Colloque
Université du Québec à Montréal

L’ombre de Frankenstein ou le pouvoir d’une œuvre

Mercredi 17 Novembre 2021 - Vendredi 19 Novembre 2021

 

Présentation du colloque

L'année 1818 aura permis de voir apparaître une œuvre (et deux personnages) dont la présence ne s'est jamais démentie: Frankenstein, or the Modern Prometheus de Mary Shelley. En effet, dès les années 1820, des adaptations théâtrales apparaissent, alors que le cinéma s'empare du sujet en 1910, et n’a jamais semblé l’épuiser. Au cours de la décennie 2010, on peut retracer plus de quinze films qui s’inspirent du roman, comme le titre en témoigne la plupart du temps. Cinéma et théâtre, mais aussi littérature, bande dessinée, télévision, jeu vidéo, musique, art visuel, publicité, journalisme (les crimes horribles qu’on rapprochent de la créature), philosophie et science (les questions éthiques autour du «syndrome Frankenstein»), culture numérique, tous proposent des versions plus ou moins fidèles de l’original. Comment penser ce réseau complexe et transmédiatique dans lequel circulent deux personnages et leur quête tragique de dépassement des frontières de la vie, pour l'un, et d'identité, pour l'autre?

Richard Saint-Gelais développe la notion de transfictionnalité (Fictions transfuges: la transfictionnalité et ses enjeux, Paris, Seuil, 2011, 608 p.) pour parler de la circulation entre plusieurs œuvres d'éléments fictionnels, la plupart du temps des personnages, circulation qui implique toutefois la présence d'une relation diégétique même minimale. Deux cas de circulation questionneraient les frontières du concept: les adaptations transmédiatiques (elles sont rarement lues comme des prolongements diégétiques) et les mythes modernes, dont l'«imprégnation à long terme de l'imaginaire collectif peut s'appréhender en termes transfictionnels, en tant que forme extrême de diffusion, à l'échelle non plus des textes, même nombreux, mais du discours social dans son ensemble» (36), qui serait par ailleurs «mythogène». Et on peut bien parler dans le cas de Frankenstein d’un mythe, au sens de Lévi-Strauss: «L’objet du mythe est de fournir un modèle logique pour résoudre une contradiction (tâche irréalisable, quand la contradiction est réelle).» (Anthropologie structurale 1, Paris, Agora, 1985, p. 264.) Quoi de plus contradictoire que cette histoire de faux père et de vrai fils, de création qui échappe aussi bien aux dieux qu’à la nature, d’homme qui n’en est pas un tout en en étant un, de figuration du progrès qui en est sa parfaite critique?

Pour Saint-Gelais, la meilleure façon d'aborder la complexité de ces figures modernes est de les replacer dans des systèmes transfictionnels qui peuvent être sériels, cycliques, constellés ou rhizomiques. «[L]es ensembles transfictionnels [sont] autant de totalités provisoires et hétérogènes, […] le résultat en mouvement d'interventions scripturales qui ne sont pas toujours concertée […] et qui placent les lecteurs devant des polytextes de plus ou moins grande ampleur» (304). Parmi les grandes figures de l'imaginaire populaire, il identifie Frankenstein comme un exemple particulièrement intéressant en ce qu'il continue d'entretenir une forte relation à l'œuvre qui lui a donné naissance, tout en s'émancipant de celle-ci, dans une forme de double-vie transmédiatique et polyphonique. Il ajoute que «[c]ette labilité des figures fictives à forte circulation culturelle entraîne, de version en version, tout un jeu de sélections et d'additions, de sédimentations et de réaménagements qui font que la "vérité" de ces fictions ne repose plus sur les énoncés du texte-source» (379). Par exemple, plusieurs éléments, notamment visuels et diégétiques, du mythe frankensteinien proviennent des adaptations théâtrales (1823) ou cinématographiques (1931). Or, ces contributions sont largement anonymes, alors que Mary Shelley et son roman demeure connus. Ainsi, «l'œuvre originale est intégrée dans un système dont l'évolution résulte tout autant d'impulsions souvent impossibles à situer, "dissoutes" qu'elles sont dans l'espace transfictionnel qu'elles ont contribué à former.» (380) Cette multitude d'adaptations plus ou moins fidèles qui prolifèrent a échappé à Shelley comme la créature à Victor Frankenstein. La réalité fait un clin d’œil à la fiction.

