertes, mais qui peuvent, peut-être, aider à recomplexifier la parole/écrit et son accession.

Portrait de Mélina Cornejo

L’idée qu’une écologie queer pourrait déconstruire les binarités présentes dans la conception rigide entre nature et culture me semble importante pour arriver à non seulement décentrer la vision humaine, mais aussi à détruire l’idée de pouvoir. Il est primordial, à mon sens, que l’humain arrête de se voir dans une position dominatrice sur la nature et les animaux. Et comme tu le dis si bien, l’enjeu du consentement quand il est question de relation sexuelle entre l’humain et l’autre plus qu’humain dans la fiction est important pour ne pas reconduire encore cette attitude anthropocentrée de l’humain et pour arriver à le placer en position d’écoute. Surtout quand ce dit consentement ignoré renvoie de manière plus large aux maintes exploitations de l’autre plus qu’humain par l’humain.

Dans le passage que tu cites d’Arons, elle évoque le besoin de la création d’une écoute par cette relation sexuelle qui est justement loin de la domination. Dans son livre Le corps des bêtes, Audrée Wilhelmy présente le personnage de Mie qui explore sa sexualité infantile par un rapport de réciprocité entre les animaux et elle alors qu’elle se pose même parfois comme animale. Loin d’une description pornographique ou déplacée, on est plutôt dans une poésie sensible. Il serait donc intéressant de se demander si, au théâtre comme au cinéma, l’enjeu de la représentation visuelle de cet acte sexuel peut amener, sans le vouloir, ce côté plus explicite et concret, et donc moins figuré. Je sens que, justement, dans ce genre de représentation, l’idée de choisir ce qu’on doit et ne doit pas montrer est primordial pour illustrer cette écoute. Comment s'assurer d'utiliser les corps plus pour passer un message que pour encourager un désir humain malsain qui serait, à mon avis, à l'encontre de ce même message?