Lectures (Salon double, 2010-2011)

Salon double
Ce carnet rassemble les entrées publiées entre 2010 et 2011 dans la section «Lectures» (Salon double) dédiée à des textes au caractère hybride se situant entre critique journalistique et la critique spécialisée de type universitaires.

La beauté bousculée

Œuvre référencée: Beauregard D., Virginie. (2010) «Les heures se trompent de but». Dans un monde saturé d'images, de matériel, de gens, où il y a à peine de place pour soi, la subjectivité demeure une matière précaire. Bien sûr, la poésie procède toujours d'une expression du «je», mais l’écriture de Virginie Beauregard D. dans «Les heures se trompent de but», comme un grand pan de la poésie contemporaine, montre que cette prise de parole ne peut plus s'effectuer à huis clos, même s'il se produit un retour du sujet.

Comme un long striptease

Œuvre référencée: Beigbeder, Frédéric. (2011) «Premier bilan après l'apocalypse». Il est possible d’aborder «Premier bilan après l'apocalypse» par ce qu’il dit de Beigbeder et, par extension, par ce qu’il dit de la littérature, notamment d’une certaine littérature contemporaine. «Premier bilan après l’apocalypse», c’est un long striptease pendant lequel on en apprend tout autant sur Beigbeder que sur les romans qu’il a choisi de faire figurer dans ce grand palmarès.

Déprime profonde

Œuvre référencée: Zviane. (2010) «Apnée». Aborder le thème de la maladie mentale dans une œuvre d’art est un choix périlleux, parce que cette décision entraîne dans son sillage un paradoxe: traiter d’une affliction mentale par le spectre étroit du rationalisme est sans doute une approche juste eu égard aux implications médicales du sujet abordé, mais peut laisser de côté les aspects émotifs très pénibles corollaires à cette condition. En revanche, la représentation des aléas d’un esprit atteint par le figuré et le symbolique parvient à restituer de manière plus frappante et émouvante l’épreuve que constitue un épisode de maladie mentale.

Le visage de l'histoire

Œuvre référencée: Mavrikakis, Catherine. (2011) «Les derniers jours de Smokey Nelson». Si le Raskolnikov de Dostoïevski, dans «Crime et châtiment», représente le meurtrier qui par son crime et par la conscience de la culpabilité qui en découle réussit à communier, dans le repentir, avec la communauté humaine universelle, si la Thérèse Raquin de Zola représente au contraire celle dont le crime comme la déchéance qui en découle reconduisent la destruction de cette même communauté, Smokey Nelson, pour sa part, est le meurtrier séparé de son crime et sans rapport avec celui-ci, la possibilité d'un tel rapport lui ayant été confisquée.

La défaite de l'autorité

Œuvre référencée: Jelinek, Elfriede. (2003) «Avidité. Roman de divertissement». L'insistance à dévoiler les mécanismes de la transmission narrative permet d’inscrire «Avidité» dans la production contemporaine et ce, malgré les expérimentations formelles si présentes chez Jelinek, qui nous rappellent souvent les écritures des différents regroupements littéraires des années 1950 et 1960 —l’influence du Groupe de Vienne se fait fortement sentir dans ses romans— et qui inscrivent l’œuvre de l’écrivaine autrichienne en opposition avec le retour à la lisibilité fréquemment observé dans la littérature contemporaine.

Alias Clint Eastwood

Œuvre référencée: Michaud, Andrée A.. (2009) «Lazy Bird». L’enjeu du roman «Lazy Bird» d'Andrée A. Michaud se situerait dans une interrogation plus fondamentale que celle à laquelle la lecture policière nous habitue: comment, aujourd’hui, percevoir le monde hors du cadre culturel imposé par la puissance médiatique des États-Unis? Sommes-nous condamnés, à l’instar de Bob Richard, à percevoir nos existences comme des «blockbusters» en devenir?

L'art de la légèreté

Œuvre référencée: Moore, Lorrie. (2009) «A Gate at the Stairs». La «légèreté» dont je tenterai de cerner les contours et les conséquences ici est à la fois ce qui fait la réussite et l’échec de ce roman initiatique déconcertant, portrait d’un sujet à côté de lui-même, incapable de rendre l’ampleur des drames qui s’abattent sur lui, comme si le réel devenait insoutenable au point de ne pouvoir être raconté sérieusement.