L’année du 200e anniversaire de la publication a vu de nombreuses manifestations intellectuelles autour du roman de Shelley. Un colloque a notamment eu lieu à Bordeaux qui explorait le destin intermédial de Frankenstein. Celui que nous proposons en prendra le relais, accentuant la réflexion sémiotique, philosophique et historique sur le système transfictionnel frankensteinien, en analysant notamment la manière dont l’imaginaire scientifique du roman irrigue ses adaptations. Trois perspectives orienteront les travaux:

  • les adaptations littéraires et transmédiatiques: étude d'adaptations spécifiques à partir d'approches théoriques diverses (sociocritique, psychanalyse, épistémocritique, etc.); réflexion sur les limites de l'adaptation (histoire culturelle); réflexion sur la notion d'adaptation en prenant Frankenstein comme point d'ancrage;
  • le mythe moderne de Frankenstein et son système transfictionnel: étude sémiotique d'un ensemble d'œuvres et de leurs relations diégétiques autour du mythe moderne de Frankenstein, en tant que «figure fictive à forte circulation culturelle»; réflexion sur les notions de transfiction ou de mythe moderne en prenant Frankenstein comme point d'ancrage;
  • l'imaginaire scientifique: réflexion sur la place de Frankenstein dans l'imaginaire scientifique moderne, tant sur le plan éthique, épistémique que langagier. Le discours scientifique, l'histoire et la sociologie des sciences, l'épistémologie, la vulgarisation scientifique et le journalisme pourront alimenter ces études.

Crédit (image): ©patrimonio - Can Stock Photo Inc.

 

Programme du colloque

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Jour 1. 17 novembre 2021

Ouverture du colloque

 

Séance 1 - Mythe, mythologie et filiation

 

Séance 2 - Droit et justice

Table ronde

  • Helen Faradji (critique), André Caron (chercheur indépendant), Alain Vézina (Cégep de Saint-Jérôme), Annik Corona Ouellette (Cégep de Saint-Jérôme). «Frankenstein au cinéma» 

 

Jour 2. 18 novembre 2021

Séance 3 - Corps et greffes

 

Séance 4 - Science et technologies

 

Jour 3. 19 novembre 2021

Séance 5 - Intertextualité et transfictionnalité

 

Séance 6 - Formes, généricité

 

Organisation du colloque

Jean-François Chassay est chercheur régulier à FIGURA, le Centre de recherche sur le texte et l’imaginaire. Professeur au Département d’études littéraires de l’Université du Québec à Montréal depuis 1991, Jean-François Chassay a publié une vingtaine de livres (romans, essais, anthologies, actes de colloque). En 2002, il remportait le Grand prix d’excellence en recherche décerné par le réseau de l’Université du Québec. Il a été membre de la rédaction puis codirecteur de Spirale (1984-1992), puis directeur (1998-2001) de Voix et Images. Il a tenu régulièrement, de 1986 à 2004, des chroniques littéraires à la radio de Radio-Canada (En toutes lettres, Fictions, Littérature actuelle, Le temps perdu, Paysages littéraires, midi culture, Indicatif présent…) et récemment à Plus on est de fous, plus on lit. Dernier ouvrage publié: Au cœur du sujet. Imaginaire du gène (Montréal, Le Quartanier, 2013).

Elaine Després est professeur associée et coordonnatrice du Centre Figura à l’UQAM. Ses recherches portent sur les représentations fictionnelles de la science dans une perspective sociocritique et épistémocritique. Après une thèse sur les savants fous en littérature, publiée au Quartanier en 2016, elle a notamment travaillé sur le posthumain, les dystopies, l’imaginaire post-apocalyptique, la science-fiction et les séries télé. Elle vient de faire paraître Le posthumain descend-il du singe? Littérature, évolution et cybernétique (PUM, 2020).

Pour citer ce document:
Chassay, Jean-François et Elaine Després, (org.). 2021. L’ombre de Frankenstein ou le pouvoir d’une œuvre. Colloque organisé par Figura, le Centre de recherche sur le texte et l'imaginaire. Université du Québec à Montréal, Montréal, 17, 18, 19 novembre 2021. Documents audio et vidéo. En ligne sur le site de l’Observatoire de l’imaginaire contemporain. <https://oic.uqam.ca/fr/evenements/lombre-de-frankenstein-ou-le-pouvoir-dune-oeuvre>. Consulté le 1 mai 2023.

