Dans un grand nombre de champs du savoir, la performance et la performativité jouent un rôle important depuis la seconde moitié du XXe siècle. Ce qui témoigne, sans nul doute, d’une tendance vaste et générale à faire ou poser le regard sur le faire des choses plutôt qu’à les représenter, qu’à les contempler à distance. Ces concepts pourtant doivent être distingués pour éviter tout malentendu, car s’ils indiquent une action qui intervient dans le monde réel, ils renvoient à des intentions, des objectifs et des effets différents selon les domaines. La notion de performance est variable selon les approches pratiques, tandis que la performativité, elle, peut prendre différentes formes selon les théories qui la définissent ou les programmes à laquelle on la soumet. C’est là, par exemple, tout le dilemme intrinsèque au domaine des performance studies de faire cohabiter des théories et domaines variées aussi bien artistique, politique que social. Entre la performance linguistique chez Noam Chomsky, le performatif de J. L. Austin et l’art performance dans sa dimension ontologique chez Peggy Phelan, il y a tout un éventail de définitions. La performance linguistique signifie l’ensemble des énoncés linguistiques émis par un locuteur, tandis que l’art performance chez Phelan repose sur l’importance de la coprésence entre performeur et public ainsi que sur l’éphémérité. La performativité construit la réalité, comme celle du genre chez Butler, tandis que l’art performance conjugue de manière essentielle événementialité et réalité.
Si la question du faire reste primordiale dans tous les cas; celle du présent est tout aussi déterminante: «Performance’s only life is in the present», affirme Phelan. La performativité linguistique de J. L. Austin et de J. R. Searle repose sur l’idée d’une action qui s’effectue par le langage; elle n’est pas directement liée à l’art performance, pourtant le qualificatif «performatif» est souvent utilisé pour évoquer «ce qui a trait à la performance». Est-ce un simple malentendu dans les termes ou bien y a-t-il quelque chose qui relierait la performance et la performativité? Faut-il utiliser un autre terme comme «performantiel» pour décrire ce qui relève de l’art performance, tel que le propose David Zerbib? Existe-t-il une «performantialité» qui dépasse la performance stricto sensu?
L’objectif de cette journée d’études est d’interroger l’imaginaire contemporain de la performance et de la performativité qui imprègne les discours et pratiques actuelles en arts et dans d’autres domaines culturels et sociaux. L’ambiguïté entre les concepts, leurs subtiles distinctions ou leur partage évident, invite à penser l’intérêt pour le «faire» des représentations et les effets de présence. Mais d’où émane cet intérêt? Et où mène-t-il? Comment s’élabore-t-il dans les discours théorique, critique, artistique, dans des essais philosophiques, politiques ou de genres, dans les recherches intermédiales ou dans les œuvres? À quels espoirs, impressions, attentes, calculs, répondent-ils?
Dans le cadre des activités du projet de recherche interdisciplinaire RADICAL (Repères pour une articulation des dimensions culturelles, artistiques et littéraires de l'imaginaire contemporain), nous souhaitons questionner la performance et la performativité dans le but d’entamer une réflexion sur la manière dont ces notions engagent un rapport concret des représentations fictionnelles au monde. L’usage de ces notions semble répondre ainsi au soupçon de l’ère postmoderne qui, par l’ironie, la simulation et le brouillage entre le vrai et le faux, a épuisé la moindre prétention à agir concrètement dans le monde. Il s’agit de mettre en lumière ce qui conditionne l’imaginaire (ou les imaginaires) de la performance et du performatif. Les notions comme celles de la présence, de l’événementialité, de la théâtralité, de l’action, de la trace, de la représentation, du corps, du reenactment, de la réalisation ou de l’énonciation seront évidemment au cœur des réflexions.
Les communications s’inscrivent dans l’une des trois perspectives qui structureront la journée: D’ordre théorique, la première perspective est composée de présentations qui interrogent les notions de performance et de performativité, leurs usages, leurs significations, leurs similarités, leurs différences, leurs applications pratiques ou théoriques dans divers domaines. La seconde perspective réunit des présentations qui proposent des analyses de la performance ou de la performativité d’œuvres artistiques (tout particulièrement d’œuvres numériques), théoriques, critiques. Enfin, la dernière perspective, plus englobante, réunit les présentations qui interrogent les conditions sociales, culturelles, politiques, économiques, institutionnelles, etc. qui disposent l’imaginaire contemporain à la performance et à la performativité.
Re-enactment: usure et théâtralité de la performance«La performance est l'enfant prodige du théâtre.» |
L'atelier fait terrain: la performativité de la recherche-création, pratiques poétiques et éthique de la connaissance«Les photographies de Jocelyne Chabot documente une oeuvre qui s'intutile "Effacement" et elles portent la mention "L'outil, le matériau. Parc Lafontaine, Parc Jeanne-Mance, Parc Laurier". |
Performance 2013: des nouvelles de l'Est«La vérité et le pouvoir appartiennent à ceux qui racontent la meilleure histoire. Cet énoncé de Stephen Duncombe, auteur new-yorkais s'étant intéressé aux différentes formes de résistance culturelle s'applique bien aux stratégies des "artivistes" de certains pays de l'Europe de l'Est qui s'opposent aujourd'hui au pouvoir autoritaire surgi sous les ruines de l'empire soviétique. |
L'art de la performance est-il une menace pour la société? Réflexions autour de l'affaire Dulac«Il y a de cela près d'un an, un jeune étudiant de l'Université Laval nommé David Dulac était arrêté, incarcéré avant et jusqu'à la fin de son procès du 26 mars au 19 juillet (qui était le jour de son procès), soumis à des examens psychiatriques pendant plusieurs jours consécutifs et puis condamné pour menace de mort en relation à une proposition de performance qu'il a fait dans le cadre de l'exposition de fin d'année du bacc en arts.» |
Performer la pornographie dans le contemporain: de l'identité à la résonance«Mon objectif est de proposer, à partir des notions de performance et de performativité, des approches théoriques repositionnant nos a priori face à l'appropriation artistique de la pornographie.» |
D'une Butler à l'autre: quelle évolution pour la performativité "queer"?«Est-ce qu'il est possible d'aborder les théories queer sans parler de Judith Butler? La question vaut la peine d'être posée parce qu'en général, quand on parle du queer, on pense à Butler, la "papesse du queer" comme la nomment certains journalistes.» |
La réception à l'oeuvre: création de prothèses interprétatives ou l'urgence de soigner la réception - pour un devenir-citoyen du spectateur«Je vais commencer par situer mon atelier au coeur des pathologies de l'image et je vais vous proposer d'entrevoir la création de performances comme une tentative d'apporter des soins intensifs à l'image.» |
La rhétorique comme établissement de valeurs: l'expérience performative de "Dogville"«Le titre de ma communication étant "La rhétorique comme établissement des valeurs: l'expérience performative de Dogville", c'est sans doute avec une certaine curiosité que vous vous apprêtez à m'entendre parler à la fois de rhétorique et d'un film de Lars Von Trier, surtout lors d'une journée d'étude portant sur la performance et la performativité. |