La réalité semblait de plus en plus stérile

Œuvre référencée: July, Miranda. (2007) «No One Belongs Here More Than You». Cette insistance sur l’incommunicabilité et sur la solitude du sujet contemporain m’apparaît importante en ce qu’elle adresse à notre époque des questions qui concernent ses fondements. Je ne crois pas qu’il s’agisse d’un hasard si tant d’oeuvres littéraires, ces dernières années, se montrent soucieuses quant à la solitude des individus et insistent à ce point sur l’importance des rapports intersubjectifs.

Scènes de cul postmodernes et autres allusions à la neuvième porte du corps

Œuvre référencée: DesRochers, Jean-Simon. (2009) «La canicule des pauvres». Nous avons donc entre les mains un «roman adressé à ceux qui ne lisent pas» et, ironiquement, c’est en faisant une analyse plus poussée des éléments inhérents à la littérature postmoderne que le lecteur plus aguerri trouve son compte. C’est donc dans cette optique que j’ai choisi de lire La canicule des pauvres et je vais montrer comment les multiples mises en abyme, l’intertextualité et les différentes formes d’intermédialité servent à générer l’autoréflexivité de l’œuvre et de son contexte d’édition.

Dans le «vestibule de l'enfer»

Œuvre référencée: Millet, Richard. (2010) «L'enfer du roman. Réflexions sur la postlittérature». Dans ce recueil de réflexions au titre saisissant, Richard Millet tente de livrer une définition du «cauchemar contemporain nommé roman». Voilà bien une entreprise pour le moins complexe et téméraire, si on en juge par la position privilégiée qu’occupe la littérature narrative en régime contemporain. Mais c’est justement là, on le devine, l’intérêt du propos de Millet.

Les gros bras du conteur

Œuvre référencée: Moody, Rick. (2010) «The Four Fingers of Death». «The Four Fingers of Death», le très massif roman de l’américain Rick Moody, auteur de «The Ice Storm» et «The Black Veil», est assez facile à résumer. Dans une longue introduction rédigée en 2026, le narrateur, un écrivain qui se qualifie d’ultra-minimalisteappelé Montese Crandall explique comment il en est venu à être l’auteur de la novélisation de «The Four Fingers of Death», la nouvelle version du film culte de 1963 «The Crawling Hand».

La littérature postironique, une rebelle qui vous veut du bien

Œuvre référencée: Langelier, Nicolas. (2010) «Réussir son hypermodernité et sauver le reste de sa vie en 25 étapes faciles».Une œuvre plutôt éclectique, intitulée «Réussir son hypermodernité et sauver le reste de sa vie en 25 étapes faciles» de Nicolas Langelier (2010), récupère une réflexion sur l’ironie entamée chez nos voisins du sud.

Littérature impolitique

Œuvre référencée: Bolaño, Roberto. (2008) «2666». Comment un écrivain, dans notre cas Bolaño, transforme un fait divers en symptôme et avertissement politique? Or, l’écrivain chilien Roberto Bolaño n’a pas fait une simple transposition d’un fait divers; il construit plutôt, dans son roman «2666», un récit apocalyptique sur la violence totalitaire et la violence suicidaire, considérées comme violences autodestructrices.

Ces poussières faites pour troubler l'oeil

Œuvre référencée: Foster Wallace, David. (1996) «Infinite Jest». Un roman de l’envergure d’«Infinite Jest» repose sur le projet de s’opposer à la facilité de l’art divertissant, tant par sa structure narrative complexe et par les thèmes qui y sont abordés que par l’engagement que sa lecture implique.

Fin d'une ère et début de jeu

Œuvre référencée: Coupland, Douglas. (2010) «Player One: What Is to Become of Us». Oublions un instant les scénarios extrêmement improbables, comme une invasion de zombies, une guerre intersidérale, ou une rébellion de robots-tueurs. Peut-on penser à une plausible amorce de fin du monde, dont l’humain serait directement responsable?

Double Houellebecq: littérature et art contemporain

Œuvre référencée: Houellebecq, Michel. (2010) «La carte et le territoire». Quiconque s’intéresse à l’art, à la littérature, ne reste pas indifférent à ces paroles: «Je veux rendre compte du monde… Je veux simplement rendre compte du monde». Insérés vers la fin de «La carte et le territoire» de Michel Houellebecq, ces mots de Jed Martin, l’artiste contemporain qui est également le personnage principal du roman, peuvent nous servir de fil conducteur pour une lecture à rebours et nous investir d’une mission: tenter de décrypter un dialogue entre l’art et le monde, la représentation et le réel, l’artiste et son pouvoir de créativité.