Frankenstein, Inc.: Quand le savant fou devient prolétaire

À l’ère néolibérale, les savants fous ne sont plus des iconoclastes isolés, mais une partie prenante d’énormes multinationales qui les emploient par centaines. Alexandre Desbiens-Brassard explorer comment Jurassic Park de Michael Crichton et Oryx and Crake de Margaret Atwood transforment la figure du savant fou héritée de Shelley en une nouvelle figure, celle du savant fou corporatif.

La référence à la créature de Frankenstein dans la sphère juridique

La science-fiction ou la littérature d’anticipation constituent assurément des pistes de réflexion de plus en plus prisées par les juristes. De la simple référence à la publication d’ouvrages entiers consacrés à la question, elles ont définitivement acquis droit de cité en droit. Quentin Le Pluard analyse les références à ce mythe moderne qu’est Frankenstein –ainsi qu’à son inspiration qu’était celui de Prométhée– et démontre comment les juristes s’en saisissent.

Et Frankenstein créa Frankenstein: (r)évolutions éthiques du mythe dans le cycle Hammer

Avec pas moins de six volets différents, la compagnie cinématographique de la Hammer a relancé le mythe de Frankenstein, près de 20 ans après les adaptations américaines de James Whale pour le compte de l'Universal. Si le projet initial était de ré-exploiter à l'écran l'imaginaire de Mary Shelley en y ajoutant, au niveau esthétique, la dimension chromatique, force est de constater les choix forts de la part du réalisateur Terence Fisher et du scénariste Jimmy Sangster.

Est/éthiques cyberterratologiques du corps en pièces de «Patchwork Girl» au code fantôme de «Galatea 2.2»… et réciproquement

Parus l’un comme l’autre en 1995, la cyberfiction de Shelley Jackson et le roman de Richard Powers interrogent la manière dont s’élabore une subjectivité à partir de ce qui relève d’un apprentissage littéraire débouchant sur un récit de soi, mise en abyme de la fiction par son double monstrueux, depuis une position d’extériorité radicale, puisque non humaine.

«What's in a name?» «Frankenstein» et ses nombreuses variantes

La créature n'a pas de nom, c'est le signe même de sa quête d'identité. Elle est pourtant régulièrement associée à un nom, qui est la démonstration même d'une incompréhension du roman, puisqu'on la confond avec son créateur en lui accordant le nom de Frankenstein. Pourtant, d'une part, c'est une manière de signifier que le savant et sa créature sont le double l'un de l'autre. D'autre part, les éditions du livre présentent souvent en couverture un dessin du monstre traversé par le titre, ce qui rend ce rapprochement presque naturel.

«You’re trying to take my knight, aren’t you, Mr Frankenstein?» De quoi Frankenstein est-il le nom dans «American Desert» de Percival Everett?

American Desert (2004) met en scène Theodore Street, universitaire en panne d’inspiration qui, fauché en route par un accident de voiture qui le décapite dès la première page du roman, rate jusqu’à son suicide.

La figure de Frankenstein entre mythologies de l’écriture, poussière et électricité, chez Alberto Manguel

En quoi Frankenstein représente-t-il un «monstre fabuleux» et qu’est-ce que cette figure légendaire nous apprend sur l’imaginaire scientifique moderne? Outre l’essai éponyme que lui a inspiré en 2008 le film de James Whale La fiancée de Frankenstein (1935), Alberto Manguel a également abordé l’étude de cette figure légendaire dans deux autres essais: La Bibliothèque, la nuit (2006) et Monstres fabuleux: Dracula, Alice, superman, et autres amis littéraires (2019).

«The guy with the bolt through his neck»: parallaxe et metalepse ou l’art de franchissement résolument trans dans «Frankissstein»

Publié en 2019, FranKissStein, a love story de Jeanette Winterson est l’un des derniers romans qui s’inscrit dans le sillage transfictionnel du roman de Mary Shelley. Hélène Machinal aborde trois facettes saillantes de cette nouvelle déclinaison du roman, de sa créature et des liens qui s’y tissent avec la notion de création, sans oublier les enjeux mythiques et philosophiques convoqués.

