Hors les murs: perspectives décentrées sur la littérature québécoise contemporaine (Salon double)

Salon double
Savoie-Bernard, Chloé
Letendre, Daniel
Dossier thématique, dirigé par Chloé Savoie-Bernard et Daniel Letendre, publié sur Salon double en octobre 2014.

Introduction [Hors les murs: perspectives décentrées sur la littérature québécoise contemporaine]

Alors qu’à chaque présentation de la grille télévisuelle et radiophonique de l’automne, universitaires, écrivains et éditeurs se plaignent de l’absence d’émissions littéraires sur les ondes et les écrans québécois, force est pourtant de constater qu’au cours des vingt dernières années la littérature n’est jamais disparue de la scène médiatique. Au contraire, chaque magazine grand public a maintenant sa section littéraire, la radio d’État lui consacre une émission quotidienne, plusieurs villes du Québec ont leur Salon du livre et les blogues sur le sujet se multiplient. De même, la réorganisation du programme d’enseignement du français au collégial en 1998 a généré de fortes discussions sur la place de la littérature québécoise dans le cursus scolaire. Plus récemment, le changement d’intitulé du programme collégial d’Arts et Lettres a rappelé à la mémoire de plusieurs que la littérature n’est pas uniquement un divertissement, mais une manière d’appréhender le monde, voire de le construire. À quoi tient alors cette impression tenace de l’invisibilité de la littérature dans le champ médiatique québécois et, plus généralement, dans l’espace social?

La condition d'Humpty Dumpty

Si Humpty Dumpty me semble le saint patron des revues littéraires, ce n'est donc pas seulement parce qu'il incarne l'équilibre fragile de celui qui fait du mur érigé entre deux espaces son royaume incertain; mais aussi parce qu'il pose de façon extrêmement claire l'acte de naissance polémique des revues, lesquelles sont prises, à leur corps défendant ou non, dans une joute interminable où il s'agit de savoir qui seront les maîtres dans l'usage de certains mots talismaniques —à commencer par celui, fondamental, de littérature, qui impose son exigence et brille un peu comme un feu follet destiné à perdre ceux qui se lancent à sa poursuite dans la nuit.

Du trickster à l’Ovni: tisser la littérature québécoise en périphérie de la création. Réflexion sur la place de la littérature dans la revue Ovni

Le parcours de la revue Ovni est fugitif: publiée pour la première fois en mai 2008, elle s’éteint quatre numéros plus tard, au printemps 2010. Dès sa création, Ovni a tenté de créer un nouvel espace où il était possible de déployer un nouveau discours sur la littérature québécoise qui devait s’arrimer à d’autres disciplines –art, danse, bande dessinée, cinéma, etc. Si la création d’une nouvelle revue ne va pas sans une certaine prétention de nouveauté, il est particulièrement intéressant de se pencher sur la façon dont les éditoriaux inauguraux –il y en a ici neuf au total dans la première livraison– jouent sur les figures du trickster et de l’ovni pour situer leurs discours en périphérie des institutions et des lieux de diffusion des productions culturelles institués.

Du cahier de sports au cahier des arts: la poésie dans Le Journal de Montréal et Le Devoir

Dans Le Devoir du 25 août dernier, Claude Paradis atteste qu’il est «découragé du peu d’attention des médias à l’égard de la poésie». Jean-François Caron partage cet avis, et entame son dossier de la revue Lettres Québécoises de l’automne 2014 en affirmant qu’elle est «marginalisée dans les médias». Ces deux déclarations pourraient refléter l’opinion qu’ont les acteurs du milieu de la littérature sur le traitement réservé à ce genre littéraire: la poésie n’occuperait pas une place suffisante sur la scène médiatique. Qu’en est-il, plus précisément, dans le journalisme écrit? La poésie est-elle occultée par nos grands quotidiens?

Les poètes amérindiens sur la place publique

Les poètes amérindiens sont de plus en plus présents sur la place publique du Québec et d’ailleurs. Depuis quelques années, leurs «poèmes rouges», pour reprendre le titre d’un recueil de Jean Sioui, colorent l’espace poétique francophone. La poésie rougit désormais de leur présence. À l’instar des publications autochtones qui se multiplient, les poètes des Premières Nations sont invités de façon croissante à prendre la parole dans différents événements littéraires, culturels et citoyens, de même que dans les médias, où il est de plus en plus question d’eux.

Vendre le livre sans parler de littérature. Le cas du Salon du livre de Montréal et des émissions littéraires télévisées

L’un des lieux communs propagés par les «intellectuels» —universitaires, écrivains et autres spécialistes— est l’amenuisement de la place laissée à l’art dans la sphère publique: diminutions des subventions, disparition des formes d’expressions artistiques dans les médias de masse, etc. On expose chiffres, données, sondages pour convaincre de la véracité de ces propos qui dévoilent, en même temps qu’une insatisfaction quant au traitement public des arts, l’inquiétude de leur survivance. Si le travail des artistes est diffusé avec moins d’ampleur, en effet, ceux-ci ne sont-ils pas relégués à une certaine marge, voire à l’anonymat?

Comment les médias parlent-ils de littérature?

La définition de l’objet «littérature» construite par les acteurs du champ médiatique serait-elle insatisfaisante? La littérature aurait-elle perdu toute sa place chez les médias dits conventionnels? Aborder cette impression de vide littéraire m’a inévitablement fait réfléchir à ce qu’est le conventionnel chez les médias; s’il existe, même, considérant l’investissement du web et des réseaux sociaux opéré par les chaînes télé et radio; si le non conventionnel existe encore; s’il n’est pas disparu avec l’ouverture des blogues, des pages Facebook et des comptes Twitter de V télé et de l’émission Les Chefs. Si la convention appelle le conformisme alors que le non conventionnel agirait sans ces règles ou sans toujours s’y soumettre, il faut maintenant se demander à quel genre de conformisme nous avons affaire dans les médias.

État plus que critique

Il est certes utile de s'interroger sur la place que peut avoir la littérature dans l'espace public en des termes quantitatifs. Voilà une démarche qui nécessiterait des données empiriques, chiffres à l'appui, chronomètre à la main, décompte de mots dans les colonnes des journaux. Nous ne parviendrions toutefois qu'à une réponse partielle, qui laisserait en plan toute la question de la qualité de la place de la littérature au Québec. Partons plutôt de l'idée qu'il importe de mesurer la portion congrue accordée à la critique, notamment parce qu'il s'agit d'un agent à notre avis indispensable dans la formation d'une vie littéraire digne de ce nom, mais également parce qu'elle constitue un antagoniste nécessaire à la vitalité des débats esthétiques.