Photogénie du terroriste

Œuvres référencées: Lefranc, Alban. (2005) «Attaques sur le chemin, le soir, dans la neige», Lefranc, Alban. (2006) «Des foules des bouches des armes» et Lefranc, Alban. (2009) «Vous n’étiez pas là». «L’acte surréaliste le plus simple consiste, revolvers aux poings, à descendre dans la rue et à tirer au hasard, tant qu’on peut, dans la foule.» Cette phrase, tirée du «Second manifeste du surréalisme», aurait été citée en 1968 par un avocat allemand plaidant pour la libération d’étudiants accusés d’incitation à l’incendie.

La tueuse: le combat de la fiction contre le vide

Œuvre référencée: Delaume, Chloé. (2007) «La nuit je suis Buffy Summers». Pour aborder un livre-jeu comme «La nuit je suis Buffy Summers» de Chloé Delaume, le terme «lecture» adopté par Salon double prend tout son sens. Delaume propose véritable une expérience de lecture, une aventure dans un univers étrange que l’on peut recommencer en prenant chaque fois des routes différentes.

Le narrateur en commentateur ou la fascination du métadiscours

Œuvre référencée: Leblanc, David. (2010) «Mon nom est personne». Le deuxième livre de David Leblanc, auteur de «La descente du singe», a de quoi laisser perplexe au premier abord. Il se présente dès la première de couverture comme un ensemble de «fictions» réunies sous le titre intrigant «Mon nom est personne».

Quand l’auteur joue avec la (méta)fiction

Œuvre référencée: Hazra, Indrajit. (2007) «Le Jardin des délices terrestres». «Le Jardin des délices terrestres» est le deuxième roman d’Indrajit Hazra, musicien, journaliste et écrivain indien né à Calcutta en 1971. Ce roman, qui au final pourrait être qualifié de ludique, emprunte à la bande dessinée belge comme à la littérature jeunesse bengali et induit, avec sa structure problématique et sa narration indécidable, certains effets de rupture qui dévoilent et problématisent sa construction.

Seul contre tous

Œuvre référencée: Millet, Richard. (2008) «L'Opprobre. Essai de démonologie». Les essais de Richard Millet, du «Dernier écrivain» (2005) au «Désenchantement de la littérature» (2007), semblent, depuis quelques années, se fermer à toute entreprise herméneutique, en développant une posture auctoriale particulièrement complexe. «L'Opprobre» (2008), son dernier livre, confirme cette tendance.

La plus petite unité de temps

Œuvre référencée: Ernaux, Annie. (2008) «Les Années». À la lecture de Les Années d’Annie Ernaux, il apparaît que le projet de ce livre, déjà, était contenu en germe dans toute la production romanesque antérieure de l’écrivaine, dont les particularités semblent avoir été fondues en un seul ouvrage pour aboutir à ce livre aux allures de somme.

La rassurante présence des déclassés

Œuvres référencées: Despentes, Virginie. (2002) «Teen Spirit» et Despentes, Virginie (2004). «Bye Bye Blondie». À l’évidence, la lutte des classes dans la littérature tient d’une autre époque. La théorie littéraire marxiste est passée de mode, et sans doute nos contemporains espèrent-ils que la littérature d’aujourd’hui se soit enfin débarrassée des divisions de classe.

Mourir de sa belle mort

Œuvre référencée: Uguay, Marie. (2005) «Journal». Le «Journal» de Marie Uguay, paru en 2005 chez Boréal, offre, comme d’autres avant lui —qu’on pense à ceux d’Hector de Saint-Denys Garneau et d’Hubert Aquin, pour ne nommer que ceux-là—, une proximité peu commune, non pas avec une représentation fabulée de l’auteur, mais bien avec l’auteure réelle elle-même.

Le sort des mécaniques défaillantes

Œuvre référencée: Lane, Tim. (2008) «Abandoned Cars». En mettant au point la technique de la chaîne de montage au début du XXe siècle, Henry Ford a réussi à accélérer la production de son modèle T. La légende veut qu’il aurait convoqué plusieurs journalistes à l’une de ses usines afin de faire la démonstration de l’efficacité de ses constructions.