La relecture du mythe de Frankenstein dans le cinéma de science-fiction japonais

Si les tourments de Victor Frankenstein trouvent un écho dans le cinéma japonais, sa créature a aussi engendré une prolifique descendance dans le bestiaire du kaiju eiga (film de monstres). Godzilla est à la fois une menace mais aussi une victime des excès de la science. En 1965, Frankenstein vs Baragon montre une créature qui, malgré son gigantisme, affiche certains traits communs avec le personnage imaginé par Mary Shelley notamment sa marginalisation due à son apparence qui, ici, s’explique par les retombées de l’explosion d’Hiroshima.

Quand Jane Austen rencontre Mary Shelley: «Pride and Prometheus» de John Kessel

Dans le prolongement de la courte nouvelle du même nom qui a remporté le Prix Nébula 2008, Pride and Prometheus, récent roman (2018) de l’écrivain américain de science fiction John Kessel, met en scène la rencontre improbable entre Mary, la plus terne des sœurs Bennet, faire-valoir de l’héroïne géorgienne de Pride and Prejudice, et Victor Frankenstein, le plus célèbre des personnages de savants fous de l’ère victorienne.

«Graphic Frankenstein»: de quelques solutions graphiques à la Créature (Wrightson, Crepax, Desprez et alii)

Malgré leur grande plasticité en matière de valeurs imaginaires, chaque créature fantastique possède sa zone d’élection: le double s’attaque à l’ontologie comme à la mimésis, le vampire exprime la prolifération et la sexualité, le zombie s’impose comme métaphore de la catastrophe néo-libérale qui avance… Mais Frankenstein, de quoi est-il le signe?

Frankenstein ou le photographe moderne

La photographie n’est que peu considérée dans les œuvres qui furent stimulées par l’ouvrage de Mary Shelley. Cependant, comment juger les innombrables transformations du corps humain proposées par l’image comme étant des corps vivants et réels, autrement que par l’influence de la créature composite? À travers l’étude d’œuvres photographiques, Jessica Ragazzini propose d’analyser une part méconnue de l’influence de Frankenstein comme mythe moderne.

L'ombre de Frankenstein: Science et magie dans «The Prestige» de Christopher Nolan (2006)

La communication de Gaïd Girard relève plutôt de l'histoire culturelle dans la mesure ou le film de Nolan n'est pas une adaptation explicite de Frankenstein, mais celle d'un roman de Christopher Priest aussi intitulé The Prestige. À travers l'histoire de la rivalité entre deux grands prestidigitateurs dans le Londres victorien de la fin XIXe, elle met en scène les rapports complexes entre science et spectacle, que les adeptes du mesmérisme exploitaient déjà depuis la fin du XVIIIe siècle.

Le monstre où l'on catche: Frankenstein dans l'arène de la lutte professionnelle

Même si ce scénario n'a pas été envisagé par Shelley, un lutteur Québécois cinquantenaire du nom de Pierre-Carl Ouellette s'est chargé de restaurer la réputation de Frankenstein dans le monde de la lutte professionnelle. Intitulant son retour au ring après une carrière fulgurante de «reconstruction», PCO se met maintenant en scène comme une créature recomposée. Accompagné de son docteur personnel Destro, PCO utilise d'habiles rappels à l'histoire de Shelley pour construire le récit de ses combats.

«Depraved»: la créature et les monstres

Le dernier film de Larry Fessenden est une relecture moderne directe du Frankenstein de Mary Shelley. La créature, appelée ici Adam, se réveille dans un laboratoire de Brooklyn appartenant à Henry, ancien médecin dans l’armée américaine, et victime de stress post-traumatique suite aux horreurs vues pendant son service. Ce dernier est chapeauté par Polidori, un nouveau riche qui souhaite expérimenter une drogue novatrice sur le monstre pour s’enrichir dans le futur.

«Frankenstein» novellisé

Frankenstein est une figure propice pour réfléchir à la question de la novellisation et à l'imaginaire qu'elle peut susciter. C'est ce que Sylvano Santini nous propose, en s'intéressant tout particulièrement à la novellisation The Revenge of Frankenstein, écrite par Sean Austin et publiée en 2013.

Kornél Mundruczó («Tender son: The Frankenstein project»): ou l’ombre projetée du roman familial de Victor F.

L’ombre de Frankenstein se projette partout, on la voit s’étendre à tous les niveaux, et sur tous les plans, mais cette ombre, qui prolonge en partie le roman de Mary Shelley, finit aussi par l’occulter partiellement tant l’image fixée dans la culture populaire et la réduction du mythe de Frankenstein à quelques traits imaginaires semblent faire écran au roman lui